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Caledonian : la perte de stabilité et ses conséquences mortelles

Par Glenn Budden
Enquêteur principal, Enquêtes maritimes, bateaux de pêche
Bureau de la sécurité des transports du Canada

Cet article est d'abord paru dans l'édition de janvier 2017 du Western Mariner.

Dans l'après-midi du 5 septembre 2015, le Caledonian, un grand navire de pêche de 100 pieds, a chaviré à 20 milles marins au large de la côte ouest de l'île de Vancouver. Pourquoi? Voilà la question fondamentale à laquelle les enquêteurs du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) devaient répondre. Après tout, pendant près de 40 ans, le Caledonian avait pris et mis en cale des millions de livres de poisson, dans toutes sortes de conditions météorologiques et d'états de la mer. Qu'est-ce qui était si différent cette fois-là? Et pourquoi un seul des quatre membres d'équipage à bord a-t-il survécu?

Il est plus facile de répondre à la deuxième question – l'unique survivant était le seul à porter un vêtement de flottaison individuel, ou VFI. S'il est vrai que le secteur insiste maintenant davantage sur l'utilisation des VFI, beaucoup de pêcheurs continuent de ne pas les porter, malgré le risque évident : personne ne peut prévoir quand il passera par-dessus bord.

Pour ce qui est du chavirement, l'enquête du BSTNote de bas de page 1 a révélé que plusieurs facteurs ont contribué à la perte de stabilité du navire, les principaux étant les pratiques d'exploitation – comme le rangement du carburant dans les réservoirs arrière plutôt que centraux – et l'augmentation de près de 20 % de la masse du navire depuis la dernière évaluation de sa stabilité en 1976. Le jour de l'événement, ces facteurs ont fait que le navire flottait presque un demi-mètre plus bas dans l'eau, et qu'il s'enfonçait plus bas sur l'arrière.

Par conséquent, ce qui devait être le dernier trait du voyage a tourné au drame : ignorant que les limites d'exploitation sûre avaient changé au fil des ans, et que ses pratiques d'exploitation l'exposaient, ainsi que le navire, à des risques, l'équipage a divisé le trait en deux poches, et a chargé la première poche dans la cale centrale à bâbord. Le navire a gîté sur bâbord, et ce gîte s'est accru lorsque l'équipage a remonté la seconde poche. Malgré les efforts pour corriger le gîte en amorçant un changement de cap à tribord, l'eau de mer a commencé à envahir le pont, et le navire a chaviré quelques minutes plus tard.

Deux des membres d'équipage ont été mortellement blessés durant le chavirement. Par la suite, le capitaine et l'officier de pont (lequel portait un VFI) sont montés sur la coque retournée, où ils sont restés pendant environ six heures jusqu'au naufrage du navire. C'est alors que s'est déployé le radeau de sauvetage. Seul l'officier de pont a réussi à gagner le radeau à la nage et à y grimper; le capitaine, qui ne portait pas de VFI, s'est noyé.

Comme suite à cet événement, le BST a émis cinq recommandations dans l'espoir d'empêcher la récurrence d'un tel accident. Deux de celles-ci portent sur la question des vêtements de flottaison individuels : le BST demande que les équipages de bateaux de pêche portent des VFI appropriés en tout temps sur le pont, et que Transports Canada et WorkSafeBC, l'organisme de réglementation provincial chargé de la sécurité au travail, développent des moyens de vérifier que les pêcheurs se conforment à cette exigence.

Les trois autres recommandations portent sur la stabilité des navires et la suffisance des renseignements dont disposent les équipages pour s'assurer qu'ils exploitent leur navire en deçà de ses limites d'exploitation sûre. Car, le jour de l'événement, avant même d'ajouter le carburant, l'eau, les engins et les vivres pour le voyage, le Caledonian excédait de 50 tonnes le poids mesuré lors de la dernière évaluation de sa stabilité, presque 40 ans plus tôt – même s'il n'avait fait l'objet d'aucune modification majeure. Le poids de la majorité des navires plus âgés augmente progressivement avec le temps : les engins et l'équipement s'accumulent, les matériaux isolants deviennent imbibés d'eau, et les couches de peinture se multiplient. Il est vrai que la stabilité du Caledonian avait été évaluée et que le navire avait un livret de stabilité. Mais tout cela remontait à plusieurs décennies et, le jour de l'accident, les renseignements dans le livret étaient désuets et complexes. Ils étaient donc inutiles pour aider l'équipage à déterminer les limites d'exploitation sûre.

Voilà pourquoi il est important que les bateaux de pêche – autant les grands comme le Caledonian que les petits de moins de 24 mètres – dont la stabilité a déjà été évaluée, tiennent à jour ces renseignements et les présentent dans un format facile à comprendre pour l'équipage. Même les bateaux qui n'y sont pas tenus à l'heure actuelle devraient faire l'objet d'évaluations de la stabilité adaptées à leur taille et à leurs activités.

De plus, il devrait être facile de s'assurer que les équipages ont les renseignements sur la stabilité dont ils ont besoin. Par exemple, on peut facilement indiquer la ligne de flottaison opérationnelle maximale au moyen d'une ligne sur la coque; on pourrait également indiquer les charges maximales permises dans l'unité de mesure la plus pertinente – le poids total des prises, par exemple, ou un nombre sûr de casiers. L'essentiel, c'est que ces renseignements soient pertinents et facilement mesurables.

Les pêcheurs n'ont pas à attendre après la réglementation pour rendre leur travail plus sécuritaire, toutefois. De simples mesures, comme porter un VFI et connaître et respecter les limites d'exploitation sûre d'un navire, peuvent sauver des vies. Demeurer en vie, voilà l'objectif!