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Présentation au Crude by Rail Safety Initiative 2014

Wendy A. Tadros
Présidente, Bureau de la sécurité des transports du Canada
Houston, Texas, 24 juin 2014

Seul le texte prononcé fait foi.

Mot de présentation

Merci pour cette présentation. Et merci de m’avoir invitée à m’adresser à vous aujourd’hui.

Oscar Wilde a déjà dit que les gens utilisent souvent le mot « expérience » en parlant de leurs erreurs. Je suis d’accord avec lui. Par contre, je connais beaucoup d’organisations qui ont beaucoup « d’expérience », mais qui ne sont pas passées à l’étape suivante, qui est d’apprendre de leurs erreurs et de faire de meilleurs choix pour éviter qu’elles ne se reproduisent.

Au Bureau de la sécurité des transports du Canada, nous passons à cette étape suivante depuis près d’un quart de siècle. Lorsque survient un accident, que ce soit sur nos voies maritimes ou nos voies ferrées, le long de nos pipelines ou dans notre espace aérien, nos équipes de spécialistes dévoués cherchent à répondre à trois questions fondamentales : « Que s’est-il passé? » « Pourquoi? » Et, la question la plus importante à résoudre : « Comment pouvons-nous éviter que cela ne se reproduise? »

Ici à Houston, vous connaissez sans doute mieux le NTSB. Cet organisme joue un rôle semblable au nôtre et fonctionne sensiblement de la même façon. Je profite de l’occasion pour remercier le NTSB de son aide si précieuse qu’il n’hésite pas à nous consentir dès que nous la sollicitons dans le cadre de nos enquêtes, et en particulier, celle qu’il a offerte sur place à Lac-Mégantic.

Parlons maintenant de cet accident, non seulement parce que ce sujet nous préoccupe, mais aussi parce qu’il est riche « d’expériences » dont nous pouvons tirer des leçons. En fait, à certains égards, c’est la raison pour laquelle nous sommes tous réunis aujourd'hui : parce que le transport de pétrole brut, par pipeline ou par rail, est un sujet de plus en plus chaud, tant auprès des gouvernements que des médias. Il fait la manchette des tribunes radiophoniques et des pages éditoriales des journaux. Les citoyens dont les cours arrière, les villes ou les villages sont bordés par les routes de transport en Amérique du Nord s’inquiètent de plus en plus du nombre de barils et de wagons expédiés qui ne cesse d’augmenter.

Chaque génération connaît un accident qui remet la sécurité en question, un accident qui nous incite, voire nous contraint, à remettre nos principes en question et nos méthodes à l’étude et à transformer une entreprise, un secteur d’activité ou même une culture entière en fonction des lacunes que nous y constatons. Je parle ici d’un changement fondamental, radical – une transformation dont le résultat n’a pratiquement rien en commun avec ce qui l’a précédé.

Cet accident, l’élément déclencheur du changement qui balaie le secteur du rail, est survenu par une belle soirée en juillet dernier; tout a commencé quand un train qui transportait du pétrole brut a été stationné et laissé sans surveillance sur une voie principale à quelques kilomètres de la petite ville de Lac-Mégantic, au Québec.

Chacun parmi nous connaît des bribes de ce qui est arrivé par la suite : le train à la dérive, le déraillement puis, la fournaise. Bref, une destruction à une échelle quasi inimaginable. Nous avons tous entendu les chiffres : près de six millions de litres de pétrole de Bakken déversés; déraillement de 63 wagons-citernes, dont 59 ont été perforés. Mais surtout, 47 vies perdues.

Si cet accident est survenu dans une petite ville canadienne, les enjeux de sécurité qu’il soulève n’ont rien de petit et ne sont pas particuliers à mon pays. Ils sont énormes. Ils concernent le Canada et les États-Unis.

En fait, compte tenu des chiffres et du rythme auquel ils progressent, il est facile de démontrer que les raisons d’agir rapidement sont encore plus pressantes aux États-Unis qu’elles le sont au Canada.

D’après un article paru plus tôt cette année dans le New York Times, tout près des deux tiers de la production de la région de la formation schisteuse de Bakken est transportée par rail et plus de 10 % de la production totale de pétrole aux États-Unis voyage actuellement par rail. De plus, une partie de ce pétrole traverse des régions densément peuplées.

Revenons pour l’instant à Lac-Mégantic : ce que nous avons appris de cet accident et l’expérience que nous avons acquise ont déjà changé la donne.

D’abord, il y a le pétrole lui-même. Nous savons aujourd’hui qu’il est beaucoup plus volatil qu’on ne le croyait. Du jour au lendemain, notre vision du pétrole brut en tant qu’espèce de boue inerte a été complètement renversée.

Ensuite, il y a les observations que nous avons immédiatement communiquées aux organismes de réglementation, dès les premières semaines de l’enquête.

Je parle ici de l’immobilisation des trains laissés sans surveillance, tout particulièrement de ceux qui transportent des marchandises dangereuses, et des tests et de la documentation sur les propriétés du pétrole brut.

Des changements encore plus profonds ont suivi peu après. Puis, un geste sans précédent est survenu à la fin de janvier. De concert, le BST et le NTSB ont dévoilé une gamme complète de recommandations parallèles. Nous avons convenu que, puisque nos voies ferrées sont interreliées, les solutions devaient également être coordonnées. Nous avons donc adopté une approche globale sur la réduction des risques qui se penche sur les méthodes de transport des marchandises dangereuses, de leur point d’origine à leur destination.

Notre première recommandation visait les wagons-citernes, les tristement célèbres « DOT 111 ». Des normes plus strictes sont nécessaires, avons-nous dit, et le plus vite possible. Parce qu’à Lac-Mégantic, le train en cause était entièrement composé de wagons-citernes plus anciens non protégés – des wagons « traditionnels » qui ne comportaient aucune amélioration comme une enveloppe extérieure, un bouclier protecteur ou une protection thermique. À la lumière de l’impact et du brasier à Lac-Mégantic, une chose est certaine : les marchandises qui posent un risque important doivent être expédiées dans des conteneurs qui sont sûrs.

Je reconnais qu’il faudra du courage politique pour donner son appui à la science. Heureusement, le gouvernement canadien a fait figure de chef de file, et nous sommes encouragés par sa réponse initiale, soit l’interdiction à court terme d’utiliser les wagons les moins protégés. Puis, au cours des trois prochaines années, la modification ou la mise hors service de tous les wagons « traditionnels » servant au transport de l’éthanol et du pétrole brut.

Ce courage politique, toutefois, doit exister des deux côtés de la frontière.

Les États-Unis demandent actuellement un retrait volontaire de ces wagons. Cela est insuffisant, surtout à la lumière de preuves aussi manifestes. Et nous savons qu’elles sont solides, parce que nous avons analysé chacun des wagons-citernes à Lac-Mégantic. Si nous pouvons les retirer du service en trois ans au Canada, cela devrait être possible ici également.

Par la suite, nos deux pays devront poursuivre sur cette voie avant-gardiste en adoptant de nouvelles normes nord-américaines pour les wagons-citernes – des normes qui relèveront la barre en matière de sécurité et qui offriront un degré de certitude aux chemins de fer, aux expéditeurs, et aux concepteurs et fabricants de wagons-citernes.

Notre deuxième recommandation portait sur la façon dont les chemins de fer planifient leur transport – comment ils choisissent les routes qui serviront à transporter le pétrole et d’autres marchandises dangereuses... et comment ils garantissent l’exploitation sécuritaire des trains sur ces routes.

À certains égards, cette recommandation est « en veilleuse » et je crois que cela est, en quelque sorte, attribuable à la nature abstraite de la planification. En effet, contrairement aux wagons-citernes, par exemple, un plan n’a rien de concret, de physique. Il est plus difficile de communiquer un plan et de rallier l’opinion publique sur le besoin d’un « plan » qui réduira un autre élément abstrait, soit le « risque ». Pourtant, cette recommandation présente tout le potentiel pour apporter des changements profonds et systémiques dans le secteur du rail. Elle a le potentiel pour être un élément positif pour toutes les parties concernées.

Voici pourquoi. Ce que nous demandons mise sur un examen approfondi de nombreuses variables à l’échelle du réseau. En effet, il faut examiner tout ce qui borde chaque itinéraire, déterminer des trajets de rechange et choisir ceux qui présentent le moins de risques. Bien entendu, il est toujours dangereux de présenter un scénario hypothétique, mais permettez-moi tout de même de vous présenter celui-ci.

Voici ce qui pourrait arriver dans le cas d’une entreprise qui serait soucieuse de la planification et de l’analyse de ses trajets. D’abord, elle se demanderait : quelle quantité de cette marchandise expédions-nous? Les vitesses permises sur ces voies sont-elles convenables? Pouvons-nous éviter les régions peuplées? Y a-t-il des endroits sensibles sur le plan environnemental?

Puis, elle examinerait les mesures qui sont en place avant de décider si elles sont adéquates. Voici encore quelques exemples : est-ce que la voie est entretenue selon une norme plus élevée? Les systèmes de détection en voie se trouvent-ils aux bons endroits? Dans quel état sont les passages à niveau? Sont-ils du type actif ou passif? Ce ne sont là que des exemples, mais ces questions pourraient avoir une grande incidence sur le risque.

Lorsque l’on adopte les bonnes mesures, l’on ne fait pas que réduire le risque d’un déraillement de marchandises dangereuses… l’on réduit potentiellement le risque d’un accident, un point c’est tout.

Il faut dire que l’on applique déjà certaines de ces mesures sur certains trajets et pour certaines marchandises aux États-Unis. Toutefois, le BST a demandé la planification et l’analyse des trajets servant à transporter toutes les marchandises dangereuses. Nous souhaitons de plus qu’il y ait un suivi qui comprenne des évaluations des risques afin que les chemins de fer ne limitent pas leur examen à ce qui existe déjà, mais aussi à ce qui manque, les risques qu’ils n’ont peut-être pas prévus, les risques qui doivent être évalués afin que l’on puisse mettre en place des mesures pour protéger nos collectivités.

Là aussi, nous avons constaté des progrès. Au Canada, de nouvelles exigences à court terme obligent les chemins de fer qui transportent un nombre « seuil » de wagons de marchandises dangereuses – 10 000 par année – à adopter des pratiques d’exploitation qui comprennent des limites de vitesse, des inspections plus rigoureuses et des évaluations des risques de leurs routes.

C’est un début.

Bien que l’intention soit de développer un ensemble de règles permanentes, nous suivrons ce dossier de près pour voir si ces nouvelles règles sont viables. Par exemple, la MMA — le chemin de fer en cause dans l’accident à Lac-Mégantic — a transporté un peu plus de 9400 wagons-citernes de pétrole brut en 2012, tout juste au-dessous du seuil. C’est là un signal d’alarme. Parce qu’il est évident que les corridors à trafic réduit peuvent eux aussi présenter des risques graves.

Notre dernière recommandation formulée en début d’enquête sur l’accident de Lac-Mégantic vise à faire en sorte que si un accident survient, malgré les mesures de prévention qui ont été prises, les bonnes ressources seront en place pour réduire la gravité et l’incidence d’un déversement.

Pour bien illustrer ce que je veux dire, laissez-moi vous parler des intervenants d’urgence à Lac-Mégantic et de la logistique qu’ils ont dû surmonter après avoir appris qu’ils luttaient contre un incendie de pétrole brut.

Après avoir évalué la situation, ces intervenants d’urgence ont rapidement conclu qu’ils auraient besoin de plus de 30 000 litres de mousse pour lutter contre cet incendie. Une telle quantité n’était pas disponible localement, mais heureusement il y a une raffinerie tout près. Puis, heureusement, cette raffinerie avait des quantités suffisantes de mousse et les moyens pour la transporter immédiatement; elle est arrivée sur les lieux en quelques heures.

Que serait-il arrivé si ces ressources spécialisées nécessaires pour combattre un tel incendie n’avaient pas été aussi accessibles? On ne peut tout simplement pas laisser cela au hasard.

C’est pourquoi nous avons demandé la mise en place de plans d’intervention d’urgence (PIU) partout où l’on transporte d’importants volumes d’hydrocarbures liquides.

Une fois de plus, le gouvernement canadien a pris le taureau par les cornes et a exigé la mise en place d’un PIU approuvé lorsque l’on transporte des hydrocarbures à plus grand risque et de l’éthanol.

C’est très bien ainsi, mais c’est aussi beaucoup de changements en relativement peu de temps. Il semblerait que les organismes de réglementation soient sensibles aux risques que pose le transport sur rail de quantités toujours plus grandes de pétrole. Ils comprennent ce qui est en jeu et ils comprennent l’impératif d’atténuer les risques signalés par des organismes indépendants d’enquête sur les accidents.

Pourtant, est-ce suffisant?

C’est précisément la question que l’on me pose tout le temps : « Les mesures que vous demandez auraient-elles été suffisantes pour prévenir cette tragédie? »

Pouvons-nous être certains que ces mesures empêcheront un autre accident semblable, aux circonstances légèrement différentes, de se produire? Par exemple un train voyageant à une vitesse différente sur une voie différente, ou dans un endroit différent?

Il m’est impossible de vous donner une réponse ferme, mais je reviens à ce que je disais au début, à propos de l’expérience. Dans l’enquête qui nous concerne, dès le début nous nous sommes penchés sur un grand nombre de risques, notamment les règles d’immobilisation des wagons, les tests et classifications du pétrole brut, la conception des wagons-citernes. La façon dont les chemins de fer planifient leurs routes. L’intervention en cas d’urgence.

Il y a place à l’amélioration et à la réduction des risques. Beaucoup de leçons à apprendre. Et il y en aura d’autres.

Si nous réussissons, cet accident, ainsi que le rapport qui en ressortira, aura transformé la façon dont nous transportons le pétrole et d’autres marchandises dangereuses, d’une manière qui ne survient qu’une fois par génération.

Est-ce possible? Y arriverons-nous?

Je vais vous parler d’une affiche. Elle est fixée sur une porte du Laboratoire technique du BST. Cette porte mène au bureau où travaille l’équipe d’enquêteurs de Lac-Mégantic. Sur cette affiche, il y a une citation d’une seule phrase, soit huit mots qui expriment directement pourquoi nous faisons ce travail et pourquoi l’échec n’est tout simplement pas une option.

« Leur courage est la source de notre motivation. »

Chaque membre de cette équipe voit ces mots lorsqu’il rentre chez lui à la fin de la journée. Chacun sait que le jour où nous publierons notre rapport définitif, nous devrons fournir des réponses, non seulement à savoir ce qui s’est passé et pourquoi, mais aussi à savoir si nous avons pris tous les moyens pour que cela ne se reproduise jamais?

Chaque membre de cette équipe sait que le jour où nous publierons notre rapport, les gens de Lac-Mégantic seront tout ouïe. Tout comme les gens de Casselton, au Dakota du Nord. Et ceux d’Aliceville, en Alabama. Et ceux de Plaster Rock, au Nouveau-Brunswick. Et ceux de Lynchburg, en Virginie. Les journalistes aussi seront à l’écoute. Les politiciens seront à l’écoute. Le secteur d’activité – le monde entier sera à l’écoute.

Oui, je peux vous promettre que ces leçons feront partie du rapport. Nos membres sont des experts dévoués, et ce rapport s’appuiera sur la science. Une science rigoureuse. Notre analyse sera des plus complètes, nos conclusions seront claires, et nous présenterons un dossier solide, rationnel et convaincant pour appuyer l’énorme changement qui s’impose.

Les agents de changement devront faire le reste. Les chemins de fer. Les expéditeurs. Les entreprises de raffinage. Les fabricants de wagons-citernes. Chaque maillon de la chaîne d’approvisionnement de brut par rail. Autrement dit, vous tous réunis ici.

Si les organismes de réglementation poursuivent sur la même lancée, alors le pronostic est bon. Comme je l’ai dit, le Canada est le chef de file dans ce dossier, et les organismes de réglementation américains doivent maintenant agir et prendre des mesures concrètes. Surtout en ce qui concerne le retrait des wagons-citernes DOT-111 plus âgés.

Toutefois, rien ne vous oblige à attendre absolument les décisions de ces organismes. Vous pouvez agir. Dès aujourd’hui.

Vous pouvez être des chefs de file. Vous pouvez tirer des leçons des accidents qui sont survenus à Lac-Mégantic, à Casselton et à Plaster Rock. Les leçons d’Aliceville et de Lynchburg. Inutile d’attendre plus « d’expérience ». Inutile de répéter les mêmes erreurs. Comme je l’ai dit plus tôt, nous avons une rare occasion de promouvoir la sécurité.

Ne la ratons pas.