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Rapport d'enquête aéronautique A96C0126

Vol VFR dans du mauvais temps
Rusty Myers Flying Service
Beech D18S C-FBGO
35 nm au sud-est de Sioux Lookout (Ontario)
Le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Un Beech D18S équipé de flotteurs, immatriculé C-FBGO, numéro de série CA-215, de Rusty Myers Flying Service, a quitté Fort Frances (Ontario) en ayant à son bord la pilote et quatre passagers pour un vol selon les règles de vol à vue (VFR) à destination de Granite Lake. Le temps était couvert avec une bonne visibilité au départ. Toutefois, presque à mi-chemin, juste au nord de Ignace, la pilote est entré dans une zone où la pluie augmentait et la visibilité diminuait. La pilote a dévié à plusieurs reprises de sa trajectoire pour tenter de sortir du mauvais temps, mais n'a finalement pu y parvenir ni trouver un lac présentant des conditions acceptables pour un amerrissage. Alors qu'elle manoeuvrait à basse altitude et que de fortes pluies obscurcissaient l'horizon, les moteurs ont, selon la pilote, partiellement perdu de la puissance à cause d'un givrage des carburateurs. La pilote a mis le réchauffage carburateurs, mais a été incapable de rétablir la puissance des moteurs et de maintenir son altitude. La pilote a tenté de maintenir l'avion en palier et, quelques secondes plus tard, l'avion est descendu dans les arbres. L'avion a parcouru environ 500 pieds dans les arbres; l'aile gauche a été arrachée et un incendie alimenté par le carburant s'est déclaré presque immédiatement. Tous les occupants ont survécu à l'écrasement en ne subissant que de légères blessures et ils ont pu sortir de l'avion. Le passager occupant le siège du copilote a subi des brûlures à la partie supérieure du corps. Un deuxième pilote de la compagnie a survolé le lieu de l'écrasement quinze minutes plus tard et a lancé un MAYDAY. Les occupants ont été recueillis par un hélicoptère environ une heure plus tard.

Renseignements de base

La compagnie exploite des aéronefs équipés de flotteurs à partir de son hydrobase principale, à Fort Frances, et offre des services de transport vers de nombreux camps éloignés dans le nord-ouest de l'Ontario. Le relief est typique du Bouclier canadien : accidenté et parsemé de nombreux lacs. Les vols se font selon les règles VFR qui obligent les pilotes à rester à l'écart des nuages et avec une visibilité en vol d'au moins un mille. Les règles de vol VFR n'imposent aucune altitude minimale en route. Les conditions météorologiques avant le vol et en route sont surtout obtenues d'autres pilotes et d'exploitants de camps. Les pilotes ont tendance à emprunter des routes au-dessus de l'eau vers les camps, de sorte qu'ils puissent y amerrir lorsqu'ils ont une urgence en vol ou veulent attendre le passage du mauvais temps.

À peu près au moment où C-FBGO a décollé, un deuxième D18S de Rusty Myers a quitté la région de Fort Frances pour emprunter sensiblement la même route au-dessus de l'eau en vue de se diriger vers un camp de pêche situé à environ 10 milles de Granite Lake. Le deuxième appareil devançait C-FBGO de quelques minutes. Les deux pilotes étaient en communication radio, et la pilote de C-FBGO s'attendait à ce que l'autre pilote la précède le long de la route au-dessus de l'eau pour toute la durée du vol et qu'il lui communique des renseignements sur la météo. Les deux pilotes se sont échangé des comptes rendus de position et des renseignements météorologiques. Cependant, le deuxième appareil a contourné une zone de conditions météorologiques limites dans laquelle est par la suite entré C-FBGO, et il s'est en fait retrouvé derrière C-FBGO pendant un certain temps. Les manoeuvres des deux avions ont par la suite fait que le deuxième appareil est revenu devant C-FBGO sur une autre route au-dessus de l'eau vers la destination. Tout juste avant l'accident, la pilote de C-FBGO était en communication avec le pilote du deuxième appareil, et elle savait que ce dernier se trouvait devant, où les conditions météo étaient meilleures. Toutefois, la pilote de C-FBGO ne savait pas vraiment jusqu'à quel point la position relative des deux appareils avait changé pendant les manoeuvres de contournement du mauvais temps. Quelque 30 secondes après la dernière communication entre les deux pilotes, C-FBGO est descendu dans les arbres. Le deuxième pilote ne savait pas que C-FBGO s'était écrasé, mais en manoeuvrant par la suite pour contourner du mauvais temps, il a aperçu de la fumée s'élevant du lieu de l'écrasement. Après avoir survolé le lieu, il a lancé un MAYDAY.

Au moment de l'accident, les conditions météorologiques signalées à Sioux Lookout, la station de compte rendu météorologique la plus proche, située à environ 35 milles au nord, étaient les suivantes : ciel couvert à 300 pieds, visibilité de deux milles dans de la bruine et du brouillard, et température et point de rosée à 12,6 °C. Tout juste avant l'accident, la pilote avait traversé une zone de forte pluie qui obscurcissait l'horizon. Les fortes pluies et l'absence d'horizon ont été confirmées par le passager occupant le siège du copilote.

L'avion volait sur un mélange de 25 % d'essence aviation d'indice 100 à faible teneur en plomb et de 75 % d'essence automobile (MOGAS). La Publication d'information aéronautique (AIP), à l'article AIR 2.3, montre un diagramme sur le givrage du carburateur qui indique qu'à une température et à un point de rosée de 12,6 °C, il y a de sérieux risques de givrage du carburateur, quel que soit le réglage de la puissance. Une note au diagramme indique ce qui suit :

La technique de réchauffage carburateur recommandée par le pilote en chef de la compagnie consistait à mettre plein chauffage du carburateur avant de pénétrer dans des précipitations et de le laisser en marche. Sa technique était motivée par le désir de réduire le nombre de mesures requises dans le mauvais temps et de permettre ainsi au pilote de se concentrer sur la navigation. D'autres pilotes de la compagnie utilisaient aussi cette technique. La pilote en question connaissait la procédure recommandée par le pilote en chef; toutefois, elle préférait utiliser une technique différente apprise sur d'autres aéronefs et elle appliquait le réchauffage carburateur seulement lorsqu'elle pénétrait dans des précipitations ou que le carburateur givrait.

Le manuel de vol propre au Beechcraft D18S indique ce qui suit sur le givrage du carburateur : « L'élévation minimale de température est de 120oF quand la température extérieure est de 30oF avec une puissance de 75 % de la METO (puissance maximale autorisée sauf au décollage). Il n'est pas recommandé de se servir du réchauffage à moins que le moteur commence à bafouiller ou qu'il y ait une chute de pression d'admission. » (traduction)

L'avion appartenait auparavant à l'Aviation royale du Canada (ARC) qui l'appelait Expeditor. Le manuel de vol utilisé par la compagnie, et accepté comme manuel d'exploitation par les inspecteurs de Transports Canada, est le document EO 05-45B-1, Pilot's Operating Instructions - Expeditor, publié le 1er juillet 1957 par l'ARC. Sous la rubrique AFTER TAKE-OFF, CLIMB AND DURING FLIGHT (Après le décollage, la montée et durant le vol), se trouve le paragraphe suivant : « 72. En conditions de givrage, utiliser le réchauffage d'air d'admission au besoin pour maintenir la température de l'air dans le carburateur hors de la plage de givrage. (Plage recommandée : +5oC à +10oC). Le réchauffage d'air d'admission est efficace pour contrer le givrage et il devrait donc être utilisé continuellement pour prévenir le givrage plutôt que périodiquement pour l'éliminer. En conditions de givrage fort, déplacer fréquemment les manettes des gaz pour éviter qu'elles ne gèlent en position.»

Le paragraphe AIR 2-5 de l'AIP fournit de l'information sur le vol dans la pluie. L'AIP indique qu'un phénomène de réfraction peut se produire à cause de la pluie sur le pare-brise, ce qui fait que le relief devant l'aéronef peut sembler plus bas qu'il ne l'est en réalité. L'AIP donne un exemple en mentionnant que le relief situé à environ un demi-mille de l'aéronef pourrait sembler être 260 pieds plus bas qu'il ne l'est réellement. L'AIP ajoute : « Les pilotes devraient donc tenir compte de ce danger supplémentaire lorsqu'ils volent dans des conditions de mauvaise visibilité par temps de pluie; ils devraient alors maintenir une altitude suffisante et prendre les autres mesures de précaution qui s'imposent par suite de cette erreur... »

Rien n'indique que la direction de la compagnie ait exercé des pressions sur les pilotes pour qu'ils effectuent des vols commercialisés par mauvais temps. La pilote a déclaré qu'elle avait subi ce genre de pression de temps à autre de la part de clients. La compagnie, cependant, approuvait le fait que les pilotes volent bas, selon leur propre jugement, pour voir si l'horizon était dégagé sous la base nuageuse quand le temps se gâtait en route.

Après l'écrasement, la pilote et les passagers ont abandonné l'avion, et la pilote a tenté de saisir la trousse de premiers soins. Cependant, cette trousse était installée de telle sorte que la pilote n'a pu la sortir rapidement sous la pression de l'incendie qui a suivi l'écrasement. La trousse de survie était rangée comme il se doit, mais son accès était bloqué par des bagages. En raison de l'intensité de l'incendie, ni la pilote ni les passagers n'ont pu retourner à l'avion pour récupérer la trousse de survie.

Analyse

Les enquêteurs n'ont pas visité le lieu de l'accident parce que les témoins avaient fourni suffisamment de renseignements permettant de déterminer la nature de l'accident. Les renseignements météorologiques de Sioux Lookout ont aidé à confirmer le genre de conditions météorologiques dans lesquelles s'était retrouvée la pilote. L'éloignement du lieu de l'accident a rendu difficile son accès par la terre ferme; toutefois, les enquêteurs ont survolé le lieu et l'ont examiné du haut des airs. Des photographies prises par des employés du ministère des Ressources naturelles ont été étudiées pour compléter les rapports des témoins. Par conséquent, l'analyse ne fera pas état de questions techniques autres que celle du givrage des carburateurs.

Lorsque le temps s'est gâté dans le voisinage de Ignace, la pilote a tenté de trouver de meilleures conditions météorologiques en demeurant à basse altitude et en recherchant un horizon dégagé sous la base des nuages. Comme la pilote n'avait pas bien compris comment l'autre appareil avait contourné le mauvais temps, elle s'attendait à trouver de meilleures conditions plus loin. Influencée par la perception qu'un autre pilote se trouvait dans de meilleures conditions météorologiques sur une route différente au-dessus de l'eau, la pilote en question a survolé la terre ferme pour gagner une route au-dessus de l'eau. Cependant, le temps s'est rapidement gâté, et l'horizon a disparu dans de fortes pluies. Il n'était alors plus possible de se poser sur un lac et d'attendre que passe le mauvais temps.

Le diagramme de l'AIP montre que dans de fortes pluies à la température et avec le point de rosée qui existaient au moment de l'accident, il y avait un risque de givrage important du carburateur à n'importe quel réglage de puissance. Le mélange de carburant constitué d'essence aviation d'indice 100 à faible teneur en plomb et d'essence automobile (MOGAS) augmentait considérablement ce risque. Par conséquent, la perte de puissance partielle et quasi simultanée des moteurs avait probablement été causée par du givre dans les carburateurs, comme l'a indiqué la pilote.

La technique utilisée par la pilote pour l'application du réchauffage carburateurs différait de la procédure recommandée par la compagnie. La pilote n'avait pas mis le réchauffage carburateurs comme mesure de précaution avant de pénétrer dans une zone où les conditions météorologiques étaient limites. Lorsqu'elle a fait face à de fortes pluies, la charge de travail de la pilote s'était ainsi accrue du fait qu'elle devait rétablir la puissance des moteurs et piloter dans la pluie à basse altitude en l'absence d'horizon jusqu'à ce que la puissance soit rétablie. Lorsque la pilote a mis le réchauffage carburateurs, il n'y a pas eu suffisamment de temps pour éliminer le givre des carburateurs et rétablir la puissance des moteurs avant le contact avec les arbres. Il est possible que le phénomène de réfraction de la pluie sur le pare-brise ait fait croire à la pilote que l'avion se trouvait plus haut qu'il ne l'était en réalité et, par conséquent, la pilote a volé à une altitude qui ne lui laissait aucune marge de sécurité en cas de situation critique.

Le montage de la trousse de premiers soins a empêché la pilote de la retirer rapidement de l'avion lorsque les survivants ont abandonné de dernier. L'emplacement de la trousse de survie, derrière les bagages, a empêché les survivants de la retirer lorsqu'ils ont quitté l'avion, et la trousse a été détruite dans l'incendie qui a suivi l'écrasement.

Faits établis

  1. Les dossiers indiquent que la pilote était certifiée et qualifiée pour le vol.
  2. Alors qu'elle effectuait un vol VFR, la pilote a poursuivi son vol dans du mauvais temps et a perdu toute référence par rapport à l'horizon.
  3. La pilote avait échangé des renseignements météorologiques et des comptes rendus de position avec un autre pilote de la compagnie et elle croyait que les conditions météorologiques allaient s'améliorer.
  4. La pilote s'est écartée de la pratique de la compagnie consistant à demeurer sur une route au-dessus de l'eau ou de se poser pour attendre que passe le mauvais temps.
  5. La pilote pourrait s'être trouvée à une altitude plus basse qu'elle ne le croyait à cause du phénomène de réfraction causé par la pluie sur le pare-brise.
  6. La température et le point de rosée au moment de l'accident favorisaient la formation d'une importante quantité de givre dans les carburateurs, quelle que soit la puissance.
  7. Le mélange de carburant de l'avion se composait d'essence aviation et d'essence automobile (MOGAS) et, de ce fait, était plus susceptible au givrage des carburateurs que l'essence aviation seule.
  8. La technique utilisée par la pilote pour tenter d'éliminer le givre des carburateurs n'était pas celle recommandée par la compagnie.
  9. Les moteurs ont perdu partiellement de la puissance, probablement à cause de la présence de givre dans le carburateur.
  10. Il n'y a pas eu suffisamment de temps pour corriger la perte partielle de puissance attribuable au givrage des carburateurs.
  11. L'emplacement des trousses de premiers soins et de survie a empêché de les enlever facilement au cours de l'évacuation rapide de l'avion.

Causes et facteurs contributifs

La pilote a poursuivi le vol dans du mauvais temps à basse altitude et a effectué un atterrissage forcé dans les arbres lorsque les moteurs ont subi une perte partielle de puissance qui avait probablement été causée par le givrage des carburateurs.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.