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Rapport d'enquête aéronautique A03P0136

Perte de puissance moteur, atterrissage dur et capotage
du Bell 206B C-GPOS
exploité par Cariboo-Chilcotin Helicopters Ltd.
à Ward Creek (Colombie-Britannique)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

L'hélicoptère Bell 206 portant le numéro de série 845 et immatriculé C-GPOS, ayant à son bord un pilote et deux travailleurs forestiers, vole en stationnaire à quelque 150 pieds au-dessus d'une zone de coupe forestière située à environ 4000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Il est environ 6 h, heure avancée du Pacifique, le ciel est dégagé, le vent est faible et de direction variable, et la température extérieure est de 14 °C. L'équipage cherche des yeux des points névralgiques dans la zone de coupe lorsque de la fumée noire envahit la cabine. Le pilote vire à droite, abaisse le collectif et descend pour tenter de se poser sur un chemin.

Pendant un arrondi loin du sol, lorsque le pilote met du collectif pour réduire le taux de descente de l'hélicoptère, il sent une réduction de la puissance sous la forme d'une diminution du régime rotor. Il abaisse immédiatement le collectif « à fond », puis le relève dans les derniers instants de l'atterrissage d'urgence. L'hélicoptère effectue un atterrissage dur et pique du nez avant d'avoir pu atteindre le chemin, et son train d'atterrissage à patins s'affaisse. L'hélicoptère pivote de quelque 180° et verse sur le côté droit. Le moteur continuant de tourner, le pilote l'arrête. Après l'atterrissage d'urgence, la fumée n'est pas apparente et aucun incendie après impact ne se déclare. Le pilote ainsi que le passager assis en place avant restent coincés à l'intérieur de l'épave pendant une courte période, jusqu'à ce que le passager assis en place arrière soit en mesure de les aider. Le pilote est blessé au dos et les deux passagers subissent des blessures mineures. L'hélicoptère est lourdement endommagé.

Renseignements de base

L'épave a été transportée à l'installation du Bureau de la sécurité des transports (BST) de Richmond (Colombie-Britannique) pour y être examinée. L'inspection extérieure du moteur n'a révélé la présence d'aucune anomalie, et les roues du compresseur et de la turbine de puissance tournaient librement toutes les deux. L'accouplement entre le moteur et la transmission du rotor principal a été retrouvé séparé et dépourvu de sa graisse, et l'une des gaines de l'accouplement était brûlée. Une inspection détaillée de l'accouplement a permis d'établir que ce dernier avait été comprimé et qu'il s'était rompu par étirement. La région de la transmission du rotor principal comportait des dommages qui avaient été causés par le balancement vers l'avant et vers l'arrière de la transmission du rotor principal, laquelle avait déformé son support et s'était immobilisée avec une inclinaison vers l'avant de quelque 20°. Le réservoir souple de carburant était intact et il contenait quelque 500 livres de carburant. Le robinet de carburant était fermé et la manette des gaz se trouvait à la position coupée.

Les tubes des patins du train d'atterrissage et la traverse tubulaire avant étaient rompus, et les traverses tubulaires avaient pivoté vers l'arrière et vers le haut. Il y avait des marques là où la marche rajoutée fixée aux traverses tubulaires avait remonté contre la porte du pilote et empêchait cette dernière d'ouvrir. Les hélicoptères Bell 206 ne sont habituellement pas équipés de portes ou de fenêtres munies d'un système de déverrouillage de secours, et l'hélicoptère en cause dans cet accident ne l'était pas non plus. Le fond du siège du pilote a été légèrement déformé, mais pas assez pour permettre le contact avec la plaque en nid d'abeilles du support du siège.

Photo 1. Sulfidation de la turbine du générateur de gaz numéro 1
Photo of Sulfidation de la turbine du générateur de gaz numéro 1

Au cours de l'examen, le moteur a été monté sur un dispositif homologué d'essais moteur où on a tenté d'effectuer des essais complets, lesquels ont été interrompus parce que le moteur vibrait trop. Il y a eu un dégagement visible de fumée au cours de la décélération du moteur. On a ensuite démonté ce dernier aux fins d'inspection. Des 38 aubes mobiles de la turbine du générateur de gaz numéro 1, 29 avaient subi des dommages importants. L'une s'était rompue près de son emplanture, et des morceaux manquaient à la plupart des autres. L'inspection de la surface de fracture du reste de l'aube qui s'était rompue près de l'emplanture a permis de découvrir des signes de rupture progressive (crique de fatigue). Les autres surfaces de fracture présentaient des signes de surcharge. Une inspection plus détaillée des aubes mobiles de la turbine du générateur de gaz a permis de découvrir la présence de signes importants de corrosion par sulfurationNote de bas de page 1 (photo 1). Les surfaces des ces aubes étaient écaillées et de nombreuses aubes présentaient des criques de fatigue. Le joint labyrinthe du distributeur du premier étage de la turbine avait été endommagé et une partie de la garniture externe en fibre de verre manquait. Il y avait de la suie au joint situé entre le distributeur de la turbine et la turbine du générateur de gaz numéro 1 ainsi qu'une épaisse couche de suie humide noire autour du joint labyrinthe et sur l'accouplement de la turbine.

Le 10 février 2000, Rolls-Royce Allison avait publié une lettre de service commercial intitulée Hot Corrosion Sulfidation (corrosion thermique par sulfuration) qui décrivait la corrosion thermique (sulfuration) et suggérait aux exploitants d'en vérifier la présence. Cependant, aucune inspection de maintenance périodique n'a été imposée par Transports Canada ni mise en oeuvre par l'exploitant pour déceler des signes de corrosion par sulfuration.

On recommande le lavage du compresseur du moteur dans les environnements corrosifs et salissants. Le lavage est également prescrit lorsque les vérifications de puissance montrent une diminution des performances du moteur. On est cependant préoccupé par le fait que l'eau du robinet peut elle-même être corrosive. Les exploitants lavent rarement les compresseurs lorsque leurs hélicoptères sont utilisés loin d'un environnement salin. Ils les lavent plutôt lorsqu'ils voient de la saleté s'accumuler à l'entrée d'air ou lorsque les performances d'un moteur sont inférieures à celles mentionnées dans les spécifications. Il n'est pas certain que le lavage du compresseur nettoie efficacement la roue de la turbine du générateur de gaz.

L'étude des carnets de vol et des documents de maintenance de l'hélicoptère a permis d'établir que ce dernier était entretenu conformément aux normes approuvées par Transports Canada et que l'entreprise n'était pas tenue de se conformer aux recommandations du constructeur en matière de maintenance. La turbine du générateur de gaz totalisait 1374,4 heures depuis sa mise en service initiale, ce qui signifie qu'elle pouvait encore être utilisée pendant 400,6 heures avant d'être remplacée. Une fois la turbine installée, des vérifications documentées de puissance du moteur avaient démontré que les performances du moteur étaient supérieures à celles mentionnées dans les spécifications. Cependant, aucune vérification documentée de puissance n'avait été effectuée juste avant l'accident et aucun lavage de compresseur n'avait été documenté, mesures que la réglementation n'exigeait pas non plus. Pendant la période où cette turbine a été installée, l'hélicoptère a été principalement exploité dans ce que l'on perçoit comme un environnement non corrosif (sec, à population clairsemée, dans les terres, etc.). Cependant, la sulfuration peut être déclenchée par des substances corrosives, comme de la fumée, que l'on trouve dans la plupart des environnements. La roue de la turbine du générateur de gaz numéro 1 avait été installée après avoir été utilisée pendant quelque 200 heures dans un environnement inconnu.

Piloter un hélicoptère monomoteur à 150 pieds au-dessus du sol à basse vitesse ou en stationnaire compromet la capacité du pilote à réussir un atterrissage d'urgence en cas de perte de puissance moteur. Le manuel de vol de l'hélicoptère renferme un tableau de l'altitude en fonction de la vitesse qui traite de ce risque, lequel augmente avec la masse totale de l'hélicoptère et l'altitude-densité. Au moment de l'accident, l'hélicoptère volait à une altitude-densité de quelque 4500 pieds et sa masse totale était de quelque 3000 livres, ce qui est dans les limites prescrites par le constructeur. La masse maximale totale de l'hélicoptère est de 3200 livres.

Le pilote possédait une grande expérience sur le type d'hélicoptère en cause dans cet accident. Sa formation et ses licences étaient à jour et lui permettaient d'effectuer le vol.

Analyse

L'enquête s'est d'abord concentrée sur la rupture de l'accouplement de l'arbre d'entraînement se trouvant entre le moteur et la transmission du rotor principal. L'inspection détaillée de cet accouplement a permis d'établir que ce dernier avait été comprimé et qu'il s'était rompu par étirement. Aucune condition de vol n'a pu permettre un déplacement de la transmission et/ou du moteur suffisant pour faciliter une telle rupture. De plus, d'après les dommages causés par l'atterrissage dur, la transmission du rotor principal avait oscillé vers l'avant et vers l'arrière avant de déformer son support et de s'incliner suffisamment vers l'avant pour provoquer la rupture par étirement de l'accouplement. On a donc conclu que tous les dommages qu'avait subis l'hélicoptère, sauf ceux causés au moteur, étaient dus à l'atterrissage dur et au capotage. L'analyse qui suit se concentre sur le moteur.

Les vibrations qui sont apparues pendant que le moteur tournait à l'installation d'essais étaient si intenses que le pilote les aurait décelées si elles s'étaient produites avant l'accident. De plus, comme le moteur ne semblait pas avoir été endommagé lors de l'atterrissage dur, on a conclu que le déséquilibre était apparu presque au moment où la fumée avait pénétré dans la cabine. Il a été établi que ce déséquilibre avait été provoqué par le détachement de morceaux d'aubes mobiles de la turbine du générateur de gaz.

L'exploitant n'avait effectué aucune vérification périodique de puissance pour déceler une perte de puissance, ni n'était tenu de le faire. Le constructeur et l'exploitant n'exigeaient pas non plus d'inspections de maintenance pour déceler des signes de corrosion par sulfuration. Tout semble indiquer que des vérifications de puissance ou des inspections de maintenance auraient permis de déceler les composants corrodés de la turbine. La sulfuration décelée a affaibli les aubes mobiles de la turbine du générateur de gaz, des criques de fatigue sont apparues sur beaucoup de ces aubes et l'une d'elles s'est rompue. Des morceaux d'autres aubes mobiles de la turbine du générateur de gaz se sont détachés, et il y a eu perte de puissance du moteur.

La perte de l'aube mobile et des autres parties d'aubes mobiles a provoqué un déséquilibre, lequel a, semble-t-il, causé par la suite des dommages aux joints de la turbine. Il est probable que les dommages causés aux joints ont provoqué un écoulement d'huile sur les parties chaudes du moteur, ce qui aurait causé l'introduction de suie dans la turbine, au niveau du joint se trouvant entre le distributeur de la turbine et la turbine du générateur de gaz numéro 1, et l'apparition de fumée dans la cabine. Un autre scénario veut que la fumée aurait été dégagée par la gaine brûlée de l'accouplement de l'arbre d'entraînement. Ce scénario n'est cependant pas étayé par les renseignements recueillis au cours de l'enquête, lesquels indiquent clairement que l'accouplement s'est rompu lors de l'atterrissage dur.

Lorsqu'il a aperçu la fumée, le pilote a immédiatement réagi en abaissant le collectif. L'hélicoptère volait en stationnaire à quelque 150 pieds au-dessus du sol, à une altitude-densité relativement élevée et à une masse presque égale à la masse maximale permise. Sans égard à la cause de la fumée ni au moment où il y a eu perte de puissance, il était peu probable qu'il réussisse à atterrir, compte tenu de la réduction de puissance. Pendant que le pilote tentait de stopper la descente de l'hélicoptère, le régime rotor a diminué et la poussée est devenue insuffisante pour amortir l'atterrissage.

Lorsque les tubes des patins du train d'atterrissage et la traverse tubulaire avant se sont rompus, les traverses tubulaires ont pivoté vers l'arrière et vers le haut. La marche rajoutée qui était fixée aux traverses tubulaires a alors remonté contre la porte du pilote et les traverses tubulaires qui avaient pivoté ont bloqué la marche contre la porte, ce qui empêchait l'ouverture normale de cette dernière; de plus, il n'y avait pas de système de déverrouillage de secours des portes et des fenêtres. Comme l'hélicoptère reposait sur son autre côté, il était impossible d'ouvrir l'autre porte, et le pilote ainsi que le passager qui était assis en place avant sont restés coincés à l'intérieur de l'hélicoptère.

L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :

On peut obtenir ce rapport en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Les vérifications périodiques de puissance ou les inspections visant à déceler les signes de corrosion par sulfuration, qui auraient fort probablement permis de déceler la perte de puissance et les composants corrodés de la turbine, n'ont pas été effectuées et elles n'étaient pas requises.
  2. Une aube mobile de la turbine du générateur de gaz numéro 1 s'est rompue en fatigue à cause d'une corrosion par sulfuration; la rupture de cette aube mobile a provoqué la perte de puissance du moteur.
  3. L'hélicoptère volait en stationnaire à une altitude élevée lorsqu'il y a eu perte de puissance du moteur. Cela a donné lieu à un atterrissage forcé dur, puis à la rupture du train d'atterrissage et au capotage de l'hélicoptère.

Faits établis quant aux risques

  1. La marche rajoutée qui était fixée aux traverses tubulaires du train d'atterrissage a bloqué la porte du pilote. Ce dernier est resté coincé à l'intérieur de l'épave, tout comme un passager.
  2. Les hélicoptères Bell 206 ne sont habituellement pas équipés de portes ou de fenêtres munis de systèmes de déverrouillage de secours.

Mesures de sécurité

Le 18 juillet 2003, le BST a envoyé à Transports Canada (TC) une lettre d'information sur la sécurité ainsi qu'une copie de cette lettre à Bell Helicopters Textron, à Aeronautical Accessories, aux services forestiers de la Colombie-Britannique et à Cariboo-Chilcotin Helicopters. Cette lettre décrivait les conditions qui ont fait que la porte du pilote a été bloquée par la marche rajoutée. Ces renseignements ont été fournis pour que TC prenne les mesures qu'il juge nécessaires.

Le 3 octobre 2003, le BST a envoyé à TC un avis de sécurité (A030018) ainsi qu'une copie de cet avis à Rolls-Royce, à Bell Helicopters et à Cariboo-Chilcotin Helicopters pour attirer leur attention sur la principale cause des pertes de puissance moteur, c'est-à-dire la corrosion par sulfuration. Comme aucune inspection périodique n'est exigée, le risque que ce type de corrosion ne soit pas décelé sur d'autres appareils équipés de moteurs Rolls-Royce 250 subsiste. La lettre mentionnait qu'il se pouvait que TC désire étudier la possibilité que des inspections périodiques soient effectuées pour aider à déceler les dommages dus à la corrosion par sulfuration.

Le 5 février 2004, TC a répondu à cet avis de sécurité en laissant entendre que, en raison de l'absence de données pour corroborer la nécessité d'un lavage périodique des aubes mobiles du compresseur (et de la turbine), l'introduction de tâches périodiques de lavage ne semblaient pas nécessaires. Sa réponse mentionnait de plus que, même si des traces de sulfuration avaient été décelées sur la turbine qui s'était rompue, celles-ci n'étaient pas directement liées à la cause de la rupture des aubes mobiles et qu'en raison de cette absence de liens directs de cause à effet, il était jugé approprié de continuer de se fier à l'inspection visuelle et aux essais de rendement pour limiter les effets de la sulfuration des aubes mobiles des turbines.

Après la première réponse de TC, le Laboratoire technique du BST a procédé à une autre inspection et à d'autres essais qui sont décrits dans le rapport LP 037/04. À la lecture de ce rapport, TC a fourni une deuxième réponse, en date du 15 avril 2004, laquelle concluait que la sulfuration était bien le processus par lequel les aubes mobiles de la turbine s'étaient détériorées et avaient fini par se rompre en fatigue. TC recommandera que le motoriste mette en oeuvre une inspection visant à déceler les signes de sulfuration sur les aubes mobiles de la turbine de ce type de moteur. Il recommandera aussi que la recommandation à cet effet fasse l'objet d'un suivi dans la base de données de l'Aviation civile de TC.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .