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Rapport d'enquête aéronautique A14P0132

Décrochage au décollage et collision avec un plan d’eau
Conair Group Inc. (s/n Conair)
Aéronef amphibie Air Tractor AT-802A Fire Boss, C-GXNX
Chantslar Lake (Colombie-Britannique)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Un Air Tractor AT-802A sur flotteurs amphibies (immatriculé C-GXNX, numéro de série AT-802A-0530), exploité sous l’indicatif Tanker 685, effectuait de jour des opérations de gestion de feux de végétation près de Chantslar Lake (Colombie-Britannique). Trois aéronefs semblables travaillaient en équipe avec le Tanker 685, qui était deuxième en ligne pour effectuer des posés-décollés et écoper l’eau de Chantslar Lake. À l’envol, il s’est produit une perte de maîtrise, et l’aile droite de l’aéronef a percuté le plan d’eau. L’aéronef a fait un tête-à-queue sur l’eau, et les flotteurs et leur structure de soutien se sont séparés du fuselage. L’aéronef est demeuré à la verticale et a coulé lentement. Légèrement blessé, le pilote a évacué le poste de pilotage avant de gonfler le vêtement de flottaison individuel qu’il portait. Le troisième aéronef dans la formation a largué le contenu de son système d’écope alors qu’il poursuivait son décollage, demeurant dans le circuit. Le quatrième aéronef a largué le contenu de son système d’écope, a interrompu son décollage, puis a circulé sur l’eau pour récupérer le pilote en cause. La force d’impact a activé la radiobalise de repérage d’urgence de 406 mégahertz à bord. Toutefois, ce n’est que 6 jours plus tard, lors de la récupération de l’épave, que le système de recherche et de sauvetage par satellite a détecté son signal.

1.0 Renseignements de base

1.1 Déroulement du vol

Cinq aéronefs participaient aux manœuvres aériennes de lutte contre les incendies, soit 1 avion de pointage (Cessna 208 Caravan) et 4 avions-citernes monomoteurs sur flotteurs amphibies (Air Tractor AT-802A Fire Boss). L'aéronef en cause, un Air Tractor AT-802A sur flotteurs amphibies (immatriculé C-GXNX, numéro de série AT-802A-0530), était exploité sous l'indicatif Tanker 685 (T685). L'équipage de l'avion de pointage (composé de 1 pilote et de 1 officier d'attaque aérienne) planifiait et dirigeait les activités de lutte contre les incendies. La formation de 4 avions-citernes effectuait un circuit entre l'incendie et Chantslar Lake (à 5 milles marins [nm] au sud).

Au cours du premier vol de la journée, les aéronefs ont effectué 25 manœuvres d'écopage, larguant au total 100 chargements d'agent extincteur sur le même incendie. Les équipages ont fait une pause-repas et avitaillé leurs aéronefs à 14 h 15 Note de bas de page 1 à l'aérodrome de Puntzi Mountain (CYPU), à 16 nm à l'est de Chantslar Lake. Ils ont redécollé à 16 h 30 avec des réservoirs de carburant et d'agent de moussage Note de bas de page 2 remplis pour le deuxième vol de la journée, qui consistait à poursuivre l'opération.

D'après les données du système mondial de positionnement (GPS), le T685 s'est posé pour la manœuvre d'écopage à l'étude à 0,25 nm de l'extrémité sud-ouest du lac (figure 1) et a maintenu un cap moyen de 076° magnétique (M) sur une distance de 0,75 nm. La vitesse sol a augmenté graduellement pour se stabiliser à 71 nœuds pendant environ 4 secondes, avant que l'aéronef décélère et s'immobilise presque, 2 secondes plus tard. L'accident est survenu à mi-chemin du lac, après que l'aéronef eut passé environ 44 secondes sur l'eau.

Figure 1. ircuit et lieu de l'accident (Source : Google Earth, avec annotations du Bureau de la sécurité des transports du Canada)
ircuit et lieu de l'accident (Source : Google Earth, avec annotations du Bureau de la sécurité des transports du Canada)

Des calculs effectués à partir des données GPS, de la densité-altitude, de la vitesse air vraie et du facteur vent ont permis de déterminer que le T685 avait pris son envol à une vitesse équivalant à 67 KIAS (vitesse indiquée exprimée en nœuds). La vitesse d'envol était donc inférieure de 6 nœuds à la vitesse de décrochage sans moteur notée de 73 KIAS.

La manœuvre d'écopage à l'étude s'est déroulée conformément aux procédures d'utilisation normalisées (SOP) de Conair. Les volets de l'aéronef étaient réglés à environ 20 degrés et les écopes (1 dans chacun des flotteurs) ont été sorties après le posé de l'aéronef sur l'eau; une fois atteint le niveau de remplissage déterminé par le pilote, elles sont rentrées automatiquement, comme prévu par le réglage. Durant la manœuvre d'écopage, la pleine puissance de décollage a été appliquée afin de maintenir les flotteurs au ras l'eau durant le remplissage du système d'écope et pour accélérer à la vitesse d'envol une fois les écopes rentrées.

Quelques instants après l'envol, une perte de maîtrise de l'aéronef s'est produite; l'aéronef a basculé sur la droite, et l'extrémité de l'aile droite a percuté le plan d'eau. L'aéronef a ensuite effectué un mouvement de lacet vers la droite, a basculé sur la gauche, et a piqué du nez avant que le côté extérieur avant du flotteur gauche percute de nouveau la surface de l'eau. L'aéronef est demeuré à la verticale et s'est immobilisé, pointant vers le nord.

L'accident s'est produit à 17 h 41 durant la treizième manœuvre d'écopage du deuxième vol (trente-huitième écopage de la journée), quelques instants après l'envol.

1.2 Victimes

Le pilote a subi de légères blessures à la main gauche et une ecchymose à l'abdomen. Il portait un casque, un vêtement de flottaison individuel (VFI) et un harnais de sécurité à 4 points. L'aéronef était également muni d'une unité d'alimentation d'air d'urgence portable (dispositif d'évacuation d'urgence d'hélicoptère), qui n'était pas requise en l'espèce.

1.3 Dommages à l'aéronef

L'aéronef a été lourdement endommagé; on a déterminé qu'il n'était plus rentable de le réparer.

1.4 Autres dommages

Aucun.

1.5 Renseignements sur le personnel

Les dossiers indiquent que le pilote était breveté pour ce vol, conformément à la réglementation en vigueur. Le pilote travaillait pour l'exploitant en tant que saisonnier depuis 2007, et, chaque année depuis mai 2008, il avait suivi une formation de compétence pilote propre au type d'aéronef AT-802A. Sa dernière formation remontait à avril 2014. La formation non propre au type d'aéronef, achevée en mars 2014, portait sur les systèmes de gestion de la sécurité (SGS) et la prise de décisions des pilotes.

La journée de service des pilotes avait commencé vers 9 h 30 et comprenait une pause de 2 heures et 15 minutes, de 14 h 15 à 16 h 30, pour faire le plein et manger. Un examen des horaires de travail et de l'historique de travail et de repos au cours des 72 heures précédant l'accident pour le pilote en cause a permis d'écarter la fatigue comme facteur.

Tableau 1. Renseignements sur le pilote
Licence de pilote Licence de pilote de ligne – Avion (ATPL-A)
Date d'expiration du certificat médical 1er avril 2015
Nombre total d'heures de vol 7500 (3300 avec flotteurs)
Heures de vol sur type 1200
Heures de vol sur type en 2014 165 (environ 1000 écopages)
Heures de vol sur type au cours des 3 jours précédents 17
Heures de service avant l'événement 8,2
Heures hors service avant la période de travail 13,5

1.6 Renseignements sur l'aéronef

1.6.1 Généralités

L'Air Tractor AT-802A est publicisé comme étant le plus gros aéronef monomoteur au monde. Il s'agit d'un modèle monoplace à voilure basse comprenant un train standard à roulette de queue et conçu tout particulièrement pour le travail agricole. Transports Canada délivre un certificat de type dans la catégorie restreinte pour ce type d'aéronef, dont l'exploitation est permise aux termes des dispositions d'un certificat spécial de navigabilité – Restreint. Autrement dit, l'aéronef était conforme à la définition de type et l'on jugeait son exploitation sûre à l'intérieur des limites et interdictions indiquées pour son utilisation prévue. La conformité de cet aéronef aux normes de navigabilité canadiennes ou de l'Organisation de l'aviation civile internationale n'a pas été démontrée.

L'Air Tractor peut contenir l'un de plusieurs modèles de moteurs PT6A fabriqués par Pratt & Whitney Canada. Le T685 a quitté l'usine muni du modèle PT6A-67F, lequel développe une puissance de décollage de 1424 HP sur arbre pour faire tourner une hélice Hartzell à 5 pales à pas réversible. La masse maximale au décollage (MTOW) de cet aéronef est de 16 000 livres. Le système d'écope Note de bas de page 3, situé entre le poste de pilotage et le moteur, a une capacité de 3028 litres.

Les réservoirs à carburant se trouvent à l'intérieur des ailes; le T685 avait une capacité de carburant utilisable de 1416 litres. L'aéronef comprenait également un réservoir de stockage de 68 litres d'agent moussant dans le compartiment moteur, devant le système d'écope, et un réservoir d'agent moussant de 113 litres à l'intérieur du flotteur droit.

Après sa sortie d'usine, on a apporté plusieurs modifications à l'aéronef aux termes de certificats de type supplémentaires (CTS) pour l'adapter au rôle de lutte contre l'incendie. Les 2 principaux CTS couvraient :

Photo 1. Fire Boss (Source: Conair)
Description

1.6.2 Masse et centrage

La politique officieuse de Conair sur les vols d'écopage demande que les aéronefs décollent autant que possible à leur MTOW, afin d'offrir au client la meilleure valeur qui soit. Les pilotes disposent d'un tableau de consultation rapide fourni par la compagnie. Ce tableau permet aux pilotes d'ajuster aisément le chargement du système d'écope en fonction de la consommation de carburant et d'agent moussant durant un vol, et ainsi d'éviter de dépasser la MTOW.

Dans le cadre de l'enquête, on a calculé la masse et le centrage pour qu'ils reflètent la configuration d'exploitation attendue. Aucune donnée n'était disponible pour déterminer la charge réelle du système d'écope, et aucune information n'indiquait que l'aéronef ait dépassé la MTOW au moment de l'accident. En tenant compte de la consommation de carburant, et en supposant que 12 largages d'agent extincteur aient consommé la moitié de l'agent moussant et du lave-glace, et que le système d'écope était plein pour porter la masse au décollage à 16 000 livres, le centre de gravité (CG) aurait été à 26,8 pouces derrière la ligne de référence au moment de l'accident. Avec une masse de 16 000 livres, la limite arrière du CG se trouve à 27,0 pouces derrière la ligne de référence. Le CG se trouvait dans les limites permises au moment de l'accident.

1.6.3 Performance de l'aéronef

1.6.3.1 Exploitation d'aéronefs sur flotteurs (généralités)

Lorsqu'un aéronef typique, au certificat standard et muni de flotteurs glisse sur l'eau, le pilote peut modifier l'assiette de l'aéronef de quelques degrés en cabré ou en piqué pour trouver le point idéal des flotteurs. Il s'agit de l'assiette de moindre résistance et d'accélération maximale. Toute modification de l'assiette au-delà du point idéal, dans un sens comme dans l'autre, entraîne une décélération évidente. Normalement, les pilotes doivent maintenir une assiette longitudinale proche du point idéal durant les décollages sur l'eau.

1.6.3.2 Certificat de type supplémentaire Wipaire SA03-54 (installation de flotteurs Fire Boss)

Les flotteurs Wipline modèle 10000 de Wipaire sont fondés sur le concept de flotteurs modèle 13000. Pour améliorer la performance de décollage, on a dû apporter des modifications aux flotteurs 13000 en raccourcissant leur arrière-corps; ainsi, l'aéronef a une plus grande amplitude de manœuvre en cabré sur l'eau. On a également installé les ensembles de réservoirs d'écopage et d'agent moussant et sur la cellule, leurs contrôles et composantes.

D'autres modifications ont dû être apportées à la cellule pour rétablir les caractéristiques de performance en vol de l'aéronef aux normes réglementaires de la catégorie restreinte. Ces modifications, appelées collectivement ensemble d'amélioration du décrochage, comprennent principalement l'installation de dérives sur les surfaces supérieures et inférieures des stabilisateurs horizontaux, d'une dérive ventrale sous l'empennage, et de générateurs de tourbillons sur les ailes et les stabilisateurs horizontaux (photo 2). En outre, le tube de Pitot a été déplacé plus loin vers l'extérieur, et on a changé l'emplacement de la palette d'avertisseur de décrochage.

Photo 2. Dérives et générateurs de tourbillons (Source : Conair)
Dérives et générateurs de tourbillons (Source : Conair)

On a utilisé un moteur PT6A-67F installé par Air Tractor détaré à 1350 HP sur arbre pour déterminer les données de performance indiquées dans le supplément du manuel de vol de l'aéronef (SMVA) de Wipaire. D'après le chapitre sur la performance dans le SMVA, dans les conditions qui prévalaient au moment de l'accident Note de bas de page 4, l'aéronef pouvait réaliser ou dépasser la pente ou le taux de montée minimaux conformément aux critères de certification à une MTOW de 16 000 livres. Les limites et tableaux de performance dans le SMVA ne tiennent pas compte de la puissance accrue de 250 HP sur arbre comme suite à l'installation du certificat de type supplémentaire (CTS) P-LSA08-072 (trousse d'augmentation de puissance).

L'installation de l'ensemble d'amélioration du décrochage a permis de réduire la vitesse de décrochage. D'après le SMVA, la vitesse de décrochage sans moteur est de 73 KIAS (au lieu de 83 KIAS) avec les volets à 20°, une inclinaison à 0°, la puissance moteur réglée au ralenti de vol, une masse totale de l'aéronef de 16 000 livres, et un CG à la position arrière la plus éloignée permise. L'ensemble d'amélioration du décrochage a aussi retardé les tremblements avertisseurs de décrochage jusqu'à ce que survienne le décrochage complet de l'aile avec application de puissance moteur.

Le SMVA Wipaire décrit ainsi le comportement du Fire Boss durant un décrochage [traduction] :

Les caractéristiques de décrochage de cet aéronef sont somme toute très douces. Sans moteur ou à bas régime, on remarque de forts tremblements et de fortes secousses de l'empennage à peu près au même moment où vibre l'avertisseur de décrochage. À des réglages de puissance plus élevés, la vitesse à laquelle le pilote sent les tremblements avertisseurs de décrochage diminue presque à la vitesse de décrochage... ATTENTION! Si le pilote continue de déplacer le manche vers l'arrière après la production des tremblements avertisseurs de décrochage avec la bille de l'inclinomètre excentrée, en particulier lorsque le moteur est en marche, cette manœuvre entraînera un fort roulis accompagné d'une perte d'altitude. Une utilisation normale des commandes entraîne un rétablissement rapide Note de bas de page 5.

Le SMVA de Wipaire souligne toutefois une condition connue à des vitesses indiquées près de la vitesse de décrochage avec moteur [traduction] :

Les valeurs indiquées de vitesse au décrochage, en particulier avec application de puissance, sont habituellement imprécises et difficiles à reproduire à cause de variations de la pression statique aux prises statiques Note de bas de page 6.

En outre [traduction] :

Pour la plupart des aéronefs munis de tubes de Pitot ou de prises statiques pour déterminer la vitesse indiquée, la vitesse de décrochage indiquée avec moteur est inutile, étant donné la très faible vitesse et l'incapacité de déterminer les erreurs de position requises pour rétablir la vitesse à une valeur utile. La vitesse anémométrique [l'indicateur de vitesse] de l'AT802 durant un décrochage avec moteur est inutilisable Note de bas de page 7.

Le Fire Boss était auparavant muni d'indicateurs d'angle d'attaque, mais Conair les trouvait problématiques et les a retirés.

1.6.3.3 Certificat de type supplémentaire Conair P-LSA08-072, édition 5

Le nouvel aéronef dont a pris livraison Conair était équipé selon le CTS Fire Boss de Wipaire et du moteur PT6A-67F d'une puissance nominale de 1424 HP sur arbre, option offerte par Air Tractor.

Avec le moteur de 1424 HP sur arbre, l'aéronef demeurait conforme aux critères de certification pour un aéronef de la catégorie restreinte; or, les exploitants voulaient plus de puissance pour améliorer la performance de décollage et de montée. Conair a développé un CTS distinct pour accroître la puissance du moteur à 1600 HP sur arbre. La MTOW est demeurée la même, soit 16 000 livres. Ce CTS visait l'aéronef dans la configuration Fire Boss uniquement, et le T685 était équipé selon ce CTS.

Le SMVA pour le CTS d'augmentation de la puissance indique les limites d'exploitation du moteur à puissance accrue. Il comprend 3 avis sous la rubrique « Flight Limitations » [limites de vol] sur les conséquences possibles d'un décrochage à puissance élevée et les virages en dérapage ou en glissade Note de bas de page 8, et 4 déclarations dans la section « Performance » concernant la consommation accrue de carburant Note de bas de page 9. Il comprend également la déclaration suivante [traduction] : « Pour toutes les limites, procédures et données de performance qui ne figurent pas dans ce supplément, consulter le supplément du manuel de vol "Fire Boss" (SA03-54) ou les suppléments appropriés pour l'équipement en option Note de bas de page 10 ».

Les normes de navigabilité de Transports Canada (TC) offrent 2 options aux demandeurs de modification d'augmentation de la puissance (dans le cas à l'étude, une augmentation de 1424 à 1600 HP sur arbre) : ils peuvent soit quantifier l'accroissement de performance par un essai en vol, soit accepter la performance nominale, en sachant que la performance après la modification CTS pourrait être égale ou supérieure à la performance nominale publiée. Conair a choisi d'accepter les données de performance présentées dans le SMVA de Wipaire (1350 HP sur arbre).

1.6.3.4 Performance de l'aéronef durant un décrochage

L'information qui suit concernant les dangers du vol à bas régime provient du manuel d'exploitation de Conair [traduction] :

[L]e décrochage est un autre danger dont on doit se méfier durant l'exploitation dans le second régime de vol. Étant donné que les angles d'attaque sont déjà élevés, un décrochage peut survenir durant la remise des gaz, surtout lorsque la sortie exige une manœuvre immédiate pour éviter le relief. De tous les types de vol, c'est dans celui à basse altitude et à puissance maximale typique des opérations aériennes de lutte contre les incendies que la combinaison de vol à faible vitesse, de décrochage et de second régime de vol est aussi intransigeante envers les fausses manœuvres.. […] Il est impératif d'orchestrer minutieusement toutes les opérations, de s'assurer de la vigilance des équipages, et de planifier soigneusement les approches et sorties. La conscience des dangers des vols lents à basse altitude permet d'atténuer les risques Note de bas de page 11.

D'après les Federal Aviation Regulations (FAR) des États-Unis (sous-alinéa 23.201(f)(5)(iii)) et les normes de conception de navigabilité canadiennes, les avions propulsés par turbines doivent démontrer leur capacité de décrochage dans certaines combinaisons de poussée des moteurs et de configuration de l'avion. Ces exigences ne comprennent pas la démonstration d'un décrochage complet avec moteur, et les caractéristiques du Fire Boss à cet effet n'ont pas été déterminées.

L'AT-802A Fire Boss est reconnu pour ses caractéristiques de décrochage sans moteur, et son poste de pilotage comprend obligatoirement des plaquettes pour les rappeler au pilote.

Le CTS P-LSA08-072, édition 5 a accru la puissance équivalente sur arbre appliquée à l'hélice, ce qui accroît sa poussée et, par conséquent, le souffle de l'hélice sur les surfaces de l'empennage et les parties intérieures des ailes. Comme pour tout aéronef motorisé à hélice tractive produisant un souffle sur les ailes, cet écoulement artificiel de l'air permet une assiette à cabrer plus prononcée avant que ne surviennent le décrochage et la perte de maîtrise. Comme les parties extérieures des ailes d'un aéronef monomoteur ne reçoivent pas le souffle de l'hélice, l'aéronef peut prendre son envol même s'il y a décrochage de ces parties de l'aile.

En 2008, on a réalisé des essais en vol pour déterminer les caractéristiques de décrochage au moteur d'un aéronef de marque et de modèle identiques. Le tableau 15 du rapport de projet d'ingénierie no 1-3173.5 de Conair contient des résultats sur la configuration de l'aéronef au moment de l'accident pertinents à l'enquête : inclinaison 0°, volets 20°, masse au décollage de 16 000 livres, puissance maximale au décollage (1600 HP sur arbre), CG derrière la ligne de référence. On a limité les essais à 50 % de la puissance maximale continue à cause de préoccupations de sécurité aux régimes de puissance plus élevée. Les résultats des essais montrent que le tremblement et le décrochage sont survenus à 65 KIAS, et que l'avertisseur de décrochage a vibré à 75 KIAS. En outre, on a réalisé 6 essais : 2 avec un CG avant et 2 avec un CG arrière, avec les volets réglés à 10°, 20° et 30°. Les résultats étaient les suivants : dans 1 cas, il n'y a eu aucun roulis; dans 4 cas, il y a eu roulis de 20° vers la droite; et dans 1 cas, il y a eu roulis de 30° vers la droite.

1.6.3.5 Facteurs externes influant sur le décrochage
1.6.3.5.1 Effet de sol

L'effet de sol est un phénomène qui se produit lorsqu'un aéronef vole à 1 envergure d'aile de la surface. [traduction]

En général, l'effet de sol réduit l'angle de déflexion du courant d'air provenant de l'aile, ce qui réduit l'angle d'attaque. Cela entraîne […] un rapport portance/traînée plus élevé. Les aéronefs à aile basse sont plus sujets à l'effet de sol que ceux à aile haute. […] Au décollage [avec] un aéronef à aile basse, il pourrait être possible de prendre son envol en effet de sol à des masses et à des vitesses qui sont impossibles hors de l'effet de sol Note de bas de page 12.

Dans le cas à l'étude, malgré tout avantage potentiel d'effet de sol, l'aéronef n'avait pas monté hors de l'effet de sol lorsque l'accident est survenu. On n'a pu déterminer si l'effet de sol a eu une incidence sur l'enchaînement des faits.

1.6.3.5.2 Tourbillons d'extrémité d'aile

Les mêmes forces qui procurent à un aéronef sa portance produisent les tourbillons d'extrémité d'aile. L'air haute pression sous l'aile s'écoule vers l'extérieur et autour de l'extrémité de l'aile, puis se dirige dans l'air basse pression au-dessus de l'aile qui s'écoule vers l'intérieur; il se produit ainsi derrière chaque aile un tourbillon qui tourne à contresens Note de bas de page 13 et descend derrière l'aéronef. Un aéronef qui croise les tourbillons d'un autre aéronef devant lui risque un roulis induit, qui peut dépasser la maîtrise des commandes de l'aéronef Note de bas de page 14.

Les tourbillons d'extrémité d'aile sont imprévisibles. De nombreux facteurs déterminent la taille, l'intensité, la longévité et le mouvement de ces perturbations. Les tourbillons surviennent lorsqu'un aéronef est en vol et que ses ailes produisent une portance; on retrouve les tourbillons les plus forts derrière les aéronefs lents et lourds. Durant le décollage et l'atterrissage, les tourbillons ont tendance à s'étendre sur la surface derrière l'aéronef qui les produit – au lieu de tourner – et durent le plus longtemps dans des conditions calmes ou de vent léger.

Les pilotes de Conair doivent souvent composer avec la turbulence de sillage générée par les tourbillons d'extrémité d'aile, et ils s'en méfient. Toutefois, certains la considèrent comme un facteur normal des activités de tous les jours. La formation annuelle au sol à Conair comprend des discussions sur les tourbillons d'extrémité d'aile et sur les méthodes pour éviter de croiser la turbulence de sillage. Pourtant, malgré la fréquence de ce phénomène, certains pilotes de la compagnie ont de la difficulté à distinguer le tremblement avertisseur de décrochage du tourbillon d'extrémité d'aile au décollage.

1.6.4 Procédures d'utilisation normalisées – écopage

Une opération aérienne de lutte contre les incendies est un travail intense, mais répétitif qui s'effectue en petite formation de pilotes seuls aux commandes (c.-à-d. multiples décollages à la masse maximale, en groupes, largage de précision, pendant de longues heures en régions boisées, par temps sec d'été).

Durant ce type d'opérations avec les Fire Boss, Conair privilégie normalement les équipes de 4 aéronefs volant plus ou moins en formation en colonne. Durant l'écopage, les pilotes modifient leurs positions relatives selon les conditions locales, comme la dimension du lac, le vent et le relief et en fonction de l'incendie à éteindre. L'écopage se fait couramment en formation en diagonale, ou « V » inversé, comme c'était le cas durant le vol à l'étude (photo 3). À l'incendie (point de largage), les aéronefs volent au moins à 10 secondes d'intervalle les uns des autres, normalement en colonne.

Photo 3. Manœuvre d'écopage en diagonale des Fire Boss
Manœuvre d'écopage en diagonale des Fire Boss

D'après les SOP de Conair, la procédure normale pour une manœuvre d'écopage consiste en un posé à environ 60 KIAS Note de bas de page 15 avec les écopes rentrées et les volets à 20°. Le pilote pose l'aéronef avec le compensateur de profondeur en position de cabré, et le compensateur de direction braqué à droite. Une fois que le système d'écope est rempli au volume sélectionné, les écopes rentrent automatiquement – le mode manuel n'est pas recommandé –, et une accélération est nettement perceptible. À mesure que l'aéronef accélère à 60 nœuds avec son nez relevé pour réduire le marsouinage, le pilote peut arracher un flotteur de l'eau (habituellement celui de droite) par un déplacement à gauche de la commande de roulis. Le couple entre le moteur et l'hélice peut favoriser ce déplacement. L'aéronef prend son envol peu après que le premier flotteur sort du plan d'eau. Au décollage, l'assiette est cabrée, l'aile opposée basse, avec un tremblement avertisseur de décrochage momentané. Une fois que l'aéronef a pris son envol, le pilote met les ailes à l'horizontale et descend le nez pour demeurer en effet de sol. Lorsque la vitesse anémométrique atteint 80 ou 85 nœuds, une montée positive peut être amorcée. La montée se poursuit à 85 nœuds avec les volets à 20° jusqu'au franchissement de l'obstacle Note de bas de page 16.

Aucune documentation n'a permis aux enquêteurs de vérifier si la technique qui consiste à arracher de l'eau un flotteur avant l'autre durant la course au décollage procure réellement un avantage. Le SMVA de Wipaire mentionne les décollages après écopage, mais décrit le segment d'envol comme étant [traduction] « un décollage normal d'hydravion » sans mentionner cette technique ni proposer de vitesse d'envol cible.

Tous les pilotes d'Air Tractor Fire Boss de la compagnie avaient reçu la même formation au sol et au pilotage sur les caractéristiques et le comportement de décrochage en altitude et sans moteur. Les enquêteurs n'ont pas trouvé de documentation ni de ligne directrice concernant la formation au sol sur le comportement de décrochage de l'aéronef dans la configuration de décollage à pleine puissance.

Les pilotes avaient différentes interprétations des capacités de l'aéronef. Certains n'utilisent pas la technique consistant à arracher 1 seul flotteur de l'eau. À la place, ils accélèrent, ailes à l'horizontale, jusqu'à une vitesse d'envol supérieure à la vitesse de décrochage sans moteur, selon la configuration de l'aéronef. Ou encore, ils réduisent la charge de manière à obtenir des conditions d'envol diminuant les risques d'un décrochage de l'aile.

1.6.5 Radiobalise de repérage d'urgence

Le T685 était équipé d'une radiobalise de repérage d'urgence (ELT) Kannad 406 AF-COMPACT fonctionnant à une fréquence de 406 mégahertz (MHz). La force d'impact a été suffisante pour activer l'ELT, mais le système de recherche et de sauvetage par satellite (SARSAT) n'a détecté le signal qu'après la récupération de l'épave, 6 jours après l'événement. La non-détection du signal d'une ELT submergée est un phénomène courant.

1.7 Renseignements météorologiques

Le centre météorologique d'Environnement Canada à l'aérodrome de Puntzi Mountain faisait état des conditions suivantes à 17 h : température de 31 °C, point de rosée à 8 °C, vents du 020° vrai (V) à 5 nœuds, pression à la station de 990,9 kilopascals (kPa) (29,26 pouces de mercure [in. Hg]). La visibilité n'a pas été notée.

Les conditions à 18 h étaient les suivantes : température de 29 °C, point de rosée à 11°C, vents du 110°V soufflant à 9 nœuds, pression à la station de 990,88 kPa (29,26 in. Hg). La visibilité n'a pas été notée.

Il n'y a aucune source officielle de données météorologiques consignées à Chantslar Lake; toutefois, les 4 pilotes d'avions-citernes ont décrit les vents comme soufflant à 5 nœuds et variables, et généralement de l'est. La surface de l'eau était calme avec une petite risée. Étant donné les renseignements obtenus, on a tenu compte d'un facteur vent de face de 3 nœuds pour enquêter sur la performance de décollage.

1.8 Aides à la navigation

Sans objet.

1.9 Communications

Sans objet.

1.10 Renseignements sur l'aérodrome

Chantslar Lake est situé à 52°08.7934′N, 124°35.2925′ W (à 16 nm à l'ouest de l'aérodrome de Puntzi Mountain) à une altitude de 3941 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl). Orienté à 060/240° magnétique (M), le lac mesure environ 1,95 nm de long sur 0,38 nm de large. On a calculé la densité-altitude à Chantslar Lake comme étant d'environ 7581 pieds asl au moment de l'accident.

1.11 Enregistreurs de bord

L'aéronef n'était pas équipé d'un enregistreur de conversations de poste de pilotage ou d'un enregistreur de données de vol et n'était pas tenu d'en avoir selon la réglementation.

Le T685 était muni d'un système mondial de positionnement (GPS) qui transmettait des rapports de positions toutes les 2 minutes à un site distant. La mémoire rémanente de ce système stocke ces positions ainsi que les positions à la seconde non transmises pour la dernière période de 2 minutes enregistrée. Toutes ces données ont été récupérées.

Le T685 était également muni d'un dispositif de surveillance des alarmes et d'acquisition de données (DAAM), qui sert principalement à contrôler et à enregistrer les paramètres de fonctionnement du moteur. On a retrouvé ce dispositif, mais aucune donnée n'a pu être récupérée.

1.12 Renseignements sur l'épave et sur l'impact

Durant l'accident, l'aéronef a effectué un mouvement de lacet à droite et a fait un tête-à-queue sur l'eau. La section avant de l'extrémité de l'aile droite a été emboutie. Les 2 flotteurs et toute leur structure de fixation se sont séparés du fuselage, et la structure de fixation est demeurée jointe aux flotteurs, lesquels étaient séparés l'un de l'autre et flottaient non loin de l'épave. Durant le tête-à-queue, l'aéronef s'est déplacé à reculons sur l'eau avant de s'immobiliser à environ 270° du cap de décollage initial. La majeure partie du volet de l'aile droite manquait. Autrement, les autres gouvernes étaient en place.

Le compensateur de profondeur était réglé à environ 2/3 derrière la position neutre, le compensateur ailerons était réglé en position neutre, et le compensateur direction était réglé à l'extrémité droite de la zone verte de décollage. Les volets étaient sortis à environ 20°. Les gouvernes de profondeur étaient enfoncées en position plein cabré, au-delà des butées; elles étaient endommagées là où elles sont entrées en contact avec les dérives sur le dessus des deux stabilisateurs horizontaux. La gouverne de direction avait été poussée vers la droite, au-delà des butées.

L'aéronef a coulé; il a été récupéré 6 jours plus tard. Avant qu'on le démonte pour le transporter, on a fait un examen initial et vérifié la continuité des commandes de vol; on n'a constaté aucune défectuosité préexistante. L'aile gauche ne présentait aucun dommage, sauf pour le volet.

L'hélice et le réducteur se sont séparés du moteur durant l'impact et n'ont pas été récupérés. Le réducteur s'est rompu au niveau d'une surface de rupture circulaire juste devant la bride de montage du conduit d'échappement du moteur. Le moteur tournait et le pilote l'a éteint. Un examen visuel de cette surface coulée fracturée n'a permis de détecter aucune source de fatigue progressive, et elle n'a fait l'objet d'aucun autre examen. On a également noté que le conduit d'échappement du moteur était tordu, ce qui correspond à un événement à couple élevé alors que le moteur tournait à régime élevé et que l'hélice s'est butée à une résistance très supérieure à la normale. Les aubes de la turbine de puissance du moteur ne se sont pas rompues et ne présentaient aucun signe de dommages thermiques.

Au moment de l'accident, le temps de vol total de l'aéronef était de 223 heures. On n'a relevé aucune défectuosité mécanique ou technique qui aurait pu nuire à la navigabilité de l'aéronef avant l'impact.

1.13 Renseignements médicaux et pathologiques

Sans objet.

1.14 Incendie

Sans objet.

1.15 Questions relatives à la survie des occupants

Sans objet.

1.16 Essais et recherches

L'exploitant estime que depuis 2003, la compagnie a effectué 100 000 manœuvres d'écopage avec des Fire Boss; la base de données du BST contient 7 événements à signaler et 4 rapports volontaires au Canada, ainsi que 25 inscriptions étrangères concernant les modèles Air Tractor AT-802. Un examen de ces 36 inscriptions a permis de relever 1 accident Note de bas de page 17 qui pourrait comporter des similitudes avec celui à l'étude. Il mettait en cause un AT-802A Fire Boss, en 4e position d'une formation de 4 aéronefs qui ont croisé plusieurs turbulences de sillage. L'aéronef a été perturbé par l'une de ces turbulences alors qu'il se trouvait toujours sur l'eau.

Le tableau 15 du rapport de projet d'ingénierie no 1-3173.5 de Conair contient les résultats d'essais sur les caractéristiques de décrochage du Fire Boss à puissance partielle. Le sous-alinéa 1.6.3.4 du présent rapport décrit ces essais.

1.16.1 Rapports de laboratoire du BST

Le BST a complété le rapport de laboratoire suivant dans le cadre de la présente enquête :

1.17 Renseignements sur les organismes et sur la gestion

1.17.1 Conair Group Inc.

Conair fournit des services aériens spéciaux et dessert des clients à l'échelle nationale et internationale. La compagnie emploie environ 250 personnes (y compris 80 pilotes) et exploite une flotte de 65 aéronefs à voilure fixe. Pour la saison des incendies 2014, la flotte d'Air Tractor comptait 14 AT-802A Fire Boss (sur flotteurs amphibies) et 11 AT-802A sur roues.

Les activités de l'exploitant portent exclusivement sur la lutte contre l'incendie. Quoique l'exploitant utilise plusieurs types de grands aéronefs (MTOW de 12 500 livres ou plus), les activités de lutte contre l'incendie sont assujetties à la sous-partie 2 (Opérations de travail aérien) de la Partie VII du RAC. Les exploitants assujettis à cette sous-partie ne sont pas tenus de mettre en œuvre un SGS, mais l'exploitant en cause l'a fait volontairement. TC a effectué une inspection de validation de programme (IVP) de l'exploitant en novembre 2013 et n'a relevé aucune lacune. Comme aucun SGS n'était requis, le SGS de la compagnie n'était pas assujetti à la surveillance et aux inspections de TC et conformément à cette politique, l'IVP ne l'a pas pris en compte.

D'importants changements organisationnels au sein de la compagnie ont eu lieu de 2010 à 2014. L'organigramme de 2010 montrait 5 échelons de direction occupés par 5 personnes au-dessus du poste de pilote vérificateur de la compagnie, dont un directeur des services de sûreté (annexe A, figure 1). Il y avait alors 3 pilotes vérificateurs pour appuyer le chef pilote.

Au cours des périodes de 2011 et de 2012, Conair s'est défaite d'une autre entité commerciale, et une réorganisation de la structure de gestion de la compagnie a entraîné l'abolition de 2 échelons de haute direction. Le directeur, Opérations aériennes a lui aussi été remplacé temporairement, et les 3 postes de pilotes vérificateurs de la compagnie ont été libérés. En 2013, le directeur des services de sûreté a été nommé directeur, Opérations aériennes pour pourvoir ce poste; il a reçu l'aide du gestionnaire de l'assurance de la qualité jusqu'à ce qu'on lui trouve un remplaçant.

En 2014, les organigrammes de la compagnie montraient 3 échelons de direction (annexe A, figure 2) au-dessus du poste de pilote vérificateur de la compagnie. La compagnie a remplacé les postes de pilotes vérificateurs par ceux de pilotes de formation sur type indiqués comme pilotes de vérification de compétence en ligne. Par hasard, le pilote de vérification de compétence en ligne des AT-802 était affecté comme membre à temps plein du groupe en Colombie-Britannique. Ce pilote n'avait aucune responsabilité de gestion ou de supervision; son rôle comprenait le leadership et l'encadrement, et l'exécution de vols de contrôle pour d'autres membres du groupe. La compagnie a enfin embauché un nouveau directeur des services de sûreté en janvier 2014; toutefois, le titulaire a soudainement quitté son poste en juillet 2014.

1.17.2 Entrée en service du Fire Boss et évolution des opérations

Conair a fait l'acquisition de 2 AT-802 sur roues en 1996 pour mettre à l'essai cet avion-citerne monomoteur et l'évaluer par rapport à d'autres aéronefs servant à la lutte contre les incendies (p. ex. : voilure tournante, voilure fixe, multimoteur, multipilote). La flotte d'AT-802 sur roues a pris de l'expansion et en 2003, la compagnie a loué le premier Fire Boss (AT-802 amphibie) de série pour le mettre à l'essai. En 2014, la compagnie a acheté 4 autres Fire Boss pour exécuter son nouveau contrat en Colombie-Britannique. La flotte comptait dès lors 14 Fire Boss et 11 AT-802 sur roues.

À la fin des années 1990, l'avion-citerne monomoteur amphibie était relativement nouveau, et l'on ressentait le besoin de faire la démonstration de ses capacités aux clients. On a alors élaboré de nouvelles SOP à partir de l'expérience acquise avec l'aéronef sur roues. À mesure qu'ils ont acquis de l'expérience opérationnelle aux commandes du Fire Boss, les pilotes en ont découvert les capacités en dépassant ses limites et les SOP (vol en surcharge, réglages des volets, décollages à vitesses inférieures à la vitesse de décrochage publiée, etc.). Alors qu'ils effectuaient des opérations dans des conditions plus exigeantes (comme des courses au décollage plus courtes sur des lacs plus difficiles situés plus près des incendies), une concurrence s'est établie entre les pilotes. Ils ont mis au point une manœuvre irrégulière appelée « horse it off », qui tire parti de la capacité de l'aéronef de cabrer et de prendre son envol à une vitesse indiquée inférieure et sur des distances plus courtes.

À la demande de clients, la compagnie s'est informée auprès de l'avionneur à propos d'une augmentation de la MTOW visant à d'accroître la charge d'agent extincteur. L'avionneur n'était pas d'accord avec cette idée. Le modèle d'origine du Fire Boss a été construit avec un moteur de 1350 HP sur arbre, et l'avionneur a développé une trousse moteur en option qui augmentait la puissance du moteur à 1424 HP sur arbre. Cette option permettait d'améliorer la performance au décollage et à la montée, mais la MTOW demeurait la même.

L'utilisation d'avions-citernes monomoteurs comporte des avantages, pourvu qu'ils puissent satisfaire aux besoins opérationnels. La concurrence avec d'autres types d'aéronefs et exploitants, et la volonté de satisfaire aux demandes de clients ont favorisé un contexte donnant lieu aux dépassements des limites de l'aéronef.

En 2008, Conair a développé le CTS P-LSA08-072, Édition 5, pour accroître la puissance du moteur à 1600 HP sur arbre. Ce CTS a amélioré la performance au décollage et à la montée à son niveau actuel; par contre, la MTOW est demeurée la même.

Les clients ont été acquis à la valeur de cet aéronef pour la gestion des incendies. Toutefois, certains pilotes ont conservé l'habitude d'utiliser l'aéronef en dehors de ses limites de vitesse indiquée.

Conair a ajouté le Fire Boss à ses opérations de lutte contre les incendies avant de mettre en œuvre des processus de gestion du risque en bonne et due forme. On a entrepris des évaluations informelles des risques des vols opérationnels liés à l'utilisation des Fire Boss. Toutefois, l'irrespect des politiques et procédures d'exploitation a persisté, par exemple : utilisation à vitesses inférieures à la vitesse de décrochage publiée (COM 3.7.1), croisement répété de turbulence de sillage, décrochage de la formation durant les vols de convoyage. Pour encourager les pilotes à respecter la politique de sécurité de la compagnie, le directeur, Opérations aériennes et le chef pilote ont choisi l'encadrement informel pour aborder ce comportement qui avait évolué durant la mise en service des Fire Boss.

En 2013, les AT-802A Fire Boss de la compagnie formaient 2 groupes en Alberta : l'un comptant 6 aéronefs, et l'autre, 4 aéronefs. Le directeur, Opérations aériennes et le chef pilote étaient satisfaits de la façon dont ces groupes géraient les attentes du client, et la concurrence et le sentiment d'urgence qui peuvent accompagner les opérations de lutte contre les incendies.

En 2014, la compagnie a entrepris un contrat pluriannuel conclu avec le gouvernement de la Colombie-Britannique pour des opérations aériennes de lutte contre les incendies par avions-citernes monomoteurs, soit 4 avions-citernes et 1 avion de pointage. Parmi les pilotes affectés à la base des Fire Boss en Colombie-Britannique, certains étaient nouveaux, d'autres étaient d'anciens pilotes contractuels. Ce groupe desservait une région géographique montagneuse qui comprenait des lacs étroits situés à de plus hautes altitudes et confinés par un relief élevé, ce qui venait compliquer les manœuvres d'écopage en formation. Cette opération était nouvelle, mais la direction n'y voyait qu'une simple extension de ses activités en Alberta. Elle n'a donc pas jugé nécessaire de suivre un autre processus d'identification des dangers ou d'analyse des risques. En mai 2014, le gestionnaire d'assurance de la qualité a organisé un sondage sur la sécurité des opérations à la base en Colombie-Britannique; aucune constatation quant aux risques n'a été relevée.

1.17.3 Performance de l'équipe

La direction était au courant de l'existence, dans tous les groupes de Fire Boss, des différences d'utilisation de l'aéronef ou d'exécution des missions entre pilotes et du fait que certains d'entre eux volaient sous les limites de vitesse indiquée. Le directeur, Opérations aériennes et le chef pilote ont profité de leur passage aux différentes bases pour aborder ces problèmes systémiques. Ces discussions, ainsi que l'évaluation et la sélection des groupes de pilotes, étaient les principaux moyens d'atténuer ce problème.

Avant les changements organisationnels de 2012, il y avait 1 pilote vérificateur de la compagnie pour chaque type d'aéronef, à qui incombait le maintien des normes de la compagnie (respect des politiques et procédures, utilisation sûre des aéronefs, relève pour pourvoir les postes temporairement vacants). Comme suite aux changements apportés à la structure de gestion, 3 postes de pilote vérificateur sont devenus vacants. Pour corriger la situation, la compagnie a affecté 1 pilote de ligne chevronné non gestionnaire dans chacun des groupes pour exécuter certaines tâches administratives et de coordination à la base.

Le directeur, Opérations aériennes et le chef pilote se rendaient souvent aux bases, notamment pour y faire des audits de sécurité. Toutefois, les postes de gestion vacants, la démission inattendue du nouveau directeur des services de sûreté, et la continuation de nouveaux programmes d'expansion de la compagnie ont accru leur charge de travail opérationnel.

À la base en Colombie-Britannique, une mutation inter-base de 2 pilotes a créé des problèmes de personnel que l'on a abordés de manière informelle. Le directeur, Opérations aériennes et le chef pilote ont visité cette base environ 5 semaines avant l'accident pour évaluer l'incidence de ce changement. Durant cette visite en Colombie-Britannique, le directeur, Opérations aériennes a discuté de la dynamique interpersonnelle au sein d'un groupe et a rappelé aux pilotes de ralentir et d'adhérer aux procédures. La direction estimait que cet encadrement avait été efficace et que ces problèmes étaient réglés. Le système de gestion de la sécurité (SGS) ne contient aucun rapport sur les risques liés à ce problème; la compagnie n'a produit aucune documentation officielle ni fait de suivi de cette mesure d'atténuation pour s'assurer de son succès.

1.17.4 Gestion de la sécurité

1.17.4.1 Généralités

La gestion de la sécurité est la capacité d'une organisation d'identifier les dangers liés à ses activités et de mettre en place des mesures d'atténuation pour réduire les risques que posent ces dangers au niveau le plus faible qu'il soit raisonnablement possible d'atteindre.

Sur le plan de la sécurité, l'évaluation des risques est le processus qui consiste à :

Pour atténuer efficacement les dangers, il faut :

Toutes les organisations pratiquent une certaine forme de gestion de la sécurité. Dans certains domaines, le SGS constitue une approche en bonne et due forme à la gestion de la sécurité. La réglementation pourrait l'imposer, et il pourrait être vérifié périodiquement par un organisme de réglementation ou une tierce partie.

Une organisation déterminée à gérer efficacement la sécurité adhère à une philosophe d'amélioration continue. Elle communique explicitement cette philosophie aux employés et aux intervenants par des énoncés de valeurs et de mission, par exemple, et implicitement, dans les gestes de tous les jours. Elle concrétise cette philosophie par des politiques qui communiquent clairement l'importance de la sécurité et qui reconnaissent la contribution de chacun de ses membres à l'amélioration de la sécurité. Par conséquent, elle doit promulguer ces politiques au moyen de procédures qui respectent sa philosophie et ses politiques de sécurité.

1.17.4.2 Système de gestion de la sécurité de Conair

Conair a mis en œuvre son programme de gestion de la sécurité en 1996. La compagnie a embauché un gestionnaire de la sécurité à temps plein et s'est employée à établir une culture de transparence pour améliorer la sécurité des opérations aériennes. En 2008, le gestionnaire de la sécurité a pris sa retraite, et Conair a recruté un nouveau titulaire pour poursuivre le développement du SGS de la compagnie. Conair était assujettie aux sous-parties 702 et 703 du RAC, et n'était donc pas tenue d'incorporer un SGS en bonne et due forme. Elle a néanmoins développé volontairement un SGS à partir des lignes directrices de TC pour les activités assujetties à la sous-partie 705. En 2014, un audit externe exhaustif (pour les assurances) du SGS (portant sur la santé et sécurité au travail, et le reste des opérations) a permis de brosser un tableau très positif des processus de Conair.

Le manuel de politiques et de procédures du système de gestion de la sécurité de Conair décrit ainsi l'approche de la compagnie à la gestion de la sécurité [traduction] :

[N]ous gérons le risque au moyen de notre programme de santé et sécurité, de nos politiques et procédures, de nos méthodes d'embauche, de l'orientation et la formation des employés, du contrôle opérationnel et de la communication constante.

[…]

Comme organisation qui adhère à la sécurité de façon proactive, nous nous engageons à identifier tous les dangers et à réduire les risques opérationnels quotidiens pour nos employés, nos clients et notre matériel. Par l'établissement d'une « culture de signalement » dans tous les services de notre compagnie, nous veillons à évaluer régulièrement des renseignements exacts et d'actualité et à agir pour améliorer la sécurité à l'échelle de la compagnie.

[…]

Nous avons établi des objectifs et des cibles en matière de sécurité pour toute la compagnie.

[…]

Nous allons mesurer le succès de chaque service dans l'amélioration de sa performance de sécurité Note de bas de page 19.

Conair a mis en place un système de gestion de la sécurité qui a pour unique but de réduire à zéro son taux d'accidents et d'incidents en inculquant la sécurité comme principale responsabilité de chacun Note de bas de page 20!

Au chapitre des processus et résultats SGS, Conair a réalisé un programme complet d'essais en vol en 2008 lié au CTS d'augmentation de puissance des Fire Boss pour déterminer les caractéristiques d'utilisation sûres avec une puissance au décollage plus élevée. Ces données lui ont permis de cerner de dangereuses caractéristiques de décrochage. Pour les atténuer, elle a rendu obligatoire l'installation de plaquettes de mise en garde dans les postes de pilotage, à la vue des pilotes. La compagnie n'a pas utilisé ces données dans le CTS pour quantifier la performance accrue. Plutôt, elle a décidé d'utiliser les données de performance conservatrices du supplément du manuel de vol de l'aéronef de Wipaire pour l'aéronef avec moteur de 1350 HP sur arbre.

La compagnie a effectué 2 évaluations du risque avant le départ de 2 cadres supérieurs, en 2012. L'omission d'importantes activités de sécurité, à cause d'une charge de travail trop élevée, figure parmi les dangers que ces évaluations ont relevés. Par des mesures d'atténuation temporaires, la compagnie a pu redistribuer les priorités et responsabilités parmi les cadres supérieurs, mais il lui fallait une solution efficace avant le début de la formation, au printemps 2013.

Comme suite à la réorganisation amorcée en 2010, le poste de directeur des services de sûreté est demeuré vacant pendant environ 2 ans. Appuyé par d'autres gestionnaires, le directeur, Opérations aériennes a assumé les responsabilités du directeur des services de sûreté. La charge de travail de ces 2 fonctions était exigeante. Encourager le signalement proactif des dangers est l'une des activités de sécurité qui ont été omises, comme en fait foi l'absence de rapports de sécurité proactifs dans les dossiers SGS de la compagnie. Cette dernière a néanmoins continué de faire des évaluations du risque liées aux rapports de sécurité réactifs qu'elle jugeait potentiellement urgents.

Malgré des années d'efforts, il fallait continuellement encourager les employés pour qu'ils adhèrent aux processus et produisent des rapports de sécurité. Ces processus étaient mieux établis au hangar de maintenance à Abbotsford (Colombie-Britannique), probablement parce que la plupart des techniciens d'entretien d'aéronef (T.E.A.) travaillaient à l'année dans le même environnement. Pour leur part, les pilotes étaient des employés contractuels saisonniers. Les observations sur les changements et mises à niveau de matériel faites durant les opérations aériennes ont donné lieu à de nombreux rapports de sécurité. Toutefois, un examen de la base de données des rapports de sécurité a révélé que les pilotes de ligne préféraient signaler verbalement les problèmes d'opérations aériennes (p. ex. : concurrence entre pilotes, dérogation aux SOP, turbulence de sillage) au chef pilote ou au directeur, Opérations aériennes. La direction recevait parfois des rapports écrits, mais elle ne produisait pas toujours la documentation nécessaire. Il n'y avait donc aucun dossier de justification des décisions. La mise en œuvre de certaines mesures correctives, souvent celles qui étaient plus complexes, prenait du temps. Souvent, la compagnie reportait à la saison morte les changements aux SOP, et elle les faisait en bloc pour éviter d'apporter précipitamment des changements en pleine saison des incendies. Or, dans certains cas, les pilotes de ligne estimaient que tout report, même d'une semaine, était trop long.

De 2013 à 2014, le directeur, Opérations aériennes/des services de sûreté intérimaire a mis sur pied un programme de surveillance des opérations aériennes pour les AT-802A au moyen du dispositif DAAM Note de bas de page 21. Cette surveillance a relevé un dépassement des paramètres moteur attribuable à un problème de technique de pilotage dans un groupe de pilotes, et qui a mené à des améliorations au programme de formation. La surveillance des données a également donné lieu à des évaluations des risques des mises à niveau d'aéronefs. Ces évaluations misaient davantage sur les aspects techniques des changements, et moins sur les aspects liés aux opérations aériennes. Des visites sur place et des audits de sécurité des bases portant sur les opérations ont été organisés. Toutefois, ces sondages sur la sécurité opérationnelle n'ont pas documenté les problèmes d'équipe en Colombie-Britannique. Les pilotes d'avion de pointage et les officiers d'attaque aérienne du client n'ont produit aucun rapport sur les opérations d'équipe en Colombie-Britannique.

Le directeur, Opérations aériennes/des services de sûreté intérimaire a priorisé la surveillance des tendances dans la base de données SGS. En 2014, il a déterminé que les procédures devaient être spécifiques, pertinentes et brèves pour qu'elles soient pratiques pour ce type d'opérations aériennes visuelles où le jugement du pilote et ses aptitudes de pilotage sont si cruciaux à la sécurité. Il a relevé dans les événements une tendance qui portait sur la communication entre pilotes et le manque de leadership de la part des commandants de bord dans les opérations multipilotes, comme celles des CL215T. De janvier à novembre 2014, le comité de sécurité des pilotes a examiné environ 70 rapports de sécurité des opérations aériennes.

1.17.5 Culture de sécurité

Conair a adopté le slogan « Target Zero—A Culture of Safety » [Objectif : zéro — Une culture de sécurité] pour aborder la gestion de la sécurité.

On peut définir une culture de sécurité comme étant un ensemble de valeurs et de croyances partagées qui interagit avec les structures et systèmes de contrôle d'une organisation pour donner lieu à des normes comportementales, et qui est important pour la gestion de la sécurité. Étant le reflet de ce qui a de l'importance et de la valeur pour les membres d'une organisation, la culture de sécurité est un déterminant crucial de leur comportement quotidien. Une culture de sécurité communique de façon tacite les attentes aux membres, nouveaux ou anciens, d'une organisation. Elle établit ainsi les paramètres du travail sécuritaire et la mesure dans laquelle les membres doivent respecter les politiques et procédures.

La direction de Conair s'employait activement à développer et à appuyer sa culture de sécurité par tous ses processus et toutes ses procédures SGS. La sécurité des opérations était un élément permanent à l'ordre du jour des réunions des hauts dirigeants.

1.17.6 Liste de surveillance du BST

La gestion de la sécurité et la surveillance sont un enjeu multimodal qui figure sur la Liste de surveillance 2014. La Liste de surveillance renferme les enjeux qui font courir les plus grands risques au système de transport du Canada; le BST la publie pour attirer l'attention de l'industrie et des organismes de réglementation sur les problèmes qui nécessitent une intervention immédiate.

Comme le montre l'événement à l'étude, la gestion des risques pose en fait un défi à tous les exploitants aériens. L'identification proactive des risques difficiles à détecter avant que survienne un accident est un bon exemple. Le signalement actif par le personnel de première ligne est la pierre angulaire de la gestion proactive du risque.

D'après la Liste de surveillance :

Transports Canada doit mettre en œuvre une réglementation qui exige que tous les exploitants de l'industrie du transport aérien aient en place des mécanismes en bonne et due forme de gestion de la sécurité. En outre, Transports Canada doit assurer la surveillance de ces mécanismes.

Pour tous les modes de transport, les entreprises qui possèdent un système de gestion de la sécurité doivent démontrer que celui-ci fonctionne bien, c'est-à-dire qu'il permet de cerner les dangers et que des mesures efficaces d'atténuation des risques sont mises en œuvre.

Enfin, si les entreprises ne peuvent pas assurer une gestion de la sécurité efficace, Transports Canada doit non seulement intervenir, mais le faire de façon à changer les pratiques d'exploitation non sécuritaires.

1.18 Renseignements supplémentaires

Durant l'examen de l'épave, on a relevé 2 dangers concernant une interférence potentielle avec les commandes dans le poste de pilotage. L'un des dangers consistait en des câbles de la commande de direction exposés sur le plancher et qui passaient de part et d'autre du siège du pilote. Des objets déposés sur ces câbles pourraient nuire à leur bon fonctionnement. L'autre était créé par le tube de va-et-vient exposé de la commande de profondeur, joint au manche à environ 4 ou 5 pouces au-dessus du plancher, sous le siège du pilote, et parallèle à l'axe longitudinal de l'aéronef. Des objets libres sur le plancher pourraient nuire à ce tube en se coinçant sur sa gauche, ce qui empêcherait le braquage complet à gauche de la commande de roulis.

1.19 Techniques d'enquête utiles ou efficaces

Sans objet.

2.0 Analyse

2.1 Généralités

La présente analyse portera principalement sur les procédures opérationnelles, la surveillance par la direction, et d'autres facteurs sous-jacents qui ont donné lieu à l'accident ou y ont contribué. Elle examinera en outre pourquoi le système de gestion de la sécurité (SGS) de l'exploitant n'a pas corrigé des techniques de décollage risquées qui avaient été cernées préalablement.

2.2 Performance de l'aéronef au décollage et durant un décrochage

Plusieurs situations peuvent perturber l'écoulement de l'air au-dessus des ailes d'un aéronef et provoquer sa séparation sur l'extrados, ce qui contribue à un décrochage. Les caractéristiques de décrochage complet avec moteur de l'AT-802A dans la configuration Fire Boss avec moteur modifié à une puissance équivalente sur arbre de 1600 HP ne sont pas documentées. Toutefois, des essais en vol à puissance partielle en configuration de décollage ont permis d'établir que le décrochage surviendrait à une vitesse de 65 KIAS (vitesse indiquée exprimée en nœuds) accompagné d'un basculement sur la droite. Des calculs ont permis de déterminer que l'anémomètre du T685 aurait dû indiquer 67 nœuds au décollage, mais on peut douter de l'exactitude et de la fiabilité de cet appareil à faible vitesse. L'aéronef a pris son envol, puis a basculé sur la droite. C'est parce qu'il était en basse altitude que le contact du bout de l'aile sur le plan d'eau a empêché l'aéronef de basculer excessivement et de demeurer à la verticale. Cette situation correspond à un décrochage de l'aile du T685 quelques secondes après son envol, ce qui entraînerait une perte de maîtrise et une collision avec le plan d'eau.

L'enquête a permis d'établir 2 scénarios qui, séparément ou ensemble, ont probablement contribué à l'accident : un décrochage de l'aile et (ou) un tourbillon d'extrémité d'aile.

Si l'aéronef avait pris son envol à une vitesse indiquée plus élevée, on aurait pu écarter le premier scénario. Toutefois, étant donné la faible vitesse indiquée à l'envol et la possibilité de dépassement de l'angle d'attaque critique, on doit retenir le premier scénario comme cause potentielle.

Un aéronef monomoteur peut prendre son envol uniquement par sa puissance (souffle de l'hélice) et sa capacité de tangage, en deçà de la vitesse de décrochage sans moteur publiée. Toutefois, les parties extérieures des ailes pourraient être en état de décrochage tant que l'aéronef n'excède pas la vitesse de décrochage sans moteur. Cette pratique est un bon exemple d'acceptation de risques pourtant évitables. En effet, il suffirait de quelques secondes pour accélérer au-delà de la vitesse de décrochage sans moteur publiée et ainsi réduire au minimum ces risques. Tous les pilotes avaient reçu la formation sur le décrochage en altitude, mais certains n'avaient pas considéré le risque (la probabilité ou les conséquences) d'un décrochage au décollage, malgré les plaquettes dans le poste de pilotage. Par conséquent, les pilotes de Fire Boss de la compagnie ne reconnaissaient pas ou ne comprenaient pas tous les problèmes de la dynamique de décrochage au décollage de la même façon.

Les procédures d'utilisation normalisées (SOP) du Fire Boss indiquent une vitesse d'envol précise pour le décollage sur piste, mais pas pour le décollage depuis un plan d'eau. Selon la procédure de décollage depuis un plan d'eau dans les SOP de la compagnie, il est normal de ressentir un tremblement au moment de l'envol. Des essais en vol ont montré que l'avertisseur de décrochage vibre à 75 KIAS et que l'on ressent des tremblements à 65 KIAS, à peu près au même moment qu'un décrochage de l'aile à puissance partielle. L'anémomètre est reconnu comme étant peu fiable à la vitesse de décrochage ou autour de celle-ci, et l'aéronef n'était pas muni d'un indicateur d'angle d'attaque.

Ces facteurs montrent qu'à des vitesses inférieures à 75 KIAS, l'avertisseur de décrochage est la dernière défense, et le pilote risque de perdre soudainement la maîtrise de l'aéronef sans autre avertissement à cause d'un décrochage complet au moteur.

Comme le montre l'événement à l'étude, les pilotes exploitaient la puissance moteur et la capacité de tangage pour que l'aéronef lourd prenne son envol à une vitesse relativement faible. Les procédures de décollage normalisées de l'exploitant n'indiquaient aucune vitesse de décollage pour les manœuvres d'écopage. Prendre l'envol à une vitesse inférieure à la vitesse de décrochage sans moteur publiée a entraîné une perte de maîtrise à une altitude qui ne permettait aucun rétablissement. Si les procédures de décollage n'indiquent pas de vitesse d'envol précise, les pilotes risquent d'exploiter la puissance moteur et la capacité de tangage pour prendre leur envol en deçà de la vitesse de décrochage publiée et de subir ainsi une perte de maîtrise à une altitude qui ne permet aucun rétablissement.

Cette pratique de décollage perdurait depuis des années. Elle a probablement souvent exposé les pilotes au risque de perte de maîtrise attribuable à un décrochage avec moteur durant les quelque 100 000 écopages que la compagnie estime avoir réalisés. Compte tenu du fait qu'aucune conséquence négative n'avait auparavant été signalée, et que des pilotes ne pouvaient distinguer un tremblement avertisseur de décrochage d'un tourbillon d'extrémité d'aile, il est probable que ces tremblements aient été mal interprétés et attribués à un tourbillon d'extrémité d'aile typique. Dans un décollage lourd, à vitesse inférieure à la vitesse de décrochage publiée et à un angle d'attaque prononcé, sans aucune autre défense, une petite erreur de la directive en tangage aurait pu entraîner un dépassement de l'angle d'attaque critique et un décrochage complet de l'aile.

Dans le deuxième scénario, l'aéronef aurait pu croiser des tourbillons d'extrémité d'aile. Ce phénomène est toujours présent derrière un aéronef en vol, et les pilotes de Fire Boss le connaissent bien, car ils travaillent habituellement en formation. Ces tourbillons sont imprévisibles, et les vents légers et variables qui soufflaient sur le lac étaient en fait des conditions idéales pour que ces tourbillons persistent sur le plan d'eau. Étant donné la position du T685 derrière l'aéronef de tête et à droite de celui-ci, il est peu probable que le T685 ait croisé le tourbillon d'extrémité de l'aile gauche de l'aéronef de tête. Par contre, il se peut que le T685 ait dépassé le tourbillon d'extrémité de l'aile droite de l'aéronef de tête au point d'envol de ce dernier ou plus loin. L'aile droite de l'aéronef de tête a produit un tourbillon d'extrémité d'aile en rotation antihoraire. L'aile droite du T685 pourrait avoir croisé le courant d'air descendant ou l'aile gauche le courant d'air ascendant du tourbillon en rotation antihoraire créé par l'aile droite de l'aéronef de tête. Le basculement sur la droite en résultant aurait, à son tour, entraîné le bout de l'aile droite à percuter le plan d'eau.

Il y avait donc des facteurs qui rendaient l'aéronef sujet au décrochage de l'aile dans l'air calme ou au croisement d'un tourbillon d'extrémité d'aile produit par l'aéronef de tête. Par conséquent, il y a eu décrochage de l'aile, soit indépendamment d'un tourbillon d'extrémité d'aile produit par l'aéronef de tête, soit jumelé à celui-ci. Cet état a entraîné une perte de maîtrise peu après l'envol; l'extrémité de l'aile droite a percuté le plan d'eau et a causé le tête-à-queue sur l'eau.

L'état au décollage, alors que l'aéronef est lourd, que sa vitesse est inférieure à la vitesse de décrochage sans moteur publiée, et que l'angle d'attaque est prononcé, a contribué à la perte de maîtrise.

2.3 Esprit de concurrence et surveillance de l'équipe

Conair et ses pilotes voulaient découvrir les capacités et les limites de l'aéronef et sa valeur comme avion-citerne monomoteur pour les opérations de lutte contre les incendies. Pendant un certain temps après l'augmentation de puissance (1600 HP sur arbre aux termes du certificat de type supplémentaire [CTS] en 2008), ils ont utilisé les Fire Boss d'une manière qui leur permettrait de le faire.

Depuis, les attitudes et pratiques au sein de la compagnie ont évolué. En 2013, la direction croyait que ses efforts pour encourager la conformité aux procédures, aux politiques et à la culture de sécurité de la compagnie avaient porté leurs fruits et que les bases et les opérations des Fire Boss répondaient aux attentes. Toutefois, dans le cadre des opérations de la saison des incendies de 2014 en Colombie-Britannique, ces anciens comportements et anciennes pratiques ont refait surface. La direction a découvert ces problèmes de façon informelle et ne les a pas consignés dans les dossiers SGS. Elle a aussi appris que des différences en matière de tolérance au risque et de non-conformité aux procédures donnaient lieu à des conflits au sein du groupe. Il se peut que la volonté de dépasser les attentes du client ait contribué par inadvertance à l'esprit de concurrence qui s'est emparé de certains pilotes. Pour enrayer ces pratiques, le directeur, Opérations aériennes et le chef pilote ont commencé par visiter les bases pour encadrer les pilotes. Toutefois, il ne s'agissait pas d'une stratégie d'atténuation permanente. Compte tenu de l'insuffisance de la supervision par la direction, l'absence de mention d'une vitesse de décollage précise dans les SOP et l'influence du client pourraient avoir contribué à la façon dont certains pilotes utilisaient l'aéronef.

2.4 Gestion de la sécurité

La mise en œuvre de pratiques concrètes de gestion de la sécurité est un projet à long terme qui exige un engagement soutenu de la haute direction et l'affectation de ressources suffisantes. Durant les premières années d'utilisation des Fire Boss, la compagnie avait rédigé des procédures qui traitaient des conditions dangereuses vécues aux commandes des Fire Boss et d'autres types d'aéronefs. Les processus formels d'identification des dangers et de gestion du risque de Conair n'étaient pas très développés à l'époque, ce pourquoi aucun examen systématique et documenté des dangers et risques n'a été fait. Les SOP décrivaient une technique opérationnelle de décollage qui ne s'appuyait pas sur une analyse proactive des dangers et risques de la performance de l'aéronef durant un décrochage. L'utilisation d'une procédure qui comprenait un risque de décrochage à faible vitesse a contribué à l'accident.

Par la formation qu'ils avaient reçue, les pilotes étaient sensibilisés aux dangers comme le décrochage avec moteur. Or, ni cette formation, ni les plaquettes, ni même la supervision par la compagnie n'ont empêché les pilotes d'utiliser les aéronefs en deçà des limites de vitesse indiquée publiées. La compagnie estime avoir réalisé 100 000 manœuvres d'écopage avec des Fire Boss au fil des ans et elle a manifesté ses bonnes intentions et des efforts pour cerner les dangers et atténuer les risques de façon proactive. Pourtant, le registre des dangers de la compagnie ne contenait aucune inscription sur les dangers au décollage ou durant d'autres phases de vol des Fire Boss. La formation couvrait la turbulence de sillage et les procédures officieuses pour l'éviter; toutefois, elle ne comprenait aucune documentation sur le fait que les pilotes de Fire Boss étaient exposés à des tourbillons d'extrémité d'aile plusieurs fois par jour.

L'avantage de la documentation est qu'elle consiste en une référence pour étayer les décisions et les mesures prises. Les processus d'assurance de la qualité et de suivi peuvent alors servir à déterminer si les changements ont atteint l'objectif souhaité et en assureront la durabilité. Le processus informel a mené à certains changements avantageux qui, dès 2013, avaient permis à la direction de croire que ses efforts pour promouvoir ses procédures, ses politiques et une culture de sécurité portaient leurs fruits. Toutefois, l'ignorance de la direction de la réapparition de pratiques et de conditions dangereuses dans son groupe de la Colombie-Britannique durant la saison des incendies de 2014 révèle une faille dans ce processus.

Les processus proactifs de gestion de la sécurité étaient les plus difficiles à mettre en œuvre (c.-à-d. le signalement des préoccupations de sécurité sur des événements potentiels). Les pilotes étaient déterminés à adhérer au SGS, mais ne signalaient pas toujours les problèmes de façon proactive. Il incombe à la direction d'encourager le signalement proactif des questions de sécurité. Or, cette dernière a omis de le faire à cause d'une charge de travail excessive. Privée de cette source d'information, la direction ne pouvait, par une simple surveillance, évaluer efficacement les risques.

Malgré un SGS et des processus en place, la structure organisationnelle en sous-effectif durant des changements organisationnels a probablement donné lieu à une surcharge de travail chez les gestionnaires en place. La direction avait réalisé des évaluations du risque en 2012 et les résultats indiquaient que le nombre limité de hauts dirigeants pourrait accroître leur charge de travail et le risque que d'importantes activités de sécurité soient omises. Cette situation s'est confirmée, et les gestionnaires devaient continuellement redéfinir les priorités de leur charge de travail. Ainsi, l'exploitant a omis d'atténuer des risques dans les SOP au moyen de son SGS, et on a continué d'utiliser les aéronefs en deçà des limites de vitesse indiquée. Si les organisations ne maintiennent pas les ressources de gestion nécessaires pour superviser des pratiques de sécurité judicieuses, les efforts à long terme peuvent s'effriter, et les risques liés à des pratiques dangereuses peuvent persister dans les opérations aériennes.

La procédure de décollage du pilote était conforme aux procédures de la compagnie, mais ces dernières comprenaient des éléments de risque qui exposaient le pilote et l'aéronef au danger d'un décrochage avec moteur. La procédure de décollage n'avait pas fait l'objet d'une évaluation du risque en bonne et due forme. Les pilotes de ce type d'aéronef, qu'ils soient nouvellement embauchés ou bien chevronnés, pourraient ignorer les enjeux de sécurité critiques pouvant être uniques à chaque modèle d'aéronef dans une catégorie restreinte. Il se peut qu'à cause d'erreurs de manœuvre, les tremblements annonciateurs d'un prédécrochage, qui étaient courants pendant des années, aient été mal interprétés et attribués erronément à d'autres causes comme la turbulence de sillage, la turbulence mécanique ou des rafales. Si l'on utilise l'aéronef à l'extérieur des caractéristiques d'utilisation établies, il y a un risque que les pilotes soient exposés à une performance de l'aéronef pour laquelle ils ne sont pas préparés.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Il y a eu décrochage de l'aile, soit indépendamment d'un tourbillon d'extrémité d'aile produit par l'aéronef de tête, soit jumelé à celui-ci. Cet état a entraîné une perte de maîtrise peu après l'envol; l'extrémité de l'aile droite a percuté le plan d'eau et a causé le tête-à-queue sur l'eau.
  2. Les procédures de décollage normalisées de l'exploitant n'indiquaient aucune vitesse de décollage pour les manœuvres d'écopage. Prendre l'envol à une vitesse inférieure à la vitesse de décrochage sans moteur publiée a entraîné une perte de maîtrise à une altitude qui ne permettait aucun rétablissement.
  3. L'état au décollage, alors que l'aéronef est lourd, que sa vitesse est inférieure à la vitesse de décrochage sans moteur publiée, et que l'angle d'attaque est prononcé, a contribué à la perte de maîtrise.
  4. Une structure organisationnelle en sous-effectif durant des changements organisationnels a probablement donné lieu à une surcharge de travail chez les gestionnaires en place. Ainsi, l'exploitant a omis d'atténuer des risques dans les procédures d'utilisation normalisées au moyen de son système de gestion de la sécurité, et on a continué d'utiliser les aéronefs en deçà des limites de vitesse indiquée.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. Si les procédures de décollage n'indiquent pas de vitesse d'envol précise, les pilotes risquent d'exploiter la puissance moteur et la capacité de tangage pour prendre leur envol en deçà de la vitesse de décrochage publiée et de subir ainsi une perte de maîtrise à une altitude qui ne permet aucun rétablissement.
  2. Si l'on utilise l'aéronef à l'extérieur des caractéristiques d'utilisation établies, il y a un risque que les pilotes soient exposés à une performance de l'aéronef pour laquelle ils ne sont pas préparés.
  3. Si les organisations ne maintiennent pas les ressources de gestion nécessaires pour superviser des pratiques de sécurité judicieuses, les efforts à long terme peuvent s'effriter, et les risques liés à des pratiques dangereuses peuvent persister dans les opérations aériennes.

3.3 Autres faits établis

  1. Des objets déposés sur les câbles de la commande de direction exposés sur le plancher, passant de part et d'autre du siège du pilote, pourraient nuire au fonctionnement de ces câbles.
  2. Des objets libres sur le plancher pourraient nuire au fonctionnement du tube de va-et-vient exposé de la commande de profondeur, sous le siège du pilote.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

Conair a embauché un gestionnaire de la sécurité et un pilote vérificateur de la compagnie pour sa flotte de Fire Boss avant le début de l'entraînement printanier 2015.

Conair a proposé un plan d'atténuation des risques pour 2015–2016 pour la flotte d'AT-802 de la compagnie. Ce plan aborde les enjeux mentionnés dans le présent rapport, ainsi qu'un problème signalé à l'interne :

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement.Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

Annexes

Annexe A – Organigramme de Conair

Février 2010

[traduction]

Annexe A. Organigramme de Conair - Février 2010
Organigramme de Conair - Février 2010

Janvier 2014

[traduction]

Annexe A. Annexe A – Organigramme de Conair - Janvier 2014
Annexe A – Organigramme de Conair - Janvier 2014