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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A18W0054

Perte de puissance moteur et atterrissage forcé
Super T Aviation
Piper PA-31-350 Navajo Chieftain (C-FCWW)
Calgary (Alberta)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Déroulement du vol

À 4 h 44Note de bas de page 1, le 25 avril 2018, le Piper PA-31-350 Navajo Chieftain (immatriculé C-FCWW, numéro de série 31-8152192) exploité par Super T Aviation a décollé de l'aéroport de Medicine Hat (CYXH) (Alberta), pour effectuer un vol nolisé régulier selon un plan de vol aux instruments (IFR) à destination de l'aéroport international de Calgary (CYYC) (Alberta). L'aéronef avait à son bord 2 membres d'équipage de conduite et 4 passagers. L'aéronef avait été avitaillé avec 50,1 gallons américains d'essence aviation (AVGAS) 100LL, et le plan de vol exploitation indiquait une charge définitive de carburant de 144 gallons américains (864 livres)Note de bas de page 2. Ainsi, les réservoirs de carburant intérieurs étaient pleins (56 gallons américains chacun), et les réservoirs extérieurs étaient remplis approximativement au tiers (16 gallons américains chacun).

Après le départ, l'aéronef est monté à une altitude de croisière de 8000 pieds au-dessus du niveau de la mer. L'équipage de conduite a exécuté la liste de vérification de croisière, qui comprenait le réglage des sélecteurs de réservoirs, des réservoirs de carburant intérieurs jusqu'aux réservoirs extérieurs.

Une descente a été amorcée à 5 h 35, lorsque l'aéronef se trouvait à quelque 20 milles marins au sud-est du seuil de la piste 35R à CYYC. Avant la descente, l'équipage de conduite avait exécuté la listede vérification de descente normale. À 5 h 36, le contrôleur des arrivées a offert à l'équipage de conduite la possibilité d'atterrir sur la piste 35L, que l'équipage a acceptée. À 5 h 38, alors que l'aéronef se trouvait à environ 12 milles marins au sud de la piste 35R, le moteur droit a commencé à faire des sautes de régime. La commandante de bord a alors demandé au premier officier d'exécuter la liste de vérification de panne moteur en volNote de bas de page 3. Les éléments figurant dans la liste de vérification ont été vérifiés, à l'exception de la recherche de la cause et de la mise en drapeau de l'hélice. La vérification de la cause prescrit à l'équipage de conduite de vérifier le débit carburant, la quantité de carburant, la position du sélecteur de réservoir, la pression et la température d'huile, et les commutateurs de magnétoNote de bas de page 4.

Peu de temps après, l'équipage de conduite a communiqué avec le contrôleur des arrivées et a demandé l'autorisation d'atterrir sur la piste 35R, étant donné que la trajectoire de vol était plus directe. Le contrôleur des arrivées a autorisé l'aéronef à effectuer une approche visuelle de la piste 35R. À 5 h 39, l'équipage de conduite a communiqué avec le contrôleur des arrivées pour l'informer de la défaillance de la pompe carburant droite. Le contrôleur des arrivées a demandé à l'équipage de conduite s'il voulait que le service de sauvetage et de lutte contre les incendies d'aéronefs se tienne prêt; l'équipage de conduite a décliné l'offre. Vers 5 h 40, le moteur gauche a commencé à faire des sautes de régime.

À 5 h 42, le contrôleur tour a pris en charge l'aéronef. Quelques instants plus tard, l'équipage de conduite a transmis un appel de détresse Mayday. Le contrôleur tour a autorisé l'aéronef à atterrir sur la piste 35R et a informé l'équipage de conduite que les services de sauvetage et de lutte contre les incendies d'aéronefs se tenaient prêts. Constatant que l'aéronef n'atteindrait pas l'aéroport, l'équipage de conduite a choisi une route convenable (36e Rue N.-E.) pour effectuer un atterrissage d'urgence.

À 5 h 43, l'équipage de conduite a lancé un second appel de détresse Mayday pour informer le contrôleur tour qu'il allait poser l'aéronef sur une route, puisqu'il n'atteindrait pas l'aéroport.

L'aéronef s'est posé sur la 36e Rue N.-E. en direction nord, juste au nord de l'intersection avec la promenade Marlborough N.-E. Peu de temps après le poser, l'aile droite de l'aéronef a percuté un lampadaire du côté droit de la route, arrachant du coup 4 pieds de l'extrémité de l'aile. L'aéronef a poursuivi sa course vers le nord, a franchi l'intersection de la promenade Marbank N.-E. avant de s'immobiliser juste au sud de la bretelle d'accès de la 16e Avenue N.-E. en direction est, qui fait partie de la route Transcanadienne (figure 1).

Figure 1. L'aéronef en cause, immobilisé sur la 36e Rue N.-E., à Calgary (Alberta)
L'aéronef en cause, immobilisé sur la 36e Rue N.-E., à Calgary (Alberta)

Après que l'aéronef se fut immobilisé, les passagers ont ouvert la porte de la cabine principale et, accompagnés du premier officier, ont évacué l'aéronef avant de se diriger vers le côté est de la chaussée, à l'écart de l'aéronef. Quelques instants plus tard, la commandante de bord a elle aussi évacué l'aéronef. Les passagers et l'équipage de conduite se sont regroupés sur le bord de la chaussée pour y attendre l'arrivée des services d'urgence. Aucune personne au sol, aucun passager et aucun membre d'équipage n'a été blessé. La radiobalise de repérage d'urgence ne s'est pas déclenchée.

Liste de vérification

Super T Aviation a élaboré des procédures d'utilisation normalisées (SOP) qui contiennent une liste de vérification des procédures normales pour le PA-31-350. On a comparé cette liste de vérification à celle du manuel Pilots Operating Handbook (POH) (manuel d'utilisation aéronef)Note de bas de page 5, que publie l'avionneur. L'enquête a permis de constater des différences entre les 2 documents. Notamment, la liste de vérification de descente dans le POH comprend une étape pour vérifier que les sélecteurs de réservoirs sont à la position « inboard » [intérieur]. Or, la liste de vérification des procédures normales de descente de l'exploitant aérien ne comprend pas cet élément. Plutôt, l'étape permettant de vérifier que les sélecteurs de réservoirs sont à la position « intérieur » fait partie de la liste de vérification avant atterrissage.

Le POH de l'avionneur comprend une mise en garde entre les procédures avant décollage et les procédures normales de décollage qui stipule, en partie, que [traduction] « Les réservoirs extérieurs servent uniquement au vol coordonné en palier et ne doivent jamais être utilisés pour le décollageNote de bas de page 6 ».

Dans la description du vol en croisière, le POH contient l'énoncé suivant [traduction] : « L'utilisation des réservoirs extérieurs durant les montées, les descentes ou le vol coordonné en palier prolongé pourrait entraîner une perte de puissance, malgré une quantité appréciable de carburant dans les réservoirsNote de bas de page 7 ». Ni l'un ni l'autre de ces énoncés ne figure dans la liste de vérification des procédures normales de Super T Aviation.

Manuel de référence rapide

D'après les SOP de Super T Aviation pour le Piper Navajo [traduction] :

Les présentes SOP suivent le modèle des SOP d'usage courant pour des aéronefs plus gros. Comme Super T Aviation est principalement une entreprise au niveau d'entrée de l'industrie, la complexité des SOP se veut une introduction et un outil d'apprentissage au type de SOP que les employés de Super T pourraient trouver dans des entreprises qui exploitent de plus gros aéronefsNote de bas de page 8.

Le manuel de référence rapide (QRH) fait partie du document SOP (chapitre 10). On a comparé le format et la mise en page du QRH à ceux d'autres manuels de ce type couramment utilisés dans le secteur. On a pu faire les observations suivantes :

Procédure d'utilisation normalisée de gestion du carburant à Super T Aviation

Les SOP de l'exploitant aérien ne comprennent aucun renseignement d'orientation relativement à la surveillance et à la gestion du carburant, et l'enquête a établi que la commandante de bord et le premier officier employaient des méthodes différentes pour gérer et surveiller la consommation de carburant durant le vol. La commandante de bord consultait le système mondial de positionnement pour navigation satellite (GPS), qui fournit des données de base pour la planification de carburant en fonction d'une quantité de carburant et d'un taux de consommation déterminés par l'utilisateur. Le GPS ne permet aucune saisie de données relatives à la consommation réelle de carburant et à la quantité réelle de carburant à bord de l'aéronef à un moment précis, ou encore dans quel réservoir. En outre, la commandante de bord se fiait à sa mémoire pour déterminer la quantité de carburant à bord et dans quel réservoir il se trouvait, ainsi que pour décider quand changer de réservoir.

Le premier officier, quant à lui, appauvrissait le mélange de carburant des moteursNote de bas de page 9 à 22 gallons par heure (par moteur) au moyen du débitmètre de carburant numérique et incorporait une observation des indicateurs de quantité carburant dans son balayage visuel normal des instruments.

Les membres d'équipage de conduite n'ont pas discuté de stratégies de gestion du carburant durant l'exposé avant vol.

Aéronef

Le circuit carburant du Navajo Chieftain comprend des réservoirs de carburant, des pompes carburant entraînées par les moteurs et d'appoint, des pompes de suralimentation carburant, des vannes de commande, des filtres carburant, des manomètres et débitmètres de carburant, des purgeurs carburant, et des mises à l'air libre antigivrage NACANote de bas de page 10 de réservoir carburant.

Le carburant est stocké dans des réservoirs carburant souples (2 dans chaque aile). Les réservoirs extérieurs contiennent chacun 40 gallons américains de carburant, tandis que les réservoirs intérieurs ont une capacité de 56 gallons américains chacun, pour un total de 192 gallons. De cette quantité, 182 gallons américains sont utilisables. Les commandes de gestion du carburant se trouvent sur le panneau carburant, au pied du pylône de commande, et comprennent les sélecteurs de réservoir carburant, les robinets coupe-feu et les robinets d'intercommunication carburant. Durant l'exploitation normale, chaque moteur est alimenté en carburant par son circuit respectif. Les commandes carburant du côté droit du pylône commandent l'alimentation du moteur droit par le carburant dans les réservoirs de droite, et celles du côté gauche commandent l'alimentation du moteur gauche par le carburant dans les réservoirs de gauche.

Deux indicateurs de quantité de carburant électriques sont installés dans le tableau supérieur. L'indicateur de quantité carburant de droite indique la quantité de carburant dans le réservoir de droite (intérieur ou extérieur) et celui de gauche indique la quantité de carburant dans le réservoir de gauche (intérieur ou extérieur). Les indicateurs de quantité carburant sont raccordés électriquement à des microrupteurs installés dans la console de sélecteurs de réservoirs carburant. Quand on sélectionne un réservoir de carburant, son niveau de carburant s'affiche.

L'aéronef compte 2 (gauche et droite) voyants rouges « FUEL BOOST INOP » montés dans un panneau annonciateur installé dans la partie supérieure du tableau de bord central. Ces voyants d'alarme s'allument lorsque la pression de suralimentation carburant diminue sous la barre des 3 lb/po². Il y a également 2 (gauche et droite) pompes à carburant d'appoint électriques, en cas de défaillance d'une pompe à carburant entraînée par le moteur. Ces pompes sont commandées par des interrupteurs qui se trouvent dans le tableau supérieur, situé au-dessus du siège droit dans le poste de pilotage; on peut les utiliser en tout temps.

Renseignements météorologiques

Le message d'observation météorologique régulière pour l'aviation (METAR) diffusé à 6 h pour CYYB faisait état des conditions suivantes :

On a jugé que les conditions météorologiques n'avaient pas contribué à l'événement à l'étude.

Renseignements sur le personnel

Les dossiers indiquent que la commandante de bord et le premier officier possédaient les licences et les qualifications nécessaires au vol en vertu de la réglementation en vigueur. La commandante de bord était titulaire d'une licence de pilote de ligne – avion, d'une qualification d'instructeur de vol – avion de classe 1, d'une qualification pour le vol aux instruments de groupe 1, d'une licence de pilote de planeur, et d'un certificat médical de catégorie 1 valides au moment de l'événement. La commandante de bord avait à son actif plus de 9500 heures de vol au total, dont 250 heures sur type. De plus, elle détenait la qualification de type sur le Cessna 501 et le de Havilland DHC-8.

La commandante de bord était au service de Super T Aviation depuis mars 2016, et son plus récent contrôle de compétence pilote pour commandant de bord sur le PA-31 datait du 27 mars 2018. L'examen de l'horaire de travail et de repos de la commandante de bord a permis d'écarter la fatigue comme facteur contributif à cet accident.

Le premier officier était titulaire d'une licence de pilote professionnel – avion et de qualifications pour multimoteur et pour le vol aux instruments de groupe 1 valides au moment de l'événement. Il détenait en outre une qualification d'instructeur de classe 3 et un certificat médical de catégorie 1 valides. Le premier officier avait accumulé environ 948 heures de vol au total, dont 23 heures sur type.

Le premier officier était au service de Super T Aviation depuis mai 2017, et son plus récent contrôle de compétence pilote pour premier officier sur le PA-31 datait du 23 mars 2018. L'examen de l'horaire de travail et de repos du premier officier a permis d'écarter la fatigue comme facteur contributif à cet accident.

Examen de l'aéronef

L'aéronef a été remorqué à l'aéroport et garé dans un hangar en vue d'un examen postaccident.

On a alimenté en électricité les circuits de l'aéronef à partir de la batterie, et noté les quantités indiquées par les indicateurs de quantité carburant. Les indicateurs des réservoirs carburant intérieurs de gauche et de droite montraient que les 2 réservoirs étaient pleins environ aux trois quarts. Cela correspond à une quantité utilisable de carburant d'environ 40 gallons américains dans chacun des réservoirs.

Quand on a déplacé les sélecteurs de réservoir carburant en position extérieur, les indicateurs montraient que le réservoir gauche était vide, et que le réservoir de droite était plein – en fait, l'aiguille dépassait le repère maximum. On pouvait voir par l'orifice de remplissage des dommages mécaniques au dispositif de transmission de quantité de carburant du réservoir extérieur. On a purgé le carburant des réservoirs carburant extérieurs. Le réservoir de carburant extérieur de gauche contenait 0,09 gallon américain, et celui de droite, 0,05 gallon américain. D'après le POH, la quantité de carburant inutilisable dans les réservoirs carburant extérieurs est de 2 gallons américains par réservoir.

On a retiré les carénages d'emplanture d'aile pour faciliter l'inspection visuelle des principaux composants du circuit carburant. On a vérifié la continuité des commandes et le fonctionnement des 2 vannes coupe-feu, des vannes de sélecteurs de réservoir carburant, et des vannes d'intercommunication carburant. Toutes fonctionnaient de la manière prévue. On a fait une inspection visuelle et opérationnelle des 2 pompes de suralimentation carburant et des 2 pompes d'appoint. Aucune anomalie n'a été relevée. On a également fait une inspection visuelle et opérationnelle des commandes des 2 moteurs pour confirmer leur déplacement libre et leur amplitude de mouvement. Aucune anomalie n'a été relevée.

On a réalisé une course au sol des moteurs. Les 2 moteurs ont atteint une pression d'admission de 25 pouces et un régime de 2500 tr/min. On a établi que la performance du circuit carburant et des moteurs de l'aéronef était nominale, c'est-à-dire que les moteurs ne présentaient aucun problème mécanique qui les aurait empêchés de propulser l'aéronef. Étant donné l'absence de carburant dans les réservoirs extérieurs, on a sélectionné les réservoirs intérieurs pour effectuer la course au sol.

Messages de sécurité

Comme le montre cet événement, en l'absence de SOP pour la gestion du carburant, une panne d'alimentation carburant peut se produire, même s'il reste assez de carburant dans les réservoirs pour effectuer le vol prévu. De plus, si les équipages de conduite n'exécutent pas chaque étape des procédures de la liste de vérification, ils risquent d'être incapables de corriger des situations d'urgence. Toutefois, dans l'événement en cause, lorsque l'équipage de conduite a constaté que l'aéronef ne pourrait gagner l'aéroport, son établissement des priorités pour sélectionner une zone d'atterrissage convenable et gérer le régime de l'aéronef lui a permis de réussir l'atterrissage d'urgence.

Mesures de sécurité prises

À la suite de cet événement, Super T Aviation a apporté plusieurs modifications aux SOP, au QRH et à la liste de vérification des procédures normales pour le Piper Navajo, et les a présentées à Transports Canada. Ces changements comprennent :

De plus, le plan de formation pour nouveaux membres d'équipage de conduite ainsi que le plan d'intervention d'urgence de la compagnie ont été modifiés, et la compagnie a organisé un cours sur la gestion de la fatigue et les facteurs humains qui sera donné par un fournisseur du secteur.

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été officiellement publié le .