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Rapport d'enquête maritime M05C0033

Abordage entre le navire-citerne Jo Spirit
et le vraquier Orla
sur le canal de la Rive Sud de la
Voie maritime du Saint-Laurent (Québec)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

À 22 h 43, heure avancée de l'Est, le 19 juillet 2005, de nuit et par beau temps, le navire remontant Jo Spirit et le navire descendant Orla se sont abordés près du point milliaire 16 sur le canal de la Rive Sud de la Voie maritime du Saint-Laurent.

L'abordage s'est produit presque à mi-chenal à une vitesse combinée de quelque 6 nœuds. Les deux navires ont subi des avaries sur leur partie avant, mais l'événement n'a fait aucun blessé, et il n'y a eu aucune pollution.

Renseignements de base

Fiches techniques des navires

Nom du navire Jo Spirit Orla
Numéro OMI 9140841 9154270
Port d'immatriculation Bergen Valletta
Pavillon Norvège Malte
Type Navire-citerne Vraquier - Cargo polyvalent
Jauge brute 4425 11 848
LongueurNote de bas de page 1 107,4 m 149,5 m
Tirant d'eau Avant : 6,15 m Arrière : 6,45 m Avant : 8,00 m Arrière : 7,99 m
Construction 1996 1999
Propulsion Un moteur diesel B&W développant 3570 kW, entraînant une hélice à pas variable Un moteur diesel B&W développant 4710 kW, entraînant une hélice à pas fixe
Cargaison Rhum en vrac Blé
Équipage 16 personnes 19 personnes
Armateur enregistré Jo Tankers AS, Bergen, Norvège Polish Steamship Company, Szczacin, Pologne

Renseignements sur les navires

Le Orla

Le Orla est un vraquier traditionnel de construction récente muni d'apparaux de manutention dont la salle des machines et les emménagements sont situés à l'arrière.

Photo 1. Le Orla
Le Orla

Le Jo Spirit

Le Jo Spirit est un navire-citerne dont la salle des machines et les emménagements sont situés à l'arrière. Les allures du navire vers l'avant ou vers l'arrière sont actionnées à partir de la timonerie à l'aide d'une commande d'hélice à pas variable. La commande d'hélice à pas variable était légèrement décalée de sorte que lorsque le levier était mis à zéro, le navire avait de l'erre en avant et continuait sur son erre à une vitesse estimée entre 1 et 3 nœuds. Le navire est aussi doté d'un propulseur d'étrave.

Photo 2. Le Jo Spirit
Le Jo Spirit

Déroulement du voyage

Vers 19 h 55, heure avancée de l'Est (HAE)Note de bas de page 2, le 19 juillet 2005, un pilote monte à bord du Jo Spirit à l'écluse de Saint-Lambert (Québec), l'écluse no 1 de la Voie maritime du Saint-Laurent, pour assurer la conduite du navire vers l'amont sur le canal de la Rive Sud. Selon l'information recueillie, la visibilité est très bonne avec une légère brise. À 21 h 43, le navire sort de l'écluse de Côte Sainte-Catherine (l'écluse no 2 de la Voie maritime), et le capitaine quitte la passerelle. Le pilote, l'officier de quart (OQ) et le timonier continuent d'assurer la navigation du navire qui remonte le chenal en direction sud-ouest.

À 22 h 20, le pilote à bord du navire Orla qui descend le chenal en direction nord-est signale qu'il vient de doubler l'île Saint-Nicolas. Le contrôleur de trafic de Beauharnois (Voie maritime) informe le pilote du Orla que le Jo Spirit remonte le chenal et qu'il est en train de passer sous le pont du CPR (qui est le pont du Chemin de fer Canadien Pacifique).

À 22 h 37, les pilotes des deux navires communiquent sur la voie de communication VHF du contrôle du trafic maritime. La communication est de nature personnelle et ne concerne pas la rencontre imminente des navires. À ce moment-là, le Jo Spirit est engagé dans le dernier coude vers l'amont du canal de la Rive Sud, à quelque 1 mille marin (nm) en amont du pont du CPR. Le Orla navigue au milieu du chenal au 068,5° vrais(T), à l'entrée ouest du canal de la Rive Sud.

Peu après que le navire a franchi le dernier coude vers l'amont du canal de la Rive Sud, il appert au pilote du Jo Spirit que le Orla occupe légèrement le côté nord du chenal où il assure la conduite du navire-citerne. Par conséquent, pour donner un peu plus d'espace de manœuvre pour la rencontre des navires, le pilote du Jo Spirit décide de diriger le Jo Spirit plus près de la berge nord, mais il ne communique pas ses intentions au pilote du Orla ni au personnel navigant du Jo Spirit. Une fois satisfait de la position du navire dans le chenal, le pilote donne l'ordre au timonier de gouverner au 248° gyros(G). Le timonier exécute l'ordre mais constate qu'il doit régulièrement mettre la barre de 5 à 10° à droite pour que le navire puisse maintenir le cap. L'OQ se tient alors debout près du timonier et vérifie les actions de ce dernier.

Entre 22 h 39 et 22 h 40, on doit mettre la barre à droite à plus de 10° pour maintenir le cap. À 22 h 41, on doit mettre la barre à droite de 20 à 30° pour gouverner au 248 (G)Note de bas de page 3. Pendant cette période, le pilote jette un coup d'œil de temps à autre sur l'indicateur d'angle de barre, mais il n'y a aucun échange d'information entre les membres de l'équipe à la passerelle. Pendant que le Jo Spirit fait route le long de la berge du chenal, le pilote réduit progressivement le pas de l'hélice pour ralentir le navire avant la rencontre. Depuis qu'il a franchi le dernier coude vers l'amont à une vitesse de 7,6 nœudsNote de bas de page 4, le navire ne file plus que 5,7 nœuds.

Des renseignements contradictoires ont été recueillis quant aux ordres de barre qui ont été donnés vers 22 h 42. Le personnel navigant du Jo Spirit soutient que le pilote a ordonné de mettre la barre à zéro, mais le pilote ne se souvient pas d'avoir donné un tel ordre. La barre a néanmoins été mise à zéro (voir l'annexe A), et le navire a immédiatement commencé une embardée sur bâbord. La barre a été mise à droite toute, mais le navire a poursuivi son embardée sur bâbord. Selon l'information recueillie, le pilote a demandé que le propulseur d'étrave soit actionné vers tribord mais cet ordre n'a pas été exécuté.

L'équipe à la passerelle du Orla se compose d'un pilote, du capitaine, de l'OQ et d'un timonier. Le transmetteur d'ordres est sur en avant très lente et on croit que le navire est au milieu du chenal. La conduite du navire est assurée par le pilote qui donne des caps à gouverner au timonier. En voyant le Jo Spirit faire une embardée vers le milieu du chenal, le pilote donne l'ordre de mettre la barre à droite, puis juste avant l'abordage, il ordonne de mettre la barre à gauche toute afin de minimiser l'angle d'impact, puis la machine principale est stoppée.

Vers 22 h 43, le Jo Spirit entre en contact avec le Orla, cap au 232°(G), par 45°24′43″N et 073°42′21″W, à environ 0,51 nm en amont du point milliaire 16 du canal de la Rive Sud (voir la Figure 1).

Figure 1. Voie maritime du Saint-Laurent, canal de la Rive Sud, au large de Kahnawake (Québec)
Voie maritime du Saint-Laurent, canal de la Rive Sud, au large de Kahnawake (Québec)

Positions des navires avant l'abordage

La plupart des navires commerciaux qui transitent dans la Voie maritime du Saint-Laurent, y compris les deux navires en cause dans le présent événement, doivent être dotés d'un système d'identification automatique (AIS)Note de bas de page 5 fonctionnel. Les renseignements relatifs aux positions du Jo Spirit et du Orla ont été obtenus d'une source externe.

Le Jo Spirit était également doté d'un système de cartes électroniques (ECS, et les données de position fournies par l'ECS du Jo Spirit concordent avec les données AIS. Le Orla n'était pas doté d'un ECS, mais il était équipé de deux appareils GPS (système de positionnement global). Toutefois, ceux-ci ne possédaient pas d'interface électronique et n'étaient pas utilisés pour la navigation, et le pilote utilisait des repères visuels pour la navigationNote de bas de page 6.

La Figure 2 illustre les positions relatives des navires, selon les données AIS, juste avant que le Jo Spirit fasse une embardée sur bâbord. Les données montrent également, qu'entre 22 h 33 et 22 h 41, le Orla suivait une route fond qui l'amènerait vers le côté nord du chenal, c.-à-d. une route fond inférieure à la direction du chenal qui est orienté au 068,5°(T).

Figure 2. Reconstitution des positions relatives des navires dans le canal selon les données AIS
Reconstitution des positions relatives des navires dans le canal selon les données AIS

Largeur des navires et du canal

À l'endroit de l'abordage, la largeur utile du canal pour la navigation est de quelque 70 m. Le Jo Spirit a une largeur hors membrures de 15,9 m; le Orla fait 23 m de large.

Certificats des navires

Le Jo Spirit et le Orla possédaient l'armement en personnel, les certificats et l'équipement exigés par la réglementation en vigueur.

Brevets du personnel

Le capitaine et les officiers du Jo Spirit et du Orla étaient titulaires des brevets requis pour le type de navire et la classe de voyage.

Antécédents du personnel

Le Jo Spirit

Le pilote exerce les fonctions de pilote depuis 1990. Il a navigué comme capitaine avant de devenir pilote. Le capitaine du Jo Spirit exerce les fonctions de capitaine depuis 1983 et a assuré le commandement de divers navires. Il a pris le commandement du Jo Spirit il y a quatre ans. L'OQ navigue comme officier de pont depuis 1991. Le timonier navigue depuis 1990. Le pilote et le capitaine ont reçu une formation en gestion des ressources à la passerelle (GRP).

Le Orla

Le pilote exerce les fonctions de pilote depuis 1995. Il a navigué comme capitaine avant de devenir pilote. Le capitaine du Orla navigue depuis 1970 et a assuré le commandement de divers navires au cours des 20 dernières années. L'OQ exerce les fonctions d'OQ depuis 2004. Le timonier navigue depuis 1971.

Blessés

On ne signale aucun blessé.

Avaries aux navires et dommages à l'environnement

Photo 3. Avaries à la proue du Jo Spirit
Avaries à la proue du Jo Spirit

Le Jo Spirit

Le bordé de muraille du Jo Spirit au droit du gaillard a été renfoncé et fissuré.

Le Orla

Les avaries au Orla comprennent une grande perforation au-dessus de la ligne de flottaison, au droit du magasin à peinture avant. Un petit feu déclenché par des étincelles s'est déclaré à l'avant et a été éteint rapidement.

Il n'y a eu aucune pollution.

Articulation du gouvernail et traceur d'angle de barre du Jo Spirit

Figure 3. Gouvernail Becker
Gouvernail Becker

Le Jo Spirit est doté d'un gouvernail Becker. Lorsque le mécanisme est tourné à n'importe quel angle jusqu'à un maximum de 60°, un volet articulé se déplace également par rapport au plan de la partie principale du gouvernail, soit jusqu'à 45° de plus. Le rapport entre l'angle du volet et l'angle de la partie principale du gouvernail varie, le rapport étant supérieur à de petits angles de barre, puis il diminue. Par exemple, lorsqu'on met la barre à 5°, ceci donne lieu à un angle de 12° du volet par rapport à la partie principale; par ailleurs, lorsqu'on met la barre à 45°, l'angle du volet est de 45°. Ce type de gouvernail a pour effet d'augmenter considérablement le coefficient de portance; la force transversale résultante est de presque 80 % plus élevée que celle des gouvernails traditionnels. On obtient une force transversale maximale du gouvernail Becker lorsqu'on met la barre à environ 34°, ce qui correspond à un angle du volet de quelque 43°.

Le Jo Spirit est également doté d'un traceur d'angle de barre C. Plath (voir l'annexe A). Bien qu'il soit possible d'obtenir un angle de barre maximal de 60° (à gauche ou à droite), le traceur d'angle de barre dans la timonerie peut seulement enregistrer jusqu'à 45° (à gauche et à droite). Tout angle de barre supérieur à 45° qui est utilisé, se verra également enregistrer à 45°. Par ailleurs, l'indicateur d'angle de barre utilisé par l'équipe à la passerelle et qui permet de connaître l'angle de barre, est gradué jusqu'aux limites permises du déplacement du gouvernail, c'est-à-dire jusqu'à 60°.

Navigation de nuit dans le canal de la Rive Sud

Photo 4. Feux de lampadaires éteints et/ou masqués
Feux de lampadaires éteints et/ou masqués

Le canal de la Rive Sud est pourvu de feux à intensité réglable qui délimitent les berges du canalNote de bas de page 7. Le système s'étend du pont Jacques-Cartier, à l'est, jusqu'à l'extrémité de la digue à Kahnawake (lac Saint-Louis), à l'ouest. L'intensité des feux peut être réglée depuis Côte Sainte-Catherine et être augmentée durant les périodes de visibilité réduite. La navigation de nuit dans le canal est effectuée principalement à l'aide de repères visuels obtenus par l'éclairage. Les lampadaires de la Rive Nord étaient généralement bien en vue et n'étaient pas masqués par des arbres ou des obstacles, mais ce n'était pas le cas sur le côté sud. En particulier, en amont de l'écluse de Côte Sainte-Catherine, de nombreux feux de lampadaire étaient éteints depuis un certain temps, et d'autres étaient masqués par des arbres et des arbustes.

Effet de berge

Lorsqu'un navire avance, le déplacement d'eau crée un effet d'amortissement à l'avant; le vide qui se crée en arrière se remplit. Les pressions latérales sont équilibrées. Lorsqu'un navire ne fait pas route au centre du chenal, il se produit un moment d'embardée. Le niveau de l'eau entre le navire et la berge la plus proche est inférieur à celui de l'autre côté du chenal, ce qui produit une force qui tend à déplacer l'arrière du navire vers la berge la plus proche. Cet effet est connu sous le nom d'effet de berge; l'ampleur de cet effet varie en fonction de divers facteurs, notamment la distance entre le navire et la berge, la vitesse du navire, la profondeur d'eau, le tirant d'eau et le profil du chenalNote de bas de page 8.

Des abordages survenus dans des chenaux étroits, au moment où un des navires a fait une embardée provoquée par l'effet de berge, ont été bien documentés. En 2002, le navire Lindholm dans le Houston Ship Channel a fait une embardée impossible à corriger sur bâbord et a abordé le navire entrant Stolt AchievementNote de bas de page 9. En 2003, à Townsville, Queensland, en Australie, un navire-citerne a fait une embardée sur bâbord en travers du chenal et s'est échoué quand la barre, qui avait été mise à droite pour compenser l'effet de berge ressenti sur l'arrière du navire, a été mise à zéroNote de bas de page 10. De même en 2002, le P&O Nedlloyd Genoa et le Ebro se sont abordés sur le fleuve Elbe en Allemagne, lorsque le P&O Nedlloyd Genoa a fait une embardée irréversible sur bâbord après que la barre qui avait été mise à droite a été mise à zéroNote de bas de page 11.

Gestion des ressources à la passerelle

La gestion des ressources à la passerelle (GRP) consiste à gérer et à utiliser de manière efficace toutes les ressources, humaines et techniques, à la disposition de l'équipe à la passerelle pour assurer le fonctionnement du navire en toute sécurité. La GRP met l'accent sur les compétences telles que la communication et la promotion du travail d'équipe.

Une lacune dans l'organisation et la gestion à la passerelle est citée comme cause principale des accidents maritimes à l'échelle de la planète. Lorsque le pilote est à bord du navire, il/elle doit participer et être appuyé(e) à titre de membre temporaire de l'équipe à la passerelle.

Une bonne gestion des ressources à la passerelle comprend également des communications navire-navire efficaces, en particulier dans les chenaux étroitsNote de bas de page 12.

Analyse

Effet de berge et manœuvre de navire

Cinq minutes avant l'abordage, le Jo Spirit se trouvait déjà très près de la berge nord du chenal, et l'effet de berge commençait à se faire sentir de plus en plus sur l'arrière du navire. Il a fallu tourner la barre à droite de plus en plus pour maintenir le cap voulu. Même si les forces latérales élevées produites par le gouvernail Becker pouvaient compenser l'effet de berge croissant, elles ont aussi laissé durer la situation. Toutefois, lorsque la barre a été mise à zéro, cela a eu pour effet d'annuler les forces compensatoires produites par le gouvernail, et le navire a fait une embardée sur bâbord.

Les données AIS indiquent que le Orla a traversé le centre du chenal et s'est retrouvé du côté nord du chenal quelque temps avant l'abordage. Ce constat est corroboré par l'observation du pilote du Jo Spirit qui a déclaré que le Orla occupait le côté nord du chenal.

Le Jo Spirit et le Orla, avec des largeurs hors membrures respectives de 15,9 m et de 23 m, occuperaient une grande partie de l'espace de manœuvre disponible du chenal de 70 m de large. La Figure 4 montre la rencontre des deux navires avec le même espace maximal maintenu entre eux, de même qu'entre chacun des navires et la berge du chenal. Toutefois, même dans ce cas idéal, il n'y aurait qu'une distance de 10 m environ qui séparerait les navires, et entre chacun des navires et la berge du chenal, ce qui est un espace limité étant donné le gabarit des navires.

Figure 4. Modèle à échelle - navires et profil des berges du chenal
Modèle à échelle - navires et profil des berges du chenal

Communication entre les pilotes

La conduite des navires dans des chenaux étroits, qui est régie par le Règlement international de 1972 pour prévenir les abordages en mer, exige que chacun des navires doit, lorsque cela peut se faire sans danger, naviguer aussi près que possible de la limite droite du chenalNote de bas de page 13. Toutefois, c'est une pratique acceptée que lorsque deux navires se rencontrent dans des chenaux étroits qu'ils demeurent près du centre du chenal le plus longtemps possible avant que chacun vienne sur tribord. C'est une pratique courante qui est utilisée dans le canal de la Rive Sud et qui permet aux navires non seulement de bénéficier de l'effet d'amortissement créé par leur avant au moment de la rencontre, mais de réduire l'effet de berge qui est créé à l'arrière du navire juste avant la rencontre. Dans le cas présent, le Orla chevauchait l'espace de manœuvre du Jo Spirit avant l'abordage, ce qui a influencé le pilote du Jo Spirit qui a dirigé le navire encore plus près de la berge nord du chenal et ce, à un moment plus tôt que souhaité; toutefois, il n'a pas communiqué ces préoccupations à aucun des membres de l'équipe à la passerelle, ni au pilote du Orla. Les pilotes avaient communiqué entre eux mais ils ont parlé de questions n'ayant pas trait à la navigation.

Navigation de nuit dans le canal de la Rive Sud

Pour la navigation de nuit dans le canal de la Rive Sud, on doit principalement compter sur des repères visuels qui sont des feux montés sur des lampadaires en bois et qui s'élèvent de chaque côté du chenal (voir la photo 4). En amont de l'écluse de Côte Sainte-Catherine, de nombreux feux étaient éteints, et ce depuis un certain temps. D'autres feux étaient masqués par des arbres et des arbustes, ce qui réduit l'orientation spatiale de l'équipe à la passerelle. Par conséquent, le dispositif d'éclairage réduit de la rive peut avoir gêné la capacité des pilotes des deux navires à évaluer correctement la position respective de leur navire dans le chenal dans les minutes qui ont précédé l'abordage.

De plus, un radar n'est pas en mesure de donner des renseignements précis sur les distances qui séparent le navire des berges du canal dans des chenaux étroits, et s'il n'existe pas d'autre système à bord (comme un ECS), on doit se fier davantage aux amers et aux repères visuels; dans ce cas-ci, les feux des lampadaires et l'observation visuelle des berges du canal. Le Orla n'était pas doté d'un ECS, et le pilote, se fiant aux repères visuels, a cru que le navire se trouvait au centre du chenal alors qu'en réalité il était au nord de l'axe longitudinal du chenal et qu'il se rapprochait de la berge nord.

La Voie maritime du Saint-Laurent constitue une importante infrastructure de transport nord-américaine. Il y a très peu de place à l'erreur pour les navires qui se rencontrent à cet endroit et il pourrait y avoir de graves conséquences en cas d'accident. Par conséquent, la navigation de nuit à vue dans ce secteur de la Voie maritime dépend de la suffisance, de la fiabilité et de l'entretien adéquat des feux des lampadaires et de leur visibilité dans les deux sens du chenal.

Gestion des ressources à la passerelle

Une bonne gestion des ressources à la passerelle (GRP) nécessite des communications complètes et détaillées au sein de l'équipe pour que tous les membres partagent le même modèle mental et se fassent une image commune de la situation. Cela peut être accompli de manière efficace en demandant de confirmer les ordres donnés. Lorsque la communication est moins qu'adéquate, l'efficacité de l'équipe à la passerelle est réduite et les risques augmentent.

Dans les minutes qui ont précédé l'embardée sur bâbord, la barre a été tournée de plus en plus à droite pour pouvoir gouverner le Jo Spirit parallèle au chenal et compenser l'effet de berge. Étant donné le rendement élevé d'un gouvernail Becker, mettre la barre à 30°, 20° ou même 10° pour maintenir le cap est inhabituel. Cependant, ni le timonier, ni l'OQ qui surveillait étroitement la situation, n'ont communiqué au pilote l'angle de barre. Le pilote du Jo Spirit ne surveillait pas étroitement l'indicateur d'angle de barre et n'était pas au courant que la barre était mise de manière excessive pour maintenir le cap du navire. De plus, il y a des informations contradictoires concernant l'ordre de mettre la barre à zéro ayant précipité l'embardée sur bâbord.

Une GRP efficace aurait pu permettre à l'équipe à la passerelle du Jo Spirit de se faire une idée commune de la situation. Au lieu de cela, le pilote a agi isolément, et on a manqué une opportunité de prendre des mesures correctives.

Étant donné l'espace limité dans le chenal, les communications navire-navire étaient essentielles, d'autant plus que le dispositif d'éclairage insuffisant de la rive peut avoir réduit le nombre de repères visuels.

Dans le cas présent, même si le pilote à bord du Jo Spirit croyait à juste titre que le Orla avait traversé le centre du chenal, il n'a pas vérifié la situation avec le pilote du Orla. Les pilotes avaient communiqué entre eux mais ils ont parlé de questions n'ayant pas trait à la navigation.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Le Orla naviguait au nord du centre du chenal, et le pilote du Jo Spirit a réagi en dirigeant le navire plus près de la berge nord pour offrir plus d'espace de manœuvre.
  2. L'effet de berge sur le Jo Spirit s'est intensifié progressivement, et il a fallu tourner la barre de plus en plus à droite, et lorsque la barre a été mise à zéro, le navire a fait une embardée sur bâbord.
  3. Il n'y a pas eu de communication pertinente entre les pilotes des deux navires pendant l'évolution de la situation.
  4. Une gestion des ressources à la passerelle inefficace à bord du Jo Spirit a fait que de l'information essentielle n'a pas été partagée avec le pilote, empêchant ainsi de prendre des mesures en temps utile.
  5. Un dispositif d'éclairage inadéquat sur les rives, en plus d'être envahi par les arbres et les arbustes, peut avoir gêné la capacité des pilotes des deux navires à évaluer correctement la position de leur navire dans le chenal.

Autres faits établis

  1. La commande de l'hélice à pas variable du Jo Spirit était décalée de sorte que lorsque le levier de commande était à la position zéro, le navire avait de l'erre en avant.
  2. L'indicateur d'angle de barre du Jo Spirit était gradué jusqu'à 60° (position maximale du gouvernail), mais le traceur d'angle de barre n'était gradué que jusqu'à 45°.
  3. Selon l'information recueillie, le pilote du Jo Spirit a demandé que le propulseur d'étrave soit actionné vers tribord lorsque le Jo Spirit a fait une embardée sur bâbord mais cet ordre n'a pas été exécuté. Il est très peu probable, cependant, que le fait d'actionner le propulseur d'étrave à ce moment-là aurait modifié le cours des événements.

Mesures de sécurité

Mesures de sécurité prises

Bureau de la sécurité des transports du Canada

Le 3 août 2005, la Lettre d'information sur la sécurité maritime no 01/05 au sujet de la rencontre de navires dans des chenaux étroits, a été envoyée à l'Administration de pilotage des Grands Lacs pour l'informer des faits entourant l'événement et réitérer l'importance pour les navires de se conformer aux procédures de rencontre normalisées.

Le 14 octobre 2005, la Lettre d'information sur la sécurité maritime no 04/05, Repères visuels insuffisants pour la navigation de nuit dans le canal de la Rive Sud, a été envoyée à la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent (CGVMSL). La lettre traitait des nombreux feux signalés défectueux du côté sud du chenal, en amont de Côte Sainte-Catherine, ainsi que de la croissance des arbres et des arbustes qui réduit la visibilité des feux.

En réponse à cette lettre, la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent nous informait, qu'en date du 31 octobre 2005, les travaux avaient été achevés sur les circuits d'éclairage riverains nos 7, 8 et 10, ainsi que le débroussaillage et l'élagage des arbres le long du chenal, en amont de l'écluse de Côte Sainte-Catherine; ces travaux ont permis d'améliorer la qualité des aides visuelles pour la navigation de nuit. Les travaux sur le circuit no 9 ont été achevés en 2006. De plus, la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent a indiqué qu'elle allait améliorer son programme d'inspection des berges afin de mieux cibler son programme d'élagage des arbres, pour assurer aux navires une bonne visibilité des berges du canal et des feux la nuit.

Compagnie Jo Tankers AS de Norvège

À la suite de l'événement, la compagnie a mené une enquête interne. Une nouvelle procédure de familiarisation a été ajoutée à la liste de vérifications pour les officiers de pont et les timoniers. Un cahier d'information sur le gouvernail et ses caractéristiques de rendement a été rédigé et il se trouve maintenant dans la timonerie. De plus, un petit modèle réduit du gouvernail Becker, qui explique son mode de fonctionnement, est installé dans la timonerie.

Désormais, les timoniers sont informés qu'ils doivent mettre la barre à 35° lorsqu'ils reçoivent l'ordre de mettre la barre « toute » (la poussée latérale maximale étant atteinte à cet angle). Lorsque le navire fait des manœuvres à des vitesses lentes et qu'un angle de barre de 60° est nécessaire pour que le gouvernail produise le même effet qu'un propulseur latéral arrière, on doit donner l'ordre de mettre la barre « au maximum ».

La compagnie a également dispensé à tous ses officiers un cours de recyclage en gestion des ressources à la passerelle (GRP) dans lequel l'abordage du Jo Spirit est utilisé comme étude de cas, avec un volet axé sur les interventions et la remise en question des actions du pilote.

Compagnie Polska Zegluga Morska de Pologne

À la suite de l'événement, la compagnie a mené une enquête interne, et les conclusions de l'enquête ont été communiquées aux capitaines de la compagnie. Les procédures pertinentes du système de gestion de la sécurité ont été modifiées et mises en application.

Administration de pilotage des Grands Lacs

L'Administration de pilotage des Grands Lacs a institué des exercices sur simulateur de navigation maritime permettant d'entraîner les pilotes aux rencontres de nuit de navires dans le canal de la Rive Sud.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

Annexes

Annexe A - Graphique du traceur de route et d'angle de barre du Jo Spirit (angles de barre et caps suivis)

Annexe A. Graphique du traceur de route et d'angle de barre du Jo Spirit (angles de barre et caps suivis)
Graphique du traceur de route et d'angle de barre du Jo Spirit (angles de barre et caps suivis)