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Rapport d'enquête maritime M05L0036

Avaries causées par les glaces
et naufrage subséquent
du bateau de pêche Justin M
au large des îles de la Madeleine (Québec)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 29 mars 2005, le bateau de pêche à coque en bois Justin M devient coincé dans un champ de glaces au sud des îles de la Madeleine alors qu'il est en expédition de chasse au phoque. Il est dégagé le lendemain matin par le navire de la Garde côtière canadienne (NGCC) Amundsen, mais coule à 6 h 43 alors qu'il se rend sous escorte à Cap-aux-Meules (Québec). Les 9 membres d'équipage du Justin M sont secourus. On ne signale aucun blessé.

Renseignements de base

Fiche technique du navire

Nom du navire « JUSTIN M »
Numéro officiel 372337
Port d'immatriculation Digby (Nouvelle-Écosse)
Pavillon Canada
Type Bateau de pêche
Jauge brute 72,15
LongueurNote de bas de page 1 18 m
Équipage 9 personnes
Construction Construit en bois en 1980 par Jesse Magarvey, à Parker's Cove (Nouvelle-Écosse); coque recouverte de fibre de verre en 2003
Propulsion Un moteur Cummins KTA1150M entraînant une hélice à pas fixe
Propriétaire Propriétaire privé

Le propriétaire du Justin M achète le bateau en 2002. Conçu à l'origine pour la pêche à la morue, il est gréé pour la pêche à la crevette en 2003. Pendant cette transformation, la coque de bois est recouverte de fibre de verre; de plus, pour protéger la coque des avaries occasionnées par l'abrasion due à la glace, un bordage en bois de 5 mm d'épaisseur et se prolongeant d'environ 60 mm au-dessus de la ligne de flottaison est posé des deux côtés sur toute la longueur du bateau.

Photo 1. Le Justin M en 2004. (Conservation et Protection, Pêches et Océans Canada)
Le Justin M en 2004. (Conservation et Protection, Pêches et Océans Canada)

Les dossiers d'inspection de Transports Canada indiquent que l'équipement de navigation du Justin M était conforme aux exigences réglementaires. Il y avait à bord du Justin M 9 gilets de sauvetage, 10 vêtements de flottaison individuels, 9 combinaisons d'immersion et 2 radeaux de sauvetage 6 places. L'équipement pour la chasse au phoque comprenait deux motoneiges, deux petites embarcations équipées d'un moteur hors-bord et deux traîneaux.

Déroulement du voyage

Dans la matinée du 24 mars 2005, on termine les derniers préparatifs à bord du Justin M en vue du voyage de Port Saunders (Terre-Neuve) aux îles de la Madeleine (Québec) dans le golfe du Saint-Laurent (voir l'annexe A) pour participer à la chasse au phoque annuelle. De nombreux bateaux commencent à appareiller tard dans la soirée du 24 mars, et au lieu de partir le 25 mars comme prévu, le capitaine du Justin M décide d'accompagner le groupe. Le bateau appareille vers minuit le 24 mars et arrive à la banquise au sud des îles de la Madeleine à 15 h 30, heure normale de l'Est (HNE)Note de bas de page 2, le 25 mars. Un troupeau d'environ 300 phoques est repéré presque immédiatement, et le capitaine décide de maintenir son bateau à proximité de ce troupeau en attendant l'ouverture de la chasse au phoque prévue au lever du jour le 29 mars. Cependant, en raison de la pression des glaces qui s'exerce sur le bateau, provoquée par un renforcement du vent, le capitaine doit manoeuvrer pour rejoindre un chenal libre à la recherche d'autres phoques.

Des manoeuvres de ce genre se poursuivent les jours suivants, jusqu'au 29 mars, lorsque, à 2 h 43, par 47°08′N et 061°48′WNote de bas de page 3, la pression des glaces s'exerçant sur le Justin M est telle que la coque est écrasée vers l'intérieur d'environ 10 cm des deux côtés au milieu du bateau. On constate une voie d'eau dans la coque à hauteur de la salle des machines et de la partie avant du bateau. Un appel de détresse est lancé sur la voie 16 à l'aide du radiotéléphone VHF, et l'équipage commence à décharger de l'équipement sur la glace. Le centre des Services de communications et de trafic maritimes (SCTM) de Rivière-au-Renard (Québec) reçoit l'appel de détresse et transmet un Mayday Relay.

Outre le Justin M, plusieurs autres bateaux sont bloqués par les glaces durant cette même période, et tous subissent des avaries à divers degrés. Au moins deux sont avariés au point où l'assistance d'un brise-glace de la Garde côtière canadienne (GCC) est demandée pour les dégager.

Les brise-glaces NGCC Amundsen et NGCC Edward Cornwallis ainsi que le vraquier Federal Progress sont les trois premiers navires à répondre à l'appel. Le NGCC Amundsen est à une heure de navigation et le NGCC Edward Cornwallis est à Cap-aux-Meules (Québec), à environ une heure et demie de navigation. Le Federal Progress, qui se trouve à quelque 23 milles marins, est libéré de toute obligation envers le bateau en détresse parce qu'il est trop loin pour pouvoir porter une assistance immédiate. Les phoquiers Manon Yvon et Grand Makasti accusent aussi réception de l'appel, mais le Grand Makasti ne pourra pas porter assistance au Justin M en temps utile en raison du champ de glaces. On rapporte que 11 autres phoquiers se trouvent à moins de un mille du Justin M, mais ils ne répondent pas à l'appel.

En attendant l'aide d'un brise-glace, les membres d'équipage utilisent une tronçonneuse pour découper la glace de chaque côté du bateau pour réduire la pression des glaces sur la coque du Justin M. Ils mettent aussi en marche les trois pompes du bord.

Vers 3 h 40, le Manon Yvon arrive sur les lieux. Il ne parvient pas à réduire la pression des glaces mais reste disponible pour porter assistance au besoin. Ayant été retardé par le champ de glaces, le NGCC Amundsen arrive plus tard, à 4 h 5. Le brise-glace manoeuvre ensuite autour du Justin M pour réduire la pression des glaces. Deux des membres de son équipage sont chargés d'évaluer la situation à bord du Justin M et de faire rapport. Comme la pression des glaces a été réduite, l'entrée d'eau cesse et le capitaine du bateau en difficulté considère que la situation est maîtrisée. Cependant, par mesure de précaution, on décide de transférer deux pompes portatives du NGCC Amundsen au Justin M (ce qui fait que le bateau de pêche dispose maintenant de cinq pompes) et de prendre l'équipement déchargé du bateau de pêche à bord du brise-glace.

Le NGCC Edward Cornwallis arrive sur place à 5 h 5, ayant lui aussi été retardé par le champ de glaces, et est chargé d'escorter le Justin M jusqu'à Cap-aux-Meules pour qu'il y soit réparé. Peu après le départ, certains des membres d'équipage du Justin M vont se reposer à la cuisine, alors que d'autres continuent de surveiller les compartiments du bateau.

Photo 2. Le Justin M moins d'une minute après qu'il a commencé à prendre l'eau
Le Justin M moins d'une minute après qu'il a commencé à prendre l'eau
Photo 3. Le Justin M deux minutes plus tard, immédiatement avant qu'il ne coule
Le Justin M deux minutes plus tard, immédiatement avant qu'il ne coule

Vers 6 h 40, on observe une soudaine entrée d'eau et de glace dans la cale à poisson; le Justin M commence à couler peu après. Les membres d'équipage abandonnent le bateau; ils débarquent sur les glaces et sont recueillis à bord du NGCC Edward Cornwallis. Trois minutes plus tard, le Justin M coule par environ 20 m de fond. Sa position est 47°11,1′N, 061°45,7′W (voir l'annexe A). L'équipage est transporté jusqu'à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard) où il arrive le 31 mars 2005.

Renseignements sur les conditions météorologiques

Au moment des faits, la concentration de la glace dans le secteur est de 9 dixièmes de glace de première annéeNote de bas de page 4. Le 27 mars 2005, les prévisions maritimes annoncent des vents du sud de 15 à 20 noeuds augmentant jusqu'à 20 à 25 noeuds en après-midi, pour atteindre des coups de vent de 35 noeuds près du lever du jour le 28 mars. L'après-midi du 28 mars, un bulletin sur les conditions glacielles dangereuses est émis. Il annonce une fermeture rapide des chenaux côtiers d'eau libre en soirée et de forte pression des glaces se développant dans la banquise et persistant jusqu'au 29 mars. Les navires qui se trouvaient dans le secteur le matin du 29 mars le confirmeront : les chasseurs ont observé de la pluie et des vents du sud atteignant 30 noeuds; la pression des glaces était forte et il n'y avait pas d'eau libre ni de chenaux importants.

Certificats du navire

En vertu de la réglementation canadienne actuelle, un bateau de pêche comme le Justin M doit être inspecté tous les quatre ans. Transports Canada a inspecté le bateau pour la dernière fois le 26 mars 2004 et a délivré un certificat prévoyant un équipage de six personnes pour les voyages de cabotage de classe II et les voyages de cabotage de classe I de mai à novembre. Le voyage de Port Saunders aux îles de la Madeleine était un voyage de cabotage de classe II. Le certificat ne faisait l'objet d'aucune limitation quant à la navigation dans les glaces.

Brevets et expérience du personnel

Le capitaine du Justin M est titulaire d'un brevet de Capitaine de pêche, quatrième classe, délivré en 2004. Il a suivi une formation aux fonctions d'urgence en mer (FUM) en 2004. Aucun autre membre de l'équipage ne possède un certificat de compétence ni n'a suivi une formation FUM, même si certains pratiquent la chasse au phoque ou la pêche depuis de nombreuses annéesNote de bas de page 5. Les membres de l'équipage du Justin M ont l'expérience de l'industrie de la chasse au phoque et connaissent bien les risques associés à la navigation dans les glaces : en effet, lors de précédentes sorties de chasse au phoque, le bateau a subi des avaries qui ont exigé des réparations.

La chasse au phoque dans l'Est du Canada

La chasse au phoque se pratique depuis des centaines d'années dans l'Est du Canada. Il s'agit d'une importante source de revenus pour certains pêcheurs et elle fait partie intégrante du mode de vie dans la régionNote de bas de page 6. La chasse, qui a attiré des participants du monde entier, était à l'origine effectuée depuis la rive : les chasseurs sautaient sur la banquise et marchaient jusqu'aux phoques, ou utilisaient de petites embarcations pour atteindre la glace flottant à quelques milles au large. De plus grands navires ont été utilisés par la suite pour se rendre dans des secteurs plus éloignés. Pendant un certain temps, on a aussi utilisé des hélicoptères et de petits avions.

Le phoque du Groenland, qui se concentre dans des secteurs précis sur la glace durant la période de mise bas, est la principale espèce chassée dans le marché commercial d'aujourd'huiNote de bas de page 7. Les principales régions de la chasse au phoque au Canada sont situées dans le golfe du Saint-Laurent et au large de la côte nord-est de Terre-Neuve. On appelle la première région « le Golfe » et la seconde, « le Front ». Les phoques sont aussi chassés le long de la Basse-Côte-Nord du Québec et sur la côte ouest de Terre-Neuve (voir l'annexe B).

Dans les années 1960 et 1970, le prix d'une peau de phoque a varié, mais elle a baissé à son plus bas niveau dans les années 1980, soit environ 15 $ la peau. Les prix sont restés faibles jusqu'au milieu des années 1990, le quota de phoques était fixé à 186 000. Depuis, l'industrie s'est développée et en 2005 le quota a été porté à 325 000, les peaux se vendant entre 50 $ et 70 $ l'unité. L'annexe C indique la croissance de l'industrie aux plans des quotas, du prix des peaux et du nombre de permis délivrés entre 1995 et 2005.

Soutien de la Garde côtière canadienne

De la mi-novembre à la fin de juin, des brise-glaces de la GCC offrent des services aux navires dans les eaux canadiennes dont celles du golfe du Saint-Laurent. Pour réduire les risques, les brise-glaces escortent les navires et organisent des convois pour traverser les eaux encombrées de glaces; ils dégagent les navires coincés par les glaces; ils entretiennent des chenaux de navigation dans les glaces de banquise côtière, et ils s'efforcent de demeurer en attente dans les secteurs où il existe une probabilité suffisante de demandes d'assistance à la navigation.

Dans le passé, les brise-glaces du Golfe ouvraient des voies dans les glaces pour aider les chasseurs de phoque à chercher du gibierNote de bas de page 8. Aujourd'hui, cette pratique a été discontinuée depuis longtemps, et le service des brise-glaces se limite à dégager les navires bloqués par les glaces. Cependant, lorsque des brise-glaces sont appelés à dégager des chasseurs emprisonnés, d'autres bateaux utilisent parfois la voie navigable ainsi créée pour pouvoir pénétrer plus profondément dans les champs de glaces; on a vu des bateaux qui venaient d'être dégagés retourner immédiatement dans le champ de glaces à la recherche de phoques.

La GCC reçoit de nombreuses demandes d'assistance de bateaux pendant la capture des phoques. Les situations d'urgence sont classifiées comme étant des cas de recherche et sauvetage alors que les autres requêtes sont classifiées comme étant des demandes d'assistance. Le 29 mars 2005, deux brise-glaces se trouvaient dans le golfe du Saint-Laurent, offrant un service à temps plein et se tenant prêts à porter assistance aux navires qui en auraient besoin. Un troisième navire était chargé d'observer les activistes opposés à la chasse au phoque.

Gestion des ressources du ministère des Pêches et des Océans

Le ministère des Pêches et des Océans (MPO) a le mandat de gérer les ressources marines vivantes, y compris les phoques. Il le fait de plusieurs façons : entre autres par la visite d'observateurs, la surveillance des navires par satellite et plus particulièrement, en réglementant le nombre de permis pour la chasse au phoque; en fixant des quotas; en limitant la taille des bateaux qui peuvent participer à la chasse; et en établissant chaque année les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse au phoque.

Octroi des permis pour la chasse au phoque

Pour assurer que la chasse au phoque se déroule sans cruauté pour les animaux et pour éviter que des personnes inexpérimentées ne compromettent les bonnes pratiques de chasse, le MPO limite la chasse aux personnes qui possèdent un permis. Le MPO délivre quatre types de permis pour la chasse au phoque : le permis pour usage commercial, le permis d'aide-chasseur, le permis pour usage personnel, et le permis de chasse au phoque nuisibleNote de bas de page 9. En outre, en vertu de la Politique d'émission des permis pour la pêche commerciale du MPO, un permis pour usage commercial peut être délivré uniquement à une personne qui a d'abord été titulaire d'un permis d'aide-chasseur et qui a participé activement à la chasse au phoque au cours des deux années précédentes sous la surveillance d'une personne titulaire d'un permis pour usage commercial.

Des 10 383 permis délivrés jusqu'en 1995, 9118 (soit presque 90 %) étaient pour usage commercial. En 2005, le MPO comptait plus de 15 000 permis enregistrés. C'est là une augmentation de presque 45 % par rapport à 1995.

Au moins une personne par navire doit posséder un permis pour usage commercial. À bord du Justin M, c'était le capitaine.

Allocation de quotas

En 1964, le MPO limitait le total admissible des captures (TAC) à 50 000 phoques. D'autres mesures réglementaires visant à contrôler la ressource ont été adoptées au fil des ans, dont un grand nombre découlaient du rapport Malouf de 1986Note de bas de page 10, de sorte que la population de phoques du Groenland dans le Canada atlantique est aujourd'hui de presque 5 millions d'animaux, presque le triple de la population estimée en 1970.

Onze flottilles commerciales de chasse au phoque se partagent le TAC. Chaque flottille pratique la chasse au phoque suivant le principe du premier arrivé, premier servi. Il n'y a pas de quotas individuels pour les détenteurs de permis ou les bateaux. La ressource est accessible à tous les détenteurs de permis, sans limite sur le nombre de phoques qui peut être capturé. En conséquence, les gains qu'un chasseur peut réaliser dépendent de la rapidité avec laquelle il peut capturer un maximum de phoquesNote de bas de page 11. Chaque chasseur de phoques est en concurrence avec tous les autres dans ce qui est une course à départ groupé; on doit tenter de capturer autant de phoques que possible aussi rapidement que possible avant que le quota total de l'année ne soit atteint et que la fermeture de la chasse ne soit annoncée.

Le Plan de gestion du phoque dans l'Atlantique pour 2003-2005 prévoyait la capture de 975 000 phoques du Groenland sur une période de trois ans. Pour 2005, le TAC était fixé à 319 517 phoques et réparti entre les deux zones de chasse, le Golfe et le Front, et les différentes flottillesNote de bas de page 12. Les rapports indiquent que le nombre réel de phoques capturés en 2005 est de 323 826.

Limitation de la taille des bâtiments et interdiction d'autres appareils

En 1965, les navires étrangers ont été exclus de la chasse au phoque dans le golfe du Saint-Laurent. En 1968, les hélicoptères et les petits avions ont aussi été interdits. À ce moment, il n'y avait aucune limite quant à la taille des bateaux utilisés. En 1987, suite au rapport Malouf, le MPO a limité la longueur des bateaux participant à la chasse au phoque à 19,81 m (65 pieds) et les a répartis en deux groupes : les petits bateaux, de moins de 10,67 m (35 pieds) de longueur; et les autres bateaux, d'au plus 19,81 m (65 pieds)Note de bas de page 13 de longueur.

Dates d'ouverture et de fermeture

Le MPO a tenté pour la première fois de gérer la chasse au phoque en 1961 en imposant une date de fermeture de la chasse. Depuis 1987, conformément au rapport Malouf, le MPO interdit la chasse des « blanchons », c'est-à-dire des bébés phoques du Groenland âgés de moins de deux semaines. En contrôlant la date d'ouverture de la chasse, le MPO s'assure que la capture ne commence pas avant qu'une masse critique de ces blanchons n'ait atteint 25 jours d'âge, moment auquel ils peuvent nager et trouver de la nourriture. La date de fermeture de la chasse est plus variable; elle est seulement annoncée une fois que les quotas locaux ont été atteints. En 2005 par exemple, la chasse dans le Golfe a commencé au lever du jour le 29 mars et s'est terminée le 1er avril pour les petits bateaux et le 2 avril pour les grands bateaux. Sur le Front, elle devait débuter le 12 avril, mais comme de forts vents et des glaces abondantes suscitaient des inquiétudes pour la sécurité, le MPO, en consultation avec Transports Canada, le Secrétariat national de recherche et de sauvetage et les chasseurs, a reporté l'ouverture de la chasse au 15 avril. Les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux phoques peuvent aussi varier pour chaque flottille commerciale.

Bateaux utilisés pour la chasse au phoque

Selon la Loi sur la marine marchande du Canada, les navires utilisés pour la capture des phoques sont considérés comme des bâtiments de pêche. En raison des politiques de gestion du MPO, les bateaux utilisés pour la chasse au phoque ne doivent pas mesurer plus de 19,81 m (65 pieds) de longueur; la majorité d'entre eux sont en bois ou en fibre de verre, ou en bois et fibre de verre. D'habitude, la coque, l'arbre, l'hélice et le gouvernail de ces bateaux ne sont pas renforcés pour la navigation dans les glaces puisqu'ils ont été construits pour la pêche en eau libre et ne sont gréés que temporairement pour la chasse.

En 2005, on estime qu'environ 370 bateaux ont fait la chasse au phoque dans le Golfe (dont 270 de moins de 10,67 m de longueur) et 1100 sur le Front (dont 828 de moins de 10,67 m).

Règlements de la Loi sur la marine marchande du Canada

Règlement sur la construction des phoquiers

Ce règlement est entré en vigueur en novembre 1954 et visait expressément la construction et l'inspection des phoquiers en bois et en acier, qui étaient définis comme des navires « se livrant à la chasse aux phoques et reconnu[s] propre[s] à cette fin par le Bureau d'inspection des navires à vapeur. » Pour protéger les bateaux en bois contre les avaries qui auraient pu être causées par la pression et l'abrasion des glaces, on trouvait dans ce règlement des dispositions spéciales sur le doublage des coques et les dimensions des murailles et des bordés.

La construction de la coque des phoquiers en acier devait être exécutée conformément aux règles applicables aux bateaux naviguant dans les glaces, établies par une société de classification reconnue. Les gouvernails et les cadres d'hélice devaient être renforcés pour les protéger contre les avaries causées par la glace. Les soupapes de prise d'eau et de décharge à la mer situées au-dessous de la ligne de flottaison devaient être raccordées aux chaudières ou aux réservoirs d'air comprimé, afin de pouvoir être dégagées au besoin. Le diamètre des arbres d'hélice prévu par les prescriptions devait être augmenté de 5 %. Les bateaux devaient aussi être mis en cale sèche pour y subir une inspection de leur carène une fois par année.

À la suite d'un examen de la réglementation fédérale mené en 1992, Transports Canada a conclu, comme l'indique le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation, que le Règlement sur la construction des phoquiers était désuet pour les raisons suivantes :

À la suite de cet examen, le Règlement sur la construction des phoquiers a été abrogé en 1993.

Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche

Les bateaux de pêche comme le Justin M sont assujettis aux exigences du Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche pris en application de la Loi sur la marine marchande du Canada. Ce règlement ne contient aucune disposition pour faire face au risque d'avaries causées par les glaces pendant la navigation dans des eaux couvertes de glaces, comme c'est le cas dans la chasse au phoque.

Statistiques sur les victimes

Pendant les mois de mars, avril et mai de 1990 à 2005, soit 48 mois de chasse au phoque, 227 événements survenus à des bateaux de pêche naviguant dans les glaces ont été déclarés par l'entremise des stations radio de la GCC. La majorité des cas concernaient des avaries à la coque. Bien qu'on ne compte aucune perte de vie, 21 bateaux ont été perdus. L'enquête a révélé que de nombreux autres incidents ne sont pas déclarés.

Analyse

Construction de navires pour la navigation dans les glaces

Dans les eaux de l'est du Canada au sud du 60e parallèle, aucune restriction tenant compte des glaces annuelles n'est imposée à la navigation. Les navires, dont beaucoup sont construits uniquement pour la navigation en eaux libres, reçoivent des indications sur les précautions à prendre pour naviguer dans les glacesNote de bas de page 14 et peuvent demander l'assistance des brise-glaces de la GCC pour se rendre à destination en toute sécurité malgré la glace. En ce qui concerne les bateaux phoquiers par contre, leur destination est précisément la glace. Cependant, le rôle des brise-glaces dans cette industrie n'est pas d'aider les bateaux phoquiers dans la chasse, mais bien de les aider à rejoindre les eaux libres de glaces. Dès lors, le risque d'être exposé à d'importantes charges induites par les glaces (pression et impact) est beaucoup plus grand que pour les autres navires, qui sont autant que possible, manoeuvrés en vue d'éviter les glaces.

La navigabilité est l'état d'un navire qui peut prendre la mer en sécuritéNote de bas de page 15; un navire est considéré en bon état de navigabilité quand il a été construit, équipé et armé en personnel de façon à pouvoir assurer le service auquel il est destiné. Lorsqu'on prévoit qu'un bateau sera utilisé dans les glaces, comme c'est le cas dans la chasse au phoque, le bateau doit faire l'objet de travaux de renforcement pour la navigation dans les glaces; il doit être renforcé par rapport à ce qui est prévu pour la navigation en eaux libres afin de préserver son aptitude à tenir la mer. Cette prémisse est validée par un examen du nombre d'incidents déclarés où des bateaux de pêche non renforcés et utilisés dans la chasse au phoque ont subi des avaries : 227 événements sur 48 mois de chasse au phoque depuis 1990.

À une époque, Transports Canada avait adopté des exigences visant le renforcement ou l'adaptation des bateaux utilisés dans les glaces dans le Règlement sur la construction des phoquiers. Cependant, lorsque ce règlement a été abrogé, ces exigences n'ont pas été remplacées tel que mentionné dans le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation. En conséquence, il est maintenant autorisé d'utiliser les bateaux de pêche dans les glaces sans mesures précises de protection contre le risque d'avaries. Reconnaissant la nécessité d'un renforcement des navires pour la navigation dans les glaces, Transports Canada a ajouté de telles mesures dans les plus récentes versions préliminaires du nouveau Règlement sur la sécurité des petits bateaux de pêche et des Normes de construction des petits bâtiments de pêche commerciale. Toutefois, jusqu'à ce que ces textes entrent en vigueur, les bateaux de pêche continueront d'être utilisés dans des eaux couvertes de glaces sans mesures suffisantes pour atténuer les risques qui en découlent. Cette situation expose les bateaux de pêche et leurs équipages à des risques inutiles.

Culture de la sécurité dans l'industrie de la chasse au phoque

Malgré les avertissements signalant l'augmentation de la pression des glaces, le Justin M est demeuré dans la banquise en attendant l'ouverture de la chasse au phoque. En plus du Justin M, un certain nombre d'autres bateaux ont été coincés dans les glaces et ont subi des avaries, bien que ce soit à un degré moindre. Cette disposition à prendre des risques est répandue durant la chasse au phoque alors que l'on sait aussi que des bateaux profitent des chenaux créés par les brise-glaces de la GCC allant dégager des bateaux, pour se rendre ou retourner eux-mêmes dans la banquise.

Cette propension à prendre des risques par les participants à la chasse au phoque est influencée par divers facteurs :

[Traduction] La culture de la sécurité comprend plusieurs éléments, dont la conformité aux normes et aux règlements, une prise de conscience des risques, et un juste équilibre entre la sécurité et le commerceNote de bas de page 16. Dans l'industrie de la chasse au phoque, les participants semblent reconnaître et accepter les risques. Cependant, le manque de normes et règlements adaptés, dans un contexte intensément compétitif où les bénéfices sont élevés et les risques paraissent faibles, entraîne une culture du risque plutôt qu'une culture de la sécurité.

Fait établis

Fait établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Lorsque le Justin M a été coincé dans le champ de glaces, sa coque qui n'était pas adéquatement renforcée pour la navigation dans les glaces a été écrasée par la pression; le bateau a pris l'eau jusqu'à ce qu'il coule.

Faits établis quant aux risques

  1. En l'absence d'exigences réglementaires visant à protéger les navires contre les avaries lors de la navigation dans les glaces, dans un environnement où les pressions économiques sont intenses, les pêcheurs peuvent être tentés de prendre des risques inutiles.
  2. Les règles appliquées par le ministère des Pêches et des Océans pour gérer l'industrie de la chasse au phoque créent un contexte intensément compétitif parmi les participants à la chasse au phoque. Dans une industrie où l'on perçoit que les gains économiques potentiels compensent largement les risques pour la vie et pour les bateaux, ce contexte engendre une culture du risque plutôt qu'une culture de la sécurité au sein de l'industrie de la chasse au phoque.

Autre fait établi

  1. Au moins 11 navires étaient à moins de 1 mille du Justin M, mais seulement 4 navires ont répondu à l'appel de détresse et seulement 3 sont arrivés sur les lieux pour lui porter assistance.

Mesures de sécurité

Mesures de sécurité prises

Pendant la saison 2005, une série particulière d'accidents et d'incidents sont survenus dans la zone du Golfe. Le ministère des Pêches et des Océans (MPO) a réagi en changeant les conditions de contrôle de la chasse au phoque.

Dans le Golfe, deux troupeaux de phoques ont des petits en mars : un au sud des îles de la Madeleine et un autre, plus important, plus loin au nord près du détroit de Belle-Isle. Dans l'espoir d'atténuer la concurrence entre les régions, le MPO a statué que les chasseurs de la partie sud du Golfe (îles de la Madeleine, Nouveau-Brunswick et Nouvelle-Écosse) chasseraient le troupeau du sud; le troupeau du nord du Golfe serait réservé aux chasseurs provenant de la côte ouest de Terre-Neuve et de la Basse-Côte-Nord du Québec.

Quant au quota global de 2006, qui a été fixé à 325 000 phoques (total pour les deux zones), le MPO a pris les décisions suivantes :

  1. Répartition du quota du Golfe , c'est-à-dire 28 % du total global de l'annéeNote de bas de page 17, entre les chasseurs des régions avoisinantes ayant un accès direct à cette zone, dans les proportions suivantes :
    • îles de la Madeleine : 20 %;
    • Nouveau-Brunswick et Nouvelle-Écosse : 2 %;
    • Basse-Côte-Nord du Québec : 8 %;
    • côte ouest de Terre-Neuve : 70 %.
  2. Dates différentes d'ouverture de la chasse au phoque selon les régions du Golfe (en fonction des périodes prévues de mise bas)Note de bas de page 18 :
    • îles de la Madeleine, Nouveau-Brunswick et Nouvelle-Écosse : le 25 mars 2006;
    • côte ouest de Terre-Neuve : le 5 avril 2006;
    • Basse-Côte-Nord du Québec : le 7 avril 2006.
  3. Fermeture de la chasse au phoque dans chacune des mêmes régions lorsque le pourcentage prévu du quota est atteint, et octroi à ce moment seulement aux chasseurs concernés de l'accès aux autres régions, selon les dates fixées par le MPO.

Cette nouvelle méthode d'allocation des quotas visait à produire deux résultats :

En 2006, le nombre d'accidents et incidents survenus à des bateaux phoquiers a baissé sensiblement dans la zone du Golfe. Cependant, ce résultat positif doit aussi être considéré à la lumière des conditions de glaces moins difficiles durant cette saison, et non seulement des nouvelles règles de la chasse au phoque.

Le 6 novembre 2006, le MPO et Transports Canada ont signé un protocole d'entente concernant la sécurité en mer des membres de l'industrie de la pêche commerciale.Note de bas de page 20 Ce protocole d'entente a pour objectifs déclarés de coopérer aux échelles nationale et régionale afin :

Le protocole d'entente précise aussi des processus aux fins de la coopération à l'égard de la sécurité des bateaux de pêche, décrit les implications des plans de gestion des pêches pour la sécurité et prévoit la création de comités sur la sécurité des pêches.

Au moment des événements, les opérateurs de petits bateaux de pêche devaient avoir suivi la formation aux fonctions d'urgence en mer (FUM) avant le 1er avril 2007. Alors qu'une majorité des marins pêcheurs ont à ce jour complété cette formation, l'industrie a demandé que la date butoir soit repoussée. Le 27 mai 2007, Transports Canada a annoncé qu'il repoussait cette date d'un an afin de permettre aux marins pêcheurs et chasseurs de phoque de compléter la formation obligatoire sur les principes de base de la sécurité en mer. Ainsi, Transports Canada ne prendra aucune mesure d'exécution de la loi si un membre d'équipage peut démontrer qu'il s'est inscrit à un cours FUM avant avril 2008.

Transports Canada continue son travail afin de finaliser le nouveau Règlement sur la sécurité des navires de pêche et déterminer quelles sont les règles qui doivent être modernisées pour ainsi fournir un meilleur niveau de protection pour les marins pêcheurs, les navires et l'environnement. Le Règlement sur la sécurité des navires de pêche devrait être publié dans la Gazette du Canada, Partie I, au cours de l'été 2008.

Préoccupations liées à la sécurité

Modalités de gestion des ressources dans l'industrie de la chasse au phoque

Le Bureau reconnaît que le ministère des Pêches et des Océans (MPO) a modifié les règles en 2006 afin de diminuer le nombre de chasseurs de phoque par zone, diminuant ainsi la concurrence entre les chasseurs. Le Bureau reconnaît également que le MPO a signé un protocole d'entente avec Transports Canada concernant la sécurité en mer des bateaux de pêche. Cependant, des risques résiduels subsistent car les modalités en place pour la gestion de l'industrie de la chasse au phoque continuent de créer une atmosphère d'intense concurrence parmi les participants.

Le Bureau craint que le régime continue à entraîner une culture du risque plutôt qu'une culture de la sécurité s'il n'y a pas une amélioration des pratiques de gestion des ressources de la pêche qui prend pleinement en compte les risques associés à la chasse commerciale au phoque. Conscient de l'impact que les modalités de gestion des ressources de la pêche peuvent avoir sur la sécurité des pêcheurs et des bateaux de pêche, le Bureau avait exprimé des préoccupations similairesNote de bas de page 21 dans le passé. Le Bureau continuera d'exercer un suivi des événements liés à la chasse au phoque pour voir si des mesures de sécurité complémentaires sont nécessaires.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

Annexes

Annexe A - Îles de la Madeleine, section sud

Annexe A. Îles de la Madeleine, section sud
Îles de la Madeleine, section sud

Annexe B - Côte est du Canada

Annexe B. Côte est du Canada
Côte est du Canada

Note : Les principales régions de la chasse au phoque au Canada sont situées dans le golfe du Saint-Laurent et au large de la côte nord-est de Terre-Neuve. On appelle la première région « le Golfe » et la seconde, « le Front ». Les phoques sont aussi chassés le long de la Basse-Côte-Nord du Québec et sur la côte du Labrador.

Annexe C - Permis, quota total et prix des peaux de phoque

Annexe C. Graphique démontrant ce qui est expliqué au paragraphe ci-bas.
Graphique démontrant ce qui est expliqué au paragraphe ci-bas.

Note : De 1995 à 2005, de fortes augmentations du quota et du prix des peaux ont attiré un plus grand nombre de chasseurs. Le nombre de permis a augmenté d'environ 50 % en 10 ans, passant de 10 383 en 1995 à 15 715 en 2005.