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Rapport d'enquête maritime M14P0014

Échouement
Navire porte-conteneurs Cap Blanche
Fleuve Fraser (Colombie-Britannique)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 25 janvier 2014, à 21 h 56, heure normale du Pacifique, le navire porte-conteneurs Cap Blanche s'est échoué dans le chenal balisé de la courbe de Steveston (Colombie-Britannique) [Steveston Bend]. Le navire était sous la conduite d'un pilote et naviguait en conditions de visibilité réduite en raison du brouillard. Le Cap Blanche a été renfloué environ 30 minutes après l'échouement. Il n'y a pas eu de dommages importants, pas de blessés, ni de pollution.

Renseignements de base

Fiche technique du navire

Nom du navire Cap Blanche
Numéro OMI* 9311775
Port d'immatriculation Saint John's
Pavillon Antigua-et-Barbuda
Type Navire porte-conteneurs
Jauge brute 28 372
LongueurNote de bas de page 1 221,62 m
Tirant d'eau au moment de l'accident À l'avant : 7,35 m
À l'arrière : 10,15 m
Construction 2006; Wismar (Allemagne)
Propulsion 1 moteur diesel principal (21 769 kW) entraînant une hélice fixe
Cargaison 15 329 tonnes de cargaison distribuée dans
422 conteneurs de 40 pieds et 381 conteneurs de 20 pieds
Membres d'équipage 18
Propriétaire enregistré Blanche Schiffahrts GmbH & Co. (Allemagne)
Gestionnaire Harmstorf & Co. (Allemagne)

* OMI : Organisation maritime internationale

Description du navire

Le Cap Blanche est un navire porte-conteneurs pourvu de 3 grues à cargo installées sur l'axe central du pont principal (photo 1). Il a une capacité de 2741 EVPNote de bas de page 2, comprenant 400 conteneurs réfrigérés. Le poste d'équipage et les compartiments moteurs sont situés à l'arrière, et le navire est équipé d'un propulseur d'étrave.

Photo 1. Cap Blanche
Photo du Cap Blanche

Le navire est pourvu d'un système de passerelle intégré, et les consoles de la passerelle sont décalées à tribord pour réduire l'angle mort causé par les grues centrales. Le système de passerelle intégré est doté d'un système électronique de visualisation des cartes marines (SEVCM), d'un système d'identification automatique (SIA), d'un système de positionnement mondial (GPS) et de radars de 3 cm et de 10 cm avec fonction d'aide de pointage radar automatique (APRA). Le navire est équipé d'un logiciel de courrier électronique réservé aux communications commerciales permettant l'insertion de pièces jointes de taille limitée, mais n'a pas accès à Internet.

Déroulement du voyage

Le 25 janvier 2014, à 6 h 24Note de bas de page 3, le Cap Blanche quitte Tacoma (Washington), aux États-Unis, à destination du terminal Fraser Surrey Docks du fleuve Fraser (Colombie-Britannique). Au cours du voyage, le capitaine est informé que le poste à quai n'est pas prêt à accueillir le Cap Blanche. Le navire se dirige donc vers l'aire de mouillage de Constance Bank, près de Victoria (Colombie-Britannique), où il jette l'ancre à 13 h 24.

Le poste à quai se libère plus tard au cours de la journée, et le navire se dirige vers la station de pilotage Brotchie à 17 h 18, où il fait monter à bord un pilote de la British Columbia Coast Pilots Ltd. (BCCP), à 18 h. Le Cap Blanche prend ensuite la direction de l'embouchure du fleuve Fraser, arrivant vers 21 h 15 dans le brouillard. À ce moment, l'équipe à la passerelle est composée du capitaine, de l'officier de quart et d'un timonier.

Un pilote du fleuve Fraser monte à bord à 21 h 18 et discute du trajet avec le pilote de la BCCP. Le pilote du fleuve Fraser prend ensuite les commandes du navireNote de bas de page 4. Il règle son unité portative de pilotage (UPP)Note de bas de page 5 et branche son indicateur de taux de girationNote de bas de page 6 dans la prise réservée au pilote afin de surveiller la progression du navire. L'UPP du pilote est dotée d'un module de prévisionNote de bas de page 7 à mise à jour continue qui affiche les 6 prochaines positions du navire à des intervalles de 30 secondes. Le pilote communique aussi son trajet prévu et la position du navire aux services de trafic maritime, comme il est tenu de le faire.

Le pilote et le capitaine échangent ensuite leurs plans de traversée respectifs. Le plan de traversée du pilote fournit des renseignements sur le trajet, la fenêtre des marées, la tolérance de maréeNote de bas de page 8, et le dégagement sous quille pour 3 points3 points du voyage vers le poste à quai. Le pilote y a également inclus des renseignements sur les manœuvres d'accostage au terminal Fraser Surrey Docks. De plus, le pilote informe le capitaine de la circulation prévue au cours du voyage. Le capitaine a quant à lui fourni au pilote des renseignements sur l'état du navire, notamment sur les ancres en attente et l'appareil à gouverner pour les manœuvres.

Peu après 21 h 30, le pilote augmente la vitesse du navire pour surmonter les courants traversiers à l'embouchure du fleuve et, à 21 h 32, amorce un virage à tribord pour entrer sur le fleuve Fraser selon les balises d'alignementNote de bas de page 9. Le navire passe le phare de Sand Heads à 21 h 43 à une vitesse de 16 nœuds. Le pilote établit un cercle variable de distance selon un rayon de 0,5 milles marins (nm) sur le radar afin de surveiller l'avancement du navire sur le fleuve. À ce moment, le capitaine utilise le système électronique de visualisation des cartes marines (SEVCM) du poste de commande à tribord afin de surveiller la progression du navire, alors que l'officier de quart utilise une carte sur papierNote de bas de page 10.

À 21 h 50, le Cap Blanche passe la bouée S6Note de bas de page 11, et le pilote ordonne de réduire l'allure à demi-vitesse avant. Lorsque le navire atteint la bouée S8, à 21 h 52 min 30 s, le pilote, qui se trouvait au radar avec l'UPP, ordonne de mettre le gouvernail à 15° à tribord pour amorcer le virage dans la courbe de Steveston. Le pilote utilise alors le module de prévision pour évaluer le taux de giration du navire et, pendant le virage du navire, ordonne de réduire l'angle du gouvernail à 10° à tribord, puis à 5° à tribord, et enfin à zéro.

À 21 h 53 min 20 s, la bouée S8 se trouve presque au centre du navire, le cap du navire est à 065° gyro (G), son taux de giration est de 24,8° par minuteNote de bas de page 12 à tribord à une vitesse de 14,3 nœuds. À 21 h 54 min 30 s, le cap est à 089°G, la vitesse est de 13 nœuds et le navire commence à tourner vers le bras sud du chenal. Le pilote ordonne un retour de barre bâbord en avant toute pour arrêter le virage à tribord et corriger la position du navire dans le chenal. Le navire ne répond pas suffisamment et s'échoue juste au nord de la bouée S10, à 21 h 56, dans le chenal navigable.

Après l'échouement, on sonde les citernes et vérifie si le navire est endommagé. Aucune infiltration d'eau ni pollution n'ont été détectées. Le capitaine et le pilote ont discuté des mesures possibles pour renflouer le navire, et ont convenu de tenter d'utiliser le propulseur d'étrave. Le capitaine demande à la salle des machines de mettre le propulseur en service et le pilote utilise une combinaison de mouvements par le propulseur et le moteur pour renflouer le navire à la marée montante. Le navire met ensuite le cap vers le terminal Fraser Surrey Docks et amarre au poste à quai 7 à 0 h 42.

Avaries au navire

Transports Canada a examiné le navire après son arrivée au terminal Fraser Surrey Docks, à la suite de l'échouement, et a demandé une inspection sous-marine de la coque. L'inspection, qui a eu lieu le 27 janvier, a révélé que la peinture antisalissure rouge était partiellement usée ou effacée entre le couple 90, à l'arrière, et le couple 46 sur le fond plat. La même observation a été faite à l'égard du côté tribord du fond plat (entre le réservoir de graissage du tube d'étambot environ et l'arrière du navire). Aucun autre dommage, aucune égratignure profonde ni aucune empreinte n'ont été observés sur la coque en acier.

Certification et expérience du personnel

Tous les membres de l'équipage du Cap Blanche possédaient les certificats appropriés pour les postes qu'ils occupaient à bord.

Le capitaine a obtenu son certificat d'officier de quart à la passerelle en 1992. Après avoir travaillé à terre jusqu'en 1999, il a accepté un poste de troisième officier. Il a obtenu son brevet de capitaine au long cours en février 2006 et a été promu au poste de capitaine en février 2007. Il s'agissait du deuxième voyage du capitaine sur le fleuve Fraser. Il avait suivi un cours de formation sur la gestion des ressources à la passerelle dans le cadre de son brevet, mais n'avait pas suivi de cours type distinct de l'Organisation maritime internationale (OMI).

L'officier de quart a obtenu son certificat d'officier de quart à la passerelle en juillet 2012. Il avait suivi un cours type de l'OMI sur la gestion des ressources à la passerelle.

Le timonier naviguait à titre de matelot de pont depuis janvier 2009 et a obtenu le titre de matelot breveté en mai 2013 lorsqu'il s'est joint à l'équipage du Cap Blanche.

Le pilote à bord du Cap Blanche a obtenu un brevet de pilote de classe II, sur le fleuve Fraser, en novembre 2006. Il a obtenu en novembre 2007 un brevet de classe I l'autorisant à piloter un navire sur le fleuve Fraser sans restriction. Le pilote avait suivi un cours sur la gestion des ressources à la passerelle ainsi qu'une formation adaptée à son UPP.

Certificats du navire

Le Cap Blanche avait les certificats et l'équipement exigés aux termes des règlements en vigueur.

Conditions environnementales

Au moment de l'événement, il y avait du brouillard et la visibilité était réduite à environ 150 mètres. L'étrave du navire n'était pas visible et les bouées le devenaient seulement lorsqu'elles se trouvaient à la hauteur du navire. Les vents étaient de légers à nuls et, à Sand Heads, la marée basse était à 18 h 44. Lorsque le Cap Blanche a passé le phare de Sand Heads, à 21 h 43, la marée avait monté à 2,3 m au-dessus du zéro des cartes, et le courant descendait à 0,3 nœud. Treize minutes plus tard, au moment de l'échouement, la tolérance de marée approximative dans la courbe de Steveston était de 1,8 mNote de bas de page 13. La marée avait atteint 2,1 m à la fin du renflouement du Cap Blanche.

Fleuve Fraser

Le fleuve Fraser se trouve en Colombie-Britannique. Long de 1375 km, il accumule environ 25 % de l'eau de surface de la province au point où il atteint son estuaireNote de bas de page 14. Les navires de haute mer (long cours) ont accès au fleuve à partir du détroit de Georgia jusqu'au terminal Fraser Surrey Docks, qui se trouve à environ 34 km en amont.

Ensablement du fleuve Fraser

Le fort débit d'eau entraîne en moyenne 3 millions de mètres cubes de sédiments qui se déposent chaque année dans le chenal navigable du fleuve Fraser. L'ensablement est donc évident dans certaines zones du fleuve, entre Sand Heads et le terminal Fraser Surrey Docks, et est plus prononcé lorsque la crue nivale commence à s'estomper (entre la mi-août et le début septembre). Les zones les plus touchées par l'ensablement sont les suivantes :

Le bras sud de la courbe de Steveston est aussi un endroit sujet à l'ensablement : à certaines périodes de l'année, il peut même atteindre le centre du chenal. Le bras nord se drague de lui-même en raison de la nature de la courbe, et ses eaux sont beaucoup plus profondes que la profondeur de calcul de 10,1 m. La courbe de Steveston est considérée comme une courbe importante en raison de son rayon de courbure prononcé et, même si elle est conçue pour une circulation maritime à 2 voies, elle est généralement traitée comme un chenal de navigation à voie unique entre le km 5 et le km 7.

Au moment de l'événement, l'ensablement du bras sud de la courbe de Steveston empiétait dans le chenal navigable et réduisait de 10 m les profondeurs de calcul entre les km 5 et 6, et de 10,1 m entre les km 6 et 7 (annexe B). La bouée S10, qui se trouve à proximité du lieu de l'échouement, est située sur le bras sud du chenal, un peu à l'est du km 6.

Conception du chenal

La Garde côtière canadienne (GCC) aide les autorités portuaires à respecter les normes minimales de conception et d'utilisation des chenaux qui sont publiées dans les Lignes directrices sur les manœuvres dans les voies navigables canadiennes : Paramètres de conception d'un chenal, qui sont fondées sur les normes de l'AIPCNNote de bas de page 15. La conception du chenal du fleuve Fraser est fondée sur ces lignes directrices, les besoins des utilisateurs du fleuve ainsi que les lieux et les types de navigation et d'activités portuaires sur le fleuve.

Sur le fleuve Fraser, un chenal navigable à 2 voies d'une largeur de 200 m à 260 m et d'une profondeur variable pouvant accueillir des navires d'un tirant d'eau maximal de 11,5 m a été retenu par l'Administration portuaire du fleuve FraserNote de bas de page 16.

L'entretien du chenal navigable est assuré en collaboration par Port Metro Vancouver et la GCC. Port Metro Vancouver gère et finance un programme d'entretien annuel pour le dragage du fleuve Fraser; les travaux ont été confiés à un entrepreneur local. En général, le dragage commence en juin, au début des dépôts de grandes quantités de sédiments, et se termine entre la fin de février et la mi-mars.

La GCC est responsable de l'évaluation du chenal principal afin d'assurer le suivi de l'état du lit du fleuve et des premières améliorations amenées par le dragage. Cette responsabilité comprend des examens réguliers qui visent à confirmer que des navires de tailles donnéesNote de bas de page 17 peuvent naviguer en toute sécurité. L'évaluation est sous-traitée à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC), qui produit des levés bathymétriques des profondeurs à jour. La GCC possède aussi, et met à jour, un éventail d'aides à la navigation fixes et flottants, notamment de nombreuses balises d'alignement.

Port Metro Vancouver procède à une conférence téléphonique hebdomadaire relative à l'état du chenal. Des représentants de la CGC, de TPSGC, du terminal Fraser Surrey Docks, des pilotes du fleuve Fraser et de l'entrepreneur chargé du dragage participent généralement à cette conférence. Au cours de cette conférence, les parties discutent de nombreux sujets, notamment des prévisions sur le débit d'eau et les marées ainsi que de l'établissement du calendrier des travaux de dragage. Les priorités en matière de dragage, fondées en partie sur les commentaires des pilotes du fleuve Fraser, sont établies.

Renseignements sur la navigation

La GCC tient à jour un portail WebNote de bas de page 18 public, appelé Avadepth, d'où l'on peut télécharger les levés bathymétriques du fleuve Fraser de TPSGC. Au cours de la crue nivale, ces levés bathymétriques sont parfois mis à jour chaque semaine. Le portail propose de nombreux autres éléments, dont le calcul des marées et des rapports sur les niveaux d'eau et les courants prévus. Les pilotes du fleuve Fraser ont accès aux renseignements des levés bathymétriques sous forme de supplément à leurs cartes électroniques, et peuvent les télécharger dans leur UPP.

Le pilote en cause dans l'événement avait téléchargé dans son UPP le plus récent supplément de TPSGC sur les profondeurs du fleuve Fraser. Les pilotes ne partagent généralement pas ces suppléments avec les membres de l'équipe à la passerelle en raison des problèmes de compatibilité possibles avec les différents types d'appareils de navigation à bord des différents navires (p. ex., il est impossible de diffuser les levés bathymétriques électroniques si le navire n'est pas doté d'un SEVCM).

Le Service hydrographique du Canada produit une carte du fleuve Fraser en formats électronique et papier. Au moment de l'événement, le navire transportait la carte papier, qui indiquait que toute la largeur du fleuve entre Sand Heads et le poste à quai était un chenal dragué et donnait la profondeur draguée pour chaque kilomètre. La carte papier comprenait l'avertissement suivant :

Les profondeurs cartographiées peuvent changer en raison de l'ensablement, du curage et du dragage. Pour obtenir des profondeurs plus récentes en zones draguées, veuillez consulter le site Web de la Garde Côtière Canadienne, AVADEPTH Water Depth Forecasting for the Fraser River (http://www2.pac.dfo-mpo.gc.ca)Note de bas de page 19.

La carte électronique comprend le même avertissement au sujet de l'ensablement, du curage et du dragage. L'équipe à la passerelle n'avait pas consulté le site Web Avadepth avant l'embarquement du pilote. Le Cap Blanche, comme la plupart des navires de marchandises, n'avait pas accès à Internet.

Planification de la traversée

Un plan de traversée fournit une description complète des étapes successives d'un voyage, du poste à quai de départ au poste à quai d'arrivée. Divers facteurs entrent dans la préparation d'un plan de voyage, notamment les dangers possibles, les conditions météorologiques, les marées et les courants, les profondeurs, les eaux libres et la vitesse du navire.

L'équipe à la passerelle du Cap Blanche avait préparé un plan de voyage pour le trajet entre Tacoma et le terminal Fraser Surrey Docks. Le plan de voyage avait été rédigé sur le formulaire fourni par l'entreprise et traitait des points de cheminement, des tirants d'eau, des distances, des points d'appel et de la vitesse sécuritaire dans la zone portuaire (de 6 à 12 nœuds). Une note stipulait que la vitesse sécuritaire dans le fleuve Fraser était de 10 nœuds avec un tirant d'eau de 11,5 m. Les points de cheminement du formulaire de l'entreprise avaient en outre été copiés sur la carte papier et transférés dans le SEVCM.

Pilotage

La navigation sur le fleuve Fraser est ardue en raison des nombreuses variables comme la marée, le courant, le débit, l'ensablement, la visibilité, la crue nivale, les destinations sur le fleuve, la circulation maritime et le tirant d'eau. Les navires de jauge brute supérieure à 350 doivent donc faire appel à un pilote du fleuve Fraser. Les pilotes du fleuve Fraser sont embauchés par l'Administration de pilotage du Pacifique (APP), laquelle est responsable des services de pilotage le long de la côte de la Colombie-Britannique.

Les pilotes peuvent, à leur discrétion, choisir leurs techniques de pilotage sur le fleuve Fraser. Les pilotes utilisent des balises d'alignement, qui sont installées pour les trajets de départ et de retour, ainsi que des bouées et des signaux lumineux fixes qui marquent les limites du chenal navigable. Les pilotes peuvent en outre utiliser de nombreux appareils de navigation (radar, GPS, UPP) afin de favoriser le passage sécuritaire du navire. En plus des repères visuels (les balises et les bouées), il est de pratique courante pour les navigateurs de contre-vérifier la progression du navire sur ces divers appareils de navigation afin de confirmer la précision des appareils et de détecter les erreurs de matériel.

Radar

Le radar donne au navigateur une indication visuelle de la position du navire par rapport aux environs. Dans des conditions de visibilité réduite, le radar est un outil de navigation efficace puisque des éléments comme la lumière, la noirceur, le brouillard, etc. n'ont pas d'incidence sur ses ondes radioélectriques. Sur le fleuve Fraser, les pilotes règlent généralement un cercle variable de distance de 0,5 nm sur le radar. Le point d'intersection avec la ligne de foi est ensuite utilisé pour vérifier le taux de giration du navire et la position du navire sur le fleuve.

Unité portative de pilotage

Entre 2009 et 2010, en plus de l'accès aux appareils de navigation courants, l'APP a distribué à chacun des pilotes du fleuve Fraser, y compris celui en cause dans l'événement, un UPP, un indicateur de taux de giration et une antenne du système de positionnement mondial différentiel (DGPS) avec système de renforcement à couverture étendue (WASS)Note de bas de page 20.

L'UPP des pilotes était dotée d'un module de prévision qui calcule la ou les positions futures du navire par des calculs géométriques fondés sur le taux de giration, la position, le cap, la route sur le fond (COG) et la vitesse sur le fond (SOG) actuels du navireNote de bas de page 21. La route sur le fond et la vitesse sur le fond sont dérivées des valeurs du GPS qui fluctuent constamment, même si le navire maintient une vitesse et un cap stables. La fluctuation des valeurs est causée par des erreurs et des inexactitudes intrinsèques du GPS. Afin de stabiliser ces valeurs, le GPS lisse ces données au moyen d'un algorithme qui calcule la vitesse et le cap moyens, fournissant ainsi à l'utilisateur une route sur le fond et une vitesse sur le fond plus stables. L'intervalle de lissage peut généralement être défini par l'utilisateur, et peut varier entre 2 et 30 secondes. Le réglage de l'intervalle de lissage du GPS peut donc entraîner un écart par rapport à la route sur le fond et à la vitesse sur le fond indiquées. La position du navire peut aussi varier, dans certains cas jusqu'à une longueur entière de navire, se soldant par une indication inexacte de la position du navire sur les appareils de navigation, comme l'UPP du pilote. L'utilisation d'une antenne DGPS avec WAAS permet d'obtenir des données plus précises sur la position du navire. Ces antennes utilisent un intervalle de lissage par défaut du GPS de 4 secondes pour la vitesse sur le fond et de 6 à 8 secondes pour la route sur le fond. La période de lissage est alors une donnée connue dont on peut tenir compte lors de l'utilisation de l'UPP.

Après avoir reçu les appareils de navigation susmentionnés, les pilotes ont suivi une formation de 5 jours sur l'utilisation du matériel et les fonctions du logiciel. Les pilotes se sont exercés à utiliser l'équipement avec des données fournies par l'instructeur. Le cours ne traitait pas des intervalles de lissage du système GPSNote de bas de page 22.

Les pilotes ne sont pas tenus d'utiliser les appareils de navigation fournis par l'APP, cette décision relevant de leur discrétion, sauf à bord des navires qui franchissent Second Narrows, où l'utilisation de l'UPP et de l'antenne DGPS avec WASS est exigée par l'APP. Au moment de l'événement, l'UPP du pilote téléchargeait des données de navigation du SIA du Cap Blanche, dont l'intervalle de lissage était inconnuNote de bas de page 23; le module de prévision était réglé pour afficher 6 positions du navire, chacune à 30 secondes d'intervalle.

Le pilote n'avait pas pris son antenne DGPS avec WASS pour le voyage en cause, ayant eu des problèmes techniquesNote de bas de page 24 au cours de voyages précédents. Ces problèmes n'ont pas été signalés à l'APP, et celle-ci n'a pas de processus officiel pour assurer le suivi des problèmes avec les appareils de navigation remis aux pilotes. L'APP a toutefois des appareils de rechange, et les pilotes peuvent échanger leurs appareils défectueux.

Échange entre le capitaine et le pilote

Normalement, à son arrivée à bord, le pilote discute avec le capitaine pour élaborer un modèle mental commun du voyage, échanger des renseignements sur des détails comme les caps et les parcours prévus, la vitesse du navire, les zones à éviter et le moment et le lieu de chaque changement de cap. L'échange continu de renseignements sur la navigation durant le voyage aide le pilote et l'équipe à la passerelle à travailler en collaboration pour surveiller la position et le déplacement du navire.

En 1995, le Bureau de la sécurité des transports (BST) a mené une étude sur la sécurité portant sur les relations opérationnelles entre les pilotes maritimes et les capitaines ainsi que les officiers de veille des navires. Cette étude avait pour but de déterminer les manquements à la sécurité liés au travail d'équipe à la passerelle, y compris les échanges entre les pilotes et les capitaines ou les officiers de quart. Dans le rapport relatif à l'étude, le BST souligne, à l'égard de la prise de décision des pilotes, que « le système en place peut faire en sorte qu'une seule décision erronée de la part du pilote mène à la catastrophe; sans surveillance efficace des ordres du pilote qui a la conduite du navire, il n'existe que peu de moyens d'assurer la sécurité de la navigationNote de bas de page 25. »

Dans l'événement en cause, le pilote n'a pas fourni les renseignements sur l'ensablement dans le fleuve Fraser à l'équipe à la passerelle, et cette dernière n'a pas pris l'initiative d'obtenir l'information sur l'ensablement.

Voyage de comparaison

Le 22 mars 2014, un enquêteur du BST, accompagné de 2 pilotes du fleuve Fraser, est monté à bord du Cap Blanche à titre d'observateur alors que navire refaisait le même voyage sur le fleuve Fraser à destination du même poste à quai. Au cours du voyage, on a comparé les données de positionnement du navire fournies par le SIA du navire à celles fournies par l'antenne DGPS avec WASS du pilote, les deux appareils étant réglés à leur intervalle de lissage des données de localisation par défaut. La comparaison a révélé des écarts entre les positions prévues du navire calculées par les deux systèmes (figure 1). Les positions prévues du navire étaient moins exactes lorsque l'UPP était connectée au SIA.

Figure 1. Écart entre les positions prévues du navire calculées selon les données du système d'identification automatique (SIA) du navire et une antenne du système de positionnement mondial différentiel (DGPS) avec système de renforcement à couverture étendue (WASS) alors que le Cap Blanche passait par City Reach, près du km 29.
Écart entre les positions prévues et réelle du navire

Événements précédents

Le 8 novembre 2003, le porte-conteneurs Cielo del CanadaNote de bas de page 26 s'est échoué à l'entrée du fleuve Fraser au départ de son voyage. L'enquête du BST a révélé que la conduite du navire avait été confiée à un pilote côtier avant que le navire quitte la zone de pilotage 1, qui est une zone réservée aux pilotes du fleuve, et que le pilote côtier responsable de la conduite du navire n'était pas au courant des restrictions de largeur du chenal. Elle indique également que « [n]i les Instructions nautiques pour le littoral de la Colombie-Britannique (partie sud) ni la carte nº 3490 du Service hydrographique du Canada (fleuve Fraser) ne renseignent le navigateur sur la différence entre la largeur du chenal profond dragué et la largeur véritable du chenal balisé sur le fleuve Fraser. »

À la suite de l'enquête, le Service Hydrographique du Canada a émis un avis aux navigateurs qui précise que l'Administration portuaire du fleuve Fraser assure le maintien des paramètres des chenaux grâce à un programme annuel de dragage. L'avis indiquait également les largeurs extérieures et intérieures des chenaux ainsi que les restrictions de profondeur, et comprenait un avertissement à l'égard du fait que les bouées n'indiquaient pas la largeur du chenal dragué et qu'en raison de l'ensablement rapide, de l'affouillement (curage) ou du dragage, les cartes pouvaient ne pas indiquer les conditions les plus récentes.

Analyse

Événements ayant mené à l'échouement

Dans l'événement en cause, le pilote a amorcé le virage près de la bouée S8 à une vitesse de décélération de 14,5 nœuds. En l'absence de repères visuels à cause de la visibilité réduiteNote de bas de page 27, le pilote s'est principalement fié aux positions prévues du navire affichées sur son unité portative de pilotage (UPP) pour surveiller le taux de giration du navire, et n'a pas remarqué qu'à un certain moment, le taux de giration avait atteint deux fois la valeur moyenne dans la courbe de Steveston, faisant dévier le navire de sa trajectoire prévue dans le bras sud du chenal. L'UPP obtenait des données du système d'identification automatique (SIA) du navire, soumises au lissage du système de positionnement mondial (GPS). Les positions prévues du navire affichées sur l'UPP ne reflétaient donc pas avec précision les futures positions du navire, mais le pilote l'ignorait.

Même si le pilote possédait les données les plus récentes sur l'ensablement du fleuve, ces données n'ont pas été communiquées à l'équipe à la passerelle, et l'équipe à la passerelle n'a pris aucune mesure pour obtenir l'information sur l'ensablement. Par conséquent, même s'ils surveillaient la progression du navire, les membres de l'équipe à la passerelle n'étaient pas en mesure de se rendre compte du danger latent. Lorsque le pilote a constaté que le taux de giration était trop élevé, il a ordonné un retour de barre en avant toute, mais le navire n'a pas répondu suffisamment. Le taux de vitesse du navire a limité le temps de réaction disponible, et le navire s'est échoué juste au nord de la bouée S10, dans les limites du chenal.

Suivi de la progression du navire

Pour veiller au passage sécuritaire d'un navire, les navigateurs utilisent des repères visuels et des renseignements provenant de nombreux appareils de navigation. La contre-vérification fréquente des données des appareils de navigation est essentielle pour garantir un suivi précis de la progression du navire, en particulier lorsque la visibilité est réduite et au cours de manœuvres dans les eaux dites resserrées.

Dans l'événement en cause, puisque la visibilité était réduite, le pilote avait moins d'outils pour assurer le suivi de la progression du navire. Au début du virage dans la courbe de Steveston, le pilote s'est principalement fié aux positions prévues affichées du navire pour surveiller le taux de giration du navire dans la courbe de Steveston, et n'a pas vérifié l'information au moyen d'autres appareils comme le radar ou le taux de giration affiché sur l'UPP. La contre-vérification des données de navigation à l'amorce du virage aurait peut-être indiqué au pilote que le navire n'avançait pas conformément aux indications du module de prévision et que des mesures correctives étaient requises. Toutefois, au moment où le pilote a contre-vérifié les données sur la progression du navire, le changement de barre et l'augmentation de la vitesse se sont avérés insuffisants pour arrêter le virage du navire.

Lorsqu'un navigateur n'utilise qu'un seul appareil de navigation, des erreurs ou des inexactitudes potentielles risquent de passer inaperçues.

Communication des données de navigation

Au cours d'un voyage, la communication soutenue des données de navigation pertinentes entre les membres de l'équipe à la passerelle facilite le suivi de la progression du navire et permet à tous les navigateurs de jouer un rôle actif dans la détection des conditions dangereuses potentielles et des erreurs.

Dans l'événement en cause, le capitaine et le pilote avaient échangé des renseignements, et le pilote et l'équipe à la passerelle partageaient continuellement de l'information au cours du voyage. Toutefois, le pilote n'a pas informé l'équipe à la passerelle de l'étendue de l'ensablement dans le chenal navigable dans la courbe de Steveston ni de son intention de demeurer sur le côté nord de la courbe. L'équipe à la passerelle suivait la progression du navire, mais n'a pas demandé de renseignements sur l'ensablement dans le fleuve. Ainsi, lorsque le navire a dévié de sa trajectoire prévue et est entré sur le bras sud du chenal, où la profondeur de l'eau était inférieure à la profondeur de calcul, l'équipe à la passerelle n'a pas été en mesure de déceler le danger ni d'aider le pilote à prendre les mesures correctives.

En outre, même si l'équipe à la passerelle avait préparé un plan de voyage qui indiquait que la vitesse sécuritaire dans la zone portuaire était de 6 à 12 nœuds, le pilote a dépassé cette vitesse dans le fleuve. Malgré la visibilité réduite, l'équipe à la passerelle n'a pas amorcé de discussion avec le pilote pour veiller à ce que tous aient la même compréhension de la plage de vitesses du navire au cours du voyage, et le pilote n'a pas signifié ses intentions à cet égard.

Si des renseignements susceptibles de nuire au passage sécuritaire d'un navire ne sont pas échangés entre l'équipe à la passerelle et les pilotes, il y a un risque que des situations ou conditions dangereuses persistent.

Utilisation des appareils de navigation

Il est essentiel d'utiliser les appareils de navigation les plus précis dont on dispose pour assurer une navigation sécuritaire. C'est pourquoi tous les pilotes du fleuve Fraser ont une antenne du système de positionnement mondial différentiel (DGPS) avec système de renforcement à couverture étendue (WASS) qui améliore la précision, l'intégrité et la disponibilité des signaux de positionnement GPS et permet ainsi d'assurer un suivi plus précis de la position du navire.

Dans l'événement en cause, le pilote n'avait pas son antenne avec lui parce qu'il avait eu des problèmes techniques dans le passé. Il avait branché son UPP dans la prise réservée au pilote et son unité obtenait des données du SIA du navire. Les données SIA étaient moins précises que celles fournies par l'antenne DGPS avec WASS en raison d'un intervalle de lissage du système GPS non établi. Bien que l'Administration de pilotage du Pacifique (APP) n'oblige pas les pilotes à utiliser ces antennes, les navigateurs ont avantage à profiter des appareils les plus efficaces à leur disposition pour garantir l'exactitude des données de navigation.

Les pilotes qui n'utilisent pas les appareils de navigation les plus précis à leur disposition risquent de prendre des décisions fondées sur des renseignements imprécis.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. En l'absence de repères visuels, le pilote s'est fié aux positions prévues du navire affichées par le module de prévision pour surveiller le taux de giration du navire.
  2. Le module de prévision utilisait les données du système d'identification automatique, qui étaient inexactes en raison de l'intervalle de lissage du système de positionnement mondial, mais le pilote ne le savait pas.
  3. Le taux de vitesse du navire au moment d'amorcer le virage a limité le temps disponible pour réagir à la situation.
  4. Le taux de giration du navire a fait dévier ce dernier sur une trajectoire qui l'a mené dans la partie ensablée du bras sud du chenal.
  5. Le pilote n'a pas informé l'équipe à la passerelle de l'étendue de l'ensablement dans la courbe de Steveston, et l'équipe à la passerelle n'a pas demandé de renseignements sur l'ensablement dans le fleuve : l'équipe à la passerelle n'a donc pas été en mesure de déceler le danger ni d'aider le pilote à prendre les mesures correctives requises.
  6. L'effet du retour de barre effectué par le pilote pour arrêter le virage a été réduit parce que le navire décélérait; le navire s'est échoué juste au nord de la bouée S10.

Faits établis quant aux risques

  1. Lorsqu'un navigateur n'utilise qu'un seul appareil de navigation, des erreurs ou des inexactitudes potentielles risquent de passer inaperçues.
  2. Si des renseignements susceptibles de nuire au passage sécuritaire d'un navire ne sont pas échangés entre l'équipe à la passerelle et les pilotes, il y a un risque que des situations ou conditions dangereuses persistent.
  3. Les pilotes qui n'utilisent pas les appareils de navigation les plus précis à leur disposition risquent de prendre des décisions fondées sur des renseignements imprécis.

Autres faits établis

  1. L'Administration de pilotage du Pacifique n'a pas de méthode pour assurer le suivi des problèmes liés aux appareils remis aux pilotes.

Mesures de sécurité

Mesures de sécurité prises

Bureau de la sécurité des transports

Le 8 mai 2014, le Bureau de la sécurité des transports (BST) a envoyé à l'Administration de pilotage du Pacifique (APP) l'avis de sécurité maritime 04/14, qui donnait des renseignements sur les écarts entre les données fournies par le système d'identification automatique (SIA) des navires et celles transmises par les antennes du système de positionnement mondial différentiel (DGPS) avec système de renforcement à couverture étendue (WASS) des pilotes.

Administration de pilotage du Pacifique

Le 15 mai 2014, l'APP a distribué l'avis de sécurité maritime 04/14 à tous les pilotes dans son bulletin 209/14 destiné aux pilotes, mentionnant, dans la lettre d'envoi, qu'elle encourageait tous les utilisateurs des unités portatives de pilotage à se servir aussi de l'antenne DGPS avec WASS. Elle exhorte en outre les pilotes à ne pas se fier uniquement aux données du SIA du navire.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet incident. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

Annexes

Annexe A – Région où s'est produit l'événement

Annexe A – Région où s'est produit l'événement
Carte du région où s'est produit l'événement

Annexe B – Ensablement dans la courbe de Steveston

Annexe B – Ensablement dans la courbe de Stevestont
Image de l'ensablement dans la courbe de Steveston