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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport maritime M20P0353

Largage accidentel d’une embarcation de sauvetage mise à l’eau en chute libre
Vraquier Blue Bosporus
Baie English (Colombie-Britannique)
1er décembre 2020



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 1er décembre 2020, l’équipage du vraquier Blue Bosporus effectuait un exercice avec un type d’embarcation de sauvetage qui est mise à l’eau en chute libre (ci-après appelée embarcation de sauvetage mise à l’eau en chute libre) au poste de mouillage 12 de la baie English (Colombie-Britannique), lorsque les élingues de câble métallique retenant l’embarcation de sauvetage ont cédé et celle-ci est tombée à l’eau d’une hauteur approximative de 14 m. Deux membres d’équipage se trouvaient à bord de l’embarcation de sauvetage au moment de l’accident. Ils ont tous deux été grièvement blessés et transportés à l’hôpital. Le côté tribord avant de la coque de l’embarcation de sauvetage a été endommagé. Il n’y a eu aucune pollution.

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiche technique du navire

Tableau 1. Fiche technique du navire
Nom du navire Blue Bosporus
Numéro de l’Organisation maritime internationale 9370185
Pavillon Panama
Type Vraquier
Port en lourd 78 819
Jauge brute 41 668
Longueur hors tout 225,0 m
Largeur hors membrures 32,24 m
Tirant d’eau prévu 14,38 m
Tirant d’eau (au moment de l’événement) 4,84 m (à l’avant), 7,03 m (à l’arrière)
Année de construction 2007
Constructeur Sanoyas Hishino Meisho Corporation
Équipage 20
Propriétaire enregistré Falcon Shipholding Inc.
Gestionnaire du navire Apollonia Lines S.A.
Société de classification Nippon Kaiji Kyokai
Autorité émettrice de la certification internationale
de gestion de la sécurité
Nippon Kaiji Kyokai

1.2 Description du navire

Le Blue Bosporus est un vraquier construit en 2007 (figure 1). Les emménagements sont situés à l’arrière et comportent 5 ponts, dont le pont de la passerelle de navigation et les ponts A à D. La timonerie, située sur le pont de la passerelle de navigation, est équipée de tout le matériel de navigation requis par la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (Convention SOLAS)Note de bas de page 1,Note de bas de page 2. Le navire est équipé d’un canot de secours et d’une embarcation de sauvetage mise à l’eau en chute libreNote de bas de page 3.

Figure 1. Blue Bosporus (Source : Csaba Magyar, Shipspotting.com)
Blue Bosporus (Source : Csaba Magyar, Shipspotting.com)

1.2.1 Embarcation de sauvetage mise à l’eau en chute libre

L’embarcation de sauvetage (type GARS 6-7, numéro de construction FF70) a été fabriquée en 2007 par Shigi Shipbuilding Co. Ltd. (figure 2). Elle pèse 3240 kg lorsqu’elle est vide et compte 25 sièges. Chaque siège est muni d’un harnais de retenue.

L’embarcation de sauvetage est arrimée à environ 6 m au-dessus du niveau du pont principal sur une structure de mise à l’eau surélevée située à l’arrière du Blue Bosporus (figure 2). Lorsque le navire est en assiette nulle, l’étrave de l’embarcation de sauvetage pointe vers l’arrière du navire, inclinée vers le bas à un angle de 35° par rapport à la ligne de flottaisonNote de bas de page 4. L’embarcation de sauvetage est fixée à la plateforme de mise à l’eau par un croc de dégagement fixé à la plateforme.

L’embarcation de sauvetage peut être mise à l’eau en chute libre en actionnant manuellement une poignée de déblocage située à l’intérieur de l’embarcation. Cette manœuvre entraîne une rétraction hydraulique d’un piston qui déverrouille le croc de dégagement. Le croc de dégagement est muni d’une goupille de sécurité externe pour empêcher son déclenchement accidentel. Un mécanisme de dégagement de secours secondaire est installé en cas de défaillance de la poignée de déblocage primaire et de la pompe.

Figure 2. Embarcation de sauvetage mise à l’eau en chute libre fixée au bossoir par des élingues (Source : Apollonia Lines S.A., avec annotations du BST)
Embarcation de sauvetage mise à l’eau en chute libre fixée au bossoir par des élingues (Source : Apollonia Lines S.A., avec annotations du BST)

L’embarcation de sauvetage peut également être abaissée et récupérée à l’aide d’un bossoir. Le bossoir est généralement utilisé pour abaisser l’embarcation de sauvetage pendant les exercices et les essais. Au moment de l’événement, il servait à abaisser l’embarcation de sauvetage.

Avant d’abaisser l’embarcation de sauvetage à l’aide du bossoir, il faut d’abord fixer l’embarcation de sauvetage au bossoir à l’aide de 4 élingues de câble métallique (élingues) (figure 2). L’extrémité inférieure de chaque élingue est fixée à l’embarcation de sauvetage par une manille. L’extrémité supérieure de chaque élingue est couplée de façon permanente à un anneau ovale; celui-ci est ensuite relié à un croc sur la barre d’écartement. L’enquête n’a pas permis d’établir comment et où les élingues étaient rangées lorsqu’elles n’étaient pas utilisées.

Les élingues utilisées au moment de l’événement étaient constituées de câbles métalliques munis d’un œillet à chaque extrémité. L’œillet était formé en enfilant le câble métallique autour d’une cosse, puis en fixant le câble en place à l’aide d’un manchon de sertissage (figure 3). Un manchon de sertissage est un type d’épissure mécanique qui peut être sertie à l’aide d’une machine hydraulique ou d’outils manuels. Dans le cas présent, les manchons de sertissage avaient été sertis à l’aide d’une machine hydraulique pendant la fabrication.

Figure 3. Œillet de l’élingue avec câble métallique enfilé autour de la cosse et fixé par un manchon de sertissage (Source : BST)
Œillet de l’élingue avec câble métallique enfilé autour de la cosse et fixé par un manchon de sertissage (Source : BST)

1.3 Déroulement de l’événement

Le 1er décembre 2020, alors que le Blue Bosporus se trouvait au poste de mouillage 12 dans la baie English (Colombie-Britannique) (annexe A), un exercice d’embarcation de sauvetage était prévu conformément au calendrier des exercices du navire. Pendant l’exercice, l’embarcation de sauvetage devait être abaissée et mise à l’eau à l’aide du bossoir et être soumise à un essai de fonctionnement.

Vers 13 hNote de bas de page 5, le capitaine a obtenu du capitaine du port de Vancouver et des services de trafic maritime de Victoria la permission de procéder à l’exercice. À 13 h 03, une annonce a été faite sur le système de sonorisation du navire pour informer l’équipage que l’embarcation de sauvetage devait être abaissée et mise à l’eau et subir un essai de fonctionnement dans l’eau. À 13 h 05, tous les membres de l’équipage du Blue Bosporus se sont rassemblés au poste d’embarcation de sauvetage, à l’exception du deuxième officier, qui est resté sur la passerelle pour le quart de mouillage. Le capitaine s’est rendu de la passerelle à la section arrière du pont D, d’où il pouvait observer l’exercice à une distance d’environ 15 m.

Le premier officier, qui devait normalement superviser l’exercice, n’avait pas supervisé d’exercice d’embarcation de sauvetage mise à l’eau en chute libre sur le Blue Bosporus depuis qu’il s’était joint à l’équipage du navire 2.5 mois plus tôt. Par conséquent, le premier officier a demandé au troisième officier de préparer l’embarcation de sauvetage pour le largage et de superviser les 2 matelots qualifiés qui participaient également à l’exercice. Le troisième officier et les 2 matelots qualifiés se sont rendus à la plateforme de mise à l’eau. Le quatrième mécanicien s’est également rendu à la plateforme de mise à l’eau, mais est reparti après avoir confirmé qu’une assistance technique n’était pas nécessaire.

Pendant ce temps, le premier officier se trouvait sur le pont principal et attendait que l’embarcation de sauvetage soit abaissée afin qu’il puisse y monter avec un autre membre de l’équipage et en faire l’essai de fonctionnement. Le maître d’équipage se tenait près des commandes du bossoir sur le pont principal.

Le troisième officier a utilisé des signaux manuels pour indiquer au maître d’équipage d’abaisser le bossoir de manière à ce que les élingues de l’embarcation de sauvetage puissent être reliées aux crocs de la barre d’écartement. Une fois les crocs à portée de main, les membres d’équipage responsables de la mise à l’eau ont pris les anneaux ovales et les ont fixés aux crocs de la barre d’écartement. Du côté bâbord, les membres d’équipage ont placé l’anneau ovale dans le croc. Du côté tribord, ils ont placé l’anneau ovale et l’œillet de l’élingue tribord arrière dans le croc, raccourcissant ainsi la longueur de l’élingue (figure 4)Note de bas de page 6.

Figure 4. Photo et diagramme montrant comment les élingues étaient fixées aux crocs pendant l’exercice (Source : Apollonia Lines S.A., avec annotations du BST)
Photo et diagramme montrant comment les élingues étaient fixées aux crocs pendant l’exercice (Source : Apollonia Lines S.A., avec annotations du BST)

Une fois les élingues raccordées, le troisième officier a vérifié la tension des élingues en les poussant vers l’avant avec sa main. Le troisième officier a ensuite fait signe au maître d’équipage de soulever légèrement l’embarcation de sauvetage afin d’augmenter la tension des élingues.

À 13 h 10, le troisième officier a informé le capitaine, par radiotéléphone à très haute fréquence, que l’embarcation de sauvetage était prête à être mise à l’eau. Le capitaine a donné au troisième officier la permission de poursuivre la mise à l’eau, et le troisième officier a retiré la goupille de sécurité. Le troisième officier a demandé à l’un des matelots qualifiés de surveiller le croc de dégagement et de l’informer lorsque le croc serait déverrouillé. L’autre matelot qualifié a ouvert la porte de l’embarcation de sauvetage de l’extérieur et s’est écarté pour laisser entrer le troisième officier.

Le troisième officier est entré dans l’embarcation de sauvetage et s’est tenu debout à côté du siège du patron d’embarcation, faisant face à l’étrave de l’embarcation. Il a ensuite déplacé la poignée de déblocage de haut en bas de 8 à 10 fois afin de faire monter la pression hydraulique nécessaire pour déverrouiller le croc de dégagement (figure 5).

Figure 5. Vue de l’intérieur de l’embarcation de sauvetage montrant la poignée de déblocage à côté du siège du patron d’embarcation (Source : BST)
Vue de l’intérieur de l’embarcation de sauvetage montrant la poignée de déblocage à côté du siège du patron d’embarcation (Source : BST)

Pendant ce temps, le matelot qualifié qui avait ouvert la porte de l’embarcation de sauvetage est monté sur la petite plateforme à l’arrière de l’embarcation, puis dans l’embarcation pour observer le troisième officier déverrouiller le croc de dégagement. L’autre matelot qualifié est resté sur la plateforme de mise à l’eau.

Une fois que la pression hydraulique était suffisante, le croc de dégagement s’est déverrouillé et l’embarcation de sauvetage a glissé vers l’avant d’environ 25 cm. À ce moment-là, l’élingue tribord arrière s’est rompue, suivie des 2 élingues avant. Le support qui maintenait l’élingue bâbord arrière sur l’embarcation de sauvetage s’est également rompu. L’embarcation de sauvetage est tombée à l’eau d’une hauteur d’environ 14 m.

La figure 6 illustre la séquence des événements.

Figure 6. Séquence des événements (Source : BST)
Séquence des événements (Source : BST)

À 13 h 13, l’équipage du Blue Bosporus a tiré l’embarcation de sauvetage pour l’amener le long de son bord à l’aide du filin porte-amarre attaché. Le premier officier a descendu une échelle pour vérifier l’état des 2 membres d’équipage à l’intérieur et a constaté qu’ils avaient tous deux subi des blessures. Le capitaine a immédiatement demandé une assistance à terre. Les 2 membres d’équipage ont été transportés à la base de la Garde côtière canadienne à Kitsilano (Colombie-Britannique), puis emmenés à l’hôpital.

1.4 Blessures

L’un des membres d’équipage qui se trouvaient dans l’embarcation de sauvetage a été grièvement blessé aux jambes. L’autre membre d’équipage qui se trouvait dans l’embarcation de sauvetage a été grièvement blessé à la main.

1.5 Dommages

La fibre de verre située sous le côté tribord avant de la coque de l’embarcation de sauvetage a été endommagée lorsque l’embarcation a heurté l’eau.

Le manchon de sertissage situé à l’extrémité supérieure de l’élingue tribord arrière s’est rompu, et le câble métallique s’est détaché de la cosse (figure 7). Une partie du manchon de sertissage brisé a été récupérée. Il était fendu en deux.

Figure 7. Élingue tribord arrière détachée de la cosse (Source : BST)
Élingue tribord arrière détachée de la cosse (Source : BST)

Les 2 manchons de sertissage qui fixaient les 2 élingues avant à l’embarcation de sauvetage se sont rompus et les câbles métalliques se sont détachés de leurs cosses (figure 8). Ces manchons de sertissage ont été perdus dans l’eau.

Figure 8. Élingues bâbord avant et tribord avant détachées de leurs cosses sur la manille avant de l’embarcation de sauvetage, avec images en médaillon montrant les extrémités effilochées des élingues (Source : BST)
Élingues bâbord avant et tribord avant détachées de leurs cosses sur la manille avant de l’embarcation de sauvetage, avec images en médaillon montrant les extrémités effilochées des élingues (Source : BST)

L’élingue bâbord arrière est restée intacte, mais le support qui fixait l’élingue à l’embarcation de sauvetage s’est rompu (figure 9). Les boulons qui fixaient le support à l’embarcation de sauvetage ont été récupérés; ils avaient été cisaillés (figure 9).

Figure 9. Support brisé et boulons cisaillés du côté bâbord (Source : BST)
Support brisé et boulons cisaillés du côté bâbord (Source : BST)

1.6 Conditions environnementales

L’événement est survenu lors de l’étale de marée; le courant était d’environ 2 nœuds et le vent soufflait du nord-nord-ouest à 4 nœuds. La hauteur de la houle était de 0,2 m. Il faisait jour, le ciel était dégagé et la visibilité était de 15 milles marins. La température de l’air était de 9 °C et celle de l’eau était aussi de 9 °C.

1.7 Certification du navire

Le Blue Bosporus était doté d’un équipage, équipé et certifié selon les règlements de l’Organisation maritime internationale (OMI). Conformément au Code international de gestion pour la sécurité de l’exploitation des navires et la prévention de la pollution (Code ISM), le navire avait un certificat valide de gestion de la sécurité Note de bas de page 7. Le navire était classé par Nippon Kaiji Kyokai (connu sous le nom de ClassNK), et son certificat de gestion de la sécurité, délivré par ClassNK, avait fait l’objet d’une vérification pour la dernière fois le 7 juillet 2019.

1.8 Brevets et expérience du personnel

Le capitaine était titulaire d’un brevet de capitaine au long cours délivré par la République des Philippines en 2008 et validé par la République du Panama en 2020. Il était capitaine de vraquiers depuis 2008 et s’était joint à Apollonia Lines S.A. le 16 mars 2020 en qualité de capitaine sur le Blue Bosporus. Deux exercices d’embarcation de sauvetage mise à l’eau en chute libre, dont l’exercice à l’étude, avaient été effectués depuis qu’il était devenu capitaine sur le Blue Bosporus.

Le premier officier était titulaire d’un brevet de capitaine au long cours délivré par la République des Philippines le 8 mars 2017 et validé par la République du Panama en 2019. Il était premier officier à bord de vraquiers depuis 2018 et travaillait pour Apollonia Lines S.A. depuis 2019. Il s’était joint à l’équipage du Blue Bosporus le 15 septembre 2020 en qualité de premier officier. L’exercice à l’étude était le premier exercice d’embarcation de sauvetage mise à l’eau en chute libre auquel il participait sur le Blue Bosporus.

Le troisième officier était titulaire d’un brevet de capitaine au long cours délivré par la République des Philippines en 2019 et validé par la République du Panama en 2020. Il avait été troisième officier sur différents types de navires depuis 2010 et travaillait pour Apollonia Lines S.A. en qualité de troisième officier sur le Blue Bosporus depuis le 16 mars 2020. Avant l’événement, le troisième officier avait participé à un autre exercice d’embarcation de sauvetage sur le Blue Bosporus (tenu le 11 août 2020), au cours duquel il avait pour responsabilité de préparer l’embarcation de sauvetage avec 2 matelots qualifiés sous la supervision du premier officier de l’époque.

L’un des matelots qualifiés était titulaire d’un brevet de matelot de pont qualifié délivré par la République des Philippines en 2015 et validé par la République du Panama en 2020. Il était matelot sur des vraquiers appartenant à Apollonia Lines S.A. depuis 2016 et travaillait comme matelot qualifié pour Apollonia Lines S.A. depuis le 15 mars 2020. Il s’était joint à l’équipage du Blue Bosporus le 16 mars 2020. Avant l’exercice à l’étude, il avait participé à l’exercice d’embarcation de sauvetage du Blue Bosporus du 11 août 2020, au cours duquel il avait aidé le troisième officier avec un autre matelot qualifié.

L’autre matelot qualifié était titulaire d’un brevet de matelot de pont qualifié délivré par la République des Philippines en 2014 et validé par la République du Panama en 2019. Il était matelot qualifié sur des vraquiers depuis 2016 et travaillait pour Apollonia Lines S.A. depuis 2019. Il s’était joint à l’équipage du Blue Bosporus le 15 septembre 2020. L’exercice à l’étude était son premier exercice d’embarcation de sauvetage sur le Blue Bosporus.

1.9 Inspection après l’événement par le BST

Après l’événement, le laboratoire du BST a examiné les élingues et les manchons de sertissage récupérés, ainsi que les supports et les boulons utilisés pour fixer les élingues arrière à la partie arrière de l’embarcation de sauvetage.

1.9.1 Élingues

Les 4 câbles métalliques des élingues étaient en acier inoxydable austénitique. L’enquête n’a pas permis de déterminer la qualité exacte de ce matériau; toutefois, il est plus complexe que la qualité de base AISI (American Iron and Steel Institute) 304 et il contient de petits ajouts de cuivre, de molybdène et d’aluminium. Les câbles métalliques étaient en bon état, sans fils cassés, usure ou corrosion observés.

1.9.1.1 Manchons de sertissage

Les manchons de sertissage des élingues étaient également fabriqués en acier inoxydable austénitique similaire à l’acier AISI 304. Ils faisaient environ 9 cm de long et étaient peints. Après l’événement, certains des manchons de sertissage sont restés sur les élingues. Le BST a récupéré ces manchons de sertissage, ainsi qu’une partie brisée du manchon de sertissage tribord arrière (figure 10).

Figure 10. Partie brisée du manchon de sertissage tribord arrière provenant de l’extrémité supérieure de l’élingue (Source : BST)
Partie brisée du manchon de sertissage tribord arrière provenant de l’extrémité supérieure de l’élingue (Source : BST)

Le laboratoire du BST a enlevé la majeure partie de la peintureNote de bas de page 8 de ces manchons de sertissage à l’aide d’une pâte de décapage commerciale. Un examen visuel minutieux des manchons de sertissage a permis de constater que les manchons de l’élingue bâbord arrière présentaient de petites fissures, dont la plus grande faisait environ 1 cm de long. Les fissures s’étendaient vers l’intérieur à partir des bords extérieurs des manchons de sertissage. Des fissures similaires étaient visibles sur la partie brisée du manchon de sertissage tribord arrière. La figure 11 montre certaines des fissures sur une extrémité du manchon de sertissage tribord arrière.

Figure 11. Surface extérieure du manchon de sertissage tribord arrière brisé, la peinture ayant été enlevée, montrant des fissures (encerclées) (Source : BST)
Surface extérieure du manchon de sertissage tribord arrière brisé, la peinture ayant été enlevée, montrant des fissures (encerclées) (Source : BST)

Le laboratoire du BST a également examiné la surface intérieure du manchon de sertissage tribord arrière et les surfaces de fracture créées lors de sa rupture. Plus de 90 % de la surface de fracture sur le côté supérieur du manchon avait un aspect vieilli et corrodé. Il y avait une petite zone de fracture fraîche (encerclée sur la figure 12) où un rebord d’environ 3 mm de haut était visible. Le rebord s’était formé lorsque 2 fissures s’étaient propagées sur des niveaux différents. La surface de fracture sur le côté inférieur du manchon de sertissage (figure 12) présentait également un aspect vieilli et corrodé.

Figure 12. Surface intérieure et surfaces de fracture du manchon de sertissage tribord arrière brisé, ainsi qu’une petite zone de fracture fraîche (encerclée) (Source : BST)
Surface intérieure et surfaces de fracture du manchon de sertissage tribord arrière brisé, ainsi qu’une petite zone de fracture fraîche (encerclée) (Source : BST)

Les surfaces de fracture ont été examinées au moyen d’un microscope électronique à balayage. La majeure partie des surfaces étaient recouvertes d’une épaisse écaille de corrosion présentant une apparence de boue séchée. L’analyse de cette écaille a montré que celle-ci était principalement constituée d’oxyde de chrome, avec des traces de sodium, de chlore, de calcium et de soufre. La présence de ces éléments est cohérente avec une corrosion résultant d’un contact avec l’eau de mer ou l’air marin humide. Une certaine corrosion a également été observée sur la surface intérieure du manchon de sertissage.

1.9.1.2 Fissuration par corrosion sous contrainte

Les résultats de l’examen en laboratoire ont indiqué que la rupture des manchons de sertissage avait été causée par une fissuration intergranulaire par corrosion sous contrainte. La fissuration par corrosion sous contrainte est un type de fissuration induite par une combinaison de contraintes et d’un environnement corrosif. Les fissures peuvent résulter d’une contrainte qui est soit directement appliquée, soit résiduelle. Dans le cas des épissures mécaniques telles que les manchons de sertissage, la contrainte résiduelle peut résulter de la pression initiale appliquée sur le manchon de sertissage pour le sertir au câble. Les manchons de sertissage peuvent également être soumis à une contrainte directement appliquée s’ils sont portants. La fissuration par corrosion sous contrainte est un processus de défaillance progressive qui se développe avec le temps, mais qui peut finir par provoquer la défaillance soudaine et catastrophique d’un composant. La fissuration intergranulaire par corrosion sous contrainte est une variante de ce processus qui se produit lorsque les fissures suivent les joints de grain dans le matériau. Elle est typique de l’acier inoxydable austénitique.

1.9.2 Support arrière et boulons

Les supports utilisés pour fixer les élingues arrière à l’embarcation de sauvetage étaient fabriqués en bronze d’aluminium. Le bronze d’aluminium a une résistance similaire à l’acier faiblement allié. Il est généralement résistant à la corrosion. L’examen du support après l’événement a révélé qu’il s’était considérablement plié et s’était fracturé au niveau du trou de boulon du milieu.

Les boulons étaient faits d’un acier inoxydable austénitique similaire à la série AISI 300. L’examen des boulons au moyen d’un microscope électronique à balayage qui a été réalisé après l’événement a révélé que les boulons s’étaient cisaillés en raison de la contrainte excessive appliquée lorsque le support s’est plié et cassé.

1.10 Examen et essai de fonctionnement de l’embarcation de sauvetage

Selon les exigences de la Convention SOLAS, une embarcation de sauvetage doit être examinée et subir un essai de fonctionnement effectué par le personnel certifié du fabricant ou d’un prestataire de services habilité une fois par année. Les embarcations de sauvetage doivent également subir des examens et des essais de fonctionnement plus exhaustifs tous les 5 ansNote de bas de page 9.

Avant l’événement, Apollonia Lines S.A. avait engagé une entreprise d’entretien d’embarcations de sauvetage approuvée par l’autorité maritime du Panama et ClassNK pour qu’elle examine l’embarcation de sauvetage du Blue Bosporus le 1er novembre 2020, alors que le navire était en cale sèche. Lors de l’examen, l’entreprise d’entretien d’embarcations de sauvetage a utilisé une liste de contrôle pour vérifier l’état de l’embarcation de sauvetage et de ses différents composants, notamment le moteur, le gouvernail, le système de crocs de dégagement, le système de bossoir et le système de treuil. La liste de contrôle ne comprenait pas la vérification de l’état des élingues ou des systèmes de retenue (voir la section 1.11.5.1). L’examen n’a révélé aucune lacune, et l’entreprise d’entretien d’embarcations de sauvetage a délivré un certificat d’inspection pour l’embarcation de sauvetage.

Lors de l’examen, l’entreprise d’entretien d’embarcations de sauvetage a également effectué un essai de charge dynamique consistant à suspendre l’embarcation de sauvetage à une grue de quai à l’aide des élingues de l’embarcation. L’essai a été effectué avec des poids totalisant 5830 kg à l’intérieur de l’embarcation de sauvetage, soit 1,1 fois la masse totale de l’embarcation de sauvetage avec son plein chargement en personnes et en armement. Les élingues ont été fixées au bossoir de la grue de quai de la manière précisée dans les instructions d’utilisation du fabricant, permettant une répartition à peu près égale de la charge de l’embarcation de sauvetage. L’essai s’est déroulé sans incident. Aucun dossier n’indiquait si les élingues avaient déjà été soumises individuellement à un essai de charge.

Après avoir observé la procédure d’essai et vérifié le certificat d’inspection de l’entreprise d’entretien d’embarcations de sauvetage, l’inspecteur de ClassNK a délivré un certificat de sécurité du matériel d’armement pendant l’inspection de renouvellement.

1.11 Système de gestion de la sécurité

Le Code ISM fournit une norme internationale de gestion et d’exploitation sûres des navires, ainsi que de prévention de la pollution. Les navires visés par la Convention SOLAS sont tenus d’établir un système de gestion de la sécurité (SGS). Un SGS mobilise les personnes de tous les niveaux d’un organisme et favorise une approche systématique de la détermination des dangers, de l’évaluation des risques et de leur atténuation. Il comprend un ensemble de documents qu’un propriétaire de navire ou son représentant autorisé prépare avec les capitaines et les équipages pour établir des procédures, des plans et des instructions en matière de gestion des risques.

1.11.1 Entretien planifié de l’embarcation de sauvetage

Apollonia Lines S.A. avait dans son SGS une section sur l’entretien, la maintenance et les essais des embarcations de sauvetage, des engins de mise à l’eau et des dispositifs de largage en charge. On y trouvait des listes de contrôle génériques pour les routines d’entretien à effectuer chaque semaine, chaque mois, chaque trimestre, chaque semestre, chaque année et tous les 5 ans. Les listes de contrôle pour les routines d’entretien planifié étaient effectuées en fonction des besoins par l’équipage du navire et le personnel à terre sur le Blue Bosporus. À l’exception de la liste de contrôle semestrielle, qui comprenait un point exigeant la vérification de tous les câbles et cordages de l’embarcation de sauvetage, aucune des listes de contrôle de l’entretien planifié ne demandait expressément à l’équipage de vérifier l’état des élingues.

1.11.2 Entretien des appareils de levage et des appareils portables

Le SGS comprenait une section sur l’entretien des appareils de levage et des appareils portables. On y précisait que toutes les élingues devaient afficher leur charge maximale d’utilisation et être assorties d’un certificat indiquant la charge maximale d’utilisation ou la charge de rupture minimum à laquelle l’article a fait l’objet d’un essaiNote de bas de page 10,Note de bas de page 11.

Les élingues de l’embarcation de sauvetage n’étaient pas estampillées d’une charge maximale d’utilisation et n’étaient accompagnées d’aucun certificat ou registre d’inspection. De plus, il n’y avait sur les élingues aucune marque indiquant leur fabricant ou leur date de fabrication.

1.11.3 Inspection des câbles et des cordages

Le SGS comprenait une section sur l’inspection et le remplacement des câbles, des cordages, des amarres et des queues d’amarrage. Cette section stipulait que les registres devaient être tenus à jour pour indiquer les dates d’inspection et de remplacement des câbles, des cordages et des queues. Le SGS indiquait à l’équipage d’utiliser un journal d’inspection des câbles et cordages (annexe B) pour consigner les inspections des cordages. L’équipage devait inscrire les renseignements suivants dans le journal pour les câbles et les cordages :

Le journal indiquait que les câbles devaient être remplacés lorsque cela était nécessaire en raison de leur détérioration ou selon le nombre d’années indiqué dans la colonne de l’intervalle de renouvellement. Pour tous les câbles et cordages répertoriés dans le journal, l’intervalle de renouvellement était de 5 ans. La note indiquait également que des inspections devaient être effectuées tous les 6 mois.

Le journal indiquait les amarres du navire, les câbles métalliques utilisés pour les grues de pont, les échelles de bord, le bossoir de l’embarcation de sauvetage mise à l’eau en chute libre, le bossoir du canot de secours, ainsi que les câbles et chaînes des panneaux d’écoutille. Le journal n’indiquait pas les élingues de l’embarcation de sauvetage.

Dans le cas des amarres, le SGS précisait que chaque fois qu’un cordage ou un câble d’amarrage était utilisé pour des opérations d’amarrage, il devait être examiné visuellement avant et après son utilisation pour détecter toute trace d’usure ou de déformation. Tout défaut constaté devait être signalé au premier officier. Tous les détails de l’inspection devaient être consignés dans le système d’entretien planifié. Le SGS ne précisait pas la même chose pour les autres câbles et cordages.

Le SGS précisait également que lorsque le navire était en mer, les amarres synthétiques du navire devaient être rangées sous le pont pour éviter une exposition prolongée aux intempéries et au soleil. Les amarres devaient être enroulées sur des caillebotis en bois afin de permettre la circulation de l’air et l’égouttement. Elles ne devaient pas être rangées près des chaudières ou des appareils de chauffage, ni contre les cloisons ou sur les ponts pouvant atteindre des températures élevées. Le SGS ne précisait pas les exigences de rangement à respecter pour protéger les autres câbles et cordages.

En 2019, l’équipage a rempli le journal d’inspection des câbles et cordages tous les 3 mois. La dernière entrée au journal d’inspection des câbles et cordages avant l’événement a été effectuée le 30 septembre 2020.

1.11.3.1 Vérification interne

Apollonia Lines S.A. avait un processus pour effectuer une vérification interne annuelle de son SGS. L’un des points de la liste de contrôle de la vérification interne exigeait que le vérificateur contrôle les registres d’inspection et d’essai réguliers des appareils de levage, y compris les élingues de câble métallique, les grues, les moufles à chaîne portables et de traverses, les plaques de fixation à œillet et les poutres de levage. La dernière vérification interne qui avait eu lieu avant l’événement avait été effectuée le 30 juin 2020, et ce point avait été marqué comme étant achevé. Les élingues de l’embarcation de sauvetage ne faisaient pas partie de cette liste de contrôle.

1.11.4 Familiarisation

Pendant la familiarisationNote de bas de page 12, les connaissances, les compétences et l’expérience existantes d’un exploitant entrant sont appliquées aux particularités d’un navire inconnu. Lorsqu’ils montent pour la première fois à bord d’un navire exploité par Apollonia Lines S.A., les membres d’équipage entrants doivent remplir une liste de contrôle de familiarisation et de transfert avec le membre d’équipage sortant qu’ils remplacent.

La liste de contrôle pour les officiers de pont et les matelots englobe ce qui suit :

La liste de contrôle de familiarisation et de transfert est conçue pour être remplie en 12 heures environ. Cependant, en 2020, le temps prévu pour la liste de contrôle de familiarisation et de transfert a été réduit à environ 6 heures pour limiter les contacts entre les membres d’équipage entrants et sortants afin de réduire le risque de transmission de la COVID-19Note de bas de page 13.

1.11.5 Exercices d’embarcation de sauvetage

Le SGS comprenait une procédure de mise à l’eau simulée de l’embarcation de sauvetage. Il y avait également sur le Blue Bosporus 2 autres documents où l’on trouvait des renseignements sur la mise à l’eau simulée de l’embarcation de sauvetage : le manuel du fabricant de l’embarcation de sauvetage (rangé sur la passerelle) et les instructions du fabricant du bossoir pour la mise à l’eau simulée (rangées à côté du siège du patron d’embarcation dans l’embarcation de sauvetage).

La procédure du SGS de l’entreprise concernant la mise à l’eau simulée indiquait que [traduction] « […] les exercices d’embarcation de sauvetage mise à l’eau en chute libre devraient être effectués conformément aux instructions du fabricant […]Note de bas de page 14 ». La procédure du SGS concernant la mise à l’eau simulée consistait à s’assurer que les dispositifs de retenue sont installés, à déverrouiller le croc de dégagement, à laisser l’embarcation de sauvetage descendre la rampe jusqu’à la distance précisée dans les instructions du fabricant (de 5 à 20 cm), puis à ramener l’embarcation de sauvetage jusqu’à sa position d’arrimage. Elle ne prévoyait aucune procédure consistant à abaisser l’embarcation de sauvetage dans l’eau à l’aide du bossoir. L’équipage avait donc développé, pour les exercices de mise à l’eau avec bossoir, une pratique où il n’utilisait pas de dispositif de retenue supplémentaire, même si un tel dispositif était recommandé dans le manuel du fabricant de l’embarcation de sauvetage. Cette pratique consistait à fixer les élingues à la barre d’écartement, à entrer dans l’embarcation de sauvetage, à actionner la poignée de déblocage en se tenant à côté du siège du patron d’embarcation, puis à sortir de l’embarcation de sauvetage une fois que le croc de déverrouillage s’était déverrouillé et que l’embarcation de sauvetage avait avancé d’environ 20 cm. À ce moment-là, l’embarcation de sauvetage était abaissée et mise à l’eau à l’aide du bossoir. Cette pratique avait été utilisée avec succès lors des exercices d’embarcation de sauvetage précédents, le 1er janvier 2020, le 6 mars 2020 et le 11 août 2020.

Lors de l’exercice du 11 août 2020, le premier officier de l’époque s’est rendu sur la plateforme de mise à l’eau avec le troisième officier et 2 matelots qualifiés, où il a supervisé les préparatifs. Le troisième officier et les 2 matelots qualifiés ont préparé l’embarcation de sauvetage pour le lancement avec bossoir. Au moment de déverrouiller le croc de dégagement, le premier officier est entré dans l’embarcation de sauvetage et a actionné la poignée de déblocage sans s’être préalablement attaché dans le siège du patron d’embarcation. Le troisième officier a observé ce processus et a fait de même lors de l’événement à l’étude.

1.11.5.1 Dispositifs de retenue supplémentaires

Le manuel du fabricant de l’embarcation de sauvetage précise que pendant un essai de largage sans mise à l’eau (c.-à-d., une mise à l’eau simulée), l’embarcation de sauvetage devrait être retenue par un dispositif supplémentaire fait des cordages ou des chaînes voulus. Les points d’arrimage de ces cordages ou chaînes sont différents des points utilisés pour les élingues. Le manuel recommande que les cordages ou les chaînes soient fixés à partir de la manille de levage avant vers le bas et vers l’arrière jusqu’à la voie de mise à l’eau de chaque côté de l’embarcation de sauvetage et/ou à travers des découpes dans le dispositif de largage arrière jusqu’aux dispositifs de retenue du côté du navire (figure 13). Cela fournit des dispositifs de retenue supplémentaires avec des points de fixation secondaires en cas de défaillance des élingues.

Figure 13. Dispositifs de retenue supplémentaires (Source : Shigi Shipbuilding Co., Ltd., avec annotations du BST)
Dispositifs de retenue supplémentaires (Source : Shigi Shipbuilding Co., Ltd., avec annotations du BST)

Les instructions du fabricant du bossoir ne faisaient pas mention des dispositifs de retenue supplémentaires. La procédure du SGS précisait que la mise à l’eau simulée devrait se faire conformément aux instructions du fabricant de l’embarcation de sauvetage et à la procédure du SGS. La procédure du SGS était une copie mot pour mot des directives d’une circulaire de l’OMI publiée en 2009, qui décrivait une séquence typique de mise à l’eau simulée et indiquait que l’équipage devait « [v]érifier que le ou les dispositifs de retenue fournis par le fabricant pour la mise à l’eau simulée sont installés et bien assujettis [...]Note de bas de page 15 ». La procédure ne mentionnait pas explicitement les dispositifs de retenue supplémentaires indiqués dans le manuel du fabricant de l’embarcation de sauvetage. Rien dans le SGS n’indiquait non plus si des dispositifs de retenue supplémentaires se trouvaient à bord du Blue Bosporus ni où ils étaient entreposés.

1.11.5.2 Circulaires de l’Organisation maritime internationale sur les exercices d’embarcation de sauvetage

En 2009, l’OMI a publié une circulaire concernant les mesures visant à prévenir les accidents mettant en cause des embarcations de sauvetage. La circulaire mentionnait un nombre inacceptable d’accidents dans lesquels des membres d’équipage étaient blessés, parfois mortellement, lors d’exercices d’embarcation de sauvetageNote de bas de page 16. La circulaire recommandait que lorsqu’une embarcation de sauvetage est mise à l’eau en chute libre dans le cadre d’un exercice, « cette opération devrait être effectuée avec le personnel minimum requis pour manœuvrer l’embarcation dans l’eau et assurer sa récupérationNote de bas de page 17 ».

En 2017, l’OMI a publié une autre circulaire concernant les exercices d’embarcation de sauvetage. Cette circulaire recommandait également que les exercices d’embarcation de sauvetage mise à l’eau en chute libre soient effectués « avec le minimum de personnel requis pour manœuvrer l’embarcation dans l’eau et pour la récupérerNote de bas de page 18 », en plus de réitérer que les dispositifs de retenue fournis par le fabricant devraient être installés.

En réponse à ces circulaires, Apollonia Lines S.A. a informé verbalement ses équipages qu’ils étaient tenus de sortir de l’embarcation de sauvetage après avoir déverrouillé le croc de dégagement, avant que l’embarcation ne soit abaissée et mise à l’eau à l’aide du bossoir. La procédure du SGS concernant la mise à l’eau simulée ne tenait pas compte de cette directive.

1.12 Supervision

La supervision est un aspect essentiel de la sécurité pendant les exercices. Lorsqu’un superviseur doit jouer un rôle actif dans un exercice, son attention est divisée entre la supervision et les tâches spécifiques à accomplir, ce qui limite sa capacité à superviser efficacement l’ensemble de l’opération.

En raison de la grande quantité de renseignements disponibles dans l’environnement, les gens doivent écarter les renseignements de moindre importance afin de pouvoir se concentrer sur les renseignements importants. L’être humain peut rapidement porter son attention d’une source d’information à une autre, mais il ne peut s’occuper convenablement que d’une seule source d’information à la fois. Essayer de faire plusieurs choses à la fois entraîne une diminution du rendement dans l’exécution de chaque tâche.

Lorsqu’il supervise un exercice d’embarcation de sauvetage depuis la plateforme de mise à l’eau, le superviseur a pour fonction de surveiller l’équipage qui effectue l’exercice. Ce rôle incombe généralement au premier officier. Le deuxième officier, le troisième officier et les 2 matelots qualifiés sont responsables de la préparation et de la mise à l’eau de l’embarcation de sauvetage. Le capitaine est responsable du déroulement général de l’exercice.

Le jour de l’événement, le premier officier a demandé au troisième officier de préparer l’embarcation de sauvetage pour le largage et de superviser les 2 matelots qualifiés sur la plateforme de mise à l’eau de l’embarcation de sauvetage. Cette demande a été faite parce que le deuxième officier n’était pas présent pour l’exercice et que le premier officier s’était joint à l’équipage du navire 2.5 mois plus tôt et ne connaissait pas bien les particularités d’un exercice d’embarcation de sauvetage sur le Blue Bosporus. La charge de travail du troisième officier consistait alors à diriger les 2 matelots qualifiés affectés à l’exercice, tout en effectuant lui-même des tâches essentielles. Le troisième officier a donc dû se concentrer tantôt sur ses propres tâches, tantôt sur son rôle de supervision en dirigeant et en surveillant les 2 matelots qualifiés.

1.13 Événements similaires

Le BST a enquêté sur plusieurs événements mettant en cause des engins de mise à l’eau d’embarcations de sauvetage et est au courant d’autres événements survenus à l’étranger (annexe C).

1.14 Liste de surveillance du BST

La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

La gestion de la sécurité figure sur la Liste de surveillance 2020. Comme l’événement à l’étude le démontre, bien qu’Apollonia Lines S.A. dispose d’un SGS vérifié, des renseignements clés liés à la sécurité ne s’y trouvaient pas, comme une procédure complète pour un exercice consistant à abaisser l’embarcation de sauvetage dans l’eau à l’aide du bossoir. Les vérifications continues du SGS qui étaient effectuées sur le Blue Bosporus n’avaient pas révélé cette lacune.

MESURES À PRENDRE

La gestion de la sécurité restera sur la Liste de surveillance du secteur de transport maritime jusqu’à ce que :

  • TC mette en œuvre de la réglementation obligeant tous les exploitants commerciaux à adopter des processus formels pour la gestion de la sécurité;
  • les transporteurs qui ont un SGS démontrent à TC qu’il fonctionne bien et qu’il permet donc de cerner les dangers et de mettre en œuvre des mesures efficaces pour atténuer les risques.

1.15 Rapport de laboratoire du BST

Le BST a produit le rapport de laboratoire suivant dans le cadre de la présente enquête :

2.0 Analyse

L’embarcation de sauvetage du Blue Bosporus est tombée de façon imprévue après la rupture des élingues qui l’attachaient au bossoir. L’analyse portera sur l’état des élingues, la façon dont elles étaient fixées aux crocs, le système de gestion de la sécurité (SGS) d’Apollonia Lines S.A. et l’utilisation de dispositifs de retenue supplémentaires.

2.1 État des élingues

Les élingues étaient utilisées environ tous les 3 mois pour fixer l’embarcation de sauvetage au bossoir pendant les exercices. Une fois le croc de dégagement déverrouillé, seules les élingues empêchaient l’embarcation de sauvetage de tomber en chute libre. Ainsi, le bon état des élingues était essentiel à la sécurité de toute personne se trouvant dans l’embarcation de sauvetage.

Les œillets des élingues étaient fixés par des manchons de sertissage qui s’étaient affaiblis avec le temps en raison de la fissuration intergranulaire par corrosion sous contrainte. Les fissures résultaient probablement d’une combinaison d’exposition aux intempéries, de contraintes résiduelles exercées sur les manchons de sertissage lorsqu’ils avaient été sertis à l’origine sur les câbles des élingues, et de contraintes de charge exercées sur eux chaque fois qu’ils étaient utilisés pour supporter le poids de l’embarcation de sauvetage.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Les manchons de sertissage des élingues de l’embarcation de sauvetage du Blue Bosporus s’étaient affaiblis avec le temps en raison de la fissuration intergranulaire par corrosion sous contrainte.

2.2 Fixation des élingues aux crocs

Les élingues étaient censées être fixées aux crocs de façon à ce que l’effet de choc créé par le largage de l’embarcation de sauvetage soit absorbé par les 4 élingues de manière à peu près égale.

Cependant, dans l’événement à l’étude, les membres de l’équipage responsables de la mise à l’eau se sont écartés inconsciemment des instructions du manuel du fabricant lorsqu’ils ont placé l’anneau ovale et l’œillet de l’élingue tribord arrière dans le croc tribord. De ce fait, la longueur active de l’élingue tribord arrière était plus courte que celle des autres élingues. Par conséquent, lorsque l’embarcation de sauvetage a été libérée, l’effet de choc s’est entièrement concentré sur l’élingue tribord arrièreNote de bas de page 19. Cette élingue était maintenue par un manchon de sertissage affaibli, ce qui, combiné à la force concentrée, a provoqué la rupture de l’élingue.

Une fois l’élingue tribord arrière rompue, l’effet de choc s’est déplacé vers les autres élingues, faisant en sorte que les manchons de sertissage des 2 élingues avant se rompent également. La charge s’est ensuite déplacée vers l’élingue bâbord arrière restante et son manchon, qui, bien que fissuré, est resté intact. Cependant, les boulons et le support bâbord arrière n’ont pas pu résister à la charge et ont été arrachés de l’embarcation de sauvetage par la force exercée sur l’élingue bâbord arrière.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

En raison de la manière dont les élingues étaient fixées aux crocs, la charge s’est concentrée sur l’élingue tribord arrière. Ceci, combiné aux manchons de sertissage affaiblis, a provoqué la rupture séquentielle des élingues et du support d’élingue bâbord arrière.

2.3 Système de gestion de la sécurité

La gestion des risques dans le cadre d’un SGS est un processus continu de détermination des dangers, d’analyse et d’atténuation des risques, ainsi que de vérification de l’efficacité des mesures d’atténuation. Même si Apollonia Lines S.A. exerçait ses activités conformément à un SGS vérifié et certifié, l’enquête a révélé certaines lacunes dans la gestion de la sécurité relativement aux procédures de vérification de l’état des élingues et au déroulement d’un exercice d’embarcation de sauvetage avec bossoir. Des lacunes ont également été relevées en ce qui concerne la supervision de l’exercice.

2.3.1 Vérification des élingues

Comme les élingues étaient essentielles à la sécurité des occupants dans l’embarcation de sauvetage pendant les exercices, il était crucial qu’Apollonia Lines S.A. dispose de routines d’entretien, de calendriers de remplacement et de documentation pour assurer le bon état des élingues.

Même si Apollonia Lines S.A. avait mis en place des routines d’entretien régulier pour vérifier l’état de l’embarcation de sauvetage et de ses engins de mise à l’eau, les listes de contrôle de ces routines n’invitaient pas l’équipage à vérifier l’état des élingues en particulier. Le bossoir de l’embarcation de sauvetage et les engins de mise à l’eau avaient été inspectés et testés pour la dernière fois en novembre 2020, un mois avant l’événement, par une entreprise d’entretien d’embarcations de sauvetage approuvée par la société de classification. Cependant, la liste de contrôle utilisée lors de cette inspection ne demandait pas une inspection visuelle des élingues, et les petites fissures présentes sur les manchons de sertissage n’ont pas été relevées. De plus, pendant l’essai de charge dynamique de l’embarcation de sauvetage en cale sèche, les élingues étaient correctement fixées aux crocs, de sorte qu’aucun effet de choc ne s’est produit sur une élingue en particulier.

Apollonia Lines S.A. disposait d’un journal d’inspection des câbles et cordages pour consigner les principaux renseignements sur la sécurité de l’équipement de levage du navire, notamment la date d’entrée en service, les intervalles de renouvellement et les dates de renouvellement. Toutefois, les élingues n’étaient pas incluses dans ce journal. Même si, lors des vérifications internes à bord, on avait contrôlé les registres d’inspection et d’essai réguliers de divers appareils de levage à bord, on n’a pas cherché à s’assurer que chaque appareil de levage du navire était consigné dans le journal d’inspection des câbles et cordages. En l’absence de documents du navire concernant les élingues, il n’a pas été possible de déterminer depuis combien de temps les élingues étaient utilisées.

Au niveau international, il existe des exigences applicables aux appareils de levage et aux accessoires utilisés pendant les opérations de manutention portuaires. Selon ces exigences, les articles doivent être inspectés avant utilisation, faire l’objet d’essais réguliers et être marqués d’une charge maximale d’utilisation. Cependant, ces exigences s’appliquent expressément aux opérations de manutention portuaires et ne visent pas les appareils de levage associés à l’équipement de sauvetage. Bien que la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer exige que les embarcations de sauvetage soient soumises à des examens périodiques et à des essais de fonctionnement et bien qu’elle exige la vérification de divers composants associés aux embarcations de sauvetage, aux radeaux de sauvetage et aux canots de secours rapides, elle n’aborde pas expressément les élingues associées aux embarcations de sauvetage mises à l’eau en chute libre. Cela signifie qu’il n’existe aucune exigence internationale selon laquelle les élingues des embarcations de sauvetage mises à l’eau en chute libre doivent être vérifiées périodiquement, inspectées avant leur utilisation et marquées de la charge maximale d’utilisation.

Fait établi quant aux risques

En l’absence d’une directive internationale exigeant que les élingues des embarcations de sauvetage mises à l’eau en chute libre soient vérifiées périodiquement, inspectées avant leur utilisation et marquées d’une charge maximale d’utilisation, il existe un risque que cet équipement essentiel soit négligé pendant les inspections ou que ses limites de sécurité soient dépassées, entraînant un accident.

2.3.2 Pratiques de l’équipage pendant l’exercice d’embarcation de sauvetage

Le SGS d’Apollonia Lines S.A. contenait une procédure relative aux exercices d’embarcation de sauvetage mise à l’eau en chute libre. Il s’agissait d’une procédure de mise à l’eau simulée. L’équipage ne disposait pas d’une procédure complète pour un exercice consistant à mettre l’embarcation de sauvetage à l’eau à l’aide du bossoir. Ce type d’exercice comprenait des étapes supplémentaires qui n’étaient pas visées par la procédure de mise à l’eau simulée.

Bien que les premières étapes de la mise à l’eau simulée décrites dans le SGS, y compris l’utilisation de dispositifs de retenue supplémentaires comme le recommande le fabricant, puissent s’appliquer à la mise à l’eau de l’embarcation de sauvetage à l’aide du bossoir, l’équipage devait se fier à son propre jugement pour effectuer le reste des étapes de mise à l’eau. Des procédures incomplètes peuvent entraîner une confusion et une adaptation, car l’équipage est susceptible d’improviser en fonction de ce qui lui semble le plus efficace, et non en fonction de ce qui est le plus sécuritaire.

Sans procédure complète, l’équipage a suivi une pratique non documentée pour effectuer l’exercice. La pratique consistait à ce qu’un membre de l’équipage entre dans l’embarcation de sauvetage, actionne la poignée de déblocage, puis sorte de l’embarcation une fois que le croc de dégagement était déverrouillé et que l’embarcation de sauvetage se déplaçait vers l’avant, moment auquel l’embarcation de sauvetage serait abaissée et mise à l’eau à l’aide du bossoir. Cette pratique avait été utilisée avec succès lors de l’exercice précédent, le 11 août 2020, auquel le troisième officier et l’un des matelots qualifiés avaient participé. Elle a ensuite été répétée par le troisième officier lors de l’exercice à l’étude.

Cependant, cette pratique a exposé les membres de l’équipage participant à l’exercice à un risque, car elle n’offrait pas de protection suffisante contre un décrochage prématuré, ni ne tenait compte de la nécessité pour que l’équipage s’attache dans l’embarcation de sauvetage avant de déverrouiller le croc de dégagement. Il n’y avait pas eu d’évaluation du risque associé au fait de se tenir debout sans être attaché dans l’embarcation de sauvetage lorsqu’elle était suspendue par ses élingues. Malgré les instructions figurant dans le manuel de l’embarcation de sauvetage et le manuel du bossoir qui indiquaient aux membres de l’équipage de s’attacher dans l’embarcation de sauvetage, les membres de l’équipage qui ont participé à l’exercice à l’étude n’ont pas reconnu le risque de se tenir debout sans être attachés dans l’embarcation de sauvetage, et aucune des personnes qui les supervisaient n’était consciente de ce risque.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

En l’absence d’une procédure complète pour effectuer un exercice de mise à l’eau de l’embarcation de sauvetage à l’aide du bossoir, l’équipage avait développé une pratique informelle qui ne tenait pas compte du risque de se tenir debout sans être attaché dans l’embarcation de sauvetage, et en conséquence 2 membres d’équipage ont subi de graves blessures lorsque l’embarcation de sauvetage est tombée.

En 2009 et 2017, l’Organisation maritime internationale a publié des circulaires indiquant que les exercices d’embarcation de sauvetage devraient être effectués avec le minimum de personnel requis, en raison du nombre élevé d’accidents. Même si Apollonia Lines S.A. a indiqué verbalement à son équipage d’effectuer les exercices sans que des membres d’équipage se trouvent à l’intérieur de l’embarcation de sauvetage lorsque celle-ci était mise à l’eau à l’aide du bossoir, cette directive n’était pas consignée dans une procédure.

2.3.3 Supervision

La supervision est un élément clé de la sécurité. Pour être efficace, elle doit être effectuée par des personnes ayant une expérience et une formation suffisantes pour reconnaître les risques pour la sécurité. L’efficacité de la supervision est accrue lorsque le rôle du superviseur est limité à la supervision, ce qui évite les distractions causées par des tâches multiples.

Même si les exercices d’embarcation de sauvetage comprenaient habituellement le premier officier comme superviseur et le deuxième officier comme participant, dans l’événement à l’étude, le troisième officier effectuait ces tâches en plus de ses propres tâches. Le troisième officier n’avait participé à un exercice d’embarcation de sauvetage qu’une seule fois auparavant sur ce navire. Il effectuait et supervisait l’exercice en se basant sur son souvenir de l’exercice précédent. Comme le troisième officier jouait le rôle des 2 autres membres de l’équipage en plus du sien, son attention était divisée. Les 2 matelots qualifiés participant à l’exercice avaient également peu d’expérience relativement aux exercices d’embarcation de sauvetage mise à l’eau en chute libre sur le Blue Bosporus. L’un avait participé à l’exercice du 11 août 2020 aux côtés du troisième officier, et l’autre n’avait jamais participé à un exercice d’embarcation de sauvetage sur le Blue Bosporus auparavant. L’inexpérience relative des 2 matelots qualifiés faisait augmenter le niveau de supervision requis.

Les 3 membres d’équipage qui ont pris part à l’exercice s’étaient joints à l’équipage du navire en 2020, lorsqu’Apollonia Lines S.A. avait réduit le temps consacré à la familiarisation afin de limiter les contacts entre les membres d’équipage entrants et sortants et de réduire ainsi le risque de transmission de la COVID-19. Comme le temps de familiarisation a été réduit, les renseignements essentiels ont dû être présentés plus rapidement et plus superficiellement que d’habitude, laissant moins de temps à l’équipage entrant pour comprendre et mémoriser les renseignements. Une supervision accrue était nécessaire pour compenser toute lacune en matière de familiarisation.

Étant donné que la supervision était assurée par un officier qui avait participé peu aux exercices d’embarcation de sauvetage précédents sur le Blue Bosporus et dont l’attention était divisée entre ses propres tâches et celles de 2 autres membres d’équipage, les possibilités de déterminer les dangers pour la sécurité de l’exercice étaient réduites. La configuration incorrecte de l’élingue tribord arrière dans le croc, la position précaire de l’un des matelots qualifiés et le risque associé au fait de ne pas être attaché dans l’embarcation de sauvetage sont passés inaperçus.

Fait établi quant aux risques

Si les superviseurs doivent jouer un rôle actif pendant des tâches essentielles pour la sécurité, comme les exercices d’embarcation de sauvetage, leur attention sera divisée et ils seront moins aptes à s’occuper de tous les aspects de la tâche. Il y aura donc un risque accru que des éléments essentiels pour la sécurité ne soient pas repérés à temps pour prévenir un accident.

2.4 Dispositifs de retenue supplémentaires

Bien que le manuel du fabricant de l’embarcation de sauvetage recommandait l’utilisation de dispositifs de retenue supplémentaires constitués de cordages ou de chaînes lors d’une mise à l’eau simulée, le manuel du fabricant du bossoir n’en faisait pas mention. Le SGS du navire mentionnait l’utilisation de dispositifs de retenue supplémentaires uniquement par renvoi aux directives du fabricant. De plus, le SGS n’indiquait pas si des dispositifs de retenue supplémentaires se trouvaient à bord du Blue Bosporus et, s’il y en avait, où ils étaient entreposés.

Un dispositif de retenue supplémentaire assure une redondance et offre donc une protection contre un point de défaillance unique. Dans un cas comme l’événement à l’étude, où les élingues se sont rompues de manière inattendue, un dispositif de retenue supplémentaire peut fournir un moyen de protection additionnel pour les membres de l’équipage.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Aucun dispositif de retenue supplémentaire n’était utilisé pour protéger les membres d’équipage du Blue Bosporus contre une chute lorsque les élingues se sont rompues.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

  1. Les manchons de sertissage des élingues de l’embarcation de sauvetage du Blue Bosporus s’étaient affaiblis avec le temps en raison de la fissuration intergranulaire par corrosion sous contrainte.
  2. En raison de la manière dont les élingues étaient fixées aux crocs, la charge s’est concentrée sur l’élingue tribord arrière. Ceci, combiné aux manchons de sertissage affaiblis, a provoqué la rupture séquentielle des élingues et du support d’élingue bâbord arrière.
  3. En l’absence d’une procédure complète pour effectuer un exercice de mise à l’eau de l’embarcation de sauvetage à l’aide du bossoir, l’équipage avait développé une pratique informelle qui ne tenait pas compte du risque de se tenir debout sans être attaché dans l’embarcation de sauvetage, et en conséquence 2 membres d’équipage ont subi de graves blessures lorsque l’embarcation de sauvetage est tombée.
  4. Aucun dispositif de retenue supplémentaire n’était utilisé pour protéger les membres d’équipage du Blue Bosporus contre une chute lorsque les élingues se sont rompues.

3.2 Faits établis quant aux risques

Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

  1. En l’absence d’une directive internationale exigeant que les élingues des embarcations de sauvetage mises à l’eau en chute libre soient vérifiées périodiquement, inspectées avant leur utilisation et marquées d’une charge maximale d’utilisation, il existe un risque que cet équipement essentiel soit négligé pendant les inspections ou que ses limites de sécurité soient dépassées, entraînant un accident.
  2. Si les superviseurs doivent jouer un rôle actif pendant des tâches essentielles pour la sécurité, comme les exercices d’embarcation de sauvetage, leur attention sera divisée et ils seront moins aptes à s’occuper de tous les aspects de la tâche. Il y aura donc un risque accru que des éléments essentiels pour la sécurité ne soient pas repérés à temps pour prévenir un accident.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

4.1.1 Apollonia Lines S.A.

Apollonia Lines S.A. a pris les mesures suivantes à la suite de l’événement à l’étude :

La circulaire rappelait aux équipages qu’ils devaient s’assurer que :

En outre, Apollonia Lines S.A. :

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

Annexes

Annexe A ‒ Lieu de l’événement

Area of occurrence (Source of main image: Canadian Hydrographic Service chart 3463, with TSB annotations. Source of inset image: Google Earth, with TSB annotations)
Source de l’image principale : Service hydrographique du Canada, carte no 3463, avec annotations du BST
Source de l’image en médaillon : Google Earth, avec annotations du BST

Annexe B – Journal d’inspection des câbles et cordages montrant l’inspection du 30 septembre 2020 [en anglais seulement]

Source : Apollonia Lines S.A.

Annexe C – Événements similaires

Événements survenus à l’étranger

Le 8 juillet 2021, à la suite d’un événement mettant en cause une terminaison de câble métallique défaillante qui a entraîné des dommages importants à l’équipement, la U.S. Coast Guard a émis une alerte de sécurité concernant l’importance de vérifier l’état et la fabrication des terminaisons de câble métallique dans divers systèmes qui utilisent des câbles métalliques pour la manutention de charges (p. ex., engins de sauvetage, grues, élingues de levage)Note de bas de page 20.

En janvier 2020, à la suite de graves accidents mettant en cause des élingues de levage gainées de plastique sur des embarcations de sauvetage mises à l’eau en chute libre, le comité sur le contrôle des navires par l’État du port établi en vertu du protocole d’entente de Tokyo a publié un bulletin de sécurité. Le bulletin de sécurité notait que l’utilisation d’une gaine de plastique peut restreindre l’inspection visuelle des câbles métalliques et empêcher la réalisation efficace de l’entretien de routine et d’autres inspections. Le bulletin notait également que les enquêtes sur la défaillance des élingues avaient révélé que des élingues s’étaient détachées sous une charge opérationnelle normale en raison d’un affaiblissement important dû à une corrosion interne non détectée, même si des inspections régulières avaient apparemment eu lieuNote de bas de page 21.

Le 14 avril 2014, à la suite d’un événement mettant en cause le vraquier Da Dan Xia, où l’embarcation de sauvetage est tombée pendant qu’on la récupérait à la suite de la défaillance de ses élingues de levage, la Transportation Accident Investigation Commission (commission d’enquête sur les accidents de transport, TAIC) de la Nouvelle-Zélande a mené une enquête. La TAIC a découvert que la corrosion était passée inaperçue en raison de la présence d’une gaine de plastique qui enveloppait le câble métallique. Ainsi, ni l’équipage ni les divers experts chargés d’inspecter le système de mise à l’eau n’avaient pu inspecter et entretenir le câble comme il se devait. La TAIC a recommandé que le fabricant de l’embarcation de sauvetage et des élingues de levage cesse d’utiliser une gaine de plastique et informe les propriétaires et les exploitants de ce système des dangers qu’il représenteNote de bas de page 22.

Le 15 avril 2011, à la suite d’un accident d’embarcation de sauvetage survenu lors d’un exercice de mise à l’eau qui a causé 2 morts et 1 blessure grave, la China Maritime Safety Administration (administration chinoise de sécurité maritime) a présenté à l’Organisation maritime internationale un document sur les leçons apprises qui mettait en évidence les problèmes de sécurité relativement au lien entre l’embarcation de sauvetage et les garants du bossoir (dans la zone du bloc de suspension et de la vis pivotante). Le document indiquait que [traduction] « la Convention SOLAS prévoit des exigences précises pour l’entretien des embarcations de sauvetage. Cependant, dans le processus réel, certains équipements ont été ignorés par toutes les parties concernées ou n’ont pas fait l’objet d’une attention suffisante, ce qui a entraîné un risque accru pour la sécurité pendant l’utilisation des embarcations de sauvetageNote de bas de page 23 ».

Événements survenus au Canada

M18P0144 (Spirit of Vancouver Island) ‒ Le 19 juin 2018, le canot de secours tribord avant du traversier à passagers Spirit of Vancouver Island s’est détaché du croc pendant le hissage après une réparation du bossoir. À ce moment-là, il y avait 7 personnes à bord du canot de secours. Celui-ci est tombé à l’eau. Des dommages au canot de secours et à son croc de bossoir ont été signalés. Aucune blessure n’a été signalée.

M18P0087 (Queen of Cumberland) ‒ Le 18 avril 2018, l’équipage du transbordeur roulier à passagers Queen of Cumberland utilisait un bossoir de bord pour hisser le canot de secours du navire hors des eaux durant un exercice, lorsque le câble de levage a cédé. Le câble s’est rompu quand il est sorti de la roue à gorge du bossoir et s’est pincé entre le dessus du boudin de la roue à gorge et le guide-câble. Deux membres d’équipage se trouvaient à bord du canot de secours au moment de l’accident. Le canot de secours et les 2 membres d’équipage sont tombés à l’eau d’une hauteur d’environ 11 m. Les 2 membres d’équipage ont été blessés, dont un grièvement, et le canot de secours a été endommagé.

M17A0391 (Northern Ranger) – Le 11 octobre 2017, l’embarcation de sauvetage de tribord du traversier à passagers Northern Ranger faisait l’objet d’essais de fonctionnement à quai lorsque le croc de dégagement avant a cédé. Pendant que les membres d’équipage hissaient l’embarcation jusqu’au pont d’embarquement du navire, le croc de dégagement avant s’est ouvert inopinément, et la proue de l’embarcation de sauvetage a chuté et s’est retrouvé en suspension au-dessus de l’eau au moyen du croc de dégagement et du garant arrière. Quatre membres d’équipage se trouvaient à bord de l’embarcation au moment de l’événement. Les 4 membres d’équipage ont été secourus et soignés à l’hôpital pour leurs blessures.

M06L0063 (Sea Urchin) – Le 22 mai 2006, lors de la récupération de l’embarcation de sauvetage tribord du vraquier Sea Urchin, le mécanisme de largage du croc arrière s’est ouvert. Le mécanisme du croc avant, incapable de supporter toute la charge, s’est également ouvert. L’embarcation est tombée à la mer d’une hauteur de 11 m, la partie arrière en premier. L’un des 5 membres d’équipage à bord de l’embarcation a été mortellement blessé.

M00W0265 (Pacmonarch) – Le 26 octobre 2000, l’équipage a entrepris la mise à l’eau de l’embarcation de sauvetage de bâbord du Pacmonarch pour se rendre à terre. Il s’agissait d’une embarcation de sauvetage totalement fermée, sous bossoir, maintenue par des crocs à échappement largable sous tension. Quatre membres d’équipage sont montés à bord de l’embarcation tandis que 2 autres, restés sur le navire, ont retiré les clavettes de sécurité des bossoirs en prévision de la mise à l’eau. Peu après que les bossoirs eurent touché leurs butées, alors que l’embarcation de sauvetage se trouvait à environ 15 m au-dessus de l’eau, le croc arrière est sorti de l’anneau de suspension arrière des garants. Suspendue au croc avant, l’embarcation a basculé vers le bas, ce qui a provoqué l’ouverture du croc avant, et l’embarcation s’est écrasée dans l’eau, l’arrière en premier. Trois des 4 occupants ont été mortellement blessés.