Language selection

Rapport d'enquête ferroviaire R99M0046

Déraillement
Canadien National
Train numéro Q106-21-08
Point milliaire 9,7, subdivision Bedford
Bedford (Nouvelle-Écosse)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 9 octobre 1999 à 4 h 3, heure avancée de l'Atlantique, le bogie avant de la deuxième locomotive et les huit premiers wagons du train de marchandises no Q106-21-08 du Canadien National ont déraillé près du point milliaire 9,7 de la subdivision Bedford alors que le train, roulant vers l'est sur la voie principale nord à destination de Halifax (Nouvelle-Écosse), traversait Bedford (Nouvelle-Écosse) à une vitesse d'environ 30 mi/h. L'accident n'a pas fait de blessé, et aucune marchandise dangereuse n'a été en cause.

This report is also available in English.

Renseignements de base

Le train no Q106-21-08 du Canadien National (CN) comptait 3 locomotives, 64 wagons chargés et 3 wagons vides. Il mesurait 4 580 pieds et pesait environ 4 470 tonnes. L'équipe était formée d'un mécanicien et d'un chef de train.

Sur ce tronçon de la subdivision, le mouvement des trains était régi par le système de régulation de l'occupation de la voie et le système de block automatique (BA). Les signaux de BA, qui indiquent une rupture dans le circuit de voie, régissent les mouvements vers l'est sur la voie principale sud entre le point milliaire 15,6 et le point milliaire 0,50, et régissent les mouvements vers l'ouest sur la voie principale nord, entre Halifax et le point milliaire 15,4; ils n'ont donc pas assuré la protection.

La température était de six degrés Celsius, il y avait des nuages épars dans le ciel et la visibilité était bonne. Les membres de l'équipe ont vu une légère réflexion de la lumière du phare avant sur un des rails, tout juste avant d'entendre un grand bruit venant de sous la locomotive et de sentir que la locomotive se dérobait légèrement sous eux.

Les données du consignateur d'événements ont révélé qu'en approchant du secteur du déraillement, vers 4 h 1 min 0 s, heure avancée de l'Atlantique (HAA)Note de bas de page 1, le train roulait à 48 mi/h. À 4 h 1 min 10 s, les freins de service ont été serrés; la vitesse du train est ensuite tombée à 30 mi/h à 4 h 2 min 45 s. À 4 h 2 min 52 s, un freinage d'urgence provenant de la conduite générale s'est déclenché pendant que le train roulait à 30 mi/h; à ce moment, le frein automatique était desserré et la manette des gaz était à la position de ralenti.

La locomotive de tête, le bogie arrière de la deuxième locomotive et la troisième locomotive sont restés sur la voie. Le bogie avant de la deuxième locomotive a complètement déraillé. Les wagons déraillés sont restés à la verticale ou se sont renversés sur le côté sur une distance de quelque 200 m (655 pieds). Du maïs provenant de deux wagons-trémies endommagés a été répandu sur le lieu du déraillement. Rien n'indique que le matériel roulant avait des défauts ou des défaillances avant l'accident. Les rails se sont rompus à plusieurs endroits et ont été tordus sous les wagons déraillés et à proximité de ces derniers. La voie ferrée a été endommagée sur une distance de plus de 800 pieds.

La vitesse maximale autorisée change à l'endroit où l'accident s'est produit. À l'est du lieu de l'accident (du point milliaire 1,4 au point milliaire 9,7), la vitesse maximale autorisée est de 30 mi/h pour les trains de marchandises et de 45 mi/h pour les trains de voyageurs, tandis qu'à l'ouest du lieu de l'accident (du point milliaire 9,7 au point milliaire 26,7), elle est de 40 mi/h pour les trains de marchandises et de 55 mi/h pour les trains de voyageurs.

Dans le secteur du déraillement, la subdivision était constituée d'une voie principale double. Les deux voies étaient faites de longs rails soudés de 100 livres retenus aux traverses par des selles à double épaulement et encadrés par des anticheminants toutes les deux traverses. Au point milliaire 9,7, la voie décrivait une courbe de 4,5 degrés et descendait une pente d'environ 0,1 p. 100 en direction de Halifax. Les traverses, les ancrages et le ballast étaient en bon état.

Les rails de la voie nord avaient été fabriqués en juillet 1980, et avaient été posés en réemploi en 1998, après avoir servi d'abord sur la subdivision Kingston du CN, en Ontario. L'usure verticale du rail était de 6 mm (1/4 de pouce) et son usure latérale était de 3 mm (1/8 de pouce) du côté intérieur; le rail ne montrait aucune usure du côté extérieur. Cette usure est en deçà des limites tolérées de 10 mm (3/8 de pouce) d'usure verticale et de 14 mm (9/16 de pouce) d'usure verticale et latérale combinée, qui sont précisées pour les rails de 100 livres dans la Circulaire sur les méthodes normalisées (CMN) 3200 du CN, publiée par le service d'ingénierie et d'entretien de la voie.

On a examiné huit morceaux de rail rompu. Un morceau de rail rompu provenant de la file haute de la courbe montrait des signes de martèlement prononcé près du champignon sur la surface de rupture qui faisait face à l'ouest, ainsi que deux petites « taches »localisées sur la surface de rupture. On a aussi relevé des dommages dus à une exfoliation (« shelling ») et un peu d'oxydation (rouille) du côté intérieur du champignon. À la surface de rupture, la base ne portait pas de marques laissées par des anticheminants ou une selle de rail, ce qui indique que la zone de rupture se trouvait entre deux traverses. Ce morceau de rail a été envoyé au Laboratoire technique du BST pour examen.

Sur les sept autres morceaux de rail rompu, les surfaces de rupture ne montraient pas de signes de martèlement prononcé ni de taches. On a donc conclu que les ruptures de ces morceaux de rail résultaient des efforts, des impacts et des dislocations consécutifs au déraillement du matériel roulant.

Le Laboratoire technique du BST (rapport no LP 126/99) a conclu que :

  1. Le congé de roulement du côté intérieur montrait des signes évidents de dommages attribuables à une exfoliation.
  2. Le bout de rail avait subi un martèlement prononcé et montrait des taches qui cachaient la plupart des détails de la rupture du côté intérieur du champignon et près de l'âme du rail.
  3. Deux zones de rupture du rail, à savoir du côté extérieur du champignon et à la base du rail, ont révélé des particularités qu'on a identifiées comme étant les signes d'une rupture consécutive à un effort excessif. À cause des dommages, il a été impossible de déterminer l'origine de la rupture du côté intérieur du champignon et de l'âme. Deux fissures longitudinales dues à une fatigue progressive ont pris naissance dans la rupture transversale de l'âme.
  4. La présence de deux fissures dues à une fatigue progressive de l'âme, leur forme et leur orientation portent à croire que la fissure est apparue d'abord près de la surface supérieure du rail et qu'elle a ensuite progressé vers le milieu de l'âme. Il est fort probable que cette fissure est demeurée latente jusqu'à ce qu'une fissure ultérieure, attribuable à un effort excessif et provenant de la base du rail, entraîne une rupture complète. La fissure initiale du champignon a pu résulter de dommages dus à une exfoliation et, par conséquent, n'aurait pas été visible de l'extérieur puisqu'elle se trouvait sous la surface. Toutefois, les dommages dus à l'exfoliation peuvent être détectés à la surface du rail et sont un précurseur bien connu d'une fissuration sub-superficielle.
  5. La microstructure du rail et ses caractéristiques de dureté étaient conformes à celles des matériaux qui servent couramment à la fabrication des rails. L'examen n'a révélé aucun défaut des matériaux qui aurait pu contribuer à la rupture.

Le Laboratoire technique du BST a aussi noté que les deux fissures de fatigue de l'âme étaient récentes mais qu'elles étaient présentes depuis plusieurs jours lors de l'accident.

La CMN 3202 du CN donne la définition suivante du terme « shelling » (exfoliation) :

Fissuration horizontale progressive se manifestant sur la joue intérieure du champignon, généralement près du congé de roulement, et se propageant linéairement, non pas comme une véritable fissure horizontale ou verticale, mais bien selon un angle qui est fonction de l'usure du rail.

La CMN 3202 décrit comme il suit l'apparence d'un rail affecté par une exfoliation : « Taches noires irrégulièrement espacées sur le congé intérieur de la table de roulement … . Fissures longitudinales au voisinage du congé intérieur supérieur avec traces d'oxydation … . Le shelling survient habituellement dans les courbes. » La CMN 3202 ne désigne pas l'exfoliation comme étant un défaut qui exige des mesures correctives.

Les contraintes de contact dues au passage des trains sont à l'origine de dommages dus à une exfoliation. Ces dommages sont courants dans les courbes des subdivisions sur lesquelles la circulation est forte, et ils ne provoquent habituellement pas d'inquiétude de la part du personnel chargé de l'entretien de la voie. On sait que les dommages dus à une exfoliation se développent dans des défauts transversaux qui entraînent la rupture du rail dans certaines circonstances.

Le Règlement sur la sécurité de la voie, approuvé par le ministre des Transports le 27 mars 1992, n'indique pas l'exfoliation dans la liste des défauts de rails.

Le Règlement sur la sécurité de la voie exige que les voies de catégorie 3, comme celles de la subdivision Bedford, fassent l'objet d'un essai par ultrasons une fois par année et fassent l'objet de deux inspections visuelles par semaine, si elles sont inspectées au moins une fois l'an par la voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie.

Des inspections visuelles de la voie avaient lieu deux fois par semaine et les inspections par la voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie étaient faites quatre fois par année.

La dernière inspection visuelle de la voie nord dans le secteur de Bedford avait été faite le 8 octobre 1999 par un inspecteur de la voie qui roulait à bord d'un véhicule rail-route. L'inspection n'avait pas relevé de défauts à signaler au point milliaire 9,7. La dernière inspection faite par la voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie avait été faite le 12 juillet 1999 et avait relevé plusieurs surécartements dans le secteur. Ces problèmes avaient été réparés les 12 et 13 juillet 1999. L'inspection avait révélé que l'état de la surface, le nivellement transversal et le tracé de la voie étaient en deçà des limites établies. La fréquence de ces inspections était conforme aux exigences du Règlement sur la sécurité de la voie, ou les dépassait.

Le dernier essai par ultrasons avait été fait le 23 juin 1999 et n'avait pas relevé de défauts dans le secteur. Le calendrier du CN concernant les essais par ultrasons tient compte de facteurs comme la densité du trafic, le poids et l'usure des rails, le nombre de courbes, la déclivité et l'état général de la voie ferrée. La subdivision Bedford était censée faire l'objet de quatre essais par ultrasons par année; elle avait été contrôlée le 6 janvier 1999 et le 24 mars 1999 et devait l'être de nouveau le 14 décembre 1999. Les essais de ce genre ne permettent pas de relever les petites fissures sub-superficielles dues à une exfoliation.

La base de données du BST indique qu'il n'y a pas eu de déraillement associé à un défaut du rail ou de la voie sur la subdivision Bedford au cours des 10 dernières années.

Analyse

Aucun élément d'information n'indique que la conduite du train, l'intégrité du matériel roulant, la métallurgie des rails ou la géométrie de la voie ont contribué à cet accident. Le faible excès de vitesse (jusqu'à 8 mi/h) qui a été relevé à l'ouest du secteur du déraillement n'a eu aucune incidence sur les événements.

Le bout de rail rouillé et martelé qu'on a récupéré sur la voie nord indique que le déraillement a résulté de la rupture d'un rail.

La réflexion de la lumière sur le rail et les conclusions de l'examen fait par le Laboratoire technique du BST, révélant que le bout de rail qu'on a examiné montrait des surfaces de rupture remontant à « plusieurs jours », indiquent que :

  • la locomotive de tête a heurté un rail partiellement rompu, ce qui a entraîné l'éclatement et le déplacement du rail, ou
  • la locomotive de tête a heurté un morceau du rail dont une partie du champignon était absente, ce qui a endommagé le rail encore davantage et a causé son déplacement.

Bien qu'il ait été impossible de déterminer le mode de rupture avec précision, les conclusions du Laboratoire technique du BST portent à croire que la rupture initiale a pris naissance dans les microfissures occasionnées par les dommages dus à une exfoliation du champignon de rail, et que les dommages ont progressé de haut en bas à partir de ce point. De telles fissures progressant vers le bas à partir de dommages dus à une exfoliation ne peuvent pas être détectées pendant une inspection visuelle; le programme d'inspection hebdomadaire des voies ne permet d'ailleurs pas d'identifier des risques latents de ce genre.

La fissure initiale, qui était indétectable lors de la dernière inspection de détection des défauts de rails, le 23 juin 1999, a progressé au point de causer une rupture complète le ou avant le 9 octobre 1999, soit 67 jours avant la date prévue pour l'essai par ultrasons suivant. Le CN s'en remet à ces essais pour identifier et supprimer les zones de rupture avant qu'elles n'atteignent une taille susceptible de compromettre la sécurité ferroviaire. Bien que le défaut soit apparu entre les dates prévues pour les essais aux ultrasons, l'absence d'accidents attribuables à l'état de la voie ferrée sur cette subdivision au cours des 10 dernières années indique que les normes d'inspection et d'entretien de la voie sont généralement efficaces.

Les dommages dus à une exfoliation ont été présents pendant une période indéterminée, mais ils n'ont pas suscité d'inquiétude de la part du personnel chargé de l'inspection de la voie, même si l'on sait que des dommages de ce genre occasionnent l'apparition de microfissures sub-superficielles dont la propagation rapide peut entraîner une rupture partielle ou complète du rail. Le Règlement sur la sécurité de la voie n'exige pas qu'on prenne des mesures pour remédier aux dommages dus à une exfoliation, même s'il précise qu'un tel défaut peut entraîner des ruptures de rail. La CMN 3202 du CN fait référence à l'exfoliation (« shelling »). Toutefois, dans le tableau sur l'identification des défauts de rails et les mesures correctives, la CMN 3207 ne désigne pas spécifiquement l'exfoliation comme étant un défaut qui exige des mesures correctives.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et facteurs contributifs

  1. Un rail endommagé a causé le déraillement de la deuxième locomotive, ce qui a entraîné la destruction de la voie et le déraillement des huit premiers wagons.
  2. Le rail était endommagé mais n'était pas complètement sectionné avant l'arrivée du train.
  3. Le rail s'est rompu par suite de la propagation de haut en bas de microfissures attribuables à des dommages dus à une exfoliation.

Faits établis quant aux risques

  1. L'inspection visuelle des voies ne permet pas de déceler les ruptures susceptibles de découler de dommages dus à une exfoliation.

Autres faits établis

  1. Dans l'ensemble, les programmes d'entretien et d'inspection des voies ont été efficaces, même si les essais fréquents par ultrasons n'ont pas permis de déceler le défaut qui a entraîné l'accident.
  2. L'enquête a fait ressortir le fait que les dommages dus à une exfoliation peuvent occasionner l'apparition de microfissures sub-superficielles dont la propagation rapide peut entraîner une rupture partielle ou complète du rail. Ni le Règlement sur la sécurité de la voie ni les circulaires sur les pratiques normalisées du CN ne traitent de cette question de façon complète.

Mesures de sécurité

Mesures de sécurité prises

On recommande de meuler les rails pour remédier aux effets de dommages dus à une exfoliation. Le meulage permet en effet d'éliminer les irrégularités de la surface et du congé de roulement grâce au reprofilage du champignon. Un programme de meulage a été mis en vigueur sur la subdivision Bedford, dans le cadre duquel les sections de rail identifiées seront meulées deux fois par année.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .