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Prendre les devants pour la sécurité des hydravions à flotteurs

Par Ewan Tasker,
Bureau de la sécurité des transports du Canada

Cet article a été publié dans l'édition de mars 2014 de la revue Air.

Porte d'un hydravion après une collision
Photo de la porte d'un hydravion après une collision

Si vous pouviez rendre votre entreprise plus sécuritaire dès aujourd’hui, le feriez-vous? Pour de nombreux chefs d’entreprise, la réponse est évidemment oui. Malheureusement, cette attitude est loin d’être universelle, et ce, pour de nombreuses raisons : l’incertitude, la législation toujours à l’étude et le débat sur les exigences précises, sans oublier le prix.

En novembre 2009, un hydravion à flotteurs Beaver de Havilland, qui effectuait un vol à destination de l’aéroport international de Vancouver, s’est écrasé peu après son décollage de Lyall Harbour (Colombie-Britannique). Bien que le pilote et l’un des passagers aient pu évacuer l’appareil, six autres y sont restés prisonniers et se sont noyés.

À la suite d’une enquête approfondie sur l’accident, le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a formulé deux recommandations. Tout d’abord, il suggère que les hydravions à flotteurs soient munis de portes et de fenêtres largables pour faciliter l’évacuation en cas d’urgence. Ensuite, il recommande que Transports Canada (TC) rende le port d’un vêtement de flottaison individuel (VFI) obligatoire pour toutes les personnes à bord.

Aujourd’hui, cinq ans après l’écrasement et trois ans après la publication de ces recommandations, aucune de ces mesures de sécurité n’est obligatoire. Cependant, cela n’a pas empêché certaines entreprises de comprendre le message et de passer à l’action.

Joel Eilertsen est propriétaire d’Air Cab, petit affréteur établi à Coal Harbour (Colombie-Britannique). Son entreprise, qui exploite trois Beaver et un Cessna 185, a été l’une des premières de la province à exiger le port de VFI pour ses pilotes et passagers.

M. Eilertsen explique qu’il était depuis longtemps mécontent du fait que les passagers ne portaient pas leur gilet de sauvetage. « Personne, dit-il, ne se penchait pour prendre celui situé sous le siège en cas d’urgence, et des gens se noyaient. » Alors, quand le BST a publié une mise à jour au cours de l’enquête de Lyall Harbour et a déclaré que les VFI étaient l’un des enjeux faisant l’objet d’une étude plus approfondie, M. Eilertsen a saisi l’occasion. Il a d’abord acheté un ensemble de VFI à sangle de sauvetage pour un seul avion, et a demandé à ses employés de les porter.

« Étonnamment, les clients ne s’y sont pas opposés », dit-il. « Ces gens-là, des bûcherons pour la plupart, sont habitués à porter de l’équipement de sécurité. Ils ont considéré le VFI comme une pièce d’équipement de sécurité parmi d’autres, et l’ont revêtu sans poser de question. » En revanche, ce sont ses propres pilotes qui ont exprimé des réticences, bien qu’elles aient été de courte durée. « Je leur ai dit que s’ils refusaient de porter le VFI, ils pouvaient se chercher un nouvel emploi. Problème résolu. »

Estimant l’essai réussi, M. Eilertsen a acheté d’autres VFI et a imposé les nouvelles règles à l’ensemble de sa flotte. Aujourd’hui, après plusieurs années, il n’a aucun regret. « En fait, les touristes les adorent, particulièrement s’ils ne savent pas nager. Ils aiment même les vêtir pour se faire prendre en photo. »

Or, M. Eilertsen affirme être toujours surpris d’entendre que certaines entreprises s’opposent encore à l’utilisation de cet équipement. C’est vrai, cela a un coût (à environ 120 $ le gilet de sauvetage, il pense avoir dépensé entre 2000 et 3000 $), mais, ajoute-t-il, « à l’échelle d’une entreprise, ce n’est pas grand-chose, surtout si des vies sont en jeu. »

« De plus, parce que nous avons fait preuve d’initiative en matière de sécurité, nous avons bénéficié d’un rabais sur notre assurance. »

Or, Air Cab n’est pas le seul exploitant d’hydravions à flotteurs à passer à l’action.

Jean Blanchard est président et propriétaire d’Air Tamarac, petit exploitant de Clova (Québec), un village situé entre Val-d’Or et le Lac-Saint-Jean. La compagnie, qui exploite deux Beaver de Havilland et un Cessna 185, a une clientèle majoritairement composée de pêcheurs et de chasseurs sportifs.

M. Blanchard, tout comme M. Eilertsen, a décidé d’apporter des changements après avoir pris connaissance d’un accident mortel mettant en cause un hydravion à flotteurs. Cependant, dans le cas de M. Blanchard, l’accident concernait sa propre entreprise.

En juillet 2011, un Cessna 185 d’Air Tamarac a subi une panne moteur au cours d’une excursion aérienne et s’est écrasé dans la rivière Bostonnais. Parmi les cinq personnes à bord, quatre se sont échappées. La cinquième personne, un enfant de six ans, s’est noyée.

À la suite de l’accident et de l’enquête du BSTNote de bas de page 1 , M. Blanchard et son équipe se sont penchés longuement et sérieusement sur leurs activités, et ont pris un certain nombre de mesures de sécurité, à commencer par le port obligatoire d’un VFI pour toute personne à bord, y compris les pilotes. Ils ont aussi commencé à donner, avant chaque vol, des exposés sur les mesures de sécurité à l’intention des passagers, et se sont assurés d’y inclure des explications sur l’utilisation des VFI. En outre, la formation des pilotes de la compagnie comporte maintenant une formation initiale obligatoire sur l’évacuation d’un aéronef submergé, ainsi qu’une formation en premiers soins et en réanimation cardiopulmonaire (RCP).

Moins d’un an plus tard, ces mesures semblaient encore visionnaires, en particulier lorsqu’un autre Beaver, exploité cette fois par Cochrane Air Service, s’est écrasé dans le lac Lillabelle (Ontario). À la suite de cet accident, le BST a formulé deux autres recommandations : d’abord, des ceintures-baudriers pour tous les passagers, et ensuite, la formation des équipages sur l’évacuation subaquatique.

Pourtant, même s’il avait une longueur d’avance sur certains aspects de la sécurité, M. Blanchard ne comptait pas cesser de chercher des améliorations. Il a alors obtenu un certificat de type supplémentaire afin d’installer des fenêtres largables et de déplacer les poignées de porte sur les deux Beaver d’Air Tamarac, soit un investissement d’environ 18 000 $. « Ce n’était pas une petite somme, dit-il, mais sauver une vie en vaut la peine. »

M. Blanchard affirme être heureux d’avoir fait ces changements, même si, tout comme M. Eilertsen d’Air Cab, il avoue avoir été préoccupé au départ par la façon dont ses clients réagiraient au port obligatoire du VFI. « Mais finalement, cela n’a pas posé de problème. Les réactions ont été très positives. »

Ces deux anecdotes, cependant, ne créent pas forcément une tendance. Pour en savoir plus sur le nombre d’entreprises ayant pris des mesures proactives, le BST a communiqué avec Edward Gee, gestionnaire de soutien technique chez Viking Air. L’entreprise, établie à Victoria (Colombie-Britannique), est fabricant d’équipement d’origine de première catégorie, spécialisé dans les produits d’aviation de Havilland.

M. Gee indique que Viking vend deux trousses de modification pour les hydravions à flotteurs Beaver permettant aux propriétaires d’installer des fenêtres largables et de changer les poignées des portes, respectivement. La première trousse, que M. Gee désigne comme la modification la plus importante, permet à une personne à l’intérieur de l’avion de pousser les fenêtres des portes arrière de la cabine vers l’extérieur (le cadre de porte demeure inchangé).

Fenêtre largable pour un hydravion
Photo d'une fenêtre largable pour les hydravions

La seconde trousse comprend des poignées permettant d’ouvrir la porte arrière de la cabine. Auparavant, les Beaver n’étaient dotés que d’une poignée de porte rotative, située à l’extrémité arrière de la porte de la cabine. Repensée, cette porte comprend maintenant deux poignées semblables à celles que l’on trouve sur la plupart des voitures : l’une à l’extrémité arrière de la porte, à la place de la poignée d’origine, et l’autre, reliée par une tige, que peut maintenant atteindre une personne assise sur la banquette.

Les prix vont de 3000 $ pour la trousse de fenêtre à 4800 $ pour la trousse de porte plus complexe, et M. Gee affirme que Viking vend aussi ces produits à l’étranger. Lorsqu’on lui demande des chiffres précis, il affirme que ses produits se vendent « de façon raisonnable », et que les fenêtres largables sont certainement la modification qui a eu le plus grand succès. « Nous avons vendu plus de 30 trousses de poignée de porte, et deux fois plus pour les fenêtres. » Il ajoute rapidement que TC a « grandement collaboré au processus de conception » avec Viking afin de s’assurer que les produits respectent les normes en vigueur.

Pour sa part, TC n’a toujours pas rendu obligatoire une seule des quatre recommandations du BST. En 2012, cependant, TC a annoncé qu’il prévoyait rendre le port d’un VFI obligatoire pour tous les occupants des hydravions commerciaux. Si le projet se concrétise, la nouvelle règle pourrait entrer en vigueur dès 2014.

D’ici là, la responsabilité incombera aux exploitants de reconnaître les risques auxquels ils sont confrontés et de prendre les mesures nécessaires. Pour des gens comme M. Blanchard et M. Eilertsen, cette décision est facile à prendre.

« La sécurité est la priorité numéro un », affirme M. Blanchard, « pour nous comme pour nos clients. »

M. Eilertsen se montre encore plus direct : « Ces recommandations devraient être obligatoires », déclare-t-il. « Si vous voulez mon avis, on ne devrait pas attendre une minute de plus et agir tout de suite. »

Ewan Tasker détient plus de 20 années d’expérience dans l’aviation civile. Il s’est joint au BST en 2008 et est maintenant enquêteur principal régional à Richmond Hill (Ontario).