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Discours luminaire présenté à l’Association du transport aérien du Canada

Kathy Fox
Présidente, Bureau de la sécurité des transports du Canada
le 18 novembre 2014

Seul le texte prononcé fait foi.

Merci beaucoup de cette aimable présentation et de l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je suis enchantée d'être des vôtres. Je suis membre du Bureau de la sécurité des transports depuis un peu plus de 7 ans, et c'est un honneur pour moi d'avoir été nommée présidente du BST, il y a presque exactement 3 mois. Si je suis très heureuse de relever ce nouveau défi, je suis également très consciente de la grande responsabilité qui l'accompagne.

Permettez-moi tout d'abord de féliciter l'Association du transport aérien du Canada à l'occasion de cet anniversaire marquant – 80 ans! C'est long, 80 ans. Huit décennies passées à « promouvoir un transport aérien sécuritaire, fiable, efficace et abordable ». Pour atteindre un pareil jalon, il faut une vision et un mandat clairs, de la détermination, de la persévérance et un esprit d'équipe. Je vous en félicite!

En mars prochain, le Bureau de la sécurité des transports du Canada fêtera son 25e anniversaire. Notre mandat est également très clair et précis : promouvoir la sécurité des transports en menant des enquêtes rigoureuses et indépendantes, en publiant nos conclusions quant aux causes et facteurs contributifs, en cernant les lacunes de sécurité et en faisant des recommandations pour les corriger. Depuis son établissement en 1990, le BST a mené bien au-delà de 1000 enquêtes d'un bout à l'autre du pays sur les modes de transport aérien, ferroviaire, maritime et par pipeline, et a fait 559 recommandations. J'y reviendrai un peu plus tard.

Dans l'ensemble, nous avons au Canada un système de transport aérien très sécuritaire. Mais le travail du BST consiste à rendre le transport aérien encore plus sûr en cernant les risques de sécurité persistants dans ce système. C'est ce que le public canadien attend, sinon exige de nous.

Dans toute organisation de transport, les exploitants doivent gérer des objectifs contradictoires et de nombreuses priorités, y compris la sécurité, le service à la clientèle, la productivité, l'innovation technologique, la rentabilité et le rendement des investissements des actionnaires. La plupart de ces organisations soutiennent publiquement que « la sécurité est leur grande priorité ». Cependant, il y a manifestement tout lieu de croire que, pour certaines d'entre elles, c'est la rentabilité qui représente la grande priorité. Pourtant, les entreprises reconnaissent et acceptent généralement que les produits et services doivent être « sûrs » si elles veulent poursuivre leurs activités, conserver la confiance de leur clientèle et du public, éviter les accidents et les litiges coûteux qu'ils entraînent, et réduire la possibilité de règlements trop prescriptifs ou de mesures coercitives.

De 1982 à 1992, j'ai été copropriétaire et exploitante d'une entreprise de taxi aérien et d'une école d'entraînement au vol près de Montréal. C'était avant le RACNote de bas de page 1. Dans le langage d'aujourd'hui, on parlerait d'un exploitant 702Note de bas de page 2/703Note de bas de page 3/UFPNote de bas de page 4 avec un organisme de maintenance agréé. C'est donc dire que je connais personnellement certains des défis que doivent relever les exploitants plus modestes.

Les initiatives de sécurité coûtent souvent cher, et les petits exploitants aux marges restreintes n'ont pas toujours de tels montants à investir. S'il est facile de quantifier le coût de mise en œuvre d'une nouvelle technologie, ou d'une formation supplémentaire, ou de l'embauche d'employés additionnels, il n'est pas toujours facile de quantifier des avantages de sécurité. Autrement dit, si l'on peut calculer les coûts que l'on éviterait en n'investissant pas dans de nouvelles initiatives de sécurité, il est très difficile de calculer ce que cela entraînerait comme niveau de risque accru.

Permettez-moi de vous donner un exemple. En 1995, le BST a recommandé que « le ministère des Transports exige que tous les aéronefs de ligne et de transport régional propulsés par turbine à gaz, approuvés pour le vol IFR et pouvant transporter au moins 10 passagers, soient équipés d'un dispositif avertisseur de proximité du sol ». Il a fallu attendre jusqu'en 2003 avant que le CCRACNote de bas de page 5 approuve enfin l'ébauche initiale des changements réglementaires, et le règlement définitif, publié en juillet 2012, prévoyait une période de mise en œuvre de deux ans pour les aéronefs existants visés par le nouveau règlement. Même s'il a fallu presque 19 ans pour que le nouveau règlement entre en vigueur, nous sommes tout de même satisfaits que Transports Canada ait étendu les exigences au-delà de la portée de la recommandation initiale du BST.

Je suis certaine que beaucoup d'exploitants proactifs ont choisi d'adopter la nouvelle technologie, appelée système d'avertissement et d'alarme d'impact, ou TAWS, avant même d'être tenus de le faire. Je suis tout aussi certaine que d'autres ont attendu jusqu'à l'entrée en vigueur du nouveau règlement avant d'assumer ces coûts. Peu importe, vous savez combien il vous a coûté pour doter votre flotte de cette technologie. Ce que vous ne savez pas encore (ou peut-être que certains d'entre vous le savent), c'est la valeur des avantages de sécurité qu'elle procure.

Votre système interne et non punitif de notification des incidents est l'un des outils qui pourraient vous aider à mieux quantifier les avantages de telles initiatives de sécurité. Si vos employés n'ont aucune crainte à signaler les « quasi-accidents », vous entendrez peut-être parler d'incidents où vos pilotes ont reçu un avertissement comme quoi l'aéronef était proche du sol, ce qui leur a permis de réagir rapidement et d'éviter un impact sans perte de contrôle (communément appelé CFIT). De plus, le fait de relever les événements de ce genre vous aidera à examiner de plus près leurs causes et à déterminer quelles autres mesures correctives non punitives pourraient s'imposer – formation des équipages, révisions aux procédures d'utilisation normalisées ou pratiques d'entretien des aéronefs, par exemple.

Un enregistreur de bord peut être fort utile dans ce sens, et le suivi des données de vol qu'il permet peut donner une image plus réaliste des activités normales. Par exemple, les exploitants pourront déterminer dans quelle mesure, et à quelle fréquence, les pilotes s'approchent des limites de l'exploitation sûre, ou soulever des questions sur les écarts par rapport aux procédures d'exploitation normalisées, comme les politiques sur la remise des gaz sans égard à la faute.

Mais revenons aux impacts sans perte de contrôle ou CFIT. De 1995 jusqu'à la fin de 2013, il y a eu 203 accidents de ce genre. Les systèmes TAWS peuvent être un antidote aux CFIT. Au fil des ans, donc, nous prévoyons une diminution de ce genre d'accident.

Malheureusement, nous constatons toujours certains facteurs causals et contributifs sous-jacents dans d'autres accidents, surtout en ce qui a trait aux activités de type 703. Ces facteurs comprennent : le manque d'expérience et la formation insuffisante des pilotes; des lacunes dans la prise de décisions des pilotes et la gestion des ressources du poste de pilotage, surtout par mauvais temps. Notre enquête sur la collision avec le relief d'un Piper Navajo Chieftain à North Spirit Lake, en Ontario, en janvier 2012 (A12C0005) en est un bon exemple; le pilote et 3 passagers ont perdu la vie. Le BST a conclu que la décision du pilote d'effectuer une approche sur un aérodrome non desservi par une approche selon les règles de vol aux instruments (IFR), dans des conditions météorologiques difficiles, était probablement attribuable à un manque d'expérience du pilote et à sa volonté de mener le vol à terme. Et la décision du pilote d'effectuer une descente à travers des nuages et de continuer dans des conditions de givrage était probablement attribuable à une méconnaissance de la performance de l'aéronef dans de telles conditions et de ses capacités de dégivrage.

Devant de tels faits, nous poussons plus loin notre enquête afin de comprendre « pourquoi ». Par exemple, comment l'exploitant gérait-il les risques opérationnels? Quel degré de contrôle opérationnel et de supervision des activités l'entreprise exerçait-elle? L'enquête sur l'événement à North Spirit Lake nous a permis de conclure que le manque de procédures et d'outils pour aider les pilotes à décider s'ils doivent ou non effectuer un vol accroît les risques de les voir s'envoler dans des conditions qui dépassent les capacités de l'aéronef. De plus, lorsque l'intervention de la direction dans le processus de régulation fait en sorte que certains pilotes se sentent poussés à terminer un vol dans des conditions difficiles, il y a alors un risque accru que les pilotes tentent d'effectuer des vols au-delà de leur compétence.

Et si l'exploitant ne gère pas efficacement ces risques, nous examinons de plus près encore pour déterminer si l'organisme de réglementation a relevé des problèmes dans cette entreprise. Sinon, pourquoi? Si oui, comment se fait-il que l'intervention de cet organisme n'ait pas pu corriger ces pratiques d'exploitation non sécuritaires? Un exemple : l'enquête du BST sur l'écrasement mortel d'un Beech King Air en décollant de l'aéroport de Québec, en juin 2010 (A10Q0098), où les 2 pilotes et les 5 passagers ont perdu la vie. Dans ce cas-là, le Bureau a conclu que Transports Canada (TC) avait pris d'importantes mesures, mais que celles-ci n'avaient pas pu garantir l'adhésion aux règlements, permettant à des pratiques non sécuritaires de persister.

Voici un autre enjeu majeur pour le BST et qui devrait préoccuper les exploitants plus importants : le concept de gestion des ressources du poste de pilotage, ou CRM. En effet, la CRM a été le sujet d'enquêtes dans plusieurs rapports bien en vue au cours des dernières années. En mars dernier, nous avons publié notre rapport d'enquête sur le tragique accident du vol 6560 de First Air, qui est entré en collision avec un flanc de colline à un mille à l'est de l'aéroport de Resolute Bay, en août 2011, faisant 12 morts parmi les 15 personnes à bord. Cet écrasement m'a profondément secouée. Je voyage fréquemment dans le Nord; je m'étais justement rendue à Resolute Bay quelques jours auparavant à bord d'un B737 nolisé par First Air, avec plus de 95 passagers à bord.

Nous avons passé beaucoup de temps et consacré beaucoup d'effort à comprendre pourquoi les membres de l'équipage de conduite du vol 6560 avaient agi comme ils l'ont fait, et pourquoi l'équipage n'a pas été en mesure de concilier les différences dans leur conscience de la situation avant qu'il soit trop tard. Ce que nous avons appris, entre autres, c'est que la formation sur la gestion des ressources du poste de pilotage exigée actuellement par Transports Canada est désuète. Non seulement ne comprend-elle pas les techniques et le contenu les plus récents, mais il n'existe ni reconnaissance professionnelle officielle pour les instructeurs ni délai établi pour la durée des cours. Dans le cas des exploitants plus modestes, comme les pilotes de taxis aériens (703) et de services aériens de navette (704Note de bas de page 6), aucune formation n'est obligatoire, comme beaucoup d'entre vous le savent – malgré une recommandation du BST faite en 2009 qui demandait de façon explicite qu'une telle formation soit obligatoire.

Toutefois, il faut bien admettre que TC a depuis commencé à agir. En 2012, un groupe de discussion composé de représentants de TC et du secteur a présenté un rapport qui proposait des éléments d'une norme contemporaine en matière de formation CRM pour la Partie VII – Services aériens commerciaux. Plus tard cette année-là, le Comité de réglementation de l'Aviation civile (CRAC) a ordonné la conception d'une norme et d'un règlement contemporains sur la formation CRM pour les sous-parties 702, 703, 704 et 705 du RAC.

Actuellement, toutefois, on ne sait toujours pas si cette nouvelle norme de formation et les documents d'orientation de TC seront plus ou moins détaillés que la norme courante ni quand cette nouvelle norme entrera en vigueur. On ignore aussi comment TC fera en sorte que les exploitants appliquent la nouvelle norme de formation de manière à ce que les équipages de conduite acquièrent et tiennent à jour des compétences CRM efficaces. Le Bureau craint donc que, à défaut d'une approche exhaustive et intégrée de la gestion des ressources du poste de pilotage de la part de TC et des exploitants du transport aérien, les équipages de conduite n'aient pas toujours des pratiques efficaces de gestion de ces ressources.

Voici un autre sujet qui préoccupe le Bureau : les systèmes de gestion de la sécurité, ou SGS.

Je sais pertinemment que tous les exploitants aériens ne sont pas tenus d'avoir un SGS. Cela dit, chaque entreprise de transport a pour responsabilité de gérer ses risques de sécurité, et un SGS offre un excellent cadre pour le faire. S'il est mis en œuvre correctement, il permet aux entreprises de déceler à l'avance les problèmes… avant qu'ils se manifestent.

Cependant, le passage à un système de gestion de la sécurité doit être accompagné d'une surveillance réglementaire appropriée. Celle-ci doit inclure la vérification proactive des processus de sécurité des entreprises, une formation pratique et théorique continue, ainsi que des inspections classiques permettant d'assurer le respect de la réglementation en vigueur.

Permettez-moi maintenant d'aborder le dossier global des accidents d'aviation au Canada. Comme je l'ai dit plus tôt, nous avons dans l'ensemble un système de transport aérien très sécuritaire au Canada. Avant le tragique accident du vol 6560 de First Air, il n'y avait eu aucun accident mortel mettant en cause un exploitant canadien relevant de la partie 705 au cours des 10 années précédentes. Malheureusement, le dossier n'est pas aussi reluisant pour les transporteurs plus petits [afficher la diapo des statistiques d'accidents]. Pour la période de 10 ans prenant fin en décembre 2013, 59 % de tous les accidents d'aviation commerciale sont survenus dans le cadre d'activités menées en vertu de la partie 703, et cette proportion bondit à 94 % si l'on ajoute les parties 702 et 704. Au total, 65 % des pertes de vies sont survenues chez des exploitants relevant de la partie 703, ou 96 % si l'on ajoute les exploitants régis par les parties 702 et 704.

Demain, lorsque je ferai mon allocution devant le comité Fixed Wing, Air Taxi and Flight Training (comité sur les aéronefs à voilure fixe, les taxis aériens et la formation au pilotage), j'aborderai certaines conclusions récurrentes relatives à des accidents survenus dans le cadre d'activités relevant de la partie 703. J'ai déjà mentionné certains enjeux, mais voici d'autres enjeux : une analyse inappropriée (si elle a lieu) des risques liés aux activités d'exploitation, des adaptations aux procédures d'exploitation normalisées par des membres d'équipage et des lacunes en matière de contrôle opérationnel, en particulier lorsque les pilotes assurent eux-mêmes la régulation des vols. Le BST a décidé d'examiner de plus près ces types d'accidents.

Ainsi, j'annonce aujourd'hui que le Bureau de la sécurité des transports du Canada va mener une enquête sur les questions de sécurité relatives aux risques liés aux activités de taxi aérien. Les enquêtes sur les questions de sécurité (également appelées enquêtes de catégorie 4 ou SII) ont une portée beaucoup plus large que nos enquêtes normales sur les accidents. Elles comprennent un examen de plusieurs événements en vue de cerner les enjeux de sécurité sous-jacents, et peuvent mener à des recommandations pour corriger les lacunes systémiques que nous avons relevées. Le BST a mené plusieurs enquêtes approfondies de ce type par le passé, en particulier sur la survie des occupants lors d'accidents d'hydravions, sur les vols VFR dans des conditions météorologiques défavorables, de même que sur les incendies après impact faisant suite à des accidents de petit aéronef – pour ne nommer que celles-là. Le mandat n'est pas encore fixé. Mais je peux vous assurer que nous nous adresserons aux associations sectorielles comme l'ATAC, ainsi qu'à un échantillon représentatif d'exploitants, pour obtenir vos commentaires sur les principaux enjeux de sécurité que vous avez cernés, sur la façon dont ils sont gérés et sur des exemples de « pratiques exemplaires ». Nous prévoyons de lancer cette enquête au début de 2015.

Vous vous demandez probablement si je vais annoncer aujourd'hui ce qui figurera sur la prochaine Liste de surveillance du BST. Pour ceux d'entre vous qui ne le savent pas, le BST a publié en 2010 sa première Liste de surveillance pour faire ressortir les enjeux de sécurité qui posent les plus graves risques pour les Canadiens. Ce que je peux vous dire aujourd'hui, c'est que nous procédons actuellement à la mise à jour de notre liste et que la Liste de surveillance 2014 du BST sera publiée très, très bientôt!

En particulier, nous souhaitons accroître la mise en application de recommandations du BST qui remontent à plusieurs années. À ce jour, seulement 61 % des 253 recommandations visant le secteur aérien faites par le BST depuis 1990 ont reçu notre cote la plus élevée, soit Entièrement satisfaisant. C'est tout juste une note de passage à l'examen de licence de pilotage… mais ça, c'est une autre histoire! Il y a donc encore beaucoup à faire.

En terminant, je me sens un peu comme si on m'avait invitée à dîner, et voilà que je me mets soudainement à offrir des conseils pour rénover votre maison. Toutefois, la confiance du public est absolument essentielle à la viabilité du secteur de l'aviation au Canada. C'est pourquoi le BST va continuer d'insister sur des changements visant à promouvoir la sécurité des transports, afin que les Canadiens puissent être confiants lorsqu'ils montent à bord d'un aéronef commercial dans notre pays, peu importe la taille de l'avion ou l'importance de l'exploitant. Nous espérons pouvoir compter sur l'appui engagé de l'ATAC et de ses membres pour placer encore plus haut la barre en matière de sécurité.

Je vous remercie de votre bienveillante attention. Je répondrai avec plaisir à quelques questions, si le temps le permet.