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Kathy Fox, présidente du BST
Natacha Van Themsche Directrice, Enquêtes - Aéronautiques
18 mars 2021
Le texte prononcé fait foi.
Le 8 janvier 2020, le vol 752 d’Ukraine International Airlines a été abattu peu après avoir décollé de l’aéroport international de Téhéran, causant la mort des 176 personnes à bord, dont 55 Canadiens, 30 résidents permanents et des dizaines d’autres personnes ayant des liens avec le Canada. Quelques courtes heures après cette tragédie, le BST a avisé le Bureau d’enquête sur les accidents d’aéronefs de l’Iran (ou l’AAIB) qu’il nommerait un expert, aux termes de l’Annexe 13 à la Convention relative à l’aviation civile internationale, et le BST a accepté l’invitation de l’Iran à visiter le lieu de l’accident. À partir de ce moment-là, le BST s’est pleinement engagé à faire tout ce qui était en son pouvoir pour découvrir ce qui s’était passé et pourquoi, et ce qu’il fallait changer pour empêcher une telle tragédie de se reproduire.
En principe, le BST ne commente pas les rapports d’autres organismes. Toutefois, il s’agit d’une situation inédite, et compte tenu du fait que l’enquête a été menée par l’État dont les forces militaires étaient en cause dans l’événement, de même que de l’impact de l’événement au Canada, nous estimons important de communiquer publiquement notre évaluation indépendante du rapport d’enquête final.
Mais avant d’aborder le contenu du rapport d’enquête final de l’Iran, permettez-moi de parler brièvement du processus d’enquête lui-même.
J’aimerais d’abord rappeler à tout le monde qu’une enquête sur la sécurité n’a pas pour but d’attribuer de blâme ou de déterminer les responsabilités civiles ou pénales. D’autres processus sont mieux adaptés pour cela. L’expérience a prouvé qu’une enquête indépendante et approfondie axée sur la sécurité offre habituellement la meilleure chance de découvrir ce qui s’est réellement passé et pourquoi, et d’ainsi fournir les réponses que tout le monde réclame, en particulier les familles qui ont tant perdu.
L’Annexe 13 de l’OACI régit les rôles des pays participants, et stipule entre autres quel État a le droit de mener l’enquête. Elle stipule également quels autres États peuvent participer à l’enquête et dans quelle mesure. Il convient de noter que, dans le cas de l’enquête sur le vol PS752, le BST n’avait aucune compétence pour mener une enquête parallèle.
Dès le départ, l’Iran a offert au BST un accès plus important aux activités de l’enquête que ce à quoi il avait techniquement droit, mais moins important que ce que le BST avait demandé. Par exemple, deux enquêteurs du BST ont passé six jours à Téhéran après l’écrasement, pendant lesquels ils ont visité le lieu de l’accident, examiné l’épave et rencontré les enquêteurs iraniens afin d’examiner l’information que l’équipe d’enquête avait recueillie. Ensuite, les enquêteurs du BST ont également rencontré les enquêteurs iraniens, ukrainiens et français à Kiev, avant de revenir au Canada.
En juillet dernier, notre expert et un spécialiste des enregistreurs de vol du BST ont assisté à la lecture des enregistreurs de vol de l’aéronef à Paris. Tout au long de l’enquête, nous avons été en communication directe avec l’AAIB de l’Iran et nous avons assisté à de nombreuses discussions avec les autres pays participants. Toutefois, malgré de multiples demandes, on ne nous a jamais accordé officiellement le statut plus important de représentant accrédité, et nous n’avons donc pas été autorisés à écouter les enregistreurs de conversations de poste de pilotage ou d’accéder directement aux enregistrements des données de vol.
En février dernier, l’Ukraine nous a demandé de lui apporter une aide technique et nous a donné accès au projet de rapport sur la sécurité aux fins d’examen et d’observations, ce que nous n’aurions pas eu le droit de faire par ailleurs.
Tout au long de ce processus, nous avons demandé expressément à l’AAIB de répondre à trois questions importantes :
- Quelle était la chronologie des événements, notamment quels étaient les facteurs techniques, humains et organisationnels qui ont mené au lancement des missiles qui ont abattu le vol PS752?
- Sur quelles bases a-t-on pris la décision de laisser l’espace aérien iranien ouvert pendant une période d’alerte militaire, après que l’Iran eut lancé des missiles vers l’Iraq?
- Pourquoi les transporteurs aériens civils ont-ils poursuivi leurs activités dans l’espace aérien iranien au cours des heures qui ont suivi le lancement des missiles vers l’Iraq?
En outre, nous avons présenté, en rapport avec ces trois champs d’enquête principaux, des dizaines de questions plus détaillées que le rapport d’enquête final devait aborder, selon nous, pour être perçu comme un rapport minutieux et crédible.
Depuis qu’elle a reçu le projet de rapport d’enquête, notre équipe en a soigneusement étudié et analysé le contenu, et l’a maintenant comparé avec le contenu du rapport final. Aujourd’hui, nous voulons présenter notre point de vue sur la façon dont le rapport répond aux trois questions principales.
Séquence et facteurs qui ont mené le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) à abattre l’aéronef
Le rapport final de l’Iran conclut que le vol PS752 a été abattu parce qu’une unité de défense aérienne a pris l’avion B737 pour une menace. Cette méprise aurait été causée par un mauvais alignement du radar du lance-missile. En outre, l’opérateur n’avait pas reçu l’autorisation de tirer des officiers supérieurs, comme il l’aurait dû. Jusqu’à maintenant, l’Iran n’a produit aucune preuve pour appuyer ce scénario. Toutefois, il s’agit d’une explication plausible de ce qui s’est produit. Le rapport ne fournit pas d’information détaillée sur la façon dont le mauvais alignement s’est produit et les mesures prises pour s’assurer qu’il était convenablement calibré, sur la formation, l’expérience ou la compétence de l’opérateur du lance-missile, ou sur les raisons ou les manières dont les communications requises avec le commandement central n’ont pas été respectées ou n’ont pas pu être effectuées. Le rapport présente cette action dans le contexte d’un état d’alerte militaire accru découlant des représailles attendues après le lancement, plus tôt, de missiles par l’Iran sur des bases aérienne iraqiennes abritant des militaires américains, mais n’aborde pas la question de la supervision des opérations sur le terrain par le système de commandement et de contrôle de l’Iran. L’AAIB dit que les activités militaires n’entrent pas dans la portée d’une enquête en vertu de l’Annexe 13, mais nous ne sommes pas d’accord.
Le rapport n’aborde pas non plus les mesures prises par le Corps des Gardiens de la révolution islamique depuis l’événement pour cerner les lacunes de sécurité sous-jacentes qui ont engendré une telle erreur, ni les mesures de sécurité qui ont été prises pour empêcher qu’une telle erreur se reproduise. Sans cette information, comment le milieu de l’aviation civile internationale peut-il être assuré qu’une erreur aussi tragique ne peut pas se reproduire?
Pourquoi l’espace aérien est-il resté ouvert?
Le rapport final de l’Iran explique en termes généraux le processus d’évaluation du risque et les mesures d’atténuation des risques prises par ses autorités civiles, en coordination avec les autorités militaires, compte tenu du caractère incertain d’une frappe de représailles pour le lancement de missiles vers l’Iraq. Par exemple, le rapport mentionne que l’Iran a graduellement empêché le trafic aérien d’emprunter certaines routes aériennes vers l’ouest, croyant que c’est de cette direction qu’une frappe de représailles viendrait, et il exigeait une approbation militaire pour chaque départ d’aéronef des aéroports civils comme l’aéroport international de Téhéran. Toutefois, l’Iran n’a pas complètement fermé son espace aérien aux aéronefs civils.
Pourquoi les transporteurs aériens ont-ils poursuivi leurs activités?
Même si elle se trouvait dans un état d’alerte militaire accru, l’Iran n’a publié aucun avis pour mettre en garde les exploitants aériens contre ces dangers, comme le recommande l’OACI, avant que le vol PS752 soit abattu. La Federal Aviation Administration des États-Unis avait, elle, publié un avis; toutefois, cet avis n’était pas facilement accessible par Ukraine International Airlines ou par d’autres exploitants étrangers hors des États-Unis. Par ailleurs, Ukraine International Airlines n’était pas le seul transporteur aérien à poursuivre ses activités après que l’Iran eut lancé des missiles vers l’Iraq; huit autres aéronefs ont quitté Téhéran avant que le vol PS752 soit abattu.
Conclusion
Ce rapport n’explique qu’en partie pourquoi l’espace aérien est resté ouvert et pourquoi les exploitants ont poursuivi leurs activités après que l’Iran eut lancé des missiles vers l’Iraq. Il n’explique aucun des facteurs sous-jacents à l’origine du lancement des missiles vers le vol PS752, la cause déclarée de cette tragédie. En bref, le rapport indique ce qui s’est produit, mais n’explique pas pourquoi cet événement s’est produit.
Le rapport indique que certaines mesures de sécurité non précisées ont depuis été prises pour réduire le risque que cela se reproduise. Toutefois, le manque de détails nous empêche de confirmer que ces mesures réduiront réellement les risques pour les activités aériennes civile dans l’espace aérien de l’Iran.
En outre, même si le Bureau d’enquête sur les accidents d’aéronefs de l’Iran a formulé certaines recommandations, ces recommandations n’abordent pas de manière spécifique la cause déclarée de cet événement tragique—le lancement des missiles.
Nous savons que cela a été très difficile à vivre pour les familles. En fin de compte, aucun rapport d’enquête sur la sécurité ne pourra jamais rendre les vies perdues. Nous devons donc compter sur ce que nous avons appris et sur ce que nous pouvons faire pour réduire les risques, afin qu’aucune autre famille n’ait à souffrir de la sorte à l’avenir.
Nous sommes conscients que les conflits nationaux et internationaux ne disparaîtront pas. Nous n’ignorons pas non plus que dans cet environnement hostile, il y aura toujours un risque pour les aéronefs civils et des vies innocentes peuvent être perdues. Il incombe aux États de réduire ce risque.
La meilleure façon de réduire le risque que ces tragédies se reproduisent est donc d’appliquer rigoureusement les leçons apprises, d’abord de l’abattage du vol 17 de Malaysia Airlines, et maintenant de la tragédie de Téhéran.
Il y a plus à faire pour prévenir les activités de l’aviation civile internationale dans les zones de conflit. Dans un rapport de suivi relatif à son enquête sur l’abattage du vol 17 de Malaysia Airlines en 2014 au-dessus de l’Ukraine, le Bureau pour la sécurité néerlandais a formulé cette mise en garde : « L’expérience montre que les États dans lesquels des conflits armés ont cours n’imposent pas de leur propre chef des restrictions quant à leur espace aérien ».
Même si l’OACI a pris certaines mesures, ces mesures ont été insuffisantes pour empêcher cet événement. Transports Canada dirige actuellement une initiative sur la sécurité aérienne visant à améliorer la sécurité du transport aérien dans le monde entier en comblant les lacunes dans la manière dont le secteur de l’aviation civile traite les zones de conflit. Les initiatives de ce type constituent notre meilleur espoir pour éviter un autre PS752.
En terminant, je sais que de nombreuses préoccupations ont été soulevées en ce qui concerne les protocoles internationaux qui régissent l’exécution de ces enquêtes très particulières touchant des activités militaires, en particulier le fait que l’État d’occurrence mène une enquête sur lui-même. En outre, lorsque l’organisme d’enquête sur les accidents d’un État n’est pas indépendant de l’autorité nationale de l’aviation civile, conformément aux exigences de l’OACI, comme c’est le cas du AAIB de l’Iran, cela peut nuire à la crédibilité des constatations du rapport final et à l’adoption des recommandations qui en découlent et qui visent à éviter les accidents futurs.
Maintenant que cette enquête sur la sécurité est terminée, le BST est résolu à faire la promotion d’un examen des dispositions de l’Annexe 13 de l’OACI en vue d’améliorer la crédibilité et la transparence des futures enquêtes de sécurité de ce type, afin que les familles touchées et le public puissent avoir confiance en leurs constatations et leurs recommandations.