Publication du rapport d’enquête R19W0002 – Nattress

Notes d’allocution – R19W0002 (Nattress)

L’allocution définitive fait foi.

Introduction – Kathy Fox

Bonjour.

Le 3 janvier 2019, le train de marchandises 318 exploité en direction est par la Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada a pris en écharpe le train de marchandises 315 de la même compagnie circulant vers l’ouest, près de Portage la Prairie, au Manitoba. La collision a entraîné le déraillement des deux trains. Les membres de l’équipe du train 318 ont sauté de la locomotive juste après la collision, évitant de justesse des blessures graves.

Aujourd’hui, nous vous expliquerons ce qui s’est passé et pourquoi. Puis, nous vous parlerons des mesures à prendre pour que ce type d’accident ne se reproduise plus. Plus précisément, nous émettons deux recommandations à Transports Canada en vue d’améliorer la sécurité ferroviaire.

D’abord, le Bureau recommande que Transports Canada exige que tous les grands transporteurs ferroviaires canadiens accélèrent la mise en œuvre de méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés.

Ensuite, le Bureau recommande que Transports Canada exige que les compagnies de chemin de fer canadiennes élaborent et mettent en œuvre une formation officielle sur la gestion des ressources en équipe dans le cadre de la formation de qualification des employés d’exploitation ferroviaire.

J’aborderai chacune des recommandations en question dans le détail, mais avant de le faire, j’inviterais  Abe Aronian à présenter les faits établis de l’enquête.

L’événement – Abe Aronian

À 6 h 10, le train 318 exploité en direction est a quitté Rivers, au Manitoba, et a commencé à suivre un autre train sur la subdivision de Rivers. Ils avaient pour destination Winnipeg, au Manitoba.

Vers 7 h 30, le train 315 est parti de Winnipeg en direction ouest sur la subdivision de Rivers.

Alors que le train 318 approchait Portage la Prairie, l’équipe a entendu à la radio un contrôleur de la circulation ferroviaire autoriser le train précédent à se rendre directement à Winnipeg.

Compte tenu de cette conversation, l’équipe s’attendait elle aussi à continuer jusqu’à Winnipeg sans s’arrêter. Toutefois, le contrôleur avait prévu d’arrêter le train à Nattress (point milliaire 50,4) pour permettre le passage du train 315 en direction ouest.

Tout juste après 9 h, le train 318 se déplaçait à 42 mi/h sur la voie sud en utilisant le système Optimiseur de parcours, système qui se compare au régulateur de vitesse dans une voiture, lorsqu’il a franchi l’indication de vitesse normale à arrêt. Le signal indiquait aux membres de l’équipe qu’ils devraient se préparer à arrêter le train au prochain signal. Le chef de train avait annoncé le signal de vitesse normale à arrêt, comme il se doit; toutefois, il n’avait pas entendu le mécanicien de locomotive lui répondre. Le mécanicien de locomotive semblait fixer un point droit devant lui, et le train a continué à rouler sur la voie principale sud à la vitesse permise avec le système Optimiseur de parcours activé.

Peu de temps après, alors que le train 315 passait à la voie nord, les locomotives de tête du train 318 et du train 315 se sont croisées près du point milliaire 51.

Par la suite, le chef du train 318 a rappelé au mécanicien de locomotive le signal précédent de vitesse normale à arrêt. Le mécanicien de locomotive a alors désactivé le système Optimiseur de parcours et a effectué un serrage normal à fond des freins à air. Toutefois, lorsque le signal d’arrêt à Nattress est devenu visible, l’équipe s’est rendu compte qu’elle ne pourrait pas s’arrêter à temps et éviter une collision avec le train 315.  

Le mécanicien de locomotive a effectué un serrage d’urgence des freins, et l’équipe a évacué la cabine de la locomotive pour se rendre à l’arrière de la passerelle. Alors que le train 318 circulait à 23 mi/h, il a pris en écharpe le train 315. Les membres de l’équipe du train 318 ont ensuite sauté de la passerelle de la locomotive et ont été légèrement blessés. À la suite de la collision, les deux locomotives menantes de tête du train 318 et huit wagons du train 315 ont déraillé.

L’enquête du BST a permis de déterminer ce qui suit :

L’équipe du train 318 s’attendait à continuer à suivre le train précédent en direction est jusqu’à Winnipeg sans s’arrêter à Nattress. 

De plus, elle n’a pas réagi correctement aux indications de signal affichées sur le terrain (aux points milliaires 52,2 et 50,4), ce qui a en fin de compte mené à la collision.

Le mécanicien de locomotive était fatigué parce que ses périodes de sommeil avaient été interrompues au cours des deux nuits précédant l’accident. La fatigue, combinée à la réduction de la charge de travail liée à l’utilisation de l’Optimiseur de parcours, a entraîné une diminution de la vigilance. La gestion de la fatigue est un enjeu qui nous préoccupe et qui figure sur la Liste de surveillance du BST depuis 2016.

Le BST a déjà souligné que, au Canada, pour diverses raisons, dont la fatigue, les équipes de train ne respectent pas toujours les indications des signaux ferroviaires, ce qui pose un risque de collisions ou de déraillements de trains. Voilà pourquoi le respect des indications des signaux ferroviaires figure sur la Liste de surveillance du BST depuis 2012.  

Enfin, le chef de train comptait seulement 10 mois d’expérience, et ses connaissances étaient limitées en ce qui a trait à l’exploitation de la locomotive ou aux systèmes de freinage du train. Il s’est donc fié au mécanicien de locomotive plus chevronné sans remettre en question la conduite du train.

Dans l’événement à l’étude, les membres de l’équipe n’ont pas communiqué clairement dans la cabine, et, par conséquent, les mesures prises pour ralentir puis arrêter le train ont été tardives, inefficaces et non conformes au Règlement d’exploitation.

Madame Fox présentera maintenant les recommandations du Bureau.

Recommandations – Kathy Fox

Merci, Abe.

Le système de transport ferroviaire est complexe. La philosophie de défense en profondeur préconisée par les spécialistes de la sécurité pour les systèmes complexes consiste à mettre en place des lignes de défense diverses et multiples afin d’atténuer les risques posés par les erreurs. Dans la mesure du possible, une combinaison de moyens de défense axés sur les règles, aussi appelés moyens de défense administratifs, et de moyens de défense physiques devrait être mise en œuvre. 

Toutefois, les activités ferroviaires d’aujourd’hui comptent toujours principalement sur le respect des règles par les équipes de train. Par conséquent, la sécurité des activités ferroviaires dépend de la capacité des équipes de train de voir chaque indication de signal, de l’annoncer, puis de prendre les mesures appropriées.

Lorsqu’une équipe de train ne respecte pas une indication de signal, le moyen de défense administratif fait défaut. En l’absence d’un moyen de défense physique, il n’y a aucune intervention automatique pour ralentir ou arrêter un train, comme cela était le cas dans le présent accident.

Pour mettre en perspective le risque potentiel au Canada, de 2004 à 2021, on a signalé en moyenne 35 événements par année au cours desquels une équipe de train n’a pas réagi correctement à une indication de signal. Les trains en question peuvent transporter des marchandises dangereuses comme des liquides inflammables et, de plus en plus, du pétrole, sur des voies qui longent nos rivières et nos lacs et traversent nos villes. En ne répondant pas à la nécessité d’un moyen de défense physique pour ralentir ou arrêter automatiquement un train, on continue de mettre inutilement en danger la population canadienne et l’environnement.

Les États-Unis se sont attaqués au problème en question. À la suite d’une grave collision de train survenue à Chatsworth, en Californie, en 2008, les États-Unis ont rendu obligatoire la mise en œuvre de systèmes physiques de commande des trains à sécurité intégrée appelés « Positive Train Control » pour les chemins de fer œuvrant sur des itinéraires à risque élevé, ce qui comprend la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et le Chemin de fer Canadien Pacifique.

Le système Positive Train Control intervient automatiquement pour ralentir ou arrêter un train lorsqu’une équipe ne réagit pas aux indications de signal affichées sur le terrain. De plus, il peut protéger contre les déraillements dus à un excès de vitesse, les incursions dans les zones de travaux et les aiguillages de voie principale laissés dans la mauvaise position. Depuis le 31 décembre 2020, le système Positive Train Control a été pleinement mis en œuvre sur toutes les voies requises, soit environ 41 % des quelque 140 000 milles de parcours du réseau ferroviaire des États-Unis.

Au Canada, l’expression « commande des trains améliorée » a été adoptée pour décrire ces systèmes de contrôle des trains. Après 22 ans, malgré deux recommandations émises précédemment, soit en 2000 et en 2013 respectivement, il n’existe toujours aucune exigence pour les chemins de fer œuvrant au Canada en ce qui concerne l’installation d’un système de commande des trains améliorée.

En réponse aux recommandations en question, Transports Canada et le secteur ont commencé à étudier la question en 2014. Toutefois, pendant le temps qu’il a fallu pour faire cela, le système Positive Train Control avait été pleinement mis en œuvre aux États-Unis sur toutes les voies ferroviaires à risque élevé, comme l’exige la loi.

Au Canada, l’équivalent des voies ferroviaires à risque élevé des États-Unis est appelé « itinéraire clé » et représente environ 42 % du réseau ferroviaire canadien. L’événement à l’étude est survenu sur la subdivision de Rivers de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, un itinéraire clé sur lequel on transporte une quantité importante de marchandises dangereuses chaque année, et l’une des subdivisions les plus fréquentées du Canada. Si un accident ferroviaire survient sur un itinéraire clé, il peut toucher un ou plusieurs trains clés, ce qui augmente le risque de déversement de marchandises dangereuses et de conséquences néfastes. Si Transports Canada et le secteur ferroviaire ne prennent pas de mesures plus rapidement pour mettre en œuvre des moyens de défense physiques à sécurité intégrée afin de réduire les conséquences d’erreurs humaines inévitables, le risque de collision et de déraillement persistera, ce qui entraînera un risque tout aussi grand pour les personnes, les biens ou l’environnement.

Par conséquent, le Bureau recommande que Transports Canada exige que les grands transporteurs ferroviaires canadiens accélèrent la mise en œuvre de méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés.

La seconde recommandation porte sur la gestion des ressources en équipe.

Lorsqu’un train croise une indication de signal, un membre de l’équipe doit communiquer l’indication de signal à haute voix dans la cabine de la locomotive à l’autre membre de l’équipe, qui est tenu de répéter le message. L’expéditeur initial n’est pas tenu de confirmer que le message a été bien reçu ou compris. Par conséquent, ces communications peuvent être inefficaces.

Lorsque l’expérience des membres de l’équipe d’exploitation diffère, il est possible qu’un rapport d’autorité se crée et que le membre de l’équipe le moins expérimenté n’intervienne pas toujours pour assurer le respect de l’ensemble des règles. Par conséquent, il y a un risque que les comportements qui compromettent la sécurité soient ignorés parce qu’un employé moins expérimenté peut être réticent à remettre en question les gestes d’un employé ayant plus d’ancienneté ou à intervenir dans l’exploitation du train, même s’il est essentiel de le faire.

Tous les facteurs en question étaient présents au moment de l’accident. [pause]

Depuis 1996, le BST a mené des enquêtes sur huit autres événements ferroviaires au cours desquelles on a déterminé que des pratiques de gestion des ressources en équipe inefficaces ont été un facteur contributif des accidents.Note de bas de page 1

La gestion des ressources en équipe comprend des aspects de la communication au sein de l’équipe, de la conscience situationnelle et de la résolution de problèmes, et met en évidence le fait que les membres des équipes d’exploitation doivent rester vigilants pour ne pas perdre leur connaissance situationnelle individuelle ou d’équipe.

La mise en œuvre de la gestion des ressources en équipe a apporté des avantages dans les secteurs du transport aérien et du transport maritime. Compte tenu de la prévalence des questions relatives aux facteurs humains dans les statistiques sur les accidents ferroviaires, ce type de formation pourrait fournir d’autres outils et stratégies aux équipes de train pour atténuer les erreurs humaines inévitables, ce qui apporterait d’importants avantages en matière de sécurité dans le secteur ferroviaire. 

La formation en gestion des ressources en équipe renforce l’idée que les équipes d’exploitation abordent leurs activités dans une perspective d’équipe. Si les membres de l’équipe d’exploitation ne reçoivent pas une formation initiale et récurrente améliorée en gestion des ressources en équipe pour perfectionner leurs compétences en matière de communication, de prise de décisions et de gestion des rapports d’autorité dans l’équipe, il y a un risque accru qu’une communication inadéquate dans l’équipe mène à une exploitation non sécuritaire.

Par conséquent, le Bureau recommande que Transports Canada exige que les compagnies de chemin de fer canadiennes élaborent et mettent en œuvre une formation initiale et récurrente moderne sur la gestion des ressources en équipe dans le cadre de la formation de qualification des employés d’exploitation ferroviaire.

Conclusion – Kathy Fox

Les lacunes de sécurité mises en évidence tout au long de notre enquête ne sont pas nouvelles. L’accident en question met en lumière des enjeux importants dans le secteur ferroviaire et renforce ce que le BST dit depuis plus de deux décennies : les méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée sont essentielles pour améliorer la sécurité ferroviaire au Canada et éviter d’éventuelles catastrophes ferroviaires.

Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

Notes de bas de page

Note de bas de page 1

Rapports d’enquêtes ferroviaires R18H0039, R17W0267, R16E0051, R08W0058, R07E0129, R07C0040, R98V0148 et R96Q0050 du BST.

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