Communications de sécurité liées à l’enquête R19W0002 du BST : collision et déraillement en voie principale près de Portage la Prairie, au Manitoba, en janvier 2019
L’événement
Le 3 janvier 2019, le train de marchandises 318 du CN exploité en direction est a pris en écharpe le train de marchandises 315 du CN circulant vers l’ouest, tout juste à l’est de Portage la Prairie, au Manitoba.
À 6 h 10, le train 318 a quitté Rivers, au Manitoba, et avait pour destination Winnipeg, au Manitoba. Vers 7 h 30, le train 315 est parti de Winnipeg en direction ouest. Les deux trains circulaient dans la subdivision de Rivers, l’un des itinéraires les plus fréquentés du CN, où on y transporte souvent des marchandises dangereuses.
Un peu moins de trois heures plus tard, alors qu’il se déplaçait sur la voie sud en utilisant le système Optimiseur de parcours (OP) (un système qui se compare au régulateur de vitesse dans une voiture), le train 318 a franchi un signal au point milliaire 52,2. Ce signal indiquait aux membres de l’équipe qu’ils devaient se préparer à arrêter le train au prochain signal à Nattress, soit au point milliaire 50,4. Le chef de train avait annoncé le signal, comme il se doit, toutefois, il n’avait pas entendu le mécanicien de locomotive (ML) lui répondre, et le train a continué à rouler à la vitesse permise.
Peu après, les locomotives de tête du train 318 et du train 315 se sont croisées, et le chef du train 318 a rappelé au ML le signal précédent. Le ML a alors effectué un serrage des freins. Toutefois, lorsque le signal d’arrêt à Nattress est devenu visible, l’équipe s’est rendu compte qu’elle ne pourrait pas s’arrêter à temps et a effectué un serrage d’urgence des freins. Peu après que le train 318 a pris en écharpe le train 315 à 23 mi/h (37 km/h), les membres de l’équipe ont sauté du train et ont été légèrement blessés. À la suite de la collision, les deux locomotives de tête du train 318 et huit wagons du train 315 ont déraillé.
Recommandations émises le 24 août 2022
L’enquête a permis d’établir les faits suivants :
- L’équipe d’exploitation du train 318 n’a pas réagi de façon appropriée aux indications de signal affichées sur le terrain aux points milliaires 52,2 et 50,4, ce qui a finalement mené à la collision.
- Il est probable que la faible charge de travail liée au fait d’exploiter le train 318 en utilisant l’OP, combinée à la fatigue, a réduit le niveau d’éveil du ML, ce qui a eu une incidence sur sa capacité de maintenir sa vigilance et sa conscience situationnelle.
- Plus particulièrement, en l’absence d’un moyen de défense physique comme un système de commande de train amélioré, il n’y a eu aucune intervention automatique pour ralentir ou arrêter le train lorsque l’équipe n’a pas initialement réagi au signal de vitesse normale à arrêt affiché sur le terrain.
- En raison du manque d’expérience du chef du train 318 et du rapport d’autorité qui existait entre les membres de l’équipe, le chef de train s’est fié au ML sans remettre en question la façon de conduire le train. Par conséquent, les mesures prises par l’équipe pour ralentir puis arrêter le train avant le signal contrôlé 504S ont été tardives et inefficaces.
Commande de trains améliorée pour les itinéraires clés
Le système de transport ferroviaire est complexe. La philosophie de défense en profondeur préconisée par les spécialistes de la sécurité pour les systèmes complexes consiste à mettre en place des lignes de défense diverses et multiples afin d’atténuer les risques posés par les erreurs humaines normales. Dans la mesure du possible, une combinaison de moyens de défense axés sur les règles (c.-à-d. administratifs) et de moyens de défense physiques devrait être mise en œuvre pour tenir compte des bévues, des manquements et des erreurs normales qui caractérisent le comportement humain. Bien que des circuits plus récents aient été intégrés au fil des ans, le concept de base des systèmes de signalisation de commande centralisée de la circulation (CCC) au Canada est bien établi. Malgré l’apparition de ces nouveaux circuits, les activités ferroviaires reposent encore principalement sur des moyens de défense administratifs, qui constituent la méthode la moins efficace pour atténuer les risques.
Les moyens de défense administratifs, comme le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada, les instructions générales d’exploitation et les bulletins d’exploitation des compagnies de chemin de fer, dépendent trop du respect des règles par les équipes de train et ne tiennent pas compte des facteurs humains qui influent sur le comportement dans la vie de tous les jours. Par exemple, en l’occurrence, les équipes de train étaient tenues, en vertu de l’exigence administrative relative au système de contrôle des trains de CCC, de respecter les indications de signal affichées sur le terrain. La sécurité des activités ferroviaires dépend de la capacité des équipes de train de voir chaque indication de signal, de l’annoncer, puis de prendre les mesures appropriées.
Un système de CCC signalisé n’avertit pas l’équipe de train ou le contrôleur de la circulation ferroviaire si une équipe de train ne respecte pas une indication de signal ou ne prend pas les mesures appropriées. La CCC n’offre pas non plus de mécanisme automatique de respect des limitations de vitesse afin de ralentir ou d’arrêter un train avant qu’il franchisse un signal restrictif.
Dans les situations où une équipe de train perçoit mal, interprète mal ou ne respecte pas une indication de signal, l’ensemble des moyens de défense administratifs fait défaut. Comme le démontrent le présent événement et bien d’autres, lorsqu’un moyen de défense administratif fait défaut et qu’il n’existe aucun moyen de défense secondaire, il peut se produire un accident qui aurait pu être évité par ailleurs.
Alors qu’au Canada, les systèmes de commande des trains ne disposent que de moyens de défense administratifs, aux États-Unis, les compagnies de chemin de fer de catégorie 1 ont mis en œuvre des systèmes physiques de commande des trains à sécurité intégrée appelés Positive Train Control (PTC). Le système PTC est conçu pour prévenir les collisions entre trains, les déraillements dus à un excès de vitesse, les incursions dans les zones de travaux et le passage d’un train dans un aiguillage mal orienté. Au Canada, le terme « commande des trains améliorée » (CTA) a été adopté pour décrire ces systèmes.
Un système PTC/CTA atténuerait le risque que les équipes interprètent mal ou ne respectent pas les indications de signal en intervenant automatiquement pour ralentir ou arrêter un train si une équipe d’exploitation ne réagissait pas correctement à un signal affiché sur le terrain. Un système PTC/CTA pleinement fonctionnel offrirait en outre un moyen de défense physique à sécurité intégrée contre les erreurs commises par les équipes d’exploitation en raison de la fatigue, laquelle a joué un rôle dans le présent accident.
Aux États-Unis, au cours des 50 dernières années, le National Transportation Safety Board (NTSB) a enquêté sur plus de 150 accidents qui auraient pu être évités si un système PTC avait été en place et qui ont coûté la vie à plus de 300 personnes. À la suite de ces enquêtes, le NTSB a émis 51 recommandations liées au système CIT.
En septembre 2008, une collision entre un train de banlieue de Metrolink et un train de marchandises de l’Union Pacific à Chatsworth (Californie) a entraîné l’adoption de la Rail Safety Improvement Act of 2008 (RSIA) aux États-Unis, qui rendait obligatoire l’installation de systèmes PTC sur les lignes ferroviaires principales qui présentaient des risques particuliers liés au transport de marchandises dangereuses ainsi qu’au service ferroviaire voyageurs interurbain et de banlieue.
En date du 31 décembre 2020, le système PTC a été pleinement mis en œuvre aux États-Unis sur la totalité des voies assujetties aux dispositions législatives de la RSIA, soit un total de 57 535,7 miles, ce qui représente environ 41 % des près de 140 000 milles de parcours du réseau ferroviaire américain. Le nombre total de milles de voie sur lesquels le système PTC a été installé comprend les activités ferroviaires américaines du CN (3107 milles) et du CP (2118 milles).
À titre de comparaison, le réseau ferroviaire canadien est constitué d’environ 26 000 milles de parcours de voies. Les itinéraires clés représentent un total combiné d’environ 10 940 milles de voie principale, soit environ 42 % du réseau ferroviaire canadien. Lorsque l’on compare les critères d’itinéraire clé aux critères d’itinéraire à risque élevé de la RSIA des États-Unis, il est raisonnable de conclure que les dangers et les pourcentages pour les milles de parcours de voie concernée sont semblables. Bien que la législation américaine exige l’installation de systèmes PTC sur les itinéraires à risque élevé, il n’existe aucune exigence semblable concernant l’installation de systèmes PTC ou CTA sur des itinéraires comparables au Canada qui servent au transport de marchandises dangereuses.
Un examen de tous les rapports d’enquête ferroviaire du BST produits depuis 1990 (excluant les événements de catégorie 5, mais incluant l’événement à l’étude) a permis de déterminer que 80 événements auraient pu être évités si un système de commande des trains équivalent au système PTC (c.-à-d. CTA) avait été disponible.
En outre, si l’on tient compte des événements de catégorie 5 du BST, entre 2004 et 2019, il y a eu en moyenne chaque année 31 événements signalés au cours desquels une équipe de train n’a pas réagi de façon appropriée à une indication de signal affichée sur le terrain. Le nombre annuel de ces événements est à la hausse. En particulier, les années 2018 et 2019 ont enregistré le plus grand nombre d’événements de ce genre, soit 40 et 38, respectivement.
En 2000, le BST a émis sa première recommandation (R00-04) concernant la mise en place de moyens de défense supplémentaires en matière de commande des trains, à la suite de son enquête sur la collision entre 2 trains du CP survenue en 1998 près de Notch Hill (Colombie-Britannique)Note de bas de page 1. Après avoir constaté que les mécanismes de sécurité supplémentaires pour les indications de signal étaient inadéquats, le Bureau avait recommandé que :
le ministère des Transports et l’industrie ferroviaire mettent en œuvre des mesures de sécurité supplémentaires afin de s’assurer que les membres des équipes identifient les signaux et s’y conforment de façon uniforme.
Recommandation R00-04 du BST
En 2013, le BST a émis une autre recommandation (R13-01) concernant la mise en place de moyens de défense supplémentaires en matière de commande des trains, à la suite de son enquête sur le déraillement et la collision du train de voyageurs no 92 de VIA Rail Canada inc. (VIA 92) survenus en 2012 près de Burlington (Ontario).Note de bas de page 2 À la suite de l’enquête, le BST a indiqué que TC et le secteur ferroviaire devraient mettre en œuvre une stratégie qui permettrait de prévenir ces types d’accidents en veillant à ce que les signaux, les vitesses d’exploitation et les limites d’exploitation soient toujours respectés. Le Bureau avait recommandé que :
le ministère des Transports exige que les grands transporteurs ferroviaires canadiens de voyageurs et de marchandises mettent en œuvre des méthodes de contrôle des trains à sécurité intrinsèque, en commençant par les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada.
Recommandation R13-01 du BST
En 2014, en réponse aux 2 recommandations du BST, un Groupe de travail sur la commande des trains (GTCT) mixte réunissant TC et le secteur a été mis sur pied. Le groupe était présidé par la Sécurité ferroviaire de TC et comprenait également des représentants du secteur ferroviaire et des syndicats du personnel d’exploitation. Après la création du GTCT, il y a eu une série de réunions, de discussions et d’études courantes liées à l’élaboration et à la mise en place de systèmes de CTA au Canada, qui n’ont jusqu’à maintenant engendré aucun plan de mise en œuvre ou autres résultats tangibles. Même si TC a publié un avis d’intention dans la partie I de la Gazette du Canada en février 2022 pour faire part de son intention d’exiger la mise en œuvre des systèmes de CTA au Canada, il n’existe toujours aucun plan de mise en œuvre.
Le temps que TC et le secteur mettent sur pied le GTCT, étudient la question, produisent le rapport final du GTCT, concluent un contrat de sous-traitance avec le Laboratoire canadien de recherche ferroviaire (LCRF) pour produire un rapport de suivi et étudient les résultats obtenus par le LCRF, les systèmes PTC avaient été pleinement mis en œuvre aux États-Unis sur toutes les voies ferrées à risque élevé visées par la RSIA.
En dépit d’investissements importants dans la technologie PTC pour les parcs de locomotives du CN et du CP et leur infrastructure aux États-Unis, et des 2 recommandations du BST à TC concernant la commande des trains améliorée qui remontent à plus de 20 ans, peu de mesures ont été prises pour étendre l’utilisation du système PTC au Canada ou mettre au point une forme semblable de CTA au Canada.
Dans l’événement à l’étude, en l’absence d’un moyen de défense physique supplémentaire à sécurité intégrée, comme un système PTC/CTA, aucune intervention automatique n’était disponible pour ralentir ou arrêter le train. Par conséquent, la collision s’est produite après que le ML du train 318, qui était fatigué, n’eut pas réagi de façon appropriée au signal de vitesse normale à arrêt affiché sur le terrain.
Par définition, la subdivision de Rivers du CN est un itinéraire clé et fait partie intégrante de l’un des principaux corridors de circulation ferroviaire au Canada. Cela signifie également que les villes et villages qui bordent cet itinéraire sont continuellement exposés aux risques liés aux trains clés transportant des marchandises dangereuses. Toute collision ou tout déraillement d’un train clé présente un risque de déversement de marchandise dangereuse. Si un accident ferroviaire survient sur un itinéraire clé, il peut toucher un ou plusieurs trains clés, ce qui augmente le risque de déversement de marchandises dangereuses et de conséquences néfastes pour les personnes, les biens ou l’environnement.
Il est clair que les moyens de défense administratifs actuels dans le cadre de l’exploitation ferroviaire, comme les lignes directrices procédurales, les avis et les instructions de la compagnie, de même que le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada et les Règles relatives aux périodes de service et de repos du personnel d’exploitation ferroviaire approuvés par TC, ne sont pas toujours efficaces. Par conséquent, des incidents et des accidents continuent de se produire.
La première recommandation du BST à ce sujet date de plus de 20 ans. La recommandation de 2013 demandait la mise en œuvre de méthodes de contrôle des trains à sécurité intégrée, en commençant par les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada.Note de bas de page 3 Bien que les corridors à grande vitesse soient généralement constitués d’itinéraires clés, les accidents plus récents montrent qu’il est également nécessaire d’implanter des systèmes de commande des trains à sécurité intégrée sur tous les itinéraires clés.
La mise en œuvre de technologies de commande des trains à sécurité intégrée, comme les systèmes de CTA, offrirait une mesure de sécurité supplémentaire lorsqu’elles sont utilisées de concert avec les moyens de défense administratifs existants. Toutefois, le secteur ferroviaire canadien continue de s’appuyer exclusivement sur les moyens de défense administratifs, comme les lignes directrices procédurales de la compagnie, le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada ou les Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d’exploitation ferroviaire, pour prévenir toute réaction inadéquate des équipes de train aux indications de signal affichées sur le terrain. Si TC et le secteur ferroviaire ne prennent pas de mesures pour mettre en œuvre des moyens de défense physiques à sécurité intégrée afin de réduire les conséquences d’erreurs humaines inévitables, le risque de collision et de déraillement persistera, ce qui entraînera une augmentation proportionnelle du risque sur les itinéraires clés au Canada. Par conséquent, le Bureau recommande que :
le ministère des Transports exige que les grands transporteurs ferroviaires canadiens accélèrent la mise en œuvre de méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés.
Recommandation R22-04 du BST
Formation sur la gestion des ressources de l’équipage
Les activités ferroviaires sont régies par des règles et des instructions qui imposent à tous les membres de l’équipe la même responsabilité en matière de sécurité ferroviaire. La sécurité des activités ferroviaires dépend du respect de l’ensemble des règles par tous les membres de l’équipe, en tout temps. Dans le secteur ferroviaire, les règles d’exploitation exigent que les membres de l’équipe accusent verbalement réception les uns aux autres des indications de signal affichées sur le terrain. Lorsqu’un train croise une indication de signal affichée sur le terrain, un membre de l’équipe doit communiquer l’indication de signal à haute voix dans la cabine de locomotive à l’autre membre de l’équipe. Bien que l’autre membre de l’équipe soit tenu de répéter le message, l’expéditeur initial n’est pas tenu de confirmer que le message a été bien reçu ou compris par l’autre membre de l’équipe. En conséquence, cette communication peut échouer.
Les règles ferroviaires ne précisent pas une méthode de communication en boucle fermée, ce qui signifie que l’expéditeur initial du message n’est pas tenu d’accuser réception, et donc de confirmer, que le message a été bien reçu. De plus, lorsque le degré d’expérience des membres de l’équipe d’exploitation diffère considérablement, il est possible qu’un rapport d’autorité se crée et que le membre de l’équipe le moins expérimenté n’intervienne pas toujours pour assurer le respect de l’ensemble des règles. Dans ces situations, il y a un risque que les comportements qui compromettent la sécurité soient ignorés parce qu’un employé moins expérimenté peut être réticent à remettre en question les gestes d’un employé ayant plus d’ancienneté ou à intervenir dans l’exploitation du train, même s’il est essentiel de le faire.
Dans l’événement à l’étude, l’enquête a permis de déterminer que les communications entre les 2 membres de l’équipe ne s’effectuaient pas toujours en boucle fermée. Le ML n’accusait pas toujours réception des annonces des indications de signal faites par le chef de train, et ne les répétait pas toujours non plus. Le chef de train n’a pas confirmé que le ML avait compris la communication et n’était pas tenu de le faire. Le manque d’expérience du chef de train dans la subdivision et l’exploitation des locomotives l’ont également dissuadé de tenter d’intervenir et d’arrêter le train.
La gestion des ressources en équipe (CRM) est un concept apparu dans les secteurs de l’aviation et de la marine pour limiter ou éliminer les erreurs humaines en reconnaissant l’importance des compétences cognitives et interpersonnelles, et ainsi améliorer la sécurité. La CRM cible les compétences, les aptitudes, les attitudes, la communication, la conscience situationnelle, la résolution de problèmes et le travail d’équipe d’une équipe de train. Les membres de l’équipe doivent bien interagir les uns avec les autres de même qu’avec leur équipement et avec leur environnement pour assurer une gestion efficace des menaces, des erreurs et des situations imprévues qui peuvent survenir.
Afin de travailler de façon coordonnée, efficace et sécuritaire, les gestes posés par l’équipe doivent être fondés sur une compréhension commune de l’état actuel de l’équipement, de l’itinéraire à suivre et de toute autre menace possible. Lorsque cette compréhension est cohérente, les membres de l’équipe sont mieux outillés pour prévoir et coordonner efficacement leurs interventions dans le but d’atteindre leur objectif commun. Cette compréhension commune parmi les membres de l’équipe est appelée la conscience situationnelle d’équipe ou partagée.
L’équipe acquiert et maintient cette conscience situationnelle commune en adoptant un certain nombre de comportements ponctuels et continus. Ces comportements comprennent les exposés pendant le trajet, la détermination des principaux jalons tout au long du trajet, la gestion des menaces et des erreurs (TEM), l’annonce de tout changement de l’état de l’équipement et du réglage ou du mode des instruments, ainsi que la communication de tout changement apporté aux plans pour s’assurer que tous les membres de l’équipe ont une compréhension commune des activités.
La TEM met l’accent sur les principes d’anticipation, de reconnaissance et de rétablissement lorsqu’il s’agit de faire face à des menaces, des erreurs et des états indésirables de l’équipement, et elle repose sur la détection proactive des menaces susceptibles de réduire les marges de sécurité. Une bonne gestion des erreurs est associée à des comportements précis de la part de l’équipe, dont les plus couramment cités sont la vigilance, la propension à poser des questions et à formuler des commentaires et l’assertivité.
Une étude de 2015 intitulée Human Factors Analysis of “Missed Signals” in Railway OperationsNote de bas de page 4 a indiqué, dans la section traitant de la formation des équipes, que la formation en CRM [traduction] :
met l’accent sur les compétences non techniques comme la communication, l’information, le comportement de soutienNote de bas de page 5, la surveillance réciproque du rendement, le leadership d’équipe, la prise de décisions, l’assertivité liée aux tâches (p. ex. un conducteur novice qui s’adresse à un collègue plus expérimenté), et la capacité d’adaptation de l’équipe.
Le rapport poursuit en indiquant que la formation en CRM comprend certains aspects de la conscience situationnelle d’équipe, par exemple la [traductions] « perception » et « l’échange d’information, la coordination et la contre-vérification des renseignements », et qu’elle enseigne aux équipes à « devenir vigilants pour déceler les pertes de [conscience situationnelle], tant chez soi-même que chez les autres ».
La CRM vise à fournir aux équipes les compétences interpersonnelles nécessaires pour exécuter leurs tâches en toute sécurité [traduction] : « La formation en CRM consiste généralement en un processus continu de formation et de surveillance grâce auquel le personnel est formé à aborder ses activités dans une perspective d’équipe plutôt que dans une perspective individuelle »Note de bas de page 6.
La mise en œuvre de la CRM a apporté des avantages considérables en matière de sécurité dans les secteurs du transport aérien et du transport maritime. Compte tenu de la prévalence des questions relatives aux facteurs humains dans les statistiques sur les accidents ferroviaires, ce type de formation pourrait offrir d’importants avantages en matière de sécurité dans ce secteurNote de bas de page 7.
Depuis 2017, le CN offre un cours intitulé « Veiller les uns sur les autres » dans le cadre des programmes de renouvellement de l’attestation de compétence de ses équipes d’exploitation, dispensés tous les 3 ans. Bien que la formation du CN soit pertinente et bien structurée, elle est générale et ne traite pas particulièrement de l’interaction entre les membres de l’équipe de train dans la cabine d’une locomotive ni des rapports d’autorité qui peuvent exister dans cet environnement. Même si le CP dispense une formation en CRM aux nouveaux membres de son personnel d’exploitation, il n’offre pas de formation récurrente officielle en CRM.
Le Règlement sur les normes de compétence des employés ferroviaires n’exige pas que les membres des équipes d’exploitation suivent un module distinct en CRM lorsqu’ils acquièrent ou renouvellent leur attestation de compétence. Par conséquent, l’adoption de la formation en CRM dans le secteur ferroviaire a été sporadique et l’approche diffère d’une compagnie de chemin de fer à l’autre. Bien que la formation dispensée par les compagnies de chemin de fer aborde les principes de la CRM, ni la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) ni le CN n’offrent de formation spécialisée et récurrente qui se penche sur l’ensemble des aspects de la CRM. La formation récurrente en CRM viserait à améliorer les compétences non techniques relatives à la communication dans la cabine, aux séances de briefing, au comportement de soutien, à la surveillance réciproque du rendement, au leadership d’équipe, à la prise de décisions, à l’assertivité liée aux tâches (p. ex., un opérateur novice qui s’adresse à un collègue plus expérimenté) et à la capacité d’adaptation de l’équipe, ainsi qu’aux concepts de TEM et de conscience situationnelle d’équipe.
Le BST a enquêté sur 8 autres événements ferroviaires, en remontant jusqu’à 1996, dans lesquels il a été établi que des pratiques de CRM inefficaces ont été un facteur contributif à l’accidentNote de bas de page 8.
Si les membres de l’équipe d’exploitation ne reçoivent pas une formation initiale et récurrente améliorée en CRM pour perfectionner leurs compétences en communication au sein de l’équipe, en coordination de la prise de décisions et des activités et en gestion des rapports d’autorité qui peuvent exister dans la cabine de locomotive, il y a un risque accru qu’une communication inadéquate entre les membres de l’équipe mène à une exploitation non sécuritaire. Par conséquent, le Bureau recommande que :
le ministère des Transports exige, en vertu du Règlement sur les normes de compétence des employés ferroviaires, que les compagnies de chemin de fer canadiennes élaborent et mettent en œuvre une formation initiale et récurrente moderne sur la gestion des ressources en équipe dans le cadre de la formation de qualification des employés d’exploitation ferroviaire.
Recommandation R22-05 du BST
Communications de sécurité liées à l’enquête R19W0002 du BST : collision et déraillement en voie principale près de Portage la Prairie, au Manitoba, en janvier 2019
L’événement
Le 3 janvier 2019, le train de marchandises 318 du CN exploité en direction est a pris en écharpe le train de marchandises 315 du CN circulant vers l’ouest, tout juste à l’est de Portage la Prairie, au Manitoba.
À 6 h 10, le train 318 a quitté Rivers, au Manitoba, et avait pour destination Winnipeg, au Manitoba. Vers 7 h 30, le train 315 est parti de Winnipeg en direction ouest. Les deux trains circulaient dans la subdivision de Rivers, l’un des itinéraires les plus fréquentés du CN, où on y transporte souvent des marchandises dangereuses.
Un peu moins de trois heures plus tard, alors qu’il se déplaçait sur la voie sud en utilisant le système Optimiseur de parcours (OP) (un système qui se compare au régulateur de vitesse dans une voiture), le train 318 a franchi un signal au point milliaire 52,2. Ce signal indiquait aux membres de l’équipe qu’ils devaient se préparer à arrêter le train au prochain signal à Nattress, soit au point milliaire 50,4. Le chef de train avait annoncé le signal, comme il se doit, toutefois, il n’avait pas entendu le mécanicien de locomotive (ML) lui répondre, et le train a continué à rouler à la vitesse permise.
Peu après, les locomotives de tête du train 318 et du train 315 se sont croisées, et le chef du train 318 a rappelé au ML le signal précédent. Le ML a alors effectué un serrage des freins. Toutefois, lorsque le signal d’arrêt à Nattress est devenu visible, l’équipe s’est rendu compte qu’elle ne pourrait pas s’arrêter à temps et a effectué un serrage d’urgence des freins. Peu après que le train 318 a pris en écharpe le train 315 à 23 mi/h (37 km/h), les membres de l’équipe ont sauté du train et ont été légèrement blessés. À la suite de la collision, les deux locomotives de tête du train 318 et huit wagons du train 315 ont déraillé.
Recommandations émises le 24 août 2022
L’enquête a permis d’établir les faits suivants :
- L’équipe d’exploitation du train 318 n’a pas réagi de façon appropriée aux indications de signal affichées sur le terrain aux points milliaires 52,2 et 50,4, ce qui a finalement mené à la collision.
- Il est probable que la faible charge de travail liée au fait d’exploiter le train 318 en utilisant l’OP, combinée à la fatigue, a réduit le niveau d’éveil du ML, ce qui a eu une incidence sur sa capacité de maintenir sa vigilance et sa conscience situationnelle.
- Plus particulièrement, en l’absence d’un moyen de défense physique comme un système de commande de train amélioré, il n’y a eu aucune intervention automatique pour ralentir ou arrêter le train lorsque l’équipe n’a pas initialement réagi au signal de vitesse normale à arrêt affiché sur le terrain.
- En raison du manque d’expérience du chef du train 318 et du rapport d’autorité qui existait entre les membres de l’équipe, le chef de train s’est fié au ML sans remettre en question la façon de conduire le train. Par conséquent, les mesures prises par l’équipe pour ralentir puis arrêter le train avant le signal contrôlé 504S ont été tardives et inefficaces.
Commande de trains améliorée pour les itinéraires clés
Le système de transport ferroviaire est complexe. La philosophie de défense en profondeur préconisée par les spécialistes de la sécurité pour les systèmes complexes consiste à mettre en place des lignes de défense diverses et multiples afin d’atténuer les risques posés par les erreurs humaines normales. Dans la mesure du possible, une combinaison de moyens de défense axés sur les règles (c.-à-d. administratifs) et de moyens de défense physiques devrait être mise en œuvre pour tenir compte des bévues, des manquements et des erreurs normales qui caractérisent le comportement humain. Bien que des circuits plus récents aient été intégrés au fil des ans, le concept de base des systèmes de signalisation de commande centralisée de la circulation (CCC) au Canada est bien établi. Malgré l’apparition de ces nouveaux circuits, les activités ferroviaires reposent encore principalement sur des moyens de défense administratifs, qui constituent la méthode la moins efficace pour atténuer les risques.
Les moyens de défense administratifs, comme le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada, les instructions générales d’exploitation et les bulletins d’exploitation des compagnies de chemin de fer, dépendent trop du respect des règles par les équipes de train et ne tiennent pas compte des facteurs humains qui influent sur le comportement dans la vie de tous les jours. Par exemple, en l’occurrence, les équipes de train étaient tenues, en vertu de l’exigence administrative relative au système de contrôle des trains de CCC, de respecter les indications de signal affichées sur le terrain. La sécurité des activités ferroviaires dépend de la capacité des équipes de train de voir chaque indication de signal, de l’annoncer, puis de prendre les mesures appropriées.
Un système de CCC signalisé n’avertit pas l’équipe de train ou le contrôleur de la circulation ferroviaire si une équipe de train ne respecte pas une indication de signal ou ne prend pas les mesures appropriées. La CCC n’offre pas non plus de mécanisme automatique de respect des limitations de vitesse afin de ralentir ou d’arrêter un train avant qu’il franchisse un signal restrictif.
Dans les situations où une équipe de train perçoit mal, interprète mal ou ne respecte pas une indication de signal, l’ensemble des moyens de défense administratifs fait défaut. Comme le démontrent le présent événement et bien d’autres, lorsqu’un moyen de défense administratif fait défaut et qu’il n’existe aucun moyen de défense secondaire, il peut se produire un accident qui aurait pu être évité par ailleurs.
Alors qu’au Canada, les systèmes de commande des trains ne disposent que de moyens de défense administratifs, aux États-Unis, les compagnies de chemin de fer de catégorie 1 ont mis en œuvre des systèmes physiques de commande des trains à sécurité intégrée appelés Positive Train Control (PTC). Le système PTC est conçu pour prévenir les collisions entre trains, les déraillements dus à un excès de vitesse, les incursions dans les zones de travaux et le passage d’un train dans un aiguillage mal orienté. Au Canada, le terme « commande des trains améliorée » (CTA) a été adopté pour décrire ces systèmes.
Un système PTC/CTA atténuerait le risque que les équipes interprètent mal ou ne respectent pas les indications de signal en intervenant automatiquement pour ralentir ou arrêter un train si une équipe d’exploitation ne réagissait pas correctement à un signal affiché sur le terrain. Un système PTC/CTA pleinement fonctionnel offrirait en outre un moyen de défense physique à sécurité intégrée contre les erreurs commises par les équipes d’exploitation en raison de la fatigue, laquelle a joué un rôle dans le présent accident.
Aux États-Unis, au cours des 50 dernières années, le National Transportation Safety Board (NTSB) a enquêté sur plus de 150 accidents qui auraient pu être évités si un système PTC avait été en place et qui ont coûté la vie à plus de 300 personnes. À la suite de ces enquêtes, le NTSB a émis 51 recommandations liées au système CIT.
En septembre 2008, une collision entre un train de banlieue de Metrolink et un train de marchandises de l’Union Pacific à Chatsworth (Californie) a entraîné l’adoption de la Rail Safety Improvement Act of 2008 (RSIA) aux États-Unis, qui rendait obligatoire l’installation de systèmes PTC sur les lignes ferroviaires principales qui présentaient des risques particuliers liés au transport de marchandises dangereuses ainsi qu’au service ferroviaire voyageurs interurbain et de banlieue.
En date du 31 décembre 2020, le système PTC a été pleinement mis en œuvre aux États-Unis sur la totalité des voies assujetties aux dispositions législatives de la RSIA, soit un total de 57 535,7 miles, ce qui représente environ 41 % des près de 140 000 milles de parcours du réseau ferroviaire américain. Le nombre total de milles de voie sur lesquels le système PTC a été installé comprend les activités ferroviaires américaines du CN (3107 milles) et du CP (2118 milles).
À titre de comparaison, le réseau ferroviaire canadien est constitué d’environ 26 000 milles de parcours de voies. Les itinéraires clés représentent un total combiné d’environ 10 940 milles de voie principale, soit environ 42 % du réseau ferroviaire canadien. Lorsque l’on compare les critères d’itinéraire clé aux critères d’itinéraire à risque élevé de la RSIA des États-Unis, il est raisonnable de conclure que les dangers et les pourcentages pour les milles de parcours de voie concernée sont semblables. Bien que la législation américaine exige l’installation de systèmes PTC sur les itinéraires à risque élevé, il n’existe aucune exigence semblable concernant l’installation de systèmes PTC ou CTA sur des itinéraires comparables au Canada qui servent au transport de marchandises dangereuses.
Un examen de tous les rapports d’enquête ferroviaire du BST produits depuis 1990 (excluant les événements de catégorie 5, mais incluant l’événement à l’étude) a permis de déterminer que 80 événements auraient pu être évités si un système de commande des trains équivalent au système PTC (c.-à-d. CTA) avait été disponible.
En outre, si l’on tient compte des événements de catégorie 5 du BST, entre 2004 et 2019, il y a eu en moyenne chaque année 31 événements signalés au cours desquels une équipe de train n’a pas réagi de façon appropriée à une indication de signal affichée sur le terrain. Le nombre annuel de ces événements est à la hausse. En particulier, les années 2018 et 2019 ont enregistré le plus grand nombre d’événements de ce genre, soit 40 et 38, respectivement.
En 2000, le BST a émis sa première recommandation (R00-04) concernant la mise en place de moyens de défense supplémentaires en matière de commande des trains, à la suite de son enquête sur la collision entre 2 trains du CP survenue en 1998 près de Notch Hill (Colombie-Britannique)Note de bas de page 1. Après avoir constaté que les mécanismes de sécurité supplémentaires pour les indications de signal étaient inadéquats, le Bureau avait recommandé que :
le ministère des Transports et l’industrie ferroviaire mettent en œuvre des mesures de sécurité supplémentaires afin de s’assurer que les membres des équipes identifient les signaux et s’y conforment de façon uniforme.
Recommandation R00-04 du BST
En 2013, le BST a émis une autre recommandation (R13-01) concernant la mise en place de moyens de défense supplémentaires en matière de commande des trains, à la suite de son enquête sur le déraillement et la collision du train de voyageurs no 92 de VIA Rail Canada inc. (VIA 92) survenus en 2012 près de Burlington (Ontario).Note de bas de page 2 À la suite de l’enquête, le BST a indiqué que TC et le secteur ferroviaire devraient mettre en œuvre une stratégie qui permettrait de prévenir ces types d’accidents en veillant à ce que les signaux, les vitesses d’exploitation et les limites d’exploitation soient toujours respectés. Le Bureau avait recommandé que :
le ministère des Transports exige que les grands transporteurs ferroviaires canadiens de voyageurs et de marchandises mettent en œuvre des méthodes de contrôle des trains à sécurité intrinsèque, en commençant par les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada.
Recommandation R13-01 du BST
En 2014, en réponse aux 2 recommandations du BST, un Groupe de travail sur la commande des trains (GTCT) mixte réunissant TC et le secteur a été mis sur pied. Le groupe était présidé par la Sécurité ferroviaire de TC et comprenait également des représentants du secteur ferroviaire et des syndicats du personnel d’exploitation. Après la création du GTCT, il y a eu une série de réunions, de discussions et d’études courantes liées à l’élaboration et à la mise en place de systèmes de CTA au Canada, qui n’ont jusqu’à maintenant engendré aucun plan de mise en œuvre ou autres résultats tangibles. Même si TC a publié un avis d’intention dans la partie I de la Gazette du Canada en février 2022 pour faire part de son intention d’exiger la mise en œuvre des systèmes de CTA au Canada, il n’existe toujours aucun plan de mise en œuvre.
Le temps que TC et le secteur mettent sur pied le GTCT, étudient la question, produisent le rapport final du GTCT, concluent un contrat de sous-traitance avec le Laboratoire canadien de recherche ferroviaire (LCRF) pour produire un rapport de suivi et étudient les résultats obtenus par le LCRF, les systèmes PTC avaient été pleinement mis en œuvre aux États-Unis sur toutes les voies ferrées à risque élevé visées par la RSIA.
En dépit d’investissements importants dans la technologie PTC pour les parcs de locomotives du CN et du CP et leur infrastructure aux États-Unis, et des 2 recommandations du BST à TC concernant la commande des trains améliorée qui remontent à plus de 20 ans, peu de mesures ont été prises pour étendre l’utilisation du système PTC au Canada ou mettre au point une forme semblable de CTA au Canada.
Dans l’événement à l’étude, en l’absence d’un moyen de défense physique supplémentaire à sécurité intégrée, comme un système PTC/CTA, aucune intervention automatique n’était disponible pour ralentir ou arrêter le train. Par conséquent, la collision s’est produite après que le ML du train 318, qui était fatigué, n’eut pas réagi de façon appropriée au signal de vitesse normale à arrêt affiché sur le terrain.
Par définition, la subdivision de Rivers du CN est un itinéraire clé et fait partie intégrante de l’un des principaux corridors de circulation ferroviaire au Canada. Cela signifie également que les villes et villages qui bordent cet itinéraire sont continuellement exposés aux risques liés aux trains clés transportant des marchandises dangereuses. Toute collision ou tout déraillement d’un train clé présente un risque de déversement de marchandise dangereuse. Si un accident ferroviaire survient sur un itinéraire clé, il peut toucher un ou plusieurs trains clés, ce qui augmente le risque de déversement de marchandises dangereuses et de conséquences néfastes pour les personnes, les biens ou l’environnement.
Il est clair que les moyens de défense administratifs actuels dans le cadre de l’exploitation ferroviaire, comme les lignes directrices procédurales, les avis et les instructions de la compagnie, de même que le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada et les Règles relatives aux périodes de service et de repos du personnel d’exploitation ferroviaire approuvés par TC, ne sont pas toujours efficaces. Par conséquent, des incidents et des accidents continuent de se produire.
La première recommandation du BST à ce sujet date de plus de 20 ans. La recommandation de 2013 demandait la mise en œuvre de méthodes de contrôle des trains à sécurité intégrée, en commençant par les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada.Note de bas de page 3 Bien que les corridors à grande vitesse soient généralement constitués d’itinéraires clés, les accidents plus récents montrent qu’il est également nécessaire d’implanter des systèmes de commande des trains à sécurité intégrée sur tous les itinéraires clés.
La mise en œuvre de technologies de commande des trains à sécurité intégrée, comme les systèmes de CTA, offrirait une mesure de sécurité supplémentaire lorsqu’elles sont utilisées de concert avec les moyens de défense administratifs existants. Toutefois, le secteur ferroviaire canadien continue de s’appuyer exclusivement sur les moyens de défense administratifs, comme les lignes directrices procédurales de la compagnie, le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada ou les Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d’exploitation ferroviaire, pour prévenir toute réaction inadéquate des équipes de train aux indications de signal affichées sur le terrain. Si TC et le secteur ferroviaire ne prennent pas de mesures pour mettre en œuvre des moyens de défense physiques à sécurité intégrée afin de réduire les conséquences d’erreurs humaines inévitables, le risque de collision et de déraillement persistera, ce qui entraînera une augmentation proportionnelle du risque sur les itinéraires clés au Canada. Par conséquent, le Bureau recommande que :
le ministère des Transports exige que les grands transporteurs ferroviaires canadiens accélèrent la mise en œuvre de méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés.
Recommandation R22-04 du BST
Formation sur la gestion des ressources de l’équipage
Les activités ferroviaires sont régies par des règles et des instructions qui imposent à tous les membres de l’équipe la même responsabilité en matière de sécurité ferroviaire. La sécurité des activités ferroviaires dépend du respect de l’ensemble des règles par tous les membres de l’équipe, en tout temps. Dans le secteur ferroviaire, les règles d’exploitation exigent que les membres de l’équipe accusent verbalement réception les uns aux autres des indications de signal affichées sur le terrain. Lorsqu’un train croise une indication de signal affichée sur le terrain, un membre de l’équipe doit communiquer l’indication de signal à haute voix dans la cabine de locomotive à l’autre membre de l’équipe. Bien que l’autre membre de l’équipe soit tenu de répéter le message, l’expéditeur initial n’est pas tenu de confirmer que le message a été bien reçu ou compris par l’autre membre de l’équipe. En conséquence, cette communication peut échouer.
Les règles ferroviaires ne précisent pas une méthode de communication en boucle fermée, ce qui signifie que l’expéditeur initial du message n’est pas tenu d’accuser réception, et donc de confirmer, que le message a été bien reçu. De plus, lorsque le degré d’expérience des membres de l’équipe d’exploitation diffère considérablement, il est possible qu’un rapport d’autorité se crée et que le membre de l’équipe le moins expérimenté n’intervienne pas toujours pour assurer le respect de l’ensemble des règles. Dans ces situations, il y a un risque que les comportements qui compromettent la sécurité soient ignorés parce qu’un employé moins expérimenté peut être réticent à remettre en question les gestes d’un employé ayant plus d’ancienneté ou à intervenir dans l’exploitation du train, même s’il est essentiel de le faire.
Dans l’événement à l’étude, l’enquête a permis de déterminer que les communications entre les 2 membres de l’équipe ne s’effectuaient pas toujours en boucle fermée. Le ML n’accusait pas toujours réception des annonces des indications de signal faites par le chef de train, et ne les répétait pas toujours non plus. Le chef de train n’a pas confirmé que le ML avait compris la communication et n’était pas tenu de le faire. Le manque d’expérience du chef de train dans la subdivision et l’exploitation des locomotives l’ont également dissuadé de tenter d’intervenir et d’arrêter le train.
La gestion des ressources en équipe (CRM) est un concept apparu dans les secteurs de l’aviation et de la marine pour limiter ou éliminer les erreurs humaines en reconnaissant l’importance des compétences cognitives et interpersonnelles, et ainsi améliorer la sécurité. La CRM cible les compétences, les aptitudes, les attitudes, la communication, la conscience situationnelle, la résolution de problèmes et le travail d’équipe d’une équipe de train. Les membres de l’équipe doivent bien interagir les uns avec les autres de même qu’avec leur équipement et avec leur environnement pour assurer une gestion efficace des menaces, des erreurs et des situations imprévues qui peuvent survenir.
Afin de travailler de façon coordonnée, efficace et sécuritaire, les gestes posés par l’équipe doivent être fondés sur une compréhension commune de l’état actuel de l’équipement, de l’itinéraire à suivre et de toute autre menace possible. Lorsque cette compréhension est cohérente, les membres de l’équipe sont mieux outillés pour prévoir et coordonner efficacement leurs interventions dans le but d’atteindre leur objectif commun. Cette compréhension commune parmi les membres de l’équipe est appelée la conscience situationnelle d’équipe ou partagée.
L’équipe acquiert et maintient cette conscience situationnelle commune en adoptant un certain nombre de comportements ponctuels et continus. Ces comportements comprennent les exposés pendant le trajet, la détermination des principaux jalons tout au long du trajet, la gestion des menaces et des erreurs (TEM), l’annonce de tout changement de l’état de l’équipement et du réglage ou du mode des instruments, ainsi que la communication de tout changement apporté aux plans pour s’assurer que tous les membres de l’équipe ont une compréhension commune des activités.
La TEM met l’accent sur les principes d’anticipation, de reconnaissance et de rétablissement lorsqu’il s’agit de faire face à des menaces, des erreurs et des états indésirables de l’équipement, et elle repose sur la détection proactive des menaces susceptibles de réduire les marges de sécurité. Une bonne gestion des erreurs est associée à des comportements précis de la part de l’équipe, dont les plus couramment cités sont la vigilance, la propension à poser des questions et à formuler des commentaires et l’assertivité.
Une étude de 2015 intitulée Human Factors Analysis of “Missed Signals” in Railway OperationsNote de bas de page 4 a indiqué, dans la section traitant de la formation des équipes, que la formation en CRM [traduction] :
met l’accent sur les compétences non techniques comme la communication, l’information, le comportement de soutienNote de bas de page 5, la surveillance réciproque du rendement, le leadership d’équipe, la prise de décisions, l’assertivité liée aux tâches (p. ex. un conducteur novice qui s’adresse à un collègue plus expérimenté), et la capacité d’adaptation de l’équipe.
Le rapport poursuit en indiquant que la formation en CRM comprend certains aspects de la conscience situationnelle d’équipe, par exemple la [traductions] « perception » et « l’échange d’information, la coordination et la contre-vérification des renseignements », et qu’elle enseigne aux équipes à « devenir vigilants pour déceler les pertes de [conscience situationnelle], tant chez soi-même que chez les autres ».
La CRM vise à fournir aux équipes les compétences interpersonnelles nécessaires pour exécuter leurs tâches en toute sécurité [traduction] : « La formation en CRM consiste généralement en un processus continu de formation et de surveillance grâce auquel le personnel est formé à aborder ses activités dans une perspective d’équipe plutôt que dans une perspective individuelle »Note de bas de page 6.
La mise en œuvre de la CRM a apporté des avantages considérables en matière de sécurité dans les secteurs du transport aérien et du transport maritime. Compte tenu de la prévalence des questions relatives aux facteurs humains dans les statistiques sur les accidents ferroviaires, ce type de formation pourrait offrir d’importants avantages en matière de sécurité dans ce secteurNote de bas de page 7.
Depuis 2017, le CN offre un cours intitulé « Veiller les uns sur les autres » dans le cadre des programmes de renouvellement de l’attestation de compétence de ses équipes d’exploitation, dispensés tous les 3 ans. Bien que la formation du CN soit pertinente et bien structurée, elle est générale et ne traite pas particulièrement de l’interaction entre les membres de l’équipe de train dans la cabine d’une locomotive ni des rapports d’autorité qui peuvent exister dans cet environnement. Même si le CP dispense une formation en CRM aux nouveaux membres de son personnel d’exploitation, il n’offre pas de formation récurrente officielle en CRM.
Le Règlement sur les normes de compétence des employés ferroviaires n’exige pas que les membres des équipes d’exploitation suivent un module distinct en CRM lorsqu’ils acquièrent ou renouvellent leur attestation de compétence. Par conséquent, l’adoption de la formation en CRM dans le secteur ferroviaire a été sporadique et l’approche diffère d’une compagnie de chemin de fer à l’autre. Bien que la formation dispensée par les compagnies de chemin de fer aborde les principes de la CRM, ni la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) ni le CN n’offrent de formation spécialisée et récurrente qui se penche sur l’ensemble des aspects de la CRM. La formation récurrente en CRM viserait à améliorer les compétences non techniques relatives à la communication dans la cabine, aux séances de briefing, au comportement de soutien, à la surveillance réciproque du rendement, au leadership d’équipe, à la prise de décisions, à l’assertivité liée aux tâches (p. ex., un opérateur novice qui s’adresse à un collègue plus expérimenté) et à la capacité d’adaptation de l’équipe, ainsi qu’aux concepts de TEM et de conscience situationnelle d’équipe.
Le BST a enquêté sur 8 autres événements ferroviaires, en remontant jusqu’à 1996, dans lesquels il a été établi que des pratiques de CRM inefficaces ont été un facteur contributif à l’accidentNote de bas de page 8.
Si les membres de l’équipe d’exploitation ne reçoivent pas une formation initiale et récurrente améliorée en CRM pour perfectionner leurs compétences en communication au sein de l’équipe, en coordination de la prise de décisions et des activités et en gestion des rapports d’autorité qui peuvent exister dans la cabine de locomotive, il y a un risque accru qu’une communication inadéquate entre les membres de l’équipe mène à une exploitation non sécuritaire. Par conséquent, le Bureau recommande que :
le ministère des Transports exige, en vertu du Règlement sur les normes de compétence des employés ferroviaires, que les compagnies de chemin de fer canadiennes élaborent et mettent en œuvre une formation initiale et récurrente moderne sur la gestion des ressources en équipe dans le cadre de la formation de qualification des employés d’exploitation ferroviaire.
Recommandation R22-05 du BST