Panne sèche - collision avec le relief
Du Piper PA-31-350 Navajo Chieftain C-GPOW
Exploité par Keystone Air Service
Winnipeg (Manitoba)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le Piper PA-31-350 Chieftain de Keystone Air Service immatriculé C-GPOW et portant le numéro de série 31-7305093 effectue un vol aux instruments (vol KEE208) du lac Gunisao (Manitoba) à Winnipeg. Un pilote et six passagers se trouvent à bord. À 9 h 13, heure avancée du Centre, KEE208 commence une approche de la piste 13 de l'aéroport international de Winnipeg à l'aide du système d'atterrissage aux instruments (ILS). Le commandant de bord effectue l'approche à une vitesse supérieure à la vitesse d'approche normale et bien au-dessus de la trajectoire de descente. Lorsque l'avion sort des nuages, il n'est pas en position pour atterrir en toute sécurité sur la longueur de piste restante. Le commandant de bord effectue une procédure d'approche interrompue à 9 h 16 et, après avoir syntonisé la fréquence d'approche de la tour, demande de revenir le plus rapidement possible à l'aéroport.
Le contrôleur d'approche donne des instructions relatives au retour vers l'aéroport. Presque immédiatement, soit à 9 h 18, le commandant de bord lance un appel « Mayday » et déclare une panne moteur. Moins de 20 secondes plus tard, le commandant de bord signale que son avion a subi une double panne moteur. À 9 h 20, l'avion s'écrase à une importante intersection routière et percute des feux de signalisation ainsi que plusieurs véhicules. Les sept passagers de l'avion et plusieurs personnes qui se trouvent dans les véhicules sont grièvement blessés; un passager meurt des suites de ses blessures. L'avion a subi des dommages structuraux importants; les ailes et les moteurs ont été arrachés lors de l'atterrissage forcé. Un petit incendie s'est déclaré après l'accident du côté de l'aile droite et du moteur droit.
Renseignements de base
La nuit précédant l'accident, le GPOW a été ravitaillé à pleine capacité à la base de la compagnie qui se situe à Swan River (Manitoba). L'avion a ensuite été mis en place à Winnipeg en vue de transporter un groupe de pêcheurs et leurs bagages en direction du lac Gunisao et d'assurer le retour d'un autre groupe. Le vol de mise en place, qui a été effectué par un autre pilote de la compagnie, a duré 1 h 38 min, et l'avion n'a pas été ravitaillé après son arrivée à Winnipeg.
Le pilote est titulaire d'une licence de pilote de ligne et d'un certificat médical valide, et les dossiers indiquent que sa vérification de compétence pilote (PPC) et la formation requise sont valides. Il est pilote depuis 12 ans et cumule environ 3 000 heures de vol. Il était instructeur avant de se joindre à la compagnie. Le pilote assure des vols réguliers et des vols d'affrètement pour la compagnie depuis environ 16 mois. Le pilote a effectué de nombreux autres vols similaires à destination du lac Gunisao et connaît les exigences relatives au trajet et à la planification de vol. Il savait qu'il n'y avait pas d'essence d'aviation 100 LL au lac Gunisao.
Le matin de l'accident, le pilote s'est présenté au travail à 4 h 20Note de bas de page 1. Il a vérifié la météo et a remarqué qu'il existait des conditions météorologiques de vol aux instruments (IMC) à Winnipeg et le long d'une partie de son trajet. Il a déposé un plan de vol établi selon les règles de vol aux instruments pour le trajet aller-retour entre Winnipeg et le lac Gunisao. L'aérodrome de dégagement qu'il a choisi pour les deux vols est celui d'Island Lake situé à environ 258 milles marins (NM) au nord de Winnipeg. Il a terminé les vérifications avant le vol et au point fixe et a remarqué que les réservoirs de carburant étaient remplis aux ¾ de leur capacité totale. Le pilote a accepté sept passagers et leurs bagages pour un vol à destination du lac Gunisao. Il n'a pas effectué les calculs de masse et de centrage ni les calculs liés au carburant sur le formulaire de plan de vol opérationnel et de contrôle du chargement fourni au chapitre 8 du manuel d'exploitation de Keystone Air Service. Selon lui, une pleine charge de carburant lui donnait un temps de vol d'environ cinq heures. Il a donc conclu, après estimation mentale, qu'il y avait suffisamment de carburant pour effectuer un vol aller-retour à destination du lac Gunisao. Il a aussi estimé que, les réservoirs étant remplis aux ¾, il avait assez de carburant pour revenir à Winnipeg et disposait même d'une réserve de carburant pour un vol de 50 minutes. Il n'a donc pas ravitaillé l'appareil.
Selon son plan de vol opérationnel, le pilote a estimé le temps de vol entre Winnipeg et le lac Gunisao à 1 h 20 min. Le temps de vol réel a été d'environ 1 h 31 min. Au lac Gunisao, les sept passagers sont débarqués de l'avion avec leurs bagages, et le pilote a accepté six passagers et 450 livres de bagages pour le vol de retour. Il n'a effectué aucun autre calcul de masse et de centrage, ni aucun calcul lié au carburant sur le formulaire de plan de vol opérationnel et de contrôle du chargement. Le pilote a estimé le temps de vol entre le lac Gunisao et Winnipeg à 1 h 20 min. Le temps de vol réel entre le lac Gunisao et la remise des gaz à Winnipeg a été de 1 h 30 min.
Les conditions météorologiques figurant dans les bulletins étaient les suivantes pour Winnipeg lorsque le pilote a commencé son approche : vents à 200 degrés de 8 nœuds; ciel couvert avec plafond à 300 pieds; visibilité de 1 mille terrestre dans de la bruine et de la brume légère; calage altimétrique de 29,81 pouces.
Le PA-31-350 utilise de l'essence aviation 100 à faible teneur en plomb (LL) et possède une capacité maximale en carburant de 192 gallons américainsNote de bas de page 2 (1 152 livres), dont 182 gallons (1 092 livres) sont utilisables. Le manuel d'utilisation de l'avion, qui se trouvait à bord, contient la mise en garde suivante : « Les performances pour un avion donné peuvent varier par rapport à celles qui sont publiées selon le type d'équipement installé à bord, l'état des moteurs, de l'avion et de l'équipement, les conditions météorologiques et les techniques de pilotage » [traduction]. Pour la planification de vol du PA-31-350, la compagnie considère une consommation de carburant de 240 livres à l'heure (lb/h) pour la première heure. Cette donnée comprend 30 lb/h pour la circulation au sol, le décollage et la montée. Pour les heures de vol suivantes, la compagnie utilise une consommation de 210 lb/h. Des notes prises par le pilote qui ont été trouvées dans l'avion indiquent que ces données de consommation lui avaient été communiquées. Le pilote avait aussi noté que les réservoirs se vident complètement en 4 h 45 min. Un examen du carnet de route de l'avion et des dossiers de ravitaillement disponibles pour les cinq jours précédant l'accident a permis de déterminer que le GPOW avait une consommation moyenne de 225 lb/h.
Avant que l'avion ne soit en approche de Winnipeg, le voyant de faible niveau de carburant du moteur droit s'est allumé, et le moteur droit a connu des ratés. Le robinet d'intercommunication a été ouvert. Le voyant de faible niveau de carburant s'est éteint, et le moteur s'est remis à fonctionner normalement. Le pilote n'a pas déclaré de situation d'urgence pas plus qu'il n'a demandé de l'aide au cours du vol de retour vers Winnipeg avant d'effectuer l'approche interrompue.
Le pilote a effectué une approche ILS de la piste 13 de Winnipeg, tout en sachant que la situation relative au carburant était critique et qu'une panne des moteurs était imminente. Il a intentionnellement positionné l'appareil bien au-dessus de la trajectoire de descente de l'ILS et a adopté une vitesse considérablement supérieure à la vitesse normale dans le but d'avoir plus de temps pour réagir en cas de panne moteur.
L'avion a croisé le point d'approche interrompue bien au-dessus de la trajectoire de descente. Le pilote a continué la descente. Les contrôleurs de la tour ont vu l'appareil, après sa sortie des nuages, à environ 200 pieds agl. Il restait 3 200 pieds de piste. L'appareil assurant le vol KEE208 n'était pas en position de se poser en toute sécurité sur la longueur de piste restante, et le pilote a effectué une approche interrompue environ 4 minutes avant l'écrasement.
Le pilote a tenté, pendant l'approche interrompue, d'informer le contrôleur qu'il avait un problème urgent de carburant. Cependant, cet important renseignement n'est pas parvenu au contrôleur. Au cours de l'approche interrompue, le pilote a déplacé le sélecteur de carburant de la position intercommunication à réservoirs principaux dans le but de conserver le carburant restant du réservoir gauche pour le moteur gauche. Le moteur droit est alors tombé en panne et le pilote a mis son hélice en drapeau. Environ 3 minutes avant l'écrasement, le pilote a averti le contrôleur d'approche qu'il désirait retourner le plus rapidement possible à l'aéroport. Environ 30 secondes plus tard, le moteur gauche est tombé en panne, et le pilote a lancé un appel « Mayday ». L'avion n'était pas en position pour retourner sur une autre piste et il s'est écrasé, le pilote effectuant un atterrissage forcé, à une grande intersection de la ville.
Il y a eu un petit incendie après l'impact et la cabine s'est remplie de fumée. Des passants ont été en mesure d'éteindre l'incendie à l'aide d'extincteurs portatifs. Plusieurs passagers sont sortis de l'épave avec l'aide d'autres passants. Certains sont restés coincés dans l'épave pendant plusieurs minutes avant d'être secourus par les équipes du service d'incendie de la ville.
L'examen de l'épave et l'essai de plusieurs composants n'ont révélé aucun problème mécanique déjà existant. Les dossiers techniques indiquent que le pilote automatique a été déposé de l'avion le 29 avril 2002; cependant, les inscriptions appropriées n'ont pas été faites dans le carnet de bord. Les hélices des deux moteurs étaient en drapeau. Le numéro de série du moteur droit est L1163-68A et celui du moteur gauche L6295-61A. Rien n'indiquait une fuite ou une décharge de carburant. Les indicateurs de pression carburant et de débit carburant ont subi des essais et ils fonctionnaient normalement. Environ 8,5 gallons américains de carburant résiduel ont été purgés du circuit de carburant.
Le chapitre 3 du manuel d'exploitation de Keystone Air Service Ltd. exige du pilote commandant de bord d'un avion Navajo effectuant un vol IFR qu'il s'assure qu'il y a suffisamment de carburant pour se rendre à destination, effectuer une approche, une approche interrompue, se rendre à un aérodrome de dégagement et se poser tout en ayant une réserve lui permettant d'évoluer pendant 45 minutes. Le chapitre 2 stipule que tous les vols doivent être autorisés par le gestionnaire des opérations ou le pilote en chef et qu'une autorisation de vol ne sera délivrée que lorsque le pilote commandant de bord aura rédigé un plan de vol opérationnel. Cependant, les membres du personnel de supervision de la compagnie ont indiqué qu'en pratique, il n'est pas nécessaire d'obtenir une autorisation de vol et qu'un système de régulation des vols par les pilotes eux-mêmes était utilisé. Le chapitre 2 exige en outre qu'un formulaire de masse et de centrage soit rempli pour chaque vol et qu'il soit signé par le pilote commandant de bord. Le Règlement de l'aviation canadien (RAC) exige qu'un aéronef soit équipé d'un pilote automatique lorsque le vol est effectué par un seul pilote dans des conditions météorologiques de vol aux instruments (IMC).
Le matin de l'accident, des membres du personnel de supervision de la compagnie étaient présents et se préparaient pour leur propre vol. Ils étaient au courant, tout comme le pilote en question, que le GPOW n'était pas équipé d'un pilote automatique et qu'il devait l'être pour les vols effectués par un seul pilote dans les conditions qui prévalaient ce matin-là.
Analyse
L'estimation de la quantité de carburant qu'a faite le pilote avant le vol, estimation qui l'a amené à conclure qu'il lui resterait assez de carburant pour 50 minutes de vol à son arrivée à Winnipeg, était incorrecte. Le temps de vol total de Swan River à Winnipeg, ajouté aux estimations du plan de vol pour le trajet aller-retour à destination du lac Gunisao, était de 4 h 18 min. Ces vols auraient nécessité 993 livres de carburant si on se réfère aux données de la compagnie qui sont de 240 lb/h pour la première heure et de 210 lb/h pour la deuxième heure. Il y aurait donc eu une réserve de 99 livres de carburant ou assez de carburant pour 28 minutes de vol, ce qui n'était pas suffisant pour effectuer le vol à destination de l'aérodrome de dégagement d'Island Lake et disposer d'une réserve de 45 minutes.
Le temps de vol réel entre le moment du ravitaillement à Swan River et le début de l'approche interrompue à Winnipeg était de 4 h 38 min. Puisque ce temps de vol incluait trois vols distincts, le calcul du carburant restant à l'arrivée à Winnipeg a permis de déterminer qu'il resterait environ 25 livres de carburant ou 6 minutes de vol. L'avion a subi une panne moteur complète 4 minutes plus tard. Par conséquent, il a été conclu que la perte de puissance a été provoquée par une panne sèche.
La décision du pilote d'effectuer l'approche ILS bien au-dessus de la trajectoire de descente et à une vitesse supérieure à la vitesse normale a résulté en une approche inefficace à partir de laquelle un atterrissage ne pouvait être effectué, même si les conditions météorologiques publiées pour l'approche étaient supérieures aux minimums d'atterrissage pour l'ILS de la piste 13. La décision du pilote de continuer l'approche passé le point d'approche ILS interrompue n'a pas permis d'assurer un dégagement d'obstacle au moment où l'appareil se trouvait près du sol par temps nébuleux. Sa décision de modifier l'approche a réduit la sécurité du vol plutôt que de la rehausser.
La moyenne de consommation de carburant du GPOW de 225 lb/h, calculée à partir du carnet de route pour des vols similaires, ressemble de près à ce que la compagnie indique. Par conséquent, le taux de consommation réel du GPOW était raisonnable et près de ce qui était attendu.
Même si des membres du personnel de supervision étaient présents lorsque le pilote a entrepris son vol, aucun d'eux n'a pris de mesures lorsque le pilote du GPOW a décollé dans des conditions IMC sans pilote automatique. Le niveau de supervision que la compagnie aurait dû fournir n'a pas été atteint au cours de la série de vols en question. Les pratiques de la compagnie ne respectaient pas le manuel d'exploitation de la compagnie en ce qui a trait aux autorisations de vol. Le manuel d'exploitation était de toute évidence incorrect en ce qui a trait aux exigences relatives aux autorisations de vol.
Faits quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le pilote n'a pas calculé correctement la quantité de carburant nécessaire pour effectuer le vol aller-retour entre Winnipeg et le lac Gunisao, et il ne s'est pas assuré que l'avion contenait assez de carburant pour effectuer le vol.
- L'approche ILS a été effectuée au-dessus de la trajectoire de descente et passé le point d'approche interrompue, ce qui a réduit la possibilité de se poser en toute sécurité à Winnipeg et augmenté le risque de collision avec le relief.
- Au cours de l'approche interrompue, les moteurs de l'avion sont tombés en panne à cause d'une panne sèche, et le pilote a effectué un atterrissage forcé à une importante intersection de la ville.
- Le pilote ne s'est pas assuré que l'avion était équipé d'un pilote automatique comme l'exige le RAC.
Faits quant aux risques
- La compagnie n'a pas fourni un niveau de supervision adéquat et elle a laissé l'avion décoller sans qu'il soit équipé d'un pilote automatique.
- Le manuel d'exploitation de la compagnie ne reflétait pas les procédures en vigueur suivies par la compagnie.
- La compagnie n'a pas fourni un niveau de supervision adéquat et elle a laissé l'avion décoller sans qu'il ait une réserve de carburant suffisante. La compagnie n'avait pas de système de sécurité en place pour prévenir les situations de panne sèche.