Contact queue-sol au décollage et autocabrage de l'avion en approche finale
Airbus 330-343 C-GHLM
exploité par Air Canada
Aéroport Francfort-sur-le-Main (Allemagne)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
L'avion Airbus 330-343, exploité sous le nom d'Air Canada 875, effectue un vol régulier entre Francfort (Allemagne) et Montréal (Québec) avec 253 passagers et 13 membres d'équipage à bord. L'avion décolle de la piste 25R (droite) vers 8 h 30, temps universel coordonné, lorsque le dessous de la queue fait contact avec la piste. L'équipage de conduite n'a pas connaissance de l'impact, mais il en est informé pendant la montée initiale par les services de la circulation aérienne et par un membre de l'équipage de cabine. L'équipage de conduite demande d'être mis en circuit d'attente le temps d'évaluer la situation. Après avoir discuté avec la compagnie, l'équipage de conduite décide de retourner à Francfort. Les services de la circulation aérienne (ATS) guident l'avion pour une approche au système d'atterrissage aux instruments (ILS) de la piste 25R. Alors qu'il est établi à 4 000 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl), sur le faisceau du radiophare d'alignement de piste, à environ 17 milles marins (nm) du seuil de la piste, pilote automatique embrayé, l'avion se cabre à 26,7 degrés. Le pilote automatique est débrayé, et l'avion est repris en main. L'approche est exécutée manuellement, et l'avion effectue un atterrissage en surcharge sans incident sur la piste 25R. Le dessous de la queue de l'avion subit des dommages structuraux considérables à la suite de son contact queue-sol au décollage. Il n'a pas été nécessaire d'évacuer, et personne n'a été blessé.
Renseignements de base
L'équipage monte à bord de l'appareil environ 45 minutes avant le départ, qui devait avoir lieu à 8 h, temps universel coordonnéFootnote 1, afin d'effectuer les vérifications avant le vol. L'équipage de conduite écoute les renseignements fournis par le service automatique d'information de région terminale (ATIS). L'ATIS « M », enregistré à 7 h 20, fait état des conditions météorologiques suivantes : vents du 210 degrés à 10 noeuds, visibilité de 10 kilomètres, quelques nuages épars à 2 000 et à 3 200 pieds, plafond de nuages fragmentés à 4 000 pieds, température extérieure de 20 °C, point de rosée de 15 °C, calage altimétrique de 1 019 millibars, pistes d'atterrissage 25L et 25R et pistes de décollage 18, 25L et 25R.
À 7 h 52, l'équipage de conduite reçoit, du système embarqué de communications, d'adressage et de compte rendu (ACARS), les données préliminaires de chargement indiquant que la masse estimée au décollage est de 222,7 tonnes métriques et que le centre de gravité (CG) se trouve à 23,7 % de la corde aérodynamique moyenne. Une poussée réduite au décollage, déterminée à partir d'une température extérieure de 48 °CFootnote 2, est prévue pour le décollage de la piste 25R, les volets étant réglés en position 1. Les vitesses de décollage, fournies à l'équipage par l'ACARS, sont introduites dans le bloc de commande et d'affichage multifonctions (MCDU) par le pilote non aux commandes, lequel est assis dans le siège droit. Les vitesses suivantes sont introduites : vitesse de décision (V1) de 156 noeuds, vitesse de cabrage (VR) de 157 noeuds et vitesse de sécurité au décollage (V2) de 162 noeuds. Ces vitesses de décollage sont valides pour une masse au décollage se situant entre 219,1 et 223,6 tonnes métriques.
À 8 h 8, l'ACARS fournit les données finales de chargement à l'équipage de conduite, soit une masse au décollage de 221,2 tonnes métriques et un CG situé à 23,8 % de la corde aérodynamique moyenne. Pendant le refoulement ou pendant le roulage, le pilote non aux commandes réintroduit les données finales de chargement et les vitesses de décollage dans le MCDU. Le pilote non aux commandes a introduit par erreur une vitesse V1 de 126 noeuds au lieu de 156 noeuds. Juste avant le décollage, le pilote aux commandes lit les vitesses sur le MCDU, soit 126, 157 et 162. Aucun des deux pilotes ne remarque que la vitesse V1 était incorrecte.
À 8 h 29 min 12 s, l'avion est autorisé à décoller. Le décollage est effectué par le commandant de bord, qui est assis dans le siège gauche. Les données de l'enregistreur de données de vol (FDR) indiquent que le cabrage est amorcé à 133 noeuds et qu'un taux de tangage de 2,81 degrés par seconde est atteint entre le début du cabrage et l'impact de la queue avec le sol. L'impact de la queue se produit lorsque l'avion se trouve dans un cabré d'environ 10,4 degrés et il dure environ deux secondes. L'avion décolle à une vitesse de 152 noeuds dans un cabré de 13,7 degrés.
Le pilote automatique est embrayé lors de la réception des vecteurs radar en vue du retour vers l'aéroport, dès l'interception du faisceau du radiophare d'alignement. À 8 h 52 min 27 s, l'avion reçoit l'autorisation d'effectuer une approche ILS de la piste 25R et une descente à 4 000 pieds asl. À 8 h 52 min 43 s, alors qu'il se trouve à 27 nm du seuil de la piste, l'avion intercepte le faisceau du radiophare d'alignement et se met en palier à 7 000 pieds asl. À 8 h 54 min 36 s, les services de la circulation aérienne informent un avion qui précède le vol 875 d'Air Canada de la possibilité que la trajectoire d'alignement de descente soit perturbée à cause d'un avion en mouvement au sol. Ce message radio n'est destiné qu'à l'avion qui précède le vol 875 d'Air Canada, lequel se trouve alors à environ 19 nm du seuil de la piste.
À 8 h 55 min 20 s, lorsque l'avion se trouve à environ 17 nm du seuil de la piste, à 4 000 pieds asl et sur le faisceau du radiophare d'alignement, le tableau annonciateur de mode affiche un indicateur d'alignement de descente (le symbole G*), signifiant que l'avion avait intercepté la trajectoire d'alignement de descente. L'avion pique d'abord du nez afin de suiVRe le signal de la trajectoire d'alignement de descente puis, à 8 h 55 min 29 s, il commence à se cabrer pour atteindre un angle de 26,7 degrés à 8 h 55 min 44 s. À ce moment-là, le pilote aux commandes débraye le pilote automatique et pousse le mini-manche vers l'avant pour se rétablir. L'action du commandant de bord sur le mini-manche se traduit par un facteur de charge négatif de 0,5 g. Pendant le cabré, l'altitude de l'avion atteint environ 5 000 pieds asl, et sa vitesse diminue à 145 noeuds.
Enregistreurs de bord
Puisque l'accident s'est produit en Allemagne, le German Authorities Federal Bureau of Accident Investigation (BFU) a commencé l'enquête. Le 31 juillet 2002, le BFU a demandé au Canada, l'État de l'exploitant, de mener l'enquête conformément au chapitre 5 de l'annexe 13 de la Convention relative à l'aviation civile internationale.
L'enregistreur des données de vol (FDR) a été déposé de l'avion par le BFU, et les données brutes ont été envoyées électroniquement au Laboratoire technique du BST aux fins d'analyse. Le FDR a enregistré plus de 200 paramètres et environ 25 heures de données, couVRant ainsi la durée du vol en question.
L'enregistreur de conversations de poste de pilotage (CVR) contenait deux heures de données phoniques, 60 minutes de données de vol et 60 minutes de données enregistrées après le vol.
Renseignements sur l'avion
L'appareil était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées. Une évaluation des dommages effectuée après l'événement a révélé que l'avion avait subi des dommages au fuselage, entre les références cellule 68 et 74, et aux lisses 53 droite et 54 gauche.
Renseignements sur l'équipage de conduite
L'équipage de conduite possédait les licences et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol, conformément à la réglementation en vigueur. Les deux pilotes étaient qualifiés comme commandant de bord sur A330.
Le commandant de bord était à l'emploi d'Air Canada depuis plus de 29 ans et il cumulait environ 21 000 heures de vol, dont 300 comme commandant de bord sur A330. Il a réussi sa vérification de compétence pilote initiale comme commandant de bord sur A330 en septembre 2000, et sa vérification de compétence en ligne en novembre 2000. Les dossiers de formation de la compagnie indiquent qu'il a réussi toute la formation périodique obligatoire. Il a réussi sa dernière vérification de compétence en ligne en août 2001. Il était qualifié comme pilote vérificateur agréé sur les avions A330 et A340. Au cours du vol en question, le commandant de bord faisait subir une vérification de requalification en route au pilote non aux commandes.
Le copilote était à l'emploi d'Air Canada depuis plus de 36 ans et il cumulait environ 14 000 heures de vol, dont environ 2 000 comme commandant de bord sur A330. Il a joint le service de la formation en 1991 et a été gestionnaire du service de 1995 à 1996. Il a réussi sa vérification de compétence pilote initiale comme commandant de bord sur A330 en août 1999, et sa vérification de compétence en ligne en octobre 1999. Les dossiers de formation de la compagnie indiquent qu'il a réussi toute la formation périodique obligatoire. Il a réussi sa dernière vérification de compétence en ligne en août 2001. Il était qualifié comme pilote vérificateur agréé sur les avions A330 et A340.
Préparation du poste de pilotage
Pendant la préparation du poste de pilotage, l'équipage de conduite introduit des données dans le MCDU en les tapant sur le bloc-notes. Les données sont ensuite sauvegardées au moyen de la touche de sélection de ligne voisine du champ désiré. Les vitesses de décollage sont introduites à l'aide d'un clavier qui ressemble à celui d'un téléphone. Conformément aux procédures d'utilisation normalisées (SOP), les données ont été introduites par le pilote non aux commandes, contre-vérifiées par le pilote aux commandes et passées en revue lors du breffage effectué pendant les vérifications précédant le décollage. À ce moment-là, la masse estimée au décollage était de 222,7 tonnes métriques, et les vitesses de décollage introduites étaient les suivantes : V1 : 156, VR : 157 et V2 : 162.
Les données finales de chargement ont été fournies à l'équipage de conduite avant le refoulement. La masse au décollage a ainsi été révisée à 221,2 tonnes métriques. Selon les SOP, la masse brute doit être réintroduite si la modification représente une différence de plus de 500 kilogrammes en plus ou en moins. Puisque c'était le cas pour l'avion en cause, le pilote non aux commandes a réintroduit la masse. Il a également réintroduit les vitesses de décollage même s'il n'était pas nécessaire de le faire et malgré le fait que les vitesses fournies au départ par l'ACARS étaient valides pour une masse au décollage se situant entre 219,1 tonnes métriques et 223,6 tonnes métriques.
Habituellement, le commandant de bord fait rouler l'avion tandis que le copilote apporte les modifications de dernière minute aux données relatives à l'itinéraire, à la charge et aux performances planifiés. Après confirmation de l'introduction des bonnes données et un exposé à jour, le pilote aux commandes affiche la page PERF TAKE-OFF sur son MCDU et, juste avant le décollage, lit les vitesses de décollage qui apparaissent sur cette page. D'après les SOP, chaque fois qu'un membre d'équipage apporte des modifications ou effectue des changements à quelque information ou équipement que ce soit dans le poste de pilotage, l'autre membre d'équipage en est informé et accuse réception de l'information. Il n'a pas été possible de déterminer si les vitesses de décollage ont été réintroduites dans le MCDU pendant le refoulement ou pendant le roulage. Cependant, lors de la réintroduction des données, le pilote non aux commandes a tapé 126 comme vitesse V1 au lieu de 156, et cette erreur n'a été détectée par aucun des membres d'équipage.
Le MCDU est conçu pour afficher un message d'erreur si les données dépassent les limites prescrites ou si elles ne sont pas correctement formatées. Dans le cas de l'introduction d'une vitesse de décollage, le message s'affichera seulement si la vitesse introduite est inférieure à 100 noeuds.
Une fois introduites dans le MCDU, les vitesses de décollage sont affichées sur l'échelle de vitesse des deux écrans de vol principaux et elles sont utilisées comme référence par le pilote non aux commandes lorsqu'il annonce « V1 » et « cabrage » pendant la course au décollage. La vitesse V1 est représentée par le chiffre « 1 » sur l'échelle de vitesse ou par la valeur de V1 lorsque celle-ci ne se trouve pas sur l'échelle. La vitesse VR est représentée par un cercle bleu et elle correspond à la valeur introduite dans le MDCU. La vitesse V2 est représentée par l'index de la vitesse cible.
Dans la majorité des décollages d'A330, la différence entre V1 et VR est d'un ou de deux noeuds. Puisque la différence entre ces deux vitesses est habituellement minime, le cercle bleu de la vitesse VR et le chiffre « 1 » sont souvent superposés, et le pilote non aux commandes annoncera généralement « V1 » et « cabrage » l'un après l'autre en succession rapide. Dans l'événement en question, le pilote non aux commandes a annoncé « V1 » alors que l'index de la vitesse de référence s'approchait de « 1 » et il a annoncé « cabrage » immédiatement après. Cette annonce a poussé le pilote aux commandes à amorcer le cabrage à une vitesse bien en deça de la vitesse VR calculée. Puisque la bonne vitesse VR avait été introduite dans le MCDU, le cercle bleu représentant VR ne se trouvait probablement pas sur l'échelle et donc pas visible pour l'équipage de conduite.
Impact de la queue avec le sol
Le bulletin numéro 05/4 du manuel d'exploitation à l'intention des équipages de conduite, publié en mars 1998 par le constructeur, contient des directives visant à éviter des incidents impliquant un contact queue sol. D'après ce bulletin, le cabrage hâtif est l'un des nombreux facteurs qui augmentent les risques d'un tel impact. Plus le cabrage est hâtif, plus les risques de contact queue sol sont grands.
Un cabrage hâtif se produit lorsque le calcul de la vitesse VR est erroné ou lorsque le cabrage est amorcé avant VR, ou les deux. Dans le cas présent, les données du FDR indiquent que le cabrage a été amorcé à une vitesse qui était inférieure de 24 noeuds à la vitesse VR calculée de 157 noeuds. Selon Airbus, l'accident en question est le seul cas d'impact de la queue avec le sol de toute la flotte d'A330 en 787 883 décollages.
Renseignements sur les pistes et l'approche
L'aéroport de Francfort possède deux pistes parallèles, soit les pistes 07L (gauche) et 07R (droite), servant aux décollages et aux atterrissages dans l'axe nord-est, et les pistes 25L et 25R servant aux décollages et aux atterrissages dans l'axe opposé. L'aéroport possède aussi une troisième piste, à savoir la piste 18/36. La piste 25R mesure 13 123 pieds de longueur sur 200 pieds de largeur et possède un pente de 0,27 %. La surface de la piste était sèche au moment de l'événement.
Le système d'alignement de descente ILS pour la piste 25R se trouve sur une ligne parallèle à l'axe de la piste, à environ 300 mètres du seuil de la piste et à environ 140 mètres au sud de l'axe, ce qui est conforme aux normes de l'OACI.
La capacité de chaque sous-système qui constitue l'ILS de fournir des renseignements de guidage fiables et précis dépend principalement de la formation de leur diagramme de rayonnement respectif. La rubrique 2.1.10.3.2 du supplément C de l'annexe 10 de l'OACI, Télécommunications aéronautiques, stipule qu'habituellement, le déplacement ou la circulation au sol d'aéronefs de très grandes dimensions à moins de quelques milliers de pieds de l'antenne d'alignement de descente et directement entre cette antenne et la trajectoire d'approche causera une grave perturbation du signal d'alignement de descente.
Le Aeronautical Information Manual (AIM) (manuel d'information aéronautique), guide officiel publié par la Federal Aviation Administration (FAA) et contenant des renseignements de base relatifs au vol et des procédures ATS, fournit des directives se rapportant à la perturbation des signaux de l'ILS. La section 1-10 k) du AIM stipule que « ous les pilotes deVRaient être au courant des interférences que peuvent subir les faisceaux du radiophare d'alignement de piste de l'ILS et du radiophare d'alignement de descente lorsque des véhicules de surface ou des aéronefs évoluent près du radiophare d'alignement de piste ou de l'antenne d'alignement de descente. La plupart des installations ILS sont sujettes aux interférences de signaux par les véhicules de surface, les avions ou les deux ».
Afin de prévenir autant que possible les interférences avec les signaux de l'ILS, une zone critique de l'ILS - qui comprend une zone critique pour le radiophare ainsi que pour la trajectoire d'alignement de descente - est définie dans le but de protéger les installations ILS contre les interférences que pourrait entraîner le mouvement des aéronefs et des véhicules. La structure des trajectoires et l'intégrité d'un ILS peuvent être compromises lorsque la protection des zones critiques de l'ILS ne peut être assurée.
À l'aéroport de Francfort, la voie de circulation D, passant entre la piste 25R et la voie de circulation C, se situe dans la zone critique de l'antenne d'alignement de descente. Une note sur la feuille de percée de la piste 25R indique que le signal d'alignement de descente peut être perturbé par des avions qui circulent au sol lorsque le plafond est à 1 500 pieds et que la visibilité est de trois milles ou plus, ce qui était le cas lors de l'événement en question. Cette note n'a pas été mentionnée par l'équipage de conduite ni avant ni pendant la phase d'approche. Une procédure ATS permet aux aéronefs de circuler sur ladite portion de la voie de circulation D lorsqu'il existe des conditions météorologiques de vol à vue. D'après cette procédure, lorsque des aéronefs sont autorisés à utiliser la voie de circulation D entre les pistes 25R et 25L, tous les aéronefs établis sur l'ILS de la piste 25R se trouvant à une distance de 12 milles marins ou moins du seuil de la piste doivent être informés de la perturbation possible de la trajectoire d'alignement de descente. L'enquête n'a pas permis de déterminer la position exacte de l'avion qui roulait apparemment dans les environs, ni le type d'appareil dont il s'agissait; cependant, il est raisonnable de croire que cet avion se trouvait sur la voie de circulation D puisque la piste 25R était aussi utilisée pour les départs et que, comme leurs procédures l'exigent, les services de la circulation aérienne ont signalé la possibilité de perturbations de la trajectoire d'alignement de descente.
Bien qu'aucune fluctuation importante du signal de l'ILS n'ait été signalée pour les pistes de l'aéroport de Francfort au cours des dernières années, des situations similaires se sont produites à d'autres aéroports. Le numéro 3/2002 du bulletin Sécurité aérienne - Nouvelles publié par Transports Canada contient un article intitulé « Panne du système ILS - Leçon gratuite » qui décrit un incident au cours duquel, sans avertissement quelconque dans le poste de pilotage, un équipage a suivi une trajectoire de descente non valide alors que les indications affichées dans le poste de pilotage étaient normales. L'équipage a effectué une approche interrompue lorsqu'il s'est rendu compte qu'il était trop bas pour la distance qui le séparait du terrain.
Pendant une approche de précision, les équipages de conduite utilisent un équipement ILS de bord qui les guide latéralement et verticalement et ils utilisent d'autres équipements décrits sur une feuille de percée pour valider le guidage fourni par l'équipement ILS au sol. La feuille de percée pour l'ILS desservant la piste 25R indique que les équipages deVRaient prévoir l'interception de la trajectoire de descente à 4 000 pieds asl au-dessus de l'intersection REDGO, située à 11,2 nm du seuil de la piste 25R. Dans le cas présent, l'avion se trouvait à 4 000 pieds asl et à environ 17 milles du seuil de la piste lorsque l'équipage a reçu l'indication qu'il avait intercepté la trajectoire de descente.
Lorsqu'un appareil est établi sur un faisceau de radiophare d'alignement de piste et qu'il est en cabré inhabituel, on peut dire que son assiette est « anormale », et une telle situation nécessite une réaction rapide de la part de l'équipage de conduite en vue d'un rétablissement. Selon les SOP, les paramètres de vol deVRaient être surveillés attentivement par les deux pilotes pendant la phase d'approche finale. Le pilote aux commandes annonce les changements affichés sur le tableau annonciateur de mode, et le pilote non aux commandes annonce les écarts. Une assiette en tangage d'un angle supérieur à 10 degrés est l'un des nombreux écarts devant être annoncés. Aucune annonce de la sorte n'a été faite au cours de l'événement en question. Les SOP stipulent que le pilote automatique deVRait être débrayé s'il ne guide pas l'avion comme il se doit. Le pilote automatique n'a été débrayé que lorsque l'avion a atteint un cabré de 26,7 degrés à environ 1 000 pieds au-dessus de l'altitude à laquelle l'avion avait été autorisé à évoluer.
Analyse
L'état de navigabilité et les conditions météorologiques n'ont contribué en rien aux deux problèmes survenus au cours de l'événement en question. L'analyse sera divisée en deux parties (contact queue- sol et autocabrage) puisque deux événements distincts et non reliés se sont produits au cours du vol en question.
Contact queue-sol
La queue de l'avion a touché la surface de la piste alors que ce dernier se trouvait dans un cabré d'environ 10,4 degrés. Cette situation laisse croire que les amortisseurs oléopneumatiques étaient presque entièrement comprimés à cause d'une portance insuffisante découlant d'un cabrage hâtif, ce qui a réduit la distance entre la queue et la piste à un tel point que la queue a touché la surface de la piste.
Le cabrage hâtif s'est produit en raison d'une erreur dans la vitesse V1. Il n'a pas été possible de déterminer pourquoi ni le pilote aux commandes ni le pilote non aux commandes n'a remarqué l'écart considérable qui existait entre V1 et VR lorsque le pilote aux commandes a lu les vitesses affichées sur le MCDU juste avant la course au décollage. Il est possible que le pilote non aux commandes n'ait pas remarqué l'écart à ce moment-là parce qu'ayant introduit lui-même les données, il avait entendu ce qu'il s'attendait à entendre. Pendant le décollage, le pilote non aux commandes a annoncé, comme il le fait d'habitude, la vitesse V1 dès qu'il a vu l'index de la vitesse de référence atteindre « 1 » sur l'écran de vol principal, et il a immédiatement annoncé « cabrage ». Si les deux membres de l'équipage de conduite avaient eu une bonne idée de la situation durant la course au décollage, ils auraient remarqué l'absence du cercle bleu qui est habituellement superposé au chiffre « 1 » ou il aurait remarqué que la vitesse indiquée réelle était bien en deça de la vitesse de cabrage de 157 noeuds mentionnée pendant l'exposé.
Grâce aux SOP, de nombreuses contre-vérifications des vitesses de décollage introduites dans le MCDU auraient pu permettre l'identification des erreurs, à savoir, au moment de l'introduction initiale, du breffage en vue du décollage, de la seconde introduction des données et avant le décollage. Il était nécessaire, selon les SOP, de réintroduire les nouvelles données de chargement, mais le pilote non aux commandes n'avait pas à réintroduire également les vitesses de décollage puisqu'elles étaient les mêmes pour la masse réelle au décollage et pour la masse estimée au décollage initiale. La réintroduction des vitesses de décollage a fait augmenter les risques d'erreur, et une erreur s'est effectivement produite lorsque le pilote non aux commandes a introduit une vitesse V1 de 126 au lieu de 156.
Une telle erreur se classe dans la catégorie des erreurs de substitution, où une valeur qui devait être introduite est remplacée par une donnée erronée. Les erreurs de substitution se produisent lorsque des données font l'objet au départ d'une faute de lecture, lorsque de fausses données sont introduites ou lorsqu'il se produit une erreur humaine au moment de l'introduction des données. Il n'a pas été possible de déterminer la nature exacte de l'erreur de substitution dans le cas présent. Il est toutefois possible que la touche « 2 », qui se trouve directement au-dessus de la touche « 5 » sur le clavier du MCDU, ait été enfoncée par inadvertance.
Le commandant de bord n'a rien remarqué lorsque le pilote non aux commandes a introduit une vitesse V1 de 126 au lieu de 156. Toute contre-vérification nécessite l'attention de l'équipage de conduite et sous-entend que la confirmation et la validation des données qui font l'objet des contre-vérifications sont exactes. Dans le cas présent, les vitesses de décollage ont été contre-vérifiées avant l'atteinte de la position de décollage sur la piste, mais l'exactitude des données n'a pas été validée. Sans aucun message d'avertissement ou d'erreur dans le poste de pilotage, il était primordial de faire preuve de discipline aéronautique et d'avoir une bonne conscience de la situation pour pouvoir détecter l'erreur et la corriger.
Autocabrage de l'avion
L'enquête a révélé que l'autocabrage a été causé par un signal d'aligmement de piste erroné, probablement attribuable à l'avion circulant au sol. Le signal d'alignement de piste enregistré reçu par les deux récepteurs ILS de bord présentait une grande fluctuation. Lorsque le signal d'alignement de piste a été perturbé par un avion qui circulait au sol, le signal a été déformé vers le bas pour aller intercepter l'altitude réelle de l'avion. L'équipement ILS de bord a reçu un signal d'écart d'alignement de piste de zéro. Le pilote automatique, qui était embrayé et couplé à l'équipement ILS de bord, a intercepté le signal et l'a suivi lorsqu'il est revenu en position normale, ce qui a entraîné l'autocabrage.
La philosophie de conception du système de pilote automatique de l'A330 vise la réduction de la charge de travail opérationnelle du pilote. Cette philosophie ne signifie pas pour autant que le pilote est libéré de sa responsabilité de maintenir une excellente conscience de la situation. Dans l'événement en question, il s'est écoulé 15 secondes entre le début de l'autocabrage de l'avion et le débrayage du pilote automatique, ce qui indique une perte de conscience de la situation. Pendant ce temps, l'avion a gagné environ 1 000 pieds en altitude, une situation qui aurait pu entraîner un conflit avec d'autres avions dans les environs. De plus, si le pilote non aux commandes avait annoncé l'écart de l'assiette conformément aux SOP, le pilote aux commandes aurait pu prendre des mesures correctives plus tôt qu'il ne l'a fait.
Bien qu'il soit préférable que l'accès aux zones critiques soit complètement interdit aux véhicules de surface, il est habituellement difficile d'appliquer une telle mesure puisque accéder à la piste, aux zones terminales et aux aires de trafic et en sortir nécessitent des déplacements dans les zones critiques. La piste 25L était aussi utilisée pour les décollages; c'est pourquoi les avions stationnés du côté nord du terrain étaient autorisés à rouler sur la voie de circulation D afin d'atteindre le seuil de la piste 25L.
Puisque des conditions météorologiques de vol à vue prévalaient, les services de la circulation aérienne ont suivi leurs procédures et ont averti l'avion qui se trouvait à 12 nm du seuil de la piste qu'il était possible que le signal d'alignement de piste soit perturbé. Le vol 875 d'Air Canada se trouvait à ce moment-là en approche finale à plus de 12 nm, c'est pourquoi il n'était pas nécessaire d'informer l'équipage de conduite de la possibilité de perturbation. Si l'équipage de conduite avait effectué un exposé adéquat avant ou pendant la phase d'approche, il aurait probablement remarqué la note figurant sur la feuille de percée faisant état des possibilités de fluctuations du signal d'alignement de descente, ce qui l'aurait préparé à une telle éventualité.
Le guidage erroné découlant d'une fluctuation de signal est un phénomène connu. Les pilotes croient en général que l'équipement ILS est extrêmement précis et fiable, ce qui est VRai dans la plupart des cas. Les données utilisées pour guider l'avion viennent d'une combinaison de signaux, et si l'un de ces signaux n'est pas émis correctement, l'avion receVRa des données de guidage erronées. Un tel guidage erroné peut entraîner des indications comme « sur la trajectoire » ou « sur la trajectoire de descente » peu importe la position réelle de l'avion, sans qu'aucun drapeau ou avertissement sonore ne prouve le contraire aux personnes présentes dans le poste de pilotage, comme c'était le cas dans le présent événement. Cependant, même si l'équipage de conduite n'a pas été averti que le signal d'alignement de descente était erroné, il aurait pu remarquer qu'il se trouvait trop loin du seuil pour être sur l'alignement de descente s'il avait comparé la distance réelle qui le séparait du seuil avec la distance figurant sur la feuille de percée.
Rien dans l'expérience et la formation collective de l'équipage de conduite n'a préparé ce dernier à ce type de défaillance parce que, en général, l'équipage de conduite, lorsqu'il reçoit une formation en simulateur, est confronté à des défaillance d'ILS qui comprennent des avertissements clairs dans le poste de pilotage. Lorsqu'un tel avertissement est donné, la réaction de l'équipage de conduite est généralement rapide. L'équipage possédait néanmoins assez d'expérience pour reconnaître la situation « d'assiette anormale » et la corriger, mais il n'a pas pris les mesures nécessaires en temps opportun.
Les conséquences associées à un signal d'alignement de descente erroné peuvent être catastrophiques. Dans le cas présent, le signal erroné a causé l'autocabrage de l'avion, mais il aurait pu causer le contraire. Si un avion qui se trouve près du sol pique du nez à cause d'un signal d'alignement de descente erroné et que l'équipage ne détecte pas rapidement la situation, cet avion pourrait percuter le sol.
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L'erreur commise lors de l'introduction de la vitesse n'a pas été décelée malgré les mécanismes de protection mis en place par les SOP. Aucun des membres d'équipage n'a décelé l'écart inhabituel et incorrect entre V1 et VR lorsque le pilote aux commandes a fait la lecture des vitesses juste avant le décollage. L'absence sur les deux écrans de vol principaux du cercle bleu représentant la vitesse de cabrage n'a été remarquée ni durant la course au décollage ni pendant les annonces faites au décollage. Pendant l'approche, l'équipage de conduite n'a pas validé l'interception de la trajectoire d'alignement de piste en se servant des données figurant sur la feuille de percée, ce qui aurait pu indiquer que l'avion était trop loin du seuil pour intercepter le signal d'alignement de piste. Contrairement aux SOP, aucune annonce d'écart n'a été faite par le pilote non aux commandes durant l'autocabrage, et le pilote aux commandes n'a pas débrayé le pilote automatique lorsqu'il s'est rendu compte que ce dernier ne guidait pas l'avion comme il se devait. Même si le contact queue-sol et l'autocabrage ne sont pas reliés, il y avait un manque manifeste de discipline aéronautique et de conscience de la situation dans les deux cas. Il est possible qu'une absence de rapport hiérarchique dans le poste de pilotage ait joué un rôle dans l'événement puisque les deux pilotes avaient de l'expérience, qu'ils étaient tous les deux des pilotes en chef et des pilotes vérificateurs agréés. Même si une atmosphère professionnelle régnait dans le poste de pilotage, il est possible que l'absence de rapport hiérarchique ait contribué à une attitude plus détendue lorsqu'il s'agissait de contre-vérifier les actions et les données de l'un et de l'autre.
L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :
- LP 071/2002 – CVR FDR Analysis (Analyse du CVR et du FDR)
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le pilote non aux commandes a introduit par inadvertance dans le MCDU une vitesse V1 erronée. Cette vitesse erronée n'a été décelée par aucun des membres d'équipage malgré toutes les occasions qui se sont présentées à eux.
- Le pilote non aux commandes a annoncé « cabrage » à une vitesse inférieure de 25 noeuds à la vitesse de cabrage prescrite et calculée.
- Le pilote aux commandes a amorcé le cabrage à une vitesse inférieure de 24 noeuds à la vitesse de cabrage prescrite et calculée, et la queue de l'avion a touché la surface de la piste.
- Le signal d'alignement de piste était sans aucun doute perturbé par un avion qui circulait au sol, ce qui a fourni au pilote automatique des données erronées et a entraîné l'autocabrage. L'autocabrage aurait pu être moins important si le pilote automatique avait été débrayé plus tôt par le pilote aux commandes.
Faits établis quant aux risques
- À part les contre-vérifications appropriées conformément aux SOP et les vitesses affichées sur les écrans de vol principaux, l'équipage de conduite n'avait aucun autre moyen de savoir qu'une vitesse erronée avait été introduite dans le MCDU. Une perte de conscience de la situation et un manque de discipline aéronautique ont contribué à la non détection de la vitesse erronée.
- Aucun avertissement n'a été fourni à l'équipage de conduite dans le poste de pilotage pour indiquer que l'équipement de bord recevait un signal d'alignement de descente erroné. Si l'équipage de conduite avait remarqué l'information figurant sur la feuille de percée, il est probable que le pilote aux commandes aurait été mieux préparé et qu'il aurait réagi en conséquence.
- Conformément à la procédure des services de la circulation aérienne, ces derniers n'ont pas informé directement l'équipage de conduite de la possibilité de perturbation du signal d'alignement de piste causée par un avion qui circulait au sol parce que l'avion en question ne se trouvait pas à 12 nm ou moins du seuil.
- Le pilote aux commandes a laissé l'avion monter de 1 000 pieds durant l'autocabrage, ce qui aurait pu causer un conflit avec d'autres appareils.
Autres faits établis
- Même si une atmosphère professionnelle régnait dans le poste de pilotage, il est possible que l'absence de rapport hiérarchique ait contribué à une attitude plus détendue lorsqu'il s'agissait de contre-vérifier les actions et les données de l'un et de l'autre pilote.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. La publication de ce rapport a été autorisée par le Bureau le .