Sortie de piste
du Boeing 747-428 F-GITC
exploité par Air France
à l'aéroport international de Montréal/Pierre-Elliott-Trudeau (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
À 14 h 56, temps universel coordonné (UTC), le Boeing 747-428 d'Air France, immatriculé F-GITC, de numéro de série 25344, qui assure une liaison régulière de Paris à Montréal, décolle de l'aéroport international de Paris-Charles de Gaulle en France sous l'indicatif AFR346 avec 491 passagers et 18 membres d'équipage à son bord. À 21 h 45 UTC, l'avion se pose sur la piste 24R de l'aéroport international de Montréal/Pierre-Elliott-Trudeau. Pendant la course à l'atterrissage, l'appareil se déporte sur la droite; l'équipage tente de corriger tout en serrant les freins au maximum. Quand l'avion s'immobilise, le train d'atterrissage avant est à 26 pieds en dehors du bord droit de la piste et le train principal est toujours sur la piste. L'incident ne fait aucun blessé, et les passagers de l'avion sont transférés dans des véhicules transbordeurs de passagers. Une inspection après vol ne révèle aucun dommage à l'avion ni aucun mauvais fonctionnement d'un système.
Autres renseignements de base
Renseignements météorologiques
Les conditions météorologiques signalées au moment de l'atterrissage étaient les suivantes : quelques nuages épars à 24 000 pieds au-dessus du sol (agl), visibilité de 30 milles terrestres et vent du 290 °MFootnote 1 à 5 nœuds. Rien n'indique que les conditions météorologiques aient joué un rôle dans l'incident.
Renseignements sur l'aérodrome
La piste 24R mesure 11 000 pieds de longueur sur 200 pieds de largeur, et sa surface est en asphalte/béton. La piste est orientée au 238 °M. Les inspections de la piste effectuées le jour de l'incident n'ont révélé aucune anomalie qui aurait pu avoir un effet sur l'atterrissage. La surface de la piste était sèche au moment de l'atterrissage du F-GITC.
La procédure d'atterrissage et d'attente à l'écart (LAHSO) était en vigueur à l'aéroport. Cette procédure permet des décollages et des atterrissages simultanés quand le contrôleur donne à un aéronef à l'atterrissage l'instruction spécifique de rester à l'écart de la piste ou de la voie de circulation sécante, ou encore d'un point de tenue à l'écart désignéFootnote 2. Si l'autorisation d'atterrissage ne comporte pas de directive spécifique de tenue à l'écart, la procédure LAHSO n'est pas en vigueur. La procédure LAHSO n'a pas été utilisée pour l'atterrissage qui a mené à l'incident, et toute la longueur de piste était disponible.
Renseignements sur l'équipage
Les membres de l'équipage de conduite possèdent les licences et les qualifications nécessaires au vol et en vertu de la réglementation en vigueur. Dans les jours qui ont précédé l'incident, le commandant de bord et le copilote ont bénéficié respectivement de 2 et 6 jours de repos. Au moment de l'incident, l'équipage était en service depuis quelque 9 heures.
Le commandant de bord a plus de 10 000 heures de vol à son actif. Au cours de ses 18 années de service dans son emploi actuel, il a été copilote sur Boeing 737 (B737) pendant 2 ans et copilote sur Boeing 747-400 (B744)Footnote 3 pendant 12 ans. Il a ensuite été promu commandant de bord sur Airbus 320 (A320), poste qu'il a occupé pendant 4 ans avant de retourner voler comme commandant de bord sur B744. Sa formation de transition a comporté 10 vols d'entraînement en ligne, suivis d'une vérification en ligne satisfaisante qui a eu lieu le 29 juin 2008. Après être passé commandant de bord sur B744, il a effectué 18 vols avant le vol ayant mené à l'incident. Il en était à son 10e atterrissage en qualité de pilote aux commandes (PF).
Le copilote a quelque 6000 heures de vol à son actif. Au cours de ses 10 années de service dans son emploi actuel, il a volé sur B737 pendant 4 ans, et en qualité de copilote sur B744 pendant 6 ans.
Déroulement du vol
L'avion a décollé de l'aéroport international de Paris-Charles de Gaulle (LFPG) en France à 14 h 56Footnote 4. Le départ, la croisière, la descente et l'arrivée du vol se sont déroulés sans incident. L'équipage a exécuté une approche directe sur la piste 24R de l'aéroport international de Montréal/Pierre-Elliott-Trudeau (CYUL) dans des conditions météorologiques de vol à vue (VMC) avec un vent léger. À 21 h 44, l'avion a franchi le seuil de piste alors qu'il était stabilisé dans une configuration où les volets étaient sortis à 30°, les déporteurs sol étaient armés et le système de freinage automatique était à la position trois, conformément aux procédures d'utilisation normalisées (SOP) d'Air France. L'avion a touché des roues à l'intérieur de la zone de toucher des roues de la piste, les déporteurs sol sont sortis automatiquement et les inverseurs de poussée ont été actionnés. La décélération longitudinale a été constante, et le cap de l'avion est demeuré à moins de 1° du cap de piste grâce à de petites sollicitations sur la gouverne de direction. À 80 nœuds, la poussée a été réglée au ralenti inverse. À quelque 65 nœuds, le commandant de bord (en qualité de PF) a mis sa main sur la commande d'orientation du train avant (tiller) et l'avion a amorcé un virage à droite qu'il a corrigé avec une application momentanée de la gouverne de direction à gauche. L'avion a poursuivi sa course sur l'axe de piste alors que la commande d'orientation du train avant pointait légèrement vers l'avant (train avant braqué à droite).
À quelque 45 nœuds, alors que les inverseurs de poussée étaient rentrés et que les freins automatiques étaient débrayés, l'avion a viré à droite. Le pilote a déplacé la commande d'orientation du train avant vers l'avant et a mis plein gouvernail de direction à gauche dans l'espoir de corriger, mais le taux de virage a augmenté rapidement. Les freins ont été serrés au maximum et, à 21 h 48, l'avion s'est immobilisé sur un cap au 277 °M, avec le train d'atterrissage avant à 26 pieds à l'extérieur du bord droit de la piste (Photo 1).
L'équipage a annoncé au contrôleur de la tour que l'avion avait quitté la piste. Les moteurs intérieurs ont été coupés, le groupe auxiliaire de bord (APU) a été démarré, et les autres moteurs ont été coupés à 21 h 49. La phase d'alerteFootnote 5 a été déclenchée par le commandant de bord qui a ordonné aux membres du personnel de cabine au moyen du système d'annonce passagers (PA) de se rendre à leur poste et de se tenir prêts pour une évacuation, conformément au Manuel Sécurité-Sauvetage Systèmes, Généralités (MSS.GEN 07.35.02) d'Air France.
Les véhicules de sauvetage et de lutte contre les incendies d'aéronefs (SLIA) sont arrivés sur les lieux moins de deux minutes après le déclenchement de l'alarme. Le contact a été établi avec l'équipage de conduite pour vérifier la quantité de carburant et le nombre de personnes à bord et pour évaluer la nécessité d'une assistance médicale. Après avoir vérifié la température des freins des roues, le personnel SLIA a annoncé que l'on pouvait s'approcher de l'avion sans danger. Le commandant de bord a ensuite utilisé le PA pour annoncer la fin de la phase d'alerte au personnel de cabine et pour informer les passagers que la situation était maîtrisée. À 21 h 52, l'équipage a demandé des véhicules pour assurer le transport des passagers. Les véhicules sont arrivés sur les lieux une trentaine de minutes plus tard.
Activités après vol
Les travaux autour de l'avion ont commencé vers 22 h 20 en vue de sa préparation pour un éventuel remorquage jusqu'à l'aire de trafic. Du matériel lourd a été positionné autour de l'avion et des plaques en métal ont été placées derrière le train avant, recouvrant ainsi les traces laissées par les pneus du train dans le gazon. On a procédé à ces travaux sans consulter au préalable les enquêteurs du BST. Plusieurs des parties concernées ont indiqué qu'elles n'étaient pas certaines de la nécessité de protéger les lieux de l'incident et de la nécessité de conserver les éléments de preuve à la suite d'un incident aéronautique à signaler.
Aéroports de Montréal (ADM) est responsable des mesures prises à la suite d'un accident ou d'un incident à l'aéroport de Montréal (CYUL). On utilise le plan des mesures d'urgence (PMU) comme outil de gestion des mesures d'urgence pour établir les lignes directrices, les directives et les procédures, et pour définir les rôles et les responsabilités des principaux organismes qui interviennent. Le manuel PMUFootnote 6 en usage au moment du présent incident ne traitait que des accidents d'aéronefs et il ne renfermait aucune disposition relative aux incidents aéronautiques à signaler définis dans le Règlement sur le Bureau de la sécurité des transports.
Le Manuel d'information aéronautique (AIM)Footnote 7 de Transports Canada renferme des lignes directrices qui stipulent : « il est interdit à quiconque de déplacer quoi que ce soit ou de toucher à quoi que ce soit sur les lieux d'un fait aéronautique, y compris l'aéronef en cause ». Cependant, la version anglaise de l'AIM ne renferme aucune disposition spécifique relative à la protection de l'aéronef et des lieux de l'incident, dans le cas d'un incident aéronautique à signaler.
Lorsque les enquêteurs du BST sont arrivés sur les lieux, tous les passagers et membres d'équipage avaient débarqué de l'avion. L'appareil était entouré de personnel et d'équipement qui se déplaçaient à proximité du lieu de l'incident.
Renseignements sur l'aéronef
L'avion était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées. Rien n'indique qu'il y ait eu une défaillance de la cellule ou un mauvais fonctionnement d'un système pendant le vol. Des travaux de maintenance effectués après l'incident n'ont révélé aucune anomalie qui aurait pu avoir un effet sur le contrôle directionnel de l'avion, comme le dispositif d'orientation du train avant, les freins, les moteurs, les inverseurs de poussée, les déporteurs et les aérofreins.
Dispositif d'orientation du train avant
Le dispositif hydraulique d'orientation du train avant est actionné à l'aide d'une commande pour chaque pilote et constitue le contrôle primaire de l'avion au sol à basse vitesse (Photo 2). Un déplacement de la commande de 150° dans le sens des aiguilles d'une montre fait tourner le train avant jusqu'à l'angle de braquage maximal de 70° vers la droiteFootnote 8. Sur la commande, un pointeur indique la position par rapport à la position neutre/centrée.
Près du pointeur se trouve également une affichette d'avertissement avisant le personnel de ne pas tenir ni tourner la commande pendant le remorquage de l'avion (Photo 3)Footnote 9.
On peut utiliser le palonnier pour faire tourner le train avant de 7° vers la droite ou vers la gauche et pour garder la maîtrise en direction pendant la course à l'atterrissage avant d'atteindre la vitesse de roulage. La vitesse de roulage normale est de l'ordre de 20 nœuds et elle peut atteindre 30 nœuds sur les longues voies de circulation rectilignes, selon la masse de l'avion et la distance de roulageFootnote 10. D'après le manuel de formation de l'équipage de conduite du B744, il ne faut pas utiliser la commande du dispositif d'orientation du train avant tant que la vitesse de roulage n'a pas été atteinteFootnote 11. Pour ce qui est de l'orientation du train avant, les actions sur la commande d'orientation du train avant surpassent l'efficacité du palonnier.
Le palonnier provoque également le braquage des gouvernes de direction; ces gouvernes sont efficaces à des vitesses supérieures à 60 nœuds. Donc, à plus de 60 nœuds, pendant la course à l'atterrissage, les forces aérodynamiques exercées par les gouvernes de direction peuvent surpasser les commandes de virage du train avant transmises par la commande d'orientation et provoquer le dérapage des roues du train avant ainsi orientées.
Commande d'orientation du train avant du Boeing 744
La conception de la commande d'orientation du train avant du B744 remonte à la fin des années 1960. Les commandes d'orientation du train avant nécessitaient que l'on obtienne un gain mécanique tout en conservant une longueur de levier minimale. Pour des questions de conception, on a proposé une poignée pivotante qui facilitait la préhension tout en évitant les angles incorrects du poignet, en cours d'utilisation. Le dégagement limité disponible pour la course d'une commande d'orientation horizontale nécessitait que l'on place la commande hors axe et dans le plan vertical.
La position verticale de la commande d'orientation oblige à recourir à un déplacement avant-arrière pour faire virer l'avion au sol. Le déplacement vers l'avant de la commande gauche provoque un virage à droite tandis que son déplacement vers l'arrière provoque un virage à gauche. La commande de droite fonctionne en sens inverse : un déplacement vers l'avant provoque un virage à gauche et un déplacement vers l'arrière, un virage à droite. Sur plusieurs autres avions, la commande d'orientation du train avant fonctionne dans un plan horizontal et fait appel à un déplacement gauche-droite pour faire virer l'avion à gauche et à droite. L'utilisation d'un plan horizontal par opposition à un plan vertical offre une meilleure compatibilité en matière de déplacement des commandesFootnote 12. Le passage du siège droit au siège gauche sur le B744, ou d'une commande à déplacement horizontal à une commande à déplacement vertical, accroît le risque de transfert négatif, ce qui peut nuire au comportement habituel, en particulier dans des situations où le temps est critiqueFootnote 13. L'historique du B744 ne fait état d'aucun cas de perte de maîtrise au sol, avant le présent incident, en rapport avec la position et le déplacement de la commande d'orientation du train avant.
Même s'il est recommandé de pousser légèrement sur le manche pendant la course au décollage pour que les pneus du train avant adhèrent mieux à la surface de la piste, il n'existe aucune recommandation similaire pour une course à l'atterrissage se déroulant dans des conditions normales. Cependant, pendant la première partie de la course à l'atterrissage du vol ayant mené à l'incident, le PF a poussé sur le manche (mouvement de piqué), ce qui a augmenté le poids sur le train avant.
Le déplacement du bras du pilote vers l'avant lorsque le pilote pousse presque à fond sur le manche équivaut à un déplacement de la commande d'orientation du train avant de 50 à 60° vers l'avant (Photo 4), ce qui se traduit par un braquage du train avant de 25 à 30° vers la droite.
Commande d'orientation du train avant de l'Airbus 320
Les commandes d'orientation du train avant sur le A320 que le commandant de bord pilotait avant de piloter le B744 sont situées à la hauteur des genoux des deux pilotes (Photo 5). Ces commandes fonctionnent dans un plan horizontal et leur déplacements gauche-droite font virer l'avion au sol. Pour manipuler l'une ou l'autre des commandes, on baisse le bras, on saisit le dessus de la poignée et on déplace la commande d'un mouvement du poignet. La commande d'orientation du train avant de l'A320 est située plus bas et plus vers l'extérieur que la commande du B744.
Système de freinage automatique
Le système de freinage automatique permet cinq taux de décélération de l'avion au moment de l'atterrissage. Le freinage commence lorsque toutes les manettes des gaz sont en position fermée (ralenti), que le mode au sol est détecté et qu'il y a eu rotation des roues. Pour conserver le taux de décélération sélectionné, il y a réduction de la pression du système de freinage automatique, car les inverseurs de poussée et les déporteurs contribuent à la décélération totale. Le freinage symétrique des quatre trains principaux procure une stabilité en direction qui se traduit par une résistance aux variations de cap lors de la décélération. Ce système procure un freinage jusqu'à ce qu'il y ait arrêt complet de l'avion ou jusqu'à ce que le système soit désarmé. Air France recommande de régler le freinage automatique sur la position trois pour toutes les utilisations normalesFootnote 14. L'équipage avait sélectionné ce réglage pour l'atterrissage, et il y a eu débrayage du système au moment du freinage au pied survenu à une vitesse de 45 nœuds pendant la course à l'atterrissage, conformément aux SOP de la compagnie.
Inverseurs de poussée
Chaque moteur est équipé d'un inverseur pneumatique de poussée d'air de la soufflante alimenté par l'air de prélèvement du moteur. Lorsque l'avion est au sol et que les manettes des gaz commandant la poussée avant sont en position fermée, on déploie les inverseurs de poussée en tirant sur les manettes d'inversion de poussée jusqu'au cran de ralenti. Une fois les inverseurs de poussée complètement déployés, on peut tirer sur les manettes d'inversion de poussée jusqu'à la poussée inverse maximale. On maintient habituellement la poussée inverse jusqu'à ce que la vitesse avoisine les 60 nœuds, avant de la réduire de manière à atteindre le ralenti de la poussée inverse avant d'arriver à la vitesse de roulage. Les inverseurs de poussée ont été utilisés conformément aux SOP d'Air France.
Aérofreins et déporteurs sol
Au sol, on peut déplacer le levier des aérofreins pour commander les 12 panneaux individuels des déporteurs vol et sol jusqu'à leur déploiement total. On peut également armer le système pour un déploiement automatique à l'atterrissage. Lors du vol ayant mené à l'incident, les aérofreins étaient en position armée pour l'atterrissage et ils se sont déployés de façon normale au début de la course à l'atterrissage.
Enregistreur de la parole dans le poste de pilotage
Le F-GITC est équipé d'un enregistreur de la parole dans le poste de pilotage (CVR) à semi-conducteurs SSCVR de marque Honeywell (réf. 980-6022-001, numéro de série CVR120-04850) d'une durée d'enregistrement de deux heures. Boeing offre en option un système qui coupe automatiquement l'alimentation du CVR cinq minutes après l'arrêt des moteursFootnote 15. Le F-GITC n'était pas équipé de ce système, mais il n'y a aucune exigence réglementaire à cet égard. Pour protéger les données critiques du CVR à la suite d'un événement, et quand il est possible de le faire en toute sécurité, on peut tirer sur le disjoncteur du CVR pour désactiver le CVR. On n'a pas tiré sur le disjoncteur après le présent incident, et les 51 premières minutes d'information sonore suivant l'incident ont été oblitérées. Le CVR a cessé d'enregistrer environ 171 minutes après l'incident.
D'après le manuel intitulé Généralités Opérations (GEN.OPS)Footnote 16 d'Air France, cet événement est défini comme un incident graveFootnote 17. La section 6 du manuel GEN.OPS donne au commandant de bord l'option de protéger le CVR s'il le juge nécessaire pour l'analyse de l'événement. Cependant, la liste de vérifications figurant à la section 8 requiert que l'on protège le CVR en tirant sur le disjoncteur du CVR, conformément au manuel Techniques d'utilisation (TU)Footnote 18. Pendant les activités après vol qui ont suivi le présent incident, l'équipage n'a pas consulté le manuel TU et il n'a pas réussi à repérer le disjoncteur.
Enregistreur à accès rapide
L'enregistreur à accès rapide (QAR) à bord du F-GITC est un enregistreur de données Penny & Giles portant la référence D51434-1 et le numéro de série 1041/08/92. Le QAR n'enregistre pas la position de la commande d'orientation du train avant ni le braquage du train avant. Aucun autre paramètre enregistré par le QAR n'a permis de faire avancer l'enquête.
Enregistreur numérique de données de vol
Le F-GITC est équipé d'un enregistreur numérique de données de vol (DFDR) à semi-conducteurs SSFDR de marque Honeywell portant la référence 980-4700-042 et le numéro de série SSFDR-09535. Des tracés DFDR ont été générés pour le vol en entier, jusqu'à quelque 4 minutes après l'immobilisation de l'avion, lorsque tous les moteurs ont été coupés. Le DFDR n'enregistre pas le déplacement de la commande d'orientation du train avant ni le braquage du train avant.
Enregistrement d'images (vidéo)
La recommandation de sécurité A03-08 du BST proposait que « les autorités réglementaires élaborent des exigences harmonisées pour équiper les aéronefs de systèmes d'enregistrement d'images qui comprendraient la représentation du poste de pilotage » afin de fournir « aux enquêteurs un moyen objectif et fiable de déterminer rapidement ce qui s'est passé ». Cette recommandation appuyait des recommandations semblables (A-00-30 et A-00-31) émises en l'an 2000 par le National Transportation Safety Board (NTSB) des États-Unis proposant la mise en œuvre de systèmes d'enregistrement d'images sur les aéronefs exploités en vertu des parties 121, 125 ou 131 du 14 Code of Federal Regulations. Dans sa réponse, Transports Canada a appuyé la recommandation du BST, mais des exigences harmonisées n'ont pas été élaborées. La Federal Aviation Administration (FAA) des États-Unis a appuyé les recommandations du NTSB et produit une « validation de concept » qui pourrait se traduire par l'établissement de règles par la FAA.
Le BST estime encore que la réponse à cette recommandation dénote une « intention satisfaisante ».
Traces de dérapage laissées par les pneus sur la piste
Les traces de dérapage laissées par le train avant commencent en ligne droite sur l'axe de piste et continuent sur les marques d'axe de piste et de chaque côté du balisage lumineux d'axe de piste sur une distance d'environ 600 pieds; les traces de dérapage se dirigent ensuite vers le bord droit de la piste, ce qui donne une distance de dérapage de 1160 pieds environ (Photo 6). Le train avant s'est immobilisé à 26 pieds à l'extérieur du bord droit de la piste.
Les traces de dérapage laissées par les pneus du train principal débutent à quelque 800 pieds de l'endroit où le train avant s'est mis à déraper et elles s'étendent sur quelque 210 pieds. Les pneus du train principal droit se sont immobilisés à 9 pieds du bord de la piste (Photo 7).
Les données sur l'accélération longitudinale extraites du DFDR correspondent aux traces de dérapage mesurées sur la surface de la piste et permettent de déterminer la chronologie des événements. De plus, les données sur l'accélération latérale extraites du DFDR et enregistrées au moment où ont commencé les traces de dérapage, combinées à un léger virage à droite et à un momentané à gauche de la gouverne de direction, confirment la synchronisation des données DFDR et des traces de dérapage relevées sur la piste.
La synchronisation des données DFDR a permis de générer la séquence d'événements suivante : (Figure 1) :
No | Heure | Vitesse (en nœuds) | Événement |
---|---|---|---|
1 | 21:45:12 | 66 | Le manche revient à la position neutre après un déplacement vers l'avant; il y a accélération latérale vers la droite, suivie d'une correction de courte durée de la gouverne de direction vers la gauche. |
2 | 21:45:13 | 63 | Début des traces de dérapage du train avant sur l'axe de piste en raison d'un braquage du train avant d'environ 25° |
3 | 21:45:19 | 47 | Rentrée des inverseurs |
4 | 21:45:20 | 45 | Débrayage du freinage automatique; les traces de dérapage du train avant s'éloignent de l'axe de piste; le cap de l'avion augmente. |
5 | 21:45:21 | 44 | La gouverne de direction atteint sa position de braquage maximal à gauche; le braquage de la commande d'orientation du train avant augmente. |
6 | 21:45:23 | 43 | Serrage maximal des freins |
7 | 21:45:24 | 40 | Début des traces de dérapage du train principal sur la piste |
8 | 21:45:30 | 0 | Immobilisation de l'avion |
Analyse
L'approche et l'atterrissage se sont déroulés dans des conditions VMC calmes, alors que tous les systèmes de l'avion fonctionnaient normalement. Le PF était expérimenté et qualifié, et il avait suivi récemment la formation de transition nécessaire pour passer de l'A320 au B744. Rien n'indique que la fatigue ait pu jouer un rôle dans l'incident. En conséquence, l'analyse se concentre sur les actions de l'équipage pendant la course à l'atterrissage et sur l'environnement dans lequel ces actions se sont déroulées.
Les premières actions de l'équipage pendant la course à l'atterrissage étaient conformes aux SOP de la compagnie. De plus, le PF tenait le manche en avant de la position neutre pour maintenir une pression sur le train avant. Quelques secondes après que les inverseurs de poussée ont été placés au ralenti de la poussée inverse, le PF a relâché le manche. Une seconde plus tard, à une vitesse d'environ 65 nœuds, le PF a volontairement placé sa main sur la commande d'orientation du train avant, peut-être dans l'anticipation d'utiliser la prochaine bretelle de sortie disponible située à quelque 1300 pieds sur la gauche. Une analyse minutieuse de la largeur des traces de dérapage laissées par les pneus du train avant sur l'axe de piste (Photo 6) confirme que la commande d'orientation du train a d'abord été poussée de quelque 50° et maintenue dans cette position, ce qui correspond à un braquage du train d'environ 25° à droite. À cette vitesse, la gouverne de direction était toujours efficace et le PF a réussi à utiliser la gouverne de direction de gauche pour contrer le virage à droite amorcé par la sollicitation de la commande d'orientation du train avant, mais il a ainsi provoqué une perte de l'adhérence des pneus du train avant à la surface de la piste, ce qui a donné lieu au dérapage. De plus, le freinage automatique a procuré une stabilité en direction en produisant un freinage égal sur tous les trains principaux, ce qui a fait que le braquage de la gouverne de direction n'était plus nécessaire pour que l'avion demeure aligné sur l'axe de piste, et le PF a cessé de corriger au moyen d'un braquage à gauche de la gouverne de direction. Cependant, les traces de dérapage laissées par les pneus du train avant en ligne droite sur l'axe de piste sur les 600 pieds suivants confirment que le PF a continué de pousser sur la commande d'orientation du train avant (braquage à droite) pendant toute la durée de la décélération, sans remarquer le déplacement de la commande d'orientation du train avant vers l'avant.
Même si l'on ne peut expliquer le premier déplacement de la commande d'orientation du train avant, la position angulaire du bras correspond à la position angulaire du bras sur le manche une seconde plus tôt. Il se peut que le PF ait par mégarde poussé sur la commande d'orientation en croyant qu'il s'agissait du manche.
Lorsque la vitesse de l'avion a diminué, les inverseurs de poussée ont été rentrés et le freinage automatique a été débrayé. La perte de la stabilité en direction assurée par le freinage automatique, combinée au regain d'adhérence latérale des pneus du train avant à la surface de la piste à la vitesse de 45 nœuds, a provoqué un virage à droite de l'avion. Pour contrer le virage à droite, le PF a mis du palonnier à fond à gauche. Il voulait commander le braquage du train avant vers la gauche, mais il a poussé davantage sur la commande d'orientation vers l'avant et vers le bas, ce qui a eu pour effet d'augmenter le braquage du train avant vers la droite. Selon son expérience en qualité de copilote en place droite du B744, cette action sur la commande d'orientation de droite vers l'avant et vers le bas aurait produit un braquage à gauche du train avant. Elle pourrait cependant être le résultat d'une tentative accidentelle de correction sur une commande d'orientation de l'A320 qui aurait été située plus bas et à gauche par rapport à la position de la commande d'orientation du B744.
Du fait qu'à basse vitesse les actions sur la commande d'orientation du train avant surpassent l'efficacité de la gouverne de direction, le braquage à gauche de la gouverne de direction a été inefficace pour contrer le virage. Cependant, si la commande d'orientation avait été relâchée, elle serait retournée à la position centrée ou neutre, ce qui aurait stoppé le virage.
La documentation de Boeing recommande de ne pas utiliser la commande d'orientation du train au-dessus de la vitesse de roulage normale. Même si les procédures existantes n'interdisent pas formellement d'avoir la main sur la commande d'orientation du train, avoir la main sur une commande à une vitesse à laquelle cette commande ne doit pas être utilisée accroît le risque de déplacement involontaire de la commande.
Il n'y avait aucune raison pressante de faire virer l'avion là où les traces de dérapage ont été relevées, car il n'y avait aucune voie de circulation à proximité de la piste. De plus, comme les procédures LAHSO à l'atterrissage n'ont pas été utilisées, toute la longueur de piste était utilisable, ce qui indique que le premier déplacement de la commande d'orientation est le résultat d'un mouvement involontaire. Plus tard, lorsque l'avion a viré à droite, le PF a été confronté à une situation où le temps était critique. La main déjà sur le dessus de la commande d'orientation, le PF a probablement été influencé par son expérience antérieure sur A320 ou en place droite sur B744. En tentant rapidement de faire une correction sur la commande d'orientation vers la gauche, il a par mégarde poussé davantage vers le bas sur la commande qu'il avait déjà poussée vers l'avant, ce qui a accru le taux de virage à droite et provoqué la sortie de piste latérale.
Protection des lieux et conservation des éléments de preuve
Le personnel d'ADM a commencé des travaux autour de l'avion sans consultation préalable avec les enquêteurs du BST, pour rouvrir la piste le plus tôt possible. Comme le plan des mesures d'urgence utilisé lors de l'incident ne comportait pas de disposition statuant sur les incidents à signaler, le personnel d'ADM ne s'est probablement pas rendu compte que l'approbation du BST était requise.
Le Règlement du Bureau de la sécurité des transports requiert la conservation et la protection de tout élément de preuve concernant un incident à signaler. Cependant, les lignes directrices relatives aux incidents à signaler que l'on trouve dans l'AIM ne contiennent pas de disposition relative à la protection de l'avion ou des lieux en cas d'événement. Cette incohérence peut contribuer à l'incertitude concernant l'obligation de protéger les lieux de l'événement et la nécessité de conserver les éléments de preuve à la suite d'un incident à signaler.
Enregistreur de la parole dans le poste de pilotage
Les informations enregistrées par le CVR sur l'incident à l'atterrissage ont été remplacées par les conversations après le vol, ce qui indique que l'alimentation électrique du CVR a été maintenue pendant une période de temps importante après l'incident. Comme le F-GITC n'est pas équipé d'un système de coupure automatique, il aurait fallu désactiver manuellement le CVR en tirant sur le disjoncteur approprié. Malheureusement, après l'immobilisation de l'avion, on n'a pas repéré le disjoncteur du CVR, et du fait qu'on n'a pas tiré sur le disjoncteur, toutes les conversations concernant l'incident ont été perdues.
D'après la section 6 du chapitre 11 du manuel intitulé Généralités Opérations (GEN.OPS), la conservation des enregistrements du CVR est laissée à la discrétion du commandant de bord, alors que la liste de vérifications de la section 8 requiert la désactivation du CVR à la suite d'un incident grave ou d'un accident. Cette incohérence augmente grandement le risque de perte de données critiques du CVR, malgré l'obligation réglementaire en matière de conservation des éléments de preuve à la suite d'un incident à signaler.
La perte des données CVR n'est pas propre à Air France, car elle survient souvent lorsque des aéronefs sont impliqués dans des incidents à signaler. Elle limite la capacité des enquêteurs à obtenir rapidement tous les renseignements nécessaires à la compréhension de l'événement.
Enregistrement d'images (vidéo)
Du fait que le F-GITC n'est pas équipé d'un dispositif d'enregistrement d'images (vidéo), il se peut que des renseignements critiques aient été perdus et que ces renseignements auraient pu aider les enquêteurs à reconstituer la séquence des événements ayant mené à l'incident.
L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire du BST suivant :
- LP 113/2008 – DFDR/QAR/CVR Analysis (Analyse des DFDR, QAR et CVR)
On peut obtenir ce rapport en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le fait d'avoir la main sur la commande d'orientation du train avant (tiller), à haute vitesse, a occasionné le déplacement involontaire de cette commande, ce qui a provoqué le dérapage du train avant quand le pilote a utilisé la gouverne de direction pour contrer le virage.
- Alors qu'il avait la main gauche sur la commande d'orientation du train avant, le pilote aux commandes a par mégarde poussé davantage sur la commande vers l'avant et vers le bas, augmentant ainsi le taux de virage à droite, et l'avion a viré à droite et a quitté la piste.
Faits établis quant aux risques
- Du fait que l'alimentation de l'enregistreur de la parole dans le poste de pilotage (CVR) n'a pas été coupée après l'incident, les conversations dans le poste de pilotage ont été remplacées par les conversations qui ont suivi l'événement, et des renseignements critiques qui auraient pu aider les enquêteurs du BST ont été perdus.
- Le fait de ne pas protéger les lieux d'un événement et de ne pas conserver les éléments de preuve connexes compromet la capacité des enquêteurs du BST à effectuer une enquête.
Autre fait établi
- L'utilisation de dispositifs d'enregistrement d'images (vidéo) qui comprendraient la représentation du poste de pilotage permettrait d'améliorer la sécurité des transports en fournissant aux enquêteurs un moyen objectif et fiable de déterminer rapidement ce qui s'est passé.
Mesures de sécurité
Mesures prises
Mesures prises par Air France
Air France a distribué à tous les équipages de B744 une note de service interne qui décrivait l'incident et passait en revue l'utilisation recommandée de la commande d'orientation du train avant (tiller).
Les sections 6 et 8 du chapitre 11 du manuel intitulé Généralités Opérations (GEN.OPS) ont été modifiées afin de corriger l'incohérence concernant la protection des enregistrements CVR en cas d'incident grave.
Mesures prises par Aéroports de Montréal
Le manuel intitulé Plan des mesures d'urgence de la société Aéroports de Montréal a été revu pour ajouter la définition d'un incident, et le mot incident a été rajouté partout dans le manuel où c'était nécessaire. Des précisions ont été apportées sur la protection des lieux d'événement et sur la coordination de la société Aéroports de Montréal avec le BST.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .