Rapport d'enquête aéronautique A17O0243

Atterrissage dur
Jazz Aviation LP
Bombardier DHC-8-402 (C-GYJZ)
Aéroport Billy Bishop de Toronto (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Déroulement du vol

    Le 9 novembre 2017, l'aéronef Bombardier DHC-8-402 (immatriculation C-GYJZ, numéro de série 4524) de Jazz Aviation LP (Jazz) effectuait le vol régulier JZA7977, de l'aéroport international Pierre-Elliot-Trudeau de Montréal (Québec) (CYUL) à l'aéroport Billy Bishop de Toronto (Ontario) (CYTZ), avec 2 membres d'équipage de conduite, 2 membres d'équipage de cabine et 52 passagers à bord.

    Vers 20 h 50Note de bas de page 1, tandis qu'il approchait de la piste 26, l'aéronef a ressenti de la turbulence mécaniqueNote de bas de page 2. Par conséquent, il y a eu des fluctuations rapides de sa vitesse anémométrique pendant l'approche.

    Les procédures d'utilisation normalisées (SOP) de Jazz relatives aux approches stabilisées permettent un écart de −5 à +10 nœuds par rapport à la vitesse d'approche prévue une fois que l'aéronef descend sous 500 pieds au-dessus du niveau du sol (AGL) en approche. Mais au moment de l'événement à l'étude, la vitesse d'approche de l'aéronef variait de 119 à 141 nœuds. Comme les variations de vitesse étaient causées par des rafales momentanées, l'équipage de conduite considérait l'approche comme stabilisée.

    Durant l'approche, tandis que l'aéronef était à une altitude inférieure à 100 pieds AGL, il s'est produit ce qui suit en rapide succession :

    • Le cisaillement du vent causé par les rafales a momentanément dégradé les performances de l'aéronef, dont la vitesse anémométrique a baisséNote de bas de page 3.
    • Le pilote aux commandes a poussé les manettes de commande de puissanceNote de bas de page 4.
    • Les roues de l'aéronef ont touché le solNote de bas de page 5.

    Presque immédiatement après le poser des roues, il s'est produit ce qui suit en succession rapide :

    • Le train d'atterrissage principal a commencé à se comprimer.
    • Le couple des moteurs gauche et droit a augmenté jusqu'à 42,5 % et 40 % respectivement, en raison de la poussée des manettes de commandes.
    • Le cisaillement du vent a augmenté les performances de l'aéronef, dont la vitesse a augmenté.
    • Les manettes des commandes de puissance ont été ramenées en deçà du cran en position de régime ralenti de vol, au cran de disque d'hélice.
    • L'augmentation momentanée du couple et de la vitesse anémométrique a fait décoller à nouveau l'aéronef, qui est monté à 4,5 pieds au-dessus de la piste, pendant environ 2,75 secondes.

    Tandis que l'aéronef était dans les airs après le poser des roues initial, il s'est produit ce qui suit en succession rapide :

    • L'angle des pales des hélices est passé de la zone de ralenti sol à celle de disque d'héliceNote de bas de page 6, ce qui a causé une diminution marquée de portance.
    • Le cisaillement du vent qui augmentait les performances de l'aéronef a diminué; ces réductions combinées de portance ont fait en sorte que l'aéronef ait touché la piste brusquement.
    • Sur le panneau annonciateur avertissement-alarme, l'indicateur d'avertissement d'enregistreur de données de vol (FDR) (« FLT DATA RECORDER ») s'est allumé.

    À ce moment, le FDR et l'enregistreur de conversations de poste de pilotage (CVR) ont cessé d'enregistrer. L'aéronef a atterri après avoir rebondi, mais cet atterrissage n'a pas été enregistré par le FDR. L'équipage de conduite a fait rouler l'avion jusqu'au poste de stationnement sans autre incident. On n'a pas noté d'anomalies ni de blessures.

    L'aéronef devait repartir pour CYUL à 21 h 15. C'était le dernier vol prévu pour l'équipage ce jour-là. L'équipage de conduite savait qu'un couvre-feu antibruit empêchait de décoller de CYTZ après 22 h.

    L'équipage de conduite craignait qu'un atterrissage dur avait eu lieu, même si les compartiments de rangement supérieurs étaient restés fermés et que les pilotes n'avaient pas l'impression qu'il avait été plus dur que d'autres effectués auparavant. Par mesure de précaution, l'équipage de conduite a communiqué avec le centre de contrôle de la maintenance (MCC) de Jazz pour s'informer de la signification de l'indicateur d'avertissement de FDR qui s'était allumé lors du poser des roues et pour parler de ce qui était survenu lors de l'atterrissage.

    Le MCC a indiqué que l'allumage de l'indicateur d'avertissement de FDR n'était probablement pas lié à l'atterrissage, et il a mentionné  le manuel d'entretien aéronef comme source de consignes relatives aux atterrissages durs.

    Le MCC a également fait savoir que si l'équipage de conduite jugeait que l'atterrissage avait été dur, une inspection de maintenance serait requise. Selon le MCC, aucun membre du personnel de maintenance n'était disponible à CYTZ à ce moment, mais il était possible d'en faire venir de l'aéroport international Lester B. Pearson de Toronto (CYYZ) (Ontario), la plaque tournante de l'entreprise. Étant donné le temps nécessaire au déplacement du personnel et à l'inspection, le couvre-feu aurait été dépassé et le vol de retour aurait dû être annulé.

    Les membres de l'équipage de conduite ne savaient pas avec certitude si l'atterrissage avait été assez dur pour justifier de telles mesures; à défaut de critères de décision précis, ils ont décidé de faire une inspection extérieure visuelle de l'aéronef. N'ayant pas repéré d'anomalies au cours de cette inspection, les membres de l'équipage de conduite ont décidé de faire le vol de retour à CYUL.

    Alors qu'ils se préparaient à partir, ils ont remarqué que l'indicateur d'avertissement de FDR était toujours allumé. Ils ont communiqué avec le MCC pour en discuter à nouveau. Encore une fois, on leur a dit que cela n'avait vraisemblablement aucun rapport avec ce qui s'était passé à l'atterrissage.

    L'équipage de conduite, en collaboration avec le MCC, a pris connaissance des procédures en cas d'allumage de l'indicateur d'avertissement de FDR. En plus de vérifier les positions des commutateurs, l'équipage de conduite a effectué la procédure de réinitialisation de disjoncteur. Mais l'indicateur est resté allumé.

    On a établi que, conformément à la liste minimale d'équipement (LME) de Jazz pour le Q400Note de bas de page 7 approuvée par Transports Canada, l'aéronef pouvait être autorisé à décoller même si le FDR ne fonctionnait pas, à condition que le CVR soit fonctionnel et que les réparations nécessaires soient faites dans un délai de 3 jours de vol. Même si le CVR avait été mis à l'essai lors du premier vol de la journée, ni l'équipage de conduite ni le personnel du MCC n'ont pensé à revérifier si le CVR fonctionnait à ce moment.

    Après avoir mené ces discussions avec le MCC, l'équipage de conduite a jugé que l'aéronef était en état de navigabilité et a décidé de procéder au départ prévu. Après le décollage, l'équipage de conduite a noté dans le carnet de route d'aéronef que l'indicateur d'avertissement de FDR s'était allumé et que le MCC en avait reporté l'entretien, conformément à  la LMENote de bas de page 8. L'équipage de conduite a également noté dans le carnet de route d'aéronef qu'il soupçonnait qu'un atterrissage dur avait eu lieu à CYTZ et a suggéré qu'une inspection de suivi soit effectuée à CYUL.

    Aucune anomalie n'a été détectée pendant le décollage, l'atterrissage ou le roulage de l'aéronef lors du retour à CYUL. Le personnel de maintenance de Jazz a inspecté l'aéronef par la suite à CYUL. Il a découvert que l'interrupteur à inertie du système FDR s'était activé et qu'il y avait des signes physiques d'atterrissage dur.

    Dommages à l'aéronef

    L'inspection à CYUL a révélé que l'aéronef avait subi des dommages considérables, notamment une déformation du revêtement sous les hublots du côté droit du fuselage (figure 1). Les conditions subies par le train d'atterrissage principal droit lors du deuxième poser des roues dépassaient ses critères de rupture, ce qui avait causé un bris du tube-support d'orifice pendant la compression (figure 2). Après le bris du tube-support d'orifice, l'amortisseur ne pouvait plus jouer son rôle, de sorte que les charges au point de compression maximal étaient considérables.

    Figure 1. Marques de maintenance montrant les zones de déformation sur le côté droit du fuselage
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    Marques de maintenance montrant les zones de déformation sur le côté droit du fuselage
    Figure 2. Tube-support d'orifice
     
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    Tube-support d'orifice

    On a calculé que la charge verticale théorique qui aurait été produite instantanément au moment où le train d'atterrissage a atteint son point de compression maximal était d'au moins 5,7g, qui est supérieur aux critères de conception du train d'atterrissage.

    Évaluation d'un atterrissage dur par l'équipage de conduite

    Ni le constructeur de l'aéronef ni Jazz ne fournissent aux équipages de conduite une définition ou des critères permettant de déterminer ce qui constitue un atterrissage dur. On s'attend à ce que les pilotes s'appuient sur leur expérience personnelle pour trancher. Dans certains cas, cette évaluation pourrait être influencée par des pressions opérationnelles.

    Évaluation d'un atterrissage dur par le personnel de maintenance

    Le manuel d'entretien aéronef fournit plusieurs définitions d'un atterrissage dur. Il dit notamment qu'un atterrissage dur est survenu lorsque [traduction] « les membres de l'équipage de conduite le déclarent dans le carnet de route d'aéronefNote de bas de page 9 » ou lorsque « l'accélération verticale de l'aéronef pendant l'atterrissage est supérieure au seuil d'accélération verticale (Nz)Note de bas de page 10 ». Il n'y a aucun moyen permettant à l'équipage de conduite de déterminer l'accélération verticale pendant l'atterrissage; quant au personnel de maintenance, il ne peut déterminer si le seuil d'accélération verticale a été dépassé pendant l'atterrissage qu'en téléchargeant et examinant les données du FDR.

    Plusieurs aéronefs Q400 de Jazz sont dotés d'enregistreurs de données de vol d'accès facile (QAR), mais pas celui en cause dans l'événement à l'étude. La réglementation ne l'exige pas d'ailleurs. En général, les QAR ne sont pas conçus pour résister à un accident, mais lorsqu'ils demeurent intacts, ils permettent d'obtenir des renseignements précieux qui complètent ceux que procure un FDR.

    Enregistreurs de vol

    Le système électrique de l'aéronef en cause dans l'événement à l'étude comprend un interrupteur à inertie qui a pour but d'interrompre le fonctionnement du FDR et du CVR simultanément, ce qui bloque la fonction d'effacement après un écrasementNote de bas de page 11. L'interrupteur à inertie bipolaire est connecté en série avec les alimentations du FDR et du CVR. Lorsqu'il est soumis à une force de 5,5g le long de son axe sensible, l'interrupteur ouvre le circuit, coupant ainsi l'alimentation électrique des deux enregistreurs, qui cessent alors simultanément de fonctionner.

    Lorsque l'interrupteur à inertie a été actionné au moment de l'atterrissage à CYTZ, le FDR et le CVR ont cessé de fonctionner simultanément. Par conséquent, ni le FDR ni le CVR ne fonctionnaient lors du vol de retour à CYUL.

    Information sur l'interrupteur à inertie

    La section 6.4.9 du manuel d'utilisation de l'avion (AOM) indique ce qui suit [traduction ] : « Un interrupteur à inertie coupe l'alimentation du système si les forces d'accélération sont supérieures aux limites préétabliesNote de bas de page 12. » La section 6.4.10 de l'AOM reprend exactement la même phraseNote de bas de page 13. Toutefois, ni l'une ni l'autre section n'indique s'il y a 2 interrupteurs distincts ou 1 seul.

    Le manuel d'entretien aéronef donne au personnel de maintenance diverses explications sur les causes de l'ouverture de l'interrupteur à inertie. La formation de familiarisation avec la maintenance des Q400 de Jazz indique que l'interrupteur s'ouvre lors d'un atterrissage avec fort impact.

    Bombardier a produit un schéma fonctionnel montrant l'interface électrique entre l'interrupteur à inertie et les FDR et CVR. Ce schéma ne figure pas dans le manuel d'entretien aéronef et n'est pas fourni aux exploitants.

    Les essais réalisés par le BST sur l'interrupteur à inertie de l'aéronef en cause dans l'événement à l'étude ont confirmé que l'interrupteur fonctionnait conformément aux spécifications du fabricant. En outre, on a déterminé qu'il s'écoule de 10 à 20 millisecondes entre le moment où le seuil de sensibilité est dépassé et celui où l'alimentation est coupée.

    Indicateur d'avertissement d'enregistreur de données de vol

    L'indicateur d'avertissement de FDR ambré s'allume en cas de défectuosité du système FDR ou lorsque le FDR n'est pas alimenté. Cet indicateur n'est pas allumé dans des conditions de fonctionnement normal.

    L'AOM ne dit pas spécifiquement que l'indicateur d'avertissement de FDR s'allume lorsque l'interrupteur à inertie est activé.

    Le manuel d'entretien aéronef dit que lorsque l'interrupteur est activé, l'alimentation des FDR et CVR est coupée. Il ne précise pas toutefois que l'indicateur d'avertissement de FDR s'allume dans ce cas.

    Chez Jazz, quand l'indicateur d'avertissement de FDR s'allumait, la pratique habituelle était d'effectuer une procédure de réinitialisation de disjoncteur ou de remplacer le FDR défectueux.

    Enregistreur de conversations de poste de pilotage

    L'équipage de conduite doit mettre à l'essai le CVR lorsque l'aéronef effectue son premier vol de la journée. Rien ne l'oblige à tester à nouveau le CVR au cours des autres vols effectués le même jourNote de bas de page 14. Le voyant PASS/FAIL du dispositif de commande de CVR dans le poste de pilotage donne une indication visuelle des résultats de l'essai. Ce voyant ne s'allume pas dans des conditions de fonctionnement normal.

    Il n'existe aucun annonciateur d'avertissement ou d'alarme pour indiquer que le CVR ne fonctionne pas. La seule manière pour l'équipage de conduite de savoir que le CVR n'est pas alimenté est d'effectuer l'essai; dans ce cas, le voyant PASS/FAIL ne s'allume pas.

    Au cours de l'inspection par le personnel de maintenance à CYUL, l'interrupteur à inertie a été réinitialisé; le CVR a alors été alimenté, et les données sur le vol et l'atterrissage à l'étude ont été écrasées.

    Exigences relatives aux carnets de route

    L'article 605.94 du Règlement de l'aviation canadienNote de bas de page 15 exige que les « détails sur toute défectuosité de pièce ou de l'équipement de l'aéronef qui devient apparente durant des opérations aériennesNote de bas de page 16 » soient consignés dans le carnet de route d'aéronef « [l]e plus tôt possible après la constatation de la défectuosité, mais au plus tard avant le prochain volNote de bas de page 17 ».

    Mesures de sécurité prises

    Jazz a pris les mesures suivantes, entre autres, afin d'éviter que d'autres événements semblables ne se produisent :

    • offre d'une formation supplémentaire sur les critères qui permettent de reconnaître un atterrissage dur;
    • renforcement et clarification des procédures et des directives associées aux atterrissages durs confirmés ou soupçonnés;
    • ajout d'un avertissement aux directives à l'intention des équipages de conduite au sujet des risques d'atterrissage dur après un rebond, avec les manettes de commande à la position de régime ralenti de vol ou de disque d'hélice;
    • examen des pratiques d'analyse des données de vol et de leur efficacité pour prévenir un départ lorsque la navigabilité d'un aéronef est en doute.

    Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été officiellement publié le .