Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A18P0115

Perte de maîtrise durant la montée initiale et impact avec la piste
Historic Flight Foundation
Aéronef de Havilland DH-89A MKIV Dragon Rapide (biplan), N683DH
Aéroport d’Abbotsford (Colombie-Britannique)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Déroulement du vol

    Le biplan d'époque de Havilland DH‑89A MKIV Dragon Rapide (immatriculation N683DH aux États-Unis, numéro de série 6782) exploité par la Historic Flight Foundation (HFF) faisait partie de l’exposition statique d’aéronefs durant l’Abbotsford International Airshow, à l’aéroport d’Abbotsford (CYXX) (Colombie-Britannique). Après la fin du spectacle aérien ce jour-là, l’aéronef a été utilisé dans le cadre d’excursions aériennes. Vers 17 h 31Note de bas de page 1, le 11 août 2018, l'aéronef a amorcé un décollage sur la piste 25 avec le pilote et 4 passagers à bord pour effectuer un vol local vers le sud-est.

    Durant le décollage, l'aéronef a fait face à de fortes rafales de vents traversiers. Il a monté à quelque 30 pieds au-dessus du niveau du sol avant de descendre soudainement et de percuter la piste; il s'est immobilisé sur son nez juste au-delà de la bordure droite de la piste (figure 1).

    Figure 1. Épave et lieu de l'accident (Source : autorité aéroportuaire d'Abbotsford)
    Image
    Épave et lieu de l'accident

    En moins de 2 minutes, 2 camions de sauvetage et de lutte contre les incendies d'aéronefs et 1 véhicule d'opérations/de commandement sont arrivés sur les lieux. Environ 10 minutes plus tard, 2 Ambulances Saint-Jean sont arrivées sur place. Un représentant de la HFF a été escorté sur les lieux pour s'assurer que tous les systèmes électroniques à bord de l'aéronef étaient éteints. Peu de temps après, 2 ambulances terrestres du BC Ambulance Service sont arrivées, suivies de 2 camions de pompiers municipaux de la Ville d'Abbotsford. Deux ambulances aériennes du BC Ambulance Service sont arrivées par la suite.

    Les camions de pompiers ont permis de stabiliser l'aéronef et les premiers répondants qui sont arrivés ont complété l'évacuation des occupants.

    Le pilote et 1 passager ont été grièvement blessés; les 3 autres passagers ont été légèrement blessés. Tous les occupants de l'aéronef ont été transportés à l'hôpital. L'aéronef a subi d'importants dommages. Il y a eu déversement de carburant, mais pas d'incendie. La radiobalise de repérage d'urgence s'était déclenchée.

    Renseignements météorologiques

    L'accident est survenu durant les heures de clarté et dans des conditions météorologiques de vol à vue. Les prévisions météorologiques annonçaient de l'activité convective au moment de l'événement. Une importante cellule orageuse qui contenait des éclairs et des grains de pluie avait traversé la zone immédiatement à l'est de l'aéroport peu de temps avant l'accident. Avant de circuler au sol, le pilote a écouté le message du service automatique d'information de région terminale, émis à 17 h (environ 31 minutes plus tôt) et qui faisait état de vents soufflant du 180° à 14 nœuds, avec rafales à 19 nœuds. Le pilote a ensuite communiqué avec le contrôleur sol d'Abbotsford pour demander l'autorisation de circuler en prévision d'un décollage; on lui a dit que les vents soufflaient du 180° à 11 nœuds, avec rafales à 18 nœuds.

    La piste 19 était la piste active à ce moment et la mieux orientée pour un décollage dans le vent; toutefois, environ 60 % de cette piste étaient occupés par des aéronefs en exposition statique. Par conséquent, le pilote en cause a choisi de décoller sur la piste 25, à partir de l'intersection avec la voie de circulation D (figure 2). Au moment de donner l’autorisation de décoller, la tour a indiqué que les vents étaient du 180° à 10 nœuds, avec rafales à 15 nœuds.

    Figure 2. Point de décollage et lieu de l'accident (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
    Image
    Point de décollage et lieu de l'accident

    Durant le décollage, l'aéronef a fait face à des vents tourbillonnants qui ont entraîné une soudaine perte de vitesse anémométrique peu après que l'aéronef eut pris son envol. Des enregistrements vidéo provenant de plusieurs sources ont permis de confirmer que de forts vents soufflaient en rafales au moment de l'accident.

    Renseignements sur le pilote

    Le pilote était titulaire d'une licence de pilote de ligne valide délivrée aux États-Unis et d'un certificat médical valide. Ces qualifications lui permettaient également de piloter au Canada. Le pilote comptait environ 10 000 heures de temps de vol total accumulées au cours d'une période de 35 ans sur de nombreux types d'aéronefs, dont 2500 heures sur des aéronefs équipés d'une roue de queue. Il avait l'annotation pour piloter divers types d'aéronefs d'époque. Le pilote avait reçu de l'instruction de pilotage d'un expert de renommée mondiale sur le Dragon Rapide, et avait accumulé environ 20 heures de temps de vol total sur type, dont environ 5 heures sur l'aéronef en cause au cours du mois précédant l'accident. Il avait en outre effectué un autre vol avec des passagers le matin de l'accident.

    Renseignements sur l'aéronef

    L'aéronef en cause, un de Havilland DH‑89A MKIV Dragon Rapide (figure 3), avait été fabriqué en Grande‑Bretagne en 1944. Il s'agit d'un biplan construit principalement en bois couvert de tissu et équipé d'une roue de queue à pivotement libre. Le siège du pilote est situé dans le nez, dans l'axe longitudinal de l'aéronef, et la cabine de passagers, à l'arrière, comprend 8 sièges, soit 4 sièges de chaque côté. Le Dragon Rapide est propulsé par 2 moteurs de Havilland Gypsy Six, produisant quelque 185 HP chacun. Chaque moteur entraîne une hélice métallique à pas fixe. La masse brute maximale de l'aéronef est de 6000 livres, et sa vitesse de décrochage est de quelque 54 nœuds. On considère cet aéronef comme étant sous-motorisé selon les normes modernes.

    Figure 3. Aéronef en cause (Source : David Lednicer)
    Image
    Aéronef en cause

    Plus de 700 aéronefs de ce modèle ont été fabriqués; 17 d'entre eux existent toujours, dont environ 9 sont encore en exploitation. La HFF a acheté l'aéronef en cause en 2017 et a achevé sa remise en état. La Federal Aviation Administration (FAA) des États-Unis a émis un « certificat spécial de navigabilité– expérimental » pour l'aéronef en cause; même si celui-ci était considéré comme étant navigable, il ne satisfaisait pas aux normes modernes de sécurité aérienne. L'aéronef en cause en était à sa première participation à l'Abbotsford International Airshow.

    Selon des renseignements historiques, durant les décollages par vents traversiers, le Dragon Rapide est plus difficile à manœuvrer que la plupart des aéronefs équipés d'une roue de queue, en particulier sur les pistes asphaltées (plutôt que gazonnées). D'après les notes pour les pilotesNote de bas de page 2, la composante transversale du vent maximale permise au décollage est de 17 nœuds. Il ne s'agit pas d'une limite imposée par l'aéronef lui-même, mais plutôt d'une limite imposée par la prudence. Autrement dit, l'exploitation de l'aéronef dans des vents plus forts requiert des compétences de pilotage supérieures à la moyenne.

    Comme l'aéronef ne compte qu'un seul siège de pilote, il n'est pas équipé de commandes doubles, ce qui peut compliquer la formation au pilotage.

    Le pilote actionne manuellement les freins au moyen d'un levier situé sur le plancher à sa gauche, plutôt que par la partie supérieure des palonniers comme c'est le cas dans la plupart des aéronefs. Tout comme les manettes des gaz, la gouverne de direction et le volant de commande, les freins exigent une manipulation constante pour maintenir la maîtrise directionnelle durant la circulation au sol et le décollage. Tout cela signifie une charge de travail élevée durant la circulation au sol et le décollage.

    Pilotage d'aéronefs d'époque

    Aux États-Unis, la FAA peut émettre un « certificat spécial de navigabilité – expérimental » qui permet d'exploiter des aéronefs expérimentaux, d'époque et autres qui sont inadmissibles à un certificat de navigabilité normal. Ces aéronefs font l'objet de nombreuses restrictions, dont l'interdiction de transporter des passagers contre rémunération.

    La FAA a une politiqueNote de bas de page 3 en vigueur selon laquelle les propriétaires de certains aéronefs d'époque peuvent demander une exemption leur permettant de transporter des passagers contre rémunération. D'autres aéronefs de la HFF, dont un Grumman TBM qui prenait part lui aussi à l'Abbotsford International Airshow, détenaient ce type d'exemption, mais pas l'aéronef en cause. De plus, ces exemptions ne sont pas valides pour l'exploitation en dehors des États-Unis.

    Au Canada, le Règlement de l'aviation canadien (RAC) interdit le transport de passagers contre rémunération à bord d'aéronefs canadiens pour lesquels un certificat spécial de navigabilitéNote de bas de page 4 a été émis. Transports Canada peut accorder une exemptionNote de bas de page 5 aux exploitants de service aérien commercialNote de bas de page 6 pour effectuer du travail aérienNote de bas de page 7 tout en transportant des passagers contre rémunération à bord d'aéronefs historiques immatriculés au Canada. Toutefois, cette exemption ne s'applique pas aux aéronefs immatriculés aux États-Unis, comme l'aéronef en cause, et la HFF n'est pas considérée comme un exploitant de service aérien commercial.

    Dans certaines circonstances, Transports Canada peut accorder une exemption à un aéronef pour lequel un certificat spécial de navigabilité a été émis; toutefois, l’aéronef doit d’abord obtenir une exemption de l’État émetteur du certificat. Transports Canada prépare alors une exemption propre à l’aéronef en fonction de l’exemption accordée par l’État émetteur du certificat. Puisque la FAA n’avait pas accordé une telle exemption, l’aéronef en cause dans l’événement n’était pas admissible à ce type d’exemption.

    Transports Canada a émis à la HFF une validation d'autorité de vol étrangèreNote de bas de page 8 pour son « certificat spécial de navigabilité – expérimental ». Cette validation permettait le pilotage de l'aéronef en cause à destination et au départ d'Abbotsford et durant la tenue du spectacle aérien, du 1er au 30 août 2018. Cette validation ne permettait pas le transport de passagers contre rémunération.

    Historic Flight Foundation

    La HFF est un musée d'aviation historique établi à l'aéroport de Snohomish County (Paine Field) (KPAE) à Everett, État de Washington (États-Unis). Elle a été fondée par le pilote en cause en 2003. Depuis 11 ans, la HFF participe à l'Abbotsford International Airshow en y présentant des aéronefs en exposition statique et en vol. Durant la majeure partie de cette période, elle a offert des excursions à bord de ses aéronefs aux personnes qui achètent un abonnement à son musée.

    La direction de l'Abbotsford International Airshow a permis à la HFF d'annoncer ces excursions et de faire des réservations par l'intermédiaire de son site Web et de son agence de vente de billets. On pouvait également réserver des excursions durant le spectacle aérien, à l'exposition statique de la HFF. La direction du spectacle aérien consignait les noms des personnes qui avaient déjà réservé des excursions. Or, plusieurs des billets achetés ont été offerts en cadeau; par conséquent, dans bien des cas, les personnes qui avaient réservé les excursions n'étaient pas celles qui se trouvaient à bord de l'aéronef pendant le vol. Les passagers devaient signer une exonération de responsabilité, étant donné qu'ils allaient voler à bord d'un aéronef historique. La HFF avait actualisé sa liste de passagers avec les noms des passagers réels; toutefois, cette nouvelle liste ne se trouvait pas à bord de l'aéronef durant le vol. Ainsi, les premiers intervenants n'avaient pas immédiatement accès à une liste de passagers exacte. L'absence d'une liste de passagers exacte ou de dossier contenant les noms des passagers peut compliquer l'identification des passagers durant une intervention d'urgence.

    Messages de sécurité

    Il est important d'être au courant de toutes les exigences et obligations réglementaires relatives à l'exploitation d'aéronefs d'époque afin de respecter la réglementation en vigueur.

    L'exploitation d'aéronefs d'époque peut poser des défis que ne présentent pas les aéronefs modernes, comme des questions de manœuvrabilité et de résistance à l'impact.

    L'équipement approprié doit être disponible durant une intervention d'urgence pour prévenir les blessures et les pertes matérielles à la suite d'un écrasement. De plus, l'absence d'une liste des passagers exacte peut compliquer le travail des premiers intervenants lorsqu'ils doivent confirmer l'identité des passagers.

    Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été publié en premier lieu le .

    Correction

    À la section Déroulement du vol, la note en bas de page numéro 2 a été remplacée par des renseignements supplémentaires au premier paragraphe visant à clarifier que l’aéronef faisait partie de l’exposition statique d’aéronefs lors du spectacle aérien, et qu’après la fin du spectacle aérien ce jour-là, l’aéronef a été utilisé dans le cadre d’excursions aériennes.

    À la section Renseignements météorologiques, la phrase « On a déterminé qu’au moment du départ, la composante transversale du vent pour la piste 25 atteignait 18 nœuds » donnant des renseignements sur les vents a été remplacée par « Au moment de donner l’autorisation de décoller, la tour a indiqué que les vents étaient du 180° à 10 nœuds, avec rafales à 15 nœuds. »

    On a ajouté à la section Pilotage d’aéronefs d’époque un quatrième paragraphe afin d’expliquer les conditions dans lesquelles le Canada peut accorder une exemption à un aéronef pour lequel un certificat spécial de navigabilité a été émis afin de lui permettre de transporter des passagers contre rémunération.

    Cette correction a été approuvée par le Bureau le ; la version corrigée du rapport a été publiée le .