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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A19C0138

Désintégration en vol
Blue Water Aviation
de Havilland DHC-3, C-GBTU
Little Grand Rapids (Manitoba)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 26 octobre 2019, vers 7 h 45, heure avancée du Centre, l’aéronef de Havilland DHC-3 Otter à flotteurs exploité par Blue Water Aviation (immatriculation C-GBTU, numéro de série 209) a quitté l’aérodrome de Bissett Water (Manitoba) à destination de Little Grand Rapids (Manitoba), sur la rive est du lac Family, avec à son bord le pilote, 2 passagers et environ 800 livres de fret. Vers 8 h 45, alors que l’aéronef approchait du lac Family, l’aile droite s’est séparée du fuselage. L’aéronef a ensuite effectué un piqué et a percuté la surface du lac. Le pilote et les 2 passagers ont subi des blessures mortelles. L’aéronef a été détruit par les forces de l’impact. La radiobalise de repérage d’urgence s’est momentanément activée.

1.0 Renseignements de base

1.1 Déroulement du vol

Le 26 octobre 2019, vers 7 h 45Note de bas de page 1, l’aéronef de Havilland DHC-3 Otter à flotteurs exploité par Blue Water Aviation (immatriculation C-GBTU, numéro de série 209) a quitté l’aérodrome de Bissett Water (CJY6) (Manitoba) pour un vol selon les règles de vol à vue (VFR) vers la collectivité de Little Grand Rapids (Manitoba), située sur la rive est du lac Family. L’aéronef avait à son bord le pilote, 2 passagers et environ 800 livresNote de bas de page 2 de fret. Le vol avait pour but de transporter 2 entrepreneurs, leurs outils et certains matériaux de toiture. C’était le premier d’une série de vols prévus pour cette journée-là.

Figure 1. Trajectoire de l’aéronef à l’étude, fondée sur les données du système de positionnement mondial (GPS) (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Trajectoire de l’aéronef à l’étude, fondée sur les données du système de positionnement mondial (GPS) (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

Vers 8 h 45, alors que l’aéronef se trouvait à environ 400 pieds au-dessus du niveau du sol (AGL) et effectuait un virage à gauche avant l’approche finale pour le lac Family, l’aile droite s’est détachée du fuselage. L’aéronef a ensuite effectué un piqué et a percuté la surface du lac (figure 1). Le pilote et les 2 passagers ont subi des blessures mortelles. L’aéronef a été détruit. La radiobalise de repérage d’urgence (ELT) s’est momentanément activée.

1.2 Tués et blessés

Tableau 1. Tués et blessés
Blessures Équipage Passagers Nombre total de personnes à bord Autres
Mortelles 1 2 3
Graves 0 0 0
Légères 0 0 0
Aucune 0 0 0
Total 1 2 3

1.3 Dommages à l’aéronef

L’aéronef a été détruit par les forces de l’impact.

1.4 Autres dommages

On n’a signalé aucun dommage à l’environnement.

1.5 Renseignements sur le personnel

Le pilote occupait le siège de gauche. Il était titulaire d’une licence de pilote professionnel et il possédait les certificats pour piloter des avions terrestres et hydravions monomoteurs et multimoteurs. Un examen des renseignements médicaux et des renseignements sur la formation de la compagnie le concernant a révélé que le pilote était certifié et qualifié pour le vol conformément à la réglementation existante.

Tableau 2. Renseignements sur le pilote
Licence de pilote Licence de pilote professionnel (CPL)
Date d’expiration du certificat médical catégorie 1 1er mai 2020
Heures de vol total Environ 9500
Heures de vol sur type Environ 5800
Heures de vol au cours des 7 jours précédant l’événement 8,2
Heures de vol au cours des 30 jours précédant l’événement 58
Heures de vol au cours des 90 jours précédant l’événement 127,5
Heures de vol sur type au cours des 90 derniers jours 127,5
Heures de service avant l’événement 2
Heures hors service avant la période de travail 13

1.6 Renseignements sur l’aéronef

1.6.1 Généralités

Le de Havilland DHC-3 Otter est un monoplan monomoteur, à aile haute, entièrement métallique. L’aéronef à l’étude a été construit en 1957 par de Havilland Aircraft of Canada Ltd. En 2006, Viking Air Ltd. est devenu propriétaire du certificat de type pour le DHC-3.

L’aéronef à l’étude a été acheté par Blue Water Aviation en 1996 et a subi plusieurs inspections et modifications importantes de sa structure avant sa remise en service.

Au moment de l’événement, des modifications avaient été installées sur l’aéronef conformément à plusieurs certificats de type supplémentaires (CTS) de Stolairus Aviation Inc.Note de bas de page 3, notamment :

L’aéronef a été modifié conformément aux CTS no SA94-114 et no SA95-32 avant que Viking Air Ltd. ne devienne propriétaire du certificat de type du DHC-3. Tous les travaux susmentionnés et les travaux d’entretien subséquents ont été effectués par Winnipeg River Air Service, une filiale de Blue Water Aviation et un organisme d’entretien approuvé par Transports Canada (TC).

Tableau 3. Renseignements sur l’aéronef
Constructeur de Havilland Aircraft of Canada / Viking Air Ltd. (titulaire du certificat de type)
Type, modèle et immatriculation DHC-3 Otter, C-GBTU
Année de construction 1957
Numéro de série 209
Date d’émission du certificat de navigabilité / permis de vol 2015-05-26
Total d’heures de vol cellule 16 474 heures
Type de moteur (nombre) Turbine H75-200 de General Electric (GE) Aviation Czech (1)
Heures de fonctionnement totales du moteur 683,8
Type d’hélice ou de rotor (nombre) Avia V508E/106/A (1)
Masse maximale autorisée au décollage 8367 lb
Type(s) de carburant recommandé(s) Jet A, Jet A-1 ou JP 5
Type de carburant utilisé Jet A

L’inspection d’entretien la plus récente de l’aéronef à l’étude était une inspection aux 100 heures effectuée le 3 septembre 2019. À ce moment, l’aéronef avait accumulé 16 396,6 heures de vol cellule. L’inspection consistait en un examen visuel de la cellule et du moteur pour en vérifier l’état et la sécurité.

Un examen des dossiers disponibles indique que l’aéronef à l’étude était homologué, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées, et qu’aucune anomalie non corrigée concernant l’aéronef n’était consignée le jour de l’événement.

Aucun problème en ce qui concerne le dépassement des limites de l’aéronef, comme les restrictions relatives au poids, à l’équilibre et à la vitesse, n’a été relevé au cours de l’enquête.

1.6.2 Ensemble de mâts de voilure et d’aile

La structure de l’aile du DHC-3 Otter se compose d’un longeron principal en aluminium et de plusieurs nervures en aluminium, et elle est recouverte d’une enveloppe en aluminium fixée à l’aide de rivets en aluminium. Les ailes sont fixées à la partie supérieure de la structure du fuselage; chaque aile est soutenue approximativement à la mi-longueur par un ensemble de mâts d’aile. L’ensemble de mâts d’aile est fixé au fuselage inférieur et à l’ensemble du longeron principal de chaque aile. Les ensembles de mâts d’aile transfèrent les charges de vol aux ailes. Les ensembles de mâts d’aile sont sous tension pendant le vol et en compression lorsque l’aéronef est au sol ou sur l’eau.

L’ensemble de mâts d’aile du de Havilland (numéro de pièce : C3-W-100) se compose d’une surface portante creuse en aluminium avec un longeron en aluminium installé à l’intérieur dans le sens de la longueur. Il y a 2 plaques de ferrure en aluminium (numéro de pièce : C3‑W-104) rivetées à chaque extrémité : 1 du côté externe et 1 du côté interne. Les 2 plaques de ferrure sont ensuite fixées à une ferrure de fixation à l’une des extrémités du mât d’aile (figure 2).

Figure 2. Ensemble de mâts d’aile sur le DHC-3 Otter (Source : Viking Air Ltd., avec annotations du BST)
Ensemble de mâts d’aile sur le DHC-3 Otter (Source : Viking Air Ltd., avec annotations du BST)

L’ensemble de mâts d’aile de droite a été fabriqué en 1954, mais il a été entreposé comme pièce de rechange jusqu’à ce qu’il soit installé sur l’aéronef à l’étude en 1998. L’ensemble de mâts d’aile n’avait accumulé aucun temps de vol avant son installation sur l’aéronef à l’étude.

La durée de vie précisée par le fabricant pour les mâts d’aile est de 20 000 heuresNote de bas de page 8. Lorsque le CTS no SA95-32 a été incorporé à l’aéronef à l’étude, l’ensemble de mâts d’aile de droite avait accumulé environ 200 heures depuis sa mise en service et le CTS exigeait que la durée de vie utile soit réduite à 17 325 heures restantes, au prorata. Au moment de l’événement, l’ensemble de mâts d’aile de droite avait accumulé 8578 heures depuis l’installation du CTS no SA95-32. Par conséquent, il restait 8747 heures de service.

L’aéronef à l’étude était entretenu en fonction d’un programme d’inspection périodique qui contenait les exigences d’inspection suivantes pour les ailes et les ensembles de mâts d’aile :

L’aéronef en cause était assujetti aux consignes de navigabilité (CN) suivantes relatives aux mâts d’aile et s’y était conformé :

Le 10 mars 2018, les trous de cheville du mât d’aile de l’aéronef en cause ont été examinés visuellement conformément à la CN CF-2017-11. Au cours de l’inspection, des traces de corrosion de surface ont été découvertes sur la surface de la plaque de ferrure interne supérieure du mât d’aile droit. La corrosion a été retirée et de nouveaux boulons de fixation supérieurs du mât d’aile ont été installés. À ce moment, il n’y avait aucun signe de fissuration par fatigue.

1.6.3 Examen visuel pour détecter de la corrosion sur le mât d’aile du DHC-3

De nombreux types d’aéronefs vieillissants sont actuellement exploités au Canada, y compris le DHC-3 Otter. Fabriqué en 1957, l’aéronef à l’étude était en service depuis plus de 60 ans. L’expérience de maintenance indique que les aéronefs vieillissants sont plus susceptibles d’être affectés par la corrosion, l’usure et la fissuration par fatigue que ceux qui ont moins d’heures de vol ou de cycles cellule. De plus, on sait que les pièces en alliages d’aluminium sont sensibles à la fissuration par fatigue. Ces fissures peuvent être le résultat de nombreux facteurs, comme la corrosion, la surcharge et le nombre élevé de cycles ou d’heures de vol cellule. Les fissures par fatigue produisent une très forte concentration de stress (facteurs d’augmentation de la contrainte) à leurs extrémités. Si une fissure en croissance n’est pas détectée, la composante affectée se rompra ou se brisera tôt ou tard.

En réponse à ce phénomène, Viking Air Ltd., titulaire du certificat de type pour l’aéronef de Havilland DHC-3, a élaboré un manuel d’inspection supplémentaire et de contrôle de la corrosion (Supplementary Inspection and Corrosion Control Manual – SICCM). Le manuel dresse la liste des composants de l’aéronef (y compris les ensembles de mâts d’aile) qui doivent être inspectés pour détecter la dégradation liée à la corrosion, à l’usure et à la fatigue. L’inspection exige le retrait du carénage des mâts d’aile inférieurs et supérieurs pour permettre un examen visuel détaillé. Un endoscope doté d’une source lumineuse puissante est nécessaire pour inspecter les surfaces internes du mât d’aile. Cet examen doit être effectué tous les 12 mois. En février 2018, TC a émis la CN CF‑2018-04, qui rendait cet examen obligatoire.

L’objectif de l’examen visuel détaillé est d’inspecter les mâts d’aile afin de détecter [traduction] :

  1. la dégradation de la surface, la fissuration, les boursouflures, l’écaillage;
  2. le piquage et la corrosion de surface, en accordant une attention particulière à la plaque de ferrure aux extrémités supérieure et inférieure du mât;
  3. le jeu excessif au niveau des bagues;
  4. les fissures et les dommages, en accordant une attention particulière aux joints, aux rivets et aux plaques de ferrureNote de bas de page 9.

L’examen visuel détaillé n’exige pas d’enlever l’ensemble de mâts d’aile de l’aéronef et ne permet pas d’inspecter la surface interne et l’alésage de la plaque de ferrure.

Les examens visuels peuvent être moins fiables que les autres méthodes d’inspection, comme les essais non destructifs. Les fissures peuvent apparaître comme des lignes très fines qui ne sont pas visibles à l’œil nu, et des techniques d’examen améliorées, comme des essais non destructifs, pourraient être nécessaires pour détecter toute anomalie.

À l’exception de l’utilisation d’un endoscope, la procédure d’inspection indiquée dans le SICCM n’exigeait pas de méthodes d’essai non destructif.

Blue Water Aviation a effectué en novembre 2018 le dernier examen visuel détaillé conformément à la CN CF-2018-04. Il n’y avait aucun signe de fissuration par fatigue.

1.7 Renseignements météorologiques

Il n’y a aucun renseignement météorologique consigné pour Little Grand Rapids. L’enquête a permis de déterminer qu’au moment de l’accident, le plafond variait entre 1500 et 2500 pieds AGL, avec une visibilité d’environ 10 milles terrestres (SM). On a estimé que le vent soufflait du sud-sud-est à environ 20 nœuds. Les prévisions régionales d’Environnement et Changement climatique Canada prévoyaient des plafonds de 1000 à 1500 pieds AGL avec des vents soufflant du sud.

Les conditions météorologiques ne sont pas considérées comme ayant été un facteur contributif à cet événement.

1.8 Aides à la navigation

Sans objet.

1.9 Communications

Sans objet.

1.10 Renseignements sur l’aérodrome

Sans objet.

1.11 Enregistreurs de bord

L’aéronef n’était pas équipé d’enregistreurs de vol et ces derniers n’étaient pas requis par la réglementation.

L’aéronef était muni d’un GPS Garmin GPSmap695. On a récupéré le GPS sur le lieu de l’accident et on en a extrait les données. Les enquêteurs ont examiné les données GPS disponibles, y compris celles du vol à l’étude; cet examen n’a révélé aucune anomalie au cours du vol à l’étude.

1.12 Renseignements sur l’épave et sur l’impact

Il n’y avait pas de débris visibles lorsque les enquêteurs du BST sont arrivés sur le lieu de l’accident. La plupart des débris ont coulé peu après l’impact avec la surface de l’eau. On a retrouvé l’aile droite, qui s’est détachée, flottant près d’une île voisine (figure 3). Cependant, il a été impossible de déterminer si l’aile était tombée à cet endroit, ou si elle avait dérivé en raison des vents assez forts qui étaient présents à ce moment. Des plongeurs de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont trouvé le champ de débris sous-marin, dont la majeure partie occupait une superficie d’environ 15 m sur 15 m (figure 3; non à l’échelle).

Figure 3. Site de l’épave et trajectoire de vol finale (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Site de l’épave et trajectoire de vol finale (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

Le champ de débris indique que l’aéronef a percuté l’eau à un angle prononcé avec très peu de vitesse horizontale et qu’il a coulé presque immédiatement après l’impact avec la surface de l’eau. L’aile droite a été transportée en un lieu sûr. La fixation supérieure du mât d’aile présentait des dommages visibles.

On a récupéré les débris restants au fond du lac. On estime avoir récupéré 95 % de l’aéronef (en fonction du poids). Une inspection du moteur et des pièces de cellule récupérées, à l’exception des plaques de ferrure supérieures du mât d’aile droit, n’a révélé aucune anomalie avant impact. La déformation et la torsion de l’hélice indiquaient que le moteur développait une puissance importante au moment de l’impact avec la surface de l’eau.

Aucun document de vol, comme les carnets ou les plans de vol exploitation (PVE), n’a été récupéré sur les lieux.

1.13 Renseignements médicaux et pathologiques

L’enquête n’a révélé aucun trouble ou événement physiologique préexistant qui aurait pu empêcher le pilote de piloter en toute sécurité l’aéronef.

1.14 Incendie

On n’a observé aucun signe d’incendie avant ou après l’impact.

1.15 Questions relatives à la survie des occupants

Il était impossible de survivre à l’accident en raison de l’importance des forces d’impact. L’ELT n’a pas été récupérée sur le site où se trouvait l’épave. Par conséquent, on n’a pas été en mesure de déterminer pourquoi elle ne s’est activée que momentanément.

1.16 Essais et recherche

1.16.1 Rapports de laboratoire du BST

Figure 4. Mât d’aile brisé présentant des ruptures (Source : BST)
Mât d’aile brisé présentant des ruptures (Source : BST)

Le BST a produit le rapport de laboratoire suivant dans le cadre de la présente enquête :

1.16.2 Examen des ruptures des plaques de ferrure du mât d’aile

Les plaques de ferrure supérieures internes et externes du mât d’aile droit (numéro de pièce C3-W-104) ont d’abord été examinées dans les installations du BST à Winnipeg (Manitoba). On a noté que ces pièces s’étaient rompues, et elles ont été expédiées au Laboratoire technique du BST à Ottawa (Ontario) pour subir une analyse plus approfondie.

On a examiné les pièces rompues des plaques de ferrure supérieures du mât d’aile droit à l’aide d’un macroscopeNote de bas de page 10 et d’un microscope électronique à balayage (MEB)Note de bas de page 11. L’examen a révélé une rupture par fatigue progressiveNote de bas de page 12 à l’intérieur de l’alésage du trou de cheville de la plaque de ferrure supérieure externe du mât d’aile droit, à l’extrémité du mât fixée à la voilure (figure 4). Une petite fissure par fatigue a également été observée du côté opposé (interne) de l’alésage du trou de cheville (figure 5). L’examen du Laboratoire technique du BST a révélé que la surface de l’alésage était plutôt rugueuse et présentait des rayures en circonférence, de même que quelques rayures longitudinales, même si rien de particulier n’a été observé sur l’alésage près de l’origine de la rupture par fatigue.

Figure 5. Rupture par fatigue du côté interne de l’alésage du trou de cheville de la plaque de ferrure supérieure externe du mât d’aile droit (Source : BST)
Rupture par fatigue du côté interne de l’alésage du trou de cheville de la plaque de ferrure supérieure externe du mât d’aile droit (Source : BST)

Les analyses ont également confirmé que le matériau de la pièce présentait les caractéristiques de l’alliage d’aluminium 2024, qui est le matériau précisé par le fabricant pour cette pièce. On n’a relevé aucune anomalie dans le matériau de la plaque de ferrure.

Les imperfections de la surface, comme les rayures, les entailles ou la corrosion, sont reconnues comme étant un facteur d’augmentation de la contrainte favorisant l’apparition de fissuration par fatigue. Il n’a pas été possible de déterminer ce qui avait engendré la rupture par fatigue.

L’inspection effectuée par le Laboratoire technique du BST sur les plaques de ferrure du mât d’aile gauche n’a révélé aucune anomalie avant impact dans le matériau.

1.17 Renseignements sur les organismes et sur la gestion

Blue Water Aviation consigne et entrepose les renseignements sur le manifeste et le chargement de l’aéronef, ainsi que les PVE, sur une tablette. Lorsque la tablette se trouve à une base de l’entreprise, les données électroniques du PVE et les calculs de charge sont téléchargés dans un fichier de données infonuagiques par l’entremise du réseau sans fil de la base de l’entreprise. Ces données contiennent des renseignements sur l’aéronef, soit le nombre d’occupants à bord, son itinéraire, son contenu (p. ex., le fret), ainsi que les renseignements sur la masse et le centrage.

Dans l’événement à l’étude, la tablette contenant les données du PVE et les calculs de charge du vol à l’étude n’a pas été récupérée sur le site où se trouvait l’épave. De plus, même si le vol était parti d’une base de l’entreprise, un examen du fichier de données infonuagiques a révélé que les données du PVE et les calculs de charge n’avaient pas été téléchargés avant le vol à l’étude. Par conséquent, les enquêteurs n’avaient accès à aucune donnée précise sur le chargement de l’aéronef. L’enquête n’a pas permis de déterminer la raison pour laquelle les données n’ont pas été téléchargées. La pratique consistant à entreposer les plans de vol et les renseignements sur les manifestes par voie électronique n’est pas inhabituelle au Canada.

1.18 Renseignements supplémentaires

Sans objet.

1.19 Techniques d’enquête utiles ou efficaces

Sans objet.

2.0 Analyse

L’aéronef en cause était certifié, équipé et entretenu conformément aux règlements en vigueur et aux procédures approuvées. Cette analyse sera axée sur les conditions et les événements qui ont mené à une défaillance structurelle et à la désintégration en vol subséquente de l’aéronef, ainsi que sur les problèmes découverts en ce qui concerne la récupération des données du plan de vol exploitation (PVE).

2.1 Défaillance structurelle

L’analyse en laboratoire a révélé qu’une rupture par fatigue dans la plaque de ferrure supérieure externe du mât d’aile droit a entraîné la défaillance de l’ensemble de mât d’aile, dont la durée de vie restante au moment de l’événement était de 8747 heures. Il a été impossible de déterminer la cause exacte de l’apparition de la rupture par fatigue. Cependant, l’origine la plus probable de la rupture par fatigue est une imperfection de surface, comme une rayure ou une entaille.

La rupture par fatigue a commencé dans l’alésage du trou de cheville de la plaque de ferrure supérieure externe du mât d’aile droit, puis a entraîné une rupture par contraintes excessives des plaques de ferrure supérieures externe et interne du mât d’aile droit pendant le virage à gauche avant l’approche finale.

La défaillance des plaques de ferrure externes et internes a entraîné la séparation du mât d’aile droit de l’aile et, par la suite, la séparation de l’aile droite de l’aéronef.

Aucune des inspections visuelles visant à détecter la corrosion, effectuées conformément au manuel d’inspection supplémentaire et de contrôle de la corrosion (Supplementary Inspection and Corrosion Control Manual – SICCM) de Viking Air Ltd. et à la consigne de navigabilité (CN) CF-2018-4 de Transports Canada, n’avait permis de détecter une fissure par fatigue qui s’était développée à l’intérieur du trou de cheville de la plaque de ferrure externe du mât d’aile droit. Les inspections visuelles peuvent être une technique peu fiable pour détecter les fissures par fatigue, qui peuvent apparaître sous forme de lignes très fines qui ne sont pas visibles à l’œil nu. L’inspection visuelle des plaques de ferrure du mât d’aile, lorsqu’elles sont installées sur l’aéronef, est limitée à la surface externe et ne permet pas d’inspecter la surface interne et l’alésage. Des essais non destructifs, comme l’utilisation d’un courant de Foucault ou une inspection par pénétration, permettraient de détecter ces ruptures, mais ils n’étaient pas requis dans la procédure d’inspection indiquée dans le SICCM. L’inspection visuelle détaillée prescrite dans le SICCM de Viking Air Ltd. et exigée par la CN CF-2018-4 n’a pas permis de détecter les fissures pouvant se former dans la plaque de ferrure supérieure externe du mât d’aile droit.

2.2 Plans de vol exploitation entreposés électroniquement

Dans bien des cas, les données électroniques du PVE ne sont pas téléchargées tant que la tablette ne se trouve pas à portée du réseau sans fil d’un exploitant. Dans l’événement à l’étude, les enquêteurs n’ont pas pu déterminer avec exactitude le poids de la charge de l’aéronef au moment de l’accident, car les données n’avaient pas été téléchargées dans le fichier de données infonuagique avant le vol et la tablette n’a pas été récupérée sur le site où se trouvait l’épave. Si les données sur le PVE et les calculs de la charge ne sont pas disponibles, il y a un risque que, en cas de disparition d’un aéronef ou d’accident, les renseignements sur l’aéronef, soit le nombre d’occupants, l’itinéraire, le fret, ainsi que les renseignements sur la masse et le centrage, ne soient pas disponibles pour les opérations de recherche et de sauvetage ou les enquêtes sur les accidents.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

  1. La rupture par fatigue a commencé dans l’alésage du trou de cheville de la plaque de ferrure supérieure externe du mât d’aile droit, puis a entraîné une rupture par contraintes excessives des plaques de ferrure supérieures externe et interne du mât d’aile droit pendant le virage à gauche avant l’approche finale.
  2. La défaillance des plaques de ferrure externes et internes a entraîné la séparation du mât d’aile droit de l’aile et, par la suite, la séparation de l’aile droite de l’aéronef.

3.2 Faits établis quant aux risques

Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

  1. Si les données sur les plans de vol exploitation et les calculs de la charge ne sont pas disponibles, il y a un risque que, en cas de disparition d’un aéronef ou d’accident, les renseignements sur l’aéronef, soit le nombre d’occupants, l’itinéraire, le fret, ainsi que les renseignements sur la masse et le centrage, ne soient pas disponibles pour les opérations de recherche et de sauvetage ou les enquêtes sur les accidents.

3.3 Autres faits établis

Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.

  1. L’inspection visuelle détaillée prescrite dans le manuel d’inspection supplémentaire et de contrôle de la corrosion (Supplementary Inspection and Corrosion Control Manual) de Viking Air Ltd. et exigée par la consigne de navigabilité CF-2018-4 n’a pas permis de détecter les fissures pouvant se former dans la plaque de ferrure supérieure externe du mât d’aile droit.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

4.1.1 Viking Air Ltd.

En réponse à cet événement, Viking Air Ltd. a publié, le 26 novembre 2019, le bulletin de service d’alerte (BSA) V3/0011. Ce bulletin de service demande aux exploitants d’effectuer des essais plus détaillés sur les ferrures de fixation et les plaques de ferrure des mâts d’aile du DHC-3.

4.1.2 Bureau de la sécurité des transports du Canada

En réponse au BSA V3/0011, le Bureau de la sécurité des transports du Canada a publié l’Avis de sécurité aérienne A19C0138-D1-A1, qui demandait à Transports Canada (TC) de collaborer avec Viking Air Ltd. pour modifier le manuel d’inspection supplémentaire et de contrôle de la corrosion (Supplementary Inspection and Corrosion Control Manual – SICCM) ou de publier une nouvelle consigne de navigabilité (CN) afin d’inclure les exigences d’inspection décrites dans le BSA V3/0011 de Viking Air Ltd.

4.1.3 Blue Water Aviation

En réponse à cet événement, Blue Water Aviation a retiré les ensembles de mâts d’aile complets sur 2 des aéronefs qu’elle exploite et sur 4 de ceux dont elle assure l’entretien contractuel. Ils ont tous été remplacés par des ensembles de mâts d’aile neufs ou révisés.

4.1.4 Transports Canada

À la suite de l’accident, TC a effectué, le 25 novembre 2019, une inspection du processus. L’inspection du processus a relevé certaines divergences dans le programme d’assurance de la qualité de l’exploitant. Ces constatations n’étaient pas liées à l’événement à l’étude.

De plus, en réponse à cet événement, TC a publié la CN CF-2020-20, qui est entrée en vigueur le 10 juin 2020. La CN exige que les mesures correctives suivantes soient prises :

  1. À partir de la date d’entrée en vigueur la présente CN, les haubans d’aile de réf. C3W100, tous les suffixes, doivent être mis hors service avant d’avoir accumulé plus de 20 000 heures de temps dans les airs.

    Remarque : Les limites de navigabilité liées à l’exploitation avec une masse maximale augmentée, comme les opérations effectuées conformément au CTS SA95-32, exigent que les haubans d’aile soient mis hors service avant la limite indiquée à la mesure corrective A. Les limites de navigabilité réduites associées à l’exploitation avec une masse maximale augmentée doivent obligatoirement être respectées et, s’il y a lieu, ont préséance sur la limite de navigabilité établie par la mesure corrective A.

  2. Dans le cas des avions ayant un hauban d’aile de réf. C3W100, tous les suffixes, qui ont accumulé plus de 2500 heures de temps dans les airs depuis la mise en service à la date d’entrée en vigueur de la présente CN, dans les trente (30) jours à partir de la date d’entrée en vigueur de la présente CN, inspecter le hauban d’aile et le matériel de fixation conformément aux consignes d’exécution de la révision NC du ASB V3/0011, en date du 26 novembre 2019. Dans le cas des haubans d’aile qui ont accumulé moins de 5000 heures de temps dans les airs, la mesure corrective C est une solution de rechange à la présente mesure corrective.

    Remarque : Les mesures correctives B et C ne s’appliquent pas aux haubans d’aile qui atteignent le seuil des mesures correctives (2500 heures de temps dans les airs) après la date d’entrée en vigueur de la présente CN. Ces mesures correctives prévoient une évaluation non récurrente de l’état des pièces en service. Les renseignements recueillis grâce à cette évaluation seront utilisés par Viking et Transports Canada pour déterminer si une mesure additionnelle est nécessaire.

  3. Dans le cas des avions ayant un hauban d’aile de réf. C3W100, tous les suffixes, qui ont accumulé plus de 2500 heures de temps dans les airs, mais moins de 5000 heures de temps dans les airs à la date d’entrée en vigueur de la présente CN, en guise de solution de rechange à la mesure corrective B, les exploitants peuvent communiquer avec Viking pour obtenir des instructions sur l’inspection visuelle dans les trente (30) jours à partir de la date d’entrée en vigueur de la présente CN. Les exploitants qui choisissent cette solution de rechange doivent inspecter le hauban d’aile et le matériel de fixation conformément aux instructions écrites de Viking dans les cinq (5) mois à partir de la date d’entrée en vigueur de la présente CN.

    Remarque : Viking exigera des détails sur l’origine des haubans et l’historique d’entretien et d’exploitation.

  4. Si, durant l’inspection exigée par la mesure corrective B ou C de la présente CN, une défaillance ou une anomalie est détectée, tel que défini à la révision NC du ASB V3/0011 de Viking, en date du 26 novembre 2019, ou dans les instructions écrites fournies par Viking durant l’exécution de la mesure corrective C, avant le prochain vol, réparer ou remplacer les pièces concernées conformément au ASB.

  5. Dans les sept (7) jours à partir de l’exécution de l’inspection de la mesure corrective B ou C, rapporter les résultats à Viking conformément aux instructions de la révision NC du ASB V3/0011, en date du 26 novembre 2019 Note de bas de page 13.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été officiellement publié le .