Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A19W0063

Perte de maîtrise et collision avec le relief après le décollage
Aéronef privé
Cessna 170B (N4512C)
Aéroport international Erik Nielsen de Whitehorse (Yukon)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Contexte

    L’aéronef Cessna 170B privé (immatriculé N4512C, numéro de série 25456) effectuait un vol de convoyage depuis l’aéroport Flying Cloud (KFCM) à Eden Prairie (Minnesota, États-Unis), à destination de l’aéroport international Ted Stevens Anchorage (PANC), à Anchorage (Alaska, États-Unis). Le nouveau propriétaire, qui venait d’acheter l’avion, ainsi qu’un second pilote se trouvaient à bord. Tous deux pilotes professionnels, ils occupaient à tour de rôle les fonctions de pilote aux commandes. Le nouveau propriétaire de l’avion profitait de ce vol de convoyage pour satisfaire aux exigences de l’annotation d’avion muni d’un atterrisseur à roulette de queue, conformément aux règlements de la Federal Aviation Administration des États-UnisNote de bas de page 1. Le second pilote était instructeur de vol accrédité et pouvait autoriser cette annotation.

    Le 23 mai 2019, au terme d’une journée complète de travail, le second pilote a voyagé de nuit, de PANC à l’aéroport international Minneapolis-St Paul/Wold-Chamberlain (KMSP) (Minnesota, États-Unis), où le nouveau propriétaire de l’avion à l’étude l’a rencontré, le 24 mai 2019. Les 2 pilotes se sont ensuite rendus ensemble à KFCM.

    Après un retard de plusieurs heures à cause de conditions météorologiques défavorables, ils ont chargé à bord de l’avion le matériel qu’ils comptaient transporter à PANC. L’avion a ensuite circulé au sol jusqu’à la piste. Durant le décollage, des problèmes de manœuvrabilité ont été constatés et on a dû interrompre le décollage. L’enquête n’a pas permis de déterminer la nature des problèmes de manœuvrabilité.

    L’avion est rentré au hangar, où les pilotes ont déchargé le matériel. Les 2 pilotes ont ensuite réalisé 3 circuits à KFCM à bord de l’avion vide. Après l’atterrissage, ils ont chargé environ la moitié du matériel à bord de l’avion. Le reste devait être expédié en Alaska par d’autres moyens. Les pilotes ont alors décidé de reporter le départ au lendemain.

    Figure 1. Diagramme illustrant le vol à l’étude (Source : BST)
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    Diagramme illustrant le vol à l’étude (Source : BST)

    Le 25 mai 2019, le vol a commencé à KFCM et a pris fin à l’aéroport international Coutts/Ross (CEP4) (Alberta). Les pilotes ont fait 4 escales en chemin. La journée de service a duré 14 heures.

    Le 26 mai 2019, le vol s’est poursuivi et a traversé l’Alberta, puis s’est terminé à l’aéroport de Fort St. John (CYXJ) (Colombie-Britannique). Les pilotes ont fait 2 escales en chemin. La journée de service a duré au moins 12 heures.

    Déroulement du vol

    Le 27 mai 2019, l’avion a quitté CYXJ et a fait des escales d’avitaillement à l’aéroport de Fort Nelson (CYYE) (Colombie-Britannique) et à l’aéroport de Watson Lake (CYQH) (Yukon). L’avion a enfin terminé son trajet à l’aéroport international Erik Nielsen de Whitehorse (CYXY) (Yukon). Lorsque les pilotes ont atterri à CYXY, ils avaient effectué au moins 11 heures de vol. L’enquête a permis de déterminer que les pilotes avaient l’intention de se rendre à PANC le jour même.

    Vers 17 h 20Note de bas de page 2, une fois l’avion avitaillé et le plan de vol déposé, le second pilote, qui était le pilote aux commandes et occupait le siège de gauche, a roulé au sol sur la voie de circulation F jusqu’à la piste 14R (figure 1).

    Avant le départ, le pilote aux commandes a discuté de la variabilité de la vitesse et de la direction des vents avec le contrôleur aérien. Ce dernier a indiqué qu’au bout de la piste où l’avion allait commencer sa course au décollage, les vents soufflaient du 210° magnétique (M) à 15 nœuds, avec rafales à 20 nœuds. La manche à air au bout de la piste indiquait que les vents étaient calmes.

    Après avoir engagé l’avion sur la piste 14R depuis la voie de circulation F, le pilote aux commandes a roulé sur la pisteNote de bas de page 3 en positionnant l’avion tout contre le côté gauche de la piste, à environ 2200 pieds de son seuil. Il a ensuite manœuvré l’avion en diagonale vers le côté droit de la piste afin d’effectuer une course au décollage davantage dans le vent.

    À 17 h 28, lorsque l’avion a été autorisé à décoller, les vents soufflaient toujours du 210 °M à 15 nœuds, avec rafales à 20 nœuds. Le pilote aux commandes a amorcé la course au décollage à 7300 pieds de l’extrémité de la piste.

    L’avion a pris son envol à 5800 pieds de l’extrémité de la piste. Le pilote aux commandes a placé l’avion dans une assiette inclinée à droite qu’il a plus ou moins maintenue durant tout le décollage, et l’avion a lentement pris de l’altitude.

    À 3400 pieds de l’extrémité de la piste, le pilote aux commandes a sorti les volets, de 0° à 40°. À 2900 pieds de l’extrémité de la piste, le pilote a rentré quelque peu les volets à 30° ou à 20° et a maintenu ce réglage; l’enquête n’a pas permis de déterminer le réglage précis. À 2300 pieds de l’extrémité de la piste, l’avion a traversé une zone d’accalmie indiquée par la manche à air flasque (figure 2).

    Figure 2. Image saisie au décollage (à 17 h 29 min 38 s). La flèche rouge montre la manche à air à l’extrémité éloignée de la piste 14R, indiquant des vents calmes. (Source : Enregistreur vidéo installé à bord de l’avion à l’étude, avec annotation du BST)
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    Image saisie au décollage (à 17 h 29 min 38 s). La flèche rouge montre la manche à air à l’extrémité éloignée de la piste 14R, indiquant des vents calmes. (Source : Enregistreur vidéo installé à bord de l’avion à l’étude, avec annotation du BST)

    À 900 pieds de l’extrémité de la piste, après être monté à quelque 50 pieds au-dessus de la surface de la piste, l’avion a amorcé une descente intempestive.

    À 17 h 30 min 15 s, alors que l’avion se trouvait à environ 150 pieds au-delà de l’extrémité de la piste, il a percuté le relief près de la route périphérique et a bondi pour franchir la clôture de l’aéroport, au-delà de laquelle se trouve un dénivelé de 120 pieds. Au moment où l’avion se trouvait juste au-delà de la clôture, le klaxon de l’avertisseur de décrochage a retenti. L’avion a décroché, et l’aile gauche s’est affaissée. S’en est suivi un très bref rétablissement, et le klaxon de l’avertisseur de décrochage s’est tu; toutefois, un décrochage secondaire s’est aussitôt produit. L’avion a roulé subitement vers la droite, et il y a eu perte de maîtrise de l’avion.

    À 17 h 30 min 25 s, l’avion s’est écrasé dans un secteur boisé; il a été lourdement endommagé. Un enregistreur vidéo de bord a continué l’enregistrement audio et vidéo après que l’avion s’est immobilisé. L’enregistrement audio permet d’entendre un bip, ce qui indique que l’alimentation électrique était intacte après l’écrasement. Un incendie s’est déclaré 10 secondes après l’impact et a fini par consumer l’avion. Les 2 occupants ont été mortellement blessés. La radiobalise de repérage d’urgence s’est déclenchée durant l’écrasement.

    Renseignements météorologiques

    Le message d’observation météorologique régulière d’aérodrome (METAR) émis toutes les heures pour CYXY faisait état des conditions suivantes à 17 h :

    • vents du 200° vrai (V) à 12 nœuds avec rafales à 19 nœuds;
    • visibilité de 40 milles terrestres;
    • quelques nuages à 8000 pieds au-dessus du sol (AGL);
    • quelques nuages à 13 000 pieds AGL;
    • température de 24 °C;
    • point de rosée à 4 °C.

    Renseignements sur l’aéronef

    Construit en 1952, le Cessna 170B à l’étude est un avion tout métal à 4 places muni d’un train d’atterrissage classique. On peut régler les volets à 0°, 20° (1er cran), 30° (2e cran) ou 40° (3e cran). L’avion était propulsé par un moteur à pistons Continental C145-2.

    La dernière inspection aux 100 heures du moteur avait eu lieu le 7 août 2018. Une inspection avant achat avait été faite le 5 mai 2019, et d’après la lettre du technicien ayant effectué l’inspection, la compressionNote de bas de page 4 dans tous les cylindres était de 72/80 lb/po2 ou plus, ce qui correspondait à l’inspection aux 100 heures réalisée en 2018.

    Les dossiers indiquent que l’aéronef était homologué, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées.

    Renseignements sur le pilote

    Le pilote aux commandes durant le vol à l’étude était titulaire d’un certificat de pilote professionnel américainNote de bas de page 5 assorti des annotations suivantes : avions terrestres monomoteurs, hydravions monomoteurs, et instruments – avions. Il avait également la qualification d’instructeur de vol. Son carnet de vol de pilote a été détruit dans l’incendie après impact; toutefois, l’enquête a permis de déterminer que jusqu’en avril 2019, il avait accumulé 9563 heures de vol au total. Les dossiers de formation de son employeur montraient que le pilote avait de l’expérience sur les Cessna 185 et les Cessna 206, de même que sur les de Havilland DHC-2 Beaver munis de flotteurs, de skis ou de roues.

    Le nouveau propriétaire de l’avion était un ex-pilote d’hélicoptère militaire qui détenait un certificat de pilote professionnel américain assorti des annotations suivantes : avions terrestres monomoteurs, giravion – hélicoptère, et instruments – avions et hélicoptères. Il avait environ 1400 heures de vol au total à son actif. De ce nombre, 1240 avaient été cumulées sur des hélicoptères, et 160 sur des aéronefs monomoteurs à voilure fixe.

    Renseignements sur l’aéroport

    Le Manuel sur les conditions météorologiques locales publié par NAV CANADA indique que CYXY « se situe tout juste à l’ouest de la ville sur un plateau assez plat, de quelque 225 pieds d’élévation, qui longe le fleuve Yukon »Note de bas de page 6. L’aéroport se situe à une élévation de 2317 pieds au-dessus du niveau de la mer (ASL) et il est entouré de montagnes qui « atteignent des hauteurs de plus de 6000 pieds au-dessus du niveau de la mer à 15 milles marins au sud-ouest, à 7 milles marins à l’est, et à 30 milles marins au nord-ouest de l’aéroport »Note de bas de page 7. L’aéroport est fréquemment exposé à des vents qui sont générés par une combinaison d’effets de vallées et de gradients de pression régionaux : plus précisément, « un fort chevauchement des vents de l’ouest ou du sud-ouest en altitude engendre une turbulence plus importante et plus étendue accompagnée d’un cisaillement directionnel qui apparaît à moins de 1000 pieds au-dessus du sommet des montagnes environnantes »Note de bas de page 8.

    Renseignements sur l’épave

    Quoique l’incendie après impact a entièrement consumé l’avion, les enquêteurs ont pu récupérer certains documents et un enregistreur vidéo de l’épave. L’enregistreur vidéo a été envoyé au Laboratoire d’ingénierie du BST à Ottawa (Ontario) aux fins d’examen et d’analyse.

    Une inspection sommaire du moteur a été faite sur les lieux de l’accident et a permis de confirmer la compression dans les cylindres. Les dommages attribuables à l’impact et à l’incendie après impact ont empêché les enquêteurs de cerner de façon concluante tout problème qui aurait pu empêcher le moteur de produire sa pleine puissance.

    L’inspection de la cellule pour déterminer la continuité des commandes de vol était impossible étant donné les dommages causés par l’incendie; toutefois, la vidéo récupérée du vol à l’étude montrait que l’avion répondait à la manipulation des commandes de pilotage.

    Performance de l’aéronef

    La caméra vidéo à bord de l’avion a enregistré aussi bien le décollage à CYQH que le décollage à l’étude. Le Laboratoire d’ingénierie du BST a séparé l’enregistrement audio de l’enregistrement vidéo et a comparé les vitesses de l’hélice durant ces 2 décollages. Dans les 2 cas, on a noté que les vitesses de l’hélice au point mortNote de bas de page 9 avaient atteint leur maximum en deçà de la plage de vérification du régime pleins gazNote de bas de page 10 indiquée dans le manuel d’utilisation du Cessna 170B, soit de 2230 à 2330 tr/min. Durant les 2 décollages, il y a eu accélération graduelle des tours par minute de l’hélice à mesure qu’augmentait la vitesse de l’avion. La vitesse maximale de l’hélice relevée durant le départ de CYQH était de 2360 tr/min. La vitesse maximale de l’hélice durant le décollage à l’étude a varié de 2230 à 2241 tr/min.

    L’ampleur de l’incendie après impact a empêché les enquêteurs de déterminer la masse précise de l’avion au décollage lors du vol à l’étude; toutefois, à partir des renseignements recueillis, il est probable que l’avion avait atteint au moins sa masse brute autorisée au décollage, soit 2200 lb.

    On a calculé que l’altitude-densité au moment du décollage était de 4069 pieds ASL avec une composante de vent de face de 5 nœuds au début de la course au décollage.

    D’après le tableau de performanceNote de bas de page 11 du Cessna 170B, la distance requise pour décoller à CYXY, à une température de 24 °C (80 °F) et les volets rentrés, serait de 936 pieds pour prendre l’envol, et de 2340 pieds pour franchir un obstacle de 50 pieds de haut. Toujours d’après ce même tableau de performance, avec une masse brute de 2200 lb et les volets rentrés, l’avion aurait dû réaliser un taux de montée de 580 pieds par minute. À partir du moment où le pilote a mis pleins gaz, l’avion a mis environ 1600 pieds pour prendre son envol et n’est jamais monté à plus de 50 pieds durant toute la séquence de décollage.

    Comme l’explique le manuel d’utilisation du Cessna 170B, [traduction] « [l]es volets procurent une portance additionnelle ainsi qu’une traînée aérodynamique considérable […]Note de bas de page 12 ». Toujours d’après ce manuel, [traduction] « [i]l n’est pas recommandé de sortir les volets durant les décollages par vents traversiersNote de bas de page 13 ».

    Le manuel stipule ce qui suit concernant le recours aux volets à des altitudes-densités plus élevées [traduction] :

    […] à mesure que les altitudes et températures extérieures ambiantes augmentent, la traînée aérodynamique va contrecarrer la portance, au point où l’utilisation des volets accroît la distance de décollage. On recommande de consulter le tableau de performance au décollage […] pour déterminer s’il est judicieux d’utiliser les volets durant le décollage. […] le réglage des volets à 30 et 40 degrés n’est jamais recommandé pour décoller.

    RAPPEL

    On ne doit jamais, dans des conditions marginales, laisser les volets sortis suffisamment longtemps pour qu’ils entraînent une perte de vitesse de montée et de vitesse anémométriqueNote de bas de page 14.

    D’après le tableau de performanceNote de bas de page 15 du Cessna 170B, pour atterrir à CYXY quand il fait environ 24 °C (80 °F) et avec les volets réglés à 40°, il faudrait 1245 pieds de piste au total pour franchir un obstacle de 50 pieds de haut. Cette distance comprend 747 pieds dans les airs, et 498 pieds de roulement à l’atterrissage. Dans l’événement à l’étude, la distance entre le point où s’est amorcée la descente et la clôture périphérique était de quelque 1000 pieds.

    Messages de sécurité

    Dans l’événement à l’étude, après avoir pris son envol, l’avion n’est pas monté à plus de 50 pieds, et il a conservé une assiette inclinée à droite durant la montée de départ. De plus, les volets étaient sortis à 40°, puis à 30° ou à 20°, réglages qui auraient accru la traînée aérodynamique. Le manuel d’utilisation du Cessna 170B indique clairement qu’il n’est pas recommandé d’utiliser les volets à des altitudes-densités plus élevées. Il est important de suivre les recommandations des avionneurs pour que l’avion fonctionne comme prévu.

    De plus, l’enquête n’a pas permis de déterminer pourquoi, l’avion étant incapable de monter, on a poursuivi le décollage malgré un vent qui en diminuait la performance. Si la performance de l’avion durant le décollage n’est pas conforme aux attentes et s’il reste suffisamment de piste pour immobiliser l’avion, les pilotes doivent envisager d’interrompre le décollage.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .