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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A20A0027

Perte de maîtrise et collision avec le relief
Immatriculation privée
Robinson R44 Raven II (hélicoptère), C-FPBL
Lac Thorburn (Terre-Neuve-et-Labrador)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Déroulement du vol

Le 20 juillet 2020, un hélicoptère Robinson R44 Raven II sous immatriculation privée (immatriculation C-FPBL, numéro de série 13276) revenait d’un camp de pêche isolé situé à 7 milles marins (NM) à l’est de Reeds Pond (Terre-Neuve-et-Labrador), en vol à vue de jour jusqu’à l’hydrobase St. John’s (Paddy’s Pond) (CCQ5) (Terre-Neuve-et-Labrador). Le pilote et 2 passagers se trouvaient à bord. Un 2e hélicoptère Robinson R44, qui effectuait le même vol, a quitté le camp de pêche à peu près au même moment.

En cours de vol, les pilotes des 2 hélicoptères ont effectué plusieurs arrêts en route en raison du brouillard au sol le long de la côte sud du Labrador, et ils prévoyaient s’avitailler à l’aérodrome de Springdale (CCD2) (Terre-Neuve-et-Labrador). Cependant, après avoir atterri à CCD2, ils ont constaté que le service d’avitaillement ne serait pas disponible avant plusieurs heures. Les pilotes connaissaient un organisme de maintenance agréé (OMA) situé sur la rive est du lac Thorburn, de l’autre côté du lac par rapport à l’hydrobase de Thorburn Lake (CCW5) (Terre-Neuve-et-Labrador). Le pilote de l’événement à l’étude a communiqué avec l’OMA par téléphone et a confirmé que du carburant était disponible sur place. À 14 h 25Note de bas de page 1, les 2 hélicoptères ont quitté CCD2 en direction de CCW5, situé à environ 110 NM au sud-est.

Le site d’atterrissage prévu à CCW5 était une petite clairière d’environ 60 pieds de diamètre sur la route tout juste à l’extérieur de la grille d’entrée principale de l’OMA. Le site était une zone restreinte entourée d’arbres d’une hauteur approximative de 80 pieds.

Le pilote du 2e hélicoptère a été le premier à survoler le site d’atterrissage. Il a interrompu l’atterrissage en raison des vents et de la taille du site. Ensuite, il a indiqué au pilote de l’événement à l’étude qu’il avait l’intention d’atterrir ailleurs et il a orbité au-dessus de la zone pendant que le pilote de l’événement à l’étude tentait d’atterrir sur le site d’atterrissage restreint.

Vers 15 h 35, l’hélicoptère de l’événement à l’étude a viré à droite de l’étape de base vers son cap d’approche finale de 240° magnétiques (M). Au moment des faits, les vents soufflaient d’une direction variant entre 180°M et 230°M, à une vitesse d’entre 16 et 20 nœuds. Le pilote de l’événement à l’étude a poursuivi son approche vers le site d’atterrissage et s’est placé en vol stationnaire hors de l’effet de sol au-dessus du site d’atterrissage, juste sous la cime des arbres (figure 1). Une fois établi en vol stationnaire, le pilote a déterminé qu’il n’y avait pas assez de place pour poursuivre l’atterrissage et a amorcé une ascension verticale.

Figure 1. Trajectoire de vol estimée, dérivée des données du système de positionnement mondial (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Trajectoire de vol estimée, dérivée des données du système de positionnement mondial (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

Lorsque l’hélicoptère a été dégagé de la cime des arbres, il a commencé un mouvement de lacet lent vers la droite. Le pilote a appuyé sur le palonnier gauche; cependant, l’hélicoptère a poursuivi le lacet, dont la vitesse angulaire a augmenté. Le pilote a alors enfoncé les pédales du palonnier droit et gauche plusieurs fois pour vérifier la réponse du palonnier pendant que l’hélicoptère poursuivait le lacet à droite. Le fait d’appuyer sur les pédales n’a pas arrêté le lacet à droite.

Alors que le pilote essayait de maîtriser la vitesse angulaire de lacet, l’hélicoptère a commencé à tanguer vers le haut et le bas en alternance, avec de plus en plus d’ampleur. Après au moins 2 rotations complètes à droite, le rotor principal a sectionné la poutre de queue alors que les mouvements de tangage s’accentuaient au point de ne plus pouvoir être maîtrisés. L’hélicoptère est devenu absolument incontrôlable et est tombé dans les arbres. L’hélicoptère s’est immobilisé à l'endroit sur le sol de la forêt, appuyé contre plusieurs grands arbres. L’hélicoptère a été détruit. Le pilote, assis sur le siège avant droit, et le passager assis sur le siège avant gauche ont été grièvement blessés. Le passager assis sur le siège arrière droit a été mortellement blessé. Tous les occupants portaient leur ceinture sous-abdominale et leur ceinture-baudrier.

La radiobalise de repérage d’urgence de 406 MHz s’est déclenchée à l’impact.

Des témoins sont intervenus et ont éteint un petit incendie après impact, qui était confiné au compartiment moteur. Les premiers intervenants ont transporté le pilote et le passager survivants vers un hôpital local.

À la suite de l’événement, le pilote du 2e hélicoptère est allé du côté ouest du lac et a atterri sans encombre dans une zone dégagée.

Renseignements sur le pilote

Le pilote de l’événement à l’étude était titulaire d’une licence de pilote privé – hélicoptère assortie d’une qualification pour le R44, de même que d’un permis de pilote de loisir – avion. Le pilote tenait 2 carnets de vol distincts pour consigner ses heures de vol (1 pour les hélicoptères et 1 pour les avions). Le dernier vol inscrit dans le carnet de vol du pilote pour les hélicoptères était daté du 25 mars 2015. À ce moment-là, le temps total accumulé sur hélicoptères était de 148,9 heures, dont 91,1 heures sur type.

Le pilote avait fait l’achat et pris possession de l’hélicoptère 8 jours avant l’événement et avait effectué 3,7 heures de vol en double commande avec le propriétaire précédent. Au moment de l’événement, il avait accumulé 15,7 heures à titre de commandant de bord pendant son voyage de pêche à Reeds PondNote de bas de page 2.

Le certificat médical de catégorie 3 du pilote avait expiré le 1er octobre 2017, ce qui signifie que sa licence n’était pas valide au moment de l’événement. L’état de santé du pilote n’a pas été considéré comme un facteur ayant contribué à cet événement.

Renseignements sur l’aéronef

L’hélicoptère était exploité dans les limites de masse et de centrage et de centre de gravité. L’examen de l’épave n’a permis de découvrir aucune défaillance préexistante des systèmes ayant pu jouer un rôle dans la perte de maîtrise lors de l’événement à l’étude. L’hélicoptère n’était pas muni d’un enregistreur de données de vol ni d’un enregistreur de conversations de poste de pilotage, et la réglementation ne l’exigeait pas.

Le carnet de route de l’aéronef de l’événement à l’étude n’avait pas été mis à jour depuis que l’aéronef avait été remis au nouveau propriétaire. Le Règlement de l’aviation canadien (RAC) exige que le commandant de bord consigne quotidiennement les renseignements sur le vol dans le carnet de route, après avoir effectué chaque vol ou série de volsNote de bas de page 3.

Conditions météorologiques

CCW5 ne dispose d’aucune station d’observation météorologique. La station d’observation météorologique la plus près se trouve dans le parc national Terra Nova (Terre-Neuve-et-Labrador), situé à environ 20 NM au nord-nord-est. Au moment de l’événement, un avertissement de chaleur avait été émis indiquant des températures ambiantes élevées et de l’humidité dans la région. Les données météorologiques suivantes ont été consignées au parc Terra Nova :

À proximité de la zone d’atterrissage de Thorburn Lake, des vents variables soufflant du 180 au 230°M à une vitesse estimée de 16 à 20 nœuds ont été observés. Les nuages et la visibilité n’ont pas constitué des facteurs dans l’événement à l’étude.

Site d’atterrissage

Le pilote de l’événement à l’étude connaissait bien le site d’atterrissage depuis le sol, car il fait partie de la route d’accès vers l’OMA. Bien qu’il soit passé à proximité du site d’atterrissage plusieurs fois en voiture, il n’y avait jamais atterri en hélicoptère. Le pilote savait aussi que d’autres hélicoptères de plus grande taille, comme un Bell 206 et un Eurocopter AS 350, y avaient atterri par le passé.

La combinaison du relief, de la direction des vents et de leur vitesse était propice à des conditions de turbulence mécanique.

Mouvement de lacet intempestif

Vues d’en haut, les pales du rotor principal du Robinson R44 tournent en sens antihoraire. Cette rotation fait que l’hélicoptère subit une réaction de couple en sens opposé, qui se manifeste par un mouvement de lacet vers la droite (figure 2).

Figure 2. Effet de couple (Source : Transports Canada, TP 9982, Manuel de pilotage des hélicoptères, 2e édition [juin 2006], figure 3-3)
Effet de couple (Source : Transports Canada, TP 9982, <em>Manuel de pilotage des hélicoptères</em>, 2e édition [juin 2006], figure 3-3)

Pour contrer ce mouvement, l’hélicoptère est muni d’un rotor de queue qui produit une poussée latérale. Pour compenser le couple créé par le rotor principal pendant de nombreux régimes de vol normaux, le pilote exerce une pression sur les pédales du palonnier pour augmenter ou réduire la poussée du rotor de queue, au besoin.

Toutefois, lorsque ce mouvement de lacet n’est pas prévu, il est appelé lacet intempestif, ou perte d’efficacité du rotor de queue (LTE), qu’on définit comme suit [traduction] :

La LTE est une caractéristique aérodynamique critique se manifestant à basse vitesse et pouvant provoquer un mouvement de lacet rapide et intempestif qui ne se neutralise pas de lui-même et qui, s’il n’est pas corrigé, peut entraîner la perte de maîtrise de l’aéronefNote de bas de page 4.

La LTE n’est pas attribuable à un bris d’équipement ni à une maintenance déficiente, et tout hélicoptère monorotor volant à basse vitesse peut subir ce phénomène. Cette perte d’efficacité est plutôt causée par un rotor de queue qui ne fournit pas une poussée suffisante pour maintenir la maîtrise en direction.

De plus, 4 régions azimutales de vent relatif peuvent créer un environnement propice à la LTE (figure 3) :

Figure 3. Angles d'interférence tourbillonnaire du disque du rotor principal et de l'état de zone d’anneau tourbillonnaire du rotor de queue (Source : BST, d’après les figures de l’Advisory Circular 90-95 : Unanticipated Right Yaw in Helicopters [1995] de la Federal Aviation Administration.)
Angles d'interférence tourbillonnaire du disque du rotor principal et de l'état de zone d’anneau tourbillonnaire du rotor de queue (Source : BST, d’après les figures de l’Advisory Circular 90-95 : Unanticipated Right Yaw in Helicopters [1995] de la Federal Aviation Administration.)

Lors de l’événement, la masse de l’hélicoptère était inférieure d’environ 130 livres à sa masse brute maximale et il était en vol stationnaire hors de l’effet de sol. On a estimé que les vents étaient turbulents et soufflaient sur l’hélicoptère de la gauche, avec des rafales pouvant atteindre 20 nœuds. Compte tenu de ces conditions, l’hélicoptère fonctionnait à régime de puissance élevée dans les régions azimutales de vent relatif critiques de l'interférence tourbillonnaire du disque du rotor principal et de la zone d’anneau tourbillonnaire du rotor de queue, ce qui pouvait engendrer un lacet intempestif.

La Robinson Helicopter Company émet des avis de sécurité à la suite de leçons tirées de divers événements. Les avis de sécurité se trouvent dans le Manuel d’utilisation du pilote (POH) de l’hélicoptère et sont également disponibles sur le site Web du constructeur. L’avis de sécurité 42 intitulé Unanticipated Yaw [lacet intempestif] a été publié en mai 2013; la dernière révision a été publiée en juillet 2019. Le POH de l’aéronef de l’événement à l’étude ne contenait aucune version de l’avis de sécurité 42. Selon cet avis de sécurité, l’exploitation dans des conditions de forts vents transversaux soufflant de la gauche peut nécessiter d’appuyer avec force sur les pédales, sans quoi un lacet intempestif peut apparaître sans que l’hélicoptère entre nécessairement en LTE.

Opérations en zone restreinte

Les opérations en zone restreinte sont des manœuvres avancées exigeant qu’un pilote utilise un processus détaillé et méthodique pour mener l’opération en toute sécurité. Dans son Manuel de pilotage des hélicoptères (TP 9982)Note de bas de page 6, Transports Canada décrit un processus exhaustif pour effectuer une approche, un atterrissage et un départ en zone restreinte.

En général, avant l’atterrissage, le pilote effectue une reconnaissance à haute et basse altitude de la zone restreinte afin de relever les nombreux facteurs dont il doit tenir compte au moment de l’approche, comme la taille de la zone restreinte et la direction des vents. Ensuite, le pilote prépare un plan d’approche et d’atterrissage, qui devrait comprendre un exercice d’approche pour confirmer que le plan est adéquat. Enfin, après toute modification jugée nécessaire à la suite de l’exercice d’approche, l’approche réelle est effectuée.

Messages de sécurité

L’atterrissage et le décollage en zone restreinte présentent des défis uniques. Tous les pilotes d’hélicoptère, peu importe leur expérience, doivent procéder à une évaluation détaillée et méthodique d’une zone restreinte afin d’évaluer les facteurs qui pourraient influer sur l’approche, le vol stationnaire, ou l’atterrissage et le départ.

Un lacet intempestif peut constituer une menace importante en vol à basse vitesse dans des régimes à haute puissance, et lorsqu’un hélicoptère est utilisé dans des régions azimutales de vent critiques. Il est important que les pilotes d’hélicoptère reconnaissent les facteurs susceptibles d’induire un lacet intempestif qui, s’il n’est pas corrigé, peut entraîner une perte de maîtrise de l’hélicoptère.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .