Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A21Q0131

Sortie latérale de piste
Keewatin Air LP
Beechcraft King Air B200, C-FSKO
Aéroport de Sanikiluaq (Nunavut)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    À 3 h 43, heure normale de l’Est (HNE), le 17 décembre 2021, l’aéronef Beechcraft King Air B200 (immatriculation C-FSKO, numéro de série BB1007) exploité par Keewatin Air LP a décollé de l’aéroport international Winnipeg/James Armstrong Richardson (CYWG) (Manitoba) pour effectuer un vol d’évacuation médicale, sous l’indicatif KEW204 MEDEVAC, selon les règles de vol aux instruments et à destination de l’aéroport de Sanikiluaq (CYSK) (Nunavut). Deux membres d’équipage de conduite et 2 membres du personnel médical étaient à bord.

    À 6 h 32 HNE, l’aéronef s’est posé à CYSK sur la piste 27 et s’est mis à dévier vers la gauche. Le pilote a tenté en vain de maintenir la trajectoire de l’aéronef en ligne droite. Il a amorcé une remise des gaz pour redécoller, mais l’aéronef a fait une sortie de piste, et le train d’atterrissage gauche a percuté un banc de neige. L’aéronef a terminé sa course au sud de la piste. La radiobalise de repérage d’urgence s’est déclenchée, et le signal a été reçu par le Centre canadien de contrôle des missions à Trenton (Ontario) à 6 h 33 HNE.

    Les occupants ont pu évacuer l’aéronef sans encombre. Un membre du personnel médical a subi des blessures mineures. L’aéronef a subi d’importants dommages.

    1.0 Renseignements de base

    1.1 Déroulement du vol

    Vers 23 hPour faciliter le suivi de la chronologie des événements, toutes les heures sont exprimées en heure normale de l’Est (temps universel coordonné moins 5 heures), soit le fuseau horaire dans lequel s’est produit l’événement. le 16 décembre 2021, le préposé au suivi des vols de Keewatin Air LP (Keewatin) a reçu une demande de nolisement pour effectuer une évacuation médicale depuis l’aéroport de Sanikiluaq (CYSK) (Nunavut) à destination de l’aéroport international Winnipeg/James Armstrong Richardson (CYWG) (Manitoba). Le préposé a alors fait une demande de service au personnel au sol à CYSK pour obtenir les conditions météorologiques actuelles sur place. À 23 h 07, les conditions rapportées étaient les suivantes : plafond couvert à 700 pieds au-dessus du sol (AGL), visibilité de 4 milles terrestres (SM) dans de la neige, et des vents de surface provenant du 340° vrai (V) à 22 nœuds. En raison des précipitations de neige, le préposé a confirmé avec le personnel au sol à CYSK que la piste serait déneigée.

    Vers 1 h le 17 décembre, le personnel au sol à CYSK a appelé le préposé du suivi des vols pour l’informer que le déneigement de la piste était presque terminé. À ce moment-là, les conditions météorologiques étaient similaires, mais les vents avaient augmenté et soufflaient à présent à 30 nœuds et résultaient en une composante de vent traversierLa composante de vent traversier est la composante de vent perpendiculaire à l’orientation de la piste. de 28 nœuds pour la piste 27. Les vents ayant augmenté, le préposé a contacté le gestionnaire des opérations qui était de garde pour demander l’autorisation de vol et l’a informé des conditions météorologiques. De par son expérience des opérations dans les régions nordiques et les autorisations de vol antérieures de la compagnie, le gestionnaire de garde savait que des atterrissages avaient déjà été exécutés avec succès lorsque la composante de vent traversier dépassait les 25 nœuds. Il a autorisé le vol, et le préposé a communiqué avec les membres d’équipage de conduite et du personnel médical désignés pour le vol se trouvant à Winnipeg et les a informés de l’évacuation médicale à effectuer.

    Les 2 membres d’équipage de conduite se sont rendus aux locaux de la compagnie à CYWG où ils ont commencé les préparatifs de vol. Le premier officier (P/O) a effectué une inspection prévol et une préparation de l’aéronef Beechcraft King Air B200 (King Air B200) qui allait être utilisé, pendant que le commandant de bord (PIC) vérifiait les conditions météorologiques et effectuait la planification du vol.

    L’observation météorologique émise à 2 h à CYSK indiquait que les vents soufflaient du 320°V à 29 nœuds avec des rafales à 36 nœuds. Le PIC était conscient de la possibilité de lames de neige sur la piste à l’arrivée, mais était surtout préoccupé par la force des vents. Il a fait part de sa préoccupation au préposé au suivi des vols lorsqu’il lui a parlé. Le préposé l’a informé que le gestionnaire des opérations de garde était au courant des conditions météorologiques et qu’il avait autorisé le vol pour permettre à l’équipage « d’aller voir » sur place s’il était possible d’atterrir. Ayant de l’expérience de vol dans des conditions de vents similaires et sachant que l’atterrissage était prévu quelques heures plus tard, le PIC a accepté d’effectuer le vol en ayant l’intention de prendre la décision finale d’atterrir ou non une fois arrivé à destination en fonction des conditions.

    L’aéronef a décollé à 3 h 43 de CYWG pour effectuer le vol d’évacuation médicale sous l’indicatif KEW204 MEDEVAC, selon les règles de vol aux instruments, à destination de CYSK, avec les 2 membres d’équipage de conduite et 2 membres du personnel médical à bord. Vers 5 h 04, à mi-chemin, l’équipage de conduite a reçu une mise à jour des conditions météorologiques à CYSK indiquant une augmentation de la force des vents, qui soufflaient alors à 35 nœuds avec des rafales à 46 nœuds. Aucune mise à jour sur la condition de la surface de piste n’était disponible.

    Vers 6 h, l’équipage a effectué l’exposé d’approche et a amorcé la descente vers CYSK. L’équipage a déterminé que les menaces principales pour l’atterrissage étaient la force de la composante du vent traversier et la présence possible de lames de neige sur la piste. Le PIC et le P/O s’étaient entendus qu’avant de poursuivre l’atterrissage, une reconnaissance visuelle de la piste devait confirmer l’absence de lames de neige et qu’une remise des gaz serait effectuée si des difficultés de contrôle de la trajectoire et de la vitesse de l’aéronef survenaient lors de l’approche et de l’atterrissage.

    Selon la dernière mise à jour sur les vents, ceux-ci soufflaient du 310°V à 36 nœuds avec des rafales à 44 nœuds. En raison de ces vents, il a été décidé que l’approche serait exécutée à la vitesse de référence d’atterrissage (Vref) plus 20 nœudsSelon la masse de l’aéronef à l’atterrissage, la vitesse de référence à l’atterrissage (Vref) était de 99 nœuds.. Aucune mise à jour sur les conditions de la surface de la piste n’était disponible.

    Environ à 4 milles marins de CYSK et à une altitude d’environ 1500 pieds au-dessus du niveau de la mer (ASL), l’équipage a vu les feux de bord de piste allumés pour l’approche de nuit. Le PIC était le pilote aux commandes pour l’approche et l’atterrissage, car le P/O avait une expérience limitée sur le King Air B200. Le P/O, qui surveillait l’approche, n’a observé aucune déviation ou tout autre signe nécessitant une annonce de remise des gaz. L’approche est demeurée stabilisée sur la trajectoire d’approche normale malgré la présence de turbulence, et la vitesse anémométrique a été maintenue aux environs de 125 nœuds. L’équipage n’a repéré aucune lame de neige sur la piste et a poursuivi l’approche étant convaincu qu’une remise des gaz pourrait être effectuée au cas où il éprouverait des difficultés de contrôle en raison du vent traversier.

    L’aéronef s’est posé sur la piste 27 à 6 h 32. Peu après le poser des roues, l’aéronef a commencé à dévier vers la gauche. Le PIC a tenté de maintenir la trajectoire de l’aéronef en ligne droite en vain. Il a amorcé une remise des gaz, mais l’aéronef a fait une sortie de piste, et le train d’atterrissage de gauche a percuté un banc de neige en bordure de piste immédiatement après. Dès que l’aéronef s’est immobilisé au sud de la piste, le PIC a ordonné l’évacuation. La radiobalise de repérage d’urgence (ELT) s’est déclenchée, et le signal de détresse a été capté à 6 h 33 par le Centre canadien de contrôle des missions de Trenton (Ontario).

    L’aéronef s’est immobilisé dans la neige à gauche (au sud) de la piste, le nez incliné vers le bas (figure 1).  

    Figure 1. Aéronef de l’événement immobilisé dans la neige à l’aéroport de Sanikiluaq après la sortie de piste quelques heures après l’événement (Source : installation de communications universelles à l’aéroport)
    Image

    Afin d’évacuer l’aéronef, les occupants ont dû sauter de l’aéronef, d’une hauteur d’environ 5 pieds, et atterrir dans la neige. Ils se sont ensuite dirigés à pied vers la piste et l’ont suivie en direction de l’aérogare où ils ont été pris en charge par le personnel de l’aéroport. Seule une membre du personnel médical a subi une blessure mineure durant la sortie de piste de l’aéronef.

    1.2 Personnes blessées

    Deux membres d’équipage de conduite et 2 membres du personnel médical étaient à bord de l’aéronef.

    Le tableau 1 donne un aperçu de la gravité des blessures.

    Tableau 1. Personnes blessées

    Gravité des blessures

    Membres d’équipage de conduite

    Membres du personnel médical

    Personnes ne se trouvant pas à bord de l’aéronef

    Total selon la gravité des blessures

    Mortelles

    0

    0

    0

    Graves

    0

    0

    0

    Légères

    0

    1

    1

    Total des personnes blessées

    0

    1

    1

    1.3 Dommages à l’aéronef

    L’aéronef a été lourdement endommagé par la sortie de piste et aucun incendie ne s’est déclaré.

    1.4 Autres dommages

    Il n’y a pas eu d’autres dommages.

    1.5 Renseignements sur le personnel

    Le PIC et le P/O avaient les licences, les qualifications et les compétences nécessaires pour effectuer le vol à l’étude conformément à la réglementation en vigueur.

    Tableau 2. Renseignements sur le personnel

    Commandant de bord

    Premier officier

    Licence de pilote

    Licence de pilote professionnel - avion

    Licence de pilote de ligne - avion

    Date d’expiration du certificat médical

    1er juillet 2022

    1er juillet 2022

    Heures totales de vol

    2905

    2314

    Heures de vol sur type

    2695

    11

    Heures de vol au cours des 24 heures précédant l’événement

    5,4

    5,4

    Heures de vol au cours des 7 jours précédant l’événement

    8,3

    8,3

    Heures de service avant l’événement

    6

    6

    Heures hors service avant la période de travail

    11

    11

    Le PIC travaillait chez Keewatin depuis février 2018. Il agissait à titre de pilote, mais également de pilote instructeur. Depuis son embauche, il avait effectué la majorité de ses vols dans des régions nordiques et isolées.

    Le P/O avait été engagé par la compagnie en novembre 2021 et avait effectué sa formation initiale sur simulateur. Son expérience de vol avait été acquise dans des environnements différents des régions nordiques. Le jour de l’événement, il effectuait son 4e vol sur type et même s’il ne s’agissait pas d’un vol d’entraînement, il était jumelé avec un pilote instructeur, comme la compagnie avait l’habitude de le faire pour les pilotes nouvellement embauchés afin de leur offrir un bon encadrement et de l’instruction supplémentaire.

    Selon l’examen des horaires de travail et de repos des pilotes, rien n’indique que la fatigue a nui à la performance de l’équipage de conduite durant le vol à l’étude.

    1.6 Renseignements sur l’aéronef

    Tableau 3. Renseignements sur l’aéronef

    Constructeur

    Beech Aircraft Corporation*

    Type, modèle et immatriculation

    King Air, B200, C-FSKO

    Année de construction

    1982

    Numéro de série

    BB1007

    Date d’émission du certificat de navigabilité

    11 avril 2014

    Total d’heures de vol cellule

    28 658,2 heures

    Type de moteur (nombre)

    Pratt & Whitney-CAN PT6A-42 (2)

    Type d’hélice (nombre d’hélices)

    Hartzell HC-D4N-3A (2)

    Masse maximale autorisée au décollage

    12 500 lb (5670 kg)

    Types de carburant recommandés

    Jet A, Jet A-1, Jet B

    Type de carburant utilisé

    Jet A-1

    * Textron Aviation Inc. est le titulaire actuel du certificat de type pour cet aéronef.

    Le King Air B200 peut typiquement accueillir jusqu’à 8 passagers dans sa configuration standard. L’aéronef à l’étude était configuré pour le service ambulancier et d’évacuation médicale. Une banquette faisait face à l’allée centrale du côté gauche et pouvait accueillir 2 passagers. Le côté droit de l’allée était configuré pour accueillir un brancard ou un incubateur selon les besoins.

    Les pilotes n’ont signalé aucune défectuosité ou défaillance pendant le vol à l’étude. La masse calculée au décollage était de 12 497 livres et la masse à l’atterrissage prévue était de 10 851 livres. La masse et le centre de gravité respectaient les limites prescrites. Aucune défectuosité non corrigée n’était consignée au moment de l’événement. En outre, rien n’indique que la défaillance d’un composant ou d’un système a joué un rôle dans l’événement à l’étude.

    1.6.1 Performances au décollage et à l’atterrissage

    Les fabricants d’aéronefs publient des données propres à chaque aéronef pour aider les pilotes à déterminer les limites entourant des opérations considérées sécuritaires. Cependant, des éléments extrinsèques aux aéronefs influent sur ces limites, comme le type de surface de piste, pour lesquels les fabricants n’ont pas effectué de tests.

    Les renseignements (ou données) sur les performances du Manuel de vol de l’aéronef (AFM) ne sont valables que pour le type de surface sur lequel l’utilisation de l’avion est certifiée, ce qui est normalement une piste lisse à revêtement en dur. L’utilisation sur des pistes sans revêtement en dur peut entraîner une détérioration des performances d’un aéronef certifié. Les qualités de maniabilité d’un aéronef peuvent également être dégradées à cause de l’interaction des pneus et des surfaces granulaires ou meubles des pistes sans revêtement en durTransports Canada, Circulaire d’information (CI) 700-011 : Utilisation de pistes sans revêtement en dur (numéro d’édition 01, 16 mars 2012), paragraphe 5.0, p. 6..

    Dans le cas à l’étude, toutes les données disponibles sur les performances du King Air B200 au décollage et à l’atterrissage étaient valables pour une piste avec un revêtement en dur uniquement.

    1.6.1.1 Contrôlabilité de l’aéronef par vent traversier

    La contrôlabilité d’un aéronef au moment du décollage et de l’atterrissage par vent traversier dépend non seulement de la force du vent et de la turbulence, mais également de l’aérodynamisme (design) de l’aéronef lui-même et de l’adhérence des pneus sur la piste. En plus de publier un tableau permettant de déterminer la force de la composante de vent traversier (annexe A), les fabricants sont tenus par l’organisme de certification réglementaireFederal Aviation Administration (FAA), Code of Federal Regulations, Title 14, Part 25, section 23.1583: Operating limitations. d’indiquer dans le manuel de vol de l’aéronef (AFM) la composante de vent traversier la plus élevée ayant fait l'objet d'un essai satisfaisant sur une piste en dur non contaminée pendant la certification de l'aéronef. Cette composante maximale de vent traversier démontrée ne constitue pas une limite de l'aéronef et ne signifie pas qu'il est impossible d'atterrir de manière sécuritaire lorsque le vent est plus fort. Certains fabricants publient des limites théoriques pour aider les pilotes à mieux évaluer les performances de l’aéronef.

    Dans le cas de l’événement à l’étude, le fabricant n’avait publié aucune limite théorique de la composante de vent traversier pour les atterrissages et les décollages du King Air B200 et n’était pas tenu de le faire. Il avait démontré que, dans le cas d’un King Air B200 d’une masse de 12 500 livres, le contrôle est adéquat lors des décollages et atterrissages en présence d’une composante de vent traversier de 25 nœuds sur une piste en dur non contaminée.

    1.6.1.2 Procédure d’atterrissage interrompu

    Selon l’AFM du King Air B200, la procédure à suivre en cas d’atterrissage interrompu est la suivante :

    Dans son Manuel d’agrément des exploitants aériens, Transports Canada précise ce qui suit :

    (1) Un aéronef n’est pas certifié pour exécuter une remise des gaz une fois qu’il a atteint le régime d’atterrissage bas.

           (a) Le régime d’atterrissage bas est défini comme suit :

                    i. les volets de l’aéronef et le train d’atterrissage sont en configuration d’atterrissage;

                   ii. l’aéronef effectue une descente;

                   iii. la poussée s’est stabilisée près de la position « ralenti de vol »;

                   iv. la vitesse diminue; et

                   v. l’altitude de l’aéronef est de 50 pieds ou moins au-dessus de l’altitude de piste. […]

    (2) La décision de mettre un aéronef en régime d’atterrissage bas est une décision qui commande l’atterrissage.

           (a) Si un doute subsiste concernant la probabilité d’un atterrissage en toute sécurité, une remise des gaz ou un atterrissage interrompu doit être amorcé avant d’adopter ce régime.

    (3) Tenter d’amorcer une remise des gaz ou un atterrissage interrompu en régime d’atterrissage bas est une manœuvre présentant un risque élevé qui n’a pas été mise à l’essai.

           (a) Si cette mesure s’avérait nécessaire, les pilotes doivent savoir qu’il y a possibilité de contact avec le sol et que toute tentative d’amorcer une montée avant    que les moteurs aient atteint la poussée de remise des gaz peut aboutir à un décrochage.

                  i. Les turbosoufflantes peuvent prendre jusqu’à huit secondes pour passer de la poussée de ralenti à la poussée de remise des gazTransports Canada, TP 4711, Manuel d’agrément des exploitants aériens, volume 2 (décembre 2022), paragraphe 5.52 : Formation de sensibilisation aux situations de bas régime, p. 227..

    Durant l’exécution de la procédure d’atterrissage interrompu, des imprévus comme un cisaillement du vent ou des difficultés de contrôle peuvent augmenter les risques de perte de maîtrise et les risques d’impact sans perte de contrôle si l’aéronef se trouve dans un état de faible énergie (régime d’atterrissage bas)SKYbrary, « Baulked Landing: Guidance for Flight Crew », à l’adresse skybrary.aero/articles/baulked-landing-guidance-flight-crew (dernière consultation le 22 février 2024)..

    Dans l’événement à l’étude, suite à l’atterrissage, l’équipage a constaté que la déviation vers la gauche ne pouvait pas être contrôlée et a suivi la procédure d’atterrissage interrompu décrite dans l’AFM, étant convaincu que la remise des gaz pouvait stopper la déviation et réduire le risque de sortie de piste.

    1.7 Renseignements météorologiques

    Les renseignements météorologiques suivants sont tirés d’un rapport d’évaluation météorologique préparé par Environnement et Changement climatique Canada pour le BST dans le cadre de cette enquête.

    1.7.1 Prévisions météorologiques pour la baie d’Hudson et la baie James

    À 1 h le 17 décembre, le centre d’une dépression profonde et occluse était situé à environ 120 milles marins à l’est de CYSK et se déplaçait vers le nord-est à environ 25 nœuds. Tandis que la pression au centre de cette dépression est montée au cours de la nuit (ce qui suggère un affaiblissement du système), le gradient de pression est resté très fort et a provoqué des vents forts et des rafales, surtout à l’ouest du système. Des précipitations de neige ont été observées le long de l’ensemble de la baie d’Hudson et de la baie James, ce qui réduisait la visibilité, alors entre 1 et 3 SM. Selon l’analyse des isobares de surface, les vents de surface soufflaient de façon soutenue à moins de 20 nœuds à l’est de CYSK le long de la côte de la baie d’Hudson, et à 30 nœuds à CYSK.

    La carte Nuages et temps de la prévision de zone graphique émise à 00 h 45 et la carte Givrage, turbulence et niveau de congélation émise à 00 h 58 étaient valides le 17 décembre à compter de 1 h et prévoyaient, les conditions météorologiques suivantes pour la baie d’Hudson et la baie James :

    • plafond couvert à 3000 pieds ASL et sommets à 20 000 pieds ASL;
    • visibilité entre 1 et 3 SM dans de la neige faible;
    • des plafonds nuageux entre 800 et 1500 pieds AGL;
    • occasionnellement, de faibles averses de neige et une chasse-neige élevée pouvant réduire la visibilité jusqu’à ¾ SM;
    • des vents en surface provenant de l’ouest à 25 nœuds avec des rafales jusqu’à 35 nœuds;  
    • du givrage mixte modéré possible entre 3000 et 8000 pieds ASL;
    • une turbulence mécanique modérée entre la surface et 4000 pieds AGL occasionnée par un courant-jet à basse altitude de 55 nœuds.

    Aucun compte rendu météorologique de pilote ni aucun message de renseignements météorologiques significatifs n’ont été émis pour le secteur de la baie d’Hudson ou de la baie James pour la période entre 1 h et 7 h le jour de l’événement.

    1.7.2 Conditions météorologiques à l’aéroport de Sanikiluaq

    Les messages d’observation météorologique régulière d’aérodrome (METAR) pour CYSK étaient diffusés à partir de 8 h et jusqu’à 17 h les jours de semaine, mais il était possible de les obtenir sur demande en dehors de ces heures.

    Suite à la demande de service effectuée par le préposé au suivi des vols, les METAR suivants ont été publiés (tableau 4) 

    Tableau 4. Observations météorologiques régulières d'aérodrome pour l’aéroport de Sanikiluaq

    Jour

    Heure

    Vents de surface (direction/

    vitesse)

    Visibilité

    Plafond (AGL)

    Temp. (˚C)

    Point de rosée (˚C)

    Calage altimétrique (inHg)

    16 déc.

    23 h 07

    340°V/22 kt

    4 SM dans de la faible neige et chasse-neige basse

    Couvert à 700 pieds

    −2

    −2

    28,69

    17 déc.

    0 h

    340°V/23 kt

    4 SM dans de la faible neige et chasse-neige basse

    Couvert à 1900 pieds

    −2

    −3

    28,70

    17 déc.

    1 h

    320°V/30 kt

    5 SM dans de la faible neige et chasse-neige basse

    Couvert à 1900 pieds

    −2

    −3

    28,72

    17 déc.

    2 h

    320°V/29 kt, rafales à 36 kt

    4 SM dans de la faible neige et chasse-neige élevée

    Couvert à 800 pieds

    −2

    −3

    28,76

    17 déc.

    3 h

    320°V/33 kt

    4 SM dans de la faible neige et chasse-neige élevée

    Couvert à 900 pieds

    −2

    −4

    28,79

    17 déc.

    4 h

    320°V/32 kt, rafales à 40 kt

    1 SM dans de la faible neige et chasse-neige basse

    Couvert à 1200 pieds

    −3

    −4

    28,85

    17 déc.

    5 h

    320°V/35 kt, rafales à 46 kt

    1 SM dans de la faible neige et chasse-neige élevée

    Couvert à 1200 pieds

    −3

    −5

    28,90

    17 déc.

    6 h

    310°V/36 kt, rafales à 44 kt

    1 SM dans de la faible neige et chasse-neige élevée

    Couvert à 1500 pieds

    −4

    −6

    28,97

    17 déc.*

    7 h

    310°V/37 kt, rafales à 43 kt

    Pas de données

    Pas de données

    −4

    −7

    29,02

    * Ces données proviennent du système d’information météorologique limitée (LWIS) de CYSK.

    Dans le Manuel d’information aéronautique de Transports Canada, il est précisé ce qui suit :

    Ce groupe [d’information sur le vent] signale la direction et la vitesse moyennes du vent sur 2 minutes ainsi que les rafales. […]

    L’information sur les rafales sera incluse si la vitesse moyenne des rafales calculée sur une période de 5 secondes excède la vitesse moyenne du vent de 5 kt ou plus pendant la période de 10 minutes précédant l’observation, et que la vitesse de pointe de la rafale est de 15 kt ou plusTransports Canada, TP 14371, Manuel d’information aéronautique de Transports Canada (AIM de TC) – Météorologie (7 octobre 2021), section 8.3..

    Selon les informations recueillies au cours de l’enquête, il serait pratique courante pour certains exploitants aériens, dont Keewatin, d’utiliser seulement la vitesse constante des vents pour calculer la composante de vent traversier et de ne pas tenir compte des rafales pour évaluer la faisabilité de l’atterrissage.

    Le tableau 5 indique la vitesse constante de la composante de vent traversier à droite pour la piste 27La direction des vents a été convertie des degrés vrais aux degrés magnétiques, et ce, en ajoutant une déclinaison de 16° ouest. La direction magnétique de la piste utilisée est de 266°.,Voir le tableau de calcul de la composante de vent traversier à l’annexe A..

    Tableau 5. Vitesse constante de la composante de vent traversier selon les données horaires des messages d’observation météorologique régulière d’aérodrome à l’aéroport de Sanikiluaq

    Heure

    Vitesse constante de la composante de vent traversier (nœuds)

    1 h

    28

    2 h

    27

    3 h

    31

    4 h

    30

    5 h

    33

    6 h

    31

    7h

    32

    Aucune prévision d’aérodrome n’est disponible pour CYSK.

    1.8 Aides à la navigation

    Sans objet.

    1.9 Communications

    Il n’y a pas eu, que l’on sache, de problème de communication, que ce soit entre les membres d’équipage de conduite durant le vol ou entre les membres d’équipage de conduite et les intervenants externes tels que le préposé au suivi des vols et le personnel de la station radio d’aérodrome communautaire (UNICOM) de CYSK.

    1.10 Renseignements sur l’aérodrome

    CYSK est situé à environ 1 km à l’ouest de la municipalité de Sanikiluaq. L’aéroport se trouve à une élévation de 110 pieds ASL et est exploité par le gouvernement du Nunavut. Il possède une seule piste, la piste 09/27, qui est en gravier et mesure 3807 pieds de long et 100 pieds de large. La piste 27 est en pente descendante de 1,1 % sur les 2300 premiers pieds puis montante de 1,3 % sur les 1500 derniers piedsNAV CANADA, Canada Flight Supplement (CFS) (en vigueur du 2 décembre 2021 au 27 janvier 2022)..

    La piste 09/27 est équipée des feux suivants :

    • feux de bord de piste blancs à intensité variable, situés sur toute sa longueur à intervalles de 196,85 pieds (60 m);
    • feux de seuil et d’extrémité de piste qui apparaissent rouges dans le sens du décollage et verts pendant l’approche et l’atterrissage;
    • feux d’identification de piste stroboscopiques et unidirectionnels situés à chaque extrémité de la piste.

    De plus, la piste 27 est équipée d’un indicateur de trajectoire d’approche de précision simplifié.

    L’aéroport dispose d’une UNICOM, qui est en service pendant les heures normales d’exploitation de CYSK, c’est-à-dire de 8 h à 18 h, du lundi au vendredi, sauf les jours fériés fédéraux. Un fournisseur de service à contrat est disponible de 8 h à 17 h, du lundi au vendredi, pour effectuer l’entretien de l’aéroport. Le reste du temps, les services d’entretien comme le déneigement de la piste et les services d’UNICOM sont disponibles sur demande et sont alors payants.

    Au moment de l’événement à l’étude, le service d’UNICOM était assuré, la piste 27 avait été entièrement déneigée et le balisage lumineux s’était allumé comme prévu lorsque l’équipage avait activé le balisage lumineux contrôlé par le pilote.

    1.10.1 Entretien hivernal

    Les phases de décollage et d’atterrissage d’un aéronef sont critiques, car plusieurs éléments tels que les conditions de surface de la piste et la direction et la force des vents peuvent se combiner et affecter les performances de l’aéronef durant ces phases.

    Dans des conditions hivernales, la présence de contaminants sur une piste comme de la neige ou de la glace peut nuire sérieusement à l’adhérence des pneus et à la sécurité d’un aéronef au décollage et à l’atterrissage. C’est pour cela que les aéroports disposent d’un plan d’entretien hivernal qui comprend, entre autres, « une description des dispositions visant le déneigementTransports Canada, DORS/96-433, Règlement de l’aviation canadien, sous-alinéa 302.411i). » et l’ordre de priorité de déneigement des différentes zones de l’aéroport, en conformité avec la sous-partie 302 du Règlement de l’aviation canadien (RAC).

    L’exploitant de CYSK dispose d’un plan d’entretien hivernal de l’aéroport. Il y indique qu’en raison des ressources limitées, il est généralement impossible de déneiger tout l’aéroport simultanément, et qu’en cas de conditions de tempête hivernale, un ordre de priorité de 1 à 3 est donné aux zones à déneiger et doit être respectéMinistère du Développement économique et des Transports, Nunavut Airports: Winter Maintenance Plan (novembre 2021), section 2 : Airside Winter Maintenance Priorities, p. 5..

    Le jour de l’événement, la piste avait été déneigée avant l’arrivée de l’aéronef à l’étude conformément à ce plan. Le déneigement a créé des bancs de neige mélangés avec du gravier pouvant varier jusqu’à 2 pieds de haut et s’étendant sur une distance d’environ 25 pieds de chaque côté de la piste. Une accumulation maximale de neige en bordure des pistes et des voies de circulation et à côté des pistes est autorisée. Cette accumulation peut s’élever progressivement de ½ pied (0,15 m) jusqu’à 3,3 pieds (1 m) latéralement sur une distance de 32,8 pieds (10 m). Il est possible que ces bancs de neige dépassaient la limite d’accumulation progressive par endroits. Par contre, en raison de la chasse-neige élevée qui sévissait sur l’aéroport, ces bancs de neige allaient être nivelés dès que les conditions le permettraient; il s’agissait d’une priorité de niveau 3 (le plus bas).

    1.10.2 Compte rendu de l’état de la surface de la piste

    « Au Canada, […] les pistes sont en général mouillées ou contaminées un tiers du temps durant les 5 mois les plus froids de l’annéeCentre du pilote V.I.P. Inc, Entre ciel et terre, 5e édition (2020), Les comptes rendus RSC et CRFI, p. 183. », et sur une période plus longue dans les régions nordiques. Les exploitants d’aérodrome publient différentes données pour informer les pilotes de la présence et du type de contaminants sur les pistes : les comptes rendus sur l’état de la surface de la piste (RSC) dans les NOTAM, le coefficient canadien de frottement sur piste (CRFI) et un code associé au format de compte rendu mondial (GRF) d’état de la surface de la piste déterminé à partir de la matrice d’évaluation de l’état des pistes.

    Toutefois, la réglementation n’exige pas que les exploitants d’aérodromes canadiens publient toutes ces données. Par exemple, la publication d’un code d’état de piste ne s’applique qu’aux aérodromes ayant des surfaces de piste en dur (asphalte et béton), car la matrice d’évaluation de l’état des pistes ne peut pas être utilisée si les pistes sont sans revêtement en dur ou partiellement asphaltéesTransports Canada, Circulaire d’information (CI) 300-019 : Format mondial de notification (GRF) du compte rendu de l’état de la surface de la piste, numéro d’édition 02 (21 février 2021), paragraphe 6.1(2).. Par ailleurs, pour les aérodromes avec des pistes en gravier, le CRFI est exigé seulement si l’aéroport accueille des aéronefs à turboréacteurs utilisés dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise de transport aérien (sous-partie 705 du RAC)Transports Canada, DORS/96-433, Règlement de l’aviation canadien, paragraphe 302.416(2)..

    Selon Transports Canada,

    [i]l est plus difficile de déclarer l’état de la surface d’une piste de gravier que celui d’une piste en dur. Dans le cas des pistes de gravier, il est impossible d’éliminer tous les contaminants hivernaux de la surface en gravier. Dans de nombreux sites du Nord, la pratique courante consiste à recouvrir les graviers d’une base solide de neige dure. La neige dure devient la surface d’exploitation pour l’exploitation hivernale. Ainsi, pendant la majeure partie de l’automne et de l’hiver, la base d’exploitation n’est pas une surface de gravier normale, mais plutôt du gravier gelé, une neige dure ou un mélange neige dure/gravierTransports Canada, Circulaire d’information (CI) 300-005 : Modifications du compte rendu de l’état de la surface de la piste, numéro d’édition 07 (21 janvier 2021), paragraphe 7.0..

    Lorsqu’aucun CRFI n’est disponible, des tableaux permettant d’estimer celui-ci en fonction de la condition de la surface de piste sont disponibles dans le Supplément de vol — Canada (annexe B). Cependant, ces tableaux présentent des données CRFI qui ont été estimées pour une piste avec un revêtement en dur et n’offrent pas de données compilées à partir d’essais faits sur une piste en gravier.

    Dans l’événement à l’étude, la surface de la piste à CYSK était devenue un mélange de gravier et de neige compactée en raison de la saison hivernale, et l’exploitant ne publiait aucun CRFI. Le dernier NOTAM RSC émis pour CYSK avait été publié le 16 décembre à 17 h 09 et indiquait la présence d’un ½ pouce de neige sèche recouvrant 100 % de la piste 09/27. La seule information disponible sur la condition de la surface de la piste pour le vol à l’étude était que la piste était entièrement déneigée.

    1.10.3 Piste sans revêtement en dur

    Les surfaces d’une piste sans revêtement en dur peuvent être des surfaces naturelles non préparées, comme de l’herbe, ou des revêtements artificiels, telle une piste en gravierTransports Canada, Circulation d’information (CI) 700-011 : Utilisation de pistes sans revêtement en dur, numéro d’édition 01 (16 mars 2012), paragraphe 3.0(4).. Au Canada, contrairement aux aéroports desservant les régions peuplées du Sud, ceux desservant les régions moins peuplées du Nord possèdent en majorité des pistes en gravier.

    Les pistes en gravier ajoutent une complexité pour les exploitants et les pilotes quand ils doivent évaluer si un décollage et un atterrissage peuvent être effectués de façon sécuritaire. La qualité du revêtement en gravier peut varier d’un aérodrome à l’autre et varie en fonction de différents éléments comme le type de pierre composant le revêtement, l’équipement utilisé pour l’entretien, la fréquence de l’entretien de la piste et la température extérieure. Dans l’événement à l’étude, l’équipage n’a pas consulté les tableaux de CRFI équivalents publiés dans le Supplément de vol – Canada mentionnés précédemment, car ces tableaux ne sont pas adaptés aux pistes en gravier.

    1.10.3.1 Opérations dans les régions nordiques sur les pistes en gravier

    Au vu de l’importance du transport aérien dans les collectivités nordiques et éloignées, l’infrastructure de l’aviation civile dans le Nord a fait l’objet d’un audit par le vérificateur général du Canada. Pour cet audit qui portait sur la période allant du 1er avril 2013 au 30 novembre 2016, le vérificateur général du Canada a consulté, entre autres, des exploitants aériens pour savoir quelles améliorations, selon eux, permettraient de « renforcer la sécurité et accroître l’accessibilité et l’efficienceBureau du vérificateur général du Canada, Rapport de l’auditeur indépendant, Rapport 6 – Les infrastructures de l’aviation civile dans le Nord – Transports Canada (printemps 2017), paragraphe 6.25. ». L’« amélioration des pistes, comme la pose d’un revêtement en dur sur les pistes en gravier ou le prolongement des pistesIbid., paragraphe 6.28. » et l’obtention d’« information plus fiable et plus complète sur les conditions météorologiques et l’état des pistesIbid., paragraphe 6.28. » sont 2 des 4 améliorations citées dans le rapport.

    Les parties prenantes ont également affirmé qu’il était difficile d’obtenir des données locales fiables dans le Nord, notamment de l’information concernant les conditions météorologiques et les conditions des pistes. Les pilotes doivent pouvoir disposer de renseignements fiables et complets, faute de quoi ils risquent de devoir annuler ou retarder des vols. […] Nous avons constaté qu’en 2015, 42 aéroports territoriaux n’avaient pas été en mesure de rendre compte des conditions locales du moment pendant certaines parties de la journée, et ce, pour 25 jours en moyenne. Parmi ces aéroports figurait un aéroport au Nunavut qui ne pouvait pas faire état des conditions locales pendant toute la journée ou certaines parties de la journée, et ce, pendant 96 jours au cours de l’année. Par conséquent, à moins d’avoir accès à d’autres sources d’information, comme des systèmes automatisés d’information météorologique, les pilotes ne disposaient pas de tous les renseignements importants sur les conditions locales. Cette absence d’information aurait pu avoir des conséquences sur les vols réguliers et les services d’évacuation médicale d’urgence dans les collectivités. De plus, un transporteur aérien qui assurait des services d’évacuation médicale d’urgence dans deux des territoires a indiqué que, pour un des territoires, il avait annulé ou retardé environ 360 des 1250 (29 %) évacuations par année faute d’observations météorologiques fiablesIbid., paragraphe 6.38..

    Durant l’enquête, les enquêteurs du BST ont consulté 7 exploitants aériens, dont 6 qui fournissent un service de taxi aérien (sous-partie 703 du RAC) et 1 qui offre exclusivement les services d’une entreprise de transport aérien (sous-partie 705 du RAC) aux collectivités nordiques, pour leur demander ce qu’ils pensaient de la différence d’adhérence l’hiver entre une piste en gravier et une piste en asphalte. Deux exploitants ont répondu qu’une piste en gravier offrait une meilleure adhérence quand celle-ci était bien entretenue, et 4 autres exploitants ont indiqué qu’une piste en gravier offrait une très bonne adhérence, mais que cela variait selon l’aérodrome. Un seul des exploitants aériens disposait des données de performance fournies par le fabricant pour une piste en gravier et s’était servi de ces données pour préparer un document de référence à suivre pour ses opérations. Seulement 2 des 7 exploitants aériens ont précisé que l’adhérence variait peu en fonction de la température extérieure lorsqu’elle restait sous le point de congélation.

    En l’absence de données précises sur l’état de la surface des pistes en gravier, les exploitants ont dit se fier sur l’expérience récente de leurs pilotes aux aérodromes concernés pour déterminer s’ils pouvaient atterrir de façon sécuritaire. Selon ces exploitants, le niveau d’expérience des pilotes serait un facteur déterminant dans la décision d’autoriser le vol pour « aller voir », et cette pratique de décoller et « d’aller voir » serait courante et donnerait de bons résultats.

    Dans le cas à l’étude, le PIC avait atterri sans difficulté de maîtrise de l’aéronef à CYSK le 15 décembre en soirée et n’avait rien remarqué de notable à propos de la surface de piste. Il s’attendait à ce que l’adhérence soit bonne à l’atterrissage le jour de l’événement.

    1.11 Enregistreurs de bord

    L’aéronef n’était équipé ni d’un enregistreur de données de vol ni d’un enregistreur de conversations de poste de pilotage, et la réglementation en vigueur n’en exigeait pas.

    Toutefois, il était équipé d’un appareil Garmin G1000 doté d’une carte mémoire, qui a fourni des données sur la trajectoire de vol, les paramètres des moteurs, le réglage de la radio et des instruments de navigation. L’aéronef était également équipé d’un système de suivi des vols par satellite qui enregistrait les paramètres suivants : position GPS (système de positionnement mondial), altitude ASL, date, heure, vitesse sol et direction du vol.

    La figure 2 illustre la trajectoire de vol estimée lors de l’approche finale de l’aéronef vers la piste 27. Selon les données récupérées :

    • La vitesse indiquée moyenne de l’approche était de 125 nœuds avec une pente d’approche stable de 3°.
    • Au passage du seuil de piste, l’aéronef avait une vitesse indiquée de 121 nœuds et était à 40 pieds ASL (6 h 32 min 34 s).
    • Le poser initial des roues s’est fait approximativement à 30 pieds à gauche du centre de la piste, entre 1300 et 1800 pieds au-delà du seuil de piste, lorsque la vitesse indiquée était de 110 nœuds (entre 6 h 32 min 43 s et 6 h 32 min 46 s).
    • Immédiatement après le poser, l’aéronef a commencé à dévier vers la gauche alors que son cap est resté dans l’alignement de la piste, et sa vitesse indiquée a ralenti et est passée sous les 97 nœuds.
    • À 2100 pieds au-delà du seuil de piste, lorsque l’aéronef roulait à 89 nœuds et décélérait, il a commencé un mouvement de lacet vers la gauche (6 h 32 min 49 s).
    • Durant le mouvement de lacet, une augmentation de la puissance a été enregistrée.
    • L’aéronef a fait une sortie de piste sur la gauche approximativement à 2250 pieds au-delà du seuil de piste (6 h 32 min 53 s).
    • L’aéronef s’est immobilisé le nez incliné vers le bas approximativement à 2400 pieds au-delà du seuil de piste et à 150 pieds au sud du centre de la piste.
    • Aucun freinage n’a été enregistré, et la poussée n’a pas été inversée.

    Selon l’information recueillie, l’approche effectuée respectait les critères d’approche stabilisée établis par la compagnieKeewatin Air LP, Company Operations Manual (15 mars 2019), paragraphe 7.3.8, p. 7-11..   

    Figure 2. Trajectoire estimée de l’aéronef à l’étude au-dessus de la piste 27 de l’aéroport de Sanikiluaq, ainsi que les zones de poser des roues, de déviation vers la gauche et de sortie de piste, et le point d’arrêt (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
    Image

    1.12 Renseignements sur l’épave et sur l’impact

    Figure 3. L’aéronef à l’étude après la sortie de piste, immobilisé le nez incliné vers le bas (Source : Keewatin)
    Image

    L'aéronef s’est immobilisé le nez incliné vers le bas (figure 3). Le moteur de gauche a été arraché de la cloison pare-feu et s’est entièrement replié sous l'aile entre la nacelle et le fuselage. Les pales de l’hélice du moteur de droite ont été endommagées et la jambe du train d'atterrissage avant s’est rompue. Le nez de l'aéronef a subi des dommages structurels importants.

    Aucun feu de piste n’a été heurté lors de la sortie de piste.

    1.13 Renseignements médicaux et pathologiques

    Selon l’information obtenue au cours de l’enquête, rien n’indique que des facteurs médicaux ou physiologiques ont nui à la performance de l’équipage de conduite.

    1.14 Incendie

    Rien n’indiquait la présence d’un incendie avant ou après l’événement.

    1.15 Questions relatives à la survie des occupants

    Les occupants portaient tous leur ceinture de sécurité au moment de l’impact. Ils ont pu évacuer l’aéronef, mais ont dû marcher environ 1640 pieds (500 m) jusqu’à l’aérogare dans des conditions difficiles (vents forts, température de −4 °C, visibilité réduite à cause de l’obscurité, et enfin poudrerie et surface enneigée).

    Le personnel de l’aéroport n'a pas vu l'aéronef sortir de la piste à cause de la poudrerie et n’a pris connaissance de l’accident qu’à l’arrivée des occupants à l’aérogare. Le plan d'intervention d'urgence de l’aéroport a alors été activé, et les occupants ont été pris en charge.

    1.15.1 Radiobalise de repérage d’urgence

    L’aéronef était muni d’une ELT de marque Artex (modèle Me406) émettant sur la fréquence 406 MHz. La radiobalise s’est déclenchée au moment de l’impact, et le signal a été reçu à 6 h 33 par le Centre canadien de contrôle des missions à Trenton (Ontario), qui a alors avisé Keewatin.

    1.16 Essais et recherche

    1.16.1 Rapports de laboratoire du BST

    Le BST a produit le rapport de laboratoire suivant dans le cadre de la présente enquête :

    • LP123/2022 – G1000 Flight Data [Données de vol du G1000]

    1.17 Renseignements sur les organismes et sur la gestion

    1.17.1 Keewatin Air LP

    1.17.1.1 Généralités

    Keewatin a débuté ses activités en 1971. La compagnie est titulaire d’un certificat d’exploitation aérienne délivré en vertu des sous-parties 703 (Exploitation d’un taxi aérien) et 704 (Exploitation d’un service aérien de navette) du RAC. Au fil des ans, elle a développé une expertise dans le domaine des évacuations médicales, qu’elle offre 24 heures sur 24 aux communautés des régions éloignées de l’Arctique canadien. Sa flotte comprend des aéronefs de types King Air B200, Pilatus PC-12 et Cessna Citation 560. Sa base principale est située à CYWG, et ses bases secondaires, au Nunavut (Igloolik, Iqaluit, Rankin Inlet et Cambridge Bay), au Manitoba (Thompson, The Pas et Churchill) et dans les Territoires du Nord-Ouest (Yellowknife). 

    1.17.1.2 Vols d’évacuation médicale

    Pour les opérations au départ de CYWG, le gestionnaire des opérations, c’est-à-dire, le directeur des opérations aériennes ou le pilote en chefIbid., paragraphe 4.2.1.1, p. 4-4. délègue la délivrance de l’autorisation de vol à la personne responsable du suivi des vols.

    Selon le manuel d’exploitation de la compagnie (MEC) [traduction] :

    d) Dès réception de la demande de services d’évacuation médicale à contrat, le préposé au suivi des vols doit communiquer avec les membres d'équipage de conduite concernés et les affecter au service de vol.

    e) Dès réception de l’appel du préposé au suivi des vols, les membres d’équipage de conduite « de garde » assignés au service d’évacuation médicale acceptent et autorisent la mission, conformément au système de contrôle des opérations de Keewatin Air LP, afin d'effectuer le vol de service d’évacuation médicale à contratIbid., sous-paragraphes 4.2.2.1d) et 4.2.2.1e), p. 4-5..

    Par ailleurs, toujours selon le MEC [traduction] :

    Lors de la préparation de l'aéronef pour le transport médical, les membres d’équipage de conduite doivent rencontrer l’infirmière de bord pour discuter de toute considération particulière à prendre en compte pour le patient en ce qui concerne l'utilisation de l'aéronefIbid., paragraphe 4.3.2.1p. 4-9..

    Afin d'atténuer les risques que l'état du patient influence la prise de décision des membres d'équipage de conduite, la compagnie a établi ce qui suit [traduction] :

    1. Les préposés au suivi des vols, le personnel médical et la direction doivent s'efforcer de limiter autant que possible l'information sur le patient communiquée aux membres d'équipage de conduite lors de la préparation d'un vol […] et d’éviter toute discussion sur le degré critique de l’état du patient avec les membres d’équipage de conduite ou en leur présence.
    2. Les membres d'équipage de conduite et le personnel médical ne doivent pas être pressés de quelque manière que ce soit qui pourrait compromettre leur capacité à accomplir leurs tâches ou la sécurité aérienne. [Ils] ne doivent pas laisser l’état du patient influencer leur prise de décisionIbid., paragraphe 5.7.1.5.2, p. 5-31..

    Dans l’événement à l’étude, l’état du patient n’a pas été révélé aux pilotes et ceux-ci n’ont pas subi de pression externe pour effectuer le vol en lien avec l’état du patient.

    1.17.1.2.1 Conditions météorologiques dangereuses

    Avant de débuter la répartition, le préposé au suivi des vols doit recueillir les informations sur les conditions météorologiques et les conditions de piste. Dans le cas où les stations météorologiques ne produisent pas de rapports aux aérodromes souhaités et que les conditions météorologiques ont été médiocres au cours des dernières heures, le préposé doit faire une demande pour obtenir un rapport météo. Lorsque les conditions météorologiques sont dangereuses, ce dernier doit en informer le gestionnaire des opérations de garde, et ce, pour éviter d’activer trop tôt la période de service de vol des membres d’équipage de conduite. [Traduction] « Il incombe au pilote en chef, au gestionnaire [des opérations] ou au commandant de bord de déterminer si l'aéronef est en mesure d'accéder à une communauté ou non, car l’interprétation de l’information météorologique ne revient PAS aux coordonnateurs des volsKeewatin Air LP, Keewatin Air Flight Coordinator Manual, Policy B-8: Weather Challenges (18 août 2008, révision le 14 juillet 2017). ».

    Dans l’événement à l’étude, le préposé au suivi des vols a fait une demande pour obtenir les conditions météorologiques et les a ensuite communiquées au gestionnaire des opérations de garde.

    La complexité et la variabilité des opérations en régions éloignées sont telles que se conformer à la réglementation, comme ici respecter les minimums météorologiques pour effectuer un vol selon les règles de vol aux instruments, ne suffit pas à assurer la sécurité des opérations de vol. Dans sa politique sur le système de gestion de la sécurité, Keewatin indique que son [traduction] « objectif principal est l’atténuation et l’élimination proactives des conditions dangereuses grâce à une gestion efficace des risques […]Keewatin Air LP, Safety Management System Manual, modification no 4 (2 décembre 2021), section 1.1, p. 1-1. ». Dans cette optique d’atténuation des risques, le gestionnaire des opérations de garde a pris en considération plusieurs facteurs tels que la nature du vol, les capacités de l’aéronef, l’environnement de l’aéroport, les conditions météorologiques, l’expérience des pilotes, en plus de sa propre expérience. Par ailleurs, il s’est fié au jugement des pilotes pour décider si un atterrissage sécuritaire pouvait être tenté une fois sur place sachant que les conditions avaient souvent changé entre le moment où un vol avait été autorisé et le moment de l’atterrissage.

    1.17.1.3 Programme de formation

    Un programme de formation permet aux pilotes d’acquérir les compétences nécessaires pour exercer les fonctions qui leur sont assignées et porte non seulement sur les aspects techniques, mais aussi sur les performances humaines.

    Pour ce faire, la formation sur la gestion des menacesUne menace renvoie à toute condition qui augmente la complexité d’une opération et peut réduire les marges de sécurité et mener à des erreurs. (Source : Transports Canada, Circulaire d’information [CI] 700-042 : Gestion des ressources de l’équipage [CRM], numéro d’édition 02 [14 mars 2020], Annexe E). et des erreursUne erreur est une faute commise quand une menace n’est pas bien gérée. (Source : Ibid.). (TEM) aide les pilotes à reconnaître et à analyser les dangers potentiels, et à mettre en œuvre des stratégies appropriées pour contrer les menaces tout en leur permettant d'éviter, de déceler ou d'atténuer les erreurs avant qu'elles n'aient des conséquences néfastes, comme un état indésirable de l'aéronef. Le PIC et le P/O avaient suivi la formation sur la gestion des ressources de l’équipage (CRM) de la compagnie, qui comprenait la formation sur la TEM.

    Les procédures d’exploitation normalisées (SOP) sont des stratégies mises au point par les exploitants et adaptées aux types et aux régions d’exploitation de leur compagnie pour gérer les menaces. Cependant, les SOP ne peuvent pas couvrir à elles seules toutes les menaces possibles. Dans l’événement à l’étude, la menace principale cernée par l’équipage pour l’atterrissage était la force de la composante de vent traversier, et la stratégie choisie était une remise des gaz au moindre signe d’état indésirable de l’aéronef.

    Le manuel des SOP de Keewatin indique qu’une approche interrompue ou un atterrissage interrompu doit être effectué dans les circonstances suivantes [traduction] :

            a) un problème mécanique avec l’aéronef ou l’environnement de piste (c.-à-d.) les feux de piste la   nuit;

            b) une approche instable;

            c) un obstacle dans l’environnement de piste (c.-à-d.) aéronef, véhicule ou animal dans                     l’environnement de piste;

            d) les conditions météorologiquesKeewatin Air LP, King Air 200 Standard Operating Procedures, révision 3 (1er novembre 2021), section 6, paragraphe 6.23.1, p. 6-16..

    Le manuel des SOP ne mentionne pas de procédure spécifique pour un atterrissage interrompu, c’est-à-dire une fois que l’aéronef est au sol.

    1.18 Renseignements supplémentaires

    1.18.1 Statistiques du BST sur les accidents

    Les statistiques annuelles présentées par le BST et disponibles sur son site webCes statistiques sont disponibles à l’adresse bst.gc.ca/fra/stats/aviation/stats.html (dernière consultation le 7 août 2024). font ressortir des tendances générales pouvant être présentées en fonction du type d’exploitation, d’aéronef ou de la phase de vol.

    Selon ces statistiques, 11 accidents ont été signalés au BST de 2012 à 2022 pour les opérations d’ambulance aérienne (avion) comparativement à 239 accidents signalés pour les opérations de transport aérien (avion).

    1.18.2 Rapport d’enquête sur une question de sécurité du transport aérien A15H0001

    En 2019, le BST a publié le Rapport d’enquête sur une question de sécurité du transport aérien (SII) A15H0001. L’objectif de cette enquête était d’améliorer la sécurité en réduisant les risques dans les activités de taxi aérien au Canada.

    Les opérations de taxi aérien sont exposées à plus de dangers et à des dangers différents par rapport à d’autres types d’opérations d’aviation commerciale, et leur contexte opérationnel a une incidence sur les mesures d’atténuation pouvant être mises en place pour gérer les risques en vol, à l’aéroport et au sein de l’entreprise.

    1.18.2.1 Aérodromes et infrastructure

    Le transport aérien est souvent le seul mode de transport fiable tout au long de l’année pour desservir les collectivités nordiques et éloignées. Celles-ci en dépendent pour : se procurer des aliments frais, des médicaments et d’autres biens; obtenir des soins de santé; assurer des évacuations médicales d’urgence; appuyer l’exploration, le développement économique et le tourisme; et permettre les déplacements à l’extérieur de la collectivité.

    Le Nord, en particulier, présente des défis et des risques inhérents pour le transport aérien. La population y est disséminée en petites collectivités sur de vastes étendues de terrain inhospitalier. Les opérations aériennes peuvent se dérouler dans des conditions météorologiques extrêmes, notamment par temps froid, et durant des périodes de noirceur prolongées. Outre ces rudes conditions d’exploitation, des volumes de passagers faibles et sporadiques engendrent un domaine d’exploitation difficile et coûteux pour le secteur du taxi aérien.

    Divers aspects des petits aérodromes nordiques et éloignés figurent parmi les problèmes qui, selon les exploitants, posent un risque élevé pour la sécurité.

    Beaucoup d’exploitants ont exprimé des préoccupations au sujet du mauvais état des pistes et des pistes courtes. Leurs inquiétudes portaient notamment sur l’absence de comptes rendus de l’état des pistes pour certains aéroports et l’absence d’information sur les limites de performance d’aéronefs au décollage et à l’atterrissage sur des pistes courtes ou en gravier, ou sur terrain mou.

    Le BST a conclu que les collectivités éloignées et nordiques canadiennes doivent être pourvues d’aérodromes aux installations et à l’infrastructure appropriées pour que les exploitants de taxis aériens puissent leur offrir des services aériens sûrs.

    1.18.2.2 Renseignements météorologiques

    Au Canada, les conditions météorologiques varient énormément et peuvent changer rapidement en raison de la diversité du relief : montagnes, forêts pluviales côtières, grands lacs intérieurs, vastes prairies, forêt boréale, régions arctiques et le plus long littoral au monde bordant 3 océans. Cette géographie influe énormément sur les conditions météorologiques, aussi bien à grande échelle que dans les microclimats régionaux. Cela étant, il peut être difficile de faire des prévisions météo exactes, ce qui pose des problèmes pour tous les secteurs de l’aviation.

    En même temps, une planification efficace des vols exige des renseignements météorologiques exacts et à jour. Les pilotes doivent pouvoir prendre des décisions éclairées en fonction des conditions météorologiques lors du décollage et de l’atterrissage, et éviter d’affronter du mauvais temps en route. Une grande partie des activités de taxi aérien se déroulent dans les régions les plus éloignées et les plus inhospitalières du Canada où les conditions météorologiques peuvent être mauvaises et imprévisibles. Les renseignements météorologiques sont donc cruciaux pour la sécurité.

    Le BST a conclu que l’exactitude des renseignements météorologiques est un élément essentiel de la planification des vols. Elle permet aux pilotes de prendre des décisions éclairées en fonction des conditions météorologiques.

    1.18.2.3 Prise de décision du pilote et gestion des ressources de l’équipage

    La formation sur la prise de décisions du pilote (PDM) vise à perfectionner des compétences décisionnelles en vue de gérer efficacement les risques associés au vol. Les risques courants dans les activités de taxi aérien comprennent : le chargement de l’aéronef; les conditions météorologiques défavorables; l’équipement inutilisable; la pression pour effectuer et accomplir les vols; et les risques particuliers associés aux vols d’évacuation médicale et les vols de nuit.

    La formation contemporaine en CRM, qui comprend les principes de TEM, aide les équipages et les pilotes volant seuls à perfectionner les compétences nécessaires pour utiliser toutes les ressources afin de gérer les risques associés aux opérations aériennes.

    En raison de la diversité des opérations dans le secteur du taxi aérien et de la rotation du personnel plus élevée par rapport à d’autres secteurs, les efforts investis pour améliorer les compétences en PDM et en CRM ont un grand potentiel d’amélioration de la sécurité. Toutefois, pour bénéficier des avantages potentiels de la formation en PDM et en CRM, les pilotes doivent être soutenus adéquatement dans la mise en pratique de ces compétences au travail.

    Le BST a conclu que la PDM et la CRM sont des compétences cruciales qui aident les équipages de conduite à gérer les risques associés aux opérations aériennes.

    2.0 Analyse

    Les membres d’équipage de conduite possédaient les licences et les qualifications requises pour effectuer le vol à l’étude. Rien n’indique que la fatigue ou des facteurs médicaux ou physiologiques ont nui à la performance de l’équipage de conduite. Aucune défectuosité ni aucune défaillance n’ont été signalées pendant le vol à l’étude et rien n’indique que le mauvais fonctionnement d’un composant ou d’un système a joué un rôle dans cet événement.

    De forts vents et des précipitations de neige prévalaient à destination au moment de l’événement. La surface de la piste était un mélange de gravier et de neige compactée en raison de la saison hivernale et avait été déneigée avant l’arrivée du vol.

    Malgré les efforts de l’industrie pour mettre en place des mesures d’atténuation, les risques propres aux opérations de taxi aérien dans les régions nordiques sont connus. La persistance de certains facteurs, comme le manque d’information sur les conditions météorologiques et les conditions de surface de piste lors de la planification des vols, en plus du fait que le transport aérien soit le seul mode de transport de biens, d’aliments et de personnes disponible toute l’année, influent sur la gestion des opérations.

    Par conséquent, la présente analyse portera sur l’autorisation et la planification du vol, l’information disponible en vol, la décision d’atterrir et enfin l’atterrissage.

    2.1 Autorisation et planification du vol

    Suite à la demande du vol d’évacuation médicale, le préposé au suivi des vols de Keewatin Air LP (Keewatin) a fait une demande au personnel au sol de l’aéroport de Sanikiluaq (CYSK) (Nunavut) pour obtenir les plus récentes conditions météorologiques et a confirmé que la piste serait déneigée. En raison de la force des vents qui soufflaient à 30 nœuds et de la composante de vent traversier de 28 nœuds, le préposé a contacté le gestionnaire des opérations de garde pour demander l’autorisation du vol.

    Ce dernier a pris en considération la nature du vol, les capacités de l’aéronef, l’environnement de l’aéroport, les conditions météorologiques, l’expérience des pilotes et sa propre expérience pour évaluer les risques pour la sécurité du vol et les chances de mener à bien ce vol, tout en étant conscient des attentes de la communauté. Retarder l’évacuation d’une personne qui a besoin de soins médicaux avancés peut être délicat si la communauté a le sentiment que le vol peut être tenté.

    Le gestionnaire des opérations de garde était au courant que la composante de vent traversier de 28 nœuds dépassait celle maximale de 25 nœuds démontrée par le fabricant de l’aéronef. Toutefois, cette vitesse n’est pas une limite de l’aéronef. Le fabricant n’avait publié aucune limite théorique de la composante de vent traversier pour les atterrissages et les décollages et n’était pas tenu de le faire. De par son expérience, le gestionnaire savait que des atterrissages avaient déjà été exécutés avec succès lorsque la composante de vent traversier dépassait les 25 nœuds. Il se fiait aux pilotes et à leur jugement pour décider si un atterrissage sécuritaire pouvait être tenté en fonction des conditions au moment d’atterrir.

    Sachant que le commandant de bord (PIC) avait de l’expérience récente à CYSK et qu’il était pilote instructeur sur le type d’aéronef de l’événement, le gestionnaire a autorisé le vol pour « aller voir » si un atterrissage était possible dans ces conditions.

    Le préposé au suivi des vols a ensuite informé l’équipage de conduite. Au moment de la planification de vol, la seule information disponible sur la condition de la surface de piste était que la piste serait déneigée. L’aéroport ne publiait pas de coefficient canadien de frottement sur piste (CRFI) et l’équipage n’a pas consulté les tableaux pour les CRFI équivalents du Supplément de vol – Canada sachant que ceux-ci n'étaient pas pertinents pour une piste qui n’est pas recouverte d’un revêtement en dur. Le PIC s’attendait, toutefois, à ce que l’adhérence soit bonne, car il avait atterri sans difficulté à CYSK le 15 décembre en soirée.

    Le PIC était préoccupé par la force des vents publiée dans l’observation météorologique de 2 h (320° vrai [V] à 29 nœuds avec des rafales à 36 nœuds) et par la vitesse constante de la composante de vent traversier de 27 nœuds. Le PIC a été informé par le préposé qu’une discussion sur la force des vents avait eu lieu avec le gestionnaire de garde qui avait autorisé le vol pour « aller voir ». En conséquence, le PIC n’a pas contacté le gestionnaire de garde pour en discuter. De plus, ayant de l’expérience de vol dans des conditions de vent similaires et en l’absence de limite de performance de l’aéronef à l’atterrissage, il savait que la pratique courante était « d’aller voir ». Il savait également que les conditions pouvaient changer, car plusieurs heures le séparaient de l’heure d’arrivée prévue, et qu’au besoin, une remise des gaz pouvait être effectuée. Le PIC a donc accepté d’effectuer le vol avec l’intention de prendre la décision finale d’atterrir ou non en fonction des conditions à destination.

    Une multitude d’éléments (température extérieure, type de pierre utilisé pour la surface de la piste, la fréquence de l’entretien de la piste, l’équipement utilisé pour l’entretien, etc.), qui varient d’un aérodrome à un autre, influent sur l’adhérence des pneus sur une piste en gravier. En l’absence de données plus précises sur les conditions des surfaces de piste, les 7 exploitants aériens consultés par le BST et qui fournissent un service de transport aérien dans les régions nordiques ont dit se fier sur l’expérience récente de leurs pilotes aux aérodromes concernés pour déterminer si un atterrissage sécuritaire peut être effectué. La pratique de décoller et « d’aller voir » serait courante pour les opérations nordiques et donnerait de bons résultats, c’est-à-dire que, selon ce qui est rapporté, cette pratique n’aurait pas de conséquences néfastes.

    2.2 Information disponible en vol et décision d’effectuer l’approche

    Vers 5 h 04, à mi-chemin entre l’aéroport Winnipeg/James Armstrong Richardson (CYWG) (Manitoba) et CYSK, l’équipage a reçu les conditions météorologiques enregistrées à 5 h à CYSK. La visibilité avait diminué et était alors de 1 mille terrestre dans de la faible neige et une chasse-neige élevée. Les vents soufflaient du 320°V à 35 nœuds et étaient accompagnés de rafales pouvant atteindre 46 nœuds. Ces vents entraînaient une composante de vent traversier d’une vitesse de 33 nœuds, rafales non comprises. Aucune nouvelle information sur les conditions de la surface de piste n’était disponible.

    Vers 6 h, l’équipage a effectué l’exposé d’approche et a amorcé la descente vers CYSK. Les informations météorologiques de 6 h indiquaient peu de changement : les vents soufflaient du 310°V à 36 nœuds avec des rafales à 44 nœuds, et la composante de vent traversier était alors d’une vitesse de 31 nœuds, rafales non comprises. Toujours aucune mise à jour sur les conditions de la surface de la piste n’était disponible. Le PIC était le pilote aux commandes pour l’approche et l’atterrissage, car le premier officier (P/O) avait une expérience limitée sur le King Air B200.

    L’équipage a déterminé que les principales menaces pour l’atterrissage étaient la force de la composante de vent traversier et la présence possible de lames de neige sur la piste.

    Pour gérer les risques occasionnés par ces menaces, le PIC et le P/O se sont entendus, qu’avant de poursuivre l’atterrissage, une reconnaissance visuelle de la piste devait confirmer l’absence de lames de neige et qu’une remise des gaz serait effectuée si des difficultés de contrôle de la trajectoire et de la vitesse de l’aéronef survenaient lors de l’approche et de l’atterrissage.

    À environ 4 milles marins de CYSK et à une altitude d’environ 1500 pieds au-dessus du niveau de la mer, l’équipage a vu les feux de bord de piste. L’approche est demeurée stabilisée sur la trajectoire d’approche normale malgré la présence de turbulence, et la vitesse a été maintenue aux environs de 125 nœuds. L’équipage n’a repéré aucune lame de neige sur la piste et a poursuivi l’approche, car il avait planifié une remise des gaz en cas de difficultés de contrôle.

    Au passage du seuil de piste, le PIC n’avait pas de difficulté à contrôler l’aéronef et il a pris la décision d’atterrir. Le P/O, qui surveillait l’approche, n’a observé aucune déviation ou tout autre signe lui indiquant de faire une annonce de remise des gaz.

    La stabilité de l’approche, le maintien du contrôle de l’aéronef jusqu’au seuil de piste et la possibilité de remise des gaz après le poser des roues sont autant d’éléments qui ont pu renforcer l’impression que la tentative d’atterrissage était encore sécuritaire malgré la force de la composante de vent traversier.

    2.3 Atterrissage

    L’aéronef s’est posé sur la piste 27 à 6 h 32. Selon les données recueillies, le poser initial des roues a eu lieu entre 1300 et 1800 pieds au-delà du seuil de la piste 27 lorsque la vitesse indiquée de l’aéronef était de 110 nœuds. La roue de droite (côté du vent) s’est posée en premier, suivie de la roue de gauche et enfin de la roue de nez. Dès que l’aéronef a atterri, il a commencé à dévier vers la gauche.

    Le PIC a alors tenté, en vain, de maintenir la trajectoire en ligne droite de l’aéronef. Environ 3 secondes après le début de la déviation vers la gauche, lorsque l’aéronef décélérait et que sa vitesse était de 89 nœuds, le PIC a remis les gaz conformément au plan établi en suivant la procédure d’atterrissage interrompu du fabricant. Le train d’atterrissage gauche est entré en contact avec un banc de neige en bordure de piste presque immédiatement après.

    Le fait que la trajectoire n’ait pas pu être maintenue semble indiquer que la force du vent traversier était trop élevée pour la capacité d’adhérence des pneus. Toutefois, en raison du manque de données précises, la force du vent traversier et la limite d’adhérence des pneus réelles au moment de l’atterrissage n’ont pas pu être établies.

    La stratégie du PIC et du P/O était d’amorcer une remise des gaz au moindre signe d’état indésirable de l’aéronef. Cependant, cette stratégie de remettre les gaz après l’atterrissage n’a pas fonctionné dans ce contexte, et ce, même si le temps de réaction du pilote a été très court.

    Une fois que l’aéronef est au sol, il se retrouve dans un état de faible énergie. Toute tentative de remise des gaz en approche ou d’atterrissage interrompu lorsque l’aéronef est dans cet état constitue une manœuvre très risquée. L’accélération des moteurs jusqu’au plein régime et le gain de vitesse nécessaire pour redécoller peuvent prendre plusieurs secondes. Une fois que l’aéronef a redécollé, il demeure dans cet état de faible énergie pendant un certain temps, c’est-à-dire le temps nécessaire pour rentrer le train d’atterrissage et les volets et de prendre de l’altitude. Si, à ce moment-là, des imprévus surviennent, comme un cisaillement du vent ou des difficultés de contrôle, les risques de perte de maîtrise et d’impact sans perte de contrôle augmentent. Si l’équipage a le moindre doute quant à l’exécution sécuritaire d’un atterrissage, il est préférable qu’il amorce la remise des gaz avant que l’aéronef se trouve dans un état de faible énergie.

    Fait établi quant aux risques

    Si une déviation latérale non contrôlée de l’aéronef survient après l’atterrissage et qu’une remise des gaz est amorcée pour interrompre l’atterrissage alors que l’aéronef est dans un état de faible énergie, il y a un risque, en cas de sortie de piste, que celle-ci soit aggravée, ou en cas de décollage dans cet état, qu’il y ait une perte de maîtrise ou un impact sans perte de contrôle.

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

    1. En l’absence de données précises sur les limites de performance de l’aéronef, fort des atterrissages réussis précédemment dans des conditions de vent similaires et du plan établi d’effectuer une remise des gaz en cas de difficultés de contrôle, l’équipage a décidé d’effectuer l’approche avec une composante de vent traversier de 31 nœuds.
    2. Au passage du seuil de piste, le premier officier, qui surveillait l’approche, n’a observé aucune déviation ou tout autre signe lui indiquant de faire une annonce de remise des gaz. Le commandant de bord ayant réussi à maintenir l’approche stable, l’équipage était convaincu qu’une remise des gaz pouvait être effectuée à tout moment si des difficultés de contrôle survenaient une fois au sol et a alors décidé d’atterrir.
    3. L’action conjuguée de la force du vent traversier et du degré d’adhérence des pneus sur la surface de la piste a entraîné une déviation de l’aéronef vers la gauche. Constatant qu’il n’était pas en mesure de contrôler la déviation après environ trois secondes, le commandant de bord a effectué une remise des gaz selon le plan établi, mais l’aéronef a fait une sortie de piste tout de suite après.

    3.2 Faits établis quant aux risques

    Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

    1. Si les exploitants aériens disposent de peu d'informations sur les conditions de la piste et les performances connexes de l'aéronef, il existe un risque que des vols soient autorisés à être effectués dans des conditions dépassant les capacités de performance à l'atterrissage de l'aéronef.
    2. Si une déviation latérale non contrôlée de l’aéronef survient après l’atterrissage et qu’une remise des gaz est amorcée pour interrompre l’atterrissage alors que l’aéronef est dans un état de faible énergie, il y a un risque, en cas de sortie de piste, que celle-ci soit aggravée, ou en cas de décollage dans cet état, qu’il y ait une perte de maîtrise ou un impact sans perte de contrôle.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures de sécurité prises

    Le Bureau n’est pas au courant de mesures de sécurité prises à la suite de l’événement à l’étude.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le 26 juin 2024. Le rapport a été officiellement publié le 22 août 2024.

    Annexes

    Annexe A – Tableau de calcul de la composante de vent traversier

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    Annexe A – Tableau de calcul de la composante de vent traversier

    Source : Raytheon Aircraft Company, Beechcraft Super King Air B200 and B200C Pilot’s Operating Handbook and FAA Approved Airplane Flight Manual (mai 2000), section V : Performance, p. 5-32.

    Annexe B – Tableau des états de surface de la piste et des coefficients canadiens de frottement sur piste (CRFI) équivalents

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    Annexe B – Tableau des états de surface de la piste et des coefficients canadiens de frottement sur piste (CRFI) équivalents

    Source : NAV CANADA, Supplément de vol — Canada (en vigueur du 2 décembre 2021 au 27 janvier 2022).