Rapport d'enquête maritime M96C0022

Contact avec le fond
du vraquier « STEEL FLOWER »
dans le canal Welland

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Alors qu'il faisait route vers l'aval dans le canal Welland, le « STEEL FLOWER » a touché le fond sur le côté du canal, subissant des avaries dans la section inférieure avant du bordé de coque, du côté de bâbord. Le contact avec le fond a probablement été causé par le fait que le bâtiment, dont le tirant d'eau était supérieur au tirant d'eau autorisé dans la voie maritime, a été victime de l'effet de succion de la berge/du fond.

    Renseignements de base

    Fiche technique du navire

    Nom « STEEL FLOWER », anc. « FEDERAL RHINE »
    Port d'immatriculation Panama, Panama
    Pavillon Panaméen
    Numéro officiel 7199
    Type Vraquier
    Jauge brute 22 679 tonneaux
    Longueur 222,48 m
    Construction 1977, Ulsan, Corée du Sud
    Propulsion Diesel B & W, 19 400 BHP; tuyère Kort à un seul aileron; propulseur d'étrave
    Équipage 26 personnes
    Propriétaire Steel Flower Shipping S.A.

    Le 28 avril 1996, le vraquier avalant « STEEL FLOWER » est arrivé à Port Colborne (Ont.), à l'extrémité amont du canal Welland. Le navire, dont les tirants d'eau étaient de 8,11 m à l'avant et de 7,95 m à l'arrière, ne respectait pas le tirant d'eau maximal autorisé dans la voie maritime, qui est de 8 m. Après l'échec d'une tentative pour réduire le tirant d'eau à l'écluse 8, l'Administration de la voie maritime du Saint-Laurent (AVMSL) a ordonné au navire de se rendre au quai 12 pour corriger la situation. Il a été possible d'alléger le nez du «STEEL FLOWER», mais en quittant le quai afin de poursuivre son voyage, celui-ci avait encore des tirants d'eau excessifs (8,03 m à l'avant et 8,02 m à l'arrière). L'AVMSL a quand même permis au vraquier de continuer sa route «en infraction»Note de bas de page 1.

    Le pilote qui est monté à bord du « STEEL FLOWER » au quai 12 pour conduire le navire jusqu'à l'écluse 7, avait déjà piloté le bâtiment du temps où il s'appelait encore « FEDERAL RHINE ». Par temps calme et clair, le navire s'est mis en route à 19 h 03Note de bas de page 2, le 28 avril, pour naviguer de nuit sous la conduite du pilote. Le capitaine a quitté la passerelle peu après, laissant le pilote, l'officier de navigation et un timonier sur la passerelle.

    Au point milliaire no 11, le « STEEL FLOWER » se trouvait près du centre du canal lorsque le pilote a ordonné de venir à tribord pour négocier un coude dans ce tronçon de la voie de navigation, mais le navire n'a pas obéi à la barre. Le pilote a alors ordonné de mettre la barre à tribord toute et commandé la poussée maximale à tribord au propulseur d'étrave, mais le « STEEL FLOWER » a continué de piquer vers la berge ouest sous un angle faible sans modification de son cap. L'allure du navire était alors de 4,5 à 5 noeuds, ce qui excède la vitesse à laquelle le propulseur d'étrave est efficace. Le pilote a commandé un «petit coup» en avant lentement, vite suivi de l'ordre «en arrière toute» avec la barre à zéro, avant de mettre la barre à bâbord. Le « STEEL FLOWER » a continué sa route vers la berge ouest, en faisant machine arrière toute, et a touché le fond rocheux avant qu'il soit possible de casser l'erre. Une inscription dans le journal de bord indique que le contact avec le fond est survenu à 21 h 04.

    Le capitaine s'est précipité dans la timonerie lorsqu'il a senti les vibrations de la machine qui battait en arrière. Le « STEEL FLOWER » a rapidement été remis sur sa route et a franchi le pont 11. Le pilote n'a senti aucun choc lorsque le navire s'est immobilisé, et comme il ne pensait pas qu'il y avait avarie, il n'a pas prévenu l'AVMSL. Le capitaine a soupçonné que le navire pouvait avoir touché le fond, mais il n'a pas insisté pour prévenir le centre de contrôle du trafic de la voie maritime.

    À l'arrivée à l'écluse 7, le « STEEL FLOWER » avait apparemment une forte gîte à bâbord, que l'AVMSL lui a demandé de corriger. Avant que le bâtiment n'ait atteint l'écluse 3, on a constaté que la gîte à bâbord était réapparue. Lorsque le navire a atteint la zone de changement de pilote de Cape Vincent, dans la soirée du 29 avril, le nouveau pilote a remarqué qu'il avait une gîte prononcée. L'AVMSL a finalement envoyé le vraquier à Prescott (Ont.) pour qu'il subisse une inspection de carène.

    L'inspection a révélé que le « STEEL FLOWER » avait subi des avaries à l'avant, sur son côté bâbord. Les dommages consistaient en une entaille de 8 m de longueur et en quatre criques se prolongeant vers l'avant depuisl'arrière de la citerne de double-fond no 1 à l'arrondi du bouchain.

    Orientation du navire

    Alors que le « STEEL FLOWER » approchait du pont 11, le pontier a remarqué que le navire était hors d'axe pendant trois à quatre minutes, et il en a informé le Centre de trafic du canal Welland. Le pontier du pont 11 a jugé que le navire suivait une trajectoire faisant un angle de 25 à 30 degrés avec la berge. Dans cette section du canal, le chenal de navigation présente un léger coude d'environ 5 degrés. Le pontier a estimé que le « STEEL FLOWER » s'était approché à 7 m de la berge. Le capitaine a jugé que l'avant du navire était à moins de 10 m de la berge lorsque le navire s'est immobilisé. Le pilote a contesté cette distance, qu'il estimait plutôt à 20 m.

    Dans ce secteur, le canal a une largeur d'environ 100 m, et le chenal navigable, de 55 m, et il s'agit d'une zone où la «navigation à contre-bord» est interdite. Le centre de contrôle du trafic de la voie maritime a placé des caméras en amont de Port Robinson et en aval du pont 10. Parce que ces caméras étaient situées trop loin du lieu de l'accident, les films n'ont pas été utiles pour déterminer l'orientation du navire.

    Contact antérieur avec le fond

    Avant cet accident, le « STEEL FLOWER » s'était échoué dans le passage américain, le 10 avril 1996. Les réparations avaient été faites à Detroit, Michigan, sans que le navire ne soit mis en cale sèche. Une fois réparé, le navire s'était rendu à Toledo, Ohio, où il était arrivé le 22 avril pour prendre une cargaison de maïs. Le chargement avait été suspendu le 23 avril, à cause de problèmes de ballastage. On précise dans le carnet de chargement du quai que le navire s'est «appuyé» sur le fond. Le 25 avril, le chargement a de nouveau été interrompu à cause de rafales de vent du sud-ouest, alors que le tirant d'eau du navire atteignait presque le tirant d'eau en charge. La hauteur d'eau sous la quille était alors réduite, et on pense que le vraquier peut s'être à nouveau «appuyé» sur le fond lorsque le niveau de l'eau a baissé. Cependant, et les agents du U.S. Army Corps of Engineers ainsi que le personnel du quai l'ont confirmé, le fond au poste à quai se compose de vase molle et de limon. À la fin du chargement, le navire était probablement surchargé, car il était impossible de déterminer exactement le tirant d'eau tant que le bâtiment était près du quai. Cela pourrait expliquer le tirant d'eau excessif à Port Colborne.

    Exploitation du navire

    L'équipage entier avait été changé, à l'exception du capitaine, 45 jours avant cet incident.

    Le personnel de la salle des machines a eu de la difficulté à vider les caisses de ballast lors du chargement à Toledo, ce que l'équipage a attribué au fait que les tuyaux étaient obstrués par la rouille.

    Au moment de l'enquête, il restait des traces de cargaisons de grains antérieures sur les ponts du navire. L'extérieur et l'intérieur du « STEEL FLOWER » montraient que l'entretien et le nettoyage laissaient à désirer.

    Autres facteurs pertinents

    Le pilote a témoigné que l'accident n'était dû ni à un mauvais fonctionnement des machines ni à des manoeuvres accidentelles de la barre. Il a affirmé qu'il était obligé de prévoir les réactions des timoniers lorsqu'il donnait ses ordres à la barre, et qu'il n'avait pas été impressionné par les capacités des deux hommes qui ont tenu la barre pendant la traversée. Il a cependant admis, par ailleurs, que le navire était difficile à maintenir sur son cap. Certains capitaines de navires canadiens munis de tuyères Kort sont d'avis que les tuyères sont utiles pour entrer dans les écluses et en sortir. En outre, ils estiment que lorsque la tuyère est munie de plus d'un aileron, le navire est plus facile à manoeuvrer dans les sections du canal où il fait route à l'allure maximale autorisée ou à peu près.

    Selon les témoignages, au point milliaire no 11, les pilotes et les capitaines qui connaissent bien le secteur tiennent les navires avalant du côté gauche de l'axe longitudinal du canal, près de la berge ouest. Le chenal dans ces parages suit la berge ouest qui change de direction un peu plus abruptement que la berge est. Le talus du fond de la berge est s'avance donc plus loin dans le canal dans ce secteur, augmentant le risque qu'un navire «touche» le fond.

    Analyse

    Le « STEEL FLOWER » avait des antécédents récents de contact avec le fond, notamment un échouement dans le passage américain et un «appui» sur le fond à Toledo. Cependant, l'examen des comptes rendus de ces événements et des avaries consécutives a confirmé que les avaries aux oeuvres vives du côté bâbord avant étaient bien le résultat du contact avec le fond du 28 avril 1996 dans le canal Welland.

    Le poste de chargement de Toledo ne comporte pas d'affleurement rocheux capable de causer le genre d'avarie constatée. D'ailleurs, les rapports des plongeurs indiquent que l'avarie découverte dans la partie avant bâbord n'était pas une avarie subie au repos, mais avait dû être infligée au navire pendant qu'il avançait. D'autre part, les rapports des plongeurs qui ont fait l'inspection après l'échouement dans le passage américain ne font pas mention d'avaries du côté bâbord avant.

    Au point milliaire no 11, un navire qui se trouve au centre du canal, comme c'était apparemment le cas du « STEEL FLOWER », est un peu en dehors de l'axe longitudinal du chenal, du côté de la berge est. Le tirant d'eau excessif peut avoir contribué à un éventuel effet de succion de la berge est qui se serait exercé sur l'arrière du « STEEL FLOWER » et aurait empêché le navire d'obéir à la barre. Pour que le navire touche le fond en bordure du chenal, il n'était pas nécessaire que le bâtiment soit orienté de 25 à 30 degrés par rapport à son alignement, tel que décrit par le témoin. En fait, un navire du tonnage du « STEEL FLOWER » peut s'échouer sur toute sa longueur en déviant de moins de 15 degrés par rapport à l'axe du chenal. Selon les calculs, un navire de la taille du « STEEL FLOWER » qui se déplace à 4,5 noeuds sortira du chenal en 3½ minutes environ si le changement de cap de cinq degrés n'est pas effectué.

    L'allure était de 4,5 à 5 noeuds, selon les estimations, ce qui a empêché au début de se servir du propulseur d'étrave pour faire virer le navire. Par la suite, le propulseur d'étrave n'a pas empêché le navire de toucher le fond après ralentissement de l'allure, et il est impossible de savoir si l'accident aurait pu être évité si la tuyère Kort avait été munie de plus d'un aileron.

    Même si le pilote a trouvé que le navire était difficile à maintenir sur un cap et s'est déclaré peu satisfait des barreurs, il est peu probable que le contact avec le fond ait résulté de la conception de l'appareil à gouverner ou d'un manque de compétence des barreurs.

    Faits établis

    1. Lorsque le « STEEL FLOWER » est arrivé à Port Colborne pour entreprendre un voyage vers l'aval dans le canal Welland, son tirant d'eau était supérieur au maximum autorisé dans la voie maritime.
    2. À la demande de l'AVMSL, on a réduit l'enfoncement de l'avant du navire, mais sans réussir à amener le tirant d'eau jusqu'au maximum autorisé dans la voie maritime.
    3. À la demande du navire, l'AVMSL a pu accorder au « STEEL FLOWER » une autorisation spéciale pour lui permettre de continuer sa route.
    4. Le « STEEL FLOWER » n'a pas obéi à la barre lors de l'exécution d'un changement de cap au point milliaire no 11, et il a touché le fond en bordure du chenal navigable.
    5. Le fait que le navire, qui était lourdement chargé et se trouvait du côté est du chenal navigable, n'ait pas réagi aux manoeuvres de la barre a probablement été attribuable à l'effet de succion du fond/de la berge.
    6. Le pilote n'a pas prévenu l'AVMSL parce que, selon son témoignage, le contact avec le fond ne lui a pas semblé assez fort pour provoquer des avaries.
    7. L'AVMSL a par la suite dérouté le « STEEL FLOWER » sur Prescott en vue d'y effectuer une enquête sur les causes de la gîte prononcée que le navire a prise dans la suite de son voyage sur la voie maritime.
    8. L'avarie que des plongeurs ont décelée le 3 mai du côté bâbord du navire a été causée par le contact avec le fond au point millaire no 11.

    Causes et facteurs contributifs

    Le « STEEL FLOWER » avait un tirant d'eau supérieur au maximum autorisé dans la voie maritime et il a fort probablement touché le fond à cause de l'effet de la succion de la berge/du fond.

    Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Par conséquent, le Bureau, composé du président, Benoît Bouchard, ainsi que des membres, Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros, en a autorisé la publication, le .