Incident dangereux
traversier mixte « WOLFE ISLANDER III »
au départ du débarcadère de traversiers
de Marysville (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
À 7 h 45, le 29 mai 1996, le « WOLFE ISLANDER III » faisait monter des passagers et des véhicules à Marysville sur l'île Wolfe. Le capitaine avait laissé la timonerie inoccupée et le traversier n'était pas amarré au débarcadère. Alors que le capitaine se trouvait en bas, la commande prioritaire de blocage des unités de propulsion du traversier a fait défaut. En conséquence, deux des unités se sont déverrouillées et se sont lentement déplacées de leur position de réglage. Le traversier s'est écarté d'environ 45 m du quai avant qu'on n'en reprenne la maîtrise. Personne n'a été blessé et l'événement n'a pas fait de pollution.
This report also available in English.
Renseignements de base
Fiche technique du bâtiment
Nom | « WOLFE ISLANDER III » |
---|---|
Port d'immatriculation | Kingston (Ont.) |
Pavillon | Canada |
Numéro officiel | 197730 |
Type | Traversier mixte |
Jauge brute | 985 tonneaux |
Longueur | 51,5 m |
Construction | 1975, Thunder Bay (Ont.) |
Propulsion | Quatre unités de propulsion «Aquamaster» Note de bas de page 1 de 410 HP |
Équipage | 6 personnes |
Propriétaire | Ministère des Transports de l'Ontario (MTO), Queen's Park (Ont.) |
À 7 h 45Note de bas de page 2, le 29 mai 1996, après plusieurs voyages aller-retour entre Kingston et Marysville, le traversier embarquait des passagers et des véhicules au débarcadère de Marysville sur l'île Wolfe. Le capitaine avait réglé la commande de blocage prioritaire de manière à verrouiller les unités propulsives à la position voulue pour maintenir le traversier contre le quai. Les amarres (courts câbles à oeil double) n'avaient pas été frappées au quai pour y retenir le traversier. Le capitaine a crié au second qui se trouvait sur le pont de venir le remplacer dans la timonerie pendant qu'il allait aux toilettes. Il n'a pas attendu l'arrivée du second sur la passerelle pour la quitter et descendre. Or le second, qui vaquait à ses fonctions sur la rampe du traversier, n'a pas entendu l'appel du capitaine. Celui-ci avait à sa disposition dans la timonerie d'autres moyens de communiquer avec le pont, à savoir un appareil de communication radio bidirectionnel portatif ainsi que le système de sonorisation du bord, mais il ne s'en est pas servi.
Alors que le capitaine se trouvait en bas, la commande de blocage prioritaire des unités propulsives du traversier a fait défaut : deux des unités se sont déverrouillées et se sont lentement déplacées de leur position de réglage, à l'insu du mécanicien de service dans la salle des machines. L'arrière du bâtiment s'est mis à éviter, et le traversier a commencé à s'écarter du quai. Des témoins estiment que les véhicules se trouvaient à une distance de 0,5 m à 7 m de l'ouverture de la contre-étrave, sur le quai, lorsque le second, placé sur la rampe du traversier, leur a ordonné de s'immobiliser. Plusieurs voitures et deux autobus scolaires remplis d'écoliers venaient d'embarquer, deux minutes auparavant.
Du pont principal, le second ne pouvait voir si le capitaine ou quelqu'un d'autre se trouvait dans la timonerie. Après avoir téléphoné à la passerelle sans recevoir de réponse, le second s'y est rendu en toute hâte et l'a trouvée déserte. À son arrivée, il a actionné la commande de blocage prioritaire pour rétablir le mode de gouverne normal et il a entrepris de ramener vers le quai le traversier qui s'en trouvait alors éloigné d'environ 45 m. Peu après, le capitaine est revenu sur la passerelle, sans se presser, selon certains témoins. Le capitaine a repris les commandes et il a ramené le traversier à quai. L'embarquement a repris.
Après l'événement, on a constaté qu'il fallait plusieurs tours de la poignée pour fermer la vanne principale de dérivation des unités 3 et 4.
La veille, le 28 mai, le capitaine avait constaté que le bâtiment répondait mal à la barre. Même si le problème n'était pas grave, il avait demandé au mécanicien de service de faire des vérifications lorsque le traversier serait à quai. Ce faisant, le mécanicien avait partiellement ouvert la vanne de dérivation principale des unités 3 et 4. Il n'avait pas terminé son inspection quand on lui a donné l'ordre de préparer le traversier à l'appareillage. Lorsqu'il a rétabli la capacité directionnelle des unités, il a oublié de fermer la vanne à demi-ouverte.
Selon les ordres permanents d'opérations du ministère des Transports de l'Ontario (MTO), la personne qui est de quart doit être relevée sur la passerelle avant de quitter son poste. Les ordres permanents exigent aussi que le traversier soit attaché au quai par des amarres. Ces consignes de sécurité n'ont pas été suivies. En plus des ordres permanents du ministère des Transports, une lettre a été envoyée à tous les exploitants de traversiers du district de Kingston, accompagnée du bulletin no 10/92 de la Sécurité des navires, et la Sécurité maritime a procédé à une vérification.
En juin 1996, deux voyageurs ont informé le MTO qu'un incident analogue était survenu le 25 février. La section de la vérification interne du MTO a fait enquête afin de prendre des mesures disciplinaires le cas échéant, mais elle a été incapable de corroborer ces allégations.
D'autres allégations selon lesquelles le capitaine travaillait clandestinement comme capitaine pour une autre compagnie, en plus de cumuler ses fonctions de capitaine au MTO, n'ont pu être vérifiées.
Le capitaine, le second et le mécanicien avaient entrepris leur service à bord du «WOLFE ISLANDER III» en octobre 1989. Chacun d'eux possédait certificats et brevets requis pour l'exploitation du bâtiment.
Le 22 avril 1996, le MTO a révisé les horaires de travail des différents quarts à bord du «WOLFE ISLANDER III» et trois postes ont été supprimés, ce qui a fait passer de huit à dix le nombre quotidien d'heures de travail de l'équipe de pont pour chacun des quatre jours de la période de service. Le changement ne touchait pas les mécaniciens du traversier.
Analyse
La commande prioritiare de blocage a fait défaut à cause d'une pression insuffisante dans le circuit de commande hydraulique due à la vanne de dérivation principale de l'appareil à gouverner qui était restée à demi-ouverte. À cause de la pression réduite, la commande n'a pu maintenir le verrouillage en azimut des unités propulsives 3 et 4, lesquelles se sont lentement déplacées de leur position de réglage.
Les quatre unités avaient d'abord été réglées pour une rotation en marche avant. Toutefois, les unités 3 et 4, placées à l'extrémité éloignée du quai du traversier, brassaient plus d'eau que les unités 1 et 2, auxquelles l'afflux d'eau était limité par le quai. Par conséquent, elles généraient une poussée supérieure à celle des unités 1 et 2. Lorsque les unités 3 et 4 se sont déplacées de leur position de réglage, l'arrière du traversier a commencé à s'écarter du quai.
Il semblerait que les consignes de sécurité touchant l'amarrage du navire le long du quai n'aient pas été observées. La situation a pu être attribuable à un manque de discipline des membres de l'équipage chargés d'amarrer le navire, ainsi qu'à un manque de surveillance de la part des officiers du bâtiment. Même si les officiers et les membres d'équipage sont très occupés en pareils moments, ils n'auraient pas dû négliger la tâche essentielle, répétitive et simple d'amarrer le navire.
Il semblerait que c'était l'usage à bord de ne pas amarrer le navire lorsqu'il était à quai. Toutefois, cette pratique n'avait pas été décelée avant l'incident parce que les gestionnaires du navire à terre n'avaient procédé à aucune vérification pour s'assurer du respect des consignes de sécurité réglementaires.
Comme il n'était pas retenu par ses amarres, le traversier, évitant lentement, s'est écarté du quai inopinément à un moment où il n'y avait ni passagers ni véhicules en train d'embarquer. Si le capitaine ou le second s'était trouvé dans la timonerie à ce moment, il aurait vite remarqué le mouvement généré par les unités propulsives et aurait pu corriger la situation.
Le second n'a pas entendu le capitaine lui demander de venir le remplacer sur la passerelle, probablement à cause du bruit ambiant sur le pont principal d'embarquement. À ce moment-là, il vaquait à ses tâches sur la rampe d'embarquement, et s'il avait répondu à l'appel du capitaine, il n'aurait pas été en mesure de stopper le reste des passagers et des véhicules qui se préparaient à monter à bord.
Depuis le 22 avril 1996, le capitaine avait un nouvel horaire qui avait fait passer sa période de travail quotidienne de 8 à 10 heures. Comme il résidait sur le continent alors que le traversier passait la nuit sur l'île Wolfe, il lui fallait malheureusement prendre le traversier de 1 h sur le continent afin de se rendre sur l'île Wolfe pour son quart de travail de dix heures qui ne commençait qu'à 5 h 30. Il ne lui restait donc que très peu de temps à la fin de chaque quart pour se reposer et dormir. À minuit, ce cycle recommençait.
Selon l'analyse faite par le BST, un tel horaire de travail ne permet pas à des personnes qui doivent voyager autant que le capitaine de dormir suffisamment. Au cours de la période de travail de quatre jours, le manque de sommeil accumulé est alors considérable. Une personne dans cette situation manquera de vigilance et sera sujette aux oublis; elle aura tendance à prendre des décisions risquées; et elle verra son rendement général diminuer.
Le comportement du capitaine en l'occurrence correspond à celui d'une personne fatiguée : il ne s'est pas assuré qu'il y avait quelqu'un sur la passerelle pendant son absence et il ne s'est pas non plus hâté de revenir dans la timonerie. Le bâtiment n'était pas amarré au quai et il était laissé sans surveillance alors que les moteurs tournaient, et que les commandes de la timonerie et des moteurs étaient accessibles au public.
Faits établis
- La veille de l'incident, le mécanicien de service n'a pas complètement fermé la vanne de dérivation dosant la pression hydraulique de la commande prioritaire de blocage des unités propulsives/directionnelles 3 et 4.
- À cause de cette vanne mal fermée, les unités 3 et 4 ne sont pas restées verrouillées en position de blocage.
- Alors que le « WOLFE ISLANDER III » faisait monter des passagers et des véhicules au débarcadère de Marysville, le capitaine a verrouillé les unités 3 et 4 en mode de blocage et a laissé la timonerie sans surveillance.
- Le traversier n'était pas retenu au quai par des amarres.
- Pendant que le capitaine était absent de la timonerie, les unités propulsives/directionnelles 3 et 4 se sont déplacées de leur position de réglage, et le traversier s'est lentement éloigné du quai.
- Le second a réagi avec promptitude pour interrompre l'embarquement des passagers et des véhicules. Avant qu'il ait pu reprendre la maîtrise du traversier, celui-ci se trouvait à environ 45 m du débarcadère.
- Le 22 avril 1996, le MTO avait remanié les horaires de travail des différents quarts, et trois postes avaient été supprimés, ce qui augmentait de huit à dix le nombre normal d'heures de travail quotidiennes.
- Pendant la période de quatre jours de travail consécutifs prévue dans le nouvel horaire, un membre d'équipage qui réside sur le continent doit prendre le traversier de 1 h à Marysville pour être prêt à commencer son quart de dix heures à 5 h 30, ce qui lui laisse peu de temps pour se reposer et dormir.
- Il est probable que le capitaine était fatigué, ce qui a pu avoir des effets néfastes sur son jugement et son rendement.
Causes et facteurs contributifs
Le « WOLFE ISLANDER III » s'est accidentellement écarté du quai à cause d'une défaillance de la commande de blocage prioritaire des unités propulsives attribuable à une vanne mal fermée dans la salle des machines. Les unités propulsives/directionnelles 3 et 4 se sont lentement déplacées de leur position de réglage et le traversier a évité et s'est écarté du débarcadère.
Le fait que le traversier n'était pas amarré au quai, que personne ne se trouvait dans la timonerie et que le jugement du capitaine était peut-être altéré par un manque de sommeil imputable au remaniement récent de son horaire de travail ont été des causes accessoires de l'incident.
Mesures de sécurité
Mesures de sécurité prises
Après l'incident, on a rappelé aux capitaines de traversiers les méthodes d'exploitation sécuritaires, et la direction de la vérification interne du MTO a examiné le fonctionnement et s'est mise à la recherche de dispositifs mécaniques susceptibles de prévenir la répétition de tels incidents. On rapporte aussi qu'en février 1997, les quarts de travail de huit heures ont été rétablis.
Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Par conséquent, le Bureau, composé du président, Benoît Bouchaurd, ainsi que des membres, Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros, en a autorisé la publication, le .