Rapport d'enquête maritime M98C0046

Contact avec le fond
hydroptère à passagers Sunrise V
Four Mile Point, lac Ontario

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Dans la soirée du 23 août 1998, le Sunrise V est parti de Lewiston, New York, à destination de Port Dalhousie (Ontario). Le navire ne transportait aucun passager. Les conditions météorologiques étant mauvaises sur la partie ouest du lac Ontario, le capitaine a choisi d'éviter les vagues en eau profonde et de longer le rivage en naviguant à haute vitesse en mode déjaugé et avec un faible tirant d'eau. Le Sunrise V a été mis hors d'état lorsqu'il est entré en contact avec un objet submergé devant Four Mile Point (Ontario). Personne n'a été blessé lors de l'accident, et les avaries causées au système de propulsion et au gouvernail n'ont causé aucune pollution.

    Renseignements de base

    Nom Sunrise V
    Port d'immatriculation Toronto (Ontario)
    Pavillon Canada
    Numéro officiel 720517
    Type Hydroptère à passagers, engin à grande vitesse (HSC)
    Jauge brute 53 tonneaux
    Longueur 23,2 m Note de bas de page 1
    Tirant d'eau 2 m sur la coque, 1,1 m en mode déjaugé
    Construction 1989, Leningrad, U.R.S.S.
    Propulsion Un moteur diesel M-401A, 809,6 kW @ 1 600 tr/min
    Équipage 4
    Nombre de passagers Aucun (66 personnes au maximum)
    Propriétaire enregistré 1293728 Ontario Ltd. Mississauga (Ontario)

    Le Sunrise V est un hydroptère à passagers Voskhod-2 de fabrication soviétique, qui est conçu pour circuler sur les rivières navigables et les bassins d'eau douce des pays à climat tempéré. La coque et les superstructures, faites d'un alliage d'aluminium et de magnésium soudée, sont montées sur des plans porteurs fixes et semi-immergés faits d'acier inoxydable, situés à l'avant et à l'arrière. La coque sous le pont des passagers est subdivisée en huit compartiments étanches conçus pour permettre au navire de rester à flot en eaux calmes en cas d'avaries dans l'espace machines ou d'avaries touchant un autre compartiment étanche. La passerelle se trouve à l'avant et l'espace machines est à l'arrière. La puissance de propulsion est fournie par un moteur diesel marin à haute vitesse qui entraîne une hélice dont l'arbre est fortement incliné, par l'entremise d'un entraînement de réduction en «V». (Voir l'annexe A.)

    En juin 1998, le Sunrise V a été mis en service pour assurer le transport rapide de passagers sur le lac Ontario entre Toronto et la région du Niagara. Certifié pour un nombre maximal de 66 passagers, le navire est autorisé à circuler à des vitesses atteignant 60 km/h en mode déjaugé, dans des vagues n'excédant pas 1,3 m de hauteur. L'horaire du navire varie d'une journée à l'autre. Les jours de semaine, il fait la navette entre Toronto, Port Dalhousie et Niagara-on-the-Lake à raison de voyages d'environ une heure, entre 7 h et 22 h, heure avancée de l'est (HAE). Note de bas de page 2Les fins de semaine, il relie habituellement Toronto à Lewiston, New York, entre 9 h et 01 h 30 le lendemain matin.

    Le 23 août 1998, le Sunrise V a quitté Toronto à 16 h 20 avec 66 passagers, pour un voyage régulier d'environ 37 milles à destination de Lewiston, New York. À quelque dix milles de son point de départ, alors qu'il naviguait en configuration déjaugée, le bâtiment a rencontré des vagues plus hautes que la hauteur maximale de sécurité. On a alors réduit la vitesse de façon que le navire atteigne les eaux abritées de la rivière Niagara en naviguant en mode de déplacement. L'hydroptère est arrivé à Lewiston à 18 h 15 et y a fait descendre ses passagers. En raison du mauvais temps, le voyage de retour à Toronto a été annulé.

    Le capitaine a décidé de quitter Lewiston le soir même et de ramener le navire à Port Dalhousie, où celui-ci serait prêt pour assurer un départ régulier à 7 h le lendemain matin. Afin d'éviter les fortes vagues qu'on trouvait plus au large sur le lac, le capitaine a suivi une route longeant la rive. À 18 h 56, le navire est parti de Lewiston et a pris la direction de la rivière Niagara en configuration déjaugée, a dépassé le phare de Mississauga et a tourné à bâbord pour longer la rive du lac vers l'ouest, en direction de Port Dalhousie. Le capitaine était seul sur la passerelle.

    À 19 h 15, le Sunrise V passait devant Four Mile Point en suivant un cap au 282°V, lorsque le bâtiment s'est mis à trembler et a obliqué vers tribord. Le mécanicien a signalé au capitaine qu'on entendait une vibration et des grincements provenant du boîtier de réduction et de l'arbre porte-hélice. On a débrayé la machine principale pour faire ralentir le navire et lui faire perdre sa portance dynamique en vue d'un arrêt d'urgence. Le capitaine a signalé qu'après l'arrêt, la position du navire était la suivante : 43° 16′N, 079°07′W. On a mouillé l'ancre, mais celle-ci n'a pas tenu au fond. Le navire a dérivé vers le nord-est, en direction d'une série de bouées à espar jaunes qui délimitaient un champ de tir dangereux du ministère de la Défense nationale et que le navire avait croisées auparavant.

    Plusieurs riverains ont vu et entendu l'hydroptère lorsqu'il a touché le fond près de Four Mile Point, et ils ont vu le navire continuer sa route sur environ 100 m, puis s'éloigner de la rive et s'arrêter. Un riverain a immédiatement alerté la station de recherche et sauvetage (SAR) de la Garde côtière canadienne (GCC) de Port Weller (Ontario).

    Ne pouvant établir le contact radio avec le Sunrise V, la station SAR de Port Weller a dépêché le navire de sauvetage CGR 100, qui est arrivé sur place à 19 h 37. À ce moment, le Sunrise V se trouvait à environ 460 m du rivage, devant Four Mile Point, à la position 43° 15.75′ N, 079° 07.85′ W. La profondeur était d'environ 3,2 m. Après s'être assuré qu'il n'y avait pas de passagers à bord, qu'il n'y avait pas de blessés et que le navire ne prenait pas l'eau, le CGR 100 est resté en attente jusqu'à l'arrivée d'un navire d'assistance de la même entreprise. Le transbordeur conventionnel Lake Runner est arrivé sur place à 21 h 14 et a remorqué l'hydroptère en panne jusqu'à Port Weller. On a déterminé que le Sunrise V avait subi des avaries au gouvernail, à l'arbre porte-hélice, à l'hélice, à la crosse, au boîtier de réduction et au raccordement.

    Le capitaine du navire avait écouté régulièrement les bulletins météorologiques d'Environnement Canada et avait essayé d'obtenir des renseignements sur l'état du lac auprès des navigateurs locaux. Au moment de l'accident, le vent soufflait du sud-ouest à une vitesse de 20 à 25 noeuds et soulevait des vagues de 1 à 2 mètres. Près du rivage, les vagues avaient de 0,3 à 0,6 m de hauteur et la visibilité était bonne. Environnement Canada avait émis un message de veille d'orages violents à 17 h 30 pour la partie ouest du lac Ontario. De plus, le niveau d'eau du lac Ontario était de 0,678 m au-dessus du zéro des cartes (mesuré à Port Weller).

    À l'heure actuelle, il n'existe aucun règlement canadien en matière d'inspection des engins à haute vitesse. Jusqu'à ce que la réglementation pertinente soit élaborée, le Bureau d'inspection des navires a permis l'utilisation du Code de sécurité concernant les engins à sustentation dynamique (Receuil DSC),Note de bas de page 3 et du Recueil international des règles de sécurité applicables aux engins à grande vitesse (Receuil HSC) Note de bas de page 4 de l'anglais High Speed Craft (HSC) aux fins de l'inspection des engins à grande vitesse.

    L'Organisation maritime internationale (OMI) a mis au point le Receuil DSC en 1977 afin de faciliter la recherche-développement sur les engins à sustentation dynamique, de façon à en favoriser l'acceptation à l'échelle internationale. Le Receuil part du principe voulant que la méthode traditionnelle de réglementation des navires à passagers ne devrait pas être la seule façon possible d'assurer un niveau de sécurité approprié. Au cours d'une période de 30 ans, on avait mis au point de nouveaux modèles de navires qui ne se conformaient pas entièrement aux conventions de sécurité existantes mais qui avaient démontré un niveau de sécurité acceptable lorsqu'ils étaient affectés à certains types de voyages et qu'ils se conformaient à des calendriers approuvés d'entretien et de supervision. En 1983, lors de l'entrée en service du premier bâtiment de type hydroptère pour le transport de passagers au Canada, le Bureau d'inspection des navires a approuvé l'emploi du Receuil DSC aux fins de l'inspection et de la réglementation de ces bâtiments au Canada.

    Le Receuil HSC, en l'occurrence une mise à jour du Receuil DSC précédent, a été mis au point en 1994 par l'OMI. La philosophie du Receuil en matière de sécurité se fonde sur une gestion du risque comportant des dispositions concernant les emménagements, les systèmes de sécurité active, des restrictions quant à l'exploitation, la gestion de la qualité et l'ergonomie. L'application du Receuil est assujettie à plusieurs dispositions; il faut notamment que la direction de l'entreprise qui exploite le navire exerce un contrôle strict de son exploitation et de son entretien grâce à système de gestion de la qualité.Note de bas de page 5 En 1996, le Bureau d'inspection des navires a approuvé l'emploi du Receuil HSC aux fins de la certification et de l'approbation des engins à grande vitesse au Canada, disant notamment que le Bureau décide que le Receuil des règles de sécurité applicables aux engins à grande vitesse de l'OMI, modifié et augmenté par les dispositions des annexes 1 et 2 de la présente décision, peut être appliqué aux fins de la certification et de l'approbation des engins à grande vitesse au Canada.Note de bas de page 6

    Le Recueil HSC s'applique aux engins à grande vitesse construits ou importés au Canada après le 1er janvier 1996. Toutefois, la Sécurité maritime de Transports Canada (Sécurité maritime de TC) est d'avis que le Recueil HSC ne s'applique pas aux navires qui sont exploités sur les Grands Lacs. Il s'ensuit que leSunrise V a été inspecté en vertu des dispositions de l'ancien Recueil DSC et que l'entreprise n'était pas tenue de mettre en place un système de gestion de la qualité.

    En conséquence, le Sunrise V a été approuvé et certifié pour transporter 66 passagers et 4 membres d'équipage pendant des traversées dans la partie ouest du lac Ontario, et ne devait pas s'éloigner de plus de 20 milles marins d'un port de refuge. Le navire ne devait pas circuler en configuration déjaugée lorsque la hauteur des vagues excédait 1,3 m.

    L'exploitation commerciale des hydroptères au Canada est récente, et peu d'officiers de marine possèdent une expérience des méthodes spécialisées de navigation à haute vitesse qui sont propres à ces navires. Toutefois, la Sécurité maritime de TC délivre actuellement des mentions HSC aux capitaines, seconds capitaines et mécaniciens qualifiés.

    L'armateur gérant du Sunrise V avait une expérience préalable de l'exploitation d'hydroptères en Méditerranée. Il a établi un programme de formation «interne» aux termes duquel un officier devait suivre une formation minimale de deux semaines pour obtenir le titre de second capitaine, puis une formation additionnelle de deux semaines pour obtenir celui de capitaine, recevant des mentions de la Sécurité maritime de TC à chaque étape. Avant la délivrance de la mention, des experts de la Sécurité des navires ont évalué le rendement de chaque candidat dans l'exploitation de l'hydroptère dans des conditions réelles. Lors de l'accident, six capitaines et seconds capitaines avaient reçu des mentions HSC.

    L'équipage se compose d'un capitaine, d'un second capitaine, d'un mécanicien et d'une commissaire de bord. Le brevet minimal exigé pour le capitaine est un certificat de capitaine au cabotage pour un navire de 350 tonnes, et celui qu'on exige du mécanicien est un certificat de deuxième classe de mécanicien de navire à moteur. Si le navire transporte plus de 50 passagers, le second capitaine doit posséder au moins un certificat de lieutenant de quart; par ailleurs, aucune qualification n'est exigée du second capitaine.

    Au moment de l'accident, le capitaine et le mécanicien possédaient des qualifications appropriées pour le navire à bord duquel ils servaient et pour le type de voyage que celui-ci faisait. Le second capitaine ne possédait aucune qualification de marine même si le navire venait de terminer un voyage au cours duquel il avait transporté 66 passagers. La commissaire de bord ne possédait aucune qualification de marine et n'était pas tenue d'en posséder.

    Le capitaine avait plus de 20 ans d'expérience à titre d'officier de navire, expérience qu'il avait acquise principalement sur les Grands Lacs. Au cours des années précédentes, il avait été à l'emploi du propriétaire à titre de capitaine du transbordeur conventionnel Lake Runner. Sa première expérience en matière d'exploitation d'hydroptères remontait à sa formation sur le Sunrise V en mai 1998, soit un mois avant que le navire soit officiellement affecté au transport de passagers. Par la suite, il a navigué pendant deux semaines sous la supervision de l'armateur gérant avant de recevoir de la Sécurité maritime de TC un certificat de capitaine avec mention HSC. Il avait travaillé en moyenne 51 heures par semaine depuis la fin d'avril 1998 et n'avait pris des journées de congé qu'à l'occasion. Pour dormir suffisamment lorsqu'il n'était pas chez lui ou bien entre les voyages, le capitaine faisait des siestes sur un siège de l'espace passagers, ou encore dans une chaise au bureau de la compagnie. Il dormait aussi dans une petite cabine à deux couchettes à bord du Sunrise V. C'est là qu'il a dormi pendant la soirée précédant l'accident. Il n'avait aucune formation en matière de gestion des ressources à la passerelle (GRP).

    Le second capitaine avait travaillé comme matelot à bord du bateau-pilote de Port Weller. Son employeur principal était à terre, en l'occurrence une aciérie locale. En raison d'une grève chez son employeur principal, il avait travaillé à temps plein au cours de la saison de navigation 1997, comme matelot à bord du Lake Runner. Au cours de la saison 1998, il a été employé à temps partiel à bord du Sunrise V, habituellement pendant les fins de semaine et les congés fériés.

    Le mécanicien était un mécanicien de marine expérimenté qui naviguait depuis 1987. Il avait travaillé pour le compte de l'entreprise à bord du Lake Runner au cours de 1997 et, en 1998, avait servi à bord du Sunrise V et de son jumeau, le Sunrise VI. Depuis le début de juin, il avait travaillé en moyenne 57 heures par semaine, que ce soit à l'occasion de voyages réguliers ou de travaux d'entretien des machines, et n'avait pris que des journées de congé occasionnelles.

    L'équipement de navigation du Sunrise V était en bon état de fonctionnement. Toutefois, sa disposition dans la cabine fait en sorte qu'une seconde personne assise sur le siège de service placé derrière le conducteur peut difficilement voir le radar Furuno modèle 1721 et le système de positionnement global (GPS) Furuno modèle GP 30. Le radar était allumé et était réglé à une portée de deux milles lorsque l'hydroptère a heurté le fond. Le capitaine a fait savoir que la position du navire était déterminée grâce à une combinaison de données du radar/du GPS et à des «estimations visuelles».

    Le Sunrise V avait à son bord la carte Loran canadienne L/C 2077, couvrant toute la partie ouest du lac Ontario, mais l'échelle de la carte était si petite qu'elle ne montrait pas les détails du fond du lac dans le secteur de Four Mile Point. La carte no 2043 du Service hydrographique du Canada (SHC) aurait été plus appropriée. Au moment de l'accident, aucune carte n'était dépliée dans le poste de direction de la manoeuvre, et il n'y avait pas d'espace prévu à cette fin. Après l'abordage entre le transbordeur conventionnel Queen of Saanich et le transbordeur à grande vitesse Royal Vancouver (Rapport no M92W1012 du BST), on a constaté que le personnel de la passerelle du transbordeur à grande vitesse ne disposait d'aucune carte de navigation. Ultérieurement, l'exploitant du Royal Vancouver a préparé des cartes marines divisées en sections plastifiées, correspondant aux routes que le navire suivait, afin de permettre une consultation efficace et rapide à partir du poste de direction de la manoeuvre.

    Contrairement à ce qu'exige le Receuil DSC, le navire n'était pas équipé d'un écho-sondeur devant servir lorsque le navire naviguait en immersion initiale, sur sa coque; d'ailleurs, après l'arrêt d'urgence de l'hydroptère, l'équipage a utilisé des perches pour déterminer la profondeur. Comme personne n'était sur la passerelle pendant cette phase initiale de l'événement, les stations SAR ont essayé en vain d'entrer en contact radio avec le navire en difficulté.

    Toutes les aides à la navigation situées dans le secteur étaient à leur position et fonctionnaient bien au moment de l'accident.

    Les Instructions nautiques du SHC signalent que le haut-fond voisin de Four Mile Point s'étend jusqu'à 0,3 mille (550 m) vers le large, et que les plaisanciers feraient bien d'éviter ce danger en s'éloignant du rivage. Le fond du lac est parsemé de rochers dans la zone de haut-fond, et la station SAR de Port Weller de la GCC signale que, chaque année, de nombreux plaisanciers se trouvent en difficulté dans ce secteur ou s'y échouent.

    Une zone de danger, en l'occurrence un champ de tir du ministère de la Défense nationale (MDN) pour le tir d'armes de petit calibre, se trouve à mi-chemin entre l'embouchure de la rivière Niagara et Four Mile Point et s'étend sur 2,8 km vers le large. Cette zone est marquée par une série de bouées à espar jaunes. L'utilisation occasionnelle du champ de tir est annoncée au moyen de messages radio locaux de la GCC à l'intention des navigateurs, et de publicités dans les journaux locaux. À cause des dangers attribuables aux eaux peu profondes, aux rochers et au champ de tir du MDN, les navigateurs locaux se tiennent à une distance sûre de Four Mile Point.

    L'entreprise qui exploite le Sunrise V n'avait pas mis en place de système de gestion de la qualité, et les procédures officielles se limitaient à deux pages d'instructions générales à l'intention de l'équipage. L'entreprise n'avait pas élaboré de procédures concernant les mesures de sécurité en vue de la navigation pendant la traversée entre la rivière Niagara et Port Dalhousie. L'entreprise ne fournissait pas d'itinéraires recommandés à ses capitaines. Elle se fiait plutôt à ses capitaines quant au choix de la meilleure route à suivre pour se rendre à destination.

    Le Sunrise V était passé près de Four Mile Point à au moins deux autres occasions auparavant. Vers 17 h 20 le 21 août, le Sunrise V a traversé le secteur parsemé de hauts-fonds et de rochers situé près de Four Mile Point. Vers 10 h 15 le 23 août, il est passé de nouveau près de Four Mile Point. Les deux fois, le navire naviguait vers l'est.

    Analyse

    Le navire aurait touché le fond directement devant Four Mile Point et aurait continué sur une distance d'environ 100 m, après quoi il aurait viré à tribord en s'éloignant du rivage. Quand le CGR 100 est arrivé sur place, le Sunrise V se trouvait à 460 m du rivage, à la position 43° 15.75′ N, 079° 07.85′ W. Toutefois, les rapports en provenance du navire ont placé la position du contact avec le fond à 255 m plus loin vers le nord-est, dans la direction du vent.

    Compte tenu :

    • de l'effet d'un fort vent du sud-ouest sur le navire qui a dérivé pendant les 27 minutes qui se sont écoulées entre le moment de l'incident et l'arrivée de l'unité SAR;
    • des profondeurs enregistrées; et
    • du tirant d'eau relativement faible du navire en configuration déjaugée, soit 1,1 m,

    il est probable que le navire a touché le fond sensiblement plus près du rivage qu'à la distance signalée par le navire (voir l'annexe A).

    Même si le capitaine assume entièrement le commandement du navire, une prémisse élémentaire d'un système moderne de gestion de la sécurité veut que la direction à terre se charge d'élaborer les politiques, les procédures et les instructions d'exploitation qui assureront la sécurité des opérations de toute l'entreprise.

    L'introduction d'un système de gestion de la sécurité oblige l'entreprise à mettre au point et à mettre en oeuvre des procédures de gestion de la sécurité pour s'assurer que les conditions et les activités, à terre et sur l'eau, qui ont une incidence sur la sécurité et la protection de l'environnement, sont planifiées, exécutées et vérifiées conformément aux exigences de la réglementation et à celles de l'entreprise. Un système structuré permet aussi à l'entreprise de se concentrer sur le renforcement de la sécurité de l'exploitation des navires et sur les préparatifs d'urgence. Les entreprises qui réussissent à établir un système de gestion de la sécurité peuvent s'attendre à voir une réduction du nombre d'accidents susceptibles de causer des blessures ou des dommages à la propriété et à l'environnement.

    Selon la situation géographique, deux normes différentes sont appliquées aux engins à grande vitesse au Canada. La Sécurité maritime de TC n'applique pas les dispositions du Receuil HSC aux engins à grande vitesse qui naviguent sur les Grands Lacs et applique plutôt le Receuil DSC, dont les exigences sont moins grandes. Par conséquent, la Sécurité maritime de TC n'oblige pas les entreprises qui exploitent des engins à grande vitesse sur les Grands Lacs à mettre en place un système de gestion de la sécurité.

    Dans le cas du Sunrise V, l'établissement par l'entreprise d'un système de gestion de la sécurité comprenant des procédures de planification des voyages, la fourniture de cartes /publications appropriées à bord des navires, le contrôle des qualifications des membres d'équipage et des pratiques de gestion des ressources à la passerelle, aurait peut-être donné au capitaine des indications et des avertissements additionnels qui lui auraient permis d'éviter les dangers à la navigation dans le secteur de Four Mile Point.

    Les traversées directes du lac Ontario par beau temps ne présentaient aucun risque indu. Toutefois, au cours de la soirée où l'accident est survenu, les vagues sur le lac Ontario étaient trop fortes pour que le navire puisse rentrer à Toronto, et l'entreprise n'avait pas mis en place des procédures quant à l'endroit où le capitaine devrait faire accoster le navire pour la nuit. Le capitaine avait toutefois le choix entre plusieurs options.

    1. rester à Lewiston pour la nuit et placer le navire à Port Dalhousie le lendemain matin.
    2. rester à Niagara-on-the-Lake pour la nuit et placer le navire à Port Dalhousie le lendemain matin.
    3. continuer immédiatement jusqu'à Port Dalhousie en suivant un itinéraire longeant le rivage afin de s'abriter du mauvais temps.

    On peut examiner les avantages et les inconvénients de ces options :

    • Option A) Avantage : le navire serait en sécurité pour la nuit.
      Inconvénient : le capitaine et l'équipage devraient dormir à bord (il n'y a que 2 couchettes) et se lever tôt le lendemain matin. Il se pouvait que leur arrivée à Port Dalhousie soit retardée.
    • Option B) Avantage : le navire aurait parcouru une partie de la distance jusqu'à Port Dalhousie en s'abritant dans les eaux calmes de l'estuaire de la rivière Niagara.
      Inconvénient : le quai de Niagara-on-the-Lake est exposé aux intempéries et aux courants.
    • Option C) Avantage : le navire serait en place en vue du voyage régulier entre Port Dalhousie et Toronto le lendemain matin. Le capitaine pourrait dormir chez lui toute la nuit et se lever à une heure normale pour aller au travail.
      Inconvénient : le quai de Niagara-on-the-Lake est exposé aux intempéries et aux courants.

    La connaissance du comportement humain nous enseigne que si des gens se trouvent devant un problème auquel aucune règle ne s'applique et s'ils doivent trouver une solution nouvelle ou un plan nouveau, ils ont parfois tendance à résumer le problème à un choix entre les avantages et les inconvénients. Lorsqu'ils ont à choisir entre des inconvénients, les gens ont davantage tendance à choisir l'inconvénient éventuel, qui pourrait avoir des conséquences plus désastreuses, mais qui est moins probable, que l'inconvénient certain.

    Même si le fait de continuer vers Port Dalhousie en longeant le rivage pouvait représenter un inconvénient plus grand (ayant des conséquences plus désastreuses), on a considéré que cet inconvénient était moins probable que les inconvénients certains (obligation de dormir à bord, obligation d'aller placer le navire après le lever du soleil, arrivée à Port Dalhousie en retard). Faute de procédures officielles de l'entreprise qui auraient découlé de la mise en place d'un système de gestion de la sécurité (basé sur des principes d'une gestion judicieuse des risques), le capitaine a choisi d'amener le navire à Port Dalhousie en suivant un itinéraire qui passait par le haut-fond de Four Mile Point.

    Les publications nautiques fournissent des renseignements d'une importance critique pour la sécurité de la navigation, et il faut les consulter à bord des navires. Contrairement aux dispositions du Règlement sur les cartes marines et les publications nautiques, l'échelle de la carte L/C 2077 qu'on avait à bord était une trop petite et ne donnait pas assez de détails sur les parages de Four Mile Point pour que le capitaine soit informé de l'existence des rochers au fond du lac. De même, on n'avait pas prévu à la passerelle des installations permettant de dérouler facilement une carte. Par conséquent, le capitaine n'avait pas à sa disposition des données cartographiques adéquates et ne disposait pas non plus de moyens pour déterminer sa position par rapport aux dangers qui se trouvaient devant Four Mile Point.

    Le capitaine n'avait pas de formation sur la GRP et le second, qui n'était pas sur la passerelle au moment de l'accident, ne possédait aucun certificat de compétence. En l'absence d'un second qualifié pour aider le capitaine à naviguer dans des circonstances difficiles, les chances de réussir sans encombre un passage près du rivage entre l'estuaire de la rivière Niagara et Port Dalhousie étaient réduites.

    Il faut prendre des précautions spéciales lorsqu'un engin à grande vitesse navigue près de hauts-fonds. Le Recueil DSC exige que les navires soient équipés d'un écho-sondeur dont on se servira quand le navire est en immersion initiale, sur sa coque (pendant les manoeuvres d'accostage ou dans les zones de hauts-fonds où les plans porteurs submergés pourraient toucher le fond). À cause des perturbations dues à l'écoulement de l'eau près de la coque, les écho-sondeurs perdent de leur efficacité à des vitesses plus élevées, de sorte qu'il est impossible de détecter à temps des dangers comme la diminution rapide de la profondeur et les rochers qu'on trouve dans les parages de Four Mile Point. Si le Sunrise V avait été équipé d'un écho-sondeur et que celui-ci ait été employé efficacement dans le secteur de Four Mile Point, il aurait peut-être été plus facile de naviguer sans danger. De plus, un écho-sondeur aurait été utile après l'accident, car on n'aurait pas eu besoin de demander à tout le personnel du bord de sonder le fond à l'aide de perches, ce qui aurait permis d'affecter quelqu'un à la passerelle pour veiller et pour répondre aux éventuels appels radio des services SAR.

    On pourrait décrire la fatigue comme étant un état physiologique généralement causé par un manque de sommeil ou par un sommeil de qualité insuffisante, et caractérisé par une altération de la performance et une diminution de la vigilance. Même si le capitaine n'était pas privé de sommeil, il a pu souffrir de fatigue du fait que son sommeil avait été de piètre qualité parce qu'il faisait des siestes dans les sièges des passagers entre les voyages, ou du fait qu'il avait dormi à bord la nuit précédente.

    Faits établis

    1. À cause du mauvais temps qui sévissait sur le lac Ontario, le Sunrise V n'a pas pu terminer ses autres navettes régulières sur le lac.
    2. Le navire devait être à Port Dalhousie le lendemain matin en vue d'un départ à 7 h.
    3. Le capitaine a choisi de suivre une route côtière plus abritée pour rallier Port Dalhousie, en «longeant» le rivage au-dessus d'un haut-fond dangereux parsemé de rochers, devant Four Mile Point.
    4. Le capitaine était seul sur la passerelle pendant la traversée entre la rivière Niagara et Port Dalhousie.
    5. Le navire circulait à grande vitesse en configuration déjaugée lorsqu'il s'est dirigé trop près du rivage et a heurté un objet submergé devant Four Mile Point.
    6. Quand l'unité SAR est arrivée sur place, le navire en panne se trouvait à 460 m du rivage. Le haut-fond s'étend jusqu'à 550 m de la rive.
    7. La carte marine qu'on avait à bord ne montrait pas les détails du fond du lac dans les parages de Four Mile Point.
    8. Il existe une carte à plus grande échelle du secteur (carte no 2043 du SHC), mais elle n'était pas à bord.
    9. Au moment de l'accident, il n'y avait aucun moyen permettant de consulter facilement les renseignements cartographiques dans le poste de direction de la manoeuvre.
    10. On n'avait pas préparé de plan de traversée détaillé et on ne reportait pas sur la carte la position du navire au fur et à mesure de sa progression le long du rivage en direction de Port Dalhousie.
    11. La position consignée par le capitaine au moment du contact avec le fond ne concordait pas avec la position du navire à l'arrivée de l'unité SAR.
    12. Le navire n'était pas équipé d'un écho-sondeur.
    13. L'entreprise n'avait pas mis en place un système de gestion de la sécurité précisant des procédures d'exploitation détaillées, y compris des routes recommandées.
    14. Le capitaine et le second capitaine ne pratiquaient pas la gestion des ressources à la passerelle. Le second n'était pas sur la passerelle pour assister le capitaine pendant la traversée entre la rivière Niagara et Port Dalhousie.
    15. Le second capitaine n'avait pas de qualifications de marine officielles.

    Causes et facteurs contributifs

    On a amené le Sunrise V trop près du rivage alors que le navire naviguait à haute vitesse en configuration déjaugée, et le bâtiment a heurté un objet submergé dans un haut-fond parsemé de rochers, situé devant Four Mile Point. Plusieurs facteurs ont contribué à cet accident : l'absence de carte marine appropriée au poste de conduite, le fait qu'on n'ait pas suivi la pratique courante consistant à reporter la position du navire pendant le voyage, le fait que le capitaine n'ait pas demandé l'aide du second capitaine sur la passerelle, l'absence d'écho-sondeur dont on aurait pu se servir à basse vitesse et l'absence de système de gestion de la sécurité au sein de l'entreprise, qui aurait porté sur les procédures de planification des voyages, les annulations et les situations d'urgence.

    Mesures de sécurité

    Mesures de sécurité prises

    Systèmes de gestion de la sécurité

    L'exploitation des navires à grande vitesse est beaucoup plus exigeante que celle des navires conventionnels, et les accidents sont davantage susceptibles de causer des avaries et des blessures graves. Le Recueil HSC reconnaît ce fait et exige que les entreprises qui exploitent des engins à grande vitesse mettent en place un système de gestion de la qualité. De plus, il précise que le code est un document unifié et que les administrations devraient en appliquer toutes les sections, car toute non-conformité avec une partie quelconque du Recueil pourrait causer un déséquilibre qui nuirait à la sécurité du navire, des passagers et de l'équipage.Note de bas de page 7 L'absence de procédures officielles inhérentes à un système officiel de gestion de la sécurité a été un des facteurs contributifs. Par conséquent, le BST a publié l'avis de sécurité maritime no 02/99 pour rappeler à TC que les entreprises exploitant des engins à grande vitesse doivent mettre en place un système de gestion de la sécurité avant que les navires soient mis en service.

    Disponibilité des cartes au poste de direction de la manoeuvre des engins à grande vitesse

    Suite à un abordage survenu en 1992 entre le transbordeur conventionnel Queen of Saanich et le transbordeur à grande vitesse Royal Vancouver, le BST a publié l'avis de sécurité maritime no 09/92 dans lequel on avisait la Sécurité maritime de TC qu'aucune carte de navigation n'était disponible dans le poste de commande de la manoeuvre du Royal Vancouver, et que la table à cartes existante n'était pas assez grande pour qu'on puisse y déposer des cartes marines de grandeur standard. Même si une carte était disponible à bord du Sunrise V, aucun moyen n'avait été prévu pour afficher facilement des renseignements cartographiques dans le poste de commande de la manoeuvre, et aucune carte n'était utilisée au moment de l'accident.

    Par la suite, en janvier 1999, la Sécurité maritime de TC a modifié ses Avis aux experts maritimes pour aviser les inspecteurs de s'assurer que les cartes de navigation, y compris celles dont on se sert en même temps que des cartes éélectroniques comme le SEVCM, ont un format convenable (p. ex. des cartes de publication ou des cartes à feuillets volants) et qu'elles sont placées de façon que l'officier de navigation dispose au poste de commande de la manoeuvre des installations nécessaires pour les consulter facilement.

    Certification du navire

    À la suite de plusieurs incidents mettant en cause l'exploitation d'engins à grande vitesse, et d'hydroptères du type du Sunrise en particulier, la Sécurité maritime de TC a commandé un examen portant sur toutes les opérations de ce genre qui ont lieu sur le lac Ontario. Par conséquent, les hydroptères du même type que le Sunrise ne seront plus certifiés pour des voyages sans restrictions sur les Grands Lacs.

    Procédures d'inspection de TC

    À la suite de l'examen sur l'exploitation des engins à grande vitesse, le gestionnaire régional de l'Ontario a donné des instructions pour faire en sorte que les points suivants soient mis en oeuvre avant qu'un certificat ou un permis soit délivré :

    • révision du manuel des opérations du bord pour s'assurer qu'il est complet et qu'il renferme des instructions adéquates d'exploitation et d'entretien qui sont conformes aux exigences d'un système de gestion de la qualité.
    • affichage d'un avertissement dans la timonerie au sujet des dangers liés à la navigation en eaux peu profondes ou dans des eaux dangereuses.
    • le certificat doit porter une mention qui oblige le navire à échanger de l'information sur la détérioration des conditions météo avec tous les engins à grande vitesse qui se trouvent dans les parages.

    Réglementation

    La Sécurité maritime de TC demandera aux autorités nationales compétentes d'étudier les recommandations suivantes et d'y apporter les modifications voulues :

    • qu'on élabore des qualifications de marine spécifiques pour cette classe de navires.
    • qu'on prépare un programme de formation à l'intention des équipages.
    • qu'on mette au point des certificats d'inspection et des permis canadiens appropriés, comme l'exige le Recueil des règles de sécurité applicables aux engins à portance dynamique.

    Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Par conséquent, le Bureau, composé du Président, Benoît Bouchard, et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros, a autorisé la publication du présent rapport le .

    Annexes

    Annexe A - Carte et disposition générale

    Photo 1. Carte et disposition générale
    Image
    Carte et disposition générale