Rapport d'enquête maritime M12L0147

Échouement
Vraquier Tundra
Sainte-Anne-de-Sorel, Quebec

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 28 novembre 2012, le vraquier Tundra quitte Montréal (Québec) sous la conduite d’un pilote, et descend le fleuve Saint-Laurent à destination d’Halifax (Nouvelle-Écosse). À environ 21 h 48, heure normale de l’Est, le navire quitte le chenal de navigation et s’échoue à proximité de Sainte-Anne-de-Sorel (Québec). Le navire est renfloué le 5 décembre. Il n’y a eu ni blessé, ni pollution, mais le navire a été légèrement endommagé.

    This report is also available in English.

    Renseignements de base

    Fiche technique du navire

    Nom du navire Tundra
    Numéro OMI 9415208
    Port d’immatriculation Limassol
    Pavillon République de Chypre
    Type Vraquier
    Jauge brute 19 814
    LongueurNote de bas de page 1 185,0 m
    Tirant d’eau au moment du départ Avant : 8,36 m
    Arrière : 8,39 m
    Construction 2009, Weihai Shipyard, Chine
    Propulsion Un moteur diesel 6 cylindres de 7200 kW relié à une hélice à pas fixe
    Cargaison Fèves soya (19 533 tonnes métriques)
    Équipage 18
    Propriétaire enregistré Prehniet Beheer B.V. (Geldrop, Pays-Bas)
    Gestionnaire Navarone S.A. (Amaroussion, Grèce)

    Description du navire

    Le Tundra est un vraquier dont la salle des machines et les locaux habités sont situés à l’arrière (Photo 1). Le navire compte 6 cales à marchandises desservies par 3 grues électrohydrauliques installées le long de l’axe longitudinal. Chaque grue a une capacité de levage de 30 tonnes.

    Photo 1. Tundra
    Image
    Photo of Tundra

    Le pupitre de commande sur la passerelle est légèrement décalé du côté tribord et comprend un poste de direction de la manœuvre, des commandes de propulsion et 2 chaises fixes (annexe A). La table des cartes et le poste de communication du Système mondial de détresse et de sécurité en mer sont situés derrière le pupitre de commande de la passerelle. Cette dernière est équipée du matériel de navigation nécessaire, dont des radars de 3 cm et de 10 cm, installés devant les chaises fixes à bâbord et à tribord.

    Secteur de pilotage Montréal – Trois-Rivières

    À 14 h 30Note de bas de page 2, le 28 novembre 2012, un pilote membre de la Corporation des Pilotes du Saint-Laurent Central (CPSLC)Note de bas de page 3 a été affecté par l’Administration de pilotage des Laurentides (APL) au pilotage du Tundra de Montréal à Trois-Rivières (Québec), un voyage d’environ 6 heures sur une distance de 66 miles marins (nm). Le pilotage est obligatoire dans ce secteur à cause des difficultés et des risques inhérents à la navigation sur le fleuve. Le chenal de navigation, d’une profondeur minimale de 11,3 m et d’une largeur minimale et de 229 mNote de bas de page 4, est délimité par des bouées et des feux d’alignement. La plupart des bouées sont munies de feux, mais la Garde côtière canadienne (GCC) les enlève ou les remplace par des bouées espars avant le début de la saison de navigation hivernale.

    Le 23 octobre 2012, la GCC a annoncé le début de la première phase des activités de balisage d’automne dans l’avis à la navigation (AVNAV) Q1632, lequel indiquait que les opérations de levage des bouées d’été et d’ancrage des bouées d’hiver étaient en cours dans la région de Québec. L’AVNAV indiquait également de communiquer au besoin avec le Service de communication et de trafic maritimes (SCTM) du secteur concerné pour obtenir des renseignements supplémentaires sur les activités de balisage. La GCC communique les renseignements sur les activités saisonnières de balisage dans des bulletins radio périodiques qu’elle diffuse à l’intention des navigateurs. Ces renseignements sont également accessibles sur le site Web de la GCC, région Centre et ArctiqueNote de bas de page 5.

    Événements avant le départ

    Dans les 3 jours qui ont précédé l’événement, le pilote avait conduit 2 navires remontant le fleuve de Trois-Rivières à Montréal. Sa première affectation a eu lieu le 25 novembre, c’est-à-dire le dernier de ses 10 jours de congé prévus. La deuxième a eu lieu le 27 novembre. Le 28 novembre, à 14 h 30, le pilote a été désigné pour piloter le Tundra entre la section 50, au Port de Montréal, et Trois-Rivières. Le navire devait appareiller à 18 h 30 le même jour, pour se rendre au port de Halifax, puis à Hambourg (Allemagne).

    À 18 h 15, lorsque le pilote est monté à bord, un échange d’information a eu lieu entre celui-ci et le capitaine. La discussion a porté sur l’équipement de navigation, les caractéristiques de gouverne, le type et le sens de rotation de l’hélice, ainsi que le type et la capacité du propulseur d’étrave. La fiche de pilotage a été remplie et l’affiche du poste de timonerie a été examinée. Le pilote a installé son unité de pilotage portable (PPU), dotée d’un logiciel de navigation, du côté bâbord de la passerelle et l’a raccordé au système d’identification automatique du navire. Avant l’appareillage, l’équipe de passerelle du Tundra avait élaboré un plan de traversée, mais ni ce plan, ni celui du pilote n’ont été mentionnés pendant l’échange d’information entre le pilote, le capitaine et l’équipe à la passerelle.

    Déroulement du voyage

    À 18 h 30 le 28 novembre, le Tundra a quitté Montréal, par bonne visibilité, sous la conduite du pilote. Le capitaine, le timonier et le deuxième officier, lequel agissait à titre d’officier de quart, se trouvaient sur la passerelle avec le pilote. Pendant que le navire descendait le fleuve Saint-Laurent, le pilote utilisait surtout les bouées de navigation pour surveiller la progression du navire et déterminer les changements de cap. Le pilote et l’officier de quart surveillaient la progression du navire de façon indépendante. Le pilote a utilisé son téléphone mobile pour effectuer des appels et échanger des messages texte personnels. Les échanges de renseignements entre le pilote et l’équipe à la passerelle ont été peu nombreux.

    À 20 h, l’équipe à la passerelle a effectué un changement de quart : l’officier de quart et le timonier ont été remplacés. Le troisième officier, qui faisait maintenant fonction d’officier de quart, surveillait la progression du Tundra au moyen du système mondial de localisation différentiel (DGPS), afin d’indiquer la position du navire (latitude et longitude) sur la carte de navigation en papier avant chaque point de cheminementNote de bas de page 6. Il a ensuite noté la date et l’heure correspondant aux positions indiquées dans la liste des points de cheminement préétablis sur le plan de traversée du navire.

    Vers 21 h 36, le navire filait 14,5 nœudsNote de bas de page 7, et le pilote a ordonné de mettre le cap au 083° vrai (V) (figure 1). Le timonier a confirmé l’ordre et a exécuté la manœuvre, plaçant ainsi le navire en ligne avec les feux d’alignement de l’île du Moine. Le pilote s’est ensuite assis dans une chaise mobile du côté bâbord de la passerelle, à environ 8 m des autres membres de l’équipe à la passerelle (annexe A).

    Le prochain cap devait être 052° VNote de bas de page 8, et le plan de traversée du pilote indiquait un cap intermédiaire de 060° V, qui devait être pris lorsque la bouée S-140Note de bas de page 9 serait sur l’arrière du navire (figure 1). Toutefois, la bouée S-140 avait été enlevée 7 jours plus tôt dans le cadre des activités normales de la GCC, et la prochaine bouée latérale du côté bâbord était la bouée S-136Note de bas de page 10. Le plan de traversée du navire n’indiquait pas de cap intermédiaire, mais indiquait que le prochain changement de cap (point de cheminement no 63) devait avoir lieu à 0,44 nm en aval de la position annoncée de la bouée S-140Note de bas de page 11, à l’intersection des caps 083° V et 052° V (figure 1).

    À 21 h 42, le navire a dépassé la position annoncée de la bouée S-140 et a maintenu le cap au 083° V (figure 1). Le pilote n’a donné aucun ordre supplémentaire au timonier et est demeuré assis du côté bâbord de la passerelle. À 21 h 43, l’officier de quart a noté la date et l’heure dans la liste des points de cheminement préétablis sur le plan de traversée du navire 2 minutes avant que celui-ci n’atteigne le point de cheminement no 63. À 21 h 44 min 54 sNote de bas de page 12, le navire a dépassé le point de cheminement no 63. À ce moment, le timonier a commencé à éprouver de la difficulté à maintenir le cap au 083° V à cause de l’effet de bergeNote de bas de page 13, et le navire commençait à sortir du chenal de navigation.

    Figure 1. Parcours du Tundra jusqu'à l'échouement. La carte montre l'emplacement et le type de bouées présentes au moment de l'événement.
    Image
    Parcours du Tundra jusqu'à l'échouement, come décrit dans le text au-dessus

    À 21 h 45 min 20 s, le timonier a signalé que la barre était à 20° à tribord et que le navire ne répondait plus au gouvernail. Le pilote a brusquement demandé des précisions et le timonier a répété qu’il ne pouvait plus gouverner le navire. Le pilote s’est alors levé et s’est rendu au milieu de la timonerie pour regarder par la fenêtre avant de la passerelle. Bien que le réglage des commandes du moteur n’ait pas été modifié, à 21 h 45 min 35 s, la vitesse du navire était tombée à 12,9 nœuds. À ce moment, le pilote a ordonné de mettre le gouvernail à 20° à bâbord. Le timonier a confirmé et exécuté la manœuvre, mais le navire n’a pas répondu. Le pilote a alors ordonné de mettre la barre à bâbord toute. Le timonier a exécuté l’ordre, mais la réponse du navire a été minime. Environ 30 secondes plus tard, le navire était au cap 071° V et filait 11,5 nœuds. Le pilote a ordonné de mettre le cap au 050° V, puis de placer le gouvernail au centre. À 21 h 48, le navire s’est échoué à la position 46°04.0′ N, 073°02.17′ W (figure 1). Immédiatement après l’échouement, le pilote a ordonné à l’officier de quart de mettre la machine en arrière toute et celui-ci a exécuté la manœuvre. Celle-ci n’a eu aucun effet, et le navire est demeuré échoué. Le pilote a alors communiqué avec le SCTM de Québec pour signaler l’échouement.

    Renflouement du navire

    Le 1er décembre, une première tentative de renflouement du navire a été effectuée à l’aide de 4 remorqueurs, mais sans succès. Le 3 décembre, 1717 tonnes de marchandises ont été déchargées du navire et 4 remorqueurs ont tenté de renflouer celui-ci, toujours sans succès. Le 5 décembre, 925 tonnes de marchandises additionnelles ont été déchargées du navire et celui-ci a été remis à flot à l’aide de 4 remorqueurs. Le navire s’est ensuite rendu à Trois-Rivières par ses propres moyens. À Trois-Rivières, une inspection sous-marine a été effectuée, et le navire a été rechargé, puis est reparti pour Halifax à 17 h 30 le 6 décembre.

    Avaries au navire

    L’inspection sous-marine du Tundra a permis de déterminer ce qui suit :

    • des éraflures et un enfoncement au couple 132;
    • une légère déformation dans 1 des pales de l’hélice;
    • un couvercle d’inspection manquant du côté tribord du safran.

    Conditions environnementales

    À 22 h le 28 novembre 2012, la température de l’air était de 0,6° C, et les vents soufflaient du nord-nord-est à 30 km/h. Selon le livre de bord du navire, la visibilité était bonne, le temps était clair et la température de l’eau était de 3° C. La carte no 1312 du Service hydrographique du Canada indiquait que le courant devant Sainte-Anne-de-Sorel s’écoulait vers l’est à 1,5 nœud.

    Certificats du navire

    Le Tundra était certifié et équipé en conformité avec la réglementation existante.

    Certification et expérience du personnel

    Lecapitaine, les officiers et les membres d’équipage possédaient les certificats requis pour occuper leur poste à bord du navire. Le capitaine avait suivi une formation en gestion des ressources à la passerelle et avait assumé cette fonction sur de nombreux navires depuis 2002. Il était capitaine sur le Tundra depuis le 28 août 2012. L’officier de quart naviguait sur le Tundra depuis le 25 août 2012. Il avait navigué sur d’autres navires depuis 2000. Le timonier naviguait depuis 2006 et s’était joint à l’équipage du Tundra le 20 novembre 2012.

    Le pilote était titulaire d’un brevet de capitaine, voyage intermédiaire, délivré le 3 mars 1991. Le pilote a été accepté comme apprenti pilote par l’APL en 1996 et a obtenu son brevet de classe C pour le secteur de navigation de Montréal à Trois-Rivières en 1998. En 2003, il a obtenu un brevet de classe A, qui l’autorisait à piloter des navires de toutes dimensions dans ce secteur.

    Gestion des ressources à la passerelle

    La gestion des ressources à la passerelle (GRP) consiste à gérer et à utiliser efficacement toutes les ressources, humaines et techniques à la disposition de l’équipe à la passerelle pour assurer un voyage sécuritaire. La GRP englobe des concepts comme la gestion de la charge de travail, la résolution de problèmes, la prise de décisions et le travail d’équipe. Une bonne connaissance de la situation et une bonne communication sont des éléments essentiels de la GRP. Plus précisément, les membres de l’équipe de passerelle doivent acquérir une bonne connaissance générale de la situation tout en étant responsables de l’exécution de leurs tâches individuelles.

    Connaissance de la situation

    La connaissance de la situation désigne la conscience et la compréhension d’une personne à propos des conditions et des impératifs opérationnelsNote de bas de page 14. Dans les opérations de pilotage maritime, une bonne connaissance de la situation repose sur les éléments suivants : 1) la perception des facteurs critiques dans l’environnement, 2) la compréhension des répercussions de ces facteurs sur la maîtrise du navire, 3) l’extrapolation de ce qui se produira dans un avenir proche et la capacité de prendre les mesures nécessaires.

    Communication

    La langue utilisée internationalement pour les communications maritimes est l’anglais. La langue maternelle du pilote était le français. Les membres de l’équipage du Tundra étaient d’origine ukrainienne, et leur langue de travail était le russe. Pendant le voyage, l’équipe de passerelle communiquait en anglais.

    Les facteurs culturels peuvent également jouer un rôle dans la communication, et influer sur l’efficacité de la GRP. La distance hiérarchique désigne la mesure dans laquelle des membres d’une certaine culture se sentent à l’aise par rapport à un déséquilibre hiérarchique et de pouvoir dans leurs relations, aussi bien personnelles que professionnelles. Des études ont montré que la distance hiérarchique varie d’une culture à l’autreNote de bas de page 15. Comparativement aux cultures où la distance hiérarchique est faible, les membres de celles où elle est grande sont plus à l’aise par rapport aux déséquilibres, ce qui signifie que les personnes qui ont moins de pouvoir sont parfois réticentes à s’opposer aux personnes qui symbolisent l’autoritéNote de bas de page 16. Au chapitre de la distance hiérarchique, les différences culturelles peuvent donner lieu à une mauvaise communication entre les pilotes de navire et les équipes à la passerelleNote de bas de page 17. Le National Transportation Safety Board recommande l’ajout au syllabus GRP de l’OMI d’un segment sur les différences culturelles et langagières ainsi que sur leur incidence possible sur le rendement des marinsNote de bas de page 18.

    Exigences relatives à la formation en gestion des ressources à la passerelle

    Depuis le 1er janvier 2005, le Règlement général sur le pilotage exige que tous les pilotes certifiés et les apprentis pilotes de navire au Canada détiennent un certificat de participation à un programme de formation en GRP. Selon la Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (Convention STCW) et les modifications de Manille en 2010, les gens de mer doivent démontrer leurs compétences et connaissances en GRP pour obtenir leur brevet d’officier de pont de quart et suivre une formation en GRP pour recevoir leur brevet de capitaine.

    Même si l’APL oblige les pilotes à suivre la formation en GRP, aucune directive, procédure ou évaluation ne permet d’assurer que les pilotes appliquent les meilleures pratiques à bord des navires. Le pilote en cause avait obtenu cette certification en 2001, puis de nouveau en 2008 dans le cadre de sa formation continue. Rien n’indique que l’officier de quart du Tundra détenait une certification en GRP.

    Planification et surveillance de la traversée

    En vertu de la résolution A.893(21) de l’Organisation maritime internationale (OMI), les exigences relatives à la planification du voyageNote de bas de page 19 prescrivent l’élaboration d’un plan conforme aux règles de l’OMI et à d’autres éléments indiqués par le capitaine. Le plan de traversée vise à améliorer la sécurité, car il indique les zones à haut risque et fournit des renseignements importants dans un format facilement accessible aux personnes chargées de la navigation. Lorsqu’un pilote monte à bord d’un navire, il est important qu’il discute de son plan de traversée et de celui du navire avec le capitaine. Le plan de traversée du pilote est généralement complexe et contient un grand nombre d’amers, d’aides à la navigation, de repères radar et d’indications de distance.

    L’échange des plans de traversée du pilote et du navire pendant la discussion entre le capitaine et le pilote permet à ce dernier et aux officiers à la passerelle de déterminer et de prendre en compte les variables et les anomalies pouvant avoir une incidence sur la sécurité de la navigation du navire. De plus, cet échange permet au pilote et aux membres de l’équipe à la passerelle de s’entendre sur le déroulement de la traversée. Ce « modèle mental partagé », qui fournit des renseignements comme le moment où chaque changement de cap doit avoir lieuNote de bas de page 20, est particulièrement important si le plan de traversée du pilote n’est pas documenté. Dans un tel cas, l’échange continu de renseignements sur la navigation entre le pilote et l’équipe à la passerelle favorise leur collaboration dans la surveillance de la progression et de la position du navire.

    Le code STCWNote de bas de page 21 souligne l’importance de l’échange continu de renseignements entre le capitaine et le pilote et stipule que « Nonobstant les tâches et obligations qui incombent aux pilotes, leur présence à bord ne décharge pas le capitaine ou l’officier chargé du quart à la passerelle des tâches et obligations qui leur incombent sur le plan de la sécurité du navire. » En outre, dans un rapport publié en 1995, le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) explique que « le système en place peut faire en sorte qu’une seule décision erronée de la part du pilote mène à la catastrophe; sans une surveillance efficace des ordres du pilote qui a la conduite du navire, il n’existe que peu de moyens d’assurer la sécurité de la navigationNote de bas de page 22 ». Par conséquent, il est important que l’équipe de passerelle et le pilote travaillent de concert et partagent les renseignements afin d’éviter une situation où il existe un risque de point de défaillance unique.

    Le pilote du Tundra n’avait pas de plan documenté pour la traversée en cause, et les pilotes qui travaillent sur le fleuve Saint-Laurent n’élaborent généralement pas ce type de plan. De plus, le pilote n’avait pas pris connaissance des données les plus récentes sur le mouillage des bouées d’hiver et le retrait des bouées d’été dans ce secteur avant les affectations de pilotage des 3 jours précédents.

    Sur le plan de traversée du Tundra, certains points de cheminement avaient été indiqués à l’endroit où les lignes de cap préimprimées se croisent sur la carte marine. Les autres points de cheminement étaient indiqués par rapport à la bouée la plus près. Le plan de traversée du navire ne tenait pas compte des positions de début de virageNote de bas de page 23 et n’indiquait pas de cap intermédiaire.

    Maintien des compétences des pilotes

    L’APL est une société d’État fédérale dont le mandat est de fournir des services de pilotage efficaces et sécuritaires dans la région du fleuve Saint-Laurent. Les responsabilités principales de l’APL comprennent, entre autres, l’établissement des zones de pilotage obligatoire et la remise de brevets et de certificats de pilotage. L’APL passe des contrats avec 2 corporations de pilotes brevetés et d’apprentis pilotes dans 2 circonscriptions maritimes. La CPLSC dessert la circonscription no 1 qui s’étend de Montréal à Québec et est divisée en 2 secteurs : Montréal/Trois-Rivières et Trois-Rivières/Québec. La Corporation des pilotes du Bas-Saint-Laurent dessert la circonscription no 2 qui comprend la zone entre Québec et Les Escoumins. L’APL emploie actuellement environ 185 pilotes.

    L’APL confie la formation des pilotes à la CPSLC, mais elle est responsable de s’assurer que les pilotes reçoivent une formation appropriée et possèdent les brevets requis. Les pilotes suivent la plus grande partie de leur formation pendant leurs 2 années d’apprentissage. À la fin de cet apprentissage, les pilotes obtiennent un brevet de classe C et ne sont autorisés à travailler que sur des navires d’une certaine longueur maximaleNote de bas de page 24. Après 2 années d’expérience dans cette classe de brevet, les pilotes sont admissibles au brevet de la classe supérieure. La CPSLC oblige les pilotes à suivre une formation de 2 jours sur simulateur avant de les recommander à l’APL pour l’obtention d’un brevet de classe supérieure. Les brevets des classes supérieures exigent des combinaisons similaires d’expérience et de formation sur simulateur.

    La formation donnée aux apprentis pilotes leur permet d’acquérir les connaissances techniques et celles sur les conditions locales nécessaires pour piloter en toute sécurité des navires dansleur secteur de pilotage. Les apprentis apprennent à appliquer les pratiques de navigation régulières pour planifier des traversées et déterminer les positions du navire, à utiliser efficacement l’équipement de la passerelle et à exploiter de façon optimale toutes les ressources humaines. De plus, les pilotes acquièrent des connaissances sur certains caps et repères de pilotage, comme les alignements, les relèvements (visuels et radar) et les distances (visuelles et radar) mesurées à partir d’objets fixes. Pendant un voyage, ces repères servent à amorcer les changements de cap et à vérifier continuellement la position du navire. Après avoir acquis les connaissances techniques et celles sur les conditions locales requises, le pilote est tenu d’appliquer de bonnes pratiques de navigation à chacune de ses affectations.

    Évaluation des compétences des pilotes

    En 1999, l’Office des transports du Canada (OTC) a remis au ministre des Transports le document intitulé Rapport sur l’Examen du système de pilotage, qui traitait des préoccupations de l’Office relativement au manque d’évaluation des pilotes. Le rapport recommande notamment « que les administrations de pilotage soient tenues d’élaborer et de mettre en œuvre un système équitable et raisonnable en vue d’évaluer les compétences des pilotes et la qualité de leurs services, après avoir consulté les intéressés. Ces évaluations devraient avoir lieu à intervalles réguliers, au moins tous les cinq ansNote de bas de page 25. »

    En 2008, l’Association des pilotes maritimes du Canada et les 4 administrations de pilotage du paysNote de bas de page 26, y compris l’APL, ont publié des lignes directricesNote de bas de page 27 pour aider les administrations à mettre en place des programmes d’évaluation des compétences des pilotes. Ces lignes directrices visaient à permettre aux administrations de respecter la Recommandation no 9 du Rapport sur l’Examen du système de pilotage de l’OTC ainsi que la Résolution A.960 de l’OMINote de bas de page 28.

    Il y a en tout 9 principes directeurs. Quatre de ces principes, mentionnés ci-dessous, suggèrent que l’évaluation des pilotes :

    • soit applicable à tous les pilotes;
    • soit effectuée régulièrement, au moins une fois tous les 3 ans;
    • soit effectuée aux moyens de diverses méthodes;
    • mette l’emphase sur des mesures spécifiques et pratiques dans les cas où il est établi que la compétence ou le rendement d’un pilote doit être amélioréNote de bas de page 29.

    En 2009, l’APL a commandé un rapportNote de bas de page 30 sur les méthodes d’évaluation des compétences des pilotes dans 6 administrations de pilotage, soit 2 en Australie, 3 au Royaume-Uni et 1 aux Pays-Bas. Ce rapport a révélé que l’Australie et le Royaume-Uni avaient établi des lignes directrices sur l’évaluation périodique de la compétence des pilotes. Ainsi, le Port Marine Safety Code du Royaume-Uni stipule que les pilotes doivent faire reconfirmer leur autorisation tous les 5 ans et se soumettre à une évaluation de leurs compétences. En Australie, les Guidelines for Marine Pilotage Standards in Australia prévoient des évaluations de compétence continues avec des pilotes-évaluateurs et des simulateurs maritimes. Le rapport recommandait à l’APL d’adopter un ensemble de mesures pour élaborer un programme d’évaluation continue des compétences des pilotes au moyen de tests sur simulateur et de voyages de contrôle. Actuellement, l’APL ne dispose pas de programme d’évaluation des compétences des pilotes, alors que les 3 autres administrations ont mis en place de tels programmes. L’APL s’appuie surtout sur les rapports d’accident et d’incident ou sur les plaintes des propriétaires de navires pour évaluer la compétence d’un pilote.

    Utilisation des dispositifs de communication personnelle

    Depuis quelques années, on a établi un lien entre l’utilisation des dispositifs de communication personnelle et de nombreux accidents de transport partout dans le monde. Or, le BST a déjà fait état des risques liés à l’utilisation des téléphones cellulairesNote de bas de page 31. En outre, dans un rapport sur une collision maritime, le National Transportation Safety BoardNote de bas de page 32 des États-Unis a conclu que les causes probables de l’accident étaient la distraction et le manque de vigilance de l’officier de quart causés par l’utilisation fréquente du téléphone cellulaire et d’un ordinateur portable.

    Au Canada, chaque province dispose d’une législation interdisant aux conducteurs de véhicules automobiles d’utiliser des dispositifs de communication personnelle. De plus, les règlements relatifs au transport ferroviaire au Canada limitent l’emploi des dispositifs de communication aux sujets liés aux activités ferroviaires et interdisent l’utilisation des téléphones cellulaires si les systèmes de communications radio ferroviaires habituels sont disponiblesNote de bas de page 33. Actuellement, il n’existe au Canada aucun règlement concernant l’utilisation des dispositifs de communication personnelle dans le domaine du transport maritime. En l’absence de règlements précis, le CPSLC recommande ce qui suit : « En mission de pilotage, le pilote doit prêter toute son attention à sa tâche de pilotage. Est incompatible avec cette obligation toute activité non pertinente susceptible de le distraire dans ses tâchesNote de bas de page 34. »

    Pendant que le navire descendait le fleuve, le pilote a utilisé son téléphone cellulaire pour faire 5 appels téléphoniques d’une durée totale d’environ 46 minutes. Un des appels a duré 30 minutes. De plus, le pilote a envoyé ou reçu 6 messages textes de nature personnelle. Le pilote n’utilisait pas son téléphone cellulaire au moment où le changement de cap devait avoir lieu, ni lorsque le navire s’est échoué. Le pilote n’avait pas utilisé son téléphone mobile au cours des 59 minutes précédant l’échouement.

    Aptitude au travail

    Le Règlement général sur le pilotage oblige tous les pilotes brevetés à passer un examen médical au moins une fois tous les 2 ansNote de bas de page 35. Ces examens, pratiqués par un médecin désigné, permettent de déterminer si le pilote est médicalement apte à accomplir son travail efficacement. Pendant l’examen, le médecin doit déterminer si le pilote est atteint « de troubles de nature à l’empêcher de réagir efficacement dans l’exercice de ses fonctions de pilotageNote de bas de page 36. » Le règlement exige également que le pilote avise l’administration de pilotage s’il n’est plus capable, mentalement ou physiquement, d’exécuter ses tâches. L’APL peut, en tout temps, demander qu’un pilote se soumette à un examen médical si elle estime que sa santé est une menace pour la sécurité.

    Fatigue

    Le sommeil est un besoin fondamental qui doit être satisfait. Si ce besoin n’est pas comblé, un déficit de sommeil peut survenir, soit en raison de la réduction de la durée d’une seule période de sommeil, soit à cause de l’accumulation du manque de sommeil avec le temps (perte de sommeil cumulative).

    La tâche d’un pilote impose parfois des heures de travail longues et irrégulières, des quarts de nuit, des horaires de travail imprévisibles et des déplacements sur des distances variées selon les affectations. Ces facteurs peuvent contribuer de façon importante à la fatigue du pilote, à cause des répercussions sur le nombre d’heures de sommeil réparateur dont il peut bénéficier. Les facteurs autres que ceux liés au travail (problèmes personnels, âge avancé, problèmes médicaux, usage de l’alcool, etc.) peuvent également réduire, pour un pilote, les chances d’obtenir un sommeil réparateur. L’OMI estime que certaines conditions médicales augmentent la fatigue et diminuent le rendement au travail, notamment les troubles du sommeil comme l’apnée obstructive du sommeil et l’insomnieNote de bas de page 37.

    La baisse de rendement découlant de la fatigue peut prendre plusieurs formes, par exemple un temps de réaction allongé ou une absence de réaction, une vigilance réduite, une réduction de la capacité de prendre des décisions, une impossibilité de se concentrer, un manque de jugement, une mémoire défaillante, une distraction et un manque de vigilance dans les situations critiquesNote de bas de page 38. Dans des cas extrêmes, la fatigue excessive peut provoquer des épisodes de micro-sommeil, c’est-à-dire des périodes de sommeil incontrôlable de courtes durées (de quelques secondes à quelques minutes) dont la personne n’a pas toujours conscience. Bien documenté partout au monde, le phénomène du micro-sommeil est l’un des facteurs ayant joué un rôle dans plusieurs accidents dans le domaine maritime et du transport en généralNote de bas de page 39.

    Troubles du sommeil liés au rythme circadien

    Les personnes qui éprouvent des troubles du sommeil liés au rythme circadien ont de la difficulté à s’endormir et à rester endormies. De plus, le sommeil n’est pas réparateur ou est de piètre qualité. Les troubles propres au travail par quartsNote de bas de page 40, un type de trouble du sommeil lié au rythme circadien, peuvent survenir chez les personnes qui travaillent pendant les heures habituelles de sommeilNote de bas de page 41. Les personnes qui souffrent à la fois de problèmes médicaux, psychiatriques et de troubles du sommeil, comme l’apnée obstructive du sommeil, de même que celles qui ont un besoin marqué d’heures de sommeil stables, sont particulièrement susceptibles de développer ce trouble du sommeil.

    Apnée obstructive du sommeil

    L’apnée obstructive du sommeil est un problème médical causé par un blocage complet ou partiel de l’écoulement de l’air dans le pharynx pendant le sommeil. Cette condition perturbe ou fragmente le sommeil, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur le rendement d’une personne pendant l’état de veille. Il est possible que les personnes atteintes d’apnée obstructive du sommeil n’aient pas conscience qu’elles se réveillent souvent pendant leur sommeilNote de bas de page 42. En fait, il est fréquent que les personnes souffrant de ce trouble du sommeil affirment qu’elles dorment très bien. Cette réaction découle du fait que les périodes de sommeil fragmenté provoquent une somnolence excessive qui permet aux personnes de s’endormir rapidement et de se rendormir quelques secondes après leur réveil.

    On estime que la prévalence de l’apnée obstructive du sommeil dans la population est de 4 % chez les hommes et de 2 % chez les femmesNote de bas de page 43. Toutefois, certaines estimations indiquent une prévalence plus élevée (jusqu’à 10 %) chez les hommes de 40 à 60 ansNote de bas de page 44, surtout s’ils font de l’embonpoint. L’apnée obstructive du sommeil est plus fréquente chez les personnes qui ronflentNote de bas de page 45, et son lien avec l’obésité a été démontréNote de bas de page 46. De plus, le tabagisme ou les allergies peuvent exacerber les problèmes causés par ce trouble du sommeil, car ils provoquent l’inflammation des tissus des voies respiratoires supérieures. L’alcool peut également aggraver les problèmes de respiration causés par l’apnée obstructive du sommeilNote de bas de page 47.

    Le pilote du Tundra avait été impliqué dans un accident similaire en 2004, lorsque le navire porte-conteneurs Horizon s’est échoué au même endroit que le Tundra. Dans le rapport du BSTNote de bas de page 48 sur cet événement, les auteurs ont établi que la fatigue avait pu être un facteur contribuant à réduire la vigilance du pilote à un moment critique. À la suite de l’échouement du Horizon, le pilote a été soumis à une évaluation du sommeil en 2007 à la demande de l’APL. Toutefois, le pilote n’a pas reçu de rétroaction à la suite de cette évaluation ni l’APL en raison de la confidentialité de la relation entre le pilote et le médecin. L’évaluation a permis d’établir que le sommeil du pilote était entrecoupé de nombreux réveils, un problème probablement lié à l’insomnie découlant du travail par quarts. Aucun diagnostic d’apnée obstructive du sommeil n’a été établi à ce moment. Par la suite, le pilote est demeuré en service, et son trouble du sommeil n’a pas été mentionné lors des examens semestriels requis pour déterminer son aptitude au travail.

    Au moment de l’échouement du Tundra, le pilote présentait les facteurs de risque suivants, fréquents chez les personnes atteintes d’apnée obstructive du sommeil : âge moyen, indice de masse corporelle élevé, tabagisme, allergies causées par l’environnement, asthme, ronflement et difficulté à dormir. Le BST a demandé au pilote de se soumettre à une évaluation du sommeil, qui a eu lieu le 30 avril 2013. Cette évaluation comprenait un examen complet des caractéristiques physiques pouvant contribuer à rendre la respiration irrégulière pendant le sommeil. À la suite de cette évaluation, le pilote a reçu un diagnostic d’apnée obstructive du sommeil positionnelle légère liée au mouvement rapide des yeux et de troubles liés au travail par quarts.

    Heures de travail et de repos du pilote

    Les heures de travail et de repos du pilote pendant les 3 jours qui ont précédé l’événement sont les suivantes :

    • Le 25 novembre, le pilote s’est réveillé à 6 h pour une affectation imprévue de 8 h à 15 h 30 et s’est couché aux environs de minuit.
    • Le 26 novembre, le pilote s’est réveillé à environ 9 h et a passé le reste de la journée à Montréal pour des activités professionnelles. Il s’est couché vers 23 h 30.
    • Le 27 novembre, le pilote s’est réveillé à 8 h et a travaillé de 15 h à 22 h. Il s’est couché à 1 h le jour suivant.
    • Le 28 novembre, le pilote s’est réveillé à environ 8 h et est demeuré éveillé jusqu’au début de son quart de travail sur le Tundra, à environ 18 h 30. L’incident a eu lieu à 21 h 48 le même soir, alors qu’il avait été éveillé pendant 14 heures consécutives.

    Sensibilisation des pilotes à la fatigue

    En 2002, Transports Canada (TC) a élaboré un programme de gestion de la fatigue pour les pilotes maritimes. Ce programme a été élaboré en réponse à l’Examen du système de pilotage effectué par l’OTC en 1999 et à la recommandation suivante du BST :

    Le ministère des Transports et les administrations de pilotage du Canada élaborent et mettent en œuvre un programme de sensibilisation destiné à renseigner le personnel d’exploitation, y compris les pilotes, sur les moyens d’atténuer les effets négatifs de la fatigue sur le rendement au travail.
    Recommandation M99-04 du BST

    Les administrations de pilotage du Canada ont répondu favorablement à ces recommandations, et des programmes de sensibilisation à la fatigue ont été instaurés. Des séances d’information facultatives sur la fatigue ont été données aux pilotes de l’APL à compter de 2003, et ces séances ont continué d’être offertes sur une base facultative en 2004.

    Au cours des années suivantes, la sensibilisation à la fatigue a été incorporée au programme de formation des apprentis pilotes de la CPSLC. En 2000, le pilote du Tundra a participé à une séance sur la gestion de la fatigue dans le cadre d’une formation en GRP. Depuis 2000, il n’a pas reçu de formation supplémentaire en gestion de la fatigue.

    Le BST a fait état du problème de la fatigue des pilotes dans des rapports précédents. À la suite de l’échouement du Horizon en 2004, le Bureau a fait état e ses préoccupations en expliquant que « malgré la formation en sensibilisation à la fatigue et les dispositions contractuelles qui prévoient des périodes de repos adéquates pour les pilotes, la fatigue continue d’être un facteur d’accident. »Note de bas de page 49

    Consommation d’alcool

    L’APL a élaboré une politique sur la consommation de drogues et d’alcoolNote de bas de page 50. Cette politique porte sur le dépistage des drogues et de l’alcool, le taux d’alcool dans le sang pendant les heures de travailNote de bas de page 51, l’usage de médicaments, la consommation de drogues illégales et les questions relatives au traitement des employés aux prises avec des problèmes d’accoutumance. En vertu de cette politique, l’APL peut demander un test de dépistage si elle estime qu’un pilote (ou tout autre employé qui occupe un poste où la sécurité est un enjeu) a les facultés affaiblies par les drogues ou l’alcool.

    Selon le Règlement de l’APL, une personne qui a été condamnée pour une infraction en vertu de l’article 253 du Code criminel ne peut obtenir de brevet ou de certificat de pilotageNote de bas de page 52. Toutefois, les règlements n’exigent pas la suspension ou la révocation du brevet d’un pilote qui a été condamné pour cette même infraction si celui-ci détient son brevet depuis plus d’un anNote de bas de page 53. De plus, l’APL n’a pas de règlement ou de procédure obligeant les pilotes à déclarer ces condamnations.

    Aux États-Unis, les pilotes maritimes sont régis par des règlements fédéraux et par ceux des États. Selon la réglementation fédérale, administrée par la United States Coast Guard (USCG), un pilote qui détient un brevet valide n’est pas tenu de déclarer à l’USCG une condamnation pour conduite avec facultés affaiblies. Toutefois, les personnes qui veulent obtenir ou renouveler un brevet de pilote doivent le faire. L’USCG peut toutefois suspendre ou révoquer en tout temps un brevet valide à cause d’une telle condamnation. Les règlements de certains États, comme ceux du New Jersey, obligent les pilotes détenteurs de brevets valides à déclarer à l’État une condamnation pour conduite avec facultés affaiblies, tout comme les pilotes qui veulent obtenir ou renouveler leur brevet.

    Par contre, dans l’industrie de l’aviation aux États-Unis, les pilotesNote de bas de page 54 doivent déclarer toutes les arrestations, mesures administratives et condamnations pour conduite avec facultés affaiblies. Lorsque ce type d’infraction est déclaré, une enquête préliminaire est amorcée pour vérifier s’il n’y a pas d’autres actes devant être signalés. À la suite de l’enquête, le certificat médical du pilote peut être refusé ou suspendu pendant une période maximale de 1 an. Les recherches ont démontré que les pilotes de l’aviation généraleNote de bas de page 55 qui ont déjà été condamnés pour conduite avec facultés affaiblies ont 43 % plus de chance d’avoir un accident d’avionNote de bas de page 56 que ceux qui n’ont jamais été condamnés pour cette même infraction pour les raisons suivantes :

    • Les pilotes qui ont déjà conduit avec les facultés affaiblies sont plus susceptibles que les autres de piloter un aéronef après avoir consommé de l’alcoolNote de bas de page 57.
    • La conduite avec facultés affaiblies peut être un indicateur d’un problème de consommation d’alcool susceptible d’avoir une incidence sur les fonctions cognitives et la santé, et, par conséquent, de nuire au travail d’un pilote.
    • Les pilotes qui ont un historique de conduite avec facultés affaiblies sont plus susceptibles d’être impliqués dans un écrasement que les autres pilotes parce qu’ils sont plus enclins à prendre des risques d’une façon généraleNote de bas de page 58.

    En raison du risque accru pour les pilotes qui ont un historique de conduite avec facultés affaiblies, la vérification des antécédents peut réduire le nombre d’écrasements liés ou non à la consommation d’alcool.

    En 2008, le permis de conduire un véhicule automobile du pilote a fait l’objet de 2 suspensions administratives distinctes de 30 jours, qui ont entraîné 2 condamnations pour conduite avec facultés affaiblies en vertu du Code criminelNote de bas de page 59. Ces condamnations et ces suspensions de permis n’avaient été signalées ni à l’APL, ni à la CPSLC, et la législation en vigueur ne rend pas cette déclaration obligatoire.

    Événements précédents et recommandations

    Le BST a déjà souligné le fait que les pilotes et les membres de l’équipe à la passerelle doivent échanger des renseignements sur le plan de traversée et travailler en collaboration pour surveiller la progression du navire. Le rapport du BST no MS9501, Étude de sécurité portant sur les rapports de travail entre les capitaines et les officiers de quart, et les pilotes de navires, indique que la surveillance des mouvements d’un navire est essentielle pour naviguer en toute sécurité dans les zones où le pilotage est obligatoire et qu’elle dépend de l’efficacité de la communication entre les membres de l’équipe à la passerelle. Pour bien surveiller les mouvements d’un navire et aider le pilote à avoir une bonne connaissance de la situation, le capitaine et l’officier de quart doivent être au courant du plan de traversée du pilote et fournir à ce dernier des renseignements sur la position du navire par rapport à ce plan.

    Le BST avait déjà formulé la recommandation suivante :

    Le ministère des Transports exige que les administrations de pilotage publient des plans de pilotage en bonne et due forme pour les eaux où le pilotage est obligatoire et mettent ces plans à la disposition des capitaines pour faciliter la surveillance du travail du pilote par l’équipe à la passerelle du navire.
    Recommandation M94-34 du BST

    Bien que Transports Canada, Sécurité et Sûreté maritimes n’ait pas accepté cette recommandation, le BST rappelle que la surveillance inadéquate de la position des navires est souvent un facteur lors de heurts et d’échouements. Le BST estime que la surveillance étroite et continue de la progression d’un navire fondée sur un plan de traversée partagé est essentielle pour conduire le navire en toute sécurité. C’est pourquoi le BST a également recommandé ce qui suit :

    Le ministère des Transports exige que les pilotes, au moment de l’échange de renseignements lors de la relève à la conduite du navire :

    1. obtiennent l’approbation du capitaine au sujet du plan de pilotage prévu;
    2. incitent les membres de l’équipe à la passerelle à participer à la navigation du navire en demandant à l’officier de quart de reporter, à des intervalles réguliers, la position du navire sur la carte et de les informer de la position du navire par rapport à celle prévue dans le plan de pilotage convenu.

    Recommandation M95-08 du BST

    L’échouement du Federal Agno (M09C0051) et le heurt du Petersfield (M09W0193) démontrent également que le partage du plan de traversée et la surveillance continue de la position du navire représentent des facteurs importants dans les zones de pilotage obligatoire du Canada.

    À la suite de l’enquête sur le heurt du Common Spirit (M12L0095), le Bureau a conclu que l’absence d’évaluation des compétences des pilotes était un fait établi quant aux risques et a émis une Préoccupation liée à la sécurité en précisant ce qui suit :

    Le Bureau est préoccupé par l’absence d’évaluations normalisées et documentées du rendement à bord qui fait en sorte que certains apprentis pourraient obtenir un brevet de pilote sans avoir acquis les compétences et l’expertise nécessaires. De plus, sans évaluation périodique normalisée et documentée des compétences, le Bureau craint que des pilotes brevetés ne conservent pas les niveaux de compétence et d’expertise requis pour piloter un navire en toute sécurité.

    L’APL a indiqué que l’évaluation périodique des compétences des pilotes aura lieu et vise à mettre pleinement en œuvre un programme à cet égard d’ici juillet 2014. L’APL travaille actuellement à la création d’un comité de formation, composé de l’APL, de la CPSLC et de la Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent, qui évaluera les compétences des apprentis pilotes.

    Analyse

    Événements ayant mené à l’échouement

    Dans l’événement en cause, le pilote n’a pas utilisé toutes les ressources disponibles pour conduire le navire en toute sécurité. Avant l’appareillage, le pilote ne s’était pas renseigné sur l’état des bouées dans la zone de pilotage, même s’il comptait sur les bouées pour piloter le navire. De plus, son plan de traversée indiquait des changements de cap qui ne figuraient pas dans le plan de traversée du navire, mais le pilote n’avait pas vérifié ce second plan, et les divergences n’avaient donc pas été relevées. Pendant que le navire descendait le fleuve, il y a eu très peu d’échanges entre le pilote et les autres membres de l’équipe à la passerelle. Ceux-ci n’avaient pas été informés des intentions du pilote avant les changements de cap.

    Au moment où le navire approchait d’un point de changement de cap intermédiaire prévu, le pilote était assis du côté bâbord de la passerelle, à environ 8 m des autres membres de l’équipe à la passerelle, et se trouvait dans une position qui l’empêchait de voir le prochain groupe de feux d’alignement. Le pilote devait amorcer ce changement de cap intermédiaire au moment où la bouée S-140 serait sur l’arrière du navire, mais cette bouée avait été enlevée 7 jours plus tôt, et le changement de cap n’a pas été effectué. La prochaine bouée latérale visible à bâbord était la bouée S-136, mais les caractéristiques de son feu étaient différentes de ceux de la bouée S-140. Par conséquent, il est peu probable que le pilote ait omis le changement de cap parce qu’il a confondu les 2 bouées. Par contre, il est plus vraisemblable qu’à ce moment, le pilote avait une connaissance insuffisante de la situation en raison de la fatigue, ce qui a entraîné la surveillance inadéquate de la position du navire. Puisque la surveillance par l’officier de quart était également déficiente, le navire a poursuivi sa course, est sorti du chenal et s’est échoué.

    Gestion des ressources à la passerelle

    Les 3 principaux éléments de la gestion des ressources à la passerelle (GRP) sont la surveillance de la progression du navire, le partage du plan de traversée et une constante connaissance de la situation. Dans l’incident du Tundra, le plan de traversée du navire et celui du pilote étaient différents, mais le capitaine et le pilote n’en avaient pas discuté. L’équipe à la passerelle et le pilote n’étaient donc pas au courant des divergences entre certains points de changement de cap. De plus, le manque de communication entre les membres de l’équipe à la passerelle et le pilote pendant que le navire faisait route, notamment à propos des changements de cap, a empêché les membres de l’équipe de pouvoir agir en appui aux décisions du pilote. Les différences linguistiques et culturelles ont possiblement nui aux communications sur la passerelle. Puisque la distance hiérarchique au sein des cultures de l’Europe orientale a tendance à être plus prononcée que dans les cultures occidentales comme la culture canadienneNote de bas de page 60, les membres de l’équipage ukrainien auraient peut-être été plus réticents que ceux provenant d’autres cultures, notamment de cultures occidentales, à remettre en question l’autorité du pilote par rapport au cap du navire. De plus, l’emplacement physique du pilote sur la passerelle, par rapport aux autres membres de l’équipe, ne favorisait ni l’établissement, ni le maintien de communications efficaces entre les membres de l’équipe de passerelle.

    Bien qu’au Canada, les pilotes maritimes et les apprentis pilotes maritimes soient tenus de suivre une formation en GRP, il est possible que cette formation à elle seule ne permette pas de s’assurer que les pratiques de GRP sont mises en œuvre efficacement à bord des navires. Comme le démontre l’événement en cause, le pilote, malgré sa formation en GRP, n’a pas mis en pratique les techniques de GRP, ce qui suggère que le transfert de connaissancesNote de bas de page 61 n’a pas eu lieu. Il est possible de transférer des connaissances efficacement en faisant exécuter aux employés certaines activités qui les aideront à appliquer plus efficacement et rapidement les compétences acquises pendant la formation. Ainsi, les exercices destinés à mettre en pratique de nouvelles compétences améliorent la probabilité de transfert de connaissances, tout comme le suivi auprès des personnes en formation et des superviseurs en ce qui a trait aux objectifs et aux plans d’action. L’établissement d’un lien entre la gestion de la performance et les processus de perfectionnement peut favoriser la responsabilisation à l’égard du suivi et de l’apprentissage des personnes en formationNote de bas de page 62 Note de bas de page 63. En ce qui concerne les pilotes maritimes, des directives supplémentaires sur la mise en œuvre de la GRP et l’évaluation périodique des pilotes peuvent contribuer à la bonne application des pratiques de GRP à bord des navires.

    En l’absence de pratiques de GRP efficaces visant à s’assurer que tous les membres de l’équipe à la passerelle s’entendent sur le trajet prévu du navire et que les échanges entre les pilotes et le personnel de navigation soient continus, il est possible que la capacité des membres de l’équipe à la passerelle à surveiller la progression d’un navire soit compromise.

    Évaluations des compétences des pilotes

    Dans la plupart des lieux de travail, les employés sont soumis à des évaluations régulières du rendement, visant à confirmer qu’ils possèdent les connaissances et les aptitudes nécessaires pour effectuer efficacement leurs tâches. Dans l’événement en cause, plusieurs faits démontrent que le pilote n’a pas appliqué les meilleures pratiques de pilotage :

    • les avis à la navigation relatifs à la zone de pilotage, notamment ceux concernant l’état des bouées, n’ont pas été consultés;
    • le plan de traversée du navire n’a pas été vérifié pour s’assurer qu’il correspondait à celui du pilote;
    • la progression du navire a été établie surtout à partir des bouées et n’a pas été confirmée par d’autres moyens;
    • l’échange de renseignements entre le pilote et les autres membres de l’équipe de passerelle a été réduit au minimum;
    • le pilote utilisait un dispositif de communication personnelle pendant qu’il pilotait le navire.

    Les pilotes relevant de l’Administration de pilotage des Laurentides (APL) ne sont pas tenus de subir des évaluations officielles de leur compétence après avoir reçu leur brevet. Par contre, les 3 autres administrations de pilotage canadiennes disposent de procédures pour confirmer de façon continue la compétence de leurs pilotes. Les principaux outils utilisés par l’APL pour vérifier le dossier des pilotes sont les plaintes et une base de données sur les accidents et les incidents signalés.

    Dans l’événement en cause, une évaluation de la compétence du pilote aurait peut-être permis de déterminer les pratiques incompatibles avec le pilotage sécuritaire du navire. Les évaluations des compétences peuvent également constituer la première étape d’un processus destiné à fournir aux pilotes la rétroaction nécessaire et à conscientiser l’APL à propos de leurs compétences.

    En l’absence d’évaluations périodiques des compétences des pilotes, il est possible que les pratiques de pilotage non sécuritaires se poursuivent.

    Aptitude au travail du pilote

    Il est impératif que les personnes qui occupent des postes où la sécurité est un enjeu essentiel soient aptes au travail et capables d’exécuter toutes les tâches qui leur sont imparties. C’est pourquoi le Règlement général sur le pilotage oblige les pilotes maritimes à subir un examen médical au moins une fois tous les 2 ans. Toutefois, ces examens reposent sur les déclarations volontaires des patients et ne sont pas assez approfondis pour détecter certains troubles pouvant avoir une incidence sur le rendement d’un pilote, comme les troubles du sommeil.

    Même si le pilote avait fait l’objet d’une évaluation du sommeil en 2007 après l’accident du Horizon, il n’a reçu aucune rétroaction concernant le résultat de cette évaluation et il n’était probablement pas conscient du risque lié aux facteurs personnels, comme le mode de vie et la fatigue. Le pilote avait subi les examens médicaux subséquents, conformément aux règlements, mais ces examens n’avaient ni signalé l’existence d’un trouble du sommeil, ni exigé d’autres examens.

    Le fait que les personnes atteintes de troubles du sommeil ignorent souvent qu’elles souffrent de ces troubles et qu’elles peuvent ne pas en reconnaître les symptômes démontre l’importance des programmes de sensibilisation à la fatigue. Dans de tels cas, la formation en sensibilisation à la fatigue peut aider les pilotes à détecter les effets négatifs de la fatigue et, au besoin, à demander de l’aide pour gérer les troubles du sommeil.

    En 2003, l’APL a commencé à offrir à tous les pilotes une formation en sensibilisation à la fatigue, mais cette formation a été interrompue en 2004. Le programme de formation des pilotes comprend maintenant un module sur la fatigue. Bien que le fait d’offrir une formation en sensibilisation à la fatigue soit un pas dans la bonne direction pour aider les pilotes à détecter et à gérer les conséquences nuisibles de la fatigue, il est important que cette formation soit offerte périodiquement à tous les pilotes, et non pas une seule fois pendant les années d’apprentissage. En l’absence de formation en sensibilisation à la fatigue, il est possible que les pilotes ne soient pas en mesure de détecter les symptômes ou les signes liés aux troubles du sommeil, qui ne peuvent pas être détectés dans le cadre d’un examen médical ordinaire.

    Fatigue

    Même si l’analyse de l’historique du sommeil du pilote sur 72 heures indique qu’il ne souffrait pas d’un déficit de sommeil aigu ou chronique au moment de l’événement, il existe d’autres facteurs de risques et indicateurs de fatigue. Les troubles liés au travail par quarts et l’apnée obstructive du sommeil du pilote, qui n’avaient pas été traités, ont probablement réduit la durée et la qualité de son sommeil au cours des nuits qui ont précédé l’événement, augmentant ainsi le risque de fatigue. L’environnement physique de la passerelle, où il fait chaud et où l’éclairage est tamisé, conjugué au bruit monotone du moteur et à l’heure (en soirée), ont pu favoriser la somnolence, notamment si le pilote souffrait de troubles du sommeil. En outre, la position du pilote sur la passerelle, qui réduisait les interactions avec les membres d’équipage, ainsi que l’arrêt relativement soudain de l’activité du pilote pendant les 10 minutes qui ont précédé l’échouement semblent indiquer que celui-ci avait vécu un épisode de micro-sommeil.

    Obligation de déclarer les condamnations pour conduite avec facultés affaiblies

    Puisque les condamnations pour conduite avec facultés affaiblies peuvent révéler l’existence de problèmes de consommation d’alcool, le fait d’obliger officiellement les employés qui occupent un poste essentiel pour la sécurité à déclarer ces condamnations peut aider les employeurs à détecter et à gérer ces problèmes. L’industrie de l’aviation aux États-Unis reconnaît l’importance des condamnations pour conduite avec facultés affaiblies pour les pilotes d’aéronefs, et certains États obligent les pilotes maritimes à déclarer ces condamnations, mais l’industrie de l’aviation et les administrations de pilotage canadiennes n’exigent pas de telles déclarations. Le pilote avait déjà subi 2 suspensions de son permis de conduire un véhicule automobile, et 2 condamnations pour conduite avec facultés affaiblies. Toutefois, les condamnations et les suspensions de permis de conduire n’avaient pas été déclarées à l’APL, à la Corporation des Pilotes du Saint-Laurent Central (CPSLC) ou à Transports Canada, et la législation en vigueur ne rend pas ces déclarations obligatoires.

    Dans l’événement en cause, la consommation d’alcool n’est pas considérée comme un facteur. Cependant, si les associations de pilotage canadiennes n’instaurent pas de politique de déclaration obligatoire des condamnations pour conduite avec facultés affaiblies, il y a un risque accru que les pilotes qui ont des problèmes de consommation d’alcool continuent à piloter des navires.

    Connaissance de la situation et dispositifs de communication personnelle

    L’emploi de dispositifs de communication personnelle, comme les téléphones cellulaires, peut réduire la connaissance de la situation, ce qui est particulièrement préoccupant si une tâche exige une attention particulière sur le plan de la sécurité. Dans certains secteurs du transport, on reconnaît ce risque et on a élaboré une réglementation qui limite ou interdit l’emploi de tels dispositifs.

    La CPSLC ne dispose d’aucune directive, ni d’aucun protocole concernant l’utilisation des dispositifs de communication personnelle, mais elle recommande que les pilotes exercent un pilotage vigilant, puisque toute activité non pertinente risque de détourner leur attention de leur travail. Dans le cas de cet incident, le pilote a utilisé son dispositif de communication personnelle pour faire des appels et envoyer des messages texte personnels pendant que le navire faisait route. Même si cet incident n’a pas été causé par ces communications, celles-ci ont eu lieu pendant que le pilote était aux commandes du navire, nuisant ainsi à sa capacité de se concentrer sur son travail.

    En l’absence de directives ou de règles particulières, certains pilotes peuvent ne pas être conscients des risques liés à l’utilisation des dispositifs de communication personnelle pendant leur travail et peuvent continuer à le faire, augmentant ainsi les risques de pilotage dangereux.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Le plan de traversée du pilote n’était pas consigné par écrit et n’a pas été communiqué à l’équipe à la passerelle. De plus, le plan de traversée du navire n’a pas été vérifié par le pilote.
    2. Le pilote et les autres membres de l’équipe à la passerelle n’ont pas échangé de renseignements sur la navigation du navire. Par conséquent, l’équipe à la passerelle n’était pas au courant du changement de cap prévu.
    3. Le pilote n’a pas utilisé toutes les méthodes de navigation à sa disposition pour piloter le navire.
    4. Puisque le pilote a omis d’effectuer un changement de cap prévu, le navire est sorti du chenal et s’est échoué.
    5. La fatigue a probablement été un facteur à l’origine d’une connaissance de la situation inadéquate à un moment critique où devait avoir lieu un changement de cap.

    Faits établis quant aux risques

    1. En l’absence de pratiques efficaces de gestion des ressources à la passerelle pour faire en sorte que tous les membres de l’équipe à la passerelle soient parfaitement au courant du parcours prévu du navire et que les personnes chargées de la navigation communiquent continuellement avec les pilotes, la capacité des membres de l’équipage à la passerelle à surveiller la progression du navire risque d’être compromise.
    2. En l’absence d’évaluations périodiques des compétences des pilotes, il est possible que des pratiques de pilotage non sécuritaires se poursuivent.
    3. Sans formation en sensibilisation à la fatigue, il est possible que les pilotes ne soient pas en mesure de détecter les symptômes ou les signes liés aux troubles du sommeil, qui ne peuvent pas être détectés dans le cadre d’un examen médical ordinaire.
    4. Si les administrations canadiennes de pilotage n’instaurent pas de politique de déclaration obligatoire des condamnations pour conduite avec facultés affaiblies, il y a un risque accru que les pilotes éprouvant des problèmes de consommation d’alcool qui ne sont pas traités continuent à piloter des navires.
    5. Sans directives ou règles particulières, certains pilotes peuvent ne pas être conscients des risques liés à l’utilisation des dispositifs de communication personnelle pendant leur travail de pilotage et peuvent continuer à le faire, augmentant ainsi les risques de pilotage dangereux.

    Mesures de sécurité

    Mesures de sécurité prises

    Propriétaire

    Le propriétaire a envoyé un message à l’ensemble de la flotte rappelant aux officiers de quart qu’ils doivent vérifier et surveiller régulièrement la route du navire lorsque ce dernier est conduit par un pilote. Ce point sera discuté lors de la prochaine réunion sur la sécurité et un compte-rendu sera envoyé à l’entreprise.

    Administration de pilotage des Laurentides

    En ce qui concerne la formation sur la sensibilisation à la fatigue, l’Administration de pilotage des Laurentides (APL) et la Corporation des pilotes du Saint-Laurent central (CPSLC) ont conclu une entente visant à réaliser une étude sur les risques associés à la fatigue.

    De plus l’APL, en collaboration avec la CPSLC et la Corporation des pilotes du Bas-Saint-Laurent, a publié une brochure relative aux échanges entre le capitaine et le pilote. Le pilote remet cette brochure au capitaine à l’embarquement. La brochure indique en détails les renseignements spécifiques à l’échange et aborde des sujets tels que le système de commande du gouvernail, les ancres, les communications radio et les manœuvres.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

    Annexes

    Annexe A - Aménagement de la passerelle du Tundra