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Rapport d'enquête maritime M15P0347

Chavirement et perte de vie
Leviathan II
Baie Clayoquot (Colombie-Britannique)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 25 octobre 2015, vers 15 h, heure avancée du Pacifique, le navire à passagers Leviathan II effectuait une excursion d'observation des baleines avec 27 personnes à bord lorsqu'il a chaviré au large des récifs Plover, dans la baie Clayoquot (Colombie-Britannique). Les opérations de sauvetage subséquentes ont permis de récupérer 21 survivants (18 passagers et 3 membres de l'équipage). Il y a eu 6 décès. Le chavirement a entraîné le rejet d'environ 2000 litres de carburant dans l'eau.

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiche technique du navire

Tableau 1. Fiche technique du navire
Nom du navire Leviathan II
Numéro officiel 800190
Port d'immatriculation Vancouver
Pavillon Canadien
Type Navire à passagers
Jauge brute 32,58
Longueur 19,66 m
Tirant d'eau (au moment de l'événement, estimation) 0,60 m
Propulsion Deux moteurs diesel développant au total 515 kW, entraînant 2 hélices
Construction 1981 (refonte en 1996)
Nombre maximal de personnes à bord Passagers : 46
Équipage : 4
Personnes à bord au moment de l'événement Passagers : 24
Équipage : 3
Propriétaire enregistré Jamie's Whaling Station Ltd.

1.2 Description du navire

Le Leviathan II (figure 1) était un navire en aluminium doté d'une coque en V à faible tirant d'eau. Au moment de sa construction, en 1981, ce navire était un bateau de relève. Son propriétaire actuel l'a acheté en 1995 et l'a fait transformer l'année suivante, par un chantier maritime de Colombie-Britannique, en navire à passagers pour des excursions d'observation des baleines. Dans le cadre de cette refonte, on a allongé la coque d'environ 4,8 m à la poupe. On a aussi renforcé le haut de la cabine d'origine afin d'aménager une section sièges pour les passagers sur le pont supérieur ainsi qu'une passerelle haute; l'équipement de navigation a été déplacé de la timonerie à la passerelle haute. Ainsi, la timonerie ne servait plus.

Figure 1. Leviathan II (Source : David Bly)
Figure 1.  <em>Leviathan II </em> (Source : David Bly)

Le navire comprenait 3 sections sièges pour les passagers : le pont supérieur ouvert, la partie arrière du pont principal et la cabine inférieure recouverte (annexe A). La section sièges du pont principal était entourée de rambardes et recouverte d'un abri en acrylique protégeant les passagers des éléments. Un escalier au milieu du navire permettait d'accéder au pont supérieur et à la cabine inférieure depuis le pont principal. L'entrée de la cabine inférieure, au bas des escaliers, comportait une porte étanche.

La cabine inférieure était entourée de fenêtres et il s'y trouvait 2 regards carrés traversant le pont et permettant aux passagers de voir sous l'eau (annexe A). Il y avait du verre de sécurité feuilleté au haut et au bas de ces regards. La cabine inférieure comprenait aussi une petite cuisine.

Un escalier situé à l'avant de la cabine inférieure menait à la timonerie. La timonerie comportait 2 portes étanchées (1 de chaque côté) donnant sur le pont principal avant. Il n'y avait pas de porte entre la timonerie et la cabine des passagers, mais l'accès à la timonerie était réservé aux membres de l'équipage.

La coque comprenait un espace mort de coqueron avant auquel on pouvait accéder par une écoutille étanche dans la timonerie, et 3 autres espaces morts auxquels on pouvait accéder par des écoutilles étanches dans la cabine inférieure. La salle des machines se trouvait à l'arrière de l'espace mort no 3, et on y accédait par des écoutilles sur le pont principal. Des réservoirs de carburant de bâbord et de tribord, à côté de la salle des machines, avaient été condamnés et bouchés pendant la refonte. À l'arrière de la salle des machines, il y avait 2 espaces morts contenant le réservoir de carburant, ainsi qu'un coqueron arrière divisé en 2.

Le navire était doté d'une pompe de cale actionnée par le moteur principal. Cette pompe de cale était raccordée à un collecteur doté d'un robinet d'arrêt pour chaque compartiment. Des pompes de cale électriques (12 V c.c.) supplémentaires se trouvaient dans les espaces morts arrière. Le navire était propulsé par 2 moteurs diesels. L'arbre de chacune des 2 hélices traversait la coque par un presse-étoupe sur la poupe et pouvait être ajusté pour accroître ou réduire la submersion de l'hélice semi-immergée correspondante. La vitesse normale du navire était d'environ 12 nœuds.

Le navire avait une plateforme de baignade (annexe A) dépassant la poupe d'environ 1 mètre vers l'arrière et offrant un accès à l'eau. Cette plateforme de baignade était aussi large que le navire.

La passerelle haute abritait l'équipement de communication et de navigation, dont 1 compas magnétique, 1 radar, 1 appareil GPS (système mondial de positionnement), 1 échosondeur et 1 traceur de cartes, ainsi que 2 radiotéléphones très haute fréquence (VHF) avec système d'appel sélectif numérique (ASN) Note de bas de page 1 dont 1 était branché au GPS. Un panneau d'alarme situé dans la timonerie produisait des avertissements de faible pression d'huile, de température élevée du liquide de refroidissement, d'incendie et de niveau d'eau élevé dans la cale. Le navire n'avait pas de radiobalise de localisation des sinistres (RLS), et la réglementation ne l'exigeait pas.

1.3 Activités de l'entreprise

L'entreprise offrait des excursions depuis Tofino et Ucluelet (Colombie-Britannique) depuis 1982 et exploitait, au moment de l'événement à l'étude, une flotte composée de 3 petits navires à passagers et 6 embarcations pneumatiques à coque rigide. Elle offrait des excursions d'observation des baleines de mars à octobre et accueillait environ 25 000 passagers par année. En plus d'accomplir leurs tâches habituelles et de communiquer par radio avec le bureau de la réception de l'entreprise et d'autres navires, les capitaines des navires devaient commenter les excursions à l'aide du système de diffusion de bord.

Une excursion typique d'observation des baleines durait de 2,5 à 3 heures, et les navires empruntaient différents itinéraires entre l'extrémité sud de Long Beach et la pointe Rafael sur la côte de l'île Flores (une distance d'environ 28 milles marins). Ces itinéraires changeaient en fonction des conditions météorologiques et des lieux où il était le plus probable de trouver des baleines et d'autres animaux marins, comme des otaries et des loutres. Dans le cadre de l'expérience offerte aux passagers, pour permettre d'observer la faune, il n'était pas rare que les navires s'approchent de la terre ferme, et ils passaient régulièrement près des récifs Plover.

Les excursions d'observation des baleines sont tributaires des conditions météorologiques, et elles étaient annulées si les conditions risquaient de compromettre le confort et la sécurité des passagers. L'entreprise s'en remettait aux capitaines pour décider si le mauvais temps justifiait l'annulation d'une excursion. Les capitaines de l'entreprise annulaient habituellement une excursion lorsque la hauteur des vagues à la bouée météorologique du banc La Pérouse Note de bas de page 2 était supérieure à 4 mètres. Dans un tel cas, on proposait aux passagers une excursion d'exploration d'un bras de mer, restant en eaux abritées.

1.4 Description des récifs Plover

Les récifs Plover, le lieu de l'événement à l'étude, se trouvent du côté est du chenal Brabant de la baie Clayoquot (Colombie-Britannique), à proximité de plusieurs bras de mer. Ce récif comprend plusieurs rochers qui émergent. Le fond marin monte graduellement jusqu'au récif; à 500 m de celui-ci, la profondeur est d'au plus environ 30 m, et moins par endroits. De mars à octobre, la houle entourant les récifs Plover provient principalement de l'ouest. Les récifs Plover font partie des nombreux récifs, rochers et hauts-fonds le long de la côte ouest de l'île de Vancouver; certains émergent et d'autres sont submergés. Les courants de marée font aussi monter et descendre le niveau de l'eau dans les baies, détroits et bras de mer de la côte de la Colombie-Britannique.

1.5 Déroulement du voyage

Le 25 octobre 2015, 24 passagers se sont présentés au poste baleinier de Tofino pour participer à une excursion d'observation des baleines à bord du Leviathan II . Le capitaine avait vérifié les prévisions météorologiques sur le site Web d'Environnement Canada avant l'excursion, qui était sa première de la journée. Les prévisions indiquaient des vents du sud-est de 15 à 25 nœuds, des vents variables de 10 à 20 nœuds en après-midi et des vents du nord-ouest de 15 à 25 nœuds en soirée. Les prévisions de hauteur des vagues indiquaient des vagues de 2 m augmentant à 3 et 4 m en après-midi et diminuant à 2 m vers minuit Note de bas de page 3. Le capitaine avait aussi vérifié les caractéristiques des vagues mesurées à la bouée météorologique du banc La Pérouse. La hauteur significative des vagues Note de bas de page 4 variait de 2,6 m à 2,9 m, avec une période Note de bas de page 5 de 9 à 10 secondes. Les passagers avaient aussi accès aux prévisions météorologiques au poste baleinier.

Pendant que les passagers s'inscrivaient pour l'excursion, l'équipage (composé du capitaine et de 2 matelots de pont) a préparé le navire. L'embarquement a débuté vers 13 h 20 Note de bas de page 6, et les matelots de pont ont compté les passagers qui montaient à bord. Le capitaine a ensuite communiqué par radio avec le personnel de la réception pour confirmer le nombre de passagers. Pendant l'excursion, les passagers pouvaient se déplacer librement entre les 3 sections sièges, et la porte de la cabine inférieure était calée en position ouverte.

En quittant le quai, le capitaine a utilisé le système de diffusion de bord pour donner aux passagers de l'information générale sur le navire et l'équipage. Il a aussi indiqué aux passagers l'emplacement des gilets et des radeaux de sauvetage et la nécessité de suivre les instructions de l'équipage en cas d'urgence. Finalement, il leur a demandé de porter attention à la démonstration d'un des matelots de pont sur la manière adéquate de mettre un gilet de sauvetage.

Le Leviathan II a quitté le port de Tofino à environ 13 h 30 et a navigué au-delà du rocher Father Charles et des récifs La Croix en direction de la baie Ahous (annexe B). Pendant le trajet, le capitaine a utilisé le système de diffusion de bord pour donner de l'information aux passagers sur Tofino et les environs. Le capitaine a aussi prévenu les passagers que les eaux pourraient devenir plus agitées une fois à l'extérieur du port et leur a demandé de rester assis, préférablement en tout temps. Il leur a recommandé, s'ils devaient se déplacer, de bien se tenir et de faire preuve de prudence en empruntant les escaliers.

Vers 14 h 5, le navire a atteint la baie Ahous, et le capitaine en a informé le personnel de la réception. Le navire est demeuré à cet endroit environ 30 minutes pour permettre aux passagers d'observer des baleines. Lorsque le navire a quitté la baie, le capitaine a communiqué à nouveau avec le personnel de la réception pour lui indiquer que le navire se dirigeait vers les récifs Plover. Tout en manœuvrant le navire, le capitaine a continué de narrer l'excursion à l'aide du système de diffusion de bord.

Alors que le Leviathan II naviguait vers les récifs Plover pour permettre aux passagers d'observer des otaries, il y avait une houle du sud-est d'environ 2 m. À l'approche des récifs Plover, le capitaine a visuellement évalué les conditions de la mer et a vérifié s'il y avait des vagues déferlantes, particulièrement à un point précis au sud des récifs que les capitaines de l'entreprise utilisaient souvent pour évaluer les conditions. Il n'y avait pas de signes de vagues déferlantes, d'eau aérée ou d'écume dans les environs, sinon à l'abord des récifs.

Le Leviathan II a d'abord navigué le long du côté sud des récifs Plover, puis a fait demi-tour pour retourner vers le côté sud-est des récifs pour permettre aux passagers des 2 côtés du navire d'observer les otaries qui s'y trouvaient (annexe B). Peu avant 15 h, le capitaine maintenait le navire sur un cap nord à environ 100 m des récifs dans des eaux d'environ 7 m de profondeur pendant que les passagers observaient les otaries du côté bâbord. Alors que le navire partait Note de bas de page 7 vers le côté nord des récifs, le capitaine et un des matelots de pont ont entendu un bruit et ont regardé vers l'arrière; à ce moment, ils ont aperçu une grosse vague déferlante fonçant sur la hanche tribord du navire. Selon les observations, la crête de cette vague dépassait la passerelle haute. Le capitaine a empoigné les manettes des gaz pour tenter de faire virer le navire à bâbord de sorte que la vague heurte la poupe du navire. Toutefois, à ce moment, la vague s'est abattue sur la hanche tribord du navire, ce qui l'a fait tomber en travers Note de bas de page 8 et rapidement chavirer. Le navire s'est renversé aux coordonnées approximatives de 49°10,854′ N, 126°04,938′ W (annexe B).

Lorsque le navire a chaviré, 1 matelot de pont et la plupart des passagers sont tombés à l'eau. Le capitaine et l'autre matelot de pont se sont initialement retrouvés piégés dans la passerelle haute. Lorsque la vague a frappé le navire, certains passagers prenaient des photos sur le pont supérieur; ils ont glissé sur le pont quand le navire a chaviré et ont heurté des rambardes, des sièges et d'autres objets avant de tomber à l'eau. Comme ils ne s'attendaient pas à tomber à l'eau, certains passagers ont ingéré de l'eau de mer lorsqu'ils ont été engloutis. Les passagers sont demeurés sous l'eau pendant des périodes variant de quelques secondes à 1 minute. De nombreux passagers ont eu de la difficulté à expulser l'eau de mer qu'ils avaient ingérée en tombant à l'eau; certains ont perdu leurs lunettes (y compris le capitaine Note de bas de page 9 et 1 des matelots de pont), d'autres étaient alourdis par leurs vêtements et leurs chaussures.

En raison des conditions de la mer exacerbées par les vagues à proximité, les passagers ont eu de la difficulté à maintenir la tête et la bouche hors de l'eau. Certains passagers ont trouvé des objets qui les ont aidés à rester à la surface, dont 1 combinaison de protection contre les éléments, 1 réservoir, 1 pagaie et des housses de siège. Alors qu'ils étaient dans l'eau, un certain nombre de survivants sont entrés en contact avec des produits pétroliers qui s'étaient échappés du navire renversé Note de bas de page 10.

Le capitaine et 1 matelot de pont ont réussi à déployer 1 des radeaux de sauvetage qui s'était détaché du navire. Ils sont montés à bord de ce radeau et ont aidé 3 passagers qui étaient dans l'eau à proximité à faire de même. L'autre matelot de pont a aidé un groupe de passagers dans l'eau, puis est monté dans le radeau de sauvetage. Craignant que le navire allait couler et entraîner le radeau de sauvetage avec lui, l'équipage a coupé la bosse reliant le radeau au navire, puis a tenté de manœuvrer le radeau vers les passagers.

Deux passagers se trouvaient dans la cabine inférieure lorsque le navire a chaviré, et 2 autres passagers s'y sont retrouvés peu de temps après le chavirement. Une passagère qui était dans la cabine inférieure s'était rendue dans la cabine à partir du pont principal. Son mari et elle ont quitté le navire en passant par les escaliers, puis ont fait surface près du radeau de sauvetage. Les membres de l'équipage les ont aidés à monter à bord du radeau de sauvetage.

Un des autres passagers dans la cabine inférieure a tenté de briser les fenêtres pour s'échapper, car la cabine se remplissait d'eau. N'y parvenant pas, les 3 passagers se trouvant toujours dans la cabine inférieure se sont finalement rendus dans la timonerie, ont ouvert l'une des portes et ont ainsi abandonné le navire Note de bas de page 11. Une fois hors du navire, 2 de ces passagers ont utilisé un gilet de sauvetage pour enfant pour rester à la surface, et le 3e s'est accroché au navire.

Deux autres passagers ont nagé jusqu'au radeau de sauvetage, et 8 passagers ont utilisé une bouée de sauvetage pour rester à la surface de l'eau. L'équipage a eu de la difficulté à manœuvrer le radeau de sauvetage à l'aide des pagaies dans les conditions régnantes. Il a continué d'encourager les passagers dans l'eau à nager vers le radeau de sauvetage. Il a aussi essayé de réconforter les passagers dans le radeau de sauvetage et leur a distribué de l'équipement de protection thermique Note de bas de page 12. L'équipage a réussi à activer un des feux à main contenus dans la trousse de survie du radeau de sauvetage.

Environ 20 minutes après le chavirement, les matelots de pont ont repéré une fusée éclairante flottant dans l'eau à proximité du radeau de sauvetage. Ils l'ont récupérée et l'ont activée, ce qui a attiré l'attention d'un bateau de pêche de la Première Nation Ahousaht qui remontait des lignes dans les environs de l'île Bartlett. Après avoir remonté leurs lignes, les pêcheurs se sont dirigés vers la fusée pour en connaître la cause.

En approchant du lieu de l'événement à l'étude, les pêcheurs ont aperçu la coque renversée du Leviathan II et des personnes dans l'eau. Ils ont immédiatement demandé l'aide d'autres navires dans les environs sur le canal radio VHF 68 utilisé par la Première Nation Ahousaht. La Garde côtière canadienne (GCC) écoutait ce canal à son poste de sauvetage de Tofino; lorsqu'elle a entendu l'appel, elle a dépêché le Tofino 1, une embarcation rapide de sauvetage.

Quelques minutes plus tard, à 15 h 46, les pêcheurs ont avisé la GCC de la situation sur le canal radio VHF 16, qui est utilisé pour les communications de détresse. Les Services de communication et de trafic maritimes (SCTM) de Prince Rupert, qui ont répondu à l'appel, ont initialement eu de la difficulté à déterminer le lieu de l'événement en cause, car les communications radio n'étaient pas claires Note de bas de page 13 et le personnel des SCTM ne connaissait pas le nom local Note de bas de page 14 utilisé par les pêcheurs pour désigner le lieu. L'officier responsable du Tofino 1, qui connaissait bien la région, a entendu la confusion entre les SCTM et les pêcheurs à la radio, et a brièvement immobilisé son embarcation pour préciser le lieu de l'événement aux SCTM. À 15 h 53, les SCTM de Prince Rupert ont diffusé un signal de détresse.

Le Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage de Victoria a dépêché 2 aéronefs de recherche et sauvetage et 4 navires de la GCC pour participer au sauvetage. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) et plusieurs petites embarcations ont aussi répondu au signal de détresse. Vingt et un survivants ont été récupérés et transportés à Tofino, où ils ont reçu l'attention des services d'urgence santé. Certains passagers ont souffert d'hypothermie de légère à grave. Le jour de l'événement, 5 corps ont été récupérés; vers 23 h 35, l'embarcation de sauvetage Cape Ann de la GCC a remorqué le navire partiellement submergé jusqu'aux eaux abritées au nord de l'île Vargas et l'a ancré à cet endroit. On a retrouvé le corps du dernier passager le 18 novembre 2015.

1.6 Certification et inspections du navire

Les certifications, l'équipage et l'équipement du Leviathan II étaient conformes à la réglementation en vigueur. Le navire détenait 3 documents sur l'effectif de sécurité émis par Transports Canada (TC) lui permettant d'être exploité avec différents effectifs en fonction du nombre de passagers à bord.

Le navire détenait aussi une certification d'inspection de TC valide; la dernière inspection avait été effectuée en février 2015. Le certificat comportait les conditions suivantes : le navire devait demeurer à 5 milles marins ou moins du littoral, naviguer dans des conditions météorologiques favorables, éviter les conditions où il embarquerait des paquets de mer et répartir les passagers conformément au document sur la stabilité.

1.7 Brevets, certificats et expérience du personnel

Le capitaine détenait un brevet de capitaine, avec restrictions, bâtiment d'une jauge brute de 60, délivré la première fois en 1999. Ce brevet était valide jusqu'en avril 2019. Il se limitait aux navires exploités par Jamie's Whaling Station et demeurant à 25 milles marins ou moins des côtes de la Colombie-Britannique. Le capitaine détenait aussi un brevet d'opérateur de machines de petits bâtiments restreint aux navires à passagers mus par un moteur de moins de 750 kW pour des voyages à proximité du littoral dans des eaux de classe 2 ou abritées. De plus, le capitaine était titulaire d'un certificat de secourisme avancé en mer et de certificats de fonctions d'urgence en mer (FUM) A1 et A2. Le capitaine avait commencé sa carrière dans l'industrie maritime en 1974 à bord de navires de pêche et travaillait comme capitaine de navires d'observation des baleines depuis 1997. L'entreprise Jamie's Whaling Station l'avait embauché en 1998; depuis, il effectuait chaque année, de mars à octobre, des excursions régulières comprenant l'observation de la faune aux récifs Plover.

Un des matelots de pont travaillait au sein du secteur maritime depuis 2003. Il occupait son poste de matelot de pont à bord des navires d'observation des baleines de Jamie's Whaling Station depuis 2012. Il avait obtenu un certificat de formation de conducteur de petits bâtiments en 2014 et détenait aussi un certificat restreint d'opérateur radio – service maritime, ainsi qu'un certificat de secourisme élémentaire en mer et un certificat FUM A3.

L'autre matelot de pont travaillait à bord des navires d'observation des baleines de Jamie's Whaling Station depuis 2014 et détenait un certificat de secourisme élémentaire en mer et des certificats FUM A1 et A3.

1.8 Avaries au navire

On a renfloué le navire le 29 octobre 2015. L'eau de mer avait contaminé la machinerie, le carburant, la tuyauterie, l'équipement de navigation, les systèmes électriques et les aménagements intérieurs. Le processus de renflouage a également causé des dommages structurels au navire, et les assureurs l'ont déclaré perte totale.

1.9 Examen effectué après l'événement

Un examen subséquent du navire récupéré a permis d'effectuer les constatations suivantes :

Les plongeurs ont débranché le traceur de cartes pendant le renflouage du navire, et l'appareil a été envoyé au Laboratoire d'ingénierie du Bureau de la sécurité des transports (BST) du Canada à Ottawa (Ontario), où l'on a récupéré les données de position et de route enregistrées dans la mémoire de l'appareil.

1.10 Dommages à l'environnement

Le chavirement a causé le déversement dans l'eau d'environ 2000 litres de carburant diesel et d'une petite quantité d'huile à moteur. Les vagues et le vent ont dissipé la majeure partie du carburant.

1.11 Décès et blessures

Tableau 2. Décès et blessures
  Équipage Passagers Total
Décès 0 6 6
Blessures graves* 0 4 4
Blessures mineures/aucune blessure 3 14 17
Total 3 24 27

* Selon l'article 1 du Règlement sur le Bureau de la sécurité des transports, une blessure grave peut être, entre autres : une « lésion d'un organe interne »; une « fracture d'un os, exception faite des fractures simples des doigts, des orteils et du nez »; des « déchirures qui sont la cause de graves hémorragies ou de la lésion d'un nerf, d'un muscle ou d'un tendon »; ou une « blessure susceptible d'exiger une hospitalisation ».

Des passagers qui sont décédés, 5 se trouvaient sur le pont supérieur et 1 se trouvait sur le pont principal au moment de l'événement (annexe C). On a signalé avoir aperçu 5 passagers inanimés dans les minutes suivant le chavirement, et le 6e passager, de 20 à 30 minutes après le chavirement.

1.12 Conditions environnementales

Au moment et au lieu de l'événement à l'étude, on estime que les vents soufflaient du sud-est à 10 nœuds, et que la houle, provenant de la même direction, était de 2 m. Le temps était couvert, la température de l'eau de mer était de 14 °C et la marée était descendante. La marée haute précédente était survenue à 11 h 31 avec un niveau d'eau de 3,86 m Note de bas de page 15. La marée basse suivante a eu lieu à 17 h 55, avec un niveau d'eau observé de 0,84 m.

Des données archivées de hauteur significative et maximale des vagues enregistrées à la bouée météorologique du banc La Pérouse sont disponibles auprès de Pêches et Océans Canada Note de bas de page 16 et sont présentées à la figure 2. Les prévisions de la hauteur des vagues d'Environnement Canada Note de bas de page 17 comprenaient l'avertissement suivant :

Les valeurs prévues sont une combinaison des vagues dues au vent et de la hauteur de la houle. Les plus hautes vagues peuvent mesurer plus de deux fois les valeurs prévues. La hauteur des vagues peut varier considérablement en raison des effets du littoral et de la profondeur de l'eau.
Figure 2. Hauteur significative et maximale des vagues au banc La Pérouse le 25 octobre 2015
Figure 2. Hauteur significative et maximale des vagues au banc La Pérouse le 25 octobre 2015

1.13 Vagues déferlantes

Une vague déferlante est une vague qui s'élève, se recourbe vers l'avant et se brise. Les vagues déferlantes peuvent être causées par un déprofondissement des vagues, phénomène se produisant lorsque des « vagues en eau profonde s'approchent d'une zone peu profonde ou [d'un] "haut-fond" ». Dans une telle situation, les vagues ralentissent lorsqu'elles atteignent des eaux dont la profondeur est inférieure à la moitié de leur longueur d'onde (représentée par la lettre L à la figure 3). Le ralentissement des vagues « entraîne le rapprochement de leurs crêtes et l'augmentation de leur hauteur et de leur inclinaison ». Ensuite, « [l]orsqu'elles atteignent une taille similaire à la profondeur de l'eau, elles se recourbent vers l'avant et [...] déferlent » (figure 3).

Figure 3. Changements physiques des vagues s'approchant d'une zone peu profonde (Source : Environnement et Changement climatique Canada, Guide de météo marine national, chapitre 3)
Figure 3. Changements physiques des vagues s'approchant d'une zone peu profonde (Source : Environnement et Changement climatique Canada,  <em>Guide de météo marine national</em>, chapitre 3)

Les marées et les courants contraires aux vagues constituent d'autres facteurs pouvant causer une diminution de la longueur d'onde et une augmentation de la hauteur des vagues (figure 4). Dans de telles conditions, l'escarpement des vagues augmente rapidement, ce qui fait croître la probabilité qu'elles déferlent.

Figure 4. Effet de marées contraires sur les vagues (Source : Environnement et Changement climatique Canada, Guide de météo marine national, chapitre 3)
Figure 4. Effet de marées contraires sur les vagues (Source : Environnement et Changement climatique Canada,  <em>Guide de météo marine national</em>, chapitre 3)

1.14 Équipement de sauvetage

TC exigeait que le Leviathan II transporte de l'équipement de sauvetage pour 50 personnes. Au moment de l'événement à l'étude, le navire transportait tout l'équipement requis, dont :

En plus, le navire transportait 2 combinaisons de protection contre les éléments et 3 gilets de sauvetage gonflables pour l'équipage.

L'équipement de sauvetage à bord du Leviathan II était réparti dans le navire conformément au plan sur l'équipement de sauvetage (annexe D). Les gilets de sauvetage étaient rangés dans des caissons sous les sièges des passagers du pont principal. Les 2 radeaux de sauvetage avaient fait l'objet d'un entretien annuel le 6 février 2015, conformément au calendrier réglementaire. Le radeau de sauvetage avant reposait sur des profonds chantiers, et le radeau de sauvetage arrière était fixé à un berceau sur le pont principal à l'aide de sangles. Le radeau de sauvetage arrière était doté d'un largueur hydrostatique conçu pour se déclencher lorsque assujetti à une pression correspondant à une submersion à une profondeur d'eau d'environ 4 m Note de bas de page 20.

Le radeau de sauvetage avant comportait une trousse de survie de classe B (canadienne), et le radeau de sauvetage arrière comportait une trousse de survie de classe B (Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer [SOLAS]) Note de bas de page 21. De telles trousses contiennent notamment de l'équipement de signalisation de détresse. La trousse canadienne contenait 6 feux à main de type C. La trousse SOLAS contenait 2 fusées éclairantes de type A, 3 feux à main de type C, 1 fumigène flottant de type D Note de bas de page 22 et 1 réflecteur radar.

La Norme canadienne sur les engins de sauvetage (TP14475) publiée par TC en 2010 n'exige plus que les radeaux de sauvetage de navires tels que le Leviathan II soient dotés d'une trousse de survie canadienne, mais bien d'une trousse de survie SOLAS. Toutefois, TC continue d'accepter les radeaux de sauvetage approuvés avant la publication de cette norme, jusqu'à leur mise hors service.

Un rôle d'appel affiché dans la cuisine du navire précisait les tâches de l'équipage en cas d'urgence, et une trousse de premiers soins se trouvait dans un caisson de la timonerie.

1.15 Port de dispositifs de flottaison

À l'heure actuelle, aucun règlement canadien n'exige que les personnes se trouvant à bord d'un navire d'une jauge brute supérieure à 15 tonneaux et transportant plus de 12 passagers portent des dispositifs de flottaison ou des gilets de sauvetage. Le Leviathan II faisait partie de cette catégorie de navires. TC indique qu'il est prudent, mais facultatif Note de bas de page 23 de porter des dispositifs de flottaison lorsqu'on se trouve sur le pont ouvert d'un petit navire à passagers Note de bas de page 24. TC prévient aussi que le port de gilets de sauvetage dans des espaces clos pourrait gêner l'évacuation en cas d'urgence Note de bas de page 25.

Par comparaison, les navires à passagers d'une jauge brute de moins de 15 qui transportent au maximum 12 passagers, qui n'ont pas de radeau de sauvetage et qui sont exploités dans des eaux dont la température est inférieure à 15 °C (p. ex., une embarcation pneumatique à coque rigide utilisée pour des excursions d'observation des baleines) doivent, en vertu du Règlement sur les petits bâtiments, transporter l'équipement nécessaire ou établir des procédures pour protéger toutes les personnes contre les effets de l'hypothermie ou des chocs hypothermiques causés par l'envahissement par les eaux, le chavirement ou la chute d'une personne à l'eau. Dans le cas des embarcations pneumatiques à coque rigide utilisées pour des excursions d'observation des baleines, les entreprises exigent couramment que leurs passagers portent une combinaison de protection contre les éléments, et c'est ce que faisait Jamie's Whaling Station.

En 2010, TC et la Société canadienne de la Croix-Rouge ont publié un rapport intitulé Les décès par immersion et par traumatisme liés à la navigation au Canada : 16 ans de recherche Note de bas de page 26. Même s'il portait principalement sur les incidents mettant en cause des embarcations de plaisance, ce rapport comprenait des données de recherche sur tous les décès liés à la navigation au Canada. Dans ce rapport, on concluait qu'il serait possible de « prévenir la grande majorité des décès liés à la navigation », et on indiquait que l'initiative la plus efficace pour prévenir ces décès « serait le port obligatoire d'un dispositif de flottaison approprié ». Un décès peut survenir rapidement si une personne ne porte pas de dispositif de flottaison lui permettant de garder la tête hors de l'eau Note de bas de page 27.

1.15.1 Règlements des États-Unis sur le port de vêtements de flottaison individuels à bord de petits navires à passagers

Aux États-Unis, les modifications apportées en 1996 Note de bas de page 28 à la réglementation fédérale s'appliquant aux petits navires à passagers Note de bas de page 29 indiquent que le capitaine doit demander aux passagers de porter des vêtements de flottaison individuels en présence de risques potentiels, y compris :

Ces modifications étaient fondées sur les recommandations émises par le National Transportation Safety Board à la suite de 3 événements Note de bas de page 30 où des bateaux de pêche affrétés étaient tombés en travers et/ou avaient chaviré.

Le 17 juin 2003, à la suite du chavirement du Taki-Too (bateau de pêche affrété de 32 pieds) alors qu'il traversait un banc, en conséquence duquel 9 personnes se sont noyées et 2 ont été portées disparues, la United States Coast Guard (USCG) a émis une alerte de sécurité sur le port de dispositifs de flottaison. Dans cette alerte, la USCG rappelait la réglementation exigeant que le capitaine d'un navire demande aux passagers de porter des dispositifs de flottaison en présence de conditions dangereuses. Elle indiquait que dans de telles circonstances, le port de dispositifs de flottaison [traduction] « est comparable au port d'une ceinture de sécurité pendant le décollage et l'atterrissage d'un aéronef et les périodes de turbulence » et que « le meilleur moment pour mettre un gilet de sauvetage est avant qu'il devienne nécessaire – avant qu'une personne se retrouve dans l'eau ».

1.16 Immersion dans l'eau froide

Lorsqu'une personne tombe dans l'eau de façon soudaine et inattendue, son corps réagit en 4 stades. Le stade 1, le choc dû à l'eau froide, peut durer jusqu'à 2 minutes. Le choc dû à l'eau froide se caractérise par un réflexe immédiat et important de recherche du souffle, suivi d'hyperventilation et d'une forte augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle. Le stade 2, la perte de motricité due au froid, commence de 5 à 30 minutes après l'immersion. À cette étape, la personne commence à perdre la capacité de nager, car les muscles des membres sont assujettis à un refroidissement local et se rigidifient, de même que les articulations. Les muscles fins de la main peuvent être les premiers touchés (en aussi peu que 10 à 15 minutes), ce qui réduit la capacité de la personne à mettre ou à tenir un dispositif de flottaison Note de bas de page 31. Même les bons nageurs peuvent succomber à la perte de motricité due au froid.

L'hypothermie, le stade 3, commence après environ 30 minutes dans l'eau; elle se caractérise par une réduction du débit sanguin dans les mains et les pieds et à la surface du corps, un tremblement intense qui disparaît progressivement, une perte de conscience et, finalement, une insuffisance cardiaque. Un stade 4, l'effondrement post-sauvetage, peut aussi se produire. Lorsque les survivants sont retirés de l'eau, la perte de pression hydrostatique que le corps subit peut entraîner une baisse soudaine de la tension artérielle, ce qui peut se traduire par une insuffisance cardiaque ou cérébrale. De plus, le sang se remet à circuler librement à mesure que le corps se réchauffe, ce qui peut entraîner des saignements fatals causés par des blessures internes ou externes Note de bas de page 32.

On considère généralement que l'eau est froide lorsque sa température est inférieure à 15 °C Note de bas de page 33 Note de bas de page 34 Note de bas de page 35; toutefois, certains considèrent que l'eau est froide à partir de 21 °C Note de bas de page 36 ou même 25 °C Note de bas de page 37. Au moment de l'événement à l'étude, la température de l'eau était d'environ 14 °C. Selon WorkSafeBC, [traduction] « l'état de choc dû au froid (stade 1) et l'incapacité de nager [perte de motricité due au froid] (stade 2) causent plus de noyades en Colombie-Britannique que l'hypothermie (stade 3) ou l'effondrement post-sauvetage (stade 4) » Note de bas de page 38.

1.17 Signalisation automatique de détresse

Une RLS sert à transmettre un signal de détresse aux autorités de recherche et sauvetage en cas d'urgence. Une RLS peut être actionnée manuellement ou, quand un navire sombre, elle peut flotter librement et transmettre automatiquement un signal, puis indiquer périodiquement sa position et offrir des capacités de localisation directionnelle. Le Leviathan II n'avait pas de RLS, et la réglementation en vigueur pour les navires de cette catégorie ne l'exigeait pas.

Le 22 mars 1998, le navire d'observation des baleines Ocean Thunder appartenant à la même entreprise que le Leviathan II a été envahi par les eaux, ce qui a causé 2 décès. L'enquête du BST sur cet événement a permis de constater que l'absence d'exigences sur les RLS pourrait avoir retardé l'intervention de recherche et sauvetage et ainsi avoir nui à son succès Note de bas de page 39. Le coroner a aussi recommandé à TC d'exiger que tous les exploitants se munissent de RLS. L'entreprise a par la suite installé des RLS à bord de tous ses navires. Toutefois, on a signalé que les RLS ont souvent transmis de fausses alertes, et elles ont été retirées des navires lorsqu'est venu le moment de remplacer leurs piles.

Dans le cadre d'enquêtes précédentes, le BST a constaté qu'une RLS pouvait contribuer à sauver des vies Note de bas de page 40, et le Rapport du vérificateur général du Canada du printemps 2016 contenait la recommandation suivante :

Transports Canada devrait s'interroger sur le bien-fondé d'appliquer les exigences relatives aux balises de détresse numériques à des catégories supplémentaires de bateaux et d'avions Note de bas de page 41.

TC a répondu en proposant d'élargir les exigences sur les RLS. À la réunion nationale du Conseil consultatif maritime canadien d'avril 2016, TC a informé le secteur de l'évolution du Règlement sur la sécurité de la navigation proposé qui devrait être achevé en 2018. En vertu du règlement révisé, lequel consoliderait notamment le Règlement de 1999 sur les stations de navires (radio), les navires de plus de 8 m de longueur transportant plus de 6 passagers (ou les remorqueurs) devraient être dotés d'une RLS lorsqu'ils sont exploités hors des eaux abritées.

1.18 Surveillance de la position des navires

1.18.1 Système d'appels de l'entreprise

L'entreprise avait mis en place un système d'appels pour surveiller ses navires exploités en mer. Le personnel de la réception devait communiquer avec les navires par radiotéléphone VHF toutes les 20 à 30 minutes et noter leur position précise dans le registre radio. Une remarque dans le registre radio spécifiait la procédure de transmission d'une demande de position à l'aide du système ASN qui devait être suivie après 3 tentatives infructueuses de communiquer par radio avec un navire. Le suivi des navires était une des différentes tâches du personnel de la réception, lequel devait aussi servir les clients, répondre au téléphone et effectuer l'enregistrement des passagers avant chaque excursion.

L'entreprise utilisait un canal VHF privé pour les communications entre la réception et ses navires. Les navires écoutaient aussi le canal 18 (utilisé par tous les navires d'observation des baleines dans la région de Tofino) et le canal 16 (le canal destiné aux appels de détresse). Ils balayaient aussi d'autres canaux pour recueillir des renseignements locaux utiles dans les excursions.

L'équipage des navires et le personnel de la réception ne respectaient pas toujours la fréquence des appels de 20 à 30 minutes. Le capitaine était parfois occupé par d'autres tâches (p. ex., manœuvrer le navire, narrer l'excursion, communiquer avec d'autres navires ou écouter d'autres canaux radio). Le personnel de la réception sautait parfois un appel prévu parce qu'il s'affairait à servir les passagers au téléphone ou en personne.

Le jour de l'événement à l'étude, la dernière communication entre le Leviathan II et la réception a eu lieu vers 14 h 45, lorsque le navire a quitté la baie Ahous en direction des récifs Plover. Comme il n'avait pas reçu de réponse du navire à 15 h 30, le personnel de la réception a transmis une demande de position à l'aide du système ASN et a essayé d'appeler les membres de l'équipage sur leurs téléphones cellulaires. Ne réussissant pas à joindre le navire, le personnel de la réception a avisé le coordonnateur de l'exploitation et de la sécurité vers 15 h 53. À ce moment, ils ont entendu les SCTM relayer un signal de détresse du Leviathan II sur le canal VHF 16.

1.18.2 Services de trafic maritime

Une des fonctions des SCTM est de fournir des services de trafic maritime (STM) aux navires exploités dans les eaux canadiennes. Les STM permettent les échanges d'information entre les navires et un centre terrestre. La participation à ces services est obligatoire pour la plupart des navires de plus de 20 m, mais facultative pour les navires de moins de 20 m. Les navires participants doivent communiquer avec les SCTM à leur départ, lorsqu'ils passent un point d'appel désigné et à leur arrivée. Les rapports comprennent divers renseignements sur le navire, l'itinéraire du navire et l'heure d'arrivée prévue du navire au prochain point d'appel.

Le SCTM a mis sur pied un système d'information sur la navigation maritime pour assurer le suivi des navires à l'aide de radars (lorsqu'un navire se trouve dans une zone de couverture radar) et d'un système d'identification automatique (SIA) Note de bas de page 42, le cas échéant.

En cas de perte du signal d'un navire qui était suivi, un officier des SCTM tente d'établir la communication avec le navire par tous les moyens à sa disposition. Dans l'éventualité de la perte du signal du navire depuis plus de 15 minutes et de l'échec des tentatives de communication avec le navire, la situation est signalée au Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage.

Le Leviathan II ne participait pas aux STM et n'était pas doté d'un SIA, et la réglementation ne l'exigeait pas.

1.19 Modifications

Après sa mise en service en 1996, le Leviathan II a subi différentes modifications et ajouts structurels et mécaniques, dont ce qui suit :

Une déclaration d'historique des modifications que les propriétaires du navire ont envoyée à TC en mars 2011 n'indiquait aucune modification.

1.20 Stabilité du navire

1.20.1 Renseignements sur la stabilité du Leviathan II

Après sa refonte en 1996, le Leviathan II a fait l'objet d'un essai de stabilité pour déterminer le poids du navire lège Note de bas de page 43 et le centre de gravité. On a ensuite rédigé un livret de stabilité, conformément aux exigences de TC Note de bas de page 44.

Une des sections de l'introduction du livret s'intitulait « Bons usages maritimes » et comprenait des conseils pour le capitaine relativement aux mesures qu'il pouvait prendre pour réagir à des conditions pouvant modifier la stabilité du navire (p. ex., ranger l'équipement adéquatement pour éviter qu'il ne se déplace en mer, ou réduire l'accumulation de neige et de glace sur les ponts exposés). Les limites opérationnelles du navire et des conseils liés aux conditions environnementales étaient abordés dans l'avertissement suivant tiré directement des normes de TC :

L'observation des critères de stabilité ne met pas à l'abri des chavirements, quelles que [soient] les circonstances, et n'exonère pas le capitaine de ses responsabilités. Le capitaine devrait donc faire preuve de prudence et de sens marin en tenant compte de la saison, des prévisions météorologiques et de la zone de navigation; il devrait, de plus, prendre les mesures dictées par les circonstances en ce qui concerne la vitesse et la route Note de bas de page 45.

En plus d'un rapport d'essai de stabilité, le livret contenait des calculs de stabilité détaillés pour différentes combinaisons de passagers et de consommables, ainsi que des comparaisons de ces résultats aux normes de TC.

TC a approuvé le livret de stabilité du Leviathan II le 12 décembre 1996, et une copie de ce livret se trouvait à bord du navire.

1.20.2 Évaluation de la stabilité par le Bureau de la sécurité des transports

Pour évaluer la stabilité du Leviathan II au moment de l'événement à l'étude et les facteurs pouvant l'avoir modifiée, le BST a élaboré un modèle informatique détaillé du navire et a effectué différents calculs de stabilité. Les conclusions de l'évaluation de stabilité du BST Note de bas de page 46 sont les suivantes :

1.21 Gestion de la sécurité

1.21.1 Systèmes de gestion de la sécurité et évaluation des risques

Le principal objectif d'un système de gestion de la sécurité (SGS) à bord d'un navire consiste à assurer la sécurité en mer, à prévenir les blessures ou les pertes de vie, et à éviter les dommages aux biens et à l'environnement. Idéalement, la gestion de la sécurité est assurée avec la participation de personnes à tous les niveaux de l'organisation et elle encourage le recours à une approche systématique du repérage et de l'atténuation des risques opérationnels.

Un SGS efficace comprend les éléments suivants :

Parmi ces éléments, le repérage et l'atténuation des risques sont cruciaux. Selon l'International Association of Classification Societies (IACS) [traduction] :

L'établissement et la mise en œuvre d'un système de gestion de la sécurité documenté constituent un exercice en gestion du risque, même si l'on ne le considère pas habituellement comme tel. La rédaction ou la révision de procédures écrites comprend un examen des activités et des opérations de l'entreprise qui vise à déterminer où sont les dangers et à décider des mesures à prendre pour tenter de s'en prémunir. Les procédures documentées sont le moyen pris pour exercer des contrôles Note de bas de page 47.

Un autre document de l'IACS Note de bas de page 48 décrit les caractéristiques de méthodes efficaces d'évaluation des risques :

Au Canada, les navires à passagers transportant plus de 12 passagers dans le cadre d'un voyage international assujetti à la Convention SOLAS doivent mettre au point un SGS officiel Note de bas de page 49. Ce SGS doit être certifié et vérifié par un organisme reconnu. Le Leviathan II n'était pas exploité avec un SGS et la réglementation ne l'exigeait pas.

1.21.2 Évaluation des risques du Bureau de la sécurité des transports

Une évaluation des risques est l'estimation et l'évaluation du niveau des risques liés à un danger. Le BST emploie une méthodologie d'évaluation des risques consistant à déterminer les risques :

Le BST a évalué les risques liés au chavirement d'un navire à passagers dans de hautes vagues déferlantes en eaux côtières comme dans les parages des récifs Plover en tenant compte de la probabilité et de la gravité de cet événement au fil du temps, et plus précisément pendant la durée de vie d'un navire particulier ou d'une flotte de navires semblables. On a jugé qu'un chavirement est susceptible se produire seulement « à l'occasion » (le présent chavirement est le 3e à se produire dans cette région au cours des 25 dernières années), mais que les conséquences d'un tel chavirement étaient « catastrophiques ». Cela étant, selon la grille de risques (annexe E), on a établi que les risques étaient « élevés » (annexe E).

1.21.3 Gestion de la sécurité de l'entreprise

L'entreprise tenait des réunions de santé et sécurité auxquelles participaient les responsables des différents services. Ces réunions portaient sur les questions liées à l'exploitation et à l'entretien des navires, ainsi que sur les immeubles de bureaux et les autres propriétés gérées par l'entreprise. De plus, l'entreprise organisait des réunions pour les capitaines et les matelots de pont de 1 ou 2 fois par saison, et les membres des équipages étaient tenus d'y participer. On y discutait notamment de questions liées aux navires, dont l'entretien, la santé et sécurité, les registres, le signalement de blessures et les excursions.

L'entreprise tenait des exercices de sécurité toutes les deux semaines à bord du Leviathan II, pendant lesquels les membres de l'équipage s'entraînaient à intervenir dans différents scénarios d'urgence, tels qu'un incendie, l'abandon du navire ou la chute d'une personne par-dessus bord. L'équipage s'exerçait parfois à mettre l'esquif à l'eau pendant ces exercices. L'entreprise tenait des rapports de ces exercices. Elle demandait aux capitaines de tenir un registre des incidents et des problèmes d'entretien et de les signaler rapidement.

Elle possédait aussi un manuel intitulé Front Office Policies (politiques de la réception) dans lequel le personnel à terre pouvait trouver les procédures à suivre et les attentes relativement à l'administration, aux ventes et à d'autres tâches générales. En ce qui concerne l'exploitation des navires, on décrivait à la section « Communications radio » le système d'appels de l'entreprise, et la section « Sécurité » présentait des instructions à l'équipage des navires, précisant par exemple qu'il devait donner des exposés de sécurité aux passagers, s'assurer que le nombre de passagers à bord correspondait à celui des dossiers de la réception, et être à l'affût de comportements ou de conditions non sécuritaires, et intervenir immédiatement en conséquence. En ce qui concerne les décisions opérationnelles, la section [traduction] « Sécurité » du manuel des politiques de la réception comprenait les instructions suivantes : [traduction]

Faire preuve de bon sens pour déterminer si une excursion peut avoir lieu ou non.

[…]

Il revient aux capitaines de décider s'ils font une excursion en eaux libres ou une excursion d'exploration d'un bras de mer.

Le manuel indique également que l'entreprise avait un comité d'évaluation des risques tenant des réunions mensuelles et publiait un compte rendu de chaque réunion. Toutefois, aucune évaluation officielle des risques n'a été transmise au BST.

L'entreprise Jamie's Whaling Station Ltd. est par ailleurs membre fondateur de l'organisme Pacific Rim Association of Tour Operators (PRATO). Les membres de cet organisme organisent une rencontre informelle 1 ou 2 fois par année pour discuter de leurs activités, en mettant l'accent sur la sécurité de la faune observée.

1.22 Examens médicaux des navigants

Les navigants doivent se soumettre à des examens médicaux maritimes périodiques pour s'assurer qu'ils sont aptes à accomplir leurs tâches à bord de navires canadiens. Ces examens sont effectués par des médecins examinateurs de la marine (MEM), c'est-à-dire des médecins désignés par TC. Les MEM doivent évaluer la santé des navigants en fonction de normes définies par TC dans le document Examen médical des navigants – Guide du médecin Note de bas de page 50, et obtenir la documentation nécessaire pour accomplir une évaluation adéquate en tenant compte de l'état de santé du navigant et de la sécurité du public.

Selon l'examen, le MEM juge qu'un navigant est apte, apte avec des restrictions ou inapte. Si le MEM juge qu'un navigant est apte ou apte avec des restrictions, il délivre un certificat médical provisoire valide pendant 6 mois. Pendant cette période, la Direction de la certification médicale maritime de TC effectue une évaluation indépendante du dossier; si le navigant satisfait aux normes, le ministre des Transports délivre un certificat médical maritime officiel Note de bas de page 51. Ce certificat est valide pendant un maximum de 2 ans.

Pendant un examen, un MEM peut poser des questions au navigant, et le soumettre à des essais normalisés et à un examen physique. Les MEM se fient aussi à la déclaration du navigant relativement aux médicaments qu'il prend et aux affections dont il est atteint. C'est pourquoi la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada Note de bas de page 52 exige des navigants qu'ils déclarent de manière complète et précise les affections médicales dont ils sont atteints. La déclaration permet au MEM de juger de la nécessité d'un examen plus poussé, effectué par un spécialiste, pour déterminer si un navigant satisfait à certaines normes médicales. Depuis 2009, le BST a repéré des problèmes liés à la déclaration volontaire d'affections médicales dans le cadre de 3 enquêtes maritimes Note de bas de page 53.

1.22.1 État de santé du capitaine

Avant l'événement à l'étude, le capitaine avait subi la dernière fois un examen médical maritime de TC en 2014; on avait jugé qu'il était apte à accomplir ses tâches avec des verres correcteurs. Pendant cet examen et tous les autres examens médicaux maritimes de TC que le capitaine avait subis depuis 2003, on avait jugé que son acuité visuelle et sa santé oculaire satisfaisaient aux exigences. Son acuité visuelle brute était à l'état limite de 20/200, son acuité visuelle et ses champs visuels étaient dans les limites, et son dossier ne comprenait pas d'information sur une maladie oculaire progressive. Les MEM avaient répondu négatif ou non à toutes les questions générales sur la santé oculaire posées pendant les examens médicaux maritimes, et le capitaine avait signé tous les formulaires d'examen pour confirmer que l'information était complète et exacte. Après son examen de 2012, TC avait envoyé au capitaine une lettre indiquant que sa vision brute approchait de la limite de la norme pertinente.

De 2009 à 2014, le capitaine avait consulté différents spécialistes de la vision, mais les rapports de ces spécialistes et la documentation du médecin de famille du capitaine ne faisaient pas référence à son certificat de compétence. Après l'événement à l'étude, le BST a demandé à un ophtalmologiste d'effectuer un examen indépendant des dossiers médicaux du capitaine. Cet examen a permis de constater que le capitaine souffrait d'une affection oculaire qui aurait rendu difficile l'acquisition d'une image normale dans toutes les parties de son champ de vision. Cet examen a aussi permis de conclure qu'il existait des écarts entre les résultats des tests de vision brute du capitaine effectués pendant les examens optométriques privés et pendant les examens médicaux maritimes de TC.

1.23 Liste de surveillance du Bureau de la sécurité des transports

La gestion de la sécurité et la surveillance resteront sur la Liste de surveillance du BST jusqu'à ce que :

  • Transports Canada mette en œuvre des règlements obligeant tous les exploitants des secteurs du transport commercial aérien et maritime à adopter des processus de gestion de la sécurité officiels et supervise efficacement ces processus;
  • les entreprises de transport qui possèdent un système de gestion de la sécurité démontrent qu'il fonctionne bien, c'est-à-dire qu'il permet de déceler les risques et que des mesures de réduction des risques efficaces sont mises en œuvre;
  • Transports Canada intervienne lorsque des entreprises de transport ne peuvent assurer efficacement la gestion de la sécurité, et le fasse de façon à corriger les pratiques d'exploitation jugées non sécuritaires.

La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu'il faut régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

La surveillance et la gestion de la sécurité figurent sur la Liste de surveillance 2016. Comme l'événement à l'étude l'a démontré, certaines entreprises de transport ne gèrent pas leurs risques de façon efficace, et la surveillance et l'intervention de TC n'ont pas toujours réussi à provoquer des changements dans les pratiques d'exploitation non sécuritaires des entreprises.

1.24 Événements antérieurs

Le 2 avril 1992, un petit bateau non ponté affrété Note de bas de page 54 basé à Ucluelet (Colombie-Britannique) effectuait une excursion d'observation des baleines lorsqu'une vague déferlante très haute l'a fait chavirer à l'entrée de la baie Barkley. Cet événement a fait 2 morts.

Le 22 mars 1998, une embarcation pneumatique à coque rigide exploitée par Jamie's Whaling Station pour des excursions d'observation des baleines a subi un envahissement par les eaux et a gîté fortement au large des récifs Plover, ce qui a fait chuter tous les membres d'équipage et passagers par-dessus bord. Cet événement a fait 2 morts. Dans son rapport d'enquête Note de bas de page 55, le BST a conclu que l'exploitant n'avait pas pleinement pris conscience des conditions que l'embarcation affronterait dans les eaux agitées à proximité des récifs, et que cela avait contribué à l'accident. Le rapport du Service des coroners de la Colombie-Britannique a notamment recommandé que les exploitants établissent un système de communications périodiques, installent des RLS à bord de leurs navires et mettent en œuvre un système de jumelage des navires.

Le 2 août 2010, le bateau de pêche sportive Qualicum Rivers 9 (C16465BC) Note de bas de page 56 a chaviré dans la baie Quatsino (Colombie-Britannique), ce qui a causé 4 décès. Même si le bateau transportait un nombre suffisant de gilets de sauvetage, aucun des 4 occupants n'en portait un au moment de cet événement.

1.25 Recommandations en suspens

Le 23 juin 2002, à la suite d'un événement dans lequel le véhicule à passagers amphibie Lady Duck a pris l'eau et fait naufrage dans la rivière des Outaouais, ce qui a causé la noyade de 4 passagers Note de bas de page 57, le Bureau a recommandé que :

Le ministère des Transports prenne des mesures pour assurer que les entreprises exploitant des petits navires à passagers aient un système de gestion de la sécurité en place.
Recommandation M04-01 du BST

À l'heure actuelle, le BST considère que la réponse à cette recommandation est insatisfaisante Note de bas de page 58. Le BST a souligné à maintes reprises la nécessité d'un SGS efficace pour les navires intérieurs, et cet enjeu figure sur la Liste de surveillance du BST depuis 2010. Le Bureau a déjà fait valoir que TC ne supervise pas toujours efficacement les SGS et que certaines entreprises ne sont pas tenues d'en avoir un. Pour corriger cette lacune, le Bureau a également noté que :

Des initiatives concrètes sont nécessaires à la sensibilisation aux risques et à leur atténuation. Une approche officielle et systématique de la sécurité pourrait régler ces deux points. TC, les exploitants de navires et les entreprises chargées de la gestion de navires doivent travailler ensemble pour garantir que les risques d'exploitation sont bien cernés et réduits au minimum par l'adoption de SGS efficaces Note de bas de page 59.

Cet élément a été ajouté à la Liste de surveillance à la suite de plusieurs enquêtes Note de bas de page 60 où le Bureau avait conclu que l'exploitant n'avait pas cerné ou n'avait pas atténué certains dangers et certains risques liés à l'exploitation d'un navire. Des enquêtes sur d'autres événements Note de bas de page 61 ont également souligné des lacunes relatives à la mise en œuvre de SGS où les exploitants n'avaient pas cerné certains dangers d'une activité ni, par conséquent, prévu de stratégie d'atténuation à leur égard.

En 2014, TC a présenté au secteur le projet de Règlement sur la gestion pour la sécurité de l'exploitation des bâtiments, qui s'appliquerait à 3 groupes de navires et aux entreprises qui les gèrent. Le groupe 1 comprendrait les navires assujettis à la Convention SOLAS; le groupe 2 comprendrait les navires d'une jauge brute supérieure à 500 tonneaux non assujettis à la Convention SOLAS; et le groupe 3 comprendrait les navires d'une longueur supérieure à 24 m et d'une jauge brute inférieure à 500 tonneaux non assujettis à la Convention SOLAS. Les navires comme le Leviathan II seraient toujours exclus de la portée de ce règlement proposé.

1.26 Rapports de laboratoire du Bureau de la sécurité des transports du Canada

Le BST a produit les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

2.0 Analyse

2.1 Facteurs ayant mené au chavirement et aux pertes de vie

Pendant qu'il se trouvait aux récifs Plover pour permettre aux passagers d'observer des otaries, le Leviathan II a été immobilisé du côté au vent des récifs, face à la houle. Alors que le navire quittait cette zone, une grande vague approchait de la hanche tribord du navire. Quelques instants avant qu'elle ne heurte le navire, le capitaine a entendu un bruit qui a attiré son attention vers l'arrière et il l'a aperçue. À ce moment, la vague était toutefois déjà en train de se briser, et il était trop tard pour faire pivoter le navire afin de réduire l'impact de la vague. L'évaluation de la stabilité effectuée par le BST appuie la conclusion que la vague a soumis le navire à des forces suffisantes pour en compromettre la stabilité et le faire chavirer; on n'a cerné aucun autre facteur notable ayant contribué au chavirement.

En raison de la rapidité du chavirement, les passagers et l'équipage n'ont pas eu le temps d'enfiler des dispositifs de flottaison ou de protection thermique avant de tomber à l'eau. Comme la température de l'eau était de 14 °C, les passagers et l'équipage ont été immédiatement assujettis aux effets de l'immersion en eau froide. On a signalé que 5 des 6 passagers décédés étaient hors d'état de réagir dès les premières minutes, et le 6e passager, après 20 à 30 minutes; leur décès a probablement été causé par l'étape 1 (choc hypothermique) ou l'étape 2 (perte de motricité due au froid) de l'immersion en eau froide.

L'équipage n'a pas eu le temps de transmettre un appel de détresse avant le chavirement, et le navire n'était pas doté d'un dispositif pouvant lancer automatiquement un tel appel. Ainsi, environ 45 minutes se sont écoulées avant que les ressources de recherche et sauvetage ne soient mises au courant du chavirement. Un bateau de pêche de la Première Nation Ahousaht se trouvant à proximité a grandement contribué au sauvetage des survivants; s'il n'était pas intervenu, il est probable qu'un plus grand nombre de passagers dans l'eau auraient souffert d'hypothermie et/ou seraient morts.

2.2 Évaluation des risques

L'entreprise effectuait des activités à risques élevés dans les alentours des récifs Plover. Pour fournir une expérience d'observation de la faune à leurs passagers à cet endroit, il peut être nécessaire d'exploiter les navires dans des conditions où des vagues dangereuses peuvent se former. Pendant la saison touristique, la houle provient principalement de l'ouest aux récifs Plover, ce qui protège la zone au sud des récifs. Toutefois, ce n'est pas toujours le cas. En raison des effets de la marée et de la profondeur de l'eau dans les environs des récifs Plover, de hautes vagues déferlantes risquent de se former lorsque ces récifs sont exposés à la houle de mer. Les conséquences d'une exposition à ce type de vagues peuvent être catastrophiques pour un petit navire à faible tirant d'eau, comme dans l'événement à l'étude et l'événement ayant mis en cause l' Ocean Thunder en 1998. La nature de la mer et les processus qui se combinent pour former des vagues déferlantes en eaux peu profondes sont si imprévisibles qu'il est impossible de prévoir la hauteur et l'escarpement des vagues de mer aux récifs Plover. Il est aussi impossible de prévoir la réaction d'un navire heurté par une vague déferlante. Il est donc nécessaire de mettre en œuvre des mesures opérationnelles pour atténuer ces risques.

Lorsque le Leviathan II est arrivé aux récifs Plover pour permettre aux passagers d'observer des otaries, plusieurs conditions favorisant la formation de vagues déferlantes étaient réunies : la houle provenait du sud-est, gravissait le fond ascendant de la mer et rencontrait une marée contraire à l'approche des rochers. Même si le capitaine avait conscience de ces conditions, il n'avait pas vu de vagues déferlantes à proximité (sauf le long des récifs). En fonction des conditions à ce moment, le capitaine a jugé qu'il était sécuritaire de placer le navire du côté au vent des récifs et, pendant les manœuvres, le navire s'est trouvé dans une position et sur un cap exposant sa hanche tribord face aux vagues.

L'entreprise n'avait pas défini de lignes directrices sur les situations de formation potentielle de vagues déferlantes en présence d'une houle de mer pour aider ses capitaines à déterminer s'il était sécuritaire de naviguer du côté au vent des récifs Plover. Elle se fiait plutôt à l'expérience et au jugement de chaque capitaine pour atténuer les risques liés à ses activités. Les capitaines avaient mis au point des pratiques informelles : par exemple, ils vérifiaient la hauteur significative et la période des vagues à la bouée météorologique du banc La Pérouse, communiquaient avec d'autres navires dans les environs et évaluaient les conditions pendant leur approche.

En raison des risques que les vagues déferlantes compromettent la stabilité des navires à faible tirant d'eau, il peut convenir de prendre d'autres mesures d'atténuation des risques, telles que :

Même si le certificat d'inspection du navire délivré par TC comprenait une restriction liée aux conditions environnementales, l'objectif de cette restriction était d'assurer la sécurité du navire en eaux libres, et non d'atténuer les risques propres à une exposition à des conditions maritimes extrêmes, comme des vagues déferlantes. De la même manière, l'avertissement figurant dans le livret de stabilité était de nature générale et s'appliquait à tous les navires. Comme on l'a indiqué précédemment, les risques liés aux vagues déferlantes varient selon les zones d'exploitation précises et doivent être gérés de manière uniforme et efficace par l'entreprise, d'abord en mettant en œuvre des mesures assurant une évaluation continue des risques, puis en clarifiant les mesures à prendre pour les atténuer.

Dans l'événement à l'étude, les mesures prises par l'entreprise n'ont pas permis d'atténuer les risques liés aux conditions maritimes dans la zone où se trouvait le navire. Environ 9 entreprises offrent des excursions d'observation des baleines depuis Tofino et Ucluelet; elles se rendent toutes dans la même zone que le Leviathan II, et elles peuvent être exposées à des dangers semblables. Au-delà de cette zone, les navires à passagers exploités le long de la côte ouest de l'île de Vancouver peuvent aussi franchir des secteurs posant des risques semblables, dont les baies Barkley et Quatsino, où sont déjà survenus des événements ayant causé des décès Note de bas de page 62. Comme aucune exigence réglementaire n'oblige les entreprises exploitant des navires à passagers intérieurs à définir des processus formels de gestion de la sécurité assortis de processus connexes d'évaluation des risques, d'autres navires et passagers risquent d'être exposés à des conditions environnementales dangereuses sans que des mesures d'atténuation adéquates soient prises.

Si les entreprises qui exploitent des navires à passagers ne mettent pas en œuvre des processus de gestion des risques leur permettant de cerner les dangers environnementaux dans leur zone d'exploitation (comme la formation potentielle de vagues déferlantes) et d'y parer, un chavirement et des pertes de vie semblables risquent de se produire à nouveau.

2.3 Port de dispositifs de flottaison

Dans l'éventualité d'une immersion en eau froide soudaine et inattendue, un dispositif de flottaison, comme un gilet de sauvetage ou un vêtement de flottaison individuel (VFI), accroît les chances de survie en permettant à une personne de maintenir la tête hors de l'eau et en réduisant les efforts nécessaires pour nager. Voilà qui est particulièrement important si une personne est blessée, évanouie ou gênée par les effets de l'immersion en eau froide. Un dispositif de flottaison offre une efficacité maximale lorsqu'une personne l'enfile avant de tomber à l'eau. Il devient de plus en plus difficile d'enfiler un dispositif de flottaison après un chavirement ou une chute par-dessus bord, car un tel dispositif ne se trouve peut-être pas à portée de main, ou une personne peut éprouver des difficultés en raison de ses capacités physiques, de blessures et/ou de la confusion mentale ou l'état de choc suivant une immersion soudaine et inattendue. Ce qui constitue une tâche simple à bord d'un navire peut devenir un défi insurmontable dans l'eau froide.

Même si le Leviathan II transportait un nombre suffisant de gilets de sauvetage, le chavirement s'est produit rapidement, et aucun des passagers et des membres d'équipage n'a eu le temps de mettre un gilet de sauvetage avant de tomber à l'eau. Les passagers étaient d'âges différents et avaient des capacités physiques différentes. Certains ont subi des blessures pendant le chavirement. Même si la plupart de ses survivants ont trouvé des objets dans l'eau les aidant à rester à la surface, certains de ces dispositifs de fortune d'aide à la flottaison (p. ex., 1 réservoir, 1 pagaie, des housses de siège et 1 bouée de sauvetage) n'auraient pas aidé les survivants à maintenir la tête hors de l'eau ou réduit les efforts nécessaires pour nager de la même manière qu'un gilet de sauvetage ou un VFI. De plus, les survivants devaient constamment s'agripper à ces objets, alors qu'un gilet de sauvetage ou un VFI les aurait maintenus à la surface même si les effets de l'immersion en eau froide les avaient empêchés de se tenir à un objet ou leur avaient fait perdre conscience.

Le type de navire, la nature des activités et les conditions rencontrées sont tous des facteurs dont il faut tenir compte lorsqu'on évalue les risques pour les passagers et les précautions de sécurité à prendre pour les protéger pendant une sortie sur l'eau. Par exemple, comme il s'agit d'une embarcation non pontée, une embarcation gonflable à coque rigide pose des risques plus élevés qu'un passager tombe par-dessus bord. C'est pourquoi la réglementation exige que les exploitants transportent l'équipement nécessaire ou établissent des procédures pour protéger toutes les personnes contre les effets de l'hypothermie et du choc hypothermique dans l'éventualité d'un envahissement par les eaux, d'un chavirement ou de la chute d'une personne par-dessus bord. À bord d'un navire à passagers comme le Leviathan II, il faut tenir compte d'autres facteurs, notamment le fait que des passagers peuvent se trouver tant sur un pont supérieur ouvert que dans une cabine recouverte. Chaque partie d'un navire comporte différents risques pour les passagers; les passagers sur le pont supérieur risquent davantage de tomber par-dessus bord, et les passagers dans la cabine peuvent s'y retrouver piégés s'ils portent un gilet de sauvetage standard au moment d'un chavirement. Lorsqu'on évalue les risques, il faut aussi tenir compte de la nature des activités (une excursion en eaux abritées ou l'observation des baleines en mer) et des conditions rencontrées pendant l'excursion (p. ex., bancs ou bras dangereux ou temps violent).

À l'heure actuelle, il n'existe pas de cadre réglementaire au Canada pour les petits navires à passagers comme le Leviathan II régissant le port de dispositifs de flottaison, et les entreprises n'ont pas l'obligation d'évaluer leurs activités pour déterminer quelles conditions justifient le port de tels dispositifs pendant une excursion. Ainsi, il est rare que les entreprises exploitant des navires de cette catégorie demandent à leurs passagers de porter des dispositifs de flottaison à quelque moment que ce soit pendant une excursion, et ce, même lorsque les conditions exposent les passagers à des risques accrus (p. ex., lorsqu'ils prennent place sur un pont ouvert par mauvais temps ou lorsque le navire se trouve à proximité de récifs).

Si les entreprises n'ont pas l'obligation d'évaluer leurs activités pour déterminer quelles conditions justifient le port de dispositifs de flottaison, il subsiste un risque que les passagers à bord des navires de cette catégorie soient privés des avantages d'un dispositif de flottaison dans l'éventualité d'une immersion en eau froide soudaine et inattendue.

2.4 Alertes de détresse

En eaux froides canadiennes, le succès d'une mission de recherche et sauvetage dépend souvent du signalement rapide de la position du navire et d'autres renseignements pertinents aux autorités de recherche et sauvetage, et de la mobilisation rapide des ressources de recherche et sauvetage. Il est donc essentiel d'avoir les moyens d'alerter les autorités immédiatement pour permettre une intervention rapide et accroître les chances de survie. Les navires dans les environs doivent aussi aviser les autorités de recherche et sauvetage aussitôt que possible lorsqu'ils voient des fusées ou des signaux de détresse.

Dans l'événement à l'étude, l'équipage n'a pas eu le temps de transmettre un appel de détresse à l'aide d'un radiotéléphone VHF/ASN en raison de la rapidité du chavirement. En outre, une fois dans l'eau, l'équipage disposait de peu d'options pour lancer un appel à l'aide. Le Leviathan II ne transportait pas de RLS, et la réglementation ne l'exigeait pas. Pourtant, une RLS constitue un moyen d'alerter immédiatement les autorités en cas d'urgence. Une RLS à largueur hydrostatique, un dispositif conçu pour transmettre un signal de détresse automatiquement lorsqu'il est submergé, est particulièrement utile lorsque l'équipage n'est pas en mesure ou n'a pas le temps d'envoyer un appel de détresse par d'autres moyens (p. ex., à l'aide d'un radiotéléphone VHF/ASN ou de fusées). Après le chavirement, environ 20 minutes se sont écoulées avant qu'un signal de détresse puisse être transmis avec succès, et environ 45 minutes se sont écoulées avant que les ressources de recherche et sauvetage soient mises au courant de la situation d'urgence. Pendant ce temps, un certain nombre de survivants se trouvaient dans l'eau froide sans dispositif approprié d'aide à la flottaison, ce qui a fait diminuer leurs chances de survie.

Si les navires ne possèdent pas de moyens efficaces d'aviser rapidement les autorités de recherche et sauvetage en cas d'urgence, et particulièrement en cas de chavirement, l'intervention de recherche et sauvetage peut être retardée, ce qui peut réduire les chances de survie des passagers et de l'équipage.

Après le chavirement, l'équipage a tenté d'utiliser un feu à main de la trousse de survie de classe B (canadienne) du radeau de sauvetage comme signal de détresse; toutefois, les feux à main ont une portée limitée et sont principalement utilisés pour attirer l'attention de navires de recherche déjà en vue. Leur efficacité est limitée lorsqu'on les utilise pour lancer un premier signal de détresse. Même si le chavirement s'est produit à moins de 5 milles marins du littoral, le feu à main n'a pas permis à l'équipage d'attirer l'attention de navires dans les environs.

Le Leviathan II transportait volontairement une trousse de survie de classe B (Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer [SOLAS]) dans son autre radeau de sauvetage; toutefois, les membres de l'équipage n'ont pas réussi à le déployer pendant l'événement à l'étude. En plus de feux à main, la trousse de survie de classe B (SOLAS) contenait 2 fusées à parachute et 1 fumigène flottant. Les fusées à parachute et les fumigènes flottants ont une plus grande portée de visibilité et constituent des moyens plus efficaces de lancer un premier signal de détresse. L'équipage a été en mesure de lancer un appel à l'aide seulement après avoir trouvé par hasard une fusée à parachute parmi les débris flottants près du navire.

Le premier navire qui a aperçu la fusée à parachute lancée depuis le Leviathan II a répondu au signal de détresse et a grandement contribué au sauvetage des survivants. Un navire qui aperçoit un signal de détresse réagit souvent en s'approchant pour en connaître la source et offrir de l'aide, au besoin. Une bonne pratique que les navires peuvent adopter consiste à signaler immédiatement tout signal de détresse aux ressources de recherche et sauvetage, car cela peut accélérer l'intervention de ressources possédant l'équipement nécessaire pour offrir une aide d'urgence.

2.5 Collecte et vérification de données médicales sur les navigants

Le médecin examinateur de la marine (MEM) et le navigant ont tous deux l'obligation de s'assurer que l'examen médical maritime est complet : le MEM doit recueillir suffisamment d'information médicale pour étayer le résultat de son évaluation, et le navigant doit déclarer les médicaments pertinents et les affections médicales pertinentes. TC doit pour sa part examiner chaque évaluation d'un MEM avant de délivrer un certificat médical maritime.

Pendant l'enquête sur l'événement à l'étude, le BST a examiné les dossiers médicaux des membres de l'équipage et a constaté que les dossiers médicaux personnels du capitaine comprenaient de l'information sur sa santé oculaire qui ne figurait pas dans les dossiers de TC. De plus, les résultats des tests de vision brute du capitaine effectués pendant ses visites personnelles chez des ophtalmologistes et des optométristes différaient des résultats obtenus par TC pendant les examens médicaux maritimes.

TC ne connaissait pas l'affection oculaire dont souffrait le capitaine en raison des facteurs suivants :

Comme TC ne connaissait pas entièrement l'état de la vision du capitaine, l'organisme de réglementation n'a pas pu effectuer un suivi pour déterminer à quel point la vision du capitaine réduisait son aptitude au travail. De plus, même si TC savait que la vision brute du capitaine était à la limite de la norme, il n'a pris aucune autre mesure pour surveiller la vision du capitaine (p. ex., accroître la fréquence des tests ou demander l'évaluation d'un spécialiste) et a donc raté une occasion de détecter une diminution de sa vision.

Si les navigants ne déclarent pas toute l'information médicale pertinente et si les MEM ne demandent pas de données justificatives, les dossiers médicaux peuvent être incomplets, ce qui accroît le risque que des navigants accomplissent leurs tâches quand ils ne sont pas médicalement aptes.

De plus, même si la vision du capitaine n'est pas un facteur de causalité de l'événement à l'étude, il existait un écart entre les résultats des tests de vision brute du capitaine effectués pendant les examens oculaires privés et pendant les examens médicaux de TC.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Les conditions étaient favorables à la formation de vagues déferlantes pendant que le Leviathan II se trouvait aux récifs Plover.
  2. Le capitaine a immobilisé le navire du côté au vent des récifs, exposé à la houle, pour permettre aux passagers d'observer la faune. Alors que le navire quittait cette zone, une grande vague approchait de la hanche tribord du navire.
  3. Quelques instants avant que la vague ne heurte le navire, le capitaine l'a aperçue et a tenté de faire pivoter le navire pour atténuer l'impact, mais il n'a pas eu assez de temps pour que ses actions soient efficaces.
  4. Les forces exercées sur le navire par cette grande vague déferlante l'ont fait tomber en travers et chavirer rapidement.
  5. En raison de la rapidité du chavirement, les passagers et l'équipage sont tombés dans la mer froide sans dispositifs de flottaison ou équipement de protection thermique et ont ainsi été exposés aux effets de l'immersion en eau froide.
  6. Environ 45 minutes se sont écoulées avant que les ressources de recherche et sauvetage ne soient mises au courant du chavirement, parce que l'équipage n'a pas eu le temps de transmettre un appel de détresse avant le chavirement et que le navire n'était pas doté d'un dispositif pouvant envoyer automatiquement un appel de détresse.
  7. Les membres de l'équipage ont lancé une fusée à parachute, ce qui a attiré l'attention d'un bateau de pêche de la Première Nation Ahousaht se trouvant à proximité, lequel a grandement contribué au sauvetage d'un certain nombre de survivants.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. Si les entreprises qui exploitent des navires à passagers ne mettent pas en œuvre des processus de gestion des risques leur permettant de cerner les dangers environnementaux dans leur zone d'exploitation (comme la formation potentielle de vagues déferlantes) et d'y parer, un chavirement et des pertes de vie semblables risquent de se produire à nouveau.
  2. Si les entreprises n'ont pas l'obligation d'évaluer leurs activités pour déterminer quelles conditions justifient le port de dispositifs de flottaison, il subsiste un risque que les passagers à bord des navires de cette catégorie soient privés des avantages d'un dispositif de flottaison dans l'éventualité d'une immersion en eau froide soudaine et inattendue.
  3. Si les navires ne possèdent pas de moyens efficaces d'aviser rapidement les autorités de recherche et sauvetage en cas d'urgence, et particulièrement en cas de chavirement, l'intervention de recherche et sauvetage peut être retardée, ce qui peut réduire les chances de survie des passagers et de l'équipage.
  4. Si les navigants ne déclarent pas toute l'information médicale pertinente et que les médecins examinateurs de la marine ne demandent pas de données justificatives, les dossiers médicaux peuvent être incomplets, ce qui accroît les risques que les navigants accomplissent leurs tâches quand ils ne sont pas médicalement aptes.

3.3 Autres faits établis

  1. Le radeau de sauvetage déployé pendant l'événement à l'étude transportait une trousse de survie de classe B (canadienne) qui ne contenait pas de dispositifs permettant de lancer un premier signal de détresse, comme une fusée à parachute ou un fumigène flottant.
  2. Même si la vision du capitaine n'a pas contribué à l'événement à l'étude, il existait un écart entre les résultats des tests de vision brute du capitaine effectués pendant les examens oculaires privés et pendant les examens médicaux de Transports Canada (TC).

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

4.1.1 Initiative de recherche et sauvetage ciblant les Premières Nations côtières

Après l'événement à l'étude, le programme de recherche et sauvetage de la Garde côtière canadienne (GCC) a élargi la portée de ses relations avec les collectivités éloignées des Premières Nations sur la côte de la Colombie-Britannique. Des membres des Premières Nations Ahousaht et Tla-o-qui-aht ont participé à une formation en recherche et sauvetage de 2 jours offerte par la GCC à son poste d'embarcations de sauvetage de Tofino. Des représentants de la Gendarmerie royale du Canada de Tofino, de Parcs Canada, de Westcoast Inland SAR et du poste Royal Canadian Marine SAR Station 38 - Ucluelet ont aussi participé à cette formation comprenant des cours théoriques en classe et des exercices sur l'eau.

4.1.2 Transports Canada

En mai 2016, le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a envoyé l'avis de sécurité maritime 01/16 à Transports Canada (TC) pour lui transmettre ses observations sur l'état de santé du capitaine. TC a ensuite passé en revue le dossier médical du capitaine et a demandé au capitaine de lui fournir de l'information médicale supplémentaire sur sa vision. TC a déterminé que le capitaine était apte à détenir un certificat médical maritime comportant la restriction « verres correcteurs requis ».

4.1.3 Jamie's Whaling Station

Après avoir reçu des commentaires des gestionnaires et du personnel, l'entreprise a adopté les mesures de sécurité supplémentaires suivantes pour la saison 2016 :

Depuis l'événement à l'étude, l'entreprise a commencé à structurer ses pratiques de gestion de la sécurité et à établir des procédures de communication plus structurées en ce qui concerne les normes relatives aux conditions météorologiques et à l'état de la mer s'appliquant aux excursions offertes par les membres de la Pacific Rim Association of Tour Operators.

4.2 Mesures de sécurité requises

4.2.1 Repérage des dangers, évaluation des risques et atténuation des risques (gestion des risques)

4.2.1.1 Gestion des risques liés à l'exploitation de navires à passagers sur la côte ouest de l'île de Vancouver

Pendant la saison touristique, la houle provient principalement de l'ouest aux récifs Plover, ce qui protège la zone au sud des récifs. Toutefois, ce n'est pas toujours le cas. En raison des effets de la marée et de la profondeur de l'eau dans les environs des récifs Plover, de hautes vagues déferlantes risquent de se former lorsque ces récifs sont exposés à la houle de mer. Les conséquences d'une exposition à ce type de vagues peuvent être catastrophiques pour un petit navire à faible tirant d'eau, comme dans l'événement à l'étude et l'événement ayant mis en cause l' Ocean Thunder en 1998.

La nature de la mer et les processus qui se combinent pour former des vagues déferlantes en eaux peu profondes sont si imprévisibles qu'il est impossible de prévoir la hauteur et l'escarpement des vagues de mer aux récifs Plover. Il est aussi impossible de prévoir la réaction d'un navire heurté par une vague déferlante.

Même si les navires ne font face à des vagues dangereuses qu'occasionnellement, les conséquences peuvent être catastrophiques. Ainsi, on a jugé que les risques liés à ce danger étaient élevés pour le Leviathan II ainsi que ses passagers et son équipage. En pareil cas, il est nécessaire de mettre en œuvre des mesures opérationnelles pour atténuer ces risques, telles que :

Dans l'événement à l'étude, les mesures prises par l'entreprise n'ont pas permis d'atténuer les risques liés aux conditions de la mer dans la zone d'exploitation du navire.

Environ 9 entreprises offrent des excursions d'observation des baleines depuis Tofino et Ucluelet; elles exploitent toutes leurs navires dans la même zone que le Leviathan II, et elles peuvent être exposées à des dangers semblables. En plus du Leviathan II, 2 autres navires ont été envahis par des vagues dangereuses dans la région des baies Clayoquot et Barkley depuis 1992, ce qui a causé 10 pertes de vie. Au-delà de cette zone, les navires à passagers exploités le long de la côte ouest de l'île de Vancouver peuvent se trouver dans des secteurs posant des risques semblables.

Le premier navire, une embarcation de plaisance non pontée de 5,8 m louée à un groupe de 4 personnes effectuant une excursion d'observation des baleines, a chaviré lorsqu'une grande vague déferlante l'a heurté au large du rocher Mara, dans la baie Barkley (Colombie-Britannique). Les 4 occupants sont tombés à l'eau, et il y a eu 2 pertes de vie. L'enquête du BST Note de bas de page 63 a permis de déterminer que le navire a chaviré lorsqu'une haute vague déferlante l'a envahi.

Le second navire, l' Ocean Thunder, a quitté Tofino (Colombie-Britannique) avec 3 passagers et un conducteur (patron) à bord pour une excursion d'observation de la faune marine de 3 heures dans les environs des récifs Plover. Alors que le navire se trouvait à cet endroit, une importante houle a envahi le navire et l'a fait tomber en travers, ce qui a fait chuter tous les occupants dans des eaux agitées et a causé 2 pertes de vie. Dans son rapport d'enquêt Note de bas de page 64, le BST a désigné comme un des facteurs ayant contribué à l'accident le fait que l'exploitant n'avait pas pleinement pris conscience des conditions dangereuses que l'embarcation affronterait au moment et au lieu de l'accident.

Comme la formation de ces vagues dangereuses dépend d'une combinaison de conditions de la mer et d'autres facteurs, le représentant autorisé doit gérer la sécurité des navires exploités dans ces zones de manière systématique, avec la collaboration du capitaine de chaque navire. Cette gestion est assurée en surveillant constamment les conditions avant et pendant l'excursion, et en prévoyant des mesures d'atténuation des risques liés aux vagues déferlantes lorsque les conditions sont favorables à la formation de telles vagues.

Toutefois, tout contact avec une vague dangereuse peut avoir des conséquences catastrophiques. S'il faut toujours élaborer et mettre en œuvre des mesures d'amélioration des chances de survie, la façon la plus efficace d'atténuer les risques est de réduire la probabilité de tout contact avec des vagues dangereuses.

La planification du voyage Note de bas de page 65 est un de ces processus d'atténuation des risques; il s'agit de tenir compte de différents éléments, dont la météo, les marées et les écueils à la navigation, et d'élaborer un plan d'urgence et un plan de navigation avant le départ. Le niveau de détail nécessaire dans la planification du voyage à bord de petits navires varie en fonction de la taille du navire, de son équipage et de la durée du voyage.

Dans l'événement à l'étude, l'entreprise n'avait pas défini de lignes directrices sur les précautions à prendre en situation de formation potentielle de vagues déferlantes. Elle se fiait plutôt à l'expérience et au jugement de chaque capitaine pour atténuer ces risques inhérents. Si les entreprises qui exploitent des navires à passagers au large de la côte ouest de l'île de Vancouver ne mettent pas en œuvre des processus de gestion des risques leur permettant de cerner les dangers environnementaux dans leur zone d'exploitation (comme la formation potentielle de vagues déferlantes) et d'y parer, un chavirement et des pertes de vie semblables risquent de se produire à nouveau.

Par conséquent, le Bureau recommande que :

Le ministère des Transports s'assure que les exploitants de navires à passagers commerciaux sur la côte ouest de l'île de Vancouver déterminent quelles zones et quelles conditions sont propices à la formation de vagues dangereuses et adoptent des stratégies pratiques d'atténuation des risques pour réduire la probabilité qu'un navire à passagers se retrouve dans de telles conditions.
Recommandation M17-01 du BST

4.2.1.2 Exigences explicites et conseils sur la mise en œuvre de processus de gestion des risques

Environ 4000 navires à passagers sont immatriculés au Canada. Ils transportent des passagers dans le cadre de différents types de voyages, dont des traversées, des excursions de bateau-taxi, des soupers croisières et des excursions d'observation des baleines. L'âge, les capacités et les besoins linguistiques des passagers qui prennent place à bord de ces navires peuvent varier, et certains passagers peuvent même avoir des besoins spéciaux en raison, par exemple, d'une déficience auditive, visuelle ou motrice. Comme il est probable que les passagers ne connaissent pas les procédures d'urgence et les techniques de survie en mer, ils sont très vulnérables en cas d'urgence maritime.

Selon l'environnement maritime dans lequel on exploite un navire à passagers, les passagers peuvent être exposés à différents dangers. Ces dangers peuvent causer des urgences maritimes, comme un incendie, une collision, la chute d'une personne par-dessus bord, un échouement, un envahissement par les eaux ou un chavirement. Même si les urgences maritimes sont rares à bord de navires à passagers, elles peuvent poser des risques pour la vie des passagers et de l'équipage, et avoir des résultats catastrophiques. On juge donc que les risques liés à ces activités sont élevés.

Ainsi, il est essentiel que les exploitants de navires à passagers soient conscients des risques liés à leurs activités et en assurent une gestion proactive au moyen de processus de gestion des risques, réduisant les risques au niveau le plus bas possible. Un processus efficace de gestion des risques aide les exploitants à cerner et évaluer les dangers et à établir des procédures et des politiques d'exploitation sécuritaires permettant d'atténuer les risques repérés, et offre un moyen de s'assurer que les risques font l'objet d'une évaluation continue. Une approche systématique et documentée contribue à faire en sorte que les personnes à tous les niveaux d'un organisme, y compris les capitaines, possèdent les connaissances et les outils voulus pour gérer les risques efficacement ainsi que l'information nécessaire pour prendre des décisions judicieuses dans toute condition d'exploitation.

La gestion des risques est un aspect fondamental de tout système de gestion de la sécurité (SGS). À la suite d'un événement survenu en 2002 au cours duquel le véhicule à passagers amphibie Lady Duck a sombré dans la rivière des Outaouais, ce qui a causé la noyade de 4 passagers Note de bas de page 66 le Bureau a recommandé que :

Le ministère des Transports prenne des mesures pour assurer que les entreprises exploitant des petits navires à passagers aient un système de gestion de la sécurité en place.
Recommandation M04-01 du BST

TC ne prévoit pas obliger les exploitants de petits navires (moins de 24 m de longueur et transportant moins de 50 passagers) à adopter un SGS. Selon TC, les problèmes de sécurité liés aux navires de cette catégorie sont abordés au moyen de la réglementation actuelle, d'inspections et d'initiatives de sensibilisation, dont le Programme de conformité des petits bâtiments, programme volontaire visant les navires d'une jauge brute inférieure à 15 tonneaux .

À l'heure actuelle, le Bureau considère que la réponse de TC est insatisfaisante Note de bas de page 67.

Depuis qu'il a émis la recommandation M04-01, le Bureau a constaté des lacunes relatives au repérage des dangers et à la gestion des risques dans divers autres événements Note de bas de page 68 ayant mis en cause des navires à passagers canadiens. La question des processus de gestion de la sécurité figure sur la Liste de surveillance du BST Note de bas de page 69 depuis 2010. Dans la Liste de surveillance, on indique :

Le cadre réglementaire actuel du Canada comprend 2 exigences relatives à la mise en œuvre d'un SGS ou d'un processus de gestion des risques Note de bas de page 70. En premier lieu, le Règlement sur la gestion pour la sécurité de l'exploitation des bâtiments exige que les navires canadiens assujettis au chapitre 9 de la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS) Note de bas de page 71 mettent en œuvre un SGS conforme au code international de gestion de la sécurité de l'exploitation des navires et la prévention de la pollution (Code ISM) Note de bas de page 72. En second lieu, la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada exige l'élaboration de procédures pour l'exploitation sécuritaire des navires et la gestion des urgences Note de bas de page 73.

Toutefois, ces dispositions n'ont pas permis de s'assurer que tous les exploitants de navires à passagers du Canada mettent en œuvre des processus d'évaluation des risques qui cernent efficacement les dangers et atténuent les risques de manière continue.

Dans le premier cas, le Règlement sur la gestion pour la sécurité de l'exploitation des bâtiments fait référence au Code ISM, dans lequel le besoin d'établir des processus de gestion des risques n'est que sous-entendu. Selon le Code, les objectifs de la gestion de la sécurité d'une entreprise consistent à évaluer tous les risques repérés pour ses navires, son personnel et l'environnement, et à établir les mesures de protection appropriées Note de bas de page 74. Même si d'autres directives publiées par l'International Association of Classification Societies (IACS) indiquent qu'une évaluation des risques est essentielle au bon respect du Code ISM et que la méthode choisie doit être systématique et documentée Note de bas de page 75, le Code ISM ne comporte pas d'exigences explicites relativement à la gestion des risques et ne présente pas d'approche particulière de la gestion des risques.

De plus, des enquêtes du BST ont permis de constater que même s'ils ont un SGS vérifié et certifié, certains exploitants de navires n'ont pas établi de processus structurés et systématiques d'évaluation des risques.

Par exemple, le traversier à passagers Jiimaan était assujetti à un SGS certifié et vérifié par une société de classification reconnue. L'enquête du BST sur l'échouement de ce navire Note de bas de page 76 a permis de constater que certains risques n'avaient pas été cernés et atténués, car le SGS de l'entreprise ne comprenait pas de processus d'évaluation des risques. Cette enquête a également révélé que le processus d'évaluation des risques proposé par l'entreprise (après une vérification externe de son SGS en 2011) n'était pas conforme aux principes établis par l'IACS pour la mise en œuvre d'un processus efficace d'évaluation des risques. Toutefois, la société de classification avait jugé que le processus d'évaluation des risques proposé pour le navire était acceptable lorsqu'elle avait effectué une vérification en vertu du Code ISM.

Le traversier à passagers Princess of Acadia, qui s'est échoué à l'approche d'un quai, était aussi assujetti à un SGS certifié et vérifié. L'enquête du BST Note de bas de page 77 a permis de constater que le SGS ne donnait pas de directives au capitaine pour l'aider à repérer les risques de manière proactive et à faire enquête sur des événements dangereux, ce qui a accru les risques liés à l'exploitation du navire.

Pour aider les exploitants de petits navires à se conformer aux exigences liées aux SGS, TC a rédigé des lignes directrices en langage clair sur les SGS Note de bas de page 78 comprenant des exemples de documents de SGS Note de bas de page 79. Ces lignes directrices décrivent la gestion des risques en termes généraux, encourageant l'utilisation d'un processus de création de rapports permettant le repérage continu des dangers et d'un « registre de risques » pour consigner la mise en œuvre et la surveillance des mesures d'atténuation des risques. Si ces lignes directrices contribuent à faire en sorte que tous les exploitants de navires à passagers mettent en œuvre des processus systématiques pour gérer les risques liés à leurs activités, il existe des lacunes clés qui en limitent l'efficacité :

Dans le deuxième cas, l'alinéa 106(1) b ) de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada concernant la nécessité d'élaborer des procédures d'exploitation sécuritaire des navires et de gestion des cas d'urgence s'applique à tous les navires canadiens, y compris ceux qui n'ont pas l'obligation de mettre en œuvre un SGS (comme le Leviathan II ). Si TC considère que l'exigence « d'établir des pratiques d'exploitation sécuritaires » comprend implicitement la gestion des risques, le lien entre ces 2 éléments est vague. Des lignes directrices explicatives ou des normes relatives à l'application de l'article 106 ne sont pas fournies aux exploitants de navires ou aux inspecteurs de TC. Même si les inspecteurs de TC peuvent vérifier si des procédures d'exploitation sécuritaire sont en place à bord d'un navire, ils n'évaluent pas ces procédures ou le processus utilisé pour les élaborer. Le Leviathan II faisait l'objet d'inspections périodiques, mais aucune procédure de ce type n'était en place à bord. Au moment de la publication du présent rapport, l'entreprise exploitant le navire n'avait pas encore adopté de techniques structurées de gestion des risques permettant de cerner et d'atténuer les dangers propres aux zones où elle exploite ses navires.

Dans le cadre d'enquêtes du BST qui ont révélé des problèmes liés à la gestion des risques à bord de navires à passagers (y compris dans l'événement à l'étude), on a constaté qu'il existe clairement une différence fondamentale entre le fait de connaître l'existence d'un danger et le fait d'être capable, comme organisation, de pleinement reconnaître un danger comme tel, puis de le gérer de manière systématique. De plus, les lignes directrices de l'IACS indiquent que le repérage des dangers est la première et la plus importante étape de l'évaluation des risques Note de bas de page 80.

D'autres administrations maritimes ont pris des mesures pour s'assurer que les processus de gestion des risques sont mis en œuvre de manière efficace. Par exemple, l'Australian Maritime Safety Authority (AMSA) a des règlements qui exigent explicitement que les propriétaires et les exploitants de navires mettent en œuvre, dans le cadre d'un SGS, des processus de gestion des risques pour assurer la sécurité opérationnelle des navires commerciaux intérieurs. De plus, l'AMSA a publié des lignes directrices détaillées et rigoureuses Note de bas de page 81 accompagnant ces règlements, qui fournissent des conseils sur la mise en œuvre d'un processus de gestion des risques. Ces lignes directrices :

Au Canada, même si TC offre des conseils sur les SGS, on n'énonce pas clairement la nécessité d'établir un processus complet d'évaluation des risques et on offre peu de conseils aux entreprises sur les modalités de mise en œuvre d'un tel processus.

On considère que les processus de gestion des risques constituent un moyen essentiel de gérer la sécurité à bord de navires à passagers. De plus, il faut établir des exigences et des lignes directrices claires pour aider les exploitants de navires et les inspecteurs de TC à mettre en œuvre et à surveiller de tels processus.

Par conséquent, le Bureau recommande que :

Le ministère des Transports exige que les exploitants de navires à passagers commerciaux adoptent des processus explicites de gestion des risques et qu'il élabore des lignes directrices exhaustives pour aider les exploitants de navires et les inspecteurs de Transports Canada à mettre en œuvre et à surveiller ces processus.
Recommandation M17-02 du BST

4.2.2 Signalisation automatique de détresse

Dans une situation d'urgence où il y a chavirement ou naufrage rapide d'un navire, la survie des passagers et de l'équipage dépend souvent de la transmission d'un signal de détresse aux ressources de recherche et sauvetage. Même si les navires à passagers doivent transporter de l'équipement de signalisation de détresse, comme des émetteurs-récepteurs radio à très haute fréquence (VHF), des radiotéléphones VHF avec système d'appel sélectif numérique (ASN) et des signaux pyrotechniques, cet équipement exige qu'un membre de l'équipage intervienne manuellement pour lancer un signal de détresse.

Comme des enquêtes précédentes l'ont démontré, les membres de l'équipage peuvent être incapables de lancer manuellement un signal de détresse dans une situation d'urgence, et ce, pour diverses raisons :

En raison de ces lacunes, certains navires doivent transporter une radiobalise de localisation des sinistres (RLS) qui se déclenche automatiquement lorsqu'elle est immergée dans l'eau et transmet un signal continu pour alerter les ressources de recherche et sauvetage. Une RLS programmée et enregistrée transmet aux ressources de recherche et sauvetage la position du navire et un identificateur qui offre de précieux renseignements sur le navire et son propriétaire au contrôleur de recherche et sauvetage. Pendant que les ressources de recherche et sauvetage se rendent au lieu de l'événement, la RLS continue de transmettre la position du navire, ce qui leur permet de se diriger vers l'emplacement exact du navire et réduit considérablement la durée des recherches et ainsi accroît les chances de survie. Il s'agit d'une fonction cruciale que n'offre pas l'équipement de signalisation de détresse à activation manuelle, comme les radiotéléphones VHF/ASN, lequel peut être hors de portée ou défectueux en cas de chavirement ou de naufrage d'un navire, empêchant l'équipage de transmettre de l'information sur la position du navire en temps réel aux ressources de recherche et sauvetage.

À l'heure actuelle, la réglementation canadienne n'exige pas que tous les navires à passagers soient dotés d'une RLS. Par exemple, un navire à passagers comme le Leviathan II qui est restreint à des voyages de cabotage de classe III Note de bas de page 82 n'a pas l'obligation de transporter une RLS. Seuls les navires qui effectuent des voyages dont la portée dépasse les limites des voyages de cabotage de classe III (c'est-à-dire à plus de 20 milles marins du littoral) doivent en transporter.

Le BST a précédemment émis 2 recommandations à la suite d'événements où des navires à passagers ont été incapables de transmettre un signal de détresse dans une situation d'urgence.

La première recommandation a été émise après l'événement ayant mis en cause le 25K6527 Note de bas de page 83, un navire affrété qui a chaviré après avoir été heurté par une grande vague déferlante près de la baie Barkley (Colombie-Britannique) pendant une excursion d'observation des baleines en avril 1992. Cet événement a causé 2 décès. Le navire n'a pas lancé d'appel de détresse, et les efforts de sauvetage n'ont commencé qu'une fois que l'entreprise a signalé le retard du navire. À la suite de cet événement, le Bureau a recommandé que :

Le ministère des Transports incite tous les exploitants de navires affrétés à munir leurs navires d'équipement de sauvetage, de communication en cas d'urgence et de signalisation convenant au type d'exploitation.
Recommandation M94-03 du BST

La seconde recommandation a été émise après l'événement où le navire à passagers True North II Note de bas de page 84 a été envahi par une série de vagues alors qu'il naviguait dans des eaux intérieures le 16 juin 2000. Le navire a pris l'eau, a été envahi par les hauts, puis a fait naufrage dans la baie Georgienne (Ontario), ce qui s'est traduit par 2 décès. Même si le navire était doté d'un radiotéléphone VHF, la rapidité du naufrage a empêché l'équipage de transmettre un signal de détresse. Les efforts de sauvetage n'ont commencé que lorsqu'un autre navire a signalé l'accident aux autorités de recherche et sauvetage. À la suite de cet événement, le Bureau a recommandé que :

Le ministère des Transports oblige les petits navires à passagers à faire des exposés sur la sécurité avant l'appareillage et oblige ces navires à être équipés d'un radeau de sauvetage pouvant être déployé rapidement et facilement, d'équipement de sauvetage rapidement et facilement accessible et de moyens permettant de signaler immédiatement une situation d'urgence.
Recommandation M01-03 du BST

TC a par la suite modifié la réglementation pour que tous les navires à passagers aient l'obligation de transporter un radiotéléphone VHF et que les navires transportant plus de 6 passagers hors des eaux abritées aient l'obligation de transporter un radiotéléphone VHF avec système d'appel sélectif numérique. Le Bureau a jugé que les réponses à ces 2 recommandations étaient entièrement satisfaisantes Note de bas de page 85.

Dans le Rapport du vérificateur général du Canada du printemps 2013, on indique que les radiobalises d'urgence facilitent l'identification du lieu d'un incident maritime et permettent aux équipes de recherche et sauvetage de trouver les survivants plus rapidement. Ce document comprenait donc la recommandation suivante Note de bas de page 86 :

Transports Canada devrait s'interroger sur le bien-fondé d'appliquer les exigences relatives aux balises de détresse numériques à des catégories supplémentaires de bateaux et d'avions.

De plus, les coroners ont recommandé l'installation de RLS à la suite des pertes de vie consécutives à l'envahissement par les eaux du navire à passagers Ocean Thunder Note de bas de page 87 et du bateau de pêche Brier Mist Note de bas de page 88. En dépit des recommandations des coroners, certains navires à passagers (ceux qui ne s'éloignent pas à plus de 20 milles marins du littoral) n'ont toujours pas l'obligation de transporter une RLS.

Dans le cas du Leviathan II, c'est principalement grâce à un concours de circonstances que l'équipage a pu récupérer une fusée qui flottait dans l'eau et l'utiliser pour lancer un signal de détresse qui a été aperçu par un bateau de pêche se trouvant dans les environs; autrement, il aurait pu y avoir plus de décès.

En plus de l'événement qui a mis en cause le Leviathan II, le BST a connaissance de 11 autres événements mortels Note de bas de page 89 au cours desquels un navire se trouvant à moins de 20 milles marins du littoral a été incapable de transmettre rapidement un signal de détresse. En conséquence, l'intervention de recherche et sauvetage a été retardée ou n'a pas été déclenchée.

À la réunion du Conseil consultatif maritime canadien d'avril 2016, TC a fait le point avec l'industrie sur le projet de Règlement sur la sécurité de la navigation qui devrait être parachevé en 2018. S'il entre en vigueur, ce règlement révisé consolidera le Règlement de 1999 sur les stations de navires (radio), notamment, et exigera que les navires de plus de 8 m de longueur, les navires transportant plus de 6 passagers et les remorqueurs soient dotés d'une RLS lorsqu'ils sont exploités hors des eaux abritées.

En attendant, les passagers qui voyagent à bord de navires non dotés d'une RLS sont toujours exposés à des risques supplémentaires, même lorsque les navires sont exploités à proximité du littoral; ils bénéficieraient de l'installation de dispositifs de signalisation de détresse pouvant s'activer sans intervention humaine à bord de navires. De plus, en cas de chavirement ou de naufrage, les passagers qui se retrouvent à l'eau ou dans une embarcation de sauvetage devraient avoir les moyens de continuellement transmettre leur position aux ressources de recherche et sauvetage, car le vent et le courant peuvent les faire dériver. Les modifications proposées par TC ne parent pas aux risques qu'encourent les navires à passagers de moins de 8 m transportant 6 passagers ou moins hors des eaux abritées, comme ceux de 2 événements Note de bas de page 90 au cours desquels aucun signal de détresse n'a été transmis.

Par conséquent, le Bureau recommande que :

Le ministère des Transports accélère l'application des modifications proposées au Règlement sur la sécurité de la navigation et élargisse ses exigences actuelles en matière de transport de radiobalise de localisation des sinistres (RLS) pour que tous les navires à passagers commerciaux exploités hors des eaux abritées transportent une RLS ou tout autre équipement approprié à dégagement hydrostatique qui se déclenche automatiquement, avertit les ressources de recherche et sauvetage, transmet sa position de manière continue et offre des capacités de localisation directionnelle.
Recommandation M17-03 du BST

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

Correction

Une phrase dans le 10eme paragraphe de la section 1.5 Déroulement du voyage a été modifié. Le texte dans le rapport initialement publié se lisait comme suit :

« L'autre matelot de pont a aidé un groupe de passagers dans l'eau, mais une autre grosse vague l'a séparé de ce groupe; il a alors nagé jusqu'au radeau de sauvetage et y est monté. »

Il se lit maintenant comme suit :

« L'autre matelot de pont a aidé un groupe de passagers dans l'eau, puis est monté dans le radeau de sauvetage. »

Le Bureau a autorisé cette correction le , et la version corrigée du rapport a été publiée le .

Annexes

Annexe A – Plan d'ensemble du Leviathan II

Source : Livret de stabilité du Leviathan II (avec modifications du BST).
DK = pont; ER = salle des machines; P = bâbord; S = tribord.
Annexe A – Plan d'ensemble du  <em>Leviathan II </em>

Annexe B – Lieu de l'événement

Annexe C – Position approximative des passagers et des membres d'équipage avant le chavirement

Remarque : La position du capitaine et des matelots de pont est indiquée par « M », « DH1 » et « DH2 ».
Source : Livret de stabilité du Leviathan II (position des passagers et de l'équipage ajoutée par le BST).
Annexe C – Position approximative des passagers et des membres d'équipage avant le chavirement

Annexe D – Plan de l'équipement de sauvetage

Source : Jamie's Whaling Station Ltd.
PAX = Passagers
Annexe D – Plan de l'équipement de sauvetage

Annexe E – Grille des risques

Gravité des conséquences Probabilité de conséquences malheureuses
(avec le temps)
Fréquente Probable À l'occasion Peu probable Fort peu probable
Catastrophique Élevée Élevée Élevée Modérée Faible à modérée
Grave Élevée Élevée Modérée à élevée Modérée Faible
Modéré Élevée Modérée Modérée Faible à modérée Faible
Négligeable Faible Faible Faible Faible Faible

Définitions relatives à la probabilité d'une conséquence malheureuse :

Définitions relatives à la gravité des conséquences malheureuses :

Source : Bureau de la sécurité des transports du Canada, Manuel de référence MIES – Marine (août 2014).

MIES = Méthodologie intégrée d'enquête de sécurité