Rapport d'enquête maritime M16C0014

Défaillance mécanique et naufrage
Bateau de pêche Bessie E.
Port de Mamainse (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 16 février 2016, vers 20 h, heure normale de l'Est, le moteur du bateau de pêche Bessie E. est tombé en panne au retour vers le port de Mamainse, lac Supérieur (Ontario) après une journée de pêche. Il y avait alors 5 personnes à bord. Pendant que l'on s'efforçait de redémarrer le moteur, le bateau a dérivé à l'extérieur du port et s'est rapproché de la rive. Il a touché le fond et les vents l'ont poussé jusqu'à ce qu'il soit parallèle à la rive rocheuse. Toutes les personnes à bord ont quitté le bateau, qui a chaviré et coulé peu après. Le bateau a été déclaré perte réputée totale.

    Renseignements de base

    Fiche technique du navire

    Tableau 1. Fiche technique du navire
    Nom du navire Bessie E
    Numéro officiel 188237
    Port d'immatriculation Port Dover (ON)
    Pavillon Canadien
    Type Pêche
    Jauge brute 12,66
    Longueur hors tout 13,78 m
    Tirant d'eau au moment de l'événement 1,06 m
    Construction 1957, Dunnville (ON)
    Propulsion 1 moteur diesel (125 BHP) entraînant une seule hélice à pas fixe
    Cargaison 1000 kg de grand corégone
    Équipage 5
    Propriétaire enregistré Propriétaire privé, Batchawana Bay (ON)

    Description du navire

    Le Bessie E (figure 1) était un remorqueur de pêche exploité pour la pêche commerciale sur les Grands Lacs. De conception typique à sa classe, il était pourvu d'une coque à bouchain unique en acier soudé et d'une superstructure en partie fermée allant de la proue à la poupe. La superstructure comptait 5 portes : 2 à l'avant et à l'arrière (1 de chaque côté dans les 2 cas), et 1 grande porte à la poupe. Le pont principal était en acier et la coque n'était pas compartimentée. Le bateau était également équipé de 2 ancres à commande manuelle.

    Figure 1. Bessie E
    Image
    Bateau de pêche Bessie E.

    La timonerie était située proche du milieu du navire. On ne pouvait y accéder que par une porte située à bâbord à l'intérieur de la superstructure. Le matériel de navigation et de communication, installé dans la partie avant de la timonerie, comprenait : 2 systèmes de localisation GPS, 1 compas magnétique, 1 radar, 1 échosondeur et 2 radiotéléphones à très haute fréquence (VHF), dont 1 avec appel sélectif numérique (ASN). Ce dernier n'était pas enregistré auprès d'Innovation, Sciences et Développement économique Canada pour les opérations de recherche et sauvetageNote de bas de page 1. Le feu de côté et l'écran de bâbord étaient peints en rouge et ceux de tribord en vertNote de bas de page 2.

    Le moteur principal se trouvait directement sous la timonerie et sa porte d'accès était située à côté de celle de la timonerie. Le bateau comptait 4 réservoirs de carburant, 2 de chaque côté du moteur. Ils assuraient l'alimentation du moteur principal et du groupe électrogène à travers un filtre principal muni d'un séparateur d'eau. Le groupe électrogène, qui fournissait l'électricité nécessaire au bateau, se trouvait à l'arrière, côté bâbord.

    Le Bessie E. comptait 1 embarcation de sauvetageNote de bas de page 3 manœuvrable à la rame, 2 bouées de sauvetage munies de cordages, 6 fusées éclairantes, 8 vêtements de flottaison individuels (VFI)Note de bas de page 4, 3 combinaisons de protection contre les éléments, 1 radiobalise de localisation des sinistres (RLS)Note de bas de page 5 qui n'était pas enregistréeNote de bas de page 6, 3 extincteurs, 1 pompe de lavage de pont motorisée et 1 pompe d'incendie portative à essence.

    Déroulement du voyage

    Le 16 février 2016, vers 7 hNote de bas de page 7, le Bessie E a quitté le port de Mamainse (Ontario) (annexe A) pour la dernière journée de la saison de pêche. Le capitaine et 4 membres d'équipage étaient à bord. Le capitaine avait prévu de relever des filets maillantsNote de bas de page 8 qui avaient été posés, quelques jours auparavant, à environ 15 milles marins (nm) au nord de Mamainse, puis de désarmer le Bessie E jusqu'à la prochaine saison de pêcheNote de bas de page 9. Il avait surveillé les prévisions météorologiques maritimes par radio VHF pendant les journées antérieures à l'événement à l'étude et différé le départ jusqu'à ce que les conditions soient favorablesNote de bas de page 10. Au moment du départ, des vents de terre soufflaient et il y avait un minimum de glace dans le port.

    Vers 16 h, une fois les filets remontés et environ 1000 kg de poisson embarqués, le bateau s'est dirigé vers Mamainse. Il est parvenu au port environ 1 heure plus tard. Les vents avaient changé de direction et soufflaient du nord; ils avaient poussé les glaces en une banquise qui comblait le port au point d'empêcher le bateau de rejoindre le mouillage.

    Après avoir tenté d'accéder au mouillage pendant environ 3 heures, le bateau ne pouvait plus avancer vers le port. Le moteur ayant commencé à chauffer, le capitaine l'a arrêté. Il est allé dans la salle des machines, a ajouté de l'eau dans le circuit de refroidissement du moteur, puis a redémarré ce dernier. Il a également ordonné à l'équipage de déplacer les bacs contenant la prise du jour vers la poupe afin que le bateau s'enfonce de l'arrière et que l'hélice descende plus profondément dans l'eau, sous la glace. Le capitaine a réussi à faire virer le bateau vers les eaux libres. Il a ensuite appelé le capitaine du port par téléphone satellite pour demander conseil. Ce dernier lui a recommandé de sortir le bateau des glaces et de se diriger vers un autre port, plus loin au nord, où il serait en sécurité jusqu'au dégagement des glaces.

    Le capitaine avait manœuvré le bateau en direction du lac, mais n'avait pas encore quitté les glaces lorsque la houle a grossi et que le bateau a commencé à roulerNote de bas de page 11. Le moteur s'est arrêté et le capitaine a tenté de le redémarrer, mais sans succès. Il s'est alors rendu dans la salle des machines pour examiner le problème. Comme le navire avait des antécédents d'alimentation en carburant problématique, le capitaine a remplacé le filtre à carburant principal de la conduite principale d'alimentation, puis a essayé de redémarrer le moteur, mais en vain.

    Pour remédier à un possible bouchon d'airNote de bas de page 12 dans la conduite, ce qui s'était également déjà produit auparavant, le capitaine a purgé les conduites, remplacé les filtres carburant principal et secondaire du moteur, puis purgé de nouveau les conduites. Après avoir remplacé les filtres, le capitaine a réussi à redémarrer le moteur. Il s'était alors écoulé une heure et demie depuis la surchauffe et l'arrêt du moteur. Pendant que le capitaine était dans la salle des machines, un membre de l'équipage lui a dit, à un moment quelconque, que le bateau dérivait vers le port.

    Lorsque le capitaine est retourné sur la passerelle, le bateau avait dérivé vers le sud-ouest à l'extérieur du port et se trouvait à proximité de la rive. Une fois le moteur redémarré et la position du bateau déterminée (à proximité de la rive dans des eaux peu profondes), le bateau avançait, mais a presque immédiatement touché le fond. Le capitaine n'était plus en mesure de le manœuvrer : la poupe touchait le fond et les vents le poussaient plus près de la rive jusqu'à le placer parallèlement à cette dernière.

    Dans cette position, le bateau a roulé et commencé à se fracasser sur les rochers. Sans revêtir de vêtement de flottaison ou émettre un appel de détresse, les membres de l'équipage ont quitté le bateau, en sautant à terre lorsque le roulis abaissait le côté du bateau qui faisait face à la rive. Peu après que le capitaine ait sauté à terre, le bateau a chaviré. Les membres de l'équipage ont ensuite marché vers le port de Mamainse qu'ils ont traversé en marchant sur la glace. Environ 1 heure après, ils ont atteint l'usine de transformation du poisson, sur la terre ferme, où ils ont trouvé abri et secours. Le lendemain, seule une petite partie de la coque était visible. Le centre conjoint de coordination de sauvetage n'a reçu aucun signal RLS. Le bateau a été déclaré perte réputée totaleNote de bas de page 13.

    Conditions météorologiques

    Le jour de l'événement, les vents soufflaient du sud-ouest à 10 nœuds, puis ont tourné et soufflaient du nord à 25 nœuds en fin d'après-midi. Les conditions météorologiques enregistrées à Caribou Island (Ontario)Note de bas de page 14 étaient les suivantes : vents du nord-est à 10 nœuds augmentant à 20 nœuds entre 16 h et 21 h; température moyenne de -2,5 °C et de -8,0 °C en tenant compte du refroidissement éolien moyen.

    Du 14 au 16 février, soit les 2 jours avant l'événement à l'étude et le jour de ce dernier, l'est du lac Supérieur, où se trouvent le port de Mamainse et les lieux de pêche du Bessie E, était en eaux libres à l'exception de la partie sud-est où l'on a observé une concentration de glace totale de 9/10. Les conditions suivantes étaient également précisées : glace de lac moyenne composée de floes moyens d'une concentration de 2/10, glace de lac mince composée de petits floes d'une concentration de 4/10 à 8/10 et nouvelle glace de lac composée de floes de taille indéterminée d'une concentration de 1/10 à 5/10Note de bas de page 15.

    La bouée de système d'acquisition de données océaniques située à l'est du lac Supérieur ayant été retirée pour l'hiver, la hauteur réelle des vagues le jour de l'événement à l'étude n'était pas disponible. Selon les prévisions, elle devait être inférieure ou égale à 0,5 m, puis s'élever à 1 m vers midi et à 2 m en début de soirée.

    Pêche commerciale en Ontario

    Présentation

    La pêche commerciale en Ontario est l'une des activités économiques de pêche en eau douce les plus lucratives en Amérique du Nord. Elle génère une activité économique de 33 millions de dollars, dont le lac Érié est la source à hauteur de 80 %Note de bas de page 16. L'éventail des modes opératoires va de l'exploitant traditionnel de petite taille qui remonte les filets à la main à bord d'un bateau non ponté jusqu'aux grandes flottes de navires de pêche modernes. En Ontario, 457 bâtiments de pêche sont immatriculés auprès de Transports Canada (TC), mais on ne sait pas combien d'entre eux sont en activité.

    Première Nation de Batchewana

    Le capitaine et l'équipage du Bessie E appartenaient à la Première Nation de Batchewana qui, au moment de l'événement à l'étude, comptait environ 3500 personnes habitant dans 4 réserves. En vertu du traité Robinson‑Huron de 1850, la Première Nation de Batchewana préserve et revendique ses droits sur les ressources et sur le partage et la gestion de ces dernières au sein de son territoire traditionnel, pêche commerciale comprise. Il lui est accordé « de faire pleinement et librement la chasse sur le territoire maintenant cédé par eux et de pêche dans les eaux d'icelui, ainsi qu'ils ont eu jusqu'ici la coutume de le faire »Note de bas de page 17.

    En 2007, la Première Nation de Batchewana a créé un service des ressources naturelles ayant pour objectifs de gérer ces ressources de manière durable sur son territoire et de promouvoir le développement économique de la collectivité.

    Gestion des pêches

    Le service des ressources naturelles de la Première Nation de Batchewana a élaboré un plan de gestion durable des pêches. Ce dernier comprend des politiques et des règles sur la pêche commerciale, couvrant notamment, le système de déclaration mensuelle des prises, la surveillance, l'immatriculation des bateaux et les permis de pêche commerciale.

    À Batchewana, les pêcheurs sont tenus d'obtenir un permis délivré par le service des ressources naturelles de la Première Nation de Batchewana pour pouvoir pêcher. Le service délivre des permis de pêche sur le lac Supérieur à 5 à 8 remorqueurs de pêche et à 20 bateaux de pêche non pontés par an. Une fois le permis émis, les pêcheurs doivent exercer leurs activités sous la surveillance du service des ressources naturelles de la Première Nation de Batchewana.

    La plupart des autres Premières Nations de la zone des Grands Lacs effectuent leurs opérations de pêche en vertu d'un permis délivré par le ministère des Richesses naturelles et des Forêts de l'Ontario.

    Surveillance de la sécurité de la pêche

    Le service des ressources naturelles de la Première Nation de Batchewana a également mis en œuvre des règles de sécurité de la pêche, globalement inspirées de la réglementation de TC, et un processus de déclaration obligatoire des incidents, bien qu'aucune déclaration n'ait été reçue au cours des nombreuses années écoulées. Quant à la formation, la Première Nation de Batchewana n'en impose pas de particulière aux pêcheurs. Le transfert des connaissances et des compétences d'une génération à la suivante est la pratique courante acceptée.

    La Loi sur la santé et la sécurité au travail de l'Ontario s'applique aux travailleurs de la province, dont les pêcheurs, qui ne sont pas visés par le Code canadien du travailNote de bas de page 18.

    Selon les autorités fédérales, tous les bâtiments et équipages de pêche au Canada doivent être conformes à la Loi de 2001 sur la marine marchande du CanadaNote de bas de page 19 (L.C. 2001, ch. 26) (la Loi) et à sa réglementation applicable, comme le Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche et le Règlement sur le personnel maritime. La Loi énonce clairement les responsabilités relatives à la sécurité qui incombent au représentant autoriséNote de bas de page 20, au capitaine et à l'équipage d'un navire. Les capitaines de navire de pêche sont, depuis toujours, les ultimes responsables de leur propre sécurité, ainsi que de celle du navire et de l'équipage.

    Certification du navire

    Le Bessie E a été immatriculéNote de bas de page 21 au Canada en 1957. Cette immatriculation a été dûment maintenue jusqu'au changement de propriété survenu en novembre 2015. En tant que bateau de pêche d'une jauge brute d'au plus 15, le Bessie E était assujetti à la partie II du Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche, qui définit les exigences en matière d'équipement de sauvetage, de feux et de signaux, de matériel d'extinction d'incendie et de précautions contre les incendies. Comme c'était un petit bateau de pêche, il n'était pas obligatoire de le soumettre aux inspections périodiques de TC. Il n'y avait pas de licence de station radio pour le bateau et la réglementation ne l'exigeait pas.

    Certification du personnel

    Le capitaine avait 23 ans d'expérience de la pêche à bord du Bessie E. et c'était sa première saison en qualité de capitaine. TC ne détient aucun dossier indiquant que le capitaine ait été titulaire d'un brevet ou d'un certificat de compétence maritime comme le requiert la réglementation depuis le 7 novembre 2010Note de bas de page 22. L'enquête n'a pas non plus permis de confirmer que le capitaine était titulaire, au moment de l'événement, du certificat de formation sur les fonctions d'urgence en mer requis ou du certificat restreint d'opérateur radio (compétence maritime) requisNote de bas de page 23. Il n'avait pas suivi de formation officielle en sécurité maritime ou en sécurité de la pêche et aucune n'était facilement accessible. Il n'avait en outre jamais effectué d'exercices d'urgence avec l'équipage. L'enquête a révélé que le capitaine ne savait pas que le Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche s'appliquait au Bessie E. au moment de l'événement.

    La plupart des membres de l'équipage avaient travaillé régulièrement à bord du Bessie E au cours des 20 dernières années.

    Distribution et entreposage du carburant

    Aucun distributeur de carburant n'approvisionnait le port de Mamainse. Ce sont les pêcheurs qui transportaient le carburant de Sault Ste. Marie à Mamainse dans des conteneurs portatifs, puis le transvasaient dans les réservoirs des navires. En procédant ainsi, il y avait risque de contamination du carburant par de l'eau et des particules et (ou) de la prolifération microbienne.

    Pour que l'on puisse les isoler, la sortie de carburant de chaque réservoir du Bessie E était munie d'un robinet d'arrêt. Au moment de l'événement à l'étude, seuls les 2 réservoirs de bâbord étaient en service; les réservoirs de tribord étaient vides et leurs robinets fermés, et ne pouvaient pas alimenter le moteur. Les réservoirs en service alimentaient le moteur principal et du groupe électrogène à travers un filtre principal muni d'un séparateur d'eau installé sur la conduite de carburant.

    En outre, les filtres carburant principal et secondaire d'origine étaient montés sur le moteur principal, et le moteur était muni d'une petite pompe à carburant à main; cette dernière pouvait servir à purger le circuit de carburant de tout air résiduel susceptible d'empêcher le circuit de fonctionner correctement.

    Avant l'événement à l'étude, des problèmes s'étaient manifestés au niveau du circuit d'alimentation en carburant. À chaque fois, le propriétaire du bateau avait effectué les réparations, mais ni ces dernières ni les problèmes éprouvés n'étaient documentés. Les filtres à carburant avaient été remplacés en octobre et en décembre 2015 ainsi que la veille de l'événement à l'étude. En général, on recommande de remplacer les filtres à carburant des moteurs diesel marins à peu près toutes les 200 heures. Des bouchons d'air s'étaient également produits dans les conduites d'alimentation.

    Trois ou 4 ans avant l'événement à l'étude, le Bessie E. s'était échoué à cause d'un problème de moteur similaire à celui de l'événement à l'étude. Les dommages avaient été considérables. Le circuit d'alimentation en carburant avait été remis à neuf et muni d'un filtre supplémentaire et d'une poire d'amorçage en caoutchouc installée sur les conduites entre les réservoirs et le moteur. Toutefois, les réservoirs n'ont jamais été vidés à fond ni nettoyésNote de bas de page 24. Comme ils n'avaient ni robinet ni bouchon de vidange et qu'il n'y avait aucun accès qui aurait pu permettre à un membre de l'équipage de les nettoyer, il était impossible d'effectuer ces opérations.

    Réglementation et normes sur l'installation des circuits de carburant

    De nombreuses normes, faciles à obtenir, sont à la disposition des propriétaires de navires. Elles indiquent la marche à suivre pour que les machines installées à bord fonctionnent comme prévu.

    Le Règlement sur les machines de navires régit l'installation des circuits de carburant et comprend des mesures afin d'assurer la sécurité d'exploitation des navires. On y prescrit que ces circuits doivent être installés de manière à empêcher toute fuite, surpression ou surchauffe du carburant.

    Des organisations comme l'American Boat and Yacht Council fournissent des normes de conception, de choix de matériaux, de construction, d'installation, de réparation et d'entretien pour les circuits d'alimentation en carburant des moteurs diesel. Par exemple, la norme ABYC H-33 stipule que tout réservoir métallique doit être installé de façon à permettre la vidange de l'eau accumulée provenant des surfaces du réservoir lorsque le navire est à flot en position statiqueNote de bas de page 25.

    Les constructeurs de moteurs sont également une source d'information fiable pour les propriétaires et exploitants de navires. En effet, ils fournissent des manuels d'installation complets qui détaillent, entre autres, l'alignement de la ligne d'arbres de transmission, les instruments et systèmes de surveillance, le refroidissement, la lubrification et le carburant. Ils expliquent également l'importance de la propreté du carburant; de la conception et des matériaux des réservoirs (y compris du dispositif de vidange et du moyen d'accès pour les nettoyer); des dimensions, du cheminement et des matériaux des conduites d'alimentation en carburant; des types de filtres à utiliser en fonction du carburant; des propriétés du carburant et des effets nuisibles de l'eau et des sédiments sur le carburant. Ils précisent aussi les précautions à prendre lors du remplacement des filtres.

    Enquête sur les questions de sécurité relatives à l'industrie de la pêche au Canada

    Le rapport d'Enquête sur les questions de sécurité relatives à l'industrie de la pêche au Canada (SII), réalisé par le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) et publié en juin 2012, donne une vue d'ensemble sur les questions de sécurité qui existent au pays dans cette industrie et révèle la complexité de la relation et de l'interdépendance existant entre ces questions. Le rapport souligne la variabilité des attitudes et des comportements à l'égard de la sécurité dans le milieu de la pêche canadien. Le rapport conclut également qu'en raison de la complexité et de la diversité du milieu de la pêche, aucun individu, groupe ou gouvernement ne peut à lui seul traiter toutes ces questions de sécurité ou relever les défis qui découlent de leur interdépendance. Le Bureau a soulevé les importantes questions de sécurité suivantes qui méritent une attention particulière : la stabilité, la gestion des ressources halieutiques, les engins de sauvetage, la formation, l'information sur la sécurité, le coût de la sécurité, les pratiques de travail sécuritaires, l'approche réglementaire de la sécurité, la fatigue et les données statistiques de l'industrie de la pêcheNote de bas de page 26.

    Recommandations en suspens

    Le 20 septembre 1999, le Bureau a émis la recommandation M99-02 en conclusion de l'enquête menée sur la blessure grave subie par un membre d'équipage le 8 octobre 1996. Pendant que le petit bateau de pêche S.S. Brothers rentrait une drague à pétoncles au large de Yarmouth (Nouvelle-Écosse), un membre de l'équipage a tenté d'enjamber le treuil laissé sans surveillance et il est tombé; sa jambe droite est restée coincée entre le câble et le tambour.

    L'enquête a révélé que la sécurité d'exploitation globale d'un navire est régie par des règlements fédéraux et provinciaux et qu'il incombe aux gouvernements provinciaux de veiller à ce que les « activités de pêche » se déroulent de manière sécuritaire.

    Le Bureau s'est également inquiété de la complexité de la législation qui, pouvant être difficile à comprendre, peut empêcher les pêcheurs de s'y conformer efficacement (rapport d'enquête maritime M96M0144 du BST). Par conséquent, le Bureau a recommandé que :

    Les provinces révisent leur réglementation sur la sécurité au travail pour que les personnes concernées aient plus de facilité à la comprendre, dans l'espoir de s'assurer que les mécanismes de mise en application ainsi que les règlements soient complémentaires.
    Recommandation M99-02 du BST

    En février 2000, le ministre du Travail de l'Ontario a répondu qu'il « transmettrait la recommandation M99-02 au personnel concerné de son ministère aux fins d'examen ». En mars 2000, le Bureau a réévalué les réponses des provinces à la recommandation M99-02 et estimé qu'elles dénotaient une intention satisfaisanteNote de bas de page 27. À la suite de cette évaluation, le dossier a été classé inactif.

    Le 1er avril 2015, le Bureau a réactivé le dossier, réévalué les réponses à la recommandation et demandé à toutes les provinces de faire le point sur la question. En février 2015, le ministère du Travail de l'Ontario a répondu que la Loi sur la santé et sécurité au travail de l'Ontario s'appliquait aux travailleurs de la province, dont les pêcheurs, qui ne relèvent pas du Code canadien du travail. Le ministère a fait le point sur la législation de l'Ontario concernant la sécurité au travail et son application aux pêcheurs et aux bateaux de pêche. Il a déclaré que des mesures avaient été prises pour faciliter la compréhension de la réglementation, en rendant notamment disponibles des documents d'orientation sur la conformité rédigés avec clarté et simplicité.

    En octobre 2016, le Bureau a réévalué les réponses des provinces à la recommandation M99-02 et estimé qu'elles dénotaient une attention en partie satisfaisanteNote de bas de page 28. Le dossier est toujours actif.

    Surveillance de la sécurité de la pêche

    La surveillance de la sécurité de la pêche commerciale relève de la responsabilité partagée et complémentaire des autorités fédérales et provinciales ainsi que des intervenants de l'industrie de la pêche. Pour améliorer la sécurité de la pêche, les efforts déployés doivent se fonder sur la collaboration et la participation des pêcheurs eux-mêmes.

    Autorités fédérales

    TC est le ministère fédéral exerçant l'autorité réglementaire en transport maritime. Le ministère régule ce dernier en établissant des programmes de sécurité maritime et des normes sur l'équipage, l'immatriculation et l'inspection des navires. Parmi ses principales responsabilités, on retrouve :

    • la réglementation, qui inclut l'élaboration des règlements et des normes relatives aux navires et aux équipages conformément aux lois et politiques fédérales;
    • la surveillance, qui comprend l'émission de brevets, de certificats; d'immatriculations et de permis; les vérifications, les inspections et le contrôle; ainsi que la mise en application des règlements et des normes;
    • la diffusion, qui englobe la promotion de la sécurité et de la sûreté, ainsi que l'éducation du public et les démarches pour augmenter sa conscientisation en la matière.

    En Ontario, TC exécute ses programmes à partir des bureaux régionaux de Sarnia, de Thunder Bay, de Kingston, de Toronto et de St. Catharines. Actuellement, TC inspecte 76 bâtiments de pêcheNote de bas de page 29 immatriculésNote de bas de page 30 en Ontario. La Première Nation de Batchewana est assujettie aux règlements fédéraux sur la sécurité maritime. Toutefois, les inspections périodiques obligatoires de TC ne s'appliquent qu'aux bateaux de pêche d'une jauge brute de plus de 15. Les bateaux de pêche dont la jauge brute est de moins de 15 ne sont pas tenus de subir ces inspections; TC mène toutefois des inspections de surveillance en fonction du risque sur ce type de navire. Les tentatives de TC de mener des telles inspections sur des bateaux de la Première Nation de Batchewana n'ont pas été bien reçues. Par conséquent, les programmes de TC ne sont actuellement pas appliqués à leurs bateaux ou à leurs pêcheurs.

    Autorités provinciales

    Le SII a permis d'examiner les diverses structures de gouvernance en place au niveau provincial qui permettent de surveiller la sécurité dans l'industrie de la pêche. Au Canada, la compétence des provinces en matière de réglementation de certains aspects de la pêche commerciale, y compris ceux liés aux relations de travail, à la sécurité au travail et à l'indemnisation des accidentés du travail, a été reconnue par les tribunaux fédéraux et provinciaux. Les tribunaux du Canada ont décidé que les provinces avaient compétence sur certains aspects de la sécurité de la pêcheNote de bas de page 31.

    Les dispositions législatives provinciales varient en ce qui concerne ces questions, certaines provinces ayant recours à une approche plus proactive et plus globale que d'autres. En plus de leur législation sur la santé et la sécurité au travail et de leurs règlements relatifs aux activités de pêche, la Colombie-Britannique et Terre-Neuve-et-Labrador réglementent également le milieu de travail propre à la pêche. Alors que les provinces de Nouvelle-Écosse et du Québec ne réglementent pas le milieu de travail propre à la pêche, leur législation sur la santé et la sécurité au travail et leurs règlements s'appliquent aux activités et aux bâtiments de pêche.

    En Ontario, le ministère du Travail élabore, communique et met en application les normes relatives au milieu de travail, et il est responsable de la majorité des mesures de prévention d'accidents et d'incidents de l'industrie de la pêche de la province. La Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) est chargée du programme d'indemnisation des accidentés du travail. Selon la réponse du ministère à la recommandation M99-02 du BST, la Loi sur la santé et sécurité au travail de l'Ontario s'applique aux travailleurs de la province, dont les pêcheurs, qui ne relèvent pas du Code canadien du travail.

    Toutefois, l'enquête a permis de soulever des doutes quant à la manière dont le ministère du Travail applique la Loi sur la santé et sécurité au travail de l'Ontario aux bâtiments de pêche. Le ministère du Travail définit les pêcheurs comme des travailleurs se livrant à des activités d'aquaculture commerciale; par conséquent, les pêcheurs qui travaillent dans le secteur de la pêche commerciale en eau douce en Ontario, à qui cette définition ne s'appliquent pas, pourraient ne pas relever de sa compétence. Les principaux moyens d'éducation et de conscientisation à la sécurité du ministère du Travail passent par 4 associations de santé et sécurité représentant chacune plusieurs secteurs industriels provinciaux. L'industrie de la pêche n'en fait pas partie.

    Bien que la CSPAAT gère un programme d'indemnisation des accidentés du travail obligatoire pour tous les pêcheurs de l'Ontario, qui, par définition, sont considérés comme des « travailleurs » au sens de la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l'assurance contre les accidents du travail, ses interventions dans le secteur de la pêche sont limitées. Un pêcheur considéré comme un exploitant indépendant ne serait pas couvert automatiquement, car il ne correspondrait pas à la définition d'un travailleur au sens de la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l'assurance contre les accidents du travail de l'Ontario; cela signifie que pour bénéficier des garanties de la CSPAAT, il devrait se procurer une assurance facultative. Dans l'événement à l'étude, le capitaine n'était pas couvert par la CSPAAT, mais les membres de l'équipage l'étaient.

    Les commissions provinciales d'indemnisation en cas d'accident de travail peuvent contribuer à la promotion de la sécurité dans l'industrie de la pêche. Dans certaines provinces, ces commissions soutiennent activement une association vouée à la sécurité dirigée par l'industrie. Ces associations ont pour mandat d'améliorer la sécurité par l'entremise de l'éducation, de la recherche, de la promotion, de la communication et d'une conscientisation accrue. Il y a des associations vouées à la sécurité de la pêche en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve-et-Labrador qui partagent des programmes et des idées sur la sécurité. Par exemple, le programme Safest Catch de FishSafe, qui a été élaboré en Colombie-Britannique, s'est développé et a atteint la Nouvelle-Écosse, le Québec, l'Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick.

    Liste de surveillance du Bureau de la sécurité des transports

    La sécurité de la pêche commerciale restera sur la Liste de surveillance jusqu'à ce que :

    • de nouveaux règlements encadrant les navires de pêche commerciale de toutes tailles soient mis en œuvre;
    • des lignes directrices conviviales sur la stabilité des navires soient établies et appliquées afin de réduire les pratiques non sécuritaires;
    • il est prouvé qu'un changement de comportement s'opère parmi les pêcheurs en ce qui a trait à l'utilisation des vêtements de flottaison individuels, des RLS et des vêtements de survie, et que des évaluations des risques et des exercices de sécurité ont lieu à bord;
    • les autorités fédérales et provinciales, ainsi que les leaders du milieu de la pêche et les pêcheurs eux-mêmes, posent des gestes concertés et coordonnés en vue de mettre en place des initiatives solides dans les régions et de développer une saine culture de sécurité dans le milieu de la pêche.

    La Liste de surveillance du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) énumère les principaux enjeux de sécurité qu'il faut s'employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

    La sécurité de la pêche commerciale figure sur la Liste de surveillance 2016. Comme l'événement à l'étude l'a démontré, une collaboration accrue est nécessaire entre les gouvernements et les chefs de file du milieu de la pêche afin que les pêcheurs puissent effectivement travailler en toute sécurité. En outre, une surveillance de toutes les opérations de pêche commerciale augmenterait les chances que les lacunes de sécurité de ces opérations soient détectées. Finalement, il faudra en faire plus pour améliorer les réparations des circuits d'alimentation en carburant effectuées à bord des navires.

    Analyse

    Facteurs ayant conduit au contact avec le fond et au naufrage

    Comme le carburant était transporté jusqu'au Bessie E dans des conteneurs portatifs, puis transvasé dans les réservoirs, il risquait d'être contaminé par de l'eau, des particules, et de la prolifération microbienne. De ce fait, il est probable qu'au moment de l'événement à l'étude, les réservoirs à carburant à bord contenaient un dépôt important de sédiments. Cette hypothèse est également corroborée par le fait que le capitaine a été obligé de remplacer les filtres à carburant plus souvent que d'ordinaire au moment de l'événement. Le capitaine ne disposait d'aucun moyen de vidange ou de nettoyage des réservoirs qui aurait pu permettre de maîtriser le niveau de contamination.

    Le jour de l'événement à l'étude, les vents avaient forci et changé de direction, causant le blocage de l'entrée du chenal par des glaces. Lorsque le capitaine s'est vu dans l'incapacité d'atteindre le mouillage et qu'il a viré le bateau pour se diriger vers un autre port, la houle s'est creusée et le bateau a commencé à rouler. Il est probable que le roulis du bateau ait délogé les sédiments du fond des réservoirs, provoquant ainsi l'obstruction des filtres. Cela a restreint l'alimentation en carburant du moteur et permis à de l'air de pénétrer dans le circuit, provoquant au bout du compte une panne d'alimentation en carburant et l'arrêt du moteur. Lorsque le capitaine a ouvert le circuit pour remplacer les filtres, davantage d'air y a pénétré. Comme le circuit était difficile à purger, il a fallu plus de temps pour redémarrer le moteur.

    Pendant que le capitaine tentait de redémarrer le moteur dans la salle des machines, on n'a jeté aucune ancre et le bateau a dérivé. Personne n'était chargé de surveiller la position du bateau, bien qu'un membre de l'équipage ait à un certain moment averti le capitaine que le bateau dérivait vers le port. Toutefois, à ce moment-là, le bateau dérivait en fait à l'extérieur du port. Le capitaine a continué à travailler sur le moteur; lorsqu'il est retourné sur la passerelle après avoir redémarré le moteur, le bateau avait dérivé jusqu'à proximité de la rive.

    Une fois le moteur redémarré et la position du bateau déterminée (à proximité de la rive dans des eaux peu profondes), le bateau avançait, mais a presque immédiatement touché le fond. Le capitaine ne pouvait plus manœuvrer le bateau qui a terminé sa course, parallèlement à la rive en roulant fortement. Les membres de l'équipage n'ont pas revêtu de vêtement de flottaison individuel (VFI); toutefois, ils ont réussi à sauter à terre l'un après l'autre, en synchronisant leur saut avec le mouvement de roulis du bateau. Peu après que le capitaine ait sauté à terre, le bateau a chaviré et coulé.

    Réparation des circuits d'alimentation en carburant

    Une panne ou une défectuosité de machine constitue la cause la plus courante des accidents des bateaux de pêche. Entre 2013 et 2015, 1772 événements ont été signalés au Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST), dont 78 % peuvent être imputés à une panne de machine quelconque. Entre 2005 et 2015, la Garde côtière canadienne a documenté 5649 événements provoqués par une défectuosité de machineNote de bas de page 32. Les pannes de machine peuvent être causées par divers facteurs : piètre entretien, matériel désuet, exploitation inappropriée, vieillissement de l'équipement et manque d'automatisation. Les défaillances, pour la plupart, ne compromettent pas à elles seules la sécurité du navire, mais elles peuvent se révéler désastreuses lorsqu'elles se combinent à d'autres facteurs, comme des intempéries ou de forts courants.

    Dans l'événement à l'étude, le propriétaire effectuait les réparations du circuit d'alimentation en carburant de façon ponctuelle pour remédier aux pannes ou défaillances répétées. Par exemple, au lieu de déterminer la cause réelle de la présence régulière de bouchons d'air dans le circuit d'alimentation et de prendre des mesures correctives, le capitaine précédent avait installé une poire d'amorçage en caoutchouc qui permettait de purger la tuyauterie d'alimentation en carburant du moteur chaque fois que se produisait un bouchon d'air. L'installation de la poire d'amorçage n'empêchait pas le problème de se reproduire; elle permettait seulement de le gérer lorsqu'il se manifestait.

    La réparation inappropriée d'un équipement clé tel que le circuit d'alimentation en carburant risque de nuire à la sécurité du navire, de l'équipage et de l'environnement. En outre, il est risqué de procéder à des réparations d'urgence en mer, et ce, en raison des possibles conditions météorologiques défavorables, des mouvements prononcés du navire, de la nécessité de réparer rapidement, du manque d'outils appropriés et du manque de compétences de la personne qui effectue la réparation.

    En conséquence, si les réparations du circuit d'alimentation en carburant ne sont pas effectuées correctement et par une personne qualifiée, cela risque de nuire à la sécurité de l'équipage, du navire et de l'environnement.

    Surveillance de la sécurité de la pêche

    Le rapport d'Enquête sur les questions de sécurité relatives à l'industrie de la pêche au Canada mentionne le besoin pour les gouvernements provinciaux et les chefs de file du milieu de la pêche de collaborer à établir les structures d'une gouvernance régionale destinée à faire en sorte que les pêcheurs puissent effectivement travailler en toute sécurité.

    Partout au Canada, il y a actuellement un certain nombre d'initiatives coordonnées prometteuses qui visent à inculquer des pratiques de travail sécuritaires. Ces efforts coordonnés aident les pêcheurs à prendre conscience du fait que la sécurité fait partie intégrante des opérations de pêche.

    Autorités fédérales

    En raison de la taille du Bessie E, il n'était pas obligatoire de soumettre le bateau aux inspections périodiques de Transports Canada (TC) en vertu du Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche. Or, TC peut effectuer des inspections ponctuelles de tout bâtiment de pêche commerciale, y compris de ceux exploités en vertu d'un permis émis par la Première Nation de Batchewana. Toutefois, l'enquête a permis de constater que les autorités fédérales n'ont jamais pris de mesures pour que les bateaux de pêche de la Première Nation de Batchewana, exploités en vertu d'un permis, soient mis en conformité avec le règlement applicable, car des tentatives antérieures n'avaient pas été bien reçues par la Première Nation de Batchewana.

    L'enquête a permis d'établir les lacunes de sécurité d'importance cruciale suivantes :

    • On n'a pas pu confirmer que le capitaine était titulaire des brevets ou certificats de compétence maritime requis par le Règlement sur le personnel maritimeNote de bas de page 33.
    • La radiobalise de localisation des sinistres (RLS) et le radiotéléphone très haute fréquence avec appel sélectif numérique (VHF-ASN) n'étaient pas enregistrés comme le requièrent le Règlement sur l'équipement de sauvetage et le Règlement de 1999 sur les stations de navires (radio)Note de bas de page 34.
    • Certes, il y avait des VFI à bord, mais le Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche exige 1 gilet de sauvetageNote de bas de page 35 par personneNote de bas de page 36.
    • Les écrans des feux de côté de bâbord et de tribord n'étaient pas peints en noir mat conformément au Règlement sur les abordagesNote de bas de page 37.
    • Les matériaux utilisés pour ajouter la poire d'amorçage en caoutchouc étaient combustibles; cela n'était pas conforme au Règlement sur les machines de naviresNote de bas de page 38.

    Autorités provinciales

    Les tribunaux fédéraux et provinciaux ont indiqué qu'il incombait aux provinces d'assurer la surveillance réglementaire des « activités de pêche ». Toutefois, le ministère du Travail de l'Ontario applique la Loi sur la santé et sécurité au travail seulement aux bâtiments de pêche qui sont enregistrés auprès de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail et si les membres d'équipage correspondent à la définition de travailleur.

    Première Nation de Batchewana

    La Première Nation de Batchewana a tenté d'assurer elle-même la sécurité de ses bateaux en créant son propre service des ressources naturelles, qui a mis en œuvre des règles de sécurité de la pêche et un processus de déclaration obligatoire des incidents. Toutefois, aucune déclaration n'a été reçue au cours des nombreuses années qui ont précédé l'événement à l'étude. En outre, la Première Nation de Batchewana n'impose aucune formation particulière en sécurité.

    Coordination des initiatives de sécurité

    En Ontario, il n'y a pas, actuellement, d'initiatives coordonnées pour promouvoir des pratiques de travail sécuritaires auprès des pêcheurs, comme pourrait le faire, par exemple, une association vouée à la sécurité. Si les gouvernements et les chefs de file du milieu de la pêche ne collaborent pas pour faire en sorte que les pêcheurs puissent travailler en toute sécurité théoriquement et dans les faits, il est possible que ces derniers ne suivent pas de pratiques de travail sécuritaires.

    De plus, si l'on n'exerce aucune surveillance pour veiller à la mise en conformité réglementaire de toutes les opérations de pêche commerciale, des lacunes de sécurité risquent de passer inaperçues.

    Questions de sécurité dans l'industrie de la pêche

    Le SII répertorie les comportements qui influent sur la sécurité sous 10 importantes questions de sécurité et explique la complexité de leurs relations et de leurs interdépendances. Le SII analyse de façon plus poussée ces importantes questions de sécuritéNote de bas de page 39. Dans l'événement à l'étude, au moins 4 des 10 questions de sécurité importantes étaient présentes. Les pratiques et procédures suivantes liées aux questions de sécurité importantes définies dans le SII étaient évidentes dans l'événement à l'étude. 

    Engins de sauvetage

    Faits établis dans le cadre de l'enquête sur les questions de sécurité Lien avec l'événement à l'étude
    Les pêcheurs ne portent pas tous un VFI lorsqu'ils travaillent sur le pont. Aucun membre de l'équipage ne portait un VFI lorsqu'ils travaillaient sur le pont ni pendant l'évacuation du navire, en dépit du risque de tomber par-dessus bord.
    Les bateaux de pêche ne sont pas tous équipés d'une radiobalise de localisation des sinistres, malgré la recommandation M00-09 du BST. Bien qu'il y avait un EPIRB sur le navire, il n'était pas immatriculé et aucun signal n'a été reçu après que le navire a coulé.

    Approche réglementaire de la sécurité

    Faits établis dans le cadre de l'enquête sur les questions de sécurité Lien avec l'événement à l'étude
    Le milieu de la pêche est peu sensibilisé aux nouveaux règlements. Le Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche n'est pas nouveau et tous les pêcheurs doivent s'y conformer; cependant, l'enquête a établi que le capitaine du  Bessie E ne connaissait pas le règlement.

    Formation

    Faits établis dans le cadre de l'enquête sur les questions de sécurité Lien avec l'événement à l'étude
    Les avantages des exercices d'urgence périodiques, qui permettent d'abréger les délais de réaction et d'accroître la coordination au sein de l'équipe d'urgence, ne sont pas bien dégagés. Le capitaine du Bessie E n'effectuait jamais d'exercices d'urgence avec l'équipage.

    Pratiques de travail sécuritaires

    Faits établis dans le cadre de l'enquête sur les questions de sécurité Lien avec l'événement à l'étude
    Il n'y a pas suffisamment de formation ciblée et de formation pratique pour qu'on puisse enseigner et renforcer les pratiques de travail sécuritaires. Le transfert des connaissances et des compétences d'une génération à la suivante est la pratique courante acceptée chez la Première Nation de Batchewana. Cependant, cette méthode de formation n'a pas renforcé la pratique de travail sécuritaire d'effectuer les  exercices d'urgence.

    Interdépendance des questions de sécurité

    De nombreux facteurs intimement liés compromettent la sécurité des pêcheurs. Les questions de sécurité suivantes sont liées de manière complexe et ont contribué à l'événement :

    • formation de préparation aux situations d'urgence et exercices;
    • pratiques de travail non sécuritaires;
    • utilisation et disponibilité d'engins de sauvetage;
    • surveillance de la sécurité de la pêche.

    Les tentatives entreprises par le passé pour régler ces questions de sécurité au cas par cas n'ont pas produit les résultats escomptés, c'est-à-dire un environnement plus sûr pour les pêcheurs. Le SII souligne que, pour observer une amélioration réelle et durable en matière de sécurité de la pêche, les changements ne doivent pas seulement porter sur une des questions de sécurité liées à un accident, mais plutôt sur l'ensemble de ces questions, ce qui met en lumière le fait qu'il existe une relation complexe et une interdépendance entre celles-ci. L'élimination d'une seule situation non sécuritaire peut empêcher qu'un accident se produise, mais ne réduit que légèrement les risques que posent les autres.

    La sécurité des pêcheurs sera compromise tant que la relation complexe et l'interdépendance entre les questions de sécurité ne seront pas reconnues par le milieu de la pêche et que celui-ci n'adoptera pas les mesures nécessaires.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Le jour de l'événement, les vents avaient forci et changé de direction, poussant les glaces dans l'entrée du chenal, ce qui l'a bloquée; de ce fait, le Bessie E n'a pas pu rentrer au port.
    2. Après que le capitaine se soit vu dans l'incapacité d'atteindre son poste d'amarrage et qu'il ait viré le bateau dans l'intention de se diriger vers un autre port situé plus au nord, la houle s'est creusée et le bateau a commencé à rouler.
    3. Le moteur s'est arrêté, car le roulis du bateau provoqué par la houle a fort probablement délogé des sédiments dans les réservoirs à carburant. Les sédiments ont ensuite obstrué les filtres à carburant, ce qui a réduit l'alimentation en carburant du moteur.
    4. Il est probable que le carburant ait été contaminé par des sédiments, car les réservoirs du bateau n'étaient jamais vidangés ou nettoyés; aucun dispositif n'était prévu à cet effet.
    5. Le capitaine a remplacé le filtre principal de la conduite principale d'alimentation en carburant, puis a essayé de redémarrer le moteur, mais en vain. Le remplacement du filtre a provoqué un bouchon d'air dans le circuit d'alimentation en carburant du moteur, ce qui a retardé davantage le redémarrage de ce dernier.
    6. Pendant que le capitaine continuait à travailler dans la salle des machines pour redémarrer le moteur, le Bessie E a commencé à dériver vers la rive et des eaux peu profondes. Personne ne surveillait pas le bateau de façon constante et on n'avait pas jeté les ancres.
    7. Lorsque le capitaine est arrivé sur la passerelle après avoir réussi à redémarrer le moteur, le Bessie E était presque échoué. Le capitaine n'était plus en mesure de manœuvrer le bateau vers des eaux plus profondes, car la poupe touchait le fond.
    8. Les vents ont poussé le Bessie E jusqu'à ce qu'il soit parallèle à la rive rocheuse et roule fortement; les 5 membres d'équipage ont réussi à débarquer avant que le bateau ne chavire et ne coule.

    Faits établis quant aux risques

    1. Si les réparations du circuit d'alimentation en carburant ne sont pas effectuées correctement et par une personne qualifiée, cela risque de nuire à la sécurité de l'équipage, du navire et de l'environnement.
    2. Si les gouvernements et les chefs de file du milieu de la pêche ne collaborent pas pour faire en sorte que les pêcheurs puissent travailler en toute sécurité théoriquement et dans les faits, il est possible que ces derniers ne suivent pas de pratiques de travail sécuritaires.
    3. Si l'on n'exerce aucune surveillance pour veiller à la mise en conformité réglementaire de toutes les opérations de pêche commerciale, des lacunes de sécurité risquent de passer inaperçues.
    4. La sécurité des pêcheurs sera compromise tant que la relation complexe et l'interdépendance entre les questions de sécurité ne seront pas reconnues par le milieu de la pêche et que celui-ci n'adoptera pas les mesures nécessaires.

    Mesures de sécurité

    Mesures de sécurité prises

    Bureau de la sécurité des transports du Canada

    Le 16 mai 2017, le BST a envoyé l'avis de sécurité maritime 02/17 au ministre du Travail de l'Ontario. Cet avis expliquait que l'enquête avait permis de découvrir des lacunes de sécurité critiques sur le Bessie E, en contravention avec plusieurs règlements, et que le navire n'était pas soumis à une surveillance de sécurité appropriée. L'avis mentionnait également que l'enquête avait fait ressortir qu'en pratique, les pêcheurs de l'Ontario n'étaient pas tous assujettis à la Loi sur la santé et la sécurité au travail.

    Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

    Annexes

    Annexe A – Lieu de l'événement