Rapport d'enquête maritime M16C0036

Chavirement et naufrage
Remorqueur Ocean Uannaq
Pont Champlain, fleuve Saint-Laurent, Montréal (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 1er avril 2016, vers 16 h 23, heure avancée de l'Est, le remorqueur Ocean Uannaq a chaviré alors qu'il tentait, avec 2 autres remorqueurs, de déplacer un chaland vers le quai de travail de l'île des Sœurs durant la construction du nouveau pont Champlain sur le fleuve Saint-Laurent, au large de Montréal (Québec). Les 2 membres d'équipage à bord ont trouvé refuge sur un autre remorqueur qui se trouvait à côté de l'Ocean Uannaq. Le remorqueur Ocean Uannaq a par la suite coulé, à 18 h 50. Il n'y a eu aucun blessé ni aucune pollution. L'Ocean Uannaq a été renfloué le 28 mai 2016.

    1.0 Renseignements de base

    1.1 Fiches techniques des navires

    Tableau 1. Fiches techniques des navires
    Nom du navire Ocean Uannaq Blizzard Polaire Ocean Catatug 1 Chaland d'excavation
    Numéro officiel 832576 C23875QC 839530 17 chalands immatriculés attachés ensemble de façon temporaire
    Port d'immatriculation Québec (Québec) Québec (Québec) Québec (Québec) Québec (Québec)
    Pavillon Canadien Canadien Canadien Canadien
    Type Remorqueur Remorqueur/ bateau de travail Remorqueur Chaland
    Jauge brute 11,55 14,99 39,66 S.O.
    Longueur 9,6 m 11,30 m 15,80 m 38,7 m (longueur totale)
    Tirant d'eau au départ 1,4 m 1,9 m 1,2 m 2,7 m
    Construction 2008 2015 2015 2015
    Propulsion 2 moteurs diesel (574 kW) entraînant 2 hélices carénées à pas fixe 3 moteurs diesel (906 kW)
    entraînant 3 hélices carénées à pas fixe
    2 moteurs diesel (1067 kW) entraînant 2 hélices à pas fixe Non propulsé
    Équipage 2 2 2 5
    Propriétaire enregistré 8592802 Canada Inc. 9065-5283 Québec Inc. Travaux Maritimes Océan Inc. 8666164 Canada Inc.
    Affréteur/exploitant Signature sur le Saint-Laurent Signature sur le Saint-Laurent Signature sur le Saint-Laurent Signature sur le Saint-Laurent

    1.2 Description des navires

    1.2.1 Ocean Uannaq

    L'Ocean Uannaq était un remorqueur à coque d'acier ponté construit en 2008 (figure 1). Sous le pont principal ouvert, 3 cloisons transversales étanches divisaient la coque en 4 compartiments (à partir de la proue) : un coqueron avant, un espace de rangement qui abritait un réservoir de carburant, la salle des machines et le local de l'appareil à gouverner. Des écoutilles étanches au ras du pont extérieur permettaient l'accès à 3 des 4 compartiments, et une écoutille étanche aux intempéries située dans la timonerie donnait accès à la salle des machines.

    Figure 1. Ocean Uannaq (Source : Jean Hemond
    Image
    Remorqueur Ocean Uannaq

    La timonerie, légèrement surélevée au-dessus du pont principal, était pourvue d'une porte étanche faisant face à l'arrière. Cette porte demeurait normalement ouverte durant les opérations, et une hiloire surélevée d'environ 15 cm était installée sur le cadre de la porte. La timonerie comportait de nombreuses fenêtres grâce auxquelles il était possible d'avoir une visibilité de 360° autour du remorqueur. La timonerie était dotée de 2 transmetteurs d'ordres, 1 radar, 1 échosondeur, 1 appareil GPS (système mondial de positionnement) avec carte électronique et de 2 radiotéléphones très haute fréquence (VHF) avec système d'appel sélectif numérique. Deux radios VHF portatives, utilisées durant les opérations, étaient aussi à bord au moment de l'événement à l'étude, ainsi qu'une radio ultra-haute fréquence portative qui servait exclusivement aux communications avec le chaland.

    Le compartiment de rangement avant abritait un réservoir de carburant diesel de 1211 litres. Le remorqueur était propulsé par 2 moteurs à 6 cylindres qui entraînaient 2 hélices carénées à pas fixe En mode en avant toute, l'Ocean Uannaq atteignait une vitesse maximale de 10 nœuds. Une seule bitte d'amarrage était installée sur le pont avant. Une radiobalise de localisation des sinistres (RLS)Note de bas de page 1 de 406 mégahertz (MHz) avec largueur hydrostatique était installée sur le même mât que les feux de navigation et le radar au-dessus de la timonerie.

    1.2.2 Blizzard Polaire

     Le Blizzard Polaire est un remorqueur à coque d'acier ponté, équipé de 3 hélices, qui a été construit en 2015 (figure 2). Le pont de travail ouvert est situé juste à l'arrière de la timonerie. Sous le pont principal, 3 cloisons transversales étanches divisent la coque en 4 compartiments (à partir de la proue) : un espace mort, un espace de rangement, la salle des machines et le local de l'appareil à gouverner.

    Figure 2. Blizzard Polaire (Source : G.F.F.M. Leclerc)
    Image
    Remorqueur Blizzard Polaire

    La timonerie, légèrement surélevée au-dessus du pont principal, est pourvue d'une porte d'accès faisant face à l'arrière. La timonerie comprend les commandes du moteur, 1 radar, 1 appareil GPS, 1 radiotéléphone très haute fréquence (VHF) avec système d'appel sélectif numérique et 1 appareil électronique de visualisation des cartes marines. La timonerie comporte de nombreuses fenêtres grâce auxquelles il est possible d'avoir une visibilité de 360° autour du remorqueur. Deux grandes écoutilles de service au ras du pont principal, juste à l'arrière de la timonerie, permettent l'accès à la salle des machines. L'équipage entre et sort du compartiment de l'appareil à gouverner par une écoutille au ras du pont arrière à bâbord.

    1.2.3 Ocean Catatug 1

    L'Ocean Catatug 1 est un remorqueur à coque de style catamaran (c.-à-d. qu'il est muni de 2 coques reliées par une plateforme; figure 3). La partie avant de chacune des coques est renforcée et équipée de défenses pour faciliter les manœuvres de poussage (figure 4). Sous le pont principal, 4 cloisons transversales étanches divisent chacune des coques en 5 compartiments. Chacune des coques abrite une salle des machines accessible par des portes situées sur le pont principal.

    Figure 3. Ocean Catatug 1 (Source : Groupe Océan)
    Image
    Remorqueur Ocean Catatug 1
    Figure 4. Les deux coques du remorqueur Ocean Catatug 1 (Source : Groupe Océan)
    Image
    Les deux coques du remorqueur Ocean Catatug 1

    La timonerie, qui comprend le matériel de navigation et les commandes du navire, est située au sommet d'une tour à bâbord sur le remorqueur. On y accède par un escalier extérieur situé à l'arrière de la tour. Une grue hydraulique est située à tribord, face à la tour. Des treuils hydrauliques sont installés de chaque côté du pont principal arrière. Ces treuils sont équipés d'un câble métallique qui peut servir à arrimer le remorqueur à un chaland (figure 5).

    Figure 5. Chaland avec 3 pieux d'ancrage relevés au moment du blocage du pieu tribord arrière. L'ensemble des bâtiments est orienté vers le sud. Le quai de construction est à droite, c.-à-d. vers l'ouest. (Source : Signature sur le Saint-Laurent, rapport d'incident 6853 – schéma modifié par le BST)
    Image
    Chaland avec 3 pieux d'ancrage relevés au moment du blocage du pieu tribord arrière

    1.2.4 Chaland d'excavation

    Le chaland d'excavation est composé de 17 chalands en acier immatriculés séparémentNote de bas de page 2. Cet assemblage est rectangulaire et son pont est plat; il mesure 38,7 m de longueur, 19,5 m de largeur et 2,7 m de profondeur. La partie avant du pont comporte une ouverture rectangulaire de 12,8 m sur 12,7 m qui traverse la coque du chaland jusque dans l'eau. Cette ouverture permet d'exécuter des travaux d'excavation. La poupe comprend une encoche qui permet l'arrimage sécuritaire d'un remorqueur afin de faciliter le poussage.

    Le chaland est doté de 4 pieux d'ancrage qui permettent de l'ancrer à la position voulue au cours des travaux de construction (figure 6). Quatre treuils hydrauliques commandés par une petite excavatrice installée à bord permettaient de faire monter et descendre ces pieux d'ancrage, un à la fois ou par paires, en moins de 1 minute (les 2 pieux d'ancrage avant, les 2 pieux d'ancrage arrière ou 1 pieu d'ancrage avant et 1 pieu d'ancrage arrière diagonalement opposés, mais pas les 2 pieux d'ancrage du même côté). Les pieux d'ancrage peuvent servir à soulever le chaland et à en supporter entièrement (ou partiellement) le poids. Lorsque les 4 pieux d'ancrage sont enfoncés, des panneaux verticaux en acier (appelés déflecteurs) peuvent être abaissés sous le chaland pour dévier le courant de la zone d'excavation. Cela crée une zone de travail protégée pour les travaux de précision. Les déflecteurs sont relevés lorsque le chaland doit être déplacé.

    Figure 6. Vue du chaland d'excavation montrant les 4 pieux d'ancrage (Source : Groupe Océan)
    Image
    Vue du chaland d'excavation montrant les 4 pieux d'ancrage

    1.3 Conditions environnementales

    Le 1er avril 2016, le ciel était couvert, la visibilité était bonne et la température de l'air était de 11 °C. La température superficielle de l'eau du fleuve était de 5 °C. Un vent léger de l'ouest soufflait entre 5 et 10 nœuds.

    Il n'y a pas de courant de marée au pont Champlain. Il y a toutefois un courant de débordement vers le nord qui est, dans une certaine mesure, contrôlé par une série de barrages hydroélectriques (annexe A). Le 1er avril 2016, sur le chantier, le courant mesuré à chacun des 19 piliers du pont était de 5 à 6 nœuds (vitesse du courant de 2,6 à 3 m par seconde). La vitesse moyenne du courant en avril pour les 10 dernières années (mesurée chaque année selon une méthode similaire) était de 4,6 nœuds (2,4 m par seconde)Note de bas de page 3.

    1.4 Déroulement des manœuvres

    Toute la journée du 1er avril 2016, les remorqueurs Ocean Uannaq, Blizzard Polaire et Ocean Catatug 1 ont déplacé latéralementNote de bas de page 4 le chaland d'excavation vers de nouvelles zones du fond du fleuve pour des travaux d'excavation. Les 3 remorqueurs ont aussi déplacé d'autres chalands en suivant les directives du chef de chantier de construction maritime à terre, y compris un chaland à treuil de plus petite taille, avec tous les pieux d'ancrage relevés, à un site rapproché. Ce soir-là, le chaland d'excavation devait être déplacé au quai de travail de l'île des Sœurs pour des travaux de soudage.

    Durant les manœuvres, les communications se faisaient sur 4 fréquences radio différentes : 1 pour les communications entre les remorqueurs, 1 pour les communications entre l'Ocean Catatug 1 et le chaland, 1 pour les communications entre l'opérateur de l'excavatrice à bord du chaland et les ingénieurs à terre et 1 pour les communications entre les remorqueurs et le chef de chantier à terreNote de bas de page 5. Les conducteurs des navires surveillaient aussi la fréquence VHF des urgences maritimes et la fréquence normale du trafic maritime de la voie maritime du Saint-Laurent.

    À 16 hNote de bas de page 6, l'Ocean Catatug 1, avec à son bord le capitaine et 1 matelot de pont, était arrimé au chaland. Le capitaine de l'Ocean Catatug 1, qui dirigeait le déplacement, a demandé que l'Ocean Uannaq soit placé à bâbord de l'Ocean Catatug 1 et au Blizzard Polaire de se positionner à tribord. Le capitaine de l'Ocean Catatug 1 a demandé que les remorqueurs ne soient pas arrimés au chaland afin qu'ils puissent modifier librement leurs positions de poussage ou quitter rapidement la zone, si nécessaire.

    Vers 16 h 15, le capitaine de l'Ocean Catatug 1 a demandé que les déflecteurs du chaland soient relevés. Environ 1 minute plus tard, une fois les déflecteurs relevés, le capitaine a donné instruction de lever au maximum le pieu d'ancrage de tribord avant (en amont), puis de faire de même pour le pieu d'ancrage de bâbord avant. Vers 16 h 19, le capitaine de l'Ocean Catatug 1 a ordonné de lever le pieu d'ancrage de bâbord arrière, puis de faire de même pour le pieu d'ancrage de tribord arrière. Il a ensuite ordonné que l'Ocean Uannaq et le Blizzard Polaire commencent à pousser avec les manettes de puissance en position trois-quarts avant. L'Ocean Catatug 1 a aussi commencé à pousser au trois-quarts avant.

    Vers 16 h 22, alors que 3 des 4 pieux d'ancrage étaient levés au maximum, le pieu d'ancrage de tribord arrière était coincé dans son logement. Le chaland et l'Ocean Catatug 1, qui y était arrimé, ont commencé à pivoter en sens horaire autour du pieu d'ancrage coincé. Le capitaine de l'Ocean Catatug 1 a demandé au contremaître du chaland de baisser le pieu d'ancrage de bâbord avant (en amont) puis le pieu d'ancrage de tribord avant. Au même moment, il a demandé que le Blizzard Polaire pousse plus fort sur le coin tribord arrière du chaland. Le chaland et les 3 remorqueurs étaient alors perpendiculaires au courant et pointaient vers l'ouest. Le côté bâbord de l'Ocean Uannaq était exposé au courant de 6 nœuds, lequel avait éloigné le remorqueur de la poupe du chaland, de telle façon que le remorqueur ne pouvait plus pousser sur la poupe (figure 7).

    Figure 7. L'Ocean Uannaq perpendiculaire au courant (Source : Signature sur le Saint-Laurent, rapport d'incident 6853 – schéma modifié par le BST)
    Image
    Ocean Uannaq perpendiculaire au courant

    Le câble bâbordNote de bas de page 7 qui arrimait l'Ocean Catatug 1 au chaland poussait sur le tuyau d'échappement de tribord de l'Ocean Uannaq. Le capitaine de l'Ocean Uannaq a avancé les manettes de puissance en position en avant touteNote de bas de page 8 pour s'éloigner. Le capitaine de l'Ocean Catatug 1 a demandé que le Blizzard Polaire se rende du côté tribord avant du chaland pour pousser à partir de cette position, et que le pieu d'ancrage bâbord arrière soit abaissé (figure 8). Au même moment, l'Ocean Uannaq a gîté sur bâbord, et l'eau a commencé à envahir la hanche bâbord du navire.

    Figure 8. Vue d'ensemble du chavirement montrant la giration en sens horaire du chaland et les emplacements du personnel (Source : Signature sur le Saint-Laurent, rapport d'incident 6853 – schéma modifié par le BST)
    Image
    ue d'ensemble du chavirement montrant la giration en sens horaire du chaland et les emplacements du personnel

    Vers 16 h 23, moins de 1 minute après que le pieu d'ancrage de tribord arrière s'était coincé, l'Ocean Uannaq a chaviré sur bâbord; au même moment, les 2 capitaines qui se trouvaient à bord de l'Ocean Uannaq se sont précipités à bord de l'Ocean Catatug 1. Au moment du chavirement, tous les pieux d'ancrage du chaland avaient été descendus, le pivot du chaland avait été contré et le Blizzard Polaire était en position pour pousser sur le côté du chaland, près du pieu d'ancrage de tribord avant.

    Vers 16 h 30, le capitaine de l'Ocean Catatug 1 a informé le personnel à terre que l'Ocean Uannaq avait chaviré (figure 9) et que les équipages des remorqueurs et du chaland étaient en sécurité. Des employés des entreprises en cause ont été transportés à bord du chaland par un autre navire. Ensemble, ils ont décidé que le remorqueur chaviré serait remorqué à terre, à environ 0,5 nm. L'équipage a soudé un anneau en acier sur la quille de l'Ocean Uannaq et a amarré le remorqueur chaviré au chaland avec des câbles.

    Figure 9. Photo de l'Ocean Uannaq après le chavirement, prise de l'arrière de l'Ocean Catatug 1. Tous les navires sont alors orientés vers l'ouest après une rotation en sens horaire d'environ 90° depuis leur orientation initiale vers le sud. (Source : Signature sur le Saint-Laurent)
    Image
    de l'Ocean Uannaq après le chavirement, prise de l'arrière de l'Ocean Catatug 1

    Vers 18 h 50, le capitaine de l'Ocean Catatug 1 a détaché son remorqueur du chaland et a manœuvré son navire hors de l'encoche du chaland. Lorsque l'Ocean Catatug 1 a été détaché et s'est éloigné, les câbles qui retenaient l'Ocean Uannaq chaviré se sont rompus et le remorqueur a coulé par 45°28.20' N et 073°31.47' W dans 5,2 m d'eau.

    La RLS de l'Ocean Uannaq s'est dégagée du navire et a transmis un signal radio comme prévu. Elle n'était toutefois pas enregistrée pour l'Ocean Uannaq. Par conséquent, les employés des Services de communications et de trafic maritimes de la Garde côtière canadienne ne savaient pas quel navire transmettait un signal de détresse. La Garde côtière canadienne a récupéré la radiobalise à proximité de l'endroit où le remorqueur a chaviré et coulé, et on a confirmé qu'elle appartenait à l'Ocean Uannaq.

    1.5 Inspection du navire après l'événement

    Le 27 mai 2016, des plongeurs ont examiné l'Ocean Uannaq et ont constaté que les volets d'aération et les évents à col de cygne de tous les réservoirs et compartiments étaient ouverts. Le lendemain, l'Ocean Uannaq a été redressé sur le fond du fleuve, puis renfloué sur le chantier où les enquêteurs du BST l'ont examiné (figure 10).

    Figure 10. Le remorqueur Ocean Uannaq soulevé de l'eau
    Image
    Le remorqueur Ocean Uannaq soulevé de l'eau

    Cet examen a permis de faire les observations suivantes :

    • à l'examen visuel, la coque était intacte;
    • les 4 écoutilles étaient fermées;
    • la porte d'entrée de la timonerie était ouverte;
    • le radeau de sauvetage était toujours dans son berceau et le largueur hydrostatique était attaché à la ligne d'amarrage lorsque le navire a été soulevé de l'eau. La ligne s'est détachée lorsque l'enquêteur sur place a manipulé le largueur hydrostatique. L'enquêteur a alors pu soulever le radeau de sauvetage hors du berceau;
    • les manettes de puissance de l'Ocean Uannaq étaient aux positions demi-vitesse avant (moteur de bâbord) et trois-quarts avant (moteur de tribord).

    1.6 Dommages

    Les machines, les conduits d'alimentation hydraulique et de carburant, l'équipement de navigation, les systèmes électriques et les installations du poste d'équipage de l'Ocean Uannaq ont été considérablement endommagés par l'eau. Le navire a été déclaré perte réputée totale par les assureurs.

    1.7 Certification et expérience du personnel

    1.7.1 Ocean Uannaq

    Le capitaine de l'Ocean Uannaq était titulaire d'un brevet de capitaine avec restrictions, bâtiment d'une jauge brute de moins de 60, qui l'autorisait à occuper le poste de capitaine sur l'Ocean Uannaq et sur 6 autres navires dans le secteur pont Champlain / Montréal à Québec. Il travaillait sur des navires commerciaux depuis 2003. Il était entré au service des propriétaires du navire comme matelot de pont en 2013. Le jour de l'événement, le capitaine commandait l'Ocean Uannaq pour la première fois, donc un capitaine-mentor comptant 8 ans d'expérience était chargé de l'accompagner.

    Le capitaine-mentor était titulaire d'un brevet de capitaine avec restrictions, bâtiment d'une jauge brute de moins de 60, et était capitaine sur l'Ocean Uannaq depuis 2014 et à bord d'autres remorqueurs commerciaux depuis 2004.

    1.7.2 Ocean Catatug 1

    Le capitaine de l'Ocean Catatug 1 était titulaire d'un brevet de capitaine avec restrictions, bâtiment d'une jauge brute de moins de 60, délivré en 2004. Le capitaine travaillait sur des navires commerciaux depuis 1983. Il avait commencé à naviguer comme capitaine sur des bateaux de pêche en 1995, puis sur des remorqueurs en 2004. Il travaillait pour Groupe Océan en tant que capitaine sur ses remorqueurs depuis 2005. Le jour de l'événement, le capitaine commandait l'Ocean Catatug 1 pour la première fois et, en conséquence, était responsable des activités sur l'eau pour la première fois.

    1.8 Certification du navire

    L'équipement de l'Ocean Uannaq était conforme à la réglementation en vigueur. Le remorqueur faisant moins de 15 tonneaux de jauge brute, il n'était pas nécessaire qu'il soit certifié ou inspecté en vertu du Règlement sur l'inspection des coques ou du Règlement sur les certificats de bâtiment en vigueur.

    1.9 Projet de construction du pont

    La construction du nouveau pont Champlain à Montréal entre l'île des Sœurs (Verdun) et Brossard a commencé en juin 2015. Une fois le projet achevé, le pont s'étendra sur 3,4 km au-dessus du fleuve Saint-Laurent, et il y aura un autre pont de 470 mètres entre l'île des Sœurs et Verdun. La fin des travaux est prévue pour 2018. Le nouveau pont remplacera le pont Champlain actuel, long d'environ 6 km et dont la construction s'est échelonnée de 1957 à 1962. Le pont Champlain compte 6 voies et est le pont à une travée le plus achalandé au Canada, avec 160 000 traversées chaque jourNote de bas de page 9.

    L'affréteur/exploitant, Signature sur le Saint-Laurent (SSLC), est un consortium de 3 entités – SNC-Lavalin, ACS et Hochtief – formé spécialement pour ce projet de construction. Toutes ces entreprises possèdent de l'expérience en gestion, en réalisation et en surveillance de projets de construction, y compris des projets de construction maritime.

    Au moment de l'événement à l'étude, la construction du nouveau pont était en cours depuis 10 mois. Les travaux de construction étaient normalement exécutés par 2 équipes se partageant 2 quarts de travail consécutifs de 11 heures chacun. Une équipe travaillait de 6 h à 17 h, et l'autre de 18 h à 5 h. Les changements de quarts se faisaient au quai entre 5 h et 6 h, et entre 17 h et 18 h. Les 3 remorqueurs en cause dans l'événement faisaient partie du projet de construction depuis le début des travaux en juin 2015.

    1.10 Pratique de déplacement et positionnement du chaland

    L'enquête du BST a établi que les pieux d'ancrage du chaland se coinçaient parfois dans leur logement à cause des forts courants. Dans l'événement à l'étude, aucun problème mécanique susceptible de causer le coincement des pieux d'ancrage n'a été décelé. Ces coincements étaient temporaires et facilement résolus en utilisant les remorqueurs pour pousser sur le chaland afin de libérer la pression autour du logement.

    Différents capitaines de l'Ocean Catatug 1 ont déclaré qu'au cours du déplacement latéral du chaland dans une zone d'excavation, les pieux d'ancrage en amont ou en aval du fleuve pouvaient être relevés en premier. Au cours des déplacements latéraux, les pieux d'ancrage n'étaient jamais complètement dégagés du fond, donc le courant ne pouvait pas faire pivoter le chaland. Il y avait toujours au moins 2 pieux d'ancrage sur le fond durant cette manœuvre.

    Pour sortir le chaland de la zone d'excavation, tous les pieux d'ancrage étaient relevés afin que le chaland puisse flotter librement et être déplacé. Les différents capitaines de l'Ocean Catatug 1 ont déclaré que pour déplacer le chaland, ils faisaient normalement lever les pieux d'ancrage en aval d'abord, puis les pieux d'ancrage en amont. Durant cette manœuvre, les remorqueurs sont positionnés de chaque côté du chaland et arrimés à celui-ci (figure 11).

    Figure 11. Chaland flanqué de remorqueurs (Source : Groupe Océan)
    Image
    Chaland flanqué de remorqueurs

    Le jour de l'événement à l'étude, le capitaine qui dirigeait les opérations ne savait pas que d'autres capitaines de l'Ocean Catatug 1 faisaient généralement relever en premier les pieux d'ancrage en aval. Il ne savait pas non plus que les pieux d'ancrage pouvaient se coincer dans leur logement.

    1.11 Interactions entre les navires et hydrodynamique

    L'hydrodynamique est l'étude de la circulation des fluides et de tous les objets immergés dans un liquide. Cette science permet d'expliquer de nombreux comportements des navires, notamment l'effet de berge, la succion, le squat et les interactions entre navires travaillant à proximité l'un de l'autre.

    Le comportement de navires travaillant à proximité l'un de l'autre, comme dans l'événement à l'étude, repose sur un grand nombre de variables, notamment le nombre de navires en cause, la taille relative des navires, la distance qui les sépare, leur vitesse, la profondeur de l'eau, l'espace de manœuvre disponible et les conditions environnementales. De nombreuses lignes directrices ont été publiées sur les risques pour la sécurité et la stabilité des remorqueurs utilisés avec un ou des navires plus gros. Dans le cas particulier des opérations de remorqueurs et chalands, la circulation d'eau autour de la forme de coque des chalands peut produire un effet de succion considérable au bout arrière du chaland. Ceci pourrait faire que le remorqueur soit incapable de s'éloigner du chalandNote de bas de page 10.

    Par exemple, la British Marine Guidance Note 199 (M) indique que [traduction] « l'interaction provient de l'effet de la circulation de l'eau autour du navire de plus grande taille sur la carène du plus petit navire – le remorqueur. Cela réduit la stabilité et, par conséquent, augmente le risque de chavirement si les navires viennent en contactNote de bas de page 11 ».Dans l'événement à l'étude, les facteurs suivants ont eu des effets sur les interactions entre les navires qui travaillaient à proximité l'un de l'autre :

    • Dans le fleuve, le courant atteignait environ 6 nœuds. La vitesse des navires dans l'eau était donc de 6 nœuds, même s'ils étaient immobiles sur le fond.
    • Les navires se trouvaient dans des eaux peu profondes (5,2 m), c'est-à-dire dont la profondeur est inférieure au double du tirant d'eau du navire (le tirant d'eau du chaland était de 2,7 m).
    • Le déplacement du chaland était d'environ 15 fois celui de l'Ocean Uannaq.

    1.12 Cause du chavirement

    Après l'événement, un architecte naval indépendant et le BST ont évalué la stabilité de l'Ocean Uannaq. Ils ont établi que le remorqueur était stable et que le bras de levier de redressement pouvait redresser le remorqueur à la verticale depuis un angle de gîte de 20º ou moins. La force du courant sur le côté bâbord de la coque de l'Ocean Uannaq et celle exercée par le câble du chaland (qui était haut sur le côté tribord) s'opposaient, ce qui a créé un moment de chavirement (figure 12). De plus, l'eau qui a envahi le pont a encore réduit la capacité de redressement de l'Ocean UannaqNote de bas de page 12.

    L'enquête a établi que la stabilité à l'état intact du navire n'était pas en cause dans le chavirement, qui a plutôt été entraîné par la combinaison des forces opposées exercées par le câble et le courant.

    Figure 12. Forces exercées sur l'Ocean Uannaq (vue de l'arrière) qui ont causé le chavirement. Le câble de tribord se trouvait environ 2,25 m au-dessus du centre de carène du remorqueur. (Source : D'après un schéma de Concept Naval)
    Image
    Forces exercées sur l Ocean Uannaq

    1.13 Gestion de la sécurité et inspections de sécurité

    1.13.1 Programme de conformité des petits bâtiments

    TC n'inspecte pas régulièrement les navires de moins de 15 tonneaux de jauge brute. Comme presque 13 000 navires de moins de 15 tonneaux de jauge brute sont immatriculés, 77 % de la flotte commerciale canadienne n'est pas inspectéeNote de bas de page 13. TC a cependant compétence à l'égard de tous les bâtiments commerciaux, et des inspecteurs de navires peuvent monter à bord de n'importe quel bâtiment, à n'importe quel moment.

    Le Programme de conformité des petits bâtiments (PCPB) de TC vise les petits navires commerciaux et a été conçu pour aider les représentants autorisés de navires de moins de 15 tonneaux de jauge brute non inspectés à respecter les règlements applicables ainsi que les exigences de la Loi de 2001 sur la marine marchande du CanadaNote de bas de page 14. Pour participer au PCPB, les représentants autorisés doivent présenter une demande tous les 5 ans en remplissant une liste de vérification détailléeNote de bas de page 15. Ils doivent ensuite présenter un rapport annuel de conformité à TC tous les ansNote de bas de page 16. Les navires affrétés pour le projet de construction étaient inscrits au PCPB (aussi appelé programme de la vignette bleue) de TC.

    1.13.2 Groupe Océan

    Groupe Océan était le propriétaire des remorqueurs et des chalands utilisés dans le cadre du projet de construction du pont Champlain. Il était aussi l'employeur des équipages à bord des remorqueurs. L'entreprise qui est propriétaire d'un navire canadien est le représentant autorisé au sens de la Loi de 2001 sur la marine marchande du CanadaNote de bas de page 17. À ce titre, le Groupe Océan assumait la responsabilité générale du navire et de la sécurité de l'équipage, même si les navires avaient été affrétés par SSLC pour ce projet.

    Au moment de l'événement, chacun des navires utilisait une « liste de vérification équipement obligatoire par bateau ». Les membres des équipages vérifiaient leur navire et le matériel connexe au début de chaque journée de travail et remplissaient la liste de vérification (annexe B). La liste de vérification s'appliquait à tous les navires et portait généralement sur la présence ou l'absence de certaines pièces du matériel d'exploitation à bord, mais non sur l'état du matériel. De plus, certains éléments devant être vérifiés ne figuraient pas sur la liste et, par conséquent, n'étaient pas toujours inspectés. Par exemple, l'intégrité de l'étanchéité à l'eau n'était pas sur cette liste.

    1.13.3 Signature sur le Saint-Laurent

    SSLC avait engagé Groupe Océan pour la fourniture des navires, des chalands, des capitaines des remorqueurs et de leurs équipages. SSLC est devenue responsable des engins de sauvetage du navire, de la sécurité de l'équipage et de la sécurité de l'exploitation du navire, entre autres, lorsqu'elle a signé le contrat d'affrètement. Selon ce contrat, SSLC devait évaluer et établir les risques associés à l'exploitation des navires, communiquer ces risques à Groupe Océan et l'informer des mesures particulières adoptées pour contrôler ces risques.

    Au moment de l'événement, SSLC exigeait que ses employés utilisent une liste de vérification pour l'évaluation des dangers et des risques. Les travailleurs procédaient chaque jour à une évaluation des risques dans les travaux de construction prévus ce jour-là (annexe C). Cette liste de vérification « Prendre du recul » indiquait tous les éléments sur le chantier, y compris les véhicules utilisés et l'équipement de protection individuelle pouvant être nécessaire. Le processus exigeait notamment que les employés « reculent de 2 mètres et attendent 2 minutes » avant d'entreprendre une nouvelle tâche. La liste de vérification « Prendre du recul » pour l'évaluation de tâches de SSLC visait 3 buts : cerner les risques; évaluer les risques; et prendre des mesures efficaces. La liste de vérification comportait une section finale où les employés devaient déterminer le risque général pour l'exploitation (annexe C). Ces listes de vérification étaient conçues pour les chantiers terrestres et ne tenaient pas compte des opérations maritimes. SSLC avait aussi sur les lieux, à terre, un agent de santé et de sécurité du travail. Tous les employés devaient participer à une séance d'information sur la sécurité sur le chantier avant d'y être admis.

    SSLC avait des ententes avec des intervenants locaux pour la fourniture de services d'intervention d'urgence. Deux spécialistes de soutien sous-traitants ayant de l'expérience comme techniciens en soins médicaux d'urgence devaient demeurer en attente à bord d'un canot pneumatique en aval du chantier, chaque fois que des employés de SSLC travaillaient sur l'eau. On a observé que le matériel à bord de ce canot n'était pas arrimé et que le canot de réserve n'avait pas de rame. De plus, il n'y avait à bord de ces deux canots aucun moyen de récupération d'une personne tombée à l'eau, et il n'y avait pas assez de place sur les canots pour manœuvrer convenablement avec une personne de plus à bord.

    1.13.4 Systèmes de gestion de la sécurité

    Aucune activité maritime n'est entièrement sans risque, mais il existe de nombreux moyens de cerner les risques, de les évaluer et de les atténuer. Le système de gestion de la sécurité (SGS) est une méthode reconnue partout dans le monde pour évaluer et gérer les risques. Le SGS est une méthode structurée et cohérente basée sur le risque. Il permet de repérer et de combler les lacunes de sécurité critiques, d'adopter des pratiques de sécurité exemplaires et de démontrer clairement un engagement, ainsi qu'une responsabilisation et une diligence raisonnable envers la sécurité. Selon TC :

    Un SGS est un ensemble de documents préparé par le propriétaire du bâtiment ou le représentant autorisé avec le capitaine et les membres de l'équipage. Il contient 12 sections qui indiquent comment vous utilisez votre bâtiment en toute sécurité. Par exemple :

    • la façon dont votre entreprise et vos bâtiments exercent leurs activités au quotidien;
    • les détails du bâtiment, les activités qu'il accomplit et l'endroit où il opère;
    • votre façon de faire à bord du bâtiment, qui fait quoi, de quelle façon et à quel moment;
    • la méthode utilisée pour déterminer les dangers, les évaluer et gérer les risques;
    • les procédures d'urgence;
    • la façon dont vous enregistrez ce qui se produit à bord de votre bâtiment;
    • le déroulement des exercices et la méthode de formation de votre équipage;
    • la façon dont vous tenez un registre des exercices et de la formationNote de bas de page 18.

    Bien que le secteur maritime reconnaisse depuis longtemps les avantages des SGS, les règlements de TC n'exigent pas que l'ensemble des entreprises et exploitants maritimes en adoptent un. De plus, ce n'est pas tous les types de bâtiments qui doivent avoir un SGS. Dans l'événement à l'étude, les activités ni des représentants autorisés ni des navires n'étaient assujetties à un SGS, et la réglementation ne l'exigeait pas.

    En 2010, TC a entamé des consultations officielles dans le cadre d'un projet visant la mise en œuvre de règlements sur la gestion de la sécurité pour les navires canadiens hors convention, dont ceux de moins de 15 tonneaux de jauge brute. Toutefois, le secteur a soulevé des préoccupations, principalement en ce qui concerne les coûts et la faisabilité, et a indiqué que la mise en œuvre des nouveaux règlements serait trop coûteuse pour les exploitants de petits navires. En réponse aux préoccupations des intervenants, TC a modifié son projet en 2012 pour qu'il vise seulement les navires de plus de 24 mètres de longueur et ceux transportant plus de 50 passagers.

    1.14 Radeau de sauvetage et largueur hydrostatique

    L'Ocean Uannaq transportait 1 radeau de sauvetage pour 6 personnes. Ce radeau était arrimé à un berceau soudé, sous une armoire de rangement sur le pont principal, juste devant la timonerie (figure 13). Le largueur hydrostatique Hammar H-20 de l'Ocean Uannaq était doté d'un mécanisme de largage automatique déclenché par la pression de l'eau. Lorsque le dispositif est immergé dans 1,5 à 4 m d'eau, la pression fait surgir du boîtier du largueur une lame tranchante montée sur ressort. Cette lame coupe la ligne d'amarre reliée à la courroie qui retient le radeau de sauvetage dans son berceau. Le conteneur du radeau de sauvetage rejoint la surface de l'eau grâce à sa flottabilité. Le largueur hydrostatique à bord de l'Ocean Uannaq ne demandait aucune pièce de rechange, aucune maintenance et aucun entretien annuel. Il devait toutefois être remplacé tous les 2 ans. Le dispositif en place au moment de l'événement devait être remplacé en avril 2016.

    Figure 13. Photo de l'Ocean Uannaq montrant l'emplacement de l'armoire de rangement et de la rambarde (A) ainsi que du radeau de sauvetage (B) (Source : Jean Hemond, avec annotations du BST)
    Image
    Photo de l'Ocean Uannaq montrant l'emplacement de l'armoire de rangement et de la rambarde (A) ainsi que du radeau de sauvetage (B)

    Le 27 mai 2016, on a observé l'Ocean Uannaq reposant sur son côté bâbord sur le fond du fleuve à une profondeur de 5,2 m. Selon les estimations, le largueur hydrostatique du remorqueur se trouvait à une profondeur d'environ 3,15 m. Cette profondeur se situe dans la plage de profondeur de déclenchement du dispositif, mais le radeau de sauvetage est demeuré dans son berceau.

    L'Ocean Uannaq a été redressé et renfloué le 28 mai. Le radeau de sauvetage est demeuré dans son berceau au cours du renflouage, et le largueur hydrostatique semblait intact (figure 14). Cela indique que le radeau de sauvetage est resté sur son berceau une fois immergé. Un examen plus minutieux a révélé que la ligne d'amarre se trouvait à l'intérieur du dispositif. Cependant, l'unité s'est défaite dans la main d'un enquêteur du BST qui la manipulait pour vérifier la date de remplacement. Un enquêteur du BST a ensuite soulevé le radeau de sauvetage, et on a constaté qu'il n'était pas arrimé dans son berceau. Par conséquent, compte tenu de la position dans laquelle il était installé, il ne semblait pas que les bras du berceau aient empêché l'éjection du radeau de sauvetage.

    Figure 14. Photo prise après l'événement qui montre la position du radeau de sauvetage non libéré et du largueur hydrostatique apparemment intact
    Image
    Photo prise après l'événement qui montre la position du radeau de sauvetage non libéré et du largueur hydrostatique apparemment intact

    Après l'événement, le fabricant du radeau de sauvetage a effectué différents essais de rendement afin d'établir les effets des activités suivantes :

    • inversion en surface durant 4 heures ou plus du conteneur du radeau de sauvetage pour en vérifier la flottabilité;
    • immersion du conteneur du radeau de sauvetage à une profondeur de 4 m ou plus durant 4 heures ou plus pour en vérifier la flottabilité;
    • rotation et mouvement du radeau de sauvetage durant l'immersion (afin de simuler le courant et de permettre l'expulsion d'une quantité d'air maximale du conteneur du radeau de sauvetage).

    Le fabricant du radeau de sauvetage a aussi testé la flottabilité du radeau de sauvetage en position verticale à une profondeur de moins de 6 m. La flottabilité vient du radeau de sauvetage lui-même et non de l'air emprisonné dans le conteneur. Ces essais de rendement ont confirmé que la force de flottabilité était suffisante pour séparer la ligne coupée du largueur hydrostatique et pour permettre au conteneur du radeau de sauvetage de flotter hors du berceau.

    À la suite de l'événement, le largueur hydrostatique a été examiné au Laboratoire d'ingénierie du BST. L'ensemble membrane/support et goujon de blocage qui, lorsqu'il n'est pas déclenché, retient le ressort de la lame comprimé, avait été soulevé à la hauteur d'une accumulation de débris sous la membrane. On a établi que ces débris n'auraient pu s'accumuler que si l'ensemble membrane/support et goujon de blocage avait été soulevé par la pression de l'eau. Cette hauteur correspond à la position maximale de l'ensemble membrane/support. Le déplacement dans cette position fait que le goujon de blocage sort de la douille de blocage et déclenche le largueur. Même s'il a été impossible de déterminer la profondeur exacte de son déclenchement, on a établi que le dispositif a fonctionné comme prévu une fois immergé (figure 15).

    Figure 15. Image de tomographie par ordinateur du largueur hydrostatique qui montre la configuration interne du dispositif avant le démontage. Noter la position de la lame et les débris sous la membrane.
    Image
     Image de tomographie par ordinateur du largueur hydrostatique qui montre la configuration interne du dispositif avant le démontage. Noter la position de la lame et les débris sous la membrane.

    Il a été observé que la lame était sortie, et la ligne était coupée du dispositif. Les extrémités coupées de la ligne présentaient les caractéristiques d'une coupe nette ayant tranché tous les brins de la ligne (figure 16). Le largueur hydrostatique avait fonctionné comme prévu, mais on n'a pas pu établir pourquoi le radeau de sauvetage n'avait pas été éjecté de son berceau.

    Figure 16. Photo montrant la coupe nette de la ligne du largueur hydrostatique du radeau de sauvetage
    Image
    Photo montrant la coupe nette de la ligne du largueur hydrostatique du radeau de sauvetage

    1.15 Événements antérieurs

    Entre novembre 2011 et novembre 2016 (soit 5 ans), le BST a reçu des rapports sur 14 événementsNote de bas de page 19 survenus au Canada mettant en cause des remorqueurs de moins de 15 tonneaux de jauge brute ayant chaviré et/ou coulé. Ces événements n'ont causé aucune blessure et aucun décès.

    1.16 Liste de surveillance du BST

    La gestion de la sécurité et la surveillance resteront sur la Liste de surveillance jusqu'à ce que :

    • Transports Canada mette en œuvre des règlements obligeant tous les exploitants des secteurs du transport commercial aérien et maritime à adopter des processus de gestion de la sécurité officiels et supervise efficacement ces processus;
    • les entreprises de transport qui possèdent un système de gestion de la sécurité démontrent qu'il fonctionne bien, c'est-à-dire qu'il permet de déceler les risques et que des mesures de réduction des risques efficaces sont mises en œuvre;
    • Transports Canada intervienne lorsque des entreprises de transport ne peuvent assurer efficacement la gestion de la sécurité et le fasse de façon à corriger les pratiques d'exploitation jugées non sécuritaires.

    La Liste de surveillance énumère les principaux enjeux de sécurité qu'il faut s'employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

    La gestion de la sécurité et la surveillance figurent sur la liste de surveillance 2016. Comme le montre l'événement à l'étude, certaines entreprises de transport ne gèrent pas leurs risques en matière de sécurité de façon efficace. La nécessité de la gestion de la sécurité a été démontrée lors d'autres événementsNote de bas de page 20.

    2.0 Analyse

    L'enquête du BST sur le chavirement et le naufrage de l'Ocean Uannaq a révélé que les aspects liés à la sécurité maritime des travaux de construction du pont Champlain n'ont été évalués de façon exhaustive ni par l'affréteur/exploitant ni par les propriétaires. Les capitaines ont donc dû prendre des décisions fondées sur leur expérience de travail plutôt que sur des pratiques exemplaires. L'analyse portera sur l'évaluation des risques, la gestion des opérations maritimes et la surveillance de la sécurité par les autorités responsables. L'enquête a confirmé que l'utilisation de 4 fréquences radio différentes n'a pas semé de confusion ni eu de répercussions négatives sur les activités, et que des communications inadéquates n'ont pas été un facteur contributif.

    2.1 Facteurs ayant mené au chavirement et au naufrage

    Dans l'événement à l'étude, les pieux d'ancrage en amont ont été levés en premier. Ainsi, lorsque le pieu d'ancrage à tribord en aval s'est temporairement coincé, le degré de giration du chaland était plus élevé que si un pieu d'ancrage en amont s'était coincé (figure 17).

    Figure 17. Illustration montrant la différence de giration du chaland lorsqu'un pieu d'ancrage en amont ou un pieu d'ancrage en aval se coince. Dans l'événement à l'étude, le degré de giration du chaland autour du pieu d'ancrage tribord arrière coincé était d'environ 90º parce que les 3 autres pieux d'ancrage étaient baissés et que le Blizzard Polaire poussait sur le côté tribord du chaland.
    Image
    Illustration montrant la différence de giration du chaland lorsqu'un pieu d'ancrage en amont ou un pieu d'ancrage en aval se coince

    Lorsque le pieu d'ancrage à tribord s'est coincé, la force de la poussée exercée par l'Ocean Uannaq sur la poupe du chaland (directement derrière le pieu d'ancrage de bâbord) a déclenché un mouvement de giration, en sens horaire, autour du pieu d'ancrage coincé. Le chaland s'est donc mis à tourner en sens horaire. Le pieu d'ancrage est devenu un pivot autour duquel le chaland a viré dans le fort courant. La giration causée par le blocage d'un pieu d'ancrage en amont aurait pu être contrecarrée par un remorqueur qui se serait déjà trouvé à côté du chaland. Cependant, puisqu'ils se trouvaient directement derrière le chaland, les remorqueurs n'étaient pas en bonne position pour bloquer la giration du chaland. En fait, lorsque le chaland a commencé à virer, on a immédiatement repositionné le Blizzard Polaire sur le coin avant.

    L'Ocean Uannaq ne pouvait pas s'éloigner du chaland qui virait et du remorqueur Ocean Catatug 1 en raison de la combinaison des effets hydrodynamiques et de l'évolution rapide de la situation. Or, on n'avait pas discuté ou tenu compte des effets hydrodynamiques avant cette opération, et le capitaine de l'Ocean Catatug 1 ne savait pas que les pieux d'ancrage pouvaient se coincer. Même si les capitaines en cause comprenaient l'évolution de la situation, le remorqueur a chaviré rapidement en raison des forces opposées qui excédaient la capacité de redressement du remorqueur.

    Le remorqueur a coulé dans 5,2 m d'eau environ 2,5 heures après son chavirement. Les compartiments ont été inondés par l'eau qui entrait par la porte ouverte de la timonerie, qui était immergée, ainsi que par les volets de ventilation. Le navire a ainsi perdu sa réserve de flottabilité et a coulé.

    2.2 Évaluation des risques

    Le secteur maritime reconnaît que la gestion des risques passe notamment par la mise en œuvre de procédures d'exploitation normalisées fondées sur les pratiques exemplaires. Les procédures d'exploitation normalisées constituent un outil qui permet de s'assurer que les tâches sont réalisées de façon sécuritaire et uniforme. Elles documentent les pratiques exemplaires, favorisent la coordination entre les membres d'équipage, et fournissent des lignes directrices aux personnes qui participent pour la première fois à un type d'opération donné.

    Dans l'événement à l'étude, l'affréteur/exploitant, Signature sur le Saint-Laurent (SSLC), avait élaboré des procédures d'exploitation normalisées pour les activités à terre (p. ex., sur l'entrée dans des espaces clos et la manutention des chargements), mais aucune procédure propre aux travaux maritimes. SSLC comptait sur l'expérience des capitaines, qui connaissaient les navires affétés, pour prendre des décisions opérationnelles afférentes au volet maritime du projet de construction. Les capitaines des remorqueurs prenaient donc parfois des décisions sur le repositionnement latéral et le déplacement des chalands. Les capitaines responsables des travaux de construction sur l'eau avaient mis au point certaines procédures informelles. Cependant, comme ces pratiques n'étaient pas transmises à tous les capitaines, cela a créé un risque que les opérations soient menées de façon désordonnée et possiblement non sécuritaire.

    La culture de sécurité pour les travaux à terre était solide, notamment parce que des employés de tous les niveaux hiérarchiques participaient aux analyses des risques au quotidien. Toutefois, elle ne couvrait pas les activités maritimes. Ainsi, les capitaines ne disposaient d'aucun processus pour faciliter l'évaluation des risques liés aux manœuvres, comme lorsqu'il s'agissait de déplacer le chaland vers le quai de travail en présence d'un courant marin. Le capitaine de l'Ocean Catatug 1 avait acquis les connaissances requises pour manœuvrer les remorqueurs et les chalands, mais n'avait jamais reçu de formation ni d'évaluation de ses compétences sur la gestion des opérations avec plusieurs navires.

    À défaut de procédures d'exploitation documentées et d'un processus de partage des pratiques exemplaires, le capitaine de l'Ocean Catatug 1, qui était novice dans ce rôle, a pris une série de décisions qui ont augmenté le risque global lié au déplacement du chaland. La combinaison des risques liés à la remontée des pieux d'ancrage en amont en premier (plutôt que les pieux d'ancrage en aval), au positionnement des remorqueurs à l'arrière du chaland plutôt que sur les côtés et aux effets combinés des différentes forces hydrodynamiques n'a été pas été évaluée. En l'absence d'un processus structuré de partage d'information sur les procédures d'exploitation normalisées entre les capitaines, le capitaine de l'Ocean Catatug 1 ne pouvait pas profiter des meilleures pratiques de ses collègues pour diriger les activités.

    Le propriétaire a fourni à SSLC les membres d'équipage, les remorqueurs et les chalands requis pour réaliser le projet de construction du pont Champlain. Cependant, il n'a fourni aucun cadre de gestion de la sécurité propre aux activités maritimes qui aurait pu prévenir cet événement. En outre, SSLC n'a pas procédé à une évaluation des risques associés aux travaux ni à une évaluation des mesures qui auraient pu réduire ces risques. Au mieux, les responsabilités du représentant autorisé et celles de l'affréteur/exploitant n'étaient pas clairement établies. En vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, le propriétaire d'un navire, à titre de représentant autorisé, est responsable de la sécurité de l'équipage et du navire, y compris de la fourniture, de l'entretien et du remplacement des engins de sauvetage.

    Il n'y a eu aucune discussion ou planification avant les opérations afin de vérifier si le capitaine de l'Ocean Catatug 1, qui commandait ce remorqueur pour la première fois, comprenait les risques ainsi que les pratiques opérationnelles adoptées par les autres capitaines pour atténuer ces risques. Ni le propriétaire, qui était le représentant autorisé, ni l'affréteur/exploitant, qui avait retenu les navires et les équipages, n'a évalué les risques afférents aux opérations maritimes complexes en cause. Par conséquent, aucune procédure d'exploitation pour guider les capitaines sur les pratiques exemplaires n'a été élaborée, et les capitaines devaient donc prendre des décisions selon les circonstances.

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Ni le représentant autorisé (le propriétaire) ni l'affréteur/exploitant n'a évalué les risques afférents aux opérations maritimes complexes. Par conséquent, aucune procédure d'exploitation pour guider les capitaines sur les pratiques exemplaires n'a été élaborée, et les capitaines devaient donc prendre des décisions selon les circonstances.
    2. À défaut de procédures d'exploitation documentées et d'un processus de partage des pratiques exemplaires, le capitaine de l'Ocean Catatug 1, qui était novice dans ce rôle, a pris une série de décisions qui ont augmenté le risque global lié au déplacement du chaland.
    3. Les pieux d'ancrage en amont ont été levés avant les pieux d'ancrage en aval, ce qui a augmenté l'amplitude potentielle de la rotation du chaland dans le courant.
    4. Le chaland a viré avec le courant lorsque le dernier pieu d'ancrage s'est coincé et que les remorqueurs de renfort n'étaient pas en position pour pouvoir contrer immédiatement la giration du chaland.
    5. L'Ocean Uannaq était soumis à différentes forces hydrodynamiques et n'a pas été en mesure de s'éloigner pour échapper à la situation qui évoluait rapidement.
    6. Le contact du remorqueur Ocean Uannaq avec le câble bâbord de l'Ocean Catatug 1, combiné au courant exerçant une force dans le sens opposé, a créé un moment de chavirement qui a mené au chavirement rapide du remorqueur.
    7. Le remorqueur a coulé après que l'eau a envahi les compartiments du remorqueur par la porte de la timonerie qui était immergée et ouverte, ainsi que par les volets de ventilation ouverts.

    3.2 Autres faits établis

    1. Le largueur hydrostatique du radeau de sauvetage fonctionnait comme prévu, mais l'enquête n'a pas permis d'établir pourquoi le radeau n'a pas flotté hors de son berceau lorsque l'Ocean Uannaq a coulé.
    2. La radiobalise de localisation des sinistres qui se trouvait à bord de l'Ocean Uannaq n'était pas enregistrée. Par conséquent, la Garde côtière canadienne ne savait pas quel navire transmettait un signal de détresse.
    3. Les communications relatives aux manœuvres des remorqueurs et du chaland se faisaient sur 4 fréquences radio différentes.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures de sécurité prises

    4.1.1 Signature sur le Saint-Laurent

    Le 15 avril 2016, l'affréteur/exploitant Signature sur le Saint-Laurent (SSLC) a tenu un atelier sur les risques associés aux opérations maritimes, auquel il a convié des personnes clés de SSLC et du chantier de construction, des membres d'équipage de différents remorqueurs et des représentants de la compagnie à laquelle appartenait le remorqueur. Le groupe de participants à l'atelier a procédé à une enquête interne sur l'accident et recueilli d'importants renseignements de nature éphémère. Ces renseignements ont été fournis au BST.

    Le groupe a étudié l'événement pour en déterminer la cause, et a mis en place des procédures pour aider les travailleurs à cerner et à atténuer les risques sur le chantier. De nouvelles procédures ont été élaborées, exigeant des travailleurs qu'ils évaluent le niveau de risque de chacune des tâches plutôt que d'entreprendre l'évaluation générale des risques « Prendre du recul » au début de chaque journée. Les opérations maritimes doivent être évaluées et classées selon leur niveau de risque (faible, moyen, élevé, extrême). Une fois que le niveau de risque de chaque opération maritime a été évalué, une évaluation « Prendre du recul » peut être étayée pour chaque opération, en fonction du risque. Le niveau de détail de chaque évaluation « Prendre du recul » est déterminé selon le niveau de risque de chacune des manœuvres.

    Les lacunes du matériel de sauvetage qui ont été constatées à bord d'autres navires lors d'un examen effectué après l'événement ont été signalées au surintendant maritime à terre, et le surintendant maritime a pris les mesures nécessaires afin que ces lacunes soient immédiatement corrigées.

    Après l'événement, SSLC a embauché un surintendant adjoint maritime expressément chargé de veiller à la sécurité maritime de ses activités. Le surintendant adjoint maritime a de l'expérience en exploitation maritime et a aidé SSLC à élaborer des procédures dans ce domaine.

    Finalement, on utilise maintenant une seule fréquence radio pour toutes les opérations, et tous les employés à terre communiquent sur la même fréquence.

    Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

    Annexes

    Annexe A – Lieu de l'événement

    Annexe B – Liste de vérification équipement obligatoire par bateau

    Source : Groupe Océan
    Image
    Liste de vérification équipement obligatoire par bateau

    Annexe C – Liste de vérification « Prendre du recul » pour l'évaluation de tâches de Signature sur le Saint-Laurent