Personne à la mer et perte de vie subséquente
Navire de marchandises diverses Amazoneborg
Trois-Rivières (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 29 septembre 2017, le navire de marchandises diverses Amazoneborg était amarré à la section 19 du port de Trois-Rivières (Québec). Le troisième officier a reçu l’ordre de vérifier le tirant d’eau du navire. Quelque temps après 22 h 10, heure avancée de l’Est, le troisième officier s’est rendu au milieu du navire pour aller relever les marques de tirant d’eau du côté mer; il a plus tard été porté disparu. On a avisé les autorités de recherche et sauvetage, et celles-ci ont effectué une recherche dans le secteur, mais en vain. Le corps du troisième officier a été retrouvé le 7 octobre 2017 près de Champlain (Québec).
1.0 Renseignements de base
1.1 Fiche technique du navire
Nom du navire | Amazoneborg |
---|---|
Numéro de l'Organisation maritime internationale (OMI) | 9333541 |
Port d'immatriculation | Delfzijl |
Pavillon | Pays-Bas |
Type | Marchandises diverses |
Jauge brute | 11 864 tonnes |
Longueur hors tout | 143,00 m |
Tirant d'eau | 9,69 m |
Profondeur (creux sur quille) | 13,3 m |
Construction | 2007, Hudong-Zhonghua Shipbuilding Co., Ltd., Shanghai (Chine) |
Propulsion | 1 moteur diesel 4 temps à régime moyen (7800 kW), entraînant une seule hélice à 4 pales à pas variable |
Cargaison | Minerai de nickel concentré en vrac |
Équipage | 14 |
Propriétaire enregistré | Wagenborg Shipowners B.V., Pays-Bas |
Gestionnaire | Wagenborg Shipping B.V., Pays-Bas |
1.2 Description du navire
L'Amazoneborg (Figure 1) est un navire de marchandises diverses. Il compte 2 cales à marchandises et 2 panneaux de cale en acier à commande hydraulique. Trois grues électro-hydrauliques d'une capacité de 60 tonnes chacune sont installées sur bâbord. La salle des machines et les quartiers d'équipage se trouvent à l'arrière. Des projecteurs montés sous les fenêtres de la timonerie sur le côté avant des quartiers d'équipage éclairent le pont principal.
Le bureau du navire et le vestiaire de l'équipage se trouvent à tribord sur le pont principal, dans les quartiers d'équipage (annexe A). Des échelles de coupée sont installées à bâbord et à tribord entre la cale à marchandises et les quartiers d'équipage. Le navire compte 1 canot de secours, situé à l'arrière bâbord du pont de dunette.
1.3 Déroulement des événements
Le 28 septembre 2017, à 21 h 15Note de bas de page 1 , l'Amazoneborg est arrivé à la section 19 du port de Trois-Rivières (annexe B) et a accosté côté tribord en prévision du chargement de minerai de nickel concentré en vrac, le lendemain.
Le 29 septembre, à 6 h, des inspecteurs de Transports Canada (TC) sont montés à bord à titre d'inspecteurs de cargaisonNote de bas de page 2 ; le second officier était de quart à la passerelle. À 6 h 15, un expert maritime indépendant est monté à bord pour effectuer un relevé de chargement initial.
Vers 6 h 30, sous la supervision de l'expert maritime, le maître d'équipage, un des matelot de pont qualifiés et le second officier ont descendu une échelle de reversNote de bas de page 3 , qui avait été installée plus tôt à la rambarde bâbord, pour aller relever les marques de tirant d'eau au milieu du navire. Après qu'il eut relevé les marques de tirant d'eau, le second officier est retourné sur le pont principal; on a remonté et roulé l'échelle de revers, qui est demeurée sur le pont principal.
À 8 h, le troisième officier était affecté au quart sur le pont, et les opérations de chargement de la cargaison en vrac ont commencé à 8 h 05. À midi, le second officier a relevé le troisième officier.
À 17 h 30, le second officier a transféré le quart à la passerelle au troisième officier; à 18 h, ce dernier a assumé la responsabilité du quart. Entre-temps, le capitaine en second est demeuré dans le bureau du navire pour superviser les opérations de chargement et le troisième officier. Durant son quart, le troisième officier a récupéré le ruban de jaugeage au bureau du navire.
À 22 h, pendant qu'il surveillait la progression de l'assèchement des citernes de ballast et du chargement de la cargaison depuis le bureau du navire, le capitaine en second a ordonné au troisième officier de relever les marques de tirant d'eau du navire.
À 22 h 02, le troisième officier est descendu sur le quai pour relever les 3 marques de tirant d'eau sur le côté tribord du navire.
À 22 h 15, le troisième officier a communiqué son relevé des marques de tirant d'eau au capitaine en second par radiotéléphone ultra hautes fréquences (UHF). Le capitaine en second a alors ordonné au troisième officier de demander à l'exploitant du terminal de charger la cargaison à tribord afin de compenser la gîte à bâbord; le capitaine en second a également ordonné au troisième officier de relever les marques de tirant d'eau du côté bâbord. Le troisième officier a bien reçu l'ordre et a répondu qu'il relèverait ces marques. Le troisième officier est remonté à bord du navire et s'est rendu à bâbord du pont principal; il a croisé le matelot de pont qualifié posté à l'échelle de coupée pour le quart de sécurité. Le matelot de pont qualifié est le dernier à avoir vu le troisième officier (annexe A).
Autour de 22 h 25, le capitaine en second a tenté à plusieurs reprises de joindre le troisième officier par radiotéléphone UHF, mais en vain. Le capitaine en second et le matelot de pont qualifié ont alors cherché le troisième officier sur le pont principal.
Durant leur recherche, ils ont trouvé l'échelle de revers qui avait servi à la lecture des tirants d'eau pour le relevé de chargement initial; elle était abaissée et pendait le long de la muraille bâbord, au milieu du navire. Les quelques derniers échelons de l'échelle traînaient dans l'eau et étaient agités par le courant (figure 2 et figure 3). Un membre d'équipage a trouvé le ruban de jaugeage à bâbord sur le pont principal (annexe A).
Le capitaine en second s'est rendu aux quartiers d'équipage pour informer le capitaine de la situation. En chemin, le capitaine en second a traversé le vestiaire de l'équipage et a aperçu le vêtement de flottaison individuel (VFI) du troisième officier dans le casier de ce dernier.
À 22 h 40, le second officier a informé le capitaine que le troisième officier manquait à l'appel. Le capitaine a fouillé le pont à la recherche du troisième officier, mais en vain. Il a alors ordonné à l'équipage de préparer le canot de secours du navire.
À 22 h 51, le capitaine s'est rendu à la timonerie pour mettre en branle la procédure d'homme à la mer. Quelques minutes plus tard, il a déclenché l'alarme d'homme à la mer du navire, 3 longs coups de sifflet, et s'est servi du système de diffusion publique pour ordonner à l'équipage de se rassembler sur le pont. Le capitaine a ensuite joint les Services de communication et de trafic maritimes par radiotéléphone très haute fréquence (VHF); les Services ont diffusé un signal de détresse « mayday relay » à 23 h.
À 23 h 01, le canot de secours du navire a été mis à l'eau. Peu de temps après, avec l'aide des autorités locales, les membres d'équipage ont commencé à chercher le troisième officier à bord du navire, sur l'eau et à terre. L'équipage du canot de secours du navire est demeuré en contact par radiotéléphone UHF avec les membres d'équipage de l'Amazoneborg demeurés à bord.
De 23 h 07 à 23 h 45, le centre secondaire de sauvetage maritime de Québec a dépêché le bateau-pilote Jean H., le navire-citerne Chem Ranger et le remorqueur Ocean Bravo pour ratisser le secteur; le service des incendies local a mis à l'eau son embarcation de sauvetage pour appuyer les recherches. Ces ressources communiquaient entre elles par radiotéléphone VHF. Le service de police municipal a avisé le service de sécurité du port, et le capitaine a informé la compagnie.
Le 30 septembre, à 4 h, le canot de secours de l'Amazoneborg est retourné au navire. Plus tard ce matin-là, 2 navires de la Garde côtière canadienne, l'aéroglisseur Sipu Muin et un navire auxiliaire, ont été dépêchés pour chercher le troisième officier.
À 16 h 48, toutes les unités de recherche et sauvetage ont reçu l'ordre de suspendre leurs activités.
Le 7 octobre, la Sûreté du Québec a retrouvé le corps du troisième officier près de Champlain (Québec).
1.4 Résultats de l'autopsie
Le corps du troisième officier a fait l'objet d'une autopsie et d'un examen toxicologique complet; on n'a rien trouvé qui aurait pu mener ou contribuer à l'accident. Dans son rapport, le coroner a déterminé que la noyade était vraisemblablement la cause du décès; il a également relevé des blessures mineures qui auraient pu être causées par la chute dans l'eau.
1.5 Conditions environnementales
Le 29 septembre, à 22 h, les vents à Trois-Rivières soufflaient du nord à 6 nœuds. La température de l'air était de 7 °C et celle de l'eau, de 19,6 °C. Le ciel était couvert, et la visibilité était de 9 milles marins (nm). Près de la section 19 du port de Trois-Rivières, le courant atteignait 1,5 nœudNote de bas de page 4 , et la hauteur des vagues variait de 0,3 m à 0,6 m.
1.6 Certifications et inspections du navire
L'Amazoneborg avait tous les certificats requis pour sa classe de navire et le voyage prévu :
- L'organisation reconnue de l'État du pavillon avait précédemment inspecté le navire et renouvelé son certificat de classification le 1er mars 2017.
- Le certificat de sécurité de navire de charge du navire et le Registre d'équipement pour le certificat de sécurité pour navires de charge (Formulaire C) supplémentaire ont été émis le 31 août 2017.
- Le certificat de gestion de la sécurité du navire a été émis le 24 mars 2017.
- Le certificat de travail maritime du navire avait été émis le 10 mai 2013, et une déclaration de conformité du travail maritime, partie I avait été émise le 6 novembre 2012. L'organisation reconnue avait effectué une inspection intermédiaire le 8 juin 2015, selon laquelle le navire était conforme à la Convention du travail maritime (MLC) de 2006.
1.7 Certification et expérience du personnel
Le capitaine était titulaire d'un brevet de capitaine. Il était au service de la compagnie depuis 2006 et avait été promu capitaine en 2015. Il s'agissait de son troisième contrat de 3 mois comme capitaine de l'Amazoneborg.
Le capitaine en second était également titulaire d'un brevet de capitaine. Il était au service de la compagnie depuis 2004 et avait occupé les fonctions de capitaine en second à bord de différents navires depuis 2008. Il occupait les fonctions de capitaine en second à bord de l'Amazoneborg depuis 2014.
Le second officier était titulaire d'un brevet de premier officier de pont. Il était au service de la compagnie depuis 2012 et occupait les fonctions de second officier depuis 2016. Au moment de l'événement, il avait exécuté 2 contrats comme second officier à bord de l'Amazoneborg.
Le troisième officier était titulaire d'un certificat d'officier de quart à la passerelle. Il était au service de la compagnie depuis 2013 et avait achevé sa formation d'apprentissage à bord de 2 navires de la compagnie comparables à l'Amazoneborg. En 2015, il avait été troisième officier à bord d'un navire semblable à celui à l'étude. Il était passé à l'Amazoneborg comme troisième officier en juin 2017. Le troisième officier avait achevé sa formation de familiarisation le 26 juin 2017. Son dossier de formation attestait de ce qui suit [traduction] : « il connaît l'instruction sur l'évaluation des risques à bord de la partie 17 du manuel des opérations du bord, et sait qu'il a à sa disposition des fiches de sécurité pour assurer sa sécurité personnelle »; et « il sait quel équipement de protection individuel utiliser, et quand l'utiliserNote de bas de page 5 ».
Le matelot de pont qualifié était titulaire d'un brevet de matelot qualifié de pont. Il s'agissait de son troisième contrat comme matelot qualifié à bord de l'Amazoneborg.
1.8 Chances de survie
Lorsqu'il a été vu pour la dernière fois, au moment de recevoir l'ordre de vérifier le tirant d'eau, le troisième officier portait des bottes de sécurité, un casque de sécurité, des gants, une combinaison de travail et un manteau. Au moment de l'événement, on a trouvé un VFI gonflable manuellement dans le casier du troisième officier.
Une personne qui tente de demeurer à flot peut s'épuiser rapidement, surtout si elle ne porte pas de VFI et nage à contre-courant.
1.9 Équipement de protection individuelle à bord
Au moment de l'événement, les membres d'équipage de l'Amazoneborg avaient à leur disposition tout l'équipement de protection individuel (ÉPI) nécessaire. Chaque membre d'équipage avait dans son casier individuel au vestiaire de l'équipage 1 VFI gonflable manuellement. Des VFI gonflables automatiquement avec harnais de sécurité intégré étaient également disponibles dans le vestiaire. Un VFI procure une flottabilité accrue pour aider une personne à flotter. Le manuel des opérations de bord stipule le port d'un harnais antichute avec cordage de sécurité autorétractable (dispositif de protection contre les chutes) pour travailler au-dessus de l'eau; de tels dispositifs se trouvaient dans le vestiaire de l'équipage. Ces dispositifs assujettissent un membre d'équipage à une partie fixe du navire et préviennent toute chute dans l'eau. Il faut du temps pour préparer un dispositif de protection contre les chutes (installer le dispositif et enfiler le harnais), et un autre membre d'équipage doit être présent pendant son l'utilisation.
1.10 Types d'échelles de corde utilisées à bord de navires
1.10.1 Échelles de pilote et échelles d'embarquement
Les échelles de pilote et d'embarquement sont courantes dans le secteur maritime; certains navires sont tenus d'en avoir pour l'embarquement et le débarquement. Ces échelles sont faites pour reposer fermement contre la muraille d'un navire. Elles disposent d'éléments de sécurité pour réduire les risques de glissade et de chute, notamment des traverses et des échelons plats et antidérapantsNote de bas de page 6 (pour échelles de pilote) (annexe C).
La Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS)Note de bas de page 7 recommande des mesures pour l'embarquement sécuritaire des pilotes, ainsi que des normes pour la construction, le gréement adéquat et les dispositifs d'embarquement pour échelles de pilote et d'autres installations servant aux transbordements des pilotes (annexe D). Les échelles d'embarquement doivent également respecter les règlements SOLAS et les normes de l'Organisation maritime internationale (OMI) afin que l'équipage et les passagers disposent de moyens d'évacuation sûrs vers des embarcations de sauvetage.
Conformément à la convention SOLAS, la rambarde de l'Amazoneborg comprend 6 ouvertures situées à divers endroits pour installer des échelles de pilote et d'embarquement (figure 4). Chaque ouverture dans la rambarde comprend une chaîne ou une barrière amovible et des batayoles. Les batayoles et les points d'assujettissement sont soudés en permanence au pont principal. Ensemble, ils garantissent un moyen sûr de passer de l'échelle au pont. Aucune de ces ouvertures ne se trouve à proximité ou à la hauteur des marques de tirant d'eau au milieu du navire.
Au moment de l'événement, il y avait à bord de l'Amazoneborg 1 échelle de pilote de rechange et 1 échelle d'embarquement de rechange pour utilisation générale.
Étant donné leur conception et construction particulières, les échelles de pilote et d'embarquement sont plus lourdes à manipuler que les échelles de revers. Aussi, il faut plus de personnes pour les transporter et les installer que les échelles de revers. Le poids approximatif d'une échelle de pilote est de 88 kg, d'une échelle d'embarquement de 65 kg, et d'une échelle de revers de 17 kg (modèles standards).
1.10.2 Échelles de revers
1.10.2.1 Description d'une échelle de revers
Une échelle de revers (aussi appelée échelle de tangon ou échelle de Jacob) est une échelle pendante et souple composée de cordes ou de chaînes verticales et d'échelons horizontaux en bois ou en métal. Ce type d'échelle est courant et sert dans diverses applications dans le secteur maritime.
Aucune norme internationale ne régit la conception et la construction des échelles de revers. Au Canada, le Règlement sur les mesures de sécurité au travail, qui s'applique à tous les navires au Canada, stipule que :
- Toute échelle de revers doit être assez longue pour atteindre le point de débarquement prévu, et les dispositifs de fixation au navire doivent être efficaces, solidement fixés et en bon état.
- Toute échelle portative doit être maintenue en bon état et solidement fixée de façon à ne pas se déplacer ni glisser lorsqu'elle est utiliséeNote de bas de page 8 .
D'autres États, comme le Royaume-Uni, fournissent des lignes directrices de construction d'échelles de corde [traduction] :
- La surface d'appui des échelons doit être antidérapante et d'au moins 400 mm × 115 mm × 25 mm. Les échelons doivent être fixés de manière à résister fermement à toute torsion et tout basculement et reversement. [...]
- Les échelles de plus de 1,5 m de long doivent être munies de traverses […]Note de bas de page 9 .
Au moment de l'événement, 2 échelles de revers se trouvaient à bord de l'Amazoneborg. Elles se composaient d'échelons ronds en bois insérés entre des cordes de chanvre et fixés par des colliers de serrage en aluminium. L'échelle utilisée dans l'événement à l'étude mesurait 9,4 m de long, et ses échelons mesuraient 400 mm de long sur 34 mm de diamètre. Lorsqu'elles sont appuyées sur une surface plane, leurs cordes sont en contact étroit avec la surface (ailleurs qu'au niveau des colliers de serrage). La distance depuis la surface plate au bord extérieur de l'échelon est de 42 mm, pour une prise de pied de quelque 25 à 35 mm (figure 5).
Comme les échelles de revers à bord de l'Amazoneborg ne portaient aucune marque ni étiquette d'identification, l' enquête n'a pas pu identifier le fabricant.
Au moment de l'événement, les échelles de revers à bord de l'Amazoneborg faisaient l'objet d'inspections mensuelles. La dernière remontait au 2 septembre 2017. D'après le rapport d'inspection, les échelles paraissaient en bon état.
L'examen par le BST de l'échelle utilisée dans l'événement à l'étude a également indiqué que l'échelle paraissait en bon état.
1.10.2.2 Installation de l'échelle de revers
L'échelle de revers utilisée dans l'événement à l'étude était installée à la rambarde, au-dessus des marques de tirant d'eau au milieu du navire (figure 6). Ce segment de rambarde se composait de lisses et de batayoles permanentes. C'était de cette façon que les échelles de revers étaient habituellement installées à bord de l'Amazoneborg. Durant l'installation, on ajustait habituellement la longueur de l'échelle en fonction du franc-bord du navire de manière à ce qu'elle pende au-dessus de l'eau. Pour passer du pont à l'échelle, l'utilisateur devait escalader la rambarde, la chevaucher brièvement, puis en descendre du côté mer. La rambarde permanente a pour objet de prévenir toute chute du personnel par-dessus bord, et non pas de fixer une échelle.
1.11 Pratiques de l'industrie
1.11.1 Travaux par-dessus bord
Les travaux par-dessus bord (en abord de la coque, dans les superstructures, hors-bord) se déroulent sur la muraille du navire, ce qui entraîne des risques de chute dans l'eau. On effectue habituellement ces travaux au moyen de plateformes volantes, d'une chaise de gabier, d'échelles, de petites embarcations, ou d'une plateforme ou nacelle appropriée soulevée par une grue.
D'après les exigences de la MLC 2006 sur les accidents et blessures du travail à bord de navires, les dispositions prévues au règlement 4.3 « devraient tenir compte du recueil de directives pratiques du [Bureau international du Travail] intitulé Prévention des accidents à bord des navires en mer et dans les ports, 1996 »Note de bas de page 10 . D'après ce recueil, les membres d'équipage qui travaillent par-dessus bord devraient prendre les mesures de sécurité suivantes :
- Porter l'ÉPI (dispositif de protection contre les chutes et VFI).
- Être supervisé par un autre membre d'équipage et aidé par lui, au besoin.
- Avoir à portée de main une bouée de sauvetage munie d'un filin de sécurité.
- Obtenir un permis de travail.
- Effectuer une évaluation des risquesNote de bas de page 11 .
En matière d'installation des échelles de corde, ce code stipule que : « Les échelles de corde devraient être correctement fixées et ne jamais être reliées à un garde-corps ou à d'autres moyens de support à moins que le garde-corps ou le support ne soient capables de supporter le poids d'une personne et de l'échelle »Note de bas de page 12 .
1.11.2 Mesure du tirant d'eau
Les marques de tirant d'eau sur la coque d'un navire indiquent la distance verticale en mètres ou en pieds, du bas de la quille à la ligne de flottaison. Ces marques se trouvent à 3 endroits à bâbord et à tribord des navires : à l'avant, au milieu, et à l'arrière. La mesure des tirants d'eau permet aux officiers ou aux experts maritimes de déterminer le déplacement d'un navireNote de bas de page 13 .
Les mesures de tirant d'eau permettent également d'établir la masse de la cargaison par des calculs et corrections. Un expert maritime indépendant effectue un relevé de chargement initial avant le chargement ou le déchargement de la cargaison en vrac, puis procède à un relevé de chargement final une fois les opérations terminées. L'expert détermine ensuite la masse exacte de la cargaison en calculant la différence entre les relevés de chargements initial et final des tirants d'eau et en appliquant les corrections nécessaires. Les mesures de tirant d'eau exigent une exactitude rigoureuse.
Durant les opérations de chargement ou de déchargement, les officiers doivent procéder régulièrement à des vérifications intermédiaires des tirants d'eau des 2 côtés du navireNote de bas de page 14 . Ces vérifications ont pour objet de surveiller les opérations de chargement ou de déchargement, déterminer l'assiette et la gîte du navire, et calculer les efforts de cisaillementNote de bas de page 15 et moments de fléchissementNote de bas de page 16 . Ces mesures peuvent être moins précises que les mesures de tirants d'eau.
Pour déterminer le tirant d'eau à quai, un officier ou l'expert maritime se rend sur le quai pour relever les marques à l'avant, au milieu et à l'arrière du navire. Pour déterminer le tirant d'eau du côté mer, l'officier ou l'expert maritime descend couramment une échelle de corde pour aller relever ces marques. Comme l'observateur se trouve au même niveau que les marques, il peut en faire une lecture exacte et ainsi éviter les erreurs de parallaxeNote de bas de page 17 . Toutefois, on a constaté que [traduction] :
Bien qu'il soit courant d'aller relever les marques de tirant d'eau du côté mer au moyen d'une échelle de corde, une vedette ou une petite embarcation offre un environnement plus stable et place l'observateur en position plus sûre et plus proche de la ligne de flottaisonNote de bas de page 18 .
Dans certaines situations, il peut être difficile et dangereux d'aller relever des marques de tirant d'eau du côté merNote de bas de page 19 ; dans ces cas, on peut avoir recours à d'autres méthodes, y compris les observations à partir d'une petite embarcation ou au moyen d'un manomètre, d'un ruban de jaugeage, d'un indicateur de tirant d'eau, ou d'un clinomètre étalonné. La méthode que choisit l'observateur dépend du degré de précision requis.
1.12 Méthodes de bord pour mesurer le tirant d'eau
Avant l'événement à l'étude, les officiers de l'Amazoneborg relevaient couramment les marques de tirant d'eau à l'avant, au milieu et à l'arrière du navire durant le chargement et le déchargement de cargaisons en vrac pour surveiller ces opérations. Ils relevaient habituellement le tirant d'eau milieu du côté mer à partir du pont principal, en déroulant un ruban de jaugeage ou à l'œil nu en regardant par-dessus la rambarde. Pour déterminer les tirants d'eau du côté du quai, les officiers relevaient les marques à partir du quai.
Toutefois, au cours du relevé de chargement, un officier accompagnait le l'expert maritime pour prendre les mesures des tirants d'eau initiales et finales. L'équipage allait habituellement relever les marques de tirant d'eau au milieu du navire du côté mer en utilisant l'une des échelles de revers du navire, car ces marques exigeaient une lecture plus précise. Les officiers du navire ne considéraient pas cette tâche comme du travail par-dessus bord, au sens où l'entend le manuel des opérations du navire. Néanmoins, certains officiers étaient au courant des dangers potentiels et avaient élaboré une pratique officieuse : porter un VFI et être supervisé par d'autres membres d'équipage ayant accès aux communications radio et à une bouée de sauvetage. Lorsque les officiers relevaient les marques de tirant d'eau à partir du quai, ils ne portaient habituellement pas de VFI.
Tôt le matin avant l'événement, un expert maritime était monté à bord du navire pour effectuer un relevé de chargement initial. L'employeur de cet expert lui interdisait d'utiliser une échelle de revers. Le second officier, qui portait un VFI, a alors utilisé une échelle de revers déjà fixée à la rambarde pour aller relever à sa place les marques de tirant d'eau au milieu du navire du côté mer. On a ensuite monté et enroulé l'échelle sur le pont.
1.13 Perception du risque lié aux tâches courantes
Des études sur la transformation des méthodes de travail ont montré que la modification des pratiques de travail non sécuritaires est difficile et lente, notamment en raison des facteurs contextuels des environnements physique et économique où ces pratiques se déroulentNote de bas de page 20 . De plus, les membres d'équipage peuvent travailler longtemps sans accident, ce qui les porte à se fier à des pratiques de travail non sécuritairesNote de bas de page 21 . La vérification du tirant d'eau d'un navire comporte des dangers et des risques particuliers qu'il faut gérer. La répétition de cette tâche peut normaliser les risques qu'elle comporte. Chaque fois que l'on effectue cette tâche sans incident, la perception de la gravité des risques diminueNote de bas de page 22 Note de bas de page 23 .
1.14 Systèmes de gestion de la santé et sécurité
1.14.1 Code international de gestion de la sécurité
Les objectifs du Code international de gestion de la sécurité (Code ISM adopté par l'OMI) sont de garantir la sécurité en mer et la prévention des lésions corporelles ou des pertes en vies humaines et d'empêcher les dommages à l'environnement. D'après le Code ISM, les objectifs de gestion de la sécurité d'une compagnie devraient être d'offrir des pratiques d'exploitation et un environnement de travail sécuritaires, par une évaluation de tous les risques cernés pour les navires, le personnel et l'environnement; d'établir des mesures de sécurité contre tous les risques identifiés; et d'améliorer constamment les compétences du personnel à terre et à bord des navires en matière de gestion de la sécuritéNote de bas de page 24 . Le Code ISM, qui vise tous les navires de jauge brute supérieure à 500 tonnes qui adhèrent à la convention SOLAS et tous les navires passagers, exige que les compagnies et les navires élaborent et mettent en œuvre un système de gestion de la sécurité (SGS). Le chapitre 7 du Code ISM stipule que les entreprises :
devraient mettre en place des procédures de préparation de plans et de consignes, ainsi que des listes de contrôle, s'il y a lieu, pour les principales opérations à bord concernant la sécurité du navire et la prévention de la pollution. Les diverses tâches en jeu devraient être définies et assignées à un personnel qualifiéNote de bas de page 25 .
Les compagnies devraient s'assurer que les SGS utilisés à bord d'un navire particulier comprennent des procédures et des instructions pour éviter les pratiques non sécuritaires. Par conséquent, les compagnies devraient veiller à ce que leurs procédures soient claires et simples et comprennent des activités routinières comme le relevé des marques de tirant d'eauNote de bas de page 26 .
1.14.2 Convention du travail maritime
La MLC 2006 vise les navires (comme l'Amazoneborg) et les propriétaires de navires d'États du pavillon qui ont ratifié la convention,ainsi que tous les navires qui naviguent dans les eaux territoriales d'un État du pavillon qui a ratifié la convention (comme le Canada et les Pays-Bas). La convention MLC 2006 établit des dispositions pour protéger les droits et conditions de travail des gens de mer, comme la santé et sécurité au travail et la prévention des accidents.
1.14.3 Système de gestion de la santé, de la sécurité, de l'environnement et de la qualité de la compagnie
En mai 2017, l'organisation reconnue de l'État du pavillon a délivré à la compagnie un document de conformité selon lequel cette dernière se conformait au Code ISM. Le 22 novembre 2012, cette organisation reconnue avait examiné la partie II de la Déclaration de conformité du travail maritime de la compagnie et avait déterminé que cette dernière se conformait à la convention MLC 2006 ainsi qu'aux exigences de l'administration du pavillon des Pays-Bas. Conformément au Code ISM, à la convention MLC 2006 et à d'autres normes, Wagenborg Shipping B.V. utilise un système de gestion de la santé, de la sécurité, de l'environnement et de la qualité (SSEQ) qui comprend des manuels des opérations du navire propres à chaque série de navires, ainsi qu'un manuel de la compagnie.
Le manuel de la compagnie publié le 1er octobre 2016 contient les procédures et des renseignements sur le système de gestion de la compagnie, y compris les structures organisationnelles, les responsabilités, les mesures correctives et préventives à prendre, les rapports d'incident et de situations dangereuses, les vérifications internes, et la gestion de la santé et sécurité au travail. Il n'offre aucun renseignement sur les tâches particulières, comme le travail par-dessus bord et la vérification des tirants d'eau.
Le manuel des opérations du navire de l'Amazoneborg a été révisé le 1er novembre 2016. Ce manuel contient des procédures générales d'exploitation et de sécurité pour les navires de série A de la compagnie, ainsi que des procédures de gestion du risque et des instructions sur l'évaluation des risques et l'ÉPI. D'après ce manuel, les membres d'équipage peuvent évaluer les risques et dangers à l'aide de 5 méthodes :
- évaluation des risques de dernière minute (évaluation personnelle des risques);
- exposé sur les mesures de sécurité;
- permis de travail pour accéder aux espaces clos ou confinés, pour le travail à chaud, en hauteur ou par-dessus bord, qui comprend une fiche d'instructions de sécurité particulière;
- fiche de sécurité pour évaluer les risques de travaux imprévus;
- évaluation et inventaire des risques externes.
Le manuel des opérations du navire ne comprenait aucune procédure ni instruction relatives aux vérifications des tirants d'eau.
1.14.3.1 Exposé sur les mesures de sécurité
Au moment de l'événement, conformément au manuel des opérations du navire de l'Amazoneborg, un exposé sur les mesures de sécurité était obligatoire pour certaines opérations spécifiques, entre autres :
- amarrage et désamarrage;
- accès à des espaces clos et confinés;
- utilisation des grues de panneaux de cale;
- manutention de la cloison d'entrepont;
- vérification de la cargaison;
- utilisation des grues du navire;
- travaux imprévus.
On doit consigner tous les exposés sur les mesures de sécurité dans le journal de bord approprié. L'enquête n'a trouvé aucune entrée laissant croire qu'un exposé sur les mesures de sécurité avait eu lieu la veille du jour de l'événement. Il n'y avait aucune exigence explicite sur la tenue d'un exposé sur les mesures de sécurité avant de travailler par-dessus bord ou de vérifier les tirants d'eau.
1.14.3.2 Fiche de sécurité et autorisation de travailler par-dessus bord
Il y a plusieurs façons de relever les tirants d'eau; l'une d'elles consiste à travailler par-dessus bord, sur une échelle. Au moment de l'événement, la compagnie n'avait aucune procédure ni instruction pour l'équipage contenant des lignes directrices sur la vérification du tirant d'eau. D'après le manuel des opérations du navire de l' Amazoneborg, on doit obtenir un permis pour travailler par-dessus bord. Une fiche d'instructions de sécurité accompagne ce permis pour aider les membres d'équipage à cerner les dangers; elle indique en outre les précautions à prendre pendant les travaux sur le pont, par-dessus bord et en hauteur.
Le permis de travailler par-dessus bord comprend une liste de vérification des préparatifs aux travaux qui inclut l'ÉPI, l'équipement de communication, l'équipement de sécurité, et l'état et l'installation d'autre équipement à utiliser. Plus précisément, la liste de vérification demande si l'échelle de revers est en bon état et si elle a été inspectée. Le permis de travailler par-dessus bord n'interdit pas d'utiliser une échelle de revers contre une surface plane (p. ex., pour relever les marques de tirant d'eau). Il ne spécifie pas non plus qu'un membre d'équipage doit surveiller un collègue qui travaille par-dessus bord.
Ce permis de nature générale sert à toutes sortes de travaux effectués par-dessus bord. Il est valide uniquement pour la période durant laquelle les membres d'équipage effectuent les travaux en question. Ce permis doit être rempli par l'officier responsable et signé par le capitaine, l'officier responsable et le membre d'équipage à qui l'on confie les travaux.
L'enquête a déterminée qu'aucun permis de travailler par-dessus bord n'avait été émis le jour de l'événement ou émis à bord depuis le 31 octobre 2016.
1.14.3.3 Évaluation et inventaire des risques externes
En 2012, comme l'exigeait la Working Conditions Act des Pays-Bas, l'OMI et la convention MLC 2006, des experts autorisés ont effectué une évaluation et dressé une liste des risques pour la santé et sécurité au travail à bord de l'Amazoneborg. Cette évaluation a été suivie d'un rapport qui comprenait de l'information sur les risques à bord (p. ex., travailler en hauteur) et qui présentait en détail des plans d'action et des mesures d'atténuation. Ce rapport a été remis aux membres d'équipage pour consultation. Toutefois, il ne comprenait aucun renseignement sur les risques de vérifier les tirants d'eau.
1.14.3.4 Équipement de protection individuel
Le manuel des opérations du navire de l'Amazoneborg comprend une page sur l'ÉPI qui établit l'équipement de protection à porter en fonction des tâches spécifiques. D'après cette page, pour travailler au-dessus de l'eau, les employés doivent obligatoirement porter l'ÉPI suivant :
- casque
- gants
- combinaison de travail avec bandes réfléchissantes (hiver)
- chaussures de sécurité
- harnais antichute avec cordage de sécurité autorétractable
- VFI gonflable
Au moment de l'événement, la liste de tâches nécessitant le port d'ÉPI ne mentionnait pas d'autres tâches qui posent un risque de chute à l'eau (p. ex., travailler sur le quai).
1.14.3.5 Vérifications
Le 24 mars 2017, l'organisation reconnue de l'État du pavillon a effectué une vérification de renouvellement de la conformité au Code ISM à bord de l'Amazoneborg. Le rapport de vérification externe a révélé que les rapports sur des événements dangereux de l'équipage étaient inadéquats. Pourtant, ce problème avait été soulevé lors d'un audit de sécurité interne réalisé par la compagnie le 30 août 2016, et le capitaine avait encouragé la prise de mesures correctives à l'occasion de réunions de sécurité subséquentes.
Une autre vérification interne réalisée le 25 août 2017 a fait état de 3 observations sur la sécurité générale du navire.
Ni l'une ni l'autre de ces vérifications n'a relevé de non-conformité ou fait quelque observation ou suggestion à propos du respect par l'équipage des procédures de la compagnie relatives aux travaux par-dessus bord.
1.15 Inspection de contrôle par l'État du port
Le Contrôle des navires par l'État du port est un programme d'inspection des navires reconnu au niveau international. En vertu de ce programme, des agents de contrôle de l'État du port montent à bord de navires étrangers qui entrent dans les eaux d'un état souverain pour les inspecter en vue d'assurer leur conformité avec les diverses conventions maritimes internationales importantesNote de bas de page 27 . Au Canada, il incombe à TC d'effectuer ces inspections de contrôle par l'État du port conformément aux protocoles d'entente de Paris et de Tokyo sur le contrôle des navires par l'État du port. Le protocole d'entente de Paris stipule que « des facteurs prépondérants ou imprévusNote de bas de page 28 peuvent entraîner une inspection s'ajoutant aux inspections périodiques » et que « la décision de procéder à une telle inspection supplémentaire est laissée au jugement professionnel de l'autorité compétenteNote de bas de page 29 ».
Après l'événement, les inspecteurs de TC sont montés à bord de l'Amazoneborg et l'ont inspecté, conformément à la Loi de 2001 sur la marine marchande du CanadaNote de bas de page 30 . Au terme de l'inspection, aucun rapport d'inspection de contrôle par l'État du port n'a été rédigé et aucune anomalie n'a été consignée.
1.16 Événements connexes
Le 1er octobre 2016, un incident similaire à l'événement à l'étude s'est produit à bord d'un autre navire, le Reestborg,appartenant à la même compagnie. Le troisième officier du Reestborg se servait d'une échelle de revers pour aller relever les marques de tirant d'eau au milieu du navire du côté mer lorsqu'il a perdu l'équilibre et est tombé à l'eau. Son VFI s'est gonflé, et il a pu s'accrocher à l'échelle et appeler à l'aide, avant de gravir l'échelle et de remonter à bord du navire. Le troisième officier a été légèrement blessé.
Après cet incident, le capitaine du navire a tenu une réunion de sécurité et a mené une enquête en remplissant un rapport général, comme l'exige la procédure de la compagnie. Durant la réunion de sécurité, le capitaine du Reestborg a donné les instructions suivantes à ses officiers :
- Utiliser le ruban de jaugeage pour vérifier le tirant d'eau au milieu du navire du côté mer.
- S'il faut utiliser une échelle, opter pour l'échelle de pilote et porter l'ÉPI approprié (comme un dispositif de protection contre les chutes et un VFI). Demander la présence d'un autre membre d'équipage muni d'une bouée de sauvetage et d'un appareil de communication radio fiable.
- Porter un VFI pour aller relever les marques de tirant d'eau à partir du quai.
Le capitaine a remis son rapport général à la compagnie. En novembre 2016, conformément aux procédures de la compagnie, l'équipe Système SSEQ a communiqué ces renseignements à la flotte en publiant un article rédigé par le capitaine et intitulé « USE OF LIFEJACKET, a lifesaver!Note de bas de page 31 » dans FleetNews, une publication de la compagnieNote de bas de page 32 . Cet article rappelait que l'on doit faire un exposé sur les mesures de sécurité en bonne et due forme avant d'entreprendre des tâches comme travailler par-dessus bord.
Depuis 2013, le BST a été informé de 4 événements concernant des membres d'équipage qui travaillaient par-dessus bord, dont un qui ressemble à l'événement à l'étude :
M17C0292 (Federal Champlain) : Le 8 décembre 2017, à Thunder Bay (Ontario), le troisième officier du vraquier Federal Champlain est tombé à l'eau depuis une échelle qu'il utilisait pour aller relever les marques de tirant d'eau au milieu du navire du côté mer. Il a été secouru par l'une des petites embarcations du terminal, dépêché à l'hôpital le plus proche pour y recevoir des soins, et a obtenu son congé quelques heures plus tard.
1.17 Rapports de laboratoire du BST
Le BST a produit le rapport de laboratoire suivant dans le cadre de la présente enquête :
- LP266/2017 – Rope ladder analysis [analyse de l'échelle de corde]
2.0 Analyse
L'enquête a permis de déterminer que, pendant que l'Amazoneborg était amarré à la section 19 du port de Trois-Rivières, le troisième officier est probablement tombé à l'eau pendant qu'il se servait d'une échelle de revers pour aller relever les marques de tirant d'eau au milieu du navire du côté mer. Rien ne laisse croire à une défaillance de l'échelle.
L'analyse portera sur les événements qui ont mené à la chute par-dessus bord et à la perte de vie. Elle abordera également le caractère adéquat de l'équipement ainsi que le système de gestion de la sécurité de la compagnie.
2.1 Facteurs ayant mené à la chute par-dessus bord et à la perte de vie
Le troisième officier relevait les marques de tirant d'eau du navire dans le cadre d'une vérification routinière durant les opérations de chargement. Après qu'il eut relevé les marques de tirant d'eau sur tribord depuis le quai, le troisième officier est remonté à bord du navire pour relever ces marques du côté mer.
Le troisième officier avait récupéré le ruban de jaugeage au bureau du navire, et le capitaine en second a présumé que le troisième officier relèverait le tirant d'eau au moyen du ruban ou visuellement à partir du pont principal.
On a retrouvé le ruban de jaugeage sur le pont principal à bâbord du navire, ce qui laisse croire que même s'il avait cet outil, le troisième officier ne l'a pas utilisé. On a retrouvé l'échelle de revers descendue, ce qui laisse croire que le troisième officier avait l'intention de s'en servir pour aller relever les marques de tirant d'eau au milieu du navire du côté mer. L'enquête n'a pas permis de déterminer pourquoi le troisième officier a choisi l'échelle de revers plutôt que d'autres options qui s'offraient à lui, comme la vérification visuelle à partir du pont principal ou le ruban de jaugeage.
L'enquête a établi qu'à bord de l'Amazoneborg, on se servait couramment de l'échelle de revers pour aller relever les marques de tirant d'eau du côté mer, sans conséquence négative, et que le second officier l'avait utilisée plus tôt dans la journée. Il se peut que cela ait contribué à la perception de faible risque associé à cette tâche.
L'échelle de revers était fixée à la rambarde. Ainsi, il n'y avait aucun accès sécuritaire à l'échelle à partir du pont, comme par une ouverture dans la rambarde. Toutefois, l'enquête a permis de déterminer que l'échelle en soi paraissait en bon état. Ainsi, il se peut que le troisième officier soit tombé à l'eau pendant qu'il passait par-dessus la rambarde du navire pour utiliser l'échelle de revers qui y était fixée ou pendant qu'il se trouvait sur l'échelle.
Des dispositifs de protection contre les chutes se trouvaient à bord du navire, mais les officiers n'avaient pas l'habitude de s'en servir pour aller relever les marques de tirant d'eau à partir d'une échelle de revers.
Le troisième officier a décidé de se servir de l'échelle de revers sans aviser ou demander la présence d'autres membres d'équipage qui auraient pu l'aider. Personne n'était au courant des gestes du troisième officier, aucun dispositif de protection contre les chutes n'a été utilisé dans l'événement à l'étude, et personne n'était sur place pour mettre en branle une intervention d'urgence lorsque le troisième officier est tombé dans l'eau.
Environ 10 minutes après que le troisième officier eut été aperçu pour la dernière fois, le capitaine en second a tenté de le joindre par radiotéléphone, mais en vain. Au cours de la première recherche du troisième officier, on a trouvé l'échelle de revers descendue. C'est alors que le troisième officier a été porté disparu et que l'on a mis en branle les opérations de recherche.
On a trouvé le vêtement de flottaison individuel (VFI) du troisième officier dans son casier; cet équipement était donc disponible avant l'événement, mais le troisième officier ne s'en est pas servi pour aller relever les marques de tirant d'eau. L'absence d'un VFI a diminué les chances du troisième officier de survivre dans l'eau.
2.2 Caractère adéquat de l'équipement pour mesurer le tirant d'eau du côté mer
Deux échelles de revers se trouvaient à bord du navire et à la disposition de l'équipage au moment de l'événement. Ces échelles étaient beaucoup plus légères et moins encombrantes que les échelles de pilote et d'embarquement qui se trouvaient à bord. L'équipage se servait couramment d'une échelle de revers pour aller relever les marques de tirant d'eau au milieu du navire du côté mer pour les relevés de chargement initial et final.
Lorsqu'une échelle de revers est utilisée pour relever les marques de tirant d'eau au milieu de l'Amazoneborg du côté mer, celle-ci s'appuie contre la muraille du navire. Ce type d'échelle est prévu pour être utilisé en suspension libre. Par conséquent, lorsqu'elle était appuyée contre la muraille du navire, l'échelle n'offrait pas assez de surface d'appui pour les mains et les pieds. De plus, elle était instable et glissante en raison de la rondeur des échelons et de l'absence de traverses, ce qui augmentait les risques de chute. Même si aucun règlement n'interdisait son utilisation à bord de l'Amazoneborg au moment de l'événement, l'échelle de revers était inappropriée pour aller relever les marques de tirant d'eau au milieu du navire du côté mer. À titre comparatif, les caractéristiques et la construction des échelles d'embarquement et de pilote à bord du navire offrent suffisamment de surface d'appui pour les pieds et les mains et de stabilité pour assurer un embarquement et un débarquement sûrs. Elles conviennent donc mieux aux travaux qui requièrent de les appuyer contre une surface plane.
De plus, la rambarde ne comprend aucune ouverture à proximité des marques de tirant d'eau au milieu du navire ni ne se situe dans leur ligne, de manière à offrir un moyen sûr de passer de l'échelle au pont. Par conséquent, l'échelle était fixée à la rambarde pour relever les marques de tirant d'eau au milieu du navire du côté mer; or, ce n'est pas la fonction prévue de la rambarde. En outre, le risque de chute par-dessus bord augmente lorsque l'utilisateur doit escalader et chevaucher la rambarde pour passer de l'échelle au pont.
Si l'on utilise de l'équipement inadéquat pour effectuer une tâche, il y a un risque de blessure grave ou mortelle pour les membres d'équipage.
2.3 Procédures de la compagnie
Le manuel de la compagnie et le manuel des opérations du bord des navires de série A ne contiennent aucune procédure ou instruction pour vérifier le tirant d'eau. Ni l'un ni l'autre de ces manuels ni le permis de travailler par-dessus bord n'interdit d'utiliser une échelle de revers contre une surface plane (p. ex., pour aller relever les marques de tirant d'eau). Le permis ne spécifie pas non plus qu'un membre d'équipage doit surveiller son collègue qui travaille par-dessus bord. Ainsi, aucune ligne directrice écrite n'existe pour indiquer à l'équipage comment vérifier le tirant d'eau ou atténuer les risques de cette tâche. De plus, avant l'événement, les officiers n'avaient pas reçu d'exposé sur les mesures de sécurité relatives aux méthodes à utiliser pour aller relever les marques de tirant d'eau, pour évaluer les risques de cette tâche et pour mettre en œuvre de mesures d'atténuation (p. ex., remplir un permis de travailler par-dessus bord). Par conséquent, l'équipage devait choisir lui-même la méthode à utiliser pour aller relever les tirants d'eau du navire.
Si un membre d'équipage se sert d'une échelle pour aller relever les marques de tirant d'eau du côté mer, il travaille par-dessus bord; d'après le manuel des opérations du bord de l'Amazoneborg, ce type de travail exige un permis. Or, en pratique, l'équipage n'obtenait pas de permis pour les procédures de la compagnie visant les travaux par-dessus bord; en fait, on considérait qu'aller relever les marques de tirant d'eau du côté mer à l'aide d'une échelle de revers était une tâche routinière qui n'exigeait aucun permis. De plus, comme on utilisait couramment et sans conséquence négative les échelles de revers pour aller relever les marques de tirant d'eau du côté mer, l'équipage a sans doute perçu les dangers de cette tâche routinière comme étant faibles ou acceptables.
Par conséquent, on n'a rempli aucun permis de travailler par-dessus bord, et certaines mesures d'atténuation des risques n'ont pas été strictement mises en œuvre durant l'exécution de cette tâche. Il est essentiel de disposer de procédures appropriées et bien documentées pour accomplir les tâches routinières à bord d'un navire. Ainsi, les membres d'équipage savent comment effectuer ces tâches et comprennent les risques qu'elles comportent et les mesures de contrôle afférentes. Quand on les applique, ces procédures favorisent des méthodes de travail cohérentes et sécuritaires à bord d'un navire.
Le capitaine du Reestborg avait précédemment fait part de ses inquiétudes concernant les chutes à l'eau dans un article publié dans FleetNews, la publication de la compagnie. Or, la compagnie ne les a pas abordées en bonne et due forme, par une révision ou une correction du manuel des opérations du bord. Malgré la publication d'un article dans FleetNews et des vérifications internationales de la gestion de la sécurité par la compagnie et l'organisation reconnue de l'État du pavillon, des pratiques dangereuses de vérification du tirant d'eau ont persisté à bord de l'Amazoneborg.
Si les procédures d'exploitation de bord n'incluent pas les tâches routinières, il y a un risque que ces tâches ne soient pas effectuées en toute sécurité et que des pratiques dangereuses persistent et mettent en danger la vie des membres d'équipage.
3.0 Faits établis
3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Dans l'événement à l'étude, on a retrouvé l'échelle de revers descendue, ce qui laisse croire que le troisième officier avait l'intention de s'en servir pour aller relever les marques de tirant d'eau au milieu du navire du côté mer.
- L'échelle de revers était fixée à la rambarde. Ainsi, il n'y avait aucun accès sécuritaire à l'échelle à partir du pont.
- L'échelle de revers était inappropriée pour relever les marques de tirant d'eau au milieu du navire du côté mer.
- Il se peut que le troisième officier soit tombé à l'eau pendant qu'il passait par-dessus la rambarde du navire pour utiliser l'échelle de revers qui y était fixée ou pendant qu'il se trouvait sur l'échelle.
- Personne n'était au courant des gestes du troisième officier, aucun dispositif de protection contre les chutes n'a été utilisé, et personne n'était sur place pour mettre en branle une intervention d'urgence lorsque le troisième officier est tombé dans l'eau.
- L'absence d'un vêtement de flottaison individuel a diminué les chances du troisième officier de survivre dans l'eau.
3.2 Faits établis quant aux risques
- Si l'on utilise de l'équipement inadéquat pour effectuer une tâche, il y a un risque de blessure grave ou mortelle pour les membres d'équipage.
- Si les procédures d'exploitation du navire n'incluent pas les tâches routinières, il y a un risque que ces tâches ne soient pas effectuées en toute sécurité et que des pratiques dangereuses persistent et mettent en danger la vie des membres d'équipage.
3.3 Autres faits établis
- Ni la vérification interne ou externe n'a relevé de non-conformité ou fait quelque observation ou suggestion à propos du respect par l'équipage des procédures de la compagnie relatives aux travaux par-dessus bord.
- Après l'événement, des inspecteurs de Transports Canada sont montés à bord de l'Amazoneborg. Aucun rapport officiel d'inspection de contrôle par l'État du port n'a été rédigé et aucune anomalie n'a été consignée.
- Le 1er octobre 2016, un incident similaire à l'événement à l'étude s'est produit à bord d'un autre navire de la compagnie.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures de sécurité prises
4.1.1 Wagenborg Shipping B.V.
Le 2 octobre 2017, la compagnie a émis à tous les capitaines de sa flotte un avis de sécurité maritime qui expliquait les mesures de sécurité à prendre pour vérifier le tirant d'eau au milieu du navire du côté mer :
- Un permis de travail doit être rempli et des mesures d'atténuation appropriées doivent être mises en œuvre.
- L'utilisation d'une échelle de revers est interdite.
- Si l'on utilise une échelle de pilote ou d'embarquement, celle-ci doit être descendue jusque dans l'eau.
- L'équipage doit porter l'équipement de protection individuel (dispositif de protection contre les chutes et vêtement de flottaison individuel) lorsqu'il travaille par-dessus bord, et un autre membre d'équipage doit être présent pour superviser et prêter main-forte.
- Les membres d'équipage qui sont là pour superviser ou aider doivent avoir accès à une bouée de sauvetage et à des appareils de communication radio fiables.
Un article a été publié dans FleetNews en novembre 2017.
En décembre 2017, la compagnie a émis à tous les membres d'équipage de sa flotte une circulaire qui décrivait un programme en 3 étapes pour prévenir tout accident semblable à l'avenir :
- Remplacer les échelles de revers qui servent pour les embarcations de sauvetage par des échelles d'embarquement approuvées par la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer.
- Interdire l'utilisation et l'achat d'échelles de revers, et les remplacer par des échelles d'embarquement en aluminium; retirer ou détruire toutes les échelles de revers et vérifier s'il s'en trouve toujours à bord durant les visites de navires par la compagnie.
- Expliquer aux équipages les diverses méthodes permises pour relever les tirants d'eau; mener une étude et présenter d'autres moyens et méthodes pour faire ces relevés.
4.1.2 Organisation reconnue de l'État du pavillon
Après l'événement à l'étude, l'organisation reconnue de l'État du pavillon a pris les mesures suivantes :
- Examen des rapports de vérification de l'Amazoneborg, du Reestborg et de la compagnie.
- Vérification des bureaux de la compagnie selon le Code international de gestion pour la sécurité, les 14 et 15 mai 2018. Examen et approbation des enquêtes de la compagnie sur les incidents ayant eu lieu sur les navires Laganborg, Amazoneborg et Nassauborg. Vérification des rapports de suivi, de communications et de signalement d'incident à la flotte.
Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .
Annexes
Annexe A – Plan d’ensemble de l’Amazoneborg
- Cale à marchandises
- Échelle de coupée tribord (position du matelot de pont qualifié)
- Vestiaire de l’équipage
- Bureau du navire
- Emplacement de l’échelle au milieu du navire
- Emplacement où l’on a retrouvé le ruban de jaugeage
- Dernière position connue du troisième officier
- Quartiers d’équipage
- Canot de secours