Échouement
Bateau de pêche Roping the Wind
Chenal Hardys (Île-du-Prince-Édouard)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Description du bateau
Le Roping the WindNote de bas de page 1 était un bateau de pêche de style Northumberland de 12,35 m de long et d'une jauge brute de 14 qui servait à la pêche au homard. La timonerie et les emménagements étaient situés à l'avant, et le compartiment moteur se trouvait sous un pont de travail. La coque du bateau était en bois recouvert de fibre de verre. Au moment de l'événement à l'étude, le tirant d'eau du bateau était de quelque 3 pieds.
Déroulement du voyage
Le 30 avril 2018, vers 11 hNote de bas de page 2, le bateau Roping the Wind, avec 5 membres d'équipage à son bord, a quitté le débarcadère Milligans, non loin de Poplar Grove (Île-du-Prince-Édouard) pour aller mettre à l'eau, pour la deuxième fois ce jour-là, une cargaison de 150 casiers à homards appâtés. Au moment de l'événement, le capitaine était titulaire d'un certificat de formation de conducteur de petits bâtiments ainsi que d'un certificat d'opérateur radio – maritime commercial. Il était propriétaire-exploitant du bateau depuis 5 ans et pêchait localement depuis 10 ans. Tous les membres d'équipage à bord avaient suivi la formation sur les fonctions d'urgence en mer A3.
L'ouverture de la pêche au homard locale, qui dure environ 9 semaines, a lieu autour du 1er mai chaque année, en fonction de l'état des glaces et des conditions météorologiques. En 2018, l'ouverture officielle de la saison locale de pêche au homard a eu lieu le 30 avril. Tôt le matin le jour d'ouverture, tirant parti de la marée haute, le capitaine et l'équipage ont effectué 1 voyage aller-retour aux lieux de pêche. En partant du débarcadère Milligans, ils ont emprunté le chenal Hardys, avec une cargaison de 150 casiers à homards et d'appâts.
Lorsque le bateau a quitté le débarcadère à 11 h pour effectuer son 2e voyage, la visibilité était bonne, la marée était descendante, les vents soufflaient du nord-est de 10 à 15 nœuds et la houle était d'une hauteur de 1 à 2 m; de l'eau vive était visible près de bouées de chenal JS-2 et JS-3. Les capitaines d'autres bateaux de pêche qui étaient passés par le chenal Hardys plus tôt dans la journée avaient indiqué sur le canal 80 de la radio à très haute fréquence (VHF) de naviguer près des bouées de tribord où les eaux étaient plus profondes qu'ailleurs dans le chenal (figure 1).
Une fois le Roping the Wind engagé dans le chenal Hardys, il est brièvement entré en contact avec une barre de sable au fond du chenal, et le régime moteur a ralenti. Le régime moteur a rapidement été rétabli, et le bateau a poursuivi son voyage jusqu'à ce qu'il s'échoue sur une autre barre de sable, près des dernières bouées de bâbord et de tribord du chenal, à environ 1,25 mille marin au nord-est de Rocky Point (Île-du-Prince-Édouard).
Lorsque le capitaine a compris que le bateau était solidement échoué, il a immédiatement placé la manette de commande au neutre, arrêté le moteur et ordonné aux membres d'équipage de revêtir leurs gilets de sauvetage. Pendant qu'ils s'exécutaient, une vague du nord-est, combinée à la marée descendante, a fait virer le bateau échoué à bâbord, ce qui a exposé son tribord à la mer.
Le capitaine a appelé à l'aide sur la voie VHF 80, et tous les membres d'équipage se sont déplacés du pont à la fargue de tribord du bateau, en s'appuyant sur la potence à casiers à homards. Des casiers sont tombés à la mer lorsque les membres d'équipage ont grimpé sur la fargue. Le capitaine a tenté d'escalader les casiers restants pour gagner le radeau de sauvetage et la radiobalise de localisation des sinistres (RLS) rangés sur le toit de la timonerie, mais sans succès. Des vagues se brisaient par-dessus le pavois tribord, et le bateau a commencé à couler.
Le bateau de pêche Spring Loaded 04 se trouvait à proximité, et son capitaine l'a positionné près du bateau Roping the Wind. L'équipage du bateau Spring Loaded 04 a secouru 3 membres d'équipage du bateau échoué. Tandis que d'autres bateaux de pêche arrivaient sur les lieux, le Spring Loaded 04 est rentré au débarcadère.
Un des membres d'équipage du Roping the Wind était tombé à la mer et a été repêché par l'équipage du Dustin's Dream. L'équipage du Bounty Hunter 04 a secouru le dernier membre d'équipage à bord du Roping the Wind.
Tous les membres d'équipage rescapés ont été ramenés au débarcadère Milligans, où ils ont été soignés par des ambulanciers paramédicaux. Quatre des membres d'équipage, dont 1 qui était dans un état critique, ont été transportés à l'hôpital; ils ont été traités pour hypothermie avant d'obtenir leur congé plus tard dans la journée. Le 5e membre d'équipage n'a pas eu besoin de soins médicaux.
Une compagnie locale de sauvetage a renfloué le bateau à l'étude plus tard durant la semaine. La timonerie a subi de graves avaries, et l'envahissement par les eaux a lourdement endommagé le bateau. La compagnie locale de sauvetage a recouvert l'évent du réservoir de carburant dès le lendemain de l'événement. Aucune pollution n'a été signalée.
Le débarcadère Milligans et le chenal Hardys
Le débarcadère Milligans se trouve à l'intérieur de Little Channel; il s'agit d'un quai public en « L » qu'utilisent les pêcheurs de homard locaux. Un chenal traverse le passage de la baie Malpeque vers le passage Conway; les habitants du coin l'appellent le chenal Hardys (figure 1).
Le chenal Hardys est balisé par 5 bouées de tribord et 5 bouées de bâbord; une bouée de chenal JS marque la fin du chenal (figure 1).
Le programme Aides à la navigation de la Garde côtière canadienne (Aides à la navigation GCC) et le Programme des ports pour petits bateaux (Programme des PPB) de Pêches et Océans Canada (MPO) sont les 2 principales entités qui gèrent les aspects de la navigation dans la baie Malpeque. Aides à la navigation GCC supervise le positionnement des aides à la navigation pour baliser les chenaux à l'intérieur de la baie, y compris le chenal Hardys, et doit communiquer tout changement à ces aides. Le Programme des PPB assure le contrôle réglementaire et administratif des ports à l'intérieur de la baie, ainsi que la surveillance des opérations et de la maintenance; il collabore avec l'administration portuaire locale pour déterminer si un dragage est requis afin d'assurer l'accès sécuritaire au port.
Pour indiquer qu'un chenal est navigable jusqu'au débarcadère Milligans et en assurer le maintien, la GCC sous-traite la mise en place, le levage et l'enlèvement, ainsi que la surveillance et l'entretien des bouées dans le chenal HardysNote de bas de page 3.
Chaque année depuis plus de 20 ans, y compris au printemps 2018, un pêcheur local a soumissionné et obtenu ce contrat de la GCC. Aussitôt que les conditions le permettent, et avant l'ouverture de la saison de pêche, l'entrepreneur effectue un sondage des lieux, et avec l'information sur la Fiche de données de bouée du MPONote de bas de page 4, positionne les bouées de manière à baliser le meilleur chenal. Cette tâche a été accomplie avant l'ouverture de la saison de pêche 2018. L'entrepreneur ne reçoit aucune directive quant à la profondeur minimale requise pour ce chenal. L'entrepreneur n'est pas tenu de partager les mesures de profondeur du chenal avec qui que ce soit, et le Programme des PPB n'est pas informé de la profondeur du chenal avant l'ouverture de la saison de pêche. Ni le programme de la GCC ni le Programme des PPB n'effectue de sondage avant l'ouverture de la saison de pêche pour déterminer la profondeur de l'eau dans le chenal.
L'entrepreneur s'occupe des bouées durant la saison de navigation et peut, au besoin, les déplacer de manière à baliser le meilleur chenal. Le programme de la GCC et le Programme des PPB comptent sur l'entrepreneur et les marins pour signaler toute profondeur d'eau insuffisante. Habituellement, ces signalements font suite à un contact avec le fond ou à un échouement. La GCC se fie sur l'entrepreneur pour signaler tout déplacement de bouées après un tel événement. Une fois qu'elle a été informée, la GCC émet un avis à la navigation (NOTSHIP), qui était en vigueur jusqu'à la fin de la saison de navigation, et le Programme des PPB prend les mesures nécessaires.
Au moment de l'événement, le programme Aides à la navigation de la GCC stipulait qu'un spécialiste en conception et examen effectue une visite des lieux tous les 5 ans pour évaluer les aides à la navigation dans l'ensemble du passage de la baie Malpeque et du chenal Hardys (figure 2). Le dernier examen remontait à 2008; on avait alors déterminé qu'aucune révision aux aides à la navigation n'était nécessaire.
La carte no 4491 du Service hydrographique du Canada pour le chenal Hardys n'illustre pas les bouées de bâbord et de tribord qui le balisent; plutôt, elle indique que le chenal est balisé et que les marins doivent se fier aux bouées en place pour suivre la meilleure route (figure 2).
La carte comprend également une mise en garde destinée aux marins, en français et en anglais. D'après la mise en garde, étant donné les conditions changeantes du chenal, les bouées peuvent changer de place, et les marins ne devraient pas emprunter le chenal sans une connaissance des lieux :
ATTENTION
En raison des conditions changeantes, les feux et les bouées peuvent être déplacés pour préciser le meilleur chenal menant à Malpeque Bay. Les navigateurs ne doivent pas s'aventurer sans avoir des connaissances locales. Pour tous changements subséquents aux aides à la navigation, on doit consulter les Avis aux navigateurs et le Livre des feux, des bouées et des signaux de brumeNote de bas de page 5.
Les pêcheurs locaux savent que le fond du chenal Hardys s'envase et change constamment. Ils sont aussi conscients du risque que la profondeur d'eau sous quille soit inférieure à la profondeur nécessaire pour assurer la navigation en toute sécurité d'un bateau de pêche. Au moment de l'événement, les pêcheurs locaux avaient déjà déterminé que la route privilégiée dans le chenal Hardys consistait à naviguer le plus près possible des bouées de tribord.
Avant l'incident, le dernier sondage du chenal réalisé dans le cadre du Programme des PPB remontait à 2011. À l'époque, conformément aux directives du document Harbour Accommodations GuidelinesNote de bas de page 6 à l'intention de la direction des ports pour petits bateaux, le Programme des PPB avait déterminé qu'aucun dragage n'était nécessaire, puisque l'on estimait que le chenal était assez profond pour y naviguer en toute sécurité. Historiquement, ce chenal n'a nécessité aucun dragage; la dernière opération de dragage a eu lieu en 2004.
D'après ces directives, le Programme des PPB doit commencer à surveiller diligemment la profondeur d'eau d'un chenal qui relève de sa compétence lorsqu'elle est inférieure à 1 m, et communiquer régulièrement avec l'administration portuaire. Si le chenal atteint le seuil de dragage (environ 0,7 m de profondeur), le Programme des PPB s'assure de la tenue d'un sondage, et Services publics et Approvisionnement Canada octroie un contrat de dragage, au besoin. Les seuils exigeant une surveillance et un dragage supplémentaires ne sont pas accessibles au public.
Le lendemain de l'échouement du Roping the Wind, le MPO a effectué un sondage qui a révélé quelques endroits où la profondeur d'eau était inférieure à 1 m. Les résultats de ce sondage ont été transmis à la GCC. Des avis à la navigation ont été publiés pour informer les pêcheurs locaux qu'un bateau de pêche bloquait le chenal, que le chenal s'envasait et que les pêcheurs devaient naviguer prudemment.
Marées
Le 30 avril 2018, il y avait pleine lune. Au printemps, les phases de pleine lune et de nouvelle lune donnent lieu aux marées de vives-eaux, qui génèrent de grandes différences de hauteur entre les marées hautes et basses quotidiennes. Le graphique ci-dessous illustre les marées à Ellerslie (Île-du-Prince-Édouard), le port de référence pour le chenal Hardys (figure 3).
Lorsque le Roping the Wind a effectué son 1er voyage de la journée, la profondeur d'eau était suffisante pour emprunter le chenal Hardys en toute sécurité. Lors de son 2e voyage, la marée était descendante et plus basse que la marée basse précédente. Durant la marée descendante, les vents soufflaient du nord-est, dans le sens opposé au courant de marée dans le chenal Hardys, ce qui a généré de très hautes vagues.
Mesures de sécurité prises
Après l'événement à l'étude, le Programme des PPB de l'Île-du-Prince-Édouard a entrepris une nouvelle initiative pour assurer la surveillance des chenaux annuellement afin de recueillir des renseignements qui vont guider les futures décisions et pour se tenir au fait de l'envasement.
Messages de sécurité
Le BST a déjà enquêté sur des événements mettant en cause des barres de sable à l'approche d'un port. Dans 1 événement, la position précise d'un chenal nouvellement balisé n'était illustrée sur aucune carte et n'avait été communiquée d'aucune façon aux utilisateurs du portNote de bas de page 7. Dans 2 autres événements, les utilisateurs du port n'ont pas été informés de l'ampleur de l'envasement et la présence d'une barre de sableNote de bas de page 8.
Il incombe aux pêcheurs d'évaluer les risques que posent les conditions météorologiques et l'état de la mer afin d'assurer la sécurité de leurs bateaux et de leurs équipages, ainsi que d'être prudents lorsqu'ils traversent un lieu sujet à l'envasement et qui contient du sable mouvant. Toutefois, une évaluation exacte des dangers est impossible sans renseignements sur les dangers pour la navigation et une traversée sécuritaire.
Un entrepreneur local balise le chenal Hardys avant l'ouverture de chaque saison de pêche, et les utilisateurs ne sont pas informés des sondages de profondeur avant l'ouverture de la saison. Une fois que les bouées sont mises en place, la GCC et le Programme des PPB se fient aux utilisateurs locaux pour signaler toute insuffisance de la profondeur du chenal. Le Programme des PPB n'avait pas évalué l'état du chenal et n'y avait effectué aucun sondage depuis 2011. Sans données exactes sur la profondeur d'un chenal avant l'ouverture de la saison de pêche, les pêcheurs risquent de naviguer dans des lieux dangereux et de mettre en péril la sécurité de leurs bateaux et équipages.
Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le Il a été officiellement publié le .