Rapport d’enquête sur la sécurité du transport maritime M20A0434

Naufrage avec perte de vie
Navire de pêche Chief William Saulis
12 milles marins au NNE de Digby (Nouvelle-Écosse)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 15 décembre 2020, le navire de pêche Chief William Saulis revenait de la pêche au pétoncle lorsque le Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage d’Halifax (Nouvelle-Écosse) a reçu un signal de sa radiobalise de localisation des sinistres (RLS), à 12 milles marins au NNE de Digby (Nouvelle-Écosse). Les activités de recherche et de sauvetage ont été lancées après qu’il s’est avéré impossible de joindre le navire par radio à très haute fréquence (VHF) ou par téléphone. Le corps d’un membre d’équipage a été retrouvé; au mois de décembre 2022, les 5 autres membres d’équipage étaient toujours portés disparus. Le 16 janvier 2021, le navire a été localisé près de l’endroit où la RLS s’est activée, gisant par 66 m de fond.

    1.0 Renseignements de base

    1.1 Fiche technique du navire

    Fiche technique du navire
    Nom du navire Chief William Saulis
    Numéro officiel de Transports Canada 828228
    Numéro d’immatriculation du navire auprès de Pêches et Océans Canada 10661
    Port d’immatriculation Grand Manan (Nouveau-Brunswick)
    Pavillon Canada
    Type Pêche
    Jauge brute 56,22
    Longueur enregistrée 14,98 m
    Construction 2004, Belliveau Shipyard Limited (Nouvelle-Écosse)
    Propulsion 1 moteur diesel (448 kW) entraînant une seule hélice
    Membres d’équipage 6
    Propriétaire enregistré Yarmouth Sea Products Limited

    1.2 Renseignements sur le navire

    Le Chief William Saulis était un navire de pêche de type Cape Island, construit en 2004 à partir de plastique moulé renforcé de fibre de verre et conçu pour la pêche au homard et au pétoncle (figure 1).

    Figure 1. Le navire de pêche Chief William Saulis, montrant le cadre en A de la drague à pétoncles, les sabords de décharge et leurs panneaux, ainsi qu’une salle d’écaillage (Source : Tierce partie, avec annotations du BST)
    Image
    Le navire de pêche Chief William Saulis, montrant le cadre en A de la drague à pétoncles, les sabords de décharge et leurs panneaux, ainsi qu’une salle d’écaillage (Source : Tierce partie, avec annotations du BST)

    La timonerie était située à l’avant du milieu du navire. Elle était équipée d’un radiotéléphone à très haute fréquence doté de la fonction d’appel sélectif numérique (VHF-ASN), d’un pilote automatique, de 2 systèmes de positionnement mondial, de 2 radars, d’un système de surveillance des navires (SSN) de Pêches et Océans Canada (MPO), d’un système d’alarme du quart à la passerelle et d’une caméra utilisée pour surveiller le pont de travail. Une radiobalise de localisation des sinistres (RLS) fixe de classe 1, enregistrée au Canada et munie d’un dispositif de largage hydrostatique, était attachée au toit de la timonerie. De plus, 2 radeaux de sauvetageNote de bas de page 1 pouvant accueillir 6 personnes et dotés de dispositifs de largage hydrostatique étaient arrimés au toit de la timonerie. Le navire comportait 2 salles d’écaillage à l’arrière de la timonerie : une à bâbord et une à tribord. Les salles d’écaillage étaient accessibles de la timonerie par des portes à charnières s’ouvrant vers l’extérieur (figure 2). La salle des machines était située sous le pont principal et accessible par 2 écoutilles fermées qui se trouvaient dans la timonerie.

    Les emménagements se trouvaient sous le pont avant et contenaient 6 couchettes, ainsi qu’un réfrigérateur et un réfrigérateur-congélateur, tous deux arrimés en prévision du mauvais temps. Pour accéder aux emménagements, il fallait passer par une ouverture située à l’avant, du côté bâbord de la timonerie, et une écoutille de secours d’environ 0,6 m sur 0,6 m se trouvait au-dessus des couchettes.

    Le pont de travail, qui s’étendait à l’arrière du milieu du navire, était doté de pavois sur les côtés bâbord et tribord. Chaque côté comportait 5 sabords de décharge : 3 sur le pont de travail ouvert et 2 dans la salle d’écaillage. Le pont de travail comprenait également 5 écoutilles étanches à ras de pont : 1 menant à la cambuse, 2 menant à la cale à poisson et 2 menant aux viviers. Le gaillard d’avant, la salle des machines et la cale à poisson étaient séparés par 2 cloisons étanches situées sous le pont principal.

    Le navire était équipé d’un grand cadre en A, d’un treuil de pont à tambour unique et d’une drague à pétoncles destinés aux activités de pêche. Une plaque était fixée sur l’ensemble de la poupe pour protéger la coque du navire contre la drague à pétoncles.

    1.2.1 Voies d’évacuation d’urgence

    Le Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche (RSBP) exige au moins 2 moyens d’évacuation pour chaque espace réservé à l’équipageNote de bas de page 2. À bord du Chief William Saulis, les principaux espaces réservés à l’équipage étaient les emménagements et la timonerie (figure 2). Comme beaucoup de navires de pêche de taille semblable à celle du Chief William Saulis, les emménagements se trouvaient dans la proue, sous le pont avant du navire, et étaient accessibles de la timonerie au moyen d’une courte échelle.

    À partir des emménagements, les 2 moyens d’évacuation consistaient à monter par une échelle jusqu’à la timonerie ou à passer par l’écoutille de secours pour sortir sur le pont avant. À partir de la timonerie, les 2 moyens d’évacuation étaient les portes menant aux salles d’écaillage. À partir des salles d’écaillage, les 2 moyens d’évacuation étaient des portes coulissantes donnant sur le pont de travail, soit 1 porte arrière et 1 porte intérieure. Pour les fermer, il fallait faire glisser les portes arrière vers l’axe longitudinal du navire et les portes intérieures vers l’avant.

    Le navire devait en outre disposer d’une lampe permanente ou portative pour éclairer l’aire de mise à l’eau des radeaux de sauvetageNote de bas de page 3. Un rapport d’évaluation de l’état et de la valeur datant de 2018 indiquait que le navire transportait une lampe de poche de secours.

    Figure 2. Schéma du navire et photos en médaillon illustrant la principale voie d’évacuation d’urgence entre les emménagements et le pont, qui nécessitait de traverser la timonerie et une salle d’écaillage. Pour aller de la timonerie au pont, il fallait passer par une salle d’écaillage. (Source du schéma : BST, d’après le rapport d’enquête de Jameson Theriault Marine Surveys. Source de la photo en médaillon de l’écoutille de secours : Tierce partie, avec annotations du BST. Source des autres photos en médaillon : Jameson Theriault Marine Surveys, avec annotations du BST).
    Image
    Schéma du navire et photos en médaillon illustrant la principale voie d’évacuation d’urgence entre les emménagements et le pont, qui nécessitait de traverser la timonerie et une salle d’écaillage. Pour aller de la timonerie au pont, il fallait passer par une salle d’écaillage. (Source du schéma : BST, d’après le rapport d’enquête de Jameson Theriault Marine Surveys. Source de la photo en médaillon de l’écoutille de secours : Tierce partie, avec annotations du BST. Source des autres photos en médaillon : Jameson Theriault Marine Surveys, avec annotations du BST).

    1.3 Déroulement du voyage

    Le 9 décembre 2020, vers 13 hNote de bas de page 4, le Chief William Saulis a quitté Digby (Nouvelle-Écosse) pour un voyage de 6 heures vers la baie Chignecto (Nouveau-Brunswick) pour y pêcher le pétoncle. L’équipage a pêché à l’embouchure de la baie Chignecto (la zone de pêche indiquée à la figure 3) jusqu’au 11 décembre, date à laquelle il est retourné à Digby pour faire installer un nouvel embrayage électrique pour la prise de force du treuil. Pendant qu’il étaient au port, l’équipage a déclaré 463 kg de pétonclesNote de bas de page 5, mais ne les a pas déchargés. Plus tard dans la soirée, le navire est reparti vers la baie Chignecto, où il est arrivé tôt le 12 décembre. L’équipage a poursuivi sa pêche jusqu’au 15 décembre.

    Figure 3. Secteur de l’événement, montrant la zone de pêche et la position du dernier signal émis par le SSN (Source de l’image principale : Cartes 4010 et 4012 du Service hydrographique du Canada, avec annotations du BST. Source de l’image en médaillon : Google Earth, avec annotations du BST)
    Image
    Secteur de l’événement, montrant la zone de pêche et la position du dernier signal émis par le SSN (Source de l’image principale : Cartes 4010 et 4012 du Service hydrographique du Canada, avec annotations du BST. Source de l’image en médaillon : Google Earth, avec annotations du BST)

    Le 15 décembre, peu après minuit, le Chief William Saulis a quitté la zone de pêche. Il approchait de la fin d’un voyage typiqueNote de bas de page 6, et les dernières prévisions météorologiques à 20 h indiquaient un avis de coup de vent ainsi que des vents de 10 à 15 nœuds augmentant jusqu’à 35 nœuds en début de matinéeNote de bas de page 7. Il a poursuivi sa route vers le sud-ouest pour retourner à Digby, terminer l’écaillage et décharger les pétoncles. Un autre navire de pêche au pétoncle, le Brier Endeavor, avait quitté la zone de pêche peu de temps avant le Chief William Saulis. Le Brier Endeavor a ralenti sur le chemin du retour en raison des conditions environnementales. À 3 h, le SSN du Chief William Saulis indiquait qu’il avait réduit sa vitesse de 8,6 nœuds à 6,5 nœuds.

    À 5 h, lorsque la dernière position du SSN a été reçueNote de bas de page 8, le cap du navire était de 195° magnétique et la vitesse avait été réduite à 5,4 nœuds. À 5 h 51, la RLS du navire s’est activée à environ 3,4 NM au sud-sud-ouest de la dernière position signalée par le SSN. En réponse, les coordonnateurs de recherche et sauvetage du Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage d’Halifax ont récupéré les renseignements sur le navire, ont communiqué avec le directeur général de Yarmouth Sea Products Ltd. (YSP) et ont tenté de joindre le navire en appelant le téléphone cellulaire du capitaine et en utilisant la radio VHF. En l’absence de réponse, les activités de recherche et de sauvetage ont été lancées. Trois aéronefs des Forces armées canadiennes, 3 navires de la Garde côtière canadienne (GCC) et de nombreux navires privés ont été déployés pour mener les recherches. À 7 h 40, les coordonnateurs de recherche et sauvetage ont demandé des renseignements à YSP, notamment le nombre total de personnes, l’équipement de sécurité à bord, une liste des membres de l’équipage et l’état de santé de ces derniers. Deux radeaux de sauvetage gonflés, une combinaison d’immersion entièrement ouverte, un gilet de sauvetage et divers débris ont été récupérés après avoir été repérés à 8 h 30.

    À 16 h 30, 1 corps a été repêché, partiellement vêtu de vêtements de travail et sans dispositif de flottaison. Le 16 décembre à 7 h 42, la liste définitive des membres d’équipage à bord du Chief William Saulis a été confirmée. À 17 h, les activités de recherche et de sauvetage ont été interrompues, et les recherches a été transférée à la GRC en tant que cas de personnes disparues.

    Le 16 janvier 2021, le navire a été repéré par la GCC et la GRC à l’aide d’un sonar à balayage latéral et d’un véhicule sous-marin téléguidé, à 2 NM au NNO de Delaps Cove (Nouvelle-Écosse), par 66 m de fond. En raison de la marée, la visibilité et la manœuvrabilité étaient limitées, si bien qu’il a été impossible pour le véhicule sous-marin téléguidé de déterminer la disposition du navire ou d’y pénétrer. Le navire n’a pas été récupéré. Au mois de décembre 2022, les 5 membres d’équipage portés disparus n’avaient pas été retrouvés.

    1.4 Conditions environnementales

    Au moment de l’événement, Environnement et Changement climatique Canada signalait une visibilité de 10 NM. La température de l’air était de 1,6 °C et celle de la mer de 9,2 °C. À 5 h 50, le courant de marée est passé d’un jusant à 212° (dans la même direction que celle du Chief William Saulis) à un flot à 032° et aurait été près de son point le plus faible au moment de l’événement.

    La bouée de mesure des vagues située à l’ouest de la baie de Fundy, à 31,7 NM de l’endroit où la RLS s’est activée, a enregistré une direction du vent de 305°, une vitesse du vent de 25,1 nœuds avec des rafales à 31,1 nœuds, et des vagues atteignant une hauteur de 2,66 m. Compte tenu de la direction du vent et du courant au moment de l’événement, le navire faisait route sur une mer de travers (figure 4). On a signalé que les vagues dans le secteur de l’événement étaient beaucoup plus hautes que les prévisions.

    Figure 4. Schéma illustrant l’effet du vent, des vagues et du courant sur le Chief William Saulis naviguant sur une mer de travers (Source : BST)
    Image
    Schéma illustrant l’effet du vent, des vagues et du courant sur le Chief William Saulis naviguant sur une mer de travers (Source : BST)

    1.5 Brevets, certificats et expérience du personnel

    La capitaine était titulaire d’un brevet de capitaine de bâtiment de pêche, quatrième classeNote de bas de page 9, délivré en 1990. Il était également titulaire d’un certificat général d’opérateurNote de bas de page 10 et avait suivi le cours Fonctions d’urgence en mer A2 (FUM A2). Il possédait plus de 30 années d’expérience de la pêche en tant que capitaine et naviguait par intermittence en tant que capitaine du Chief William Saulis depuis octobre 2017.

    L’officier de pont était titulaire d’un brevet de capitaine de bâtiment de pêche, quatrième classe, délivré en 2015 et renouvelé en 2020. Il avait suivi les cours FUM A1, B2 et de secourisme avancé en 2004. Il possédait plus de 10 années d’expérience de la pêche et avait commencé à travailler à bord du Chief William Saulis en septembre 2020.

    L’expérience de la pêche des 4 matelots de pont variait, allant de 10 à 39 ans. Aucun dossier de formation n’était disponible pour les matelots de pont.

    1.6 Certificats du navire

    Le Chief William Saulis devait faire l’objet d’une inspection périodique par Transports Canada (TC) aux fins de certification, tous les 4 ans. La plus récente inspection par TC avait eu lieu le 12 avril 2017 et un certificat d’inspection avait été émis pour les voyages à proximité du littoral, classe 1, voyages limités au cabotage, classe 2, qui énonçait que le navire devait demeurer à 120 NM ou moins du littoral. Le certificat était complété par un registre d’équipement de sécurité Note de bas de page 11 et un document spécifiant les effectifs de sécurité Note de bas de page 12.

    1.7 Récolte du pétoncle

    Depuis son acquisition par YSP en 2013, le Chief William Saulis était utilisé pour pêcher aussi bien le homard que le pétoncle. Au moment de l’événement, le Chief William Saulis pêchait le pétoncle.

    Les pétoncles sont pêchés à l’aide d’une drague conçue pour les ramasser sur le fond marin. Ils sont ensuite triés immédiatement et entreposés en amas ou dans des bacs et des paniers non couverts sur le pont de travail. Les pétoncles non écaillés sont souvent gardés sur le pont afin de faciliter le nettoyage des coquilles et d’éviter d’avoir à les mettre dans la cale et à les en sortir. Les pétoncles écaillés (chairs de pétoncle) sont mis en sac, transportés dans la cale et entreposés sur de la glace. Les pétoncles sont ramenés à terre dans les 7 jours.

    Il est courant d’écailler les pétoncles toute la journée, en ne s’arrêtant que de temps en temps pour remonter la drague. Par beau temps, l’équipage continue d’écailler les pétoncles lors du voyage de retour. Cependant, l’écaillage est un exercice difficile par mauvais temps, de sorte que l’équipage en profite habituellement pour se reposer et termine l’écaillage une fois de retour à l’abri d’un port.

    Pour la pêche côtière du pétoncle dans la baie de FundyNote de bas de page 13, le MPO exige que les pêcheurs déclarent des estimations provisoires de leurs prises chaque fois qu’ils rentrent au port, même s’ils ne les déchargent pas. Les prises finales de pétoncles doivent être déclarées au MPO avant le retour au port, en poids estimé de pétoncles écaillés après déchargement. Le MPO exige également que les navires transmettent un signal du SSN toutes les heures.

    Pour la pêche au pétoncle, l’équipage du Chief William Saulis partait généralement pendant plusieurs jours. Les membres d’équipage du Chief William Saulis avaient commencé à pêcher à partir de Digby en septembre 2020 et avaient déjà effectué 8 voyages, débarquant en moyenne 1600 kg de pétoncles écaillés par voyage. Au moment de l’événement, le Chief William Saulis transportait un chargement estimé à 1600 kg de pétoncles écaillés, dont environ 230 kg entreposés sur le pont. Les pétoncles non écaillés, soit approximativement 2700 kg, étaient empilés jusqu’à une hauteur d’environ 5 pieds sur le pont de même que dans des bacs et des paniersNote de bas de page 14. Un pétoncle non écaillé peut mesurer de 7,5 à 15 cm de longueur. Lorsqu’ils sont en vrac sur le pont, ils peuvent s’empiler contre les sabords de décharge, ce qui réduit la capacité des sabords à évacuer l’eau. Le poids total des pétoncles à bord était d’environ 4300 kg.

    1.8 Stabilité du navire

    La stabilité d’un navire est sa capacité à revenir en position verticale lorsqu’il est déplacé par des forces comme le vent, les vagues et les activités de pêche, ou lorsqu’il est soumis à un déplacement des charges. Il est important de comprendre la façon dont différents facteurs agissent sur la stabilité pour être en mesure d’estimer les risques. Par exemple, la façon dont les conditions météorologiques et la mer influent sur la stabilité du navire dépend de la direction du vent, du courant et des vagues par rapport au cap du navire. La façon dont le poids des charges sur un navire influe sur la stabilité dépend de l’emplacement et de l’importance du poids; plus le poids est placé bas et près de l’axe longitudinal, meilleure sera la stabilité du navire.

    Tous les navires doivent avoir une stabilité suffisante pour que leur exploitation prévue soit sécuritaireNote de bas de page 15. Les pêcheurs déterminent souvent la stabilité d’un navire uniquement en fonction de la connaissance qu’ils ont des mouvements de celui-ci dans diverses conditions d’exploitation. Toutefois, cette façon de déterminer la stabilité n’est pas fiableNote de bas de page 16. Les évaluations de la stabilité examinent la capacité du navire à se redresser et l’intégrité de son étanchéité à l’eau. Ces évaluations aident les équipages à établir des limites d’exploitation sécuritaire, notamment le franc-bord minimal et la charge maximale de cargaison, ainsi que des séquences sécuritaires pour charger et arrimer la cargaison et les engins, pour gérer les consommables et pour réduire au minimum les effets de carène liquide.

    Avant l’entrée en vigueur du RSBP le 13 juillet 2017, l’exigence d’une évaluation de la stabilité reposait sur la question de savoir si un navire présentait certains facteurs de risque. Ces facteurs de risque et le processus permettant de les examiner sont décrits dans le Bulletin de la sécurité des navires 04/2006Note de bas de page 17. Depuis le 13 juillet 2017, le RSBP exige que les navires de pêche neufs ou modifiés d’une longueur de plus de 9 m, les navires de pêche d’une jauge brute de plus de 15 qui pêchent le capelan ou le hareng ou les navires munis de citernes antiroulis fassent l’objet d’évaluations de la stabilitéNote de bas de page 18.

    Le RSBP exigeait que le Chief William Saulis ait une stabilité suffisante pour que son exploitation prévue soit sécuritaire. Afin d’aider les exploitants à déterminer ce qui constitue une stabilité suffisante, TC offrait le Bulletin de la sécurité des navires 04/2006 et le document TP 15393F, Lignes directrices en matière de stabilité et de sécurité adéquates pour les bâtiments de pêche. On a constaté que le Chief William Saulis présentait un certain nombre de facteurs de risque décrits dans ces documents. Par exemple, le navire portait un poids important sur sa partie supérieure en raison de la plaque de protection de la poupe, du cadre en A de la drague à pétoncle, de la deuxième salle d’écaillage et de la pratique consistant à entreposer les pétoncles sur le pont. De plus, le navire était muni de panneaux de sabords de décharge qui réduisaient la superficie des sabords de décharge lorsqu’ils étaient utilisés. Concrètement, lorsque les panneaux de sabords de décharge sont en place, ils transforment le pont de travail en un espace fermé faisant toute la largeur du navire et pouvant retenir l’eau, ce qui présente donc un risque important d’effets de carène liquide. En vertu du Bulletin de la sécurité des navires 04/2006, qui était en vigueur au moment des 3 dernières inspections du Chief William Saulis par TC, ces facteurs de risque auraient exigé qu’une évaluation de la stabilité soit réalisée. Aucune évaluation de la stabilité n’avait été effectuée et, par conséquent, aucun livret de stabilité n’était mis à la disposition de l’équipage.

    1.8.1 Effet de carène liquide

    Lorsque la cargaison, les engins et l’eau dans les citernes ou sur le pont peuvent se déplacer librement avec le mouvement du navire, ils déplacent le centre de gravité vers l’endroit où leur poids agit et modifient ainsi la stabilité du navire (figure 5). Cet effet, appelé effet de carène liquide, résulte des changements du centre de gravité au fur et à mesure que les matières se déplacent. La gravité d’un effet de carène liquide augmente en fonction du poids de la matière et de la distance sur laquelle elle se déplace. L’effet de carène liquide devient particulièrement important lorsque les matières, comme l’eau emprisonnée sur le pont, peuvent se déplacer sur toute la largeur du navire.

    Figure 5. Schéma illustrant l’effet de carène liquide sur un navire. Lorsque de l’eau ou d’autres matières, comme les pétoncles sur le pont, peuvent se déplacer avec le mouvement du navire, le centre de gravité (G) du navire change, ce qui a une incidence sur sa stabilité (Source : Fish Safe BC, Fishing Vessel Stability: Make It Your Business: The Stability Handbook, Effect of Free Surface on Deck, p. 34)
    Image
    Schéma illustrant l’effet de carène liquide sur un navire. Lorsque de l’eau ou d’autres matières, comme les pétoncles sur le pont, peuvent se déplacer avec le mouvement du navire, le centre de gravité (G) du navire change, ce qui a une incidence sur sa stabilité (Source : Fish Safe BC, Fishing Vessel Stability: Make It Your Business: The Stability Handbook, Effect of Free Surface on Deck, p. 34)

    1.8.2 Sabords de décharge

    Les sabords de décharge (aussi appelés dalots) sont des ouvertures pratiquées dans le pavois d’un navire, au ras du pont ou presque, qui servent à empêcher l’accumulation d’eau sur le pont. L’eau accumulée sur le pont d’un navire ajoute du poids en hauteur sur le navire et peut créer un effet de carène liquide. Cette accumulation d’eau peut provenir de grosses vagues qui passent par-dessus le pavois, en particulier dans une mer de travers, ou de l’eau qui arrive à bord avec les prises, la pluie et les embruns.

    Le RSBP définit une aire minimale requise pour les sabords de décharge sur tout navire dont les pavois forment un puits où l’eau peut s’accumuler. Cette aire minimale permet d’assurer la capacité du navire à évacuer rapidement l’eau se trouvant sur le pont. Le BST a calculé que l’aire minimale des sabords de décharge du Chief William Saulis était de 0,93 m2Note de bas de page 19. L’enquête a permis d’estimer que l’aire totale des sabords de décharge du Chief William Saulis était de 0,62 m2, y compris les sabords de décharge dans les salles d’écaillage, soit environ les deux tiers de la section des sabords de décharge requise.

    Le Chief William Saulis était équipé de panneaux de sabords de décharge se présentant sous la forme de plaques d’aluminium sur des rails qui pouvaient être glissées vers le bas pour couvrir les sabords de décharge. Les panneaux de sabords de décharge avaient été installés pour empêcher les vagues plus petites de passer par les sabords de décharge et de s’abattre sur le pont, mais en conséquence, ils permettaient l’accumulation d’eau sur le pont provenant de vagues plus importantes, des prises, de la pluie et des embruns. Ces panneaux avaient été installés sur les 4 premiers des 5 sabords de décharge situés de chaque côté du Chief William Saulis. Lorsque les panneaux étaient en place, l’aire des sabords de décharge était de 0,12 m2, soit environ un huitième de l’aire requise.

    1.8.3 Conditions de mer de travers

    Les navires qui se déplacent dans une mer de travers rencontrent des vagues dont l’angle est d’environ 90° par rapport à leur cap. Ces conditions créent de grands angles de roulis et augmentent la quantité d’eau embarquée sur le pont, ce qui accroît le risque de chavirement du navire.

    Au moment de l’événement, le Chief William Saulis revenait de la zone de pêche dans une mer de travers, avec sur le pont une grande quantité de pétoncles non écaillés et alors que les panneaux de sabords de décharge étaient probablement en place.

    1.9 Sécurité de la pêche commerciale

    La réglementation et la surveillance de la sécurité dans les activités de pêche commerciale sont une responsabilité partagée par les capitaines et les représentants autorisés (RA) et régie à l’échelle fédérale et provinciale. Au palier fédéral, la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada (LMMC 2001) exige que le capitaine d’un navire prenne toutes les mesures utiles pour assurer la sécurité du bâtiment et des personnes qui sont à son bord Note de bas de page 20. La LMMC 2001 définit également le rôle du RA, qui est par défaut le propriétaire du bâtiment ou une personne nommée par ce dernier Note de bas de page 21. Elle prévoit que le RA doit agir à l’égard de toute question relative au bâtiment dont aucune autre personne n’est responsable. Plus précisément, le RA d’un bâtiment est chargé de veiller à ce que le bâtiment ainsi que ses machines et son équipement respectent tous les règlements applicables; d’élaborer des règles d’exploitation sécuritaire du bâtiment ainsi que la procédure à suivre en cas d’urgence, et de veiller à ce que les membres d’équipage reçoivent une formation en matière de sécurité Note de bas de page 22.

    La sécurité en milieu de travail des équipages, lorsqu’ils se livrent à la pêche, relève principalement de la compétence provinciale. Le ministère provincial responsable de la santé et de la sécurité au travail a un rôle à jouer dans l’établissement et la clarification des responsabilités du propriétaire et des employés. Il lui incombe de les aider à s’acquitter de leurs responsabilités et d’intervenir de façon appropriée lorsque ces responsabilités ne sont pas exercées.

    1.9.1 Exigences relatives aux procédures de sécurité

    Des règles d’exploitation sécuritaire d’un bâtiment et une procédure à suivre en cas d’urgence sont exigées par la LMMC 2001Note de bas de page 23. Pour les bâtiments de pêche canadiens d’une longueur d’au plus 24,4 m et d’une jauge brute maximale de 150, comme le Chief William Saulis, le RSBP s’applique également. En vertu du RSBP, le capitaine et le RA sont tous deux chargés de veiller au respect de la réglementationNote de bas de page 24. Le RSBP exige certaines procédures de sécurité écrites pour l’exploitation des bâtiments et énumère les procédures de sécurité particulières qui doivent être établies et mises en œuvre afin de permettre aux personnes à bord de se familiariser avec diverses activités d’exploitation et d’urgence. Les procédures en matière de sécurité doivent porter sur ce qui suit :

    a) l’emplacement et l’utilisation de l’équipement de sécurité;

    b) les mesures à prendre pour protéger les personnes à bord, en particulier celles pour prévenir les chutes par-dessus bord, récupérer les personnes tombées par-dessus bord, protéger les membres contre l’équipement rotatif et éviter les cordages, les amarres, les filets et autre équipement de pêche pouvant présenter un danger pour la sécurité des personnes à bord;

    c) dans le cas d’activités utilisant des chaluts à perche et des sennes coulissantes, le dispositif de dégagement rapide de la charge pouvant être activé en cas d’urgence;

    d) les mesures à prendre pour prévenir les incendies et les explosions;

    e) si le bâtiment a un pont ou une structure de pont, les mesures à prendre pour maintenir son étanchéité à l’eau et son étanchéité aux intempéries et pour prévenir l’envahissement par l’eau des espaces intérieurs de la coque et si le bâtiment n’a ni pont ni structure de pont, celles pour prévenir l’envahissement par le haut;

    f) les mesures à prendre pour assurer la sécurité du chargement, de l’arrimage et du déchargement des prises de poisson, des appâts et des biens consomptibles;

    g) les opérations de remorquage et de levage de l’équipement et les mesures à prendre pour prévenir les surcharges du bâtiment.Note de bas de page 25.

    Lorsque le RSBP est entré en vigueur, TC a préparé des modèles pour aider à répondre aux exigences relatives aux procédures de sécurité écrites. TC énonce ce qui suit :

    [v]ous n’êtes pas tenus de soumettre vos procédures d’exploitation sécuritaire à Transports Canada aux fins d’approbation. Par contre, lors d’une inspection, vous devez être en mesure de prouver que vous avez respecté les exigences en matière d’élaboration et d’utilisation de ces procéduresNote de bas de page 26.

    La liste de modèles de TC ne couvre pas toutes les procédures de sécurité et tous les renseignements qui devraient être documentés. Par exemple, il n’y a pas de modèles pour les domaines suivants :

    • la prévention des incendies et le maintien de l’étanchéité,
    • la protection des membres contre l’équipement rotatif ainsi que les mesures nécessaires pour éviter les cordages, les amarres, les filets et autre équipement de pêche pouvant présenter un danger pour la sécurité,
    • le chargement, l’arrimage et le déchargement des prises, des appâts et des biens consomptibles, ainsi que les mesures nécessaires pour prévenir les surcharges du bâtiment.

    Le RSBP prévoit également que des exercices portant sur les procédures en matière de sécurité doivent être effectués pour s’assurer que l’équipage est capable d’exécuter efficacement ces procédures, et que chaque exercice réalisé doit être consigné dans un registre qui sera conservé pour une période de 7 ansNote de bas de page 27.

    En 2018, TC a publié les Lignes directrices relatives aux modifications importantes apportées aux bâtiments de pêche/changements d’activité (TP 15392)Note de bas de page 28 et les Lignes directrices en matière de stabilité et de sécurité adéquates pour les bâtiments de pêche (TP 15393)Note de bas de page 29. Ces documents, en particulier le TP 15393, fournissent des conseils sur les pratiques exemplaires en matière de chargement et de stabilité des petits bâtiments de pêche. Les documents ont été publiés pour donner suite à la recommandation M03-07 du BST, qui prévoyait que :

    le ministère des Transports, en collaboration avec le milieu de la pêche, entreprenne de réduire les pratiques imprudentes par l’entremise d’un code de pratiques exemplaires à l’intention des petits bateaux de pêche, qui traitera notamment du chargement et de la stabilité, et que l’adoption d’un tel code soit appuyée par l’entremise de programmes d’éducation et de sensibilisation.
    Recommandation M03-07 du BST

    La publication de ces documents et les progrès réalisés par la communauté des pêcheurs pour améliorer la sécurité dans le secteur de la pêche ont mené le Bureau à réévaluer la réponse à la recommandation M03-07 et à estimer que celle-ci dénotait une attention entièrement satisfaisante en 2019. Toutefois, étant donné que la sécurité de la pêche commerciale figure toujours sur la Liste de surveillance du BST, le Bureau continue de surveiller l’évolution des attitudes et des comportements parmi les pêcheurs et l’élaboration de pratiques de travail sécuritairesNote de bas de page 30.

    1.9.2 Surveillance exercée par Transports Canada

    La certification des navires est le principal mécanisme de surveillance de TC pour assurer le respect des exigences législatives et réglementaires par les petits bâtiments de pêche d’une jauge brute supérieure à 15 mais inférieure à 150 et d’une longueur inférieure à 24,4 m, et elle comprend des inspections tous les 4 ans. Une partie de ces inspections consiste à vérifier la présence de procédures de sécurité écrites et de vérifier que la mise en œuvre ce ces procédures est consignée, par exemple dans des registres d’exercices et de familiarisation ainsi que des registres d’entretien du navire. Bien que les inspecteurs doivent vérifier la présence de procédures de sécurité, ils ne sont pas tenus de les évaluer et de les approuver [traduction] : « Il n’est pas nécessaire que les procédures de sécurité écrites soient approuvées par les inspecteurs de la sécurité maritime de Transports Canada. Les inspecteurs doivent demander à voir des copies. »Note de bas de page 31

    Entre l’adoption du RSBP en 2017 et la date de l’événement, 25 navires de YSP avaient été inspectés 84 fois par TC. Ces inspections avaient permis de relever 13 lacunes sur 3 des navires, mais aucune en ce qui concerne les procédures de sécurité écrites ou les registres d’exercices et de familiarisation.

    TC mène des campagnes d’inspection concentrées (CIC) qui consistent à vérifier des aspects précis de la sécurité sur certains navires. Les CIC mettent l’accent sur les éléments pour lesquels les inspecteurs de la sécurité maritime ou les experts ont constaté un grand nombre de lacunes ou pour lesquels de nouvelles exigences réglementaires ou de nouvelles exigences aux termes de la Convention sont récemment entrées en vigueur. La plus récente CIC 2021-2022 de TC portait sur la conformité au RSBP. Un résumé des constatations a été présenté lors de la réunion du Conseil consultatif maritime canadien (CCMC) tenue au printemps 2022Note de bas de page 32. La campagne visait 101 navires de toutes les régions de TC, dont 83 % étaient des navires inspectés et 62 % ont reçu des avis au sujet de lacunes en matière de sécurité. La campagne a également permis de constater ce qui suit :

    • Le plus grand nombre de lacunes relevées concernaient les sections de la CIC relatives à la sécurité du navire et de l’équipage, ce qui comprend l’exhaustivité (30 %) et l’accessibilité (31 %) des procédures de sécurité, de même que la réalisation et la consignation des exercices connexes (41 %);
    • 30 % des équipages de navires de pêche ont été incapables de démontrer leur connaissance des procédures;
    • 79 % des navires ne détenaient pas de certificats à jour;
    • 80 % des navires avaient des avis de lacune non réglés provenant d’inspections précédentes.

    Lors de chaque inspection réalisée dans le cadre de la CIC, la question sur les procédures était divisée en 3 parties (les procédures existaient-elles, étaient-elles accessibles, et l’équipage pouvait-il démontrer qu’il connaissait les procédures?) On a obtenu réponse à ces questions que pour 82 des 101 navires. Les réponses étaient similaires dans la plupart des régions, sauf dans la région des Prairies et du Nord de TC. Dans cette région, les équipages de 10 des 15 navires inspectés n’ont pu démontrer leur connaissance des procédures.

    1.9.3 Santé et sécurité au travail en Nouvelle-Écosse

    En Nouvelle-Écosse, l’Occupational Health and Safety Act stipule que les employés et les propriétaires se partagent la responsabilité de la santé et de la sécurité des personnes en milieu de travailNote de bas de page 33. La loi est appliquée par la Division de la santé et de la sécurité au travail du ministère du Travail, des Compétences et de l’Immigration de la Nouvelle-Écosse.

    En 2017, dans le cadre de la réponse à un incident survenu en 2015 à bord d’un navire de YSP, la Division de la santé et de la sécurité au travail de la Nouvelle-Écosse a exigé que YSP élabore un programme de santé et de sécurité au travail afin de satisfaire aux exigences de l’Occupational Health and Safety ActNote de bas de page 34. Plus précisément, YSP a créé le manuel sur la santé, la sécurité et l’environnement (SSE), a mis en place un comité de santé et de sécurité et a nommé un responsable de la sécurité. Ce dernier est chargé de tenir à jour le manuel sur la SSE et de diriger le comité de santé et de sécurité.

    1.9.4 Opérations de recherche et sauvetage

    Les opérations de recherche et sauvetage (SAR) constituent la dernière ligne de défense contre les dangers en mer. Lorsqu’un navire est déclaré manquant, les coordonnateurs de recherche et sauvetage en mer recueillent des renseignements sur le navire et l’équipage pour aider à concentrer les efforts de recherche et ainsi augmenter les chances de survie de l’équipage. Parmi ces renseignements figurent la position du navire (tirée par exemple d’une RLS ou d’autres dispositifs d’alerte; de données SSN, téléphoniques ou radio; ou de rapports provenant d’autres navires), les caractéristiques du navire (provenant par exemple des renseignements d’immatriculation), l’équipement de sécurité à bord du navire, et les renseignements sur les membres de l’équipage, y compris leur nombre et leur état de santé. Dans l’événement à l’étude, les données de la RLS ont alerté les coordinateurs de recherche et sauvetage du Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage et ont permis de réduire la zone de recherche, mais les renseignements sur l’équipage n’ont été obtenus que 26 heures après l’événement.

    Fait établi : Autre

    YSP n’avait en main aucune liste d’équipage à jour pour le Chief William Saulis avant le départ du navire vers la zone de pêche. Ce n’est que 26 heures après l’événement que YSP a été en mesure de communiquer au Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage le nombre total de personnes à bord.

    1.10 Gestion des activités de pêche

    Les pêcheurs doivent interagir avec divers ministères fédéraux et provinciaux : avec TC en qualité de RA et de propriétaires de navires, avec le MPO en qualité de pêcheurs titulaires d’un permis, et avec les commissions de la sécurité au travail et de l'indemnisation des travailleurs en qualité d’employeurs responsables d’un milieu de travail (figure 6). Par exemple, les pêcheurs et les propriétaires de navires doivent gérer les permis de pêche, les rapports et la conformité réglementaire. Les capitaines doivent embaucher les membres d’équipage, les familiariser avec le navire, les engins et l’équipement, effectuer des exercices de sécurité, conduire le navire et superviser les activités de pêche. Le RA d’un bâtiment est chargé de veiller à ce que le bâtiment ainsi que ses machines et son équipement respectent la réglementation; d’élaborer des procédures afin d’exploiter le bâtiment en toute sécurité et de composer avec les urgences; et de veiller à ce que les membres d’équipage reçoivent une formation en matière de sécuritéNote de bas de page 35. En raison du nombre d’organisations différentes, d’exigences réglementaires distinctes et de tâches d’exploitation, les responsabilités du RA sont nombreuses, ce qui rend difficile de comprendre pleinement les détails liés aux exigences, et encore plus de les satisfaire. Cette difficulté augmente avec le nombre de navires.

    Figure 6. Le capitaine et le propriétaire du navire interagissent avec de nombreux ministères et organismes fédéraux et provinciaux afin de satisfaire à toutes les exigences réglementaires et de mener leurs activités en toute sécurité (Source : BST)
    Image
    Le capitaine et le propriétaire du navire interagissent avec de nombreux ministères et organismes fédéraux et provinciaux afin de satisfaire à toutes les exigences réglementaires et de mener leurs activités en toute sécurité (Source : BST)

    1.11 Systèmes de gestion de la sécurité

    Le Code international de gestion de la sécurité (ISM) est une norme internationale visant la gestion sécuritaire des navires et la prévention de la pollution pour les navires effectuant des voyages internationaux. Le chapitre IX de la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (la Convention SOLAS) oblige certains exploitants de navires à se conformer au Code ISM et à élaborer un système de gestion de la sécurité (SGS).

    YSP n’a pas de SGS et n’est pas tenue d’en avoir un, mais elle dispose d’un programme de sécurité visant à satisfaire aux exigences de l’Occupational Health and Safety Act de la Nouvelle-Écosse et aux exigences réglementaires de Transports Canada aux termes de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada. Les principes énoncés dans le Code ISM sont universels en ce qui a trait à la gestion de la sécurité et comprennent les éléments suivants :

    • des responsabilités, des obligations et des pouvoirs clairement définis pour l’organisme et ses exploitants de navires;
    • des procédures d’exploitation du navire et l’utilisation de listes de vérification;
    • des procédures de documentation et de tenue de dossiers;
    • des procédures pour cerner les dangers et gérer les risques;
    • des exercices, des formations et des séances de familiarisation pour les équipages de navires;
    • un système d’autoévaluation et d’amélioration.

    1.12 Gestion de la sécurité par Yarmouth Sea Products Limited

    Les capitaines sont responsables de la sécurité à bord d’un navire pendant son exploitation, mais une grande partie de la gestion de la sécurité d’un navire a lieu en dehors des activités de pêche. Outre l’entretien courant, la gestion de la sécurité à terre comprend l’entretien préventif. Elle doit également comprendre l’élaboration de procédures relatives à la familiarisation de l’équipage, à la formation et aux exercices, ainsi qu’au respect de la réglementation, et en assurer le suivi. Ces activités à terre créent un cadre dans lequel les capitaines peuvent exercer leurs fonctions.

    Chez YSP, les capitaines sont embauchés par la compagnie et bénéficient d’un accord leur permettant d’utiliser ses navires pour récolter le pétoncle. Les capitaines sont responsables du recrutement de l’équipage des navires. Ils sont également responsables de la formation, de la familiarisation et des exercices destinés aux membres de l’équipage à bord de leurs navires en vue d’assurer une pêche en toute sécurité et de déterminer les besoins en matière d’entretien courant. Certains capitaines font partie du comité de SST de la compagnie.

    Chez YSP, le propriétaire, le responsable de la sécurité de la compagnie et un autre membre du personnel se partagent la responsabilité de la gestion de la sécurité. Le propriétaire prend part aux décisions plus importantes, comme celles qui concernent les réparations coûteuses des navires. Le rôle du responsable de la sécurité a été créé pour respecter les exigences provinciales, mais il comprend des responsabilités supplémentaires et ne fait l’objet d’aucune description de poste écrite officielle. Le responsable de la sécurité et l’autre membre du personnel s’occupent tous deux des éléments d’entretien et du soutien des navires. Le responsable de la sécurité effectue des inspections internes et l’autre membre du personnel organise les inspections réalisées par TC.

    Le propriétaire des navires, et donc le RA, est YSP. L’enquête a permis de déterminer que le personnel à terre ne savait pas ce qu’était un RA et qu’il n’y avait aucun consensus quant à la question de savoir qui était le RA de la compagnie. Le responsable de la sécurité et l’autre membre du personnel accomplissaient la plupart des tâches qui sont définies comme faisant partie des responsabilités du RA.

    En 2020, YSP exploitait et gérait 25 navires de pêche. Le responsable de la sécurité occupe son poste actuel depuis novembre 2018 et tient à jour le manuel sur la SSE de YSP, qui est générique et distribué à chacun des 25 navires de pêche de YPS. Le responsable de la sécurité doit également assumer des responsabilités autres que celles liées à la gestion de la sécurité, par exemple la gestion du chantier maritime et de l’atelier de fabrication, qui appartiennent également au propriétaire de YSP.

    1.12.1 Manuel sur la santé, la sécurité et l’environnement de Yarmouth Sea Products Limited

    Le manuel sur la SSE de YSP a été créé en 2017 pour satisfaire aux exigences provinciales à la suite d’une enquête provinciale relative à un accident. Après être entré en fonction à la fin de 2018, le responsable de la sécurité a retravaillé le manuel sur la SSE afin de le simplifier au profit des capitaines et de l’équipage et de répondre aux exigences réglementaires de TC. En juillet 2020, avec l’approbation du propriétaire, le responsable de la sécurité a ajouté une nouvelle politique en matière de fatigue au manuel.

    Le manuel sur la SSE de YSP renferme diverses politiques, diverses procédures et divers formulaires couvrant certaines parties de l’exploitation du navire. Le manuel contient les formulaires suivants :

    • Formulaire de familiarisation avec les bateaux (liste de vérification relative à la familiarisation; voir l’annexe A)
    • Formulaire d’enregistrement du personnel à bord
    • Formulaire de renseignements personnels des membres d’équipage
    • Formulaire d’exercice d’urgence
    • Formulaire de dossier d’entretien
    • Registre de certification des membres d’équipage
    • Formulaire de rapport d’incident

    Le manuel comporte les politiques suivantes :

    • Politique sur la santé et la sécurité au travail
    • Politique sur le port du casque de protection
    • Vêtement de flottaison individuel (VFI)
    • Politique sur le lieu d’accident
    • Politique sur l’inspection des câbles métalliques
    • Politique en matière de fatigue

    Le manuel comporte les procédures suivantes :

    • Procédure d’abandon du navire
    • Procédure de lutte contre les incendies à bord du navire
    • Procédure à suivre en cas de chute par-dessus bord
    • Procédure en cas de pollution
    • Procédure en cas d’envahissement par l’eau
    • Plan d’évacuation en cas de fuite d’ammoniac
    • Plan d’évacuation en cas de fuite d’ammoniac, à l’intention du personnel d’entretien

    YSP a créé le formulaire de familiarisation avec les bateaux, le formulaire de dossier d’entretien, le registre de certification des membres d’équipage, le formulaire de rapport d’incident, toutes les politiques et les plans d’évacuation en cas de fuite d’ammoniac; le reste du manuel était constitué de copies ou d’adaptations de modèles préparés à titre d’orientation lors de l’entrée en vigueur du RSBP.

    Le RSBP exige des procédures relatives à la prévention des incendies et de l’envahissement par l’eau, à la protection contre l’équipement de pêche qui peut présenter un risque pour la sécurité, ainsi qu’au chargement, à l’arrimage et au déchargement. Ces procédures ne faisaient pas partie du manuel sur la SSE.

    Le responsable de la sécurité s’assurait que tous les navires disposaient d’un exemplaire du manuel sur la SSE, ainsi qu’un exemplaire du document de TC intitulé Petits bateaux de pêche – Manuel de sécuritéNote de bas de page 36. Chaque année, au début de l’année, il recueillait les formulaires remplis des manuels de sécurité. Il a conservé certains des manuels de sécurité des années précédentes. Cependant, aucun des manuels de sécurité du Chief William Saulis n’était disponible.

    Dans le cadre de l’enquête, on a examiné les manuels sur la SSE de 3 autres navires de YSP comportant des registres de 2017 à 2020. Les documents suivants étaient compris :

    • Liste de vérification de l’entretien (5)
    • Formulaire d’exercice d’urgence (4)
    • Formulaire de renseignements personnels des membres d’équipage (10)
    • Dossier du personnel (15)
    • Registre de certification des membres d’équipage (2)
    • Formulaire de familiarisation avec les bateaux (3)

    Au cours de l’année, le responsable de la sécurité demandait aux capitaines d’envoyer des photos des formulaires ou des registres d’exercice remplis. Toutefois, aucune photo de formulaire ou de registre rempli pour le Chief William Saulis n’était disponible.

    1.12.2 Inspections internes des navires

    Dans le cadre du programme de sécurité de YSP, le responsable de la sécurité s’efforce d’inspecter annuellement chacun des navires de la compagnie en mettant l’accent sur l’équipement de sécurité. Cependant, il ne visite pas tous les navires chaque année. Il consigne les résultats des inspections à l’aide d’une liste de vérification pour l’inspection des bateaux comportant 59 éléments (annexe B). La dernière inspection à bord du Chief William Saulis avait eu lieu le 8 juin 2020 et avait permis de relever 22 lacunes. Voici certaines des lacunes et certains des commentaires :

    • Radeau de sauvetage expiré (l’un avait expiré en mai 2020, l’autre devait expirer en septembre 2020)
    • Nombre insuffisant de VFI (pour un équipage de 8 personnes)
    • Extincteurs portables expirés (date d’expiration : le 6 septembre 2017)
    • Aucune pompe de cale manuelle
    • 4 vêtements de survie dont l’inspection était en retard, 4 vêtements de survie dont l’inspection devait avoir lieu en septembre et octobre 2020.
    • Désordre général

    Une fois l’inspection terminée, la liste de vérification pour l’inspection des bateaux est remise au capitaine. Il est convenu de manière informelle que le capitaine corrigera les lacunes. Le responsable de la sécurité retourne à bord du navire pour discuter avec le capitaine des problèmes qui ont été résolus. À cette étape, il n’y a pas de point de contrôle formel ni d’approbation par signature permettant de confirmer que toutes les lacunes ont été corrigées, et aucun registre des lacunes corrigées n’est tenu.

    Les dates d’expiration sur les radeaux de sauvetage récupérés montraient que les radeaux de sauvetage de l’inspection de juin 2020 avaient été remplacés par des radeaux de sauvetage expirant en novembre 2020 et en juin 2021.

    1.13 Élaboration, documentation et révision des procédures de sécurité

    Les procédures contribuent à la sécurité lorsqu’elles sont propres aux opérations auxquelles elles s’appliquent, qu’elles tiennent compte à la fois des activités et des conditions d’exploitation et qu’elles sont utilisées par le public cible. Les procédures devraient être revues de façon régulière, afin de s’assurer qu’elles reflètent toujours les activités qu’elles décrivent et qu’elles sont utilisées efficacement.

    L’élaboration de procédures exige une compréhension et une expérience du contexte, des objectifs, des risques et des activités liées aux opérations. Dans le cas des opérations de pêche, il s’agit d’avoir une compréhension exhaustive de l’ensemble des aspects de la pêche (tels que la zone de pêche, les conditions météorologiques les plus fréquentes et les exigences en matière de capture et de débarquement) ainsi que du navire et de ses limites. Il est particulièrement important de comprendre tous les facteurs susceptibles d’avoir une incidence sur la stabilité du navire, car bon nombre des risques posés par les opérations de pêche sont liés à la stabilité, par exemple, la façon dont l’équipement comme les dragues et les panneaux de sabords, influe sur la stabilité du navire, le poids prévu de l’équipement, de la glace et des prises et l’endroit où ce poids est placé sur le navire.

    La documentation des procédures existantes ou nouvellement élaborées sous une forme écrite facile à utiliser et à mettre à jour requiert également des compétences en matière de création de procédures écrites efficaces. Les pêcheurs ont des connaissances opérationnelles, mais tous n’ont pas forcément une compréhension des risques connexes ou les compétences nécessaires pour créer des procédures. Différentes formes de soutien conviennent à différents types de procédures. Le soutien à la création de procédures peut prendre la forme de modèles qui donnent une structure générale et permettent de saisir les détails propres à l’activité, comme les modèles fournis par TC pour certaines des exigences du RSBP. Le soutien peut également se présenter sous la forme d’un processus guidé, comme celui décrit dans le guide étape par étape de Fish Safe NS pour effectuer une évaluation des risques professionnels et élaborer la procédure de travail sécuritaire qui l’accompagne Note de bas de page 37. Enfin, le soutien peut revêtir la forme d’exemples tirés d’activités semblables pour montrer le degré de détail des procédures, les types de conseils et d’avertissements compris, ainsi que les formats utilisés. Fish Safe NS fournit également quelques exemples de procédures de travail sécuritaires achevées, comme celles concernant la relève des pièges Note de bas de page 38.

    Les pratiques exemplaires de l’industrie garantissent la prise en compte des risques communs à l’ensemble des activités lors des évaluations des risques. En général, les pêcheurs ont tendance à sous-estimer le risque, ce qui peut conduire à des pratiques dangereuses et compromettre la sécurité d’un navire.

    L’élaboration de procédures de sécurité relatives aux opérations de pêche devrait mettre à contribution l’ensemble des membres d’équipage et comprendre une évaluation des risques liés aux activités, étayée par les pratiques exemplaires de l’industrie, afin de s’assurer que tous les risques sont pris en compte.

    1.14 Facteurs de survie

    En mer, les membres d’équipage risquent d’être exposés aux dangers liés à l’immersion dans l’eau, qui sont principalement l’ingestion d’eau (noyade) et les effets de l’eau froide, en particulier dans des eaux dont la température est de 15 °C ou moins. Les effets de l’eau froide comprennent :

    • le choc hypothermique initial, qui augmente le risque d’ingestion d’eau et diminue la capacité d’une personne à retenir son souffle;
    • l’incapacité provoquée par le froid, qui réduit la dextérité, la vitesse et la force, entrave la capacité d’exécuter toute tâche et peut conduire à la noyade si la personne ne porte aucun dispositif de flottaison et qu’elle est incapable de garder la tête hors de l’eau;
    • l’hypothermie, qui peut survenir rapidement selon la température de l’eau et peut conduire à la noyade si la personne ne porte ni n’utilise aucun dispositif de flottaison ou aucune protection thermique.

    Parmi les autres facteurs qui influent sur la capacité de survie dans l’eau, mentionnons l’état de la mer, le taux d’infiltration d’eauNote de bas de page 39, les degrés d’activité, la position du corps, et la réaction au stress, qui se traduit souvent par une apparition soudaine de stress psychologique, d’anxiété, de confusion, de désorientation et/ou de distraction. Ces facteurs augmentent la probabilité d’ingestion d’eau, accroissent le taux de pertes caloriques et réduisent la capacité de survie globale.

    L’enquête a permis de déterminer que la plupart des membres de l’équipage ne savaient pas nager, ou très peu, ce qui aurait eu une incidence sur leur capacité de survie dans l’eau.

    1.14.1 Fatigue

    Il a été démontré que les perturbations du sommeil ou des habitudes de sommeil causent de la fatigue, qui peut ralentir le temps de réaction et réduire la capacité d’une personne à résoudre des problèmes complexesNote de bas de page 40. Le moment de la journée a un effet particulier sur l’état de vigilance et le rendement d’une personne, car le corps humain connaît des creux et des pics circadiens. Par exemple, un creux du rythme circadien, ou une période de baisse générale du rendement humain, se produit entre 22 h 30 et 4 h 30 environNote de bas de page 41, bien que cela varie légèrement d’une personne à l’autre. Le rendement global et le fonctionnement cognitif sont au plus bas pendant le creux du rythme circadienNote de bas de page 42. De plus, si une personne est soudainement tirée de son sommeil, elle risque d’éprouver une inertie du sommeil, qui se caractérise par la confusion, la désorientation, un faible degré de stimulation et des déficits dans divers types de rendement cognitif et moteur Note de bas de page 43.

    Pour que le sommeil soit réparateur, il est préférable de dormir la nuit pendant 7 à 9 heures consécutivesNote de bas de page 44,Note de bas de page 45, de manière à ce que les 5 stades du sommeilNote de bas de page 46 aient lieu au cours de chaque période de sommeil nocturne.

    Si le sommeil est interrompu à maintes reprises pendant la première moitié de la période normale de sommeil, la durée totale du sommeil profond sera plus courte, ce qui accroît les risques de fatigue et de perturbation des fonctions physiologiques. Si le sommeil est interrompu dans la seconde moitié de la période de sommeil, la durée du sommeil paradoxal sera réduite, ce qui entraîne des perturbations des fonctions cognitives et une fatigue accrue.

    La politique sur la santé et la sécurité au travail de YSP comporte une politique sur la fatigue, qui traite des risques liés à la fatigue, des signes et des symptômes de la fatigue, de la baisse possible de rendement, et du fait que les employés sont responsables de gérer et d’atténuer la fatigue, et de la signaler, le cas échéant. Elle indique également que les personnes ont besoin de 7,5 à 8,5 heures de sommeil par jour.

    Les quarts de travail à bord du Chief William Saulis suivaient généralement un cycle de 8 heures de travail et 4 heures de repos sur une période de 24 heures. Bien qu’il n’ait pas été possible de déterminer les habitudes de sommeil exactes de l’équipage, les éléments suivants ont été relevés :

    • L’horaire de travail des membres d’équipage, soit 8 heures de travail et 4 heures de repos, n’aurait pas permis à ces derniers de bénéficier d’un sommeil réparateur au cours des jours précédant l’événement.
    • Il est probable que l’équipage ait vu ses habitudes de sommeil perturbées dans les jours qui ont précédé l’événement, même s’il s’agissait simplement d’une perturbation naturelle due au fait de travailler selon un horaire irrégulier et d’essayer de dormir dans des conditions qui ne sont généralement pas propices au sommeil.
    • La situation d’urgence a eu lieu vers 5 h 50, à un moment où l’équipage aurait normalement besoin d’un sommeil réparateur, et proche d’une période de creux circadien.
    • Étant donné qu’il était habituel pour les équipages de se reposer lors du voyage de retour sur une mer agitée et que le navire revenait de nuit, il est probable que certains membres d’équipage aient été tirés de leur sommeil lorsque la situation d’urgence s’est produite.

    1.15 Recommandations actives du BST

    1.15.1 Recommandation relative aux évaluations de la stabilité et à la pertinence des renseignements sur la stabilité des petits bateaux de pêche

    À la suite d’un événement survenu le 5 septembre 2015, au cours duquel le grand bateau de pêche Caledonian a soudainement chaviré à 20 NM à l’ouest du détroit Nootka (Colombie-Britannique) et 3 membres d’équipage ont perdu la vieNote de bas de page 47, le Bureau a recommandé que :

    le ministère des Transports exige que tous les petits bateaux de pêche fassent l’objet d’une évaluation de stabilité et établisse des normes pour faire en sorte que les renseignements sur la stabilité soient pertinents et que l’équipage y ait facilement accès.
    Recommandation M16-03 du BST

    Les évaluations de la stabilité offrent des directives aux capitaines de s’assurer que  les activités respectent les limites de stabilité sécuritaires de leur navire. TC exige une évaluation des modifications susceptibles de nuire à la stabilité d’un navire, afin de s’assurer qu’il conserve une stabilité suffisante. Le Chief William Saulis était équipé de panneaux de sabords de décharge qui, lorsqu’ils étaient utilisés, nuisaient à la stabilité du navire. En outre, des pétoncles étaient transportés sur le pont et étaient susceptibles de bloquer les sabords de décharge ouverts. Le navire portait également un poids important dans sa partie supérieure. Toutefois, aucune évaluation de la stabilité n’a été effectuée.

    Depuis la publication de la recommandation M16-03, le BST a fait un suivi annuel auprès de TC en ce qui concerne les mesures prises pour donner suite à la recommandation. TC a fourni des réponses pour indiquer toutes les mesures qui ont été prises, et le BST a évalué ces réponses. Au mois de février 2023, la réponse de TC à la recommandation a été évaluée comme dénotant une attention non satisfaisante. L’historique de ces réponses est disponible sur le site Web du BSTNote de bas de page 48.

    1.15.2 Recommandations relatives au risque de fatigue dans le secteur maritime

    Le 13 octobre 2016, l’ensemble remorqueur-chaland articulé composé du remorqueur Nathan E. Stewart et du chaland-citerne DBL 55 s’est échoué à environ 10 NM à l’ouest de Bella (Colombie-Britannique)Note de bas de page 49.

    À la suite de cet événement, le Bureau a conclu son enquête et a publié le rapport M16P0378 le 31 mai 2018. L’enquête a permis de déterminer que, bien que la fatigue soit généralement acceptée comme étant inévitable dans le secteur maritime et reconnue comme étant un facteur contribuant à de nombreux accidents maritimes, on constate une méconnaissance des facteurs qui peuvent causer la fatigue. Permettre aux officiers de quart de comprendre ces facteurs et les mesures concrètes qu’ils peuvent appliquer pour en réduire les effets pourrait réduire considérablement le nombre d’événements liés à la fatigue. C’est pourquoi le Bureau a recommandé que :

    le ministère des Transports exige que les officiers de quart dont les périodes de travail et de repos sont régies par le Règlement sur le personnel maritime participent à un cours pratique sur la fatigue et une formation en sensibilisation pour les aider à reconnaître et à atténuer les risques de fatigue.
    Recommandation M18-01 du BST

    L’enquête a également permis de déterminer que la mise en place d’un programme de formation et de sensibilisation efficace à l’intention des officiers de quart ne constitue qu’une étape pour aider le secteur maritime à aller au-delà de la réglementation en ce qui concerne l’atténuation des risques de fatigue. La mise en œuvre de plans complets de gestion de la fatigue dans le secteur maritime permettra au secteur de combler son retard sur les approches de gestion de la fatigue adoptées par les secteurs du transport ferroviaire et aérien. Par conséquent, le Bureau a aussi recommandé que

    le ministère des Transports oblige les exploitants de navires qui emploient des officiers de quart dont les périodes de travail et de repos sont régies par le Règlement sur le personnel maritime à mettre en œuvre un programme de gestion de la fatigue complet et adapté à leurs activités, et ce, pour réduire les risques de fatigue.
    Recommandation M18-02 du BST

    Un cours et une formation en sensibilisation sur la fatigue sont essentiels pour s’assurer que l’équipage est en mesure de reconnaître et d’atténuer les risques. Cette formation est également nécessaire pour veiller à ce que les documents élaborés, comme la politique en matière de fatigue de YSP, soient structurés de manière à prévenir les horaires de travail qui créent de la fatigue.

    Depuis la publication des recommandations M18-01 et M18-02, le BST a fait un suivi annuel auprès de TC en ce qui concerne les mesures prises pour donner suite à la recommandation. TC a fourni des réponses pour indiquer toutes les mesures qui ont été prises, et le BST a évalué ces réponses. Au mois de février 2023, la réponse de TC à la recommandation M18-01 a été évaluée comme dénotant une intention satisfaisante et la réponse de TC à la recommandation M18-02 a été évaluée comme dénotant une attention non satisfaisante. L’historique de ces réponses est disponible sur le site Web du BSTNote de bas de page 50,Note de bas de page 51.

    1.16 Événements antérieurs du BST

    1.16.1 Événements liés à la stabilité de bateaux de pêche

    Depuis 2007, un certain nombre de navires de pêche ont chaviré sous l’effet conjugué du déplacement des charges, de l’effet de carène liquide et de l’état de la mer, entraînant ainsi des pertes de vie. Les événements suivants présentaient des facteurs influant sur la stabilité semblables à ceux de cet événement.

    • M07N0117 – Le petit bateau de pêche de 10,64 m de long Sea Urchin, avec 3 personnes à bord, a chaviré et coulé en raison des effets combinés des rafales de vent, d’une mer oblique, du déplacement des engins de pêche et de l’infiltration d’eau qui s’en est suivie; l’accident a fait 1 mort.
    • M07M0088 – Le homardier de 10,7 m de long Big Sister, avec 4 personnes à bord, a chaviré alors qu’il était chargé de casiers; l’accident a fait 1 mort. La mer était clapoteuse et le vent soufflait par le travers bâbord du navire.
    • M09L0074 – Le crabier de 14 m de long Le Marsouin I, avec 3 personnes à bord, a chaviré alors qu’il naviguait par mer oblique peu agitée à agitée; l’accident a fait 2 morts.
    • M14P0121 – Le petit bateau de pêche de 8,69 m de long Five Star, avec 3 personnes à bord, a chaviré alors qu’il naviguait par mer de l’arrière et contre la marée, l’accident a fait 2 morts.
    • M18A0303 – Le bateau de pêche de 11,5 m Kyla Anne, avec 3 personnes à bord, a chaviré après avoir été frappé de travers par une grosse vague déferlante, ce qui a déplacé la cargaison, puis frappé par 2 autres grosses vagues; l’accident a fait 2 morts.

    En outre, le bateau de pêche de 10,64 mètres Sarah Anne (M20A0160), avec 4 personnes à bord, a été porté disparu et a probablement chaviré pendant la pêche. Le navire n’avait pas fait l’objet d’une évaluation formelle de la stabilité.

    1.16.2 Événements liés aux procédures et à la documentation relatives aux navires

    Depuis 2007, le BST a formulé des faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs et des faits établis quant aux risques portant sur l’absence de procédures relatives aux navires dans un certain nombre d’enquêtes :

    • M09N0031 – Le petit bateau de pêche Sea Gypsy Enterprises, avec 5 personnes à bord, a chaviré et coulé après avoir été envahi par le haut en raison d’une écoutille non verrouillée, causant la mort d’une personne et la disparition d’une autre. Le navire n’avait pas de procédures concernant la fixation des écoutilles étanches, l’entretien de l’équipement ou l’exécution d’exercices de sécurité.
    • M10C0043 – Le navire à passagers River Rouge, avec 71 passagers et membres d’équipage à bord, s’est échoué après avoir dévié de la route recommandée. Le navire n’avait pas de procédures écrites concernant les situations d’urgence et la formation, et cette lacune n’a pas été relevée lors des inspections de TC.
    • M13L0067 – Le navire à passagers Louis Jolliet, avec 78 passagers et membres d’équipage à bord, s’est échoué après que le navire a dévié de sa route. Le navire n’avait pas de procédures concernant le quart à la passerelle, la planification du voyage ou la familiarisation de l’équipage.
    • M15P0037 – Le remorqueur Syringa, avec 2 membres d’équipage à bord, a coulé en raison d’une infiltration d’eau et d’un envahissement par le haut progressif. Le navire n’avait pas de procédures relatives à l’exploitation sécuritaire du navire ou à l’intervention en cas d’urgence.
    • M16P0162 – Le remorqueur C.T. Titan est entré en collision avec le remorqueur Albern, le faisant chavirer et couler. Le C.T. Titan n’avait ni de procédures concernant les aspects courants de l’exploitation du navire ni toutes les procédures d’urgence comme celles à suivre en cas d’abordage, d’impact et d’échouement.
    • M17C0232 – Le troisième officier du navire de charge générale Amazoneborg, qui comptait 14 membres d’équipage, est tombé à l’eau et s’est noyé alors qu’il relevait les marques de tirant d’eau. Le navire ne disposait d’aucune procédure pour vérifier les tirants d’eau.
    • M17P0052 – Le petit bateau de pêche Miss Cory, avec 5 personnes à bord, a chaviré et coulé à la suite d’un envahissement par le haut progressif après que le navire eut gîté en raison d’une charge accrue sur sa corne de charge. Le navire n’avait pas de procédures écrites pour l’exploitation sécuritaire du navire ou l’intervention en cas d’urgence.

    1.17 Liste de surveillance du BST

    La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

    La sécurité de la pêche commerciale figure sur la Liste de surveillance 2020. Le Bureau a inscrit cet enjeu à la Liste de surveillance en 2010. Chaque année, les mêmes lacunes de sécurité à bord des navires de pêche continuent de mettre en péril la vie de milliers de pêcheurs canadiens et les moyens de subsistance de leurs familles et de leurs collectivités. Du 1er juillet 2020 au 30 juin 2022Note de bas de page 52 il y a eu 19 pertes de vie liées à la pêche commerciale au Canada. Le nombre de pêcheurs qui perdent la vie chaque année n’a pas diminué et se maintient à quelque 11 pertes de vie par année en moyenne, malgré une légère diminution du nombre de pêcheurs et de bateaux de pêche actifs pendant la même période, ce qui fait de l’exploitation des ressources marines l’un des métiers les plus dangereux du pays. L’événement à l’étude démontre la nécessité continue d’assurer une surveillance réglementaire de la pêche commerciale afin d’aider les RA et les capitaines à s’assurer qu’ils suivent et consignent des pratiques de travail sécuritaires.

    MESURES À PRENDRE

    La sécurité de la pêche commerciale demeurera sur la Liste de surveillance jusqu’à ce qu’il y ait suffisamment d’indices qu’une saine culture de sécurité s’est établie à l’échelle de l’industrie et dans les communautés de pêcheurs partout au pays, notamment :

    • TC et le ministère des Pêches et des Océans travaillent ensemble pour s’assurer que les pêcheurs respectent toutes les exigences avant d’exercer leurs activités dans un contexte commercial.
    • Les autorités fédérales et provinciales coordonnent la surveillance réglementaire des pêches commerciales.
    • TC, les autorités provinciales de sécurité au travail et les associations de pêcheurs font la promotion des lignes directrices conviviales existantes en matière de stabilité des bateaux, qui ont été conçues pour réduire le nombre de pratiques non sécuritaires.
    • Grâce au leadership manifesté par l’industrie et les militants pour la sécurité, on constate des signes marqués et généralisés que les pêcheurs prennent leur sécurité en charge, en particulier à l’égard de l’utilisation de lignes directrices en matière de stabilité, de VFI, de combinaisons d’immersion, d’appareils de signalisation d’urgence et de méthodes de travail sécuritaires.

    La gestion de la fatigue figure sur la Liste de surveillance 2020. Comme l’événement à l’étude le démontre, la fatigue a une incidence sur la capacité de survie de l’équipage dans une situation d’urgence. Étant donné que les activités de pêche ne sont pas propices à l’obtention d’un sommeil réparateur adéquat, les pêcheurs doivent mieux connaître les risques associés à la fatigue et les stratégies efficaces pour les atténuer. L’événement à l’étude démontre le besoin persistant d’un cours et d’une formation en sensibilisation sur la fatigue pour s’assurer que les programmes de gestion de la fatigue permettent d’atténuer tous les aspects de la fatigue.

    MESURES À PRENDRE

    La gestion de la fatigue dans le transport maritime demeurera sur la Liste de surveillance du BST jusqu’à ce que les mesures suivantes soient prises :

    • TC exige que les officiers de quart dont les périodes de travail et de repos sont régies par le Règlement sur le personnel maritime reçoivent un cours pratique sur la fatigue et une formation de sensibilisation pour les aider à reconnaître et à atténuer les risques de fatigue.
    • Les propriétaires de navires sont tenus de mettre en œuvre des programmes de gestion de la fatigue, y compris une formation sur les effets néfastes de la fatigue et un soutien aux marins pour le signalement, la gestion et l’atténuation des signes de fatigue.
    • TC revoit les dispositions du Règlement sur le personnel maritime concernant le temps de travail et de repos à bord des navires exploités au pays à la lumière des données actuelles de la science de la fatigue et, à tout le moins, en assure la conformité avec la Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille.

    La surveillance réglementaire figure sur la Liste de surveillance 2020. Comme l’événement à l’étude le démontre, Transports Canada doit continuer à assurer une supervision et une surveillance efficaces pour veiller au respect des exigences réglementaires, particulièrement en ce qui concerne les procédures de sécurité écrites. Compte tenu des lacunes relevées dans le manuel sur la SSE de YSP et du nombre d’inspections effectuées sur les navires exploités en vertu de ce manuel, il est nécessaire d’exercer une plus grande surveillance du processus d’inspection des navires commerciaux.

    MESURES À PRENDRE

    La surveillance réglementaire restera sur la Liste de surveillance du secteur de transport maritime jusqu’à ce que TC assure une plus grande surveillance des processus d’inspection des navires commerciaux en démontrant que sa supervision et sa surveillance sont efficaces pour veiller à ce que les représentants autorisés et les organismes reconnus respectent les exigences réglementaires, et que TC démontre une augmentation de la surveillance proactive.

    La gestion de la sécurité figure sur la Liste de surveillance 2020. Les navires de pêche sont exemptés de la réglementation relative à la gestion de la sécurité. Toutefois, en vertu de l’article 3.16 du RSBP, les navires de pêche sont tenus de disposer de procédures écrites en matière de sécurité. L’enquête a permis de déterminer que, bien qu’un programme de sécurité ait été élaboré et mis en œuvre par YSP, ce programme ne traite pas toutes les procédures requises, particulièrement en ce qui concerne l’exploitation sécuritaire du navire, et qu’il n’existe aucun mécanisme permettant de s’assurer que le programme est efficace pour cerner et atténuer les dangers.

    MESURES À PRENDRE

    La gestion de la sécurité restera sur la Liste de surveillance du secteur de transport maritime jusqu’à ce que :

    • TC mette en œuvre de la réglementation obligeant tous les exploitants commerciaux à adopter des processus formels pour la gestion de la sécurité;
    • Les transporteurs qui ont un SGS démontrent à TC qu’il fonctionne bien et qu’il permet donc de cerner les dangers et de mettre en œuvre des mesures efficaces pour atténuer les risques.

    2.0 Analyse

    L’analyse portera sur les facteurs qui influent sur la stabilité du navire et les conditions au moment de l’événement, sur la perte de vie, la gestion de la sécurité et les procédures de sécurité à bord des navires de pêche commerciale, ainsi que sur l’orientation et la surveillance de Transports Canada (TC).

    2.1 Facteurs ayant nui à la stabilité

    Tous les navires de pêche doivent avoir une stabilité suffisante pour permettre leur exploitation prévue, et TC peut demander au représentant autorisé (RA) de démontrer que la stabilité du navire est suffisante. Bien que de nombreux pêcheurs se fondent sur le comportement de leur navire et sur leur propre expérience pour déterminer les limites de stabilité, cette méthode n’est pas fiable : la stabilité doit être mesurée au moyen d’une évaluation formelle de la stabilité et liée aux limites et aux pratiques d’exploitation sécuritaires du navire.

    Les navires existants qui ont une longueur de plus de 9 m, comme le Chief William Saulis, ne sont pas tenus de faire l’objet d’une telle évaluation, à moins qu’ils présentent certains facteurs de risque en matière de stabilité ou qu’ils aient subi une modification majeure ayant de bonnes chances de nuire à la stabilité. Yarmouth Sea Products (YSP) croyait que le Chief William Saulis n’avait pas besoin d’une telle évaluation, et TC ne l’a jamais demandé à la suite de ses inspections. Toutefois, les facteurs de risque susceptibles de nuire à la stabilité, comme l’utilisation de panneaux de sabords de décharge, la pratique consistant à stocker les pétoncles sur le pont et le poids en hauteur considérable du cadre en A et de la deuxième salle d’écaillage, nécessitent une évaluation de la stabilité du navire pour s’assurer que celle-ci demeure suffisante.

    Dans la plupart des cas, la stabilité d’un navire est compromise lorsque plusieurs facteurs se conjuguent et font en sorte que le navire dépasse les limites d’exploitation sécuritaire, et ce, même si ces facteurs n’auraient qu’une incidence modérée sur la stabilité s’ils étaient présents séparément. Dans l’événement à l’étude, la combinaison des conditions environnementales, de l’arrimage de la cargaison et des effets de carène liquide a une incidence importante sur la stabilité du Chief William Saulis :

    • Les conditions environnementales ont augmenté le risque de perte de stabilité. Les vagues mesuraient plus de 2 m de haut alors que le courant et le vent venaient respectivement du 212° magnétique et du 305° magnétique, créant ainsi une mer de travers qui augmentait considérablement les mouvements de roulis et le risque de chavirement.
    • Les conditions météorologiques étaient trop mauvaises pour permettre l’écaillage sur le trajet du retour de sorte que le Chief William Saulis transportait environ 4500 kg de pétoncles, soit près de 3 fois le poids des prises à déclarer, en raison du poids supplémentaire des coquilles de pétoncles. De plus, les pétoncles non écaillés étaient normalement entreposés en amas sur le pont, entourés de bacs et de paniers, sans être arrimés. Entreposés de cette façon, les pétoncles pouvaient bloquer tout sabord de décharge resté ouvert et étaient libres de se déplacer sur toute la largeur du navire lorsque celui-ci roulait au gré de l’état de la mer.
    • Compte tenu de l’utilisation habituelle des panneaux de sabords de décharge, au moins 4 des 5 sabords de décharge de chaque côté étaient probablement couverts au moment de l’événement. Étant donné que le navire faisait route dans des conditions où les vagues étaient plus grandes que son franc-bord et donc susceptibles de déferler par-dessus le pavois, l’eau a sans doute commencé à s’accumuler. L’eau sur le pont ajoute à la charge, mais ce qui est encore plus important, c’est qu’elle se déplace avec le mouvement du navire et amplifie le déplacement des prises, créant ainsi un effet de carène liquide considérable. Le TP 10038 Note de bas de page 53, que le responsable de la sécurité a joint au manuel sur la santé, la sécurité et l’environnement (SSE), fait état des dangers liés à l’accumulation d’eau sur le pont et de l’importance des sabords de décharge. Cependant, les sabords de décharge n’étaient pas compris dans la liste de vérification pour l’inspection des navires de YSP.

    De façon générale, le centre de gravité vertical du navire était sans doute relevé par la quantité et l’emplacement des prises et de l’eau, et le déplacement de celles-ci sur la largeur du pont par mauvais temps a sûrement eu un effet de carène non négligeable.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    En l’absence d’une évaluation formelle de la stabilité, l’équipage a pris des décisions d’exploitation qui ont probablement eu une incidence sur la stabilité du navire, et ce, sans connaître suffisamment les limites d’exploitation sécuritaires du navire.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Le navire a quitté la zone de pêche alors que des pétoncles non écaillés se trouvaient sur le pont et que les sabords de décharge étaient probablement couverts soit mécaniquement, soit par des pétoncles, de sorte que l’eau provenant d’une forte mer de travers s’est également accumulée sur le pont. L’effet de carène liquide résultant du déplacement des pétoncles et de l’eau, combiné au mouvement de roulis provoqué par la forte mer de travers, a probablement fait chavirer et couler le navire.

    2.2 Perte de vie

    On ignore l’emplacement exact des membres d’équipage à bord du navire au moment de l’événement. Toutefois, étant donné qu’ils effectuaient le voyage de retour la nuit dans des conditions météorologiques trop difficiles pour continuer à écailler, il est probable que les membres d’équipage se trouvaient dans la timonerie ou se reposaient dans les emménagements.

    Lorsque l’urgence s’est produite, les membres d’équipage qui se trouvaient dans les emménagements ont probablement dû se remettre de tout mouvement soudain et important du navire et se diriger vers une voie d’évacuation. Pour sortir des emménagements, il fallait passer par l’écoutille de secours ou par la timonerie. Toutefois, l’écoutille de secours ne figurait pas sur la liste de vérification relative à la familiarisation de l’équipage ni dans la procédure d’abandon du navire. De plus, l’équipage a sans doute dû faire face à des obstacles non arrimés ou mal arrimés et aux éventuelles blessures qui ont pu en résulter.

    Les membres d’équipage qui se trouvaient dans la timonerie ou qui y sont parvenus devaient traverser l’une des salles d’écaillage en passant soit par les portes coulissantes intérieures, soit par les portes arrière. Les portes arrière se fermaient vers le centre du navire et ont pu être difficiles à déplacer si l’angle de gîte était important ou si le navire avait chaviré.

    Les membres de l’équipage tentaient de s’échapper dans l’obscurité et très probablement alors que le navire se trouvait dans un angle inhabituel, ce qui aurait rendu les voies d’évacuation plus difficiles d’accès. Il aurait fallu que les membres de l’équipage atteignent le pont avant que l’eau commence à pénétrer dans la timonerie et les emménagements, ou qu’ils sortent à la nage lorsque le taux d’infiltration d’eau eut ralenti. Il aurait été très difficile de sortir à la nage, compte tenu de la température de l’eau et de la difficulté à s’orienter dans les emménagements inondés. L’eau était froide (9,2 °C), ce qui aurait causé un choc hypothermique initial, une incapacité provoquée par le froid et une réaction de stress, réduisant ainsi leur capacité de réagir à la situation d’urgence. Le membre d’équipage dont le corps a été repêché ne portait pas d’équipement de sauvetage, et il est peu probable que l’un des membres d’équipage ait été en mesure de récupérer et d’enfiler l’équipement de sauvetage.

    De plus, les membres d’équipage étaient probablement fatigués par les effets de l’horaire de travail, par le manque de sommeil réparateur tout au long du voyage et par le fait que la situation d’urgence est survenue tôt le matin, près d’une période de creux circadien. Cette fatigue aurait réduit les fonctions cognitives et la capacité de réagir à la situation d’urgence.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Le taux d’infiltration et la température froide de l’eau, la fatigue, le fait d’être tiré du sommeil, l’obscurité et la réaction de stress, combinés aux voies d’évacuation difficiles d’accès, ont considérablement réduit les chances de survie de l’équipage.

    2.3 Gestion de la sécurité

    La gestion de la sécurité exige qu’une organisation soit bien consciente des dangers inhérents à ses opérations et qu’elle gère les risques qui en découlent. Un système de gestion de la sécurité peut aider à garantir que les membres à tous les échelons d’une organisation possèdent les connaissances et les outils nécessaires pour gérer efficacement les risques ainsi que l’information nécessaire pour prendre des décisions éclairées dans toute condition d’exploitation, qu’elle soit de routine ou d’urgence. La gestion de la sécurité demeure un enjeu figurant sur la Liste de surveillance du BST; le BST a constaté que, même lorsque des processus officiels sont en place, ils sont souvent inefficaces.

    En 2017, YSP a créé un programme de sécurité pour respecter les exigences provinciales à la suite d’une enquête sur un accident menée par la Division de la santé et de la sécurité au travail du ministère du Travail, des Compétences et de l’Immigration de la Nouvelle-Écosse. Le programme a été mis à jour en 2018 pour répondre aux exigences de TC et de nouveau en 2020 pour inclure une politique en matière de fatigue.

    Dans le cadre de l’enquête, on a évalué le programme de sécurité de YSP en s’appuyant sur les principes définis dans le Code international de gestion de la sécurité en ce qui concerne la définition des responsabilités; les procédures d’exploitation des navires; la documentation et la tenue des dossiers; les procédures utilisées pour cerner les dangers et gérer les risques; les exercices, la formation et la familiarisation des équipages des navires; et un système d’autoévaluation et d’amélioration.

    2.3.1 Responsabilités, obligations et pouvoirs clairement définis

    Chez YSP, le propriétaire des navires, et donc le RA, était la compagnie elle-même. L’enquête a permis de déterminer que le personnel à terre ne savait pas ce qu’était un RA et que personne ne s’entendait sur l’identité de la personne désignée pour s’acquitter des responsabilités du RA.

    La responsabilité de la sécurité était partagée entre le responsable de la sécurité de YSP, le membre du personnel à terre et les capitaines des 25 navires de YSP. YSP ne disposait pas de descriptions de poste écrites, et la répartition des responsabilités en matière de sécurité était informelle. Ce type de répartition informelle des responsabilités a été cerné par le BST dans le cadre d’autres enquêtes Note de bas de page 54 et engendre des lacunes dans le système de sécurité.

    2.3.2 Procédures d’exploitations du navire

    Les procédures relatives aux navires dans le manuel sur la santé, la sécurité et l’environnement de YSP ont été copiées à partir de modèles fournis par TC. Ces modèles ne constituent qu’un point de départ et doivent être adaptés aux activités particulières de l’organisation en tenant compte des commentaires formulés par des personnes qui connaissent ces activités. Ces commentaires doivent être structurés à l’aide d’un processus guidé, comme l’évaluation des risques professionnels fournie par Fish Safe NS, et appuyés par les pratiques exemplaires de l’industrie. Autrement, les procédures pourraient ne pas être élaborées de manière à véritablement garantir l’adoption de pratiques de travail sécuritaires.

    Outre des procédures, le manuel sur la SSE comprenait également des politiques, dont une au sujet de la fatigue. Toutefois, la version examinée de la politique sur la fatigue n’abordait pas le sommeil réparateur, un aspect important de la gestion de la fatigue. Les politiques qui ne traitent pas pleinement des dangers exposent par inadvertance les capitaines et les équipages à des risques. Par exemple, dans le cas du manque de sommeil réparateur, les risques sont liés à des perturbations des fonctions cognitives et à une fatigue accrue.

    2.3.3 Documentation et tenue de dossiers

    En ce qui concerne la documentation et la tenue de dossiers chez YSP, les capitaines remplissaient les formulaires du manuel sur la SSE et le responsable de la sécurité recueillait les formulaires ou les photos envoyés par les capitaines. Il incombait donc aux capitaines de chaque navire de remplir ces formulaires. Cependant, aucun suivi n’était effectué pour s’assurer que les documents étaient remplis.

    L’enquête a permis de déterminer que le formulaire le plus souvent rempli était le registre du personnel : sur 3 navires et au cours d’une période de 3 ans, 15 registres du personnel ont été remplis. En comparaison, 5 formulaires de dossier d’entretien, 3 listes de vérification relatives à la familiarisation, 4 formulaires d’exercice d’urgence et 2 registres de certification des membres d’équipage ont été remplis pour ces navires. Aucun document n’était disponible pour le Chief William Saulis.

    En l’absence de documents et de suivi cohérents, il n’y a aucun moyen de s’assurer que les capitaines préparent efficacement les membres d’équipage aux risques liés aux activités.

    2.3.4 Procédures pour cerner les dangers et gérer les risques

    YSP a recours à des inspections internes des navires pour cerner les dangers et les risques à bord de ceux-ci. Les inspections reposent sur une liste de vérification et portent sur divers systèmes et équipements de sécurité à bord du navire. Ce processus n’est pas officiellement documenté, et les rôles du capitaine et du responsable de la sécurité ne sont pas clairement définis. Dans la pratique, le responsable de la sécurité effectue les inspections et le capitaine est officieusement chargé de corriger les lacunes. Plus tard, le responsable de la sécurité s’entretient avec le capitaine. Cependant, il n’y a pas de point de contrôle ou de documents permettant de s’assurer que toutes les lacunes ont été corrigées de manière appropriée. Sans cette étape, il est impossible de confirmer que les dangers découlant des lacunes sont adéquatement atténués.

    2.3.5 Exercices, formations et séances de familiarisation

    Afin de s’assurer que les capitaines et les membres d’équipage sont préparés aux situations d’urgence, il est nécessaire de procéder à des exercices et à une familiarisation. Bien que YSP disposait de procédures d’exercice, elles n’étaient pas adaptées à des navires particuliers et à des activités précises. De plus, YSP n’exigeait pas que les navires procèdent à des exercices ou à une familiarisation. Les dossiers obtenus auprès de 3 navires de YSP ne montrent que 3 listes de vérification relative à la familiarisation et 4 registres d’exercices sur une période de 3 ans. Aucun registre d’exercices ou de familiarisation n’était disponible pour le Chief William Saulis.

    2.3.6 Auto-évaluation et amélioration pour une gestion efficace de la sécurité

    Afin de s’assurer que la gestion de la sécurité demeure efficace, un processus d’autoévaluation et d’amélioration doit être mis en place. Chez YSP, la responsabilité du manuel sur la SSE et des inspections internes incombait au responsable de la sécurité. Le propriétaire examinait les modifications proposées par le responsable de la sécurité. Toutefois, l’ajout de nouveau matériel reposait en grande partie sur le responsable de la sécurité. Dans la structure existante, il n’y avait pas de supervision interne de l’exécution du système de sécurité. En l’absence de processus d’autoévaluation et d’amélioration, YSP ne peut pas s’assurer que son programme gère efficacement la sécurité.

    Enfin, la gestion de la sécurité doit aider à garantir que les organisations continuent de respecter la réglementation. Le Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche (RSBP) exigeait la mise en place de plusieurs procédures, mais celles-ci ne figuraient pas dans le manuel sur la SSE. Le plus important dans l’événement à l’étude, c’est qu’il n’y avait aucune procédure concernant les activités de pêche, comme le chargement, le déchargement, l’arrimage et d’autres opérations. De telles procédures sont importantes pour évaluer les risques en matière de stabilité et pour s’assurer que les capitaines disposent de directives leur permettant de mener à bien les activités conformément aux pratiques de travail sécuritaires.

    Fait établi quant aux risques

    Si une compagnie ne cerne pas les dangers propres au contexte et à la nature des activités et n’évalue pas ses risques à l’aide d’un processus guidé, les pêcheurs ne bénéficieront pas de directives appropriées et de pratiques de travail sécuritaires leur permettant d’atténuer efficacement les dangers.

    2.4 Directives et surveillance de Transports Canada

    L’élaboration et la documentation des procédures en matière de sécurité constituent un processus détaillé qui exige des directives pour s’assurer que ces procédures sont complètes et efficaces. Le responsable de la sécurité de YSP s’est servi de la plupart des modèles fournis par TC lorsqu’il a réécrit le manuel sur la SSE de YSP en 2019, croyant ainsi répondre aux exigences réglementaires de TC. Toutefois, ces modèles ne couvrent pas toutes les procédures requises et, pour être efficaces, ils doivent être modifiés en fonction de l’exploitation de chaque navire. Par exemple, il existe des procédures pour combattre un incendie et pour savoir ce qu’il faut faire si un navire prend l’eau, mais il n’y en a aucune pour prévenir les incendies ou les entrées d’eau Note de bas de page 55. Aucun avertissement n’informe les lecteurs que la liste n’est pas exhaustive et que la création de matériel utile nécessite un travail supplémentaire.

    Fait établi quant aux risques

    Si les directives fournies par TC en ce qui concerne les procédures de sécurité écrites exigées par le Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche, y compris les modèles, ne couvrent que partiellement les exigences réglementaires relatives à des procédures de sécurité efficaces, il existe un risque que les organisations n’élaborent pas de procédures de sécurité écrites complètes.

    Dans la recommandation M03-07 du BST, le Bureau a recommandé que TC réduise le nombre de pratiques imprudentes par l’entremise d’un code de pratiques exemplaires à l’intention des petits bateaux de pêche, y compris les pratiques exemplaires relatives au chargement et à la stabilité. En réponse à cette recommandation, TC a publié les Lignes directrices relatives aux modifications importantes apportées aux bâtiments de pêche/changements d’activité (TP 15392) et les Lignes directrices en matière de stabilité et de sécurité adéquates pour les bâtiments de pêche (TP 15393). Ces documents fournissent les pratiques exemplaires en matière de chargement et de stabilité des navires. Les procédures de chargement et de déchargement comptent parmi les procédures d’exploitation exigées dans le RSBP qui sont les plus importantes, et elles ne figuraient pas dans le manuel sur la SSE de YSP.

    Bien que la responsabilité de la mise en œuvre de ces pratiques exemplaires incombe principalement aux associations de pêcheurs, une partie de l’inspection de certification de TC consiste à examiner les procédures de sécurité écrites et les registres de mise en œuvre. La surveillance de ces éléments n’est pas toujours efficace. Les inspecteurs sont tenus de s’assurer que les procédures de sécurité se trouvent à bord, que des procédures de familiarisation et des exercices sont effectués et que les procédures de familiarisation et les exercices effectués sont consignés dans un registre. Cependant, les instructions de formation à l’intention des inspecteurs de la sécurité maritime de TC indiquent qu’il n’est pas nécessaire que les procédures de sécurité écrites soient approuvées. Autrement dit, les inspecteurs ne sont pas tenus d’évaluer l’exhaustivité ou la qualité des procédures de sécurité. Toutefois, cette approche de la vérification des politiques et procédures exigées par la réglementation et de la rétroaction à leur sujet au cours du processus de certification est une occasion manquée de promouvoir l’amélioration continue des pratiques de travail sécuritaires, en particulier les pratiques liées au chargement et à la stabilité.

    Dans l’événement à l’étude, les dossiers d’inspection de TC ne font état d’aucune lacune liée aux registres d’exercices ou aux procédures de sécurité lors de l’une ou l’autre des 84 inspections réalisées sur les 25 navires de YSP entre le 13 juillet 2017 et le 15 décembre 2020. De plus, la campagne d’inspection concentrée de 2021-2022 de TC portant sur 101 navires dans l’ensemble du Canada a révélé des lacunes liées aux exercices et aux registres d’exercices (41 %), à l’exhaustivité et à l’accessibilité des procédures de sécurité (30 %) et à la connaissance des procédures de sécurité par les équipages (28 %).

    La surveillance réglementaire et la sécurité de la pêche commerciale figurent toujours sur la Liste de surveillance du BST en tant qu’enjeux clés à régler en matière de sécurité. Comme l’événement à l’étude l’a démontré, la surveillance de TC n’est pas toujours efficace, et le fait que TC se fie aux RA ne permet pas d’atteindre les résultats escomptés.

    Fait établi quant aux risques

    Si le processus de certification des navires ne permet pas de déceler les lacunes dans les procédures de sécurité et d’offrir de la formation, il existe un risque que les capitaines, les propriétaires et les autres personnes qui assument le rôle de RA permettent à des navires de mener leurs activités sans pratiques de travail sécuritaires efficaces.

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

    1. En l’absence d’une évaluation formelle de la stabilité, l’équipage a pris des décisions d’exploitation qui ont probablement eu une incidence sur la stabilité du navire, et ce, sans connaître suffisamment les limites d’exploitation sécuritaires du navire.
    2. Le navire a quitté la zone de pêche alors que des pétoncles non écaillés se trouvaient sur le pont et que les sabords de décharge étaient probablement couverts soit mécaniquement, soit par des pétoncles, de sorte que l’eau provenant d’une forte mer de travers s’est également accumulée sur le pont. L’effet de carène liquide résultant du déplacement des pétoncles et de l’eau, combiné au mouvement de roulis provoqué par la forte mer de travers, a probablement fait chavirer et couler le navire.
    3. Le taux d’infiltration et la température froide de l’eau, la fatigue, le fait d’être tiré du sommeil, l’obscurité et la réaction de stress, combinés aux voies d’évacuation difficiles d’accès, ont considérablement réduit les chances de survie de l’équipage.

    3.2 Faits établis quant aux risques

    Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

    1. Si une compagnie ne cerne pas les dangers propres au contexte et à la nature des activités et n’évalue pas ses risques à l’aide d’un processus guidé, les pêcheurs ne bénéficieront pas de directives appropriées et de pratiques de travail sécuritaires leur permettant d’atténuer efficacement les dangers.
    2. Si les directives fournies par TC en ce qui concerne les procédures de sécurité écrites exigées par le Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche, y compris les modèles, ne couvrent que partiellement les exigences réglementaires relatives à des procédures de sécurité efficaces, il existe un risque que les organisations n’élaborent pas de procédures de sécurité écrites complètes.
    3. Si le processus de certification des navires ne permet pas de déceler les lacunes dans les procédures de sécurité et d’offrir de la formation, il existe un risque que les capitaines, les propriétaires et les autres personnes qui assument le rôle de RA permettent à des navires de mener leurs activités sans pratiques de travail sécuritaires efficaces.

    3.3 Autres faits établis

    Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.

    1. Yarmouth Sea Products n’avait en main aucune liste d’équipage à jour pour le Chief William Saulis avant le départ du navire vers la zone de pêche. Ce n’est que 26 heures après l’événement que Yarmouth Sea Products a été en mesure de communiquer au Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage le nombre total de personnes à bord.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures de sécurité prises

    4.1.1 Yarmouth Sea Products Ltd.

    À la suite de l’événement, Yarmouth Sea Products Ltd. a demandé aux capitaines des navires de remettre des listes d’équipage au responsable de la sécurité avant leur départ.

    4.2 Mesures de sécurité à prendre

    4.2.1 Surveillance réglementaire des procédures de sécurité écrites pour les bateaux de pêche

    Le 15 décembre 2020, le bateau de pêche Chief William Saulis revenait de la pêche aux pétoncles quand le Centre conjoint de coordination de sauvetage de Halifax (Nouvelle-Écosse) a reçu un signal de sa radiobalise de localisation des sinistres (RLS), à 12 milles marins au nord-nord-est de Digby (Nouvelle-Écosse). Des opérations de recherche et sauvetage ont été entreprises après des tentatives infructueuses de joindre le navire par radio très haute fréquence (VHF) ou par téléphone. Le corps de 1 membre d’équipage a été repêché; au mois de décembre 2022, les autres membres d’équipage étaient toujours portés disparus.

    L’enquête a permis de déterminer que le navire avait quitté la zone de pêche avec des pétoncles non écaillés sur le pont, et que les sabords de décharge étaient probablement recouverts soit mécaniquement, soit par des pétoncles, de sorte que l’eau provenant de la grosse mer de travers s’est également accumulée sur le pont. L’effet de carène liquide résultant du déplacement des pétoncles et de l’eau, ainsi que le mouvement de roulis induit par la grosse mer de travers, ont probablement fait chavirer et couler le navire.

    La Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada et le Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche (RSBP) exigent tous deux que le représentant autorisé (RA) d’un navire fournisse des procédures de sécurité écrites qui familiarisent les personnes à bord avec les diverses activités opérationnelles et d’urgence. Yarmouth Sea Products Limited (YSP), le RA du Chief William Saulis, avait fourni au Chief William Saulis et aux 24 autres navires de la flotte de YSP un manuel d’exploitation du navire. La plupart des procédures de sécurité contenues dans le manuel étaient fondées sur des modèles fournis par Transports Canada (TC). Cependant, ces modèles n’abordent pas toutes les procédures requises, et le manuel ne comprenait pas toutes les procédures exigées par la réglementation. En particulier, le manuel ne comportait aucune procédure écrite pour guider l’utilisation des sabords de décharge ou pour indiquer comment les pétoncles doivent être stockés sur le pont, lesquels constituent 2 éléments essentiels à la stabilité du Chief William Saulis. L’enquête a permis de déterminer que si les directives fournies par TC en ce qui concerne les procédures de sécurité écrites exigées par le Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche, y compris les modèles, ne couvrent que partiellement les exigences réglementaires relatives à des procédures de sécurité efficaces, il existe un risque que les organisations n’élaborent pas de procédures de sécurité écrites complètes.

    Pour les bateaux de pêche comme le Chief William Saulis, le programme de certification de TC est le principal mécanisme de surveillance pour assurer le respect de la réglementation. Bien que des procédures de sécurité écrites soient exigées par la réglementation, TC n’exige pas qu’elles soient approuvées, ne vérifie pas leur contenu pendant les inspections et ne détermine pas si l’équipage connaît les procédures.

    Les dossiers d’inspection de TC indiquent qu’entre juillet 2017 et décembre 2020, 84 inspections distinctes ont été effectuées sur les 25 navires exploités par YSP. Aucun des dossiers ne faisait état de lacunes relatives aux procédures de sécurité des navires. L’enquête a révélé que si le processus de certification des navires ne permet pas de relever les lacunes dans les procédures de sécurité et de fournir de la formation, il existe un risque que les capitaines, les propriétaires et les autres personnes qui assument le rôle de RA permettent à des navires de mener leurs activités sans pratiques de travail sécuritaires efficaces.

    Les campagnes d’inspection concentrée (CIC) sont une forme de surveillance de TC qui est indépendante du programme régulier de certification. Dans le cadre de ces campagnes, TC se concentre sur un problème de sécurité précis à bord de navires canadiens. En 2021-2022, Transports Canada a mené une CIC sur les bateaux de pêche et plus particulièrement sur la conformité avec le RSBP, y compris les exigences réglementaires relatives aux procédures de sécurité efficaces. La CIC a relevé des lacunes qui n’avaient pas été trouvées dans le cadre du programme de certification de TC et a émis des avis de défaut à 62 % des 101 navires inspectés. Les lacunes les plus nombreuses concernaient la sécurité du navire et de l’équipage : les navires présentaient des lacunes liées aux exercices et aux registres d’exercices (41 %), à l’exhaustivité et à l’accessibilité des procédures de sécurité (30 %), ainsi qu’à la connaissance des procédures de sécurité par l’équipage (28 %).

    La surveillance exercée par TC n’est pas toujours efficace, et donc la surveillance réglementaire demeure un enjeu de la Liste de surveillance 2022 du BST.

    Sans une surveillance exercée par TC pour vérifier si les procédures écrites exigées par la réglementation à bord des bateaux de pêche ont été élaborées et si les membres d’équipage en connaissent le contenu, il y a un risque que les opérations de pêche se poursuivent sans les directives essentielles à la sécurité de l’équipage et du navire. C’est pourquoi le Bureau recommande que

    le ministère des Transports veille à ce que chaque inspection d’un bateau de pêche commerciale permette de vérifier si chaque procédure de sécurité écrite requise est mise à la disposition de l’équipage et que ce dernier en connaît le contenu.
    Recommandation M23-05 du BST

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

    Annexes

    Annexe A : Liste de contrôle relative à la familiarisation de Yarmouth Sea Products Limited

    Figure A1. Liste de contrôle vierge indiquant les types d’équipements à bord du Chief William Saulis que les membres d’équipage doivent savoir où trouver et comment utiliser convenablement (Source : Yarmouth Sea Products Limited)
    Image
    Liste de contrôle vierge indiquant les types d’équipements à bord du Chief William Saulis que les membres d’équipage doivent savoir où trouver et comment utiliser convenablement (Source : Yarmouth Sea Products Limited)

    Annexe B : Liste de contrôle pour l’inspection de Yarmouth Sea Products Limited

    Figure B1. Première page de la liste de contrôle d'inspection du navire pour le Chief William Saulis, remplie le 8 juin 2020 (Source: Yarmouth Sea Products Limited)
    Image
    Première page de la liste de contrôle d'inspection du navire pour le Chief William Saulis, remplie le 8 juin 2020 (Source: Yarmouth Sea Products Limited)
    Figure B2. Deuxième page de la liste de contrôle d'inspection du navire pour le Chief William Saulis, remplie le 8 juin 2020 (Source: Yarmouth Sea Products Limited)
    Image
    Deuxième page de la liste de contrôle d'inspection du navire pour le Chief William Saulis, remplie le 8 juin 2020 (Source: Yarmouth Sea Products Limited)