Rapport d’enquête sur la sécurité du transport maritime M20C0188

Abordage
Navires de marchandises générales Florence Spirit et Alanis
Canal Welland (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 11 juillet 2020, les navires de marchandises générales Florence Spirit et Alanis se sont abordés près du point milliaire 16 dans le canal Welland (Ontario). Les structures des coques des deux navires ont été lourdement endommagées. Aucune blessure ni pollution n’a été signalée.

    1.0 Renseignements de base

    1.1 Fiches techniques des navires

    Tableau 1. Fiches techniques des navires
    Nom Florence Spirit Alanis
    Numéro de l’Organisation maritime internationale (OMI) 9314600 9468085
    Numéro officiel 839979 4661
    Port d’immatriculation Hamilton St. John’s
    Pavillon Canada Antigua-et-Barbuda
    Type Navire de marchandises générales Navire de marchandises générales
    Jauge brute 8935 9611
    Longueur hors tout 136,43 m 138,07 m
    Largeur hors membrures 21,2 m 21,0 m
    Cargaison Charbon en vrac (11 416 t) Tours d’éoliennes (3204 t)
    Tirant d’eau prévu 8,364 m 8,0 m
    Tirant d’eau au moment de l’événement Avant : 7,4 m; arrière : 7,8 m Avant : 6,1 m; arrière : 7,5 m
    Déplacement 17 873 t 17 971 t
    Coefficient de bloc selon le tirant d’eau au moment de l’événement 0,76 0,801
    Construction 2004 2010
    Propulsion 1 moteur diesel de 4320 kW entraînant 1 hélice à pas variable à gauche 1 moteur diesel de 5400 kW entraînant 1 hélice à pas variable à gauche
    Membres d’équipage 14 13
    Propriétaire McKeil Marine MS « Alina » Schifffahrtsgesellschaft mbH & Co. KG (Allemagne)
    Gestionnaire McKeil Marine Rambow Bereederungs GmbH & Co. KG (Allemagne)
    Société de classification / organisme reconnu Lloyd’s Register Bureau Veritas
    Autorité de délivrance de la certification internationale de gestion de la sécurité Lloyd’s Register Bureau Veritas

    1.2 Description des navires

    1.2.1 Florence Spirit

    Le Florence Spirit (figure 1) est un navire de marchandises générales construit par la Kyokuyo Shipyard Corporation, au Japon. La passerelle, la salle des machines et les emménagements sont situés à l’arrière. Le navire comporte 4 cales à marchandises. Le Florence Spirit a 2 navires-jumeauxFootnote 1.

    Figure 1. Le Florence Spirit (Source : Rob Burdick)
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    Le <em>Florence Spirit</em> (Source : Rob Burdick)

    La passerelle comporte tous les instruments de navigation requis, y compris les commandes de la propulsion et du propulseur d’étrave, un système de cartes électroniques (ECS) et des radars de 3 cm et de 10 cm (figure 2). Un indicateur d’angle du gouvernail à 3 faces est monté au plafond de la passerelle, au-dessus des radars. L’indicateur d’angle du gouvernail est gradué pour représenter toute la plage de déplacement du gouvernail, soit 70° à bâbord et à tribord. Le navire est également doté d’un système d’identification automatique (SIA), d’un système de positionnement mondial différentiel (DGPS) et d’un échosondeur. Un enregistreur de données de voyage est également installé à bord.

    Figure 2. Diagramme montrant l’aménagement de la passerelle du Florence Spirit (Source : BST)
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    Figure 2. Diagramme montrant l’aménagement de la passerelle du <em>Florence Spirit</em> (Source : BST)

    Le Florence Spirit est doté d’un gouvernail en queue de poisson à haute efficacité soutenu par le bas. Il s’agit du seul navire de la flotte de McKeil Marine à posséder ce type de gouvernail. Le gouvernail est en acier et a une surface de 14,85 m2. Il est couplé à un appareil à gouverner rotatif à palettesFootnote 2 qui permet de faire tourner le gouvernail jusqu’à 70° tant à bâbord qu’à tribord. Le système est équipé de butoirs mécaniques à 71,5°. Le navire est également doté d’un propulseur d’étrave en tunnel de 550 kW. Les caractéristiques de manœuvreFootnote 3 du Florence Spirit sont présentées à l’annexe A.

    1.2.2 Alanis

    L’Alanis (figure 3) est un navire de marchandises générales construit par le chantier naval Jiangxi Jiangzhou, en Chine. Il est conçu pour transporter des conteneurs, des cargaisons lourdes et des cargaisons en vrac. Le navire est doté de 3 cales à marchandises et de 2 grues, situées du côté bâbord. La salle des machines et les emménagements sont situés à l’arrière. Le navire est doté d’un propulseur d’étrave en tunnel de 500 kW.

    Figure 3. L’Alanis (Source : Rambow Bereederungs GmbH & Co. KG)
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    L’<em>Alanis</em> (Source : Rambow Bereederungs GmbH & Co. KG)

    La passerelle comporte tous les instruments de navigation requis, y compris une console de navigation qui contient le poste de conduite, les commandes de propulsion, des radars de 3 cm et de 10 cm et un système électronique de visualisation des cartes marines (ECDIS) (figure 4). Le navire est doté d’un DGPS et d’un SIA. Un enregistreur de données de voyage est également installé à bord.

    Figure 4. Diagramme montrant l’aménagement de la passerelle de l’Alanis (Source : BST)
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     Diagramme montrant l’aménagement de la passerelle de l’<em>Alanis</em> (Source : BST)

    1.3 Description du canal Welland

    Le canal Welland est situé dans la partie ouest de la Voie maritime du Saint-Laurent et il relie le lac Ontario et le lac Érié par une série de 8 écluses (figure 5). À la saison 2019, le canal Welland a été ouvert du 22 mars 2019 au 8 janvier 2020. Pendant cette période, 3 186 navires y ont transitéFootnote 4. La largeur maximale autorisée des navires est de 23,77 m, et la longueur maximale autorisée est de 225,5 m. Le tirant d’eau nominal autorisé est de 8,08 m.

    Figure 5. Le canal Welland (Source : tierce partie, avec modifications du BST)
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    Le canal Welland (Source : tierce partie, avec modifications du BST)

    La Voie maritime du Saint-Laurent est gérée conjointement par la Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent (CGVMSL) et la Great Lakes St. Lawrence Seaway Development Corporation des États-Unis. La CGVMSL gère le trafic maritime dans le canal Welland par l’intermédiaire du Contrôle de la circulation sur la Voie maritime.

    Les navires transitant par le canal Welland peuvent rencontrer d’autres navires en sens inverse à certains endroits. La CGVMSL a désigné certaines parties du canal comme étant des zones de rencontre interdite, et les contrôleurs de la circulation sur la Voie maritime ont également le pouvoir d’interdire les rencontres à certains endroitsFootnote 5. Les navires peuvent prendre des dispositions pour des rencontres au besoin, et les contrôleurs de la circulation sur la Voie maritime peuvent apporter leur aide à cet égard sur demande.

    La CGVMSL dispose d’un manuel qui établit des limites de vitesse pour les différentes parties de la Voie maritime. La limite de vitesse sur le canal Welland est de 6 nœuds, à l’exception de la voie de contournement de Welland, où la limite de vitesse est de 8 nœuds Footnote 6, Footnote 7. La voie de contournement de Welland est une section du canal relativement droite de 13,4 km entre Port Robinson et Ramey’s Bend (figure 5). La voie de contournement a une largeur navigable de 106,7 m et une profondeur d’eau de 9,1 m. Les navires sont autorisés à se rencontrer dans la voie de contournement de Welland.

    En 2004-2005, des tolérances de vitesse ont été mises en œuvre pour permettre aux navires d’augmenter leur vitesse au-delà de la limite de vitesse établie pendant une durée limitée afin de pouvoir effectuer des manœuvres spéciales aux fins de navigation sécuritaire. Le degré de tolérance dépend des caractéristiques du navire, des conditions de navigation et des conditions environnementales.

    Dans les zones où des tolérances de vitesse sont appliquées, la vitesse la plus élevée à laquelle un navire est autorisé à naviguer (la limite de vitesse maximale + la tolérance de vitesse) est communément appelée « maximum allowable speed » (vitesse maximale permissible) par le Contrôle de la circulation sur la Voie maritime ainsi que par les navigateurs qui empruntent régulièrement la Voie maritime, bien que ce terme ne soit pas défini dans la documentation de la Voie maritime. Au moment de l’événement, la voie de contournement de Welland avait une tolérance de vitesse de 1,9 nœud au-delà de la limite de vitesse maximale publiée de 8 nœuds, de sorte que la vitesse maximale permissible était de 9,9 nœuds.

    1.4 Déroulement du voyage

    1.4.1 Alanis

    Le 9 juillet 2020, l’Alanis a quitté Montréal (Québec), au Canada, à destination de Duluth (Minnesota), aux États-Unis. Le 11 juillet à 0 h 55Footnote 8, l’Alanis est arrivé à l’écluse 1 du canal Welland. En raison d’une accumulation de traficFootnote 9 dans le canal, l’Alanis est resté immobilisé à l’écluse 1 jusqu’à 7 h 20, heure à laquelle le navire a pu commencer à remonter le canal. Vers 13 h 30, l’Alanis a quitté l’écluse 7. L’équipe à la passerelle de l’Alanis était alors composée d’un pilote de l’Administration de pilotage des Grands Lacs (APGL), d’un timonier et du second officier, qui était l’officier de quart.

    Après avoir quitté l’écluse 7, l’Alanis a poursuivi sa route à vitesse réduite de façon à synchroniser ses rencontres avec le Florence Spirit et 2 autres navires dans la zone entre Port Robinson et Ramey’s Bend.

    1.4.2 Florence Spirit

    Le 10 juillet 2020, le Florence Spirit a quitté Toledo (Ohio), aux États-Unis, à destination de Saguenay (Québec), au Canada. Le 11 juillet à 9 h 25, le navire est arrivé au quai 16 de Port Colborne (Ontario) et y a été retardé en raison de l’accumulation de trafic dans le canal Welland. À 13 h 25, l’équipage a rempli la liste de vérification préalable au départ, ce qui nécessitait, entre autres, de tester le système de gouverne du navire et le moteur principal. Tous les systèmes ont été jugés en bon état de fonctionnement.

    À 14 h 46, le Florence Spirit a quitté le quai 16 et a descendu le canal vers l’écluse 8. À ce moment, le navire était gouverné en mode asserviFootnote 10 avec 2 pompes de l’appareil à gouverner en marche. L’équipe à la passerelle était composée du capitaine, d’un timonier et du second officier, qui était l’officier de quart. Un capitaine pilote se trouvait également sur la passerelle pour assurer la formation du capitaine. Le capitaine pilote, un employé de McKeil Marine, détenait un certificat de pilotage de l’APGL qui l’autorisait à piloter les navires de l’entreprise dans les zones de pilotage obligatoire. Le capitaine pilote assurait la formation du capitaine pour qu’il puisse obtenir un certificat de pilotage au niveau de capitaine pilote. Le capitaine effectuait le 12e des 15 voyages de formation requis pour obtenir le certificatFootnote 11.

    À 15 h 23, un contrôleur de la circulation sur la Voie maritime a appelé le capitaine du Florence Spirit sur le radiotéléphone à très haute fréquence (VHF) et lui a demandé l’heure d’arrivée prévue du navire au bassin situé au sud de l’écluse 7 si le navire avançait à la vitesse maximale permissible. Après avoir discuté de la question du contrôleur de la circulation avec le capitaine pilote, le capitaine a répondu qu’il lui faudrait 1 heure et 30 minutes pour se rendre au bassin. À ce moment, le capitaine tentait de manœuvrer le navire pour sortir de l’écluse 8, mais le navire se déplaçait latéralement dans l’écluse en raison des forces hydrodynamiques présentes, ce qui gênait son départ et retardait son déplacement vers l’écluse 7.

    À 15 h 27, alors que le Florence Spirit était encore dans l’écluse 8, le pilote de l’Alanis et le capitaine du Florence Spirit ont commencé à communiquer à l’aide d’un programme de messagerie instantanée au sujet de la rencontre à venir des navires dans la voie de contournement de Welland. Le capitaine du Florence Spirit utilisait son téléphone cellulaire personnel pour envoyer les messages, et le pilote à bord de l’Alanis utilisait son unité portative de pilotage (UPP)Footnote 12. Le pilote et le capitaine se connaissaient, car ils avaient travaillé ensemble dans une autre entreprise où le capitaine avait été le subalterne du pilote.

    Le message initial, envoyé par le pilote, indiquait que le capitaine avait toute latitude pour choisir la vitesse et les manœuvres qu’il jugeait appropriées pour la rencontre à venir. Le pilote et le capitaine ont ensuite continué à échanger des messages sur les forces hydrodynamiques qui agissaient sur le Florence Spirit dans l’écluse 8. Le pilote a indiqué au capitaine que les navires chargés de fort gabarit comme le Florence Spirit se déplacent latéralement dans l’écluse si la propulsion est trop forte. Le capitaine a alors affirmé qu’il allait augmenter la vitesse du Florence Spirit une fois qu’il aurait passé Ramey’s Bend, et le pilote a indiqué que l’Alanis avançait lentement.

    Après avoir quitté l’écluse 8 vers 15 h 34, le Florence Spirit s’est dirigé vers Ramey’s Bend à une vitesse de 6 nœuds. Le capitaine donnait des ordres de barre au timonier et contrôlait le pas de l’hélice. À 15 h 39, le capitaine et le capitaine pilote ont constaté qu’il serait difficile de respecter l’heure d’arrivée prévue qu’ils avaient donnée au contrôleur de la circulation sur la Voie maritime et ils ont discuté pour savoir s’il serait possible d’y arriver.

    À 15 h 43, le Florence Spirit a dépassé Ramey’s Bend et est entré dans la voie de contournement de Welland. À 15 h 44, le capitaine a augmenté le pas de l’hélice à 57 % en avantFootnote 13. À peu près au même momentFootnote 14, le pilote de l’Alanis a envoyé un message au capitaine du Florence Spirit indiquant que lorsque l’Alanis se trouverait à environ 0,8 mille marin (NM) du Florence Spirit, il modifierait son cap de 4° à tribord. Le pilote a également indiqué que le fait de garder le navire au centre du canal aussi longtemps que possible réduit l’effet de succion de la berge. Le capitaine du Florence Spirit a accusé réception du plan du pilote et a indiqué qu’il allait faire de même.

    Le pilote de l’Alanis a également indiqué au capitaine du Florence Spirit de maintenir l’écart entre les navires et de modifier progressivement son cap de manière à ce que les navires suivent des trajectoires parallèles au moment de leur rencontre. Le pilote a indiqué qu’un passage à grande vitesse était la meilleure option dans cette situation. Le capitaine du Florence Spirit a transmis de vive voix au capitaine pilote le contenu des messages qu’il avait échangés avec le pilote de l’Alanis.

    Un changement de quart a ensuite été effectué sur le Florence Spirit. Le timonier a transféré ses responsabilités au nouveau timonier, et le second officier a transféré ses responsabilités au capitaine en second. À 15 h 49, le Florence Spirit avançait à une vitesse de 9,9 nœudsFootnote 15. Le capitaine et le capitaine pilote ont de nouveau discuté des préoccupations concernant l’heure d’arrivée prévue à l’écluse suivante. Le capitaine pilote a demandé au capitaine de maintenir la vitesse du Florence Spirit.

    À 15 h 51, le capitaine pilote a demandé si le Florence Spirit se trouvait au milieu du canal. Le Florence Spirit se trouvait alors à un écart latéral de 13 mFootnote 16 à tribord de l’axe central du canal. Le timonier a ajusté le cap à 016° gyro (G)Footnote 17. Peu après, le timonier a informé le capitaine pilote que le Florence Spirit se trouvait au centre du canal.

    Vers 15 h 56, le capitaine pilote a demandé au capitaine de préciser si le pilote de l’Alanis voulait que le Florence Spirit maintienne sa vitesse. Le capitaine a répondu que le pilote n’avait aucune préférence quant à la vitesse du Florence Spirit.

    À 15 h 57, le Florence Spirit se trouvait à un écart latéral de 12 m à tribord de l’axe central du canal. Pour maintenir le cap ordonné de 016°G, le timonier a poussé le gouvernail jusqu’à 20° à tribord (annexe B).

    1.4.3 Déroulement de l’abordage

    À 16 h 03, la distance entre les 2 navires était d’environ 0,8 NM. Peu après, le capitaine du Florence Spirit et le pilote de l’Alanis ont donné l’ordre de changer de cap de 4°. Le pilote de l’Alanis a ordonné un changement de cap à 200°G alors que l’Alanis avançait à 2,9 nœuds. Le capitaine du Florence Spirit a ordonné un changement de cap à 020°G alors que le Florence Spirit avançait à 9,8 nœuds à un écart latéral de 8 m (figure 6).

    À 16 h 04 m 30 s, le Florence Spirit avait atteint un écart latéral de 20 m et le timonier avait le gouvernail à 35° à tribord pour atteindre le cap ordonné de 020°G, mais le cap du navire était à 18,5° et diminuait. À 16 h 04 m 57 s, le timonier a mis le gouvernail à 46° pour tenter d’atteindre le cap de 020°G, mais le cap du navire était à 18°G et continuait de diminuer. Le timonier a ensuite mis le gouvernail à divers degrés à tribord pour continuer de tenter d’atteindre le cap ordonné (annexe B). Peu après, le Florence Spirit se trouvait à un écart latéral de 28 m et avançait à 9,2 nœuds. Le gouvernail était à 36° et le cap du navire continuait de diminuer.

    Figure 6. Diagramme montrant les trajectoires du Florence Spirit et de l’Alanis jusqu’à l’abordage (Source : BST)
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    Diagramme montrant les trajectoires du <em>Florence Spirit</em> et de l’<em>Alanis</em> jusqu’à l’abordage (Source : BST)

    À 16 h 05 m 15 s, l’écart latéral du Florence Spirit par rapport à l’axe central avait augmenté à 32 mFootnote 18, et sa vitesse se maintenait à environ 9 nœuds. La distance entre les 2 navires était d’environ 0,38 NM. Le capitaine du Florence Spirit a ordonné au timonier de virer à 016°G, dans le but d’amener le navire en parallèle au centre du canal. Le timonier a ramené le gouvernail de 30° à 10° à tribord.

    Quelques secondes plus tard, le capitaine pilote du Florence Spirit a mis en garde le timonier contre le risque posé par l’effet de succion de la berge. Dans les secondes suivantes, le Florence Spirit a commencé à faire une embardée sur bâbord (figure 7).

    Figure 7. Quatre images prises avant l’abordage, montrant le Florence Spirit faisant une embardée sur bâbord sur une période de 47 secondes, tel que vu de l’Alanis (Source : Alanis / Rambow Bereederungs GmbH & Co. KG)
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    Quatre images prises avant l’abordage, montrant le <em>Florence Spirit</em> faisant une embardée sur bâbord sur une période de 47 secondes, tel que vu de l’<em>Alanis</em> (Source : <em>Alanis</em> / Rambow Bereederungs GmbH & Co. KG)

    À 16 h 05 m 24 s, le pilote a ordonné un changement de cap à 198°G pour ramener l’Alanis en parallèle à l’axe central du canal. Environ au même moment, le pilote a également ordonné au second officier de régler le pas de l’hélice à 50 % en marche avant pour améliorer la gouverne pendant la rencontre.

    Lorsque le Florence Spirit a commencé à faire une embardée, le capitaine pilote a ordonné au timonier de mettre la barre à tribord toute. En réponse, le timonier a mis le gouvernail à 70°. Le capitaine du Florence Spirit a alors réglé le pas de l’hélice à 91 % en avant, augmentant ainsi la vitesse du navire, afin de tenter de reprendre le contrôle. À 16 h 05 m 45 s, le Florence Spirit continuait son embardée sur bâbord à un taux de giration de 26° par minute. La distance entre les 2 navires était d’environ 0,29 NM. Pendant son embardée, le Florence Spirit a atteint un écart latéral maximal de 39 m, à une vitesse de 8,6 nœuds (figure 8).

    Figure 8. Schéma du Florence Spirit au moment où il a atteint la limite navigable du canal (Source : BST)
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    Schéma du <em>Florence Spirit</em> au moment où il a atteint la limite navigable du canal (Source : BST)

    À 16 h 06 m 12 s, le pilote de l’Alanis a remarqué que le Florence Spirit faisait une embardée sur bâbord et a ordonné au second officier de déclencher l’alarme générale, ce qu’il a fait. Le pilote a ensuite demandé au second officier de régler le pas de l’hélice à 0 % et a ordonné à l’équipage de se rendre à l’avant du navire et de se tenir prêt à mouiller les ancres. Le capitaine en second et les membres d’équipage se sont rendus à l’avant du navire.

    À 16 h 06 m 30 s, le capitaine du Florence Spirit a ordonné à l’équipage de mouiller les ancres et a demandé au capitaine pilote s’il fallait faire marche arrière toute. Le capitaine pilote a répondu par l’affirmative. Le capitaine a alors réglé le pas de l’hélice en arrière toute. À ce moment-là, il y avait environ 20 m entre les étraves des 2 navires. La vitesse du Florence Spirit était de 6 nœuds, et celle de l’Alanis, de 3,5 nœuds. Le Florence Spirit a continué son embardée sur bâbord et a traversé l’axe central du canal pour se retrouver sur la trajectoire de l’Alanis.

    À 16 h 06 m 39 s, le côté tribord de l’étrave du Florence Spirit est entré en collision avec le côté tribord de l’étrave de l’Alanis au-dessus de la ligne de flottaison alors que les navires se trouvaient à la position 42°58.73’ N, 079°13.25’ W (annexe C).

    Le pilote de l’Alanis a communiqué avec le Centre de contrôle de la circulation de la Voie maritime pour l’informer de l’abordage et a appelé le capitaine du Florence Spirit sur le radiotéléphone VHF pour l’aviser que l’Alanis allait passer à bâbord du Florence Spirit. Le capitaine du Florence Spirit a accusé réception du message du pilote. L’Alanis s’est rendu au quai 12 à Port Colborne pour effectuer des réparations. Le Florence Spirit s’est dirigé en marche arrière vers le quai 10 de la voie de contournement de Welland sous la conduite du capitaine pilote. À ce moment, le Florence Spirit avait une gîte de 7° à tribord. Aucune blessure ni pollution n’a été signalée.

    1.5 Dommages aux navires

    1.5.1 Florence Spirit

    Le Florence Spirit a subi des dommages à la partie avant tribord de la coque (figure 9). Le gaillard d’avant, le bordé extérieur de la coque à tribord et la structure interne connexe ont été déformés et fissurés. La coque a été perforée, et une citerne de ballast et une cale à marchandises ont été percées et partiellement inondées. Les pavois avant, les garde-corps, les évents et la tuyauterie ont également été endommagés.

    Figure 9. Dommages à la partie avant tribord de la coque du Florence Spirit (Source : BST)
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    Dommages à la partie avant tribord de la coque du <em>Florence Spirit</em> (Source : BST)

    1.5.2 Alanis

    L’Alanis a subi des dommages à la partie avant tribord de la coque (figure 10). Il y avait de multiples perforations et une déformation du bordé extérieur de la coque. Les pattes de l’ancre tribord étaient également tordues.

    Figure 10. Dommages à la partie avant tribord de la coque de l’Alanis (encerclé) (Source : BST)
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    Dommages à la partie avant tribord de la coque de l’<em>Alanis</em> (encerclé) (Source : BST)

    1.6 Conditions environnementales

    Au moment de l’événement, le ciel était couvert et il y avait des conditions de lumière plateFootnote 19. La visibilité était bonne. Les vents soufflaient de l’ouest à 10 nœuds, et la température de l’air était de 20 °C.

    Le caractère abrité du canal empêche la manifestation de tout état de mer important. Le niveau d’eau à l’écluse 8 était de 173,59 m au-dessus du niveau de la mer.

    1.7 Certificats des navires

    1.7.1 Florence Spirit

    Le Florence Spirit avait tous les certificats requis pour sa classe de navire et le voyage prévu. Le navire était certifié comme un navire visé par la Convention. Le document sur l’effectif minimal de sécurité du Florence Spirit avait été émis pour les voyages à proximité du littoral, classe 2, et exigeait que l’effectif du navire comporte 1 capitaine titulaire d’un brevet de capitaine, à proximité du littoral, 1 capitaine en second titulaire d’un brevet de premier officier, à proximité du littoral, et 1 officier de quart titulaire d’un brevet d’officier de quart, à proximité du littoral.

    L’exploitation du navire était assujettie à un système de gestion de la sécurité (SGS), comme l’exige le Code international de gestion de la sécurité (Code ISM).

    1.7.2 Alanis

    L’Alanis avait tous les certificats requis pour sa classe de navire et le voyage prévu. Le navire était certifié comme un navire visé par la Convention. L’exploitation du navire était assujettie à un SGS, comme l’exige le Code ISM.

    1.8 Certificats et expérience du personnel

    1.8.1 Florence Spirit

    Le capitaine détenait un brevet de capitaine, à proximité du littoral, délivré en 2019. Il s’était joint à McKeil Marine en mai 2019 en tant que capitaine en second et avait occupé ce poste sur plusieurs navires de l’entreprise, dont le Florence Spirit, en 2019. En mai 2020, le capitaine a commencé une formation de capitaine à bord d’un autre navire de l’entreprise, le Blair McKeil. Le 16 juin 2020, il a été promu au rang de capitaine du Florence Spirit. Il avait effectué 4 voyages sur le canal Welland en tant que capitaine du Florence Spirit.

    Le capitaine détenait également un certificat de pilotage (niveau d’officier pilote), délivré par l’APGL en 2017, et suivait depuis juin 2019 une formation en vue d’obtenir le niveau de capitaine pilote. Au moment de l’événement, il effectuait le 12e de ses 15 voyages de formation dans la circonscription 2Footnote 20. Il avait également suivi en 2016 un cours de pilotage sur le fleuve Saint-Laurent pour les officiers-pilotes au Centre for Marine Training and Research du Collège Georgian. Le cours comprenait de la formation sur simulateur.

    Le capitaine avait déjà acquis une expérience de la navigation; il avait notamment manœuvré de grands navires comme le Florence Spirit près des rives du canal de la Rive-Sud (Québec) à une vitesse d’environ 6 nœuds. Le capitaine avait suivi une formation sur la gestion des ressources à la passerelle (GRP) en 2014.

    Le capitaine pilote détenait un brevet de capitaine, jauge brute de 500, à proximité du littoral, délivré en 2008. Il détenait également un brevet valide de premier officier de pont, à proximité du littoral, délivré en 2016. Il détenait aussi un certificat de pilotage (niveau de capitaine pilote), délivré par l’APGL en 2013. En 2017, après que le capitaine pilote eut suivi avec succès un cours de formation des formateurs approuvé par l’APGL, l’APGL l’avait approuvé comme formateur et évaluateur sur tous les navires de McKeil Marine naviguant dans toutes les circonscriptions de l’APGL, à l’exception de la circonscription 3Footnote 21. En avril 2020, McKeil Marine a promu le capitaine pilote du poste de capitaine en second à celui de capitaine pilote formateur surnuméraireFootnote 22 sur ses navires Florence Spirit, Wicky Spirit, Blair McKeil et Hinch Spirit. Dans le cadre de ce poste, le capitaine pilote se déplaçait d’un navire à l’autre de la flotte pour former les capitaines afin qu’ils obtiennent leur certificat de pilotage.

    Le capitaine pilote s’était joint au personnel du Florence Spirit le 16 juin 2020 afin de former le capitaine pour qu’il obtienne le niveau de capitaine pilote. Le capitaine pilote avait navigué en tant que capitaine en second à bord des vraquiers Evans Spirit et Florence Spirit de McKeil Marine de novembre 2016 à décembre 2019. Il s’était joint à McKeil Marine en 1990 et avait commencé à travailler comme capitaine sur les remorqueurs de l’entreprise en 1999 dans la région des Grands Lacs, y compris dans le canal Welland. Il avait suivi une formation en GRP en 2005 et un cours de navigation électronique simulée, niveau 2, en 1990.

    L’expérience acquise par le capitaine pilote comprenait le pilotage de navires dans des situations de rencontre à plus de 9 nœuds dans le canal Welland.

    Le capitaine en second était titulaire d’un brevet de capitaine au long cours délivré en 2018. Il s’était joint à McKeil Marine en septembre 2019 et avait navigué en tant que second officier et capitaine en second sur des vraquiers de l’entreprise avant de se joindre au personnel du Florence Spirit le 16 avril 2020. Le même jour où il s’était joint au personnel du Florence Spirit, il avait commencé une formation en vue d’obtenir un certificat de pilotage (niveau d’officier pilote). Le capitaine en second avait suivi une formation en GRP en 2012. Il avait également suivi un cours sur le leadership et les aptitudes de gestion en 2016. L’événement à l’étude a eu lieu lors de son premier voyage dans le canal Welland.

    Le timonier était titulaire d’un brevet de matelot de quart à la passerelle délivré en octobre 2019. Il s’était joint à McKeil Marine en avril 2020. À son entrée en fonction, il avait suivi la formation de familiarisation à bord donnée par McKeil Marine, de même que les modules d’acquisition de compétences destinés aux employés de l’entreprise. Il avait effectué 1 rotation de 5 semaines en tant que timonier à bord du Florence Spirit avant de se joindre de nouveau au personnel du navire pour effectuer une autre rotation le 2 juillet 2020. Avant de travailler à bord du Florence Spirit, il avait été timonier sur le Saginaw. Il avait commencé à travailler au sein du secteur maritime comme matelot en septembre 2018.

    1.8.2 Alanis

    Le pilote était titulaire d’une licence de pilote sans restriction pour la circonscription 2, délivrée par l’APGL le 19 août 2017. Il détenait également un brevet valide de capitaine, à proximité du littoral. En 2018, il avait suivi un cours de 2 jours sur la GRP, destiné aux pilotes.

    Le second officier était titulaire d’un brevet d’officier de quart à la passerelle délivré en 2016 et travaillait comme officier depuis 2016. Il s’était joint au personnel de l’Alanis en tant que second officier en février 2019.

    1.8.3 Facteurs humains

    L’enquête a permis de déterminer que ni la fatigue, ni les facteurs médicaux ou physiologiques n’ont nui à la performance humaine dans cet événement.

    1.9 Navigation dans des eaux restreintes

    Un navire qui navigue dans des eaux restreintes est soumis à divers effets hydrodynamiques qui peuvent avoir une incidence sur sa manœuvrabilité, dont l’effet de berge. L’effet de berge se produit lorsqu’un navire qui se déplace près de la berge d’un canal est soumis à des forces causées par l’interaction entre le côté du navire et la berge. Plus un navire s’approche de la berge, plus l’effet est important.

    L’effet de berge est généré principalement par 2 forces : l’effet de repoussée de berge et l’effet de succion de la berge (figure 11). L’effet de repoussée de berge agit sur la proue du navire. À mesure que le navire se rapproche de la berge d’un canal, la vague de proue pousse contre la berge et crée un coussin qui éloigne la proue du navire de la berge et produit un mouvement de lacet. L’eau de la vague de proue est alors comprimée entre la coque et la berge à mesure que le navire avance et s’écoule plus rapidement du côté du navire qui se trouve le plus près de la berge, ce qui rend les forces exercées autour du navire asymétriques. Cela provoque l’apparition d’une zone de basse pression à l’arrière du navire, qui entraîne un effet de succion de la berge à la poupe. Cet effet de succion a tendance à tirer la poupe vers la berge, ce qui produit également un mouvement de lacet. La combinaison de la proue repoussée par la berge et de la poupe tirée vers celle-ci crée des conditions propices pour que le navire fasse une embardée vers le milieu du canalFootnote 23,Footnote 24.

    Figure 11. Diagramme illustrant l’effet de berge (Source : BST)
    Image
    Diagramme illustrant l’effet de berge (Source : BST)

    L’effet de berge est amplifié lorsqu’un navire se déplace à grande vitesse. Plus un navire se déplace rapidement, plus il forme une vague de proue importante, ce qui augmente l’effet de repoussée de berge, comparativement à un navire qui se déplace plus lentement. L’effet de succion de la berge est aussi amplifié, car les forces de basse pression exercées près de la poupe augmentent lorsque le navire se déplace rapidement. La distance de sécurité minimale qu’un navire doit conserver avec la berge varie en fonction de sa vitesse : un navire plus rapide doit se tenir plus loinFootnote 25.

    L’influence de l’effet de berge varie également en fonction du type et de la taille du navire. Par exemple, un remorqueur naviguant dans des eaux restreintes pourrait être moins sensible à l’effet de berge qu’un navire de charge, comme le Florence Spirit, car le remorqueur a un tirant d’eau moins important, il est moins large et sa vitesse d’exploitation maximale est plus basse. Un autre facteur qui peut avoir une incidence sur l’effet de berge est la forme de la coque d’un navire. Un navire avec une coque carrée, comme le Florence Spirit, aura un coefficient de bloc plus important et déplacera davantage d’eau qu’un navire avec une coque plus fine de même longueur, largeur et tirant d’eau. Plus le coefficient de bloc est élevé, plus l’effet de berge est important, car la forme plus carrée de la coque restreint l’écoulement de l’eau entre la coque et la berge. Le profil du canal et le tirant d’eau du navire sont d’autres facteurs qui peuvent accentuer l’effet de berge.

    1.9.1 Atténuation de l’effet de berge lors des rencontres de navires

    L’effet de berge peut avoir une incidence sur les navires à tout moment lorsqu’ils naviguent dans des eaux restreintes, mais le risque augmente lors des rencontres, car les navires sont obligés de s’écarter du centre du canal et de se rapprocher de la berge afin de pouvoir se croiser. C’est pourquoi les navigateurs gardent souvent leur navire au centre du canal aussi longtemps que possible avant de changer de cap pour rencontrer un autre navire. Selon The Shiphandler’s Guide, [traduction] « il est important [...] lorsqu’on rencontre un autre navire, de ne pas se déplacer trop tôt ou trop loin vers le côté tribord du canalFootnote 26 ». Un changement de cap visant à permettre une rencontre entre des navires de grandes dimensions commence généralement entre 0,4 et 0,8 NM avant la rencontre, selon la vitesse des navires.

    Une vitesse sécuritaire pour rencontrer un autre navire dans des eaux restreintes peut être déterminée en évaluant la visibilité, la manœuvrabilité du navire, la largeur du canal et le tirant d’eau du navire par rapport à la profondeur de l’eau. Une vitesse de rencontre plus lente donne plus de temps aux officiers de navigation pour déceler toute erreur de navigation, panne mécanique ou autre complication et y réagir. Il est important de s’assurer que la vitesse du navire est suffisante pour garder le contrôle de manière adéquate, tout en préservant une puissance de propulsion supplémentaire pour aider le gouvernail au besoinFootnote 27.

    Une stratégie courante lors des rencontres entre de grands navires consiste à faire en sorte que chacun reproduise la vitesse et les changements de cap de l’autre afin de tirer parti des forces répulsives générées entre eux pour contrer toute embardée et compenser l’effet de berge. Les navigateurs utilisent également le gouvernail et les machines pour contrer l’effet de berge.

    1.9.2 Lignes directrices du manuel de la Voie maritime du Saint-Laurent

    La CGVMSL publie un Manuel de la Voie maritime qui fournit certains renseignements sur l’effet de succion de la berge, les rencontres de navires et les vitesses sécuritaires. En ce qui concerne l’effet de succion de la berge (appelé « force aspiratrice des berges »), le Manuel de la Voie maritime en vigueur au moment de l’événement stipulait ce qui suit :

    1. FORCE ASPIRATRICE DES BERGES – Le mouvement d’un navire naviguant à proximité de la berge d’un chenal est affecté par la force aspiratrice créée par les courants asymétriques qui entourent le navire. Comme cette force aspiratrice augmente à mesure que le navire se rapproche de la berge, il est important d’éviter de naviguer trop près des bergesFootnote 28.

    Pour ce qui est des rencontres de navires, le Manuel de la Voie maritime contenait l’information suivante :

    1. L’EFFET HYDRODYNAMIQUE DES RENCONTRES – La force et le moment de l’interaction hydrodynamique créée par un navire qui en dépasse un autre ou par deux navires qui se rencontrent peut provoquer des changements de direction et des embardées. Il importe donc que les navires maintiennent un écart raisonnable entre eux pendant les rencontres et les dépassements. L’information acquise à date est insuffisante pour établir des normes de distances sécuritaires qui tiennent compte de la grosseur des navires, de la vitesse, de l’action du gouvernail, etc. On considère cependant que, dans le cas des rencontres, une distance équivalente à la moitié de la largeur combinée des deux navires fournit une marge de sécurité adéquate. Quant aux dépassements, le Ministère des Transports recommande un écart allant d’une à deux fois la largeur au fort du plus gros navireFootnote 29.

    En ce qui a trait à la vitesse sécuritaire, le Manuel de la Voie maritime précisait que les capitaines et les pilotes doivent croiser les autres navires à une vitesse sécuritaire. Le Manuel indiquait également que la navigation doit se faire à une vitesse raisonnable afin de ne pas retarder les autres navires.

    Le BST a obtenu les données SIA pour les navires qui ont emprunté le canal Welland sur une période de 11 jours en juillet 2020. Pendant cette période, 48 rencontres ont eu lieu. La majorité des rencontres ont été effectuées à des vitesses de 6 à 7 nœuds, et les navires diminuaient habituellement leur vitesse avant de se croiser. Les données indiquaient aussi que 7 rencontres avaient été effectuées avec au moins 1 navire naviguant à une vitesse supérieure à 8 nœuds et que 3 de ces 7 rencontres avaient été effectuées avec au moins 1 navire naviguant à une vitesse supérieure à 9 nœuds. Les navires qui se croisaient à ces vitesses plus élevées étaient des vraquiers et des navires de marchandises générales.

    1.9.3 Perception visuelle

    La navigation à vue est courante dans les eaux restreintes comme le canal Welland. Pour estimer visuellement la position (distance et trajectoire) d’un navire en approche, un navigateur se fie à de multiples indices pour évaluer son déplacement relatif. Ces indices sont tirés des informations visuelles fournies par :

    • des points de repère sur les rives du canal et à l’horizon;
    • des points de référence sur le navire en approche (p. ex., la position relative de la proue et de la poupe);
    • des points de référence sur le navire de l’observateur (p. ex., la position relative du mât avant par rapport au navire en approche);
    • la sensation de mouvement ressentie par l’observateur.

    Divers facteurs, comme les lignes de visibilité, l’angle d’observation et des conditions de lumière plate, peuvent nuire à la capacité de percevoir avec exactitude, de loin, le déplacement d’un navire en approche dans le canal Welland. En tant qu’objet, un navire éloigné n’occupe qu’une très petite partie de la ligne de visibilité de l’observateur, et son déplacement par rapport aux points de référence dans la ligne de visibilité de l’observateur peut causer des illusions. Dans un canal, un navire en approche est généralement observé de face, ce qui en fait un élément peu remarquable, comparativement aux navires en eaux libres qui naviguent à de plus grands angles par rapport à l’observateur.

    Les conditions de lumière plate constituent un autre facteur pouvant nuire à la capacité d’un observateur à discerner l’aspect d’un navire (figure 12). Ces conditions de faible contraste peuvent faire en sorte que le navire se fond dans son environnement et devient plus difficile à voir. Elles peuvent également faire en sorte qu’il est difficile de déterminer à quelle distance se trouve un navire et à quelle vitesse il se rapproche.

    Figure 12. L’image du haut montre le Florence Spirit à 0,8 NM de l’Alanis dans des conditions de lumière plate. L’image du bas présente la même vue, modifiée par le BST pour montrer des conditions de contraste plus élevé. (Source des deux images : Alanis / Rambow Bereederungs GmbH & Co. KG, avec modifications du BST).
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    L’image du haut montre le <em>Florence Spirit</em> à 0,8 NM  de l’<em>Alanis</em> dans des conditions de lumière plate. L’image du bas  présente la même vue, modifiée par le BST pour montrer des conditions de  contraste plus élevé. (Source des deux images : <em>Alanis</em> / Rambow Bereederungs GmbH & Co. KG, avec  modifications du BST).

    Enfin, il est plus facile de déterminer avec précision la position du navire en approche lorsque le navigateur est placé en position centrale et dispose d’un champ de vision symétrique. En comparaison, il est difficile d’estimer la trajectoire d’un navire en approche lorsqu’on l’observe à partir d’un point de vue décentré, surtout si ce navire se trouve à une certaine distance.

    1.10 Système de gestion de la sécurité

    Les principaux objectifs du Code ISM sont d’assurer la sécurité de l’exploitation des navires, de prévenir les lésions corporelles ou les pertes de vie, et d’empêcher les dommages matériels ainsi que les atteintes à l’environnement. Les navires assujettis à la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS) doivent se conformer au Code ISM et élaborer un SGS.

    Le Florence Spirit était assujetti à la Convention SOLAS et était donc tenu de disposer d’un SGS. Même si certains des navires de McKeil Marine n’étaient pas assujettis à la Convention SOLAS, McKeil Marine exigeait que tous ses navires et l’entreprise se conforment au Code ISM et à la norme ISO 9001:2015Footnote 30. McKeil Marine avait élaboré et mis en œuvre un système de gestion de la qualité et de la sécurité en 2015, qui comprenait un manuel de l’entreprise et des procédures propres à chaque navire. Le système de gestion de la qualité et de la sécurité avait été vérifié et certifié par Lloyd’s Register.

    Le système de gestion de la qualité et de la sécurité décrivait les responsabilités du capitaine selon le Code ISM. Le système de gestion de la qualité et de la sécurité décrivait aussi les responsabilités de tout l’équipage, à l’exception du capitaine pilote. Le manuel indiquait que le capitaine assume l’entière responsabilité de l’exploitation sécuritaire du navire pour ce qui est de la sécurité du personnel, du navire et de la cargaison et de la protection de l’environnement. De plus, le système de gestion de la qualité et de la sécurité indiquait que le capitaine doit s’assurer que le navire respecte les restrictions de vitesse, le cas échéant, et qu’il tient dûment compte des dommages causés par le sillage.

    McKeil Marine était auparavant spécialisé dans l’exploitation de remorqueurs-chalands articulés, mais, ces dernières années, il a élargi sa flotte et y a ajouté de nouveaux navires plus grands, comme des vraquiers et des navires-citernes. Le Florence Spirit, qui a été acquis en juin 2016, était le deuxième vraquier de la flotte grandissante de McKeil Marine.

    1.11 Dérive organisationnelle

    Selon les connaissances scientifiques actuelles sur la sécurité des systèmes, les accidents sont généralement le résultat d’un ensemble de facteurs, qui peut comprendre des écarts et des relâchements de la part de la personne qui utilise le plus directement la technologie, mais aussi des comportements organisationnels. Une des tendances organisationnelles qui peut contribuer à des accidents dans des systèmes complexes est une dérive vers la défaillance. Une dérive vers la défaillance se produit lorsque les éléments de systèmes complexes interagissent, évoluent et s’adaptent à de nouvelles situations d’une manière qui peut pousser le point opérationnel à l’intérieur de la marge de sécurité, souvent en raison d’un manque de ressources. Puisque la dérive se produit graduellement par le biais de changements cumulatifs au fil du temps, elle n’est pas toujours facile à détecter. De plus, on observe une tendance selon laquelle la dérive du rendement organisationnel est jugée en fonction du succès des plus récents changements et non selon l’écart par rapport à la conception originaleFootnote 31.

    1.12 Gestion des ressources à la passerelle

    La GRP consiste à gérer et à utiliser efficacement toutes les ressources, tant humaines que techniques, à la disposition de l’équipe à la passerelle pour assurer la sécurité du voyage. Une exigence fondamentale d’une GRP efficace est un leadership fort. Un leadership fort favorise l’acquisition d’une conscience situationnelle d’équipe et facilite la collaboration entre les membres de l’équipe à la passerelle. Il aide également à s’assurer que les rôles et les tâches des différents membres de l’équipe à la passerelle sont coordonnés de manière à atteindre un but commun.

    1.12.1 Conscience situationnelle d’équipe

    Lorsque des personnes travaillent en équipe, il est important d’établir une conscience situationnelle d’équipe pour que les opérations soient sécuritaires et efficaces. La conscience situationnelle d’équipe consiste à établir une perception et une compréhension communes de la situation actuelle afin d’être en mesure de prévoir ce qui se produira bientôt. La perception, la compréhension et la prédiction sont déterminées par les renseignements accessibles à l’équipe, l’expérience et les connaissances de l’équipe et le contexte général. Une conscience situationnelle d’équipe efficace permet aux membres de l’équipe d’établir des attentes en matière de rendement et de comprendre comment leurs rôles individuels appuient l’atteinte des objectifs communs. Quand les membres de l’équipe acquièrent une compréhension commune d’une situation, ils peuvent communiquer entre eux pour contre-vérifier leurs perceptions respectives de la situation.

    Afin d’établir et de conserver une conscience situationnelle d’équipe, les bons renseignements doivent se rendre aux bonnes personnes au bon moment, ce qui nécessite une coordination au sein de l’équipe Footnote 32. L’efficacité d’une équipe se reflète souvent dans le degré auquel ses membres communiquent de l’information entre eux (p. ex., par des questions, des contre-vérifications, de la coordination, l’établissement des priorités et la planification d’urgence) Footnote 33.

    La conscience situationnelle d’équipe est essentielle pour prendre des décisions efficaces. La prise de décisions est un processus cognitif utilisé pour choisir un plan d’action parmi plusieurs possibilités. Ce processus exige de cerner les problèmes et les menaces et d’évaluer les options en tenant compte des risques connexes. Le processus décisionnel se déroule dans un environnement dynamique et est composé de 4 étapes : la collecte de renseignements, le traitement de l’information, la prise de décisions et la mise en œuvre des décisions. Le processus décisionnel peut être biaisé si l’information recueillie est ambiguë ou inexacte. Il est amélioré lorsque les membres de l’équipe à la passerelle partagent une même conscience situationnelle.

    1.12.2 Leadership

    Le leadership est une composante clé de l’établissement d’une conscience situationnelle d’équipe et oriente la façon dont l’équipe à la passerelle fonctionne. Divers aspects du leadership peuvent favoriser les interactions entre les membres de l’équipe, ce qui facilite une compréhension commune des tâches individuelles et encourage la communication de renseignements à l’appui de ces tâches.

    Une communication efficace peut aider à atténuer les risques opérationnels si on gère régulièrement les incidences possibles des conditions environnementales, de l’état de préparation de l’équipement et de la dotation en personnel. Elle peut également aider à établir une compréhension commune des marges de sécurité qui fournissent aux membres de l’équipe à la passerelle une base de référence pour surveiller et détecter les situations hors normes. Une communication ouverte peut aussi contribuer à établir et à conserver une conscience situationnelle d’équipe en encourageant les membres de l’équipe à la passerelle à soulever toute préoccupation d’ordre opérationnel auprès de l’équipe, peu importe le moment. Le fait d’assurer la clarté des rôles de tous les membres de l’équipe leur permet de mieux comprendre leurs responsabilités.

    1.12.2.1 Responsabilité diffuse

    Dans un contexte opérationnel, un sentiment de responsabilité diffuse peut nuire aux interactions et aux interventions d’une personne, car il favorise la perception que d’autres personnes sont mieux qualifiées ou mieux placées pour agir ou ont davantage d’autorité Footnote 34. La responsabilité est plus susceptible d’être diffuse dans les situations où il y a de nombreuses personnes ou plus qu’un leader ou une personne en position d’autorité. On perçoit la responsabilité diffuse comme le résultat indirect de l’absence d’interaction ou de la faiblesse d’une équipe dont les membres agissent relativement indépendamment les uns des autres, sans but défini commun. Elle peut pousser les gens à croire que les choses se déroulent comme prévu, car personne n’interagit ou n’intervient alors que la situation devient de plus en plus risquée.

    1.13 Traitement de l’information fondé sur les compétences, sur les règles et sur les connaissances

    Le degré de contrôle conscient exercé par une personne sur ses activités peut être évalué selon la façon dont elle traite l’information. De manière générale, les interactions liées au traitement de l’information fondé sur les compétences, sur les règles et sur les connaissances reflètent la manière dont la personne interagit dans l’environnement opérationnel et accomplit les tâches qui lui incombent.

    Le traitement de l’information fondé sur les connaissances est un processus en grande partie conscient, qui se présente quand une personne fait face à des situations nouvelles. Au fil de la formation, une personne apprend des règles qui donnent lieu à des réponses méthodiques dans des situations familières Footnote 35. Le fait de s’exercer à des tâches qui sont effectuées moins fréquemment ou qui sont moins familières permet à une personne d’acquérir, dans une certaine mesure, les compétences requises pour agir. L’objectif d’une interaction régulière avec les procédures et les pratiques est de rendre l’exécution plus automatique, de sorte que la personne réagit de manière appropriée lorsqu’elle perçoit des signaux pertinents.

    Lorsqu’un scénario nécessite l’exécution de tâches moins familières, les personnes se fient à des aide-mémoires (p. ex., une liste de vérification ou un exposé opérationnel) pour les aider à effectuer la séquence d’actions appropriée. La formation aide les personnes à prévoir la charge de travail et les conséquences potentielles des tâches à accomplir Footnote 36. La formation périodique peut également être utile pour s’assurer que la formation demeure pertinente par rapport au travail réel effectué et contribue à renforcer les connaissances et les règles liées aux contextes opérationnels.

    1.14 Communication entre les navires

    Il n’y a aucune obligation pour les navires de communiquer entre eux pour coordonner les rencontres. Toutefois, s’ils choisissent de le faire, il est précisé dans le Manuel de la Voie maritime que « Les communications entre navires doivent emprunter les fréquences [VHF] prévues à cette finFootnote 37 ».

    La communication VHF utilise une communication en boucle fermée et une phraséologie normalisée pour clarifier les intentions et obtenir une compréhension mutuelle de la rencontre. La communication VHF entre 2 navires peut aider à établir une conscience situationnelle d’équipe, car l’audio est diffusé sur la passerelle. Les membres de l’équipe à la passerelle à proximité peuvent ainsi entendre la communication en boucle fermée entre l’expéditeur et le destinataire.

    La communication VHF entre 2 navires peut également permettre aux navires qui évoluent dans le même secteur, ainsi qu’aux autorités de surveillance du trafic, d’avoir une meilleure conscience de la situation. Enfin, les communications VHF sont consignées par l’enregistreur de données de voyage du navire afin de faciliter la collecte de données lors des enquêtes.

    1.15 Appareils électroniques personnels

    Ces dernières années, l’utilisation d’appareils électroniques personnels, comme les téléphones cellulaires, est associée à de nombreux accidents dans l’ensemble des modes de transport partout dans le monde. Le BST a cerné par le passé les risques liés à l’utilisation de téléphones cellulaires lors d’accidents survenus dans tous les modes de transportFootnote 38. De même, au fil des ans, le National Transportation Safety Board des États-Unis Footnote 39, la Marine Accident Investigation Branch du Royaume-Uni et la Maritime and Coastguard Agency du Royaume-UniFootnote 40 ont soulevé des préoccupations concernant l’utilisation d’appareils électroniques personnels dans les transports.

    Les risques suivants liés à l’utilisation d’appareils électroniques personnels ont été mis en évidence dans des études ou des rapports d’enquête antérieurs :

    • Les appareils électroniques personnels, à titre de moyen de communication privée, peuvent nuire à l’établissement de modèles mentaux communs dans les équipes opérationnelles.
    • L’utilisation d’appareils électroniques personnels sollicite des ressources cognitives, ce qui peut distraire une personne du travail d’équipe à effectuer durant la conduite d’un navire.
    • Une personne qui utilise ces appareils a la tête baissée par moments, de sorte qu’elle risque de passer moins de temps à surveiller les instruments et ce qui se passe à l’extérieur durant les opérations normales et les opérations d’urgence.
    • L’utilisation de ces appareils peut diminuer les ressources cognitives disponibles qui sont nécessaires pour détecter des indices vitaux liés au comportement des systèmes et pour traiter l’information et repérer les tendances pertinentes.
    • Les messages texte ou instantanés envoyés au moyen de ces appareils sont souvent courts et informels, et contiennent des abréviations, des symboles ou différents idiomes, ce qui présente un risque que du contenu essentiel soit omis ou mal interprété dans des contextes opérationnels.

    Pour les conducteurs de véhicules, l’utilisation de ces appareils pendant la conduite constitue une importante source de distraction; c’est pourquoi de nombreuses administrations nord-américaines ont adopté des lois interdisant l’utilisation d’appareils électroniques personnels par les conducteurs. Les grandes compagnies de chemin de fer ont emboîté le pas en interdisant l’utilisation de ces appareils dans presque tous les contextes opérationnelsFootnote 41. En aviation, il existe des règlements limitant l’utilisation de ces appareilsFootnote 42. De plus, les exploitants aériens sont tenus d’établir des procédures relatives à l’utilisation de ces appareils à bord d’un aéronefFootnote 43.

    À l’heure actuelle, il n’existe aucune disposition réglementaire au Canada en ce qui concerne l’utilisation des appareils électroniques personnels dans le transport maritime. Pendant l’enquête, on a également constaté que les personnes n’étaient pas toujours conscientes des risques liés à l’utilisation de ces appareils ou ne connaissaient pas toujours les politiques interdisant leur utilisation dans des contextes opérationnels.

    McKeil Marine avait une politique interdisant l’utilisation des appareils électroniques personnels durant les heures de travail. Le système de gestion de la qualité et de la sécurité de McKeil Marine présentait des renseignements supplémentaires sur l’utilisation de ces appareils [traduction] :

    L’utilisation d’appareils électroniques personnels (téléphones cellulaires, tablettes, etc.) ou l’utilisation de l’ordinateur du navire pour des raisons personnelles pendant un quart n’est pas autorisée.

    L’utilisation d’équipement de communication pour les activités d’un navire dans des situations où une distraction pourrait compromettre la sécurité de la navigation relève de la discrétion de l’officier de quart. Un officier de quart ne devrait pas hésiter à ignorer un appel ou à mettre fin à une communication dans toute situation où il le juge nécessaireFootnote 44.

    Sur la passerelle du Florence Spirit, il y avait une affiche rappelant à l’équipe à la passerelle que l’utilisation des téléphones cellulaires est interdite; toutefois, la politique de McKeil Marine concernant les appareils électroniques personnels n’était pas appliquée activement.

    L’APGL avait aussi une directive sur l’utilisation des téléphones cellulaires et d’autres appareils similaires en milieu de travail. La directive précisait ce qui suit :

    Lorsqu’un pilote est chargé de la conduite d’un navire en marche ou pendant la manœuvre :

    1. a) il lui est permis d’utiliser un téléphone cellulaire de façon limitée et réduite aux cas vraiment nécessaires pour accomplir ses activités dans le cadre de ses fonctions officielles. […]
    2. c) Il lui est strictement interdit d’utiliser un téléphone cellulaire à des fins personnellesFootnote 45.

    La directive de l’APGL n’était pas non plus appliquée activement, et le pilote sur l’Alanis n’était pas au courant de cette directive.

    De 15 h 27 à 15 h 55, le capitaine du Florence Spirit et le pilote de l’Alanis ont échangé 22 messages au moyen d’un programme de messagerie instantanée. Le capitaine a utilisé son téléphone cellulaire et le pilote a utilisé son UPP. Bien que la directive de l’APGL ne désignait pas une UPP comme un appareil électronique personnel, dans l’événement à l’étude, l’UPP était utilisée pour la messagerie instantanée de manière semblable à un appareil électronique personnel. Aucun message n’a été échangé pendant les 11 minutes précédant l’abordage.

    1.16 Pilotage maritime au Canada

    Le pilotage maritime est assuré par des pilotes brevetés ou des titulaires d’un certificat de pilotage. Il s’agit de navigateurs ayant des connaissances locales spécialisées en ce qui concerne la géographie, la météo, les courants et les conditions de navigation. Ils assurent la conduite d’un navire dans des zones où des connaissances du pilotage sont nécessaires, par exemple dans les ports, les rivières ou les canaux. Tous les navires assujettis au pilotage obligatoire doivent être sous la conduite d’un pilote breveté ou d’un titulaire d’un certificat de pilotage Footnote 46.

    Au Canada, les services de pilotage sont régis par la Loi sur le pilotage, qui stipule que « [l]e pilote breveté ou le titulaire d’un certificat de pilotage qui assure la conduite d’un navire est responsable envers le capitaine de la sécurité de la navigation du navire Footnote 47 ». Les pilotes brevetés sont employés ou engagés à contrat par une administration de pilotage. Les titulaires d’un certificat de pilotage sont des capitaines ou des officiers employés à bord de navires canadiens. La Loi sur le pilotage indique que pour assumer la conduite d’un navire dans une zone de pilotage obligatoire, le titulaire d’un certificat de pilotage doit être un membre régulier de l’effectif du navire Footnote 48.

    Les services de pilotage au Canada sont offerts par 4 administrations de pilotage : l’APGL, l’Administration de pilotage du Pacifique (APP), l’Administration de pilotage des Laurentides (APL) et l’Administration de pilotage de l’Atlantique (APA). Les administrations de pilotage sont des sociétés d’État qui détiennent un pouvoir de réglementation leur permettant d’établir des zones de pilotage obligatoire et d’administrer des services de pilotage à l’intérieur de ces zones.

    Au moment de l’événement, les administrations de pilotage avaient la responsabilité de délivrer les brevets de pilote et les certificats de pilotage. Les 4 administrations de pilotage délivraient des brevets de pilote, et l’APGL, l’APA et l’APL délivraient également des certificats de pilotage. Le tableau 2 montre le nombre de personnes qui détenaient un brevet ou un certificat de pilotage en 2020, par administration de pilotage.

    Tableau 2. Nombre de de pilotes brevetés et de titulaires de certificat de pilotage en 2020, par administration de pilotage
    Administration de pilotage Pilotes brevetés Titulaires d’un certificat de pilotage
    APGL 60,1* 257
    APA 49 52
    APL 195 2
    APP 132 0

    *Le nombre de pilotes brevetés de l’APGL comprend une décimale parce que l’APGL compte le nombre d’équivalents temps plein, plutôt que le nombre de personnes.

    Le Règlement général sur le pilotage précise les qualifications minimales requises pour obtenir un brevet ou un certificat de pilotage, ainsi que les exigences nationales en matière de formation et de revalidation. En ce qui concerne les certificats de pilotage, la Loi sur le pilotage stipule qu’un certificat ne sera pas délivré à un demandeur « à moins que l’Administration ne soit convaincue qu’il possède un niveau de compétence et de connaissance des eaux de la zone de pilotage obligatoire comparable à celui que l’on exige du demandeur qui présente une demande de brevet pour cette même zone Footnote 49 ».

    Au moment de l’événement, les restrictions visant les certificats de pilotage étaient laissées à la discrétion des administrations de pilotage. Les restrictions pouvaient limiter les titulaires d’un certificat ou d’un brevet à la conduite de certains types de navires (p. ex., navires de certaines catégories ou tailles) ou à la conduite dans des zones géographiques particulières. Les restrictions pouvaient également limiter les titulaires d’un brevet ou d’un certificat de pilotage à la conduite de navires pour lesquels ils détiennent un brevet de capacité valide. L’APA et l’APL imposaient toutes deux des restrictions sur les certificats de pilotage basées sur la taille du navire et la zone d’exploitation. L’APGL imposait des restrictions sur les certificats de pilotage basées uniquement sur la zone géographique d’exploitation. La Loi sur le pilotage et ses règlements d’application ne fournissent pas de directives en ce qui a trait à l’imposition de restrictions.

    À l’échelle internationale, la pratique consiste à imposer des restrictions aux certificats de pilotage afin que les capitaines et officiers ne travaillent sur les navires et les routes pour lesquels ils ont démontré leur compétence Footnote 50. Les certificats de pilotage peuvent aussi être assortis de restrictions pour aider à réduire le risque que les titulaires d’un certificat assurent la conduite de certains types de navire ou naviguent dans certaines zones pour lesquels ils n’ont pas démontré leur compétence.

    La Loi sur le pilotage a fait l’objet de plusieurs examens au fils des ans, le dernier remontant à 2018. L’examen de 2018 a notamment permis de constater que les 4 administrations de pilotage n’avaient pas les mêmes normes et exigences pour l’obtention de brevets de pilote, de certificats de pilotage et de dispenses. On a recommandé que Transports Canada (TC) mette en œuvre et administre un régime standardisé d’exemption du pilotage et stipule les exigences dans un nouveau règlement national. On a également souligné que TC devrait faciliter et promouvoir un programme national de certificats de pilotage pour former et évaluer les capitaines et les officiers de navigation, et que, dans les cas qui s’y prêtent, le certificat de pilotage devrait s’étendre à une classe de navires de la même entreprise Footnote 51.

    À la suite de l’examen de 2018, la responsabilité de la surveillance et de l’application de la Loi sur le pilotage, qui relevait des 4 administrations de pilotage, a été transférée à TC en mars 2020. En juin 2021, la responsabilité de la délivrance des brevets de pilote et des certificats de pilotage a également été transférée à TC.

    Depuis juin 2021, le processus de délivrance des brevets de pilote et des certificats de pilotage exige que chaque administration de pilotage s’assure qu’un demandeur satisfait à toutes les exigences établies dans la réglementation de l’administration de pilotage. Lorsque toutes les exigences sont satisfaites, l’administration de pilotage envoie une demande et la documentation d’accompagnement à TC, qui délivre le certificat ou le brevet. Toute restriction imposée à un certificat de pilotage est basée sur l’information fournie par l’administration de pilotage.

    1.16.1 Administration de pilotage des Grands Lacs

    Au moment de l’événement, la majorité des titulaires de certificats de pilotage de l’APGL détenaient des certificats de pilotage dont la seule restriction était la région géographique d’exploitation. La raison en est qu’avant 2011, il y avait en place à l’APGL un système selon lequel certains navires canadiens étaient exemptés de l’obligation d’avoir à leur bord un pilote breveté de l’APGL lorsqu’ils se trouvaient dans des zones de pilotage obligatoire. Les entreprises devaient dans ce cas confirmer, au moyen d’une déclaration annuelle, que certains officiers remplissaient les conditions établies dans le Règlement de pilotage des Grands Lacs.

    En 2011, le système d’exemption a été remplacé par un système de certificats de pilotage, le même système qui était en vigueur au moment de l’événement. Les capitaines et les capitaines en second ayant navigué à bord de navires exemptés ont alors eu la possibilité de demander un certificat de pilotage en vertu du système de certificats de pilotage. Ces certificats avaient pour seule restriction d’être limités à certaines circonscriptions de l’APGL. Sur les 257 titulaires d’un certificat de pilotage de l’APGL en 2020, 237 détenaient un certificat de pilotage dont la seule restriction était la région géographique d’exploitation.

    En septembre 2020, l’APGL a instauré un processus selon lequel des restrictions sont imposées à des certificats de pilotage nouvellement délivrés dans un ou l’autre des cas où un candidat :

    • détient un brevet assorti d’une limitation de capacité;
    • travaille à bord d’un navire qui ne transite pas dans toute la circonscription (p. ex. un navire qui demeure dans un port en particulier);
    • a un problème de santé.

    Lorsque le système de certificats de pilotage a été lancé, les nouveaux candidats souhaitant obtenir un certificat de pilotage devaient soit réussir un examen tenu par un jury d’examen, soit suivre un programme de formation approuvé des candidats au certificat de pilotage maritime dans les Grands Lacs. Ces programmes de formation étaient offerts par des entreprises individuelles qui avaient pris l’initiative d’élaborer et de mettre en œuvre un programme fondé sur les normes de l’APGL. Lorsqu’une entreprise avait élaboré un programme de formation, l’APGL l’examinait, l’analysait et l’approuvait. Les entreprises faisaient également l’objet d’une vérification pour s’assurer que les normes de leur programme de formation étaient conformes au système de gestion de la qualité de l’APGL. L’APGL était chargée de veiller à ce que la réussite de l’un des programmes de formation soit l’équivalent de la réussite de l’examen en vue d’un certificat de pilotageFootnote 52. La structure de la formation de l’APGL était unique pour la délivrance de certificats de pilotage au Canada; aucune des autres administrations de pilotage n’avait de programmes semblables.

    La plupart des capitaines et des officiers choisissaient de suivre un programme de formation plutôt que de passer l’examen. Le programme de formation durait habituellement 2 ans et comprenait 2 niveaux de certification : officier pilote et capitaine pilote. L’APGL définissait le capitaine pilote comme étant un officier de navigation ou un capitaine qui est :

    [...] considéré par la compagnie comme possédant les compétences et les capacités nécessaires pour assumer la commande d’un navire.

    Le capitaine pilote reçoit une formation et est évalué en fonction du pilotage dans toutes les eaux, de même que dans les canaux et les écluses du réseau des Grands LacsFootnote 53.

    L’APGL définissait l’officier pilote comme étant un officier de navigation qui :

    […] reçoit une formation et est évalué en fonction du pilotage en eaux libres, en eaux resserrées, de même que dans les canauxFootnote 54.

    L’APGL s’appuyait sur les programmes de formation des entreprises pour s’assurer que les candidats au niveau de capitaine pilote possédaient les compétences et les capacités nécessaires pour assumer la conduite d’un navire. En 2013, l’APGL a conclu une entente avec l’industrie selon laquelle le titulaire d’un certificat de pilotage qui changeait d’entreprise devait effectuer un certain nombre de voyages pour le compte de la nouvelle entreprise et devait se familiariser avec le programme de formation de celle-ci. L’APGL a également indiqué à l’industrie qu’un minimum de 1 capitaine pilote devait être à bord à titre de capitaine ou de capitaine en second lorsque le navire se trouvait dans une zone de pilotage obligatoire.

    Jusqu’en 2018, il arrivait couramment que les capitaines de navire détenant un certificat de pilotage forment des officiers subordonnés pour la navigation dans les zones de pilotage. En 2018, après consultation de l’industrie, l’APGL a autorisé les entreprises à créer des postes de capitaines pilotes formateurs surnuméraires. Les titulaires de ce poste pouvaient faire une rotation sur différents navires d’une même entreprise pour former les capitaines afin que ces derniers deviennent capitaines pilotes. Ce changement a été apporté pour aider les entreprises à remédier à la pénurie de capitaines de vraquier détenant des certificats de pilotage.

    1.16.1.1 Programme des formateurs et des évaluateurs de l’Administration de pilotage des Grands Lacs

    Au moment de l’événement, les entreprises qui offraient un programme de formation des candidats au certificat de pilotage maritime dans les Grands Lacs devaient avoir leurs propres formateurs et évaluateurs approuvés par l’APGL. Les formateurs fournissaient aux candidats la formation requise et donnaient leur approbation lorsque des compétences précises avaient été acquises. Les évaluateurs procédaient à une évaluation finale du candidat à bord avant que le certificat soit délivré.

    Pour devenir formateur ou évaluateur d’officiers pilotes, un capitaine pilote ou officier pilote devait effectuer 10 voyages dans chaque circonscription sur une période de 3 ans en tant que capitaine pilote ou officier pilote. Ces voyages pouvaient être effectués sur tout type de navire. Pour devenir formateur de capitaines pilotes, un capitaine pilote devait en plus fournir la preuve d’avoir effectué 2 voyages nécessitant chacun de manœuvrer dans des canaux et des écluses ainsi que d’effectuer des manœuvres d’amarrage et de désamarrage.

    Les officiers pilotes et les capitaines pilotes qui voulaient devenir formateurs devaient également réussir le cours de formation des formateurs en classe approuvé par l’APGL et détenir certaines certificationsFootnote 55. Lorsque l’officier pilote ou le capitaine pilote avait effectué la formation et les voyages requis, l’entreprise recommandait le candidat à l’APGL en tant que formateur ou évaluateur. L’APGL vérifiait le registre de formation du candidat pour s’assurer que les exigences avaient été satisfaites et indiquait ensuite à l’entreprise si le candidat était approuvé ou pas à titre de formateur ou d’évaluateur.

    L’APGL ne définissait pas précisément les responsabilités du capitaine et du capitaine pilote formateur surnuméraire dans un environnement de formation, mais elle s’attendait implicitement à ce que le capitaine pilote formateur surnuméraire soit responsable du capitaine en formation.

    1.16.1.2 Évaluations continues des compétences et formation périodique

    Au moment de l’événement, l’APGL disposait d’un programme d’assurance de la qualité des pilotes qui évaluait les compétences de chaque pilote breveté tous les 5 ans. Le programme avait été élaboré dans le but de satisfaire à la résolution A.960(23) de l’Organisation maritime internationale (OMI), qui présentait des recommandations en matière de formation, de certification et de procédures d’exploitation applicables aux pilotesFootnote 56. Dans le cadre du programme d’assurance de la qualité, les pilotes subissaient des évaluations continues des compétences à l’aide du simulateur de pilotage. Les évaluations comprenaient la simulation de divers scénarios, notamment des situations d’urgence. Le pilote était évalué par des pairs et par les directeurs de l’exploitation. L’APGL avait aussi un comité d’assurance de la qualité des pilotes qui examinait les incidents et les enjeux liés au pilotage. Le programme d’assurance de la qualité des pilotes ne s’appliquait pas aux titulaires d’un certificat de pilotage.

    L’APGL exigeait aussi que les pilotes suivent diverses formations périodiques, notamment une formation en gestion des ressources à la passerelle (GRP) et une formation à la manœuvre d’urgence des navires dans le simulateur. La formation sur la GRP devait être renouvelée tous les 5 ans, et la formation à la manœuvre d’urgence des navires devait être effectuée au moyen du simulateur tous les 10 ans pour s’assurer que les pilotes étaient en mesure d’effectuer les manœuvres appropriées en situation d’urgence et d’en gérer les conséquences. Les titulaires d’un certificat de pilotage n’étaient pas tenus de suivre une formation périodique.

    1.16.2 Programme de formation au certificat de pilotage de McKeil Marine

    McKeil Marine avait élaboré et mis en œuvre un programme de formation au certificat de pilotage dans les Grands Lacs qui a été vérifié et approuvé par l’APGL en 2016. McKeil Marine comptait sur le programme de formation pour assurer la compétence des titulaires d’un certificat de pilotage et n’exigeait ni de subir des évaluations continues des compétences une fois les certificats délivrés, ni de suivre une formation périodique, et l’APGL n’en exigeait pas non plus.

    En avril 2020, McKeil Marine a créé des postes de capitaines pilotes formateurs surnuméraires en raison du manque de capitaines brevetés détenant des certificats de pilotage. McKeil Marine a promu 3 de ses capitaines pilotes à ces postes. Deux de ces capitaines pilotes formateurs surnuméraires détenaient des brevets de capitaine, jauge brute de 500.

    1.17 Portance du gouvernail

    Le Florence Spirit était équipé d’un gouvernail en queue de poisson capable de tourner à 70° tant à bâbord qu’à tribord pour manœuvrer plus facilement à des vitesses très basses (moins de 4 nœuds)Footnote 57. Au-delà de 4 nœuds, le gouvernail pouvait encore tourner à 70° à bâbord et à tribord, mais la portance générée par le gouvernail atteignait son maximum à 35° et commençait à diminuer si l’angle du gouvernail était supérieur à 35° (figure 13).

    Figure 13. Portance en rapport avec l’angle du gouvernail à différentes vitesses (Source : Japan Hamworthy & Co. Ltd.)
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    Portance en rapport avec l’angle du gouvernail à différentes vitesses (Source : Japan Hamworthy & Co. Ltd.)

    Le Florence Spirit a été construit selon les règles de Bureau Veritas, qui recommandaient que les systèmes de gouverne comme celui du Florence Spirit soient munis d’un limiteur pour empêcher l’utilisation du gouvernail à des angles supérieurs à 35° lorsque le navire est exploité à pleine vitesse. Selon les règles de Bureau Veritas, un avis doit également être affiché à tous les postes de barre pour indiquer que les angles du gouvernail supérieurs à 35° ne peuvent être utilisés qu’à très basse vitesseFootnote 58. L’enquête a déterminé qu’il n’y avait pas d’avis du genre au poste de barre du Florence Spirit, et que l’appareil à gouverner n’était muni d’aucun limiteur. Au moment de l’événement à l’étude, le Florence Spirit était classé par le Lloyd’s Register, qui n’a aucune règle au sujet de limites opérationnelles ou d’avis à afficher pour les systèmes de gouverne de ce type.

    Le fait que la portance générée par le gouvernail, lorsque le navire était à pleine vitesse, atteignait son maximum à 35° et qu’elle diminuait à des angles supérieurs à 35° n’était indiqué ni dans le manuel de l’appareil à gouverner, ni dans le plan de configuration du gouvernail, ni dans les caractéristiques de manœuvre du Florence Spirit, et cette information était inconnue de McKeil Marine et de l’équipe à la passerelle. L’équipe à la passerelle déplaçait couramment le gouvernail à des angles supérieurs à 35° lorsque le navire circulait à plus de 4 nœuds et, tout juste avant l’événement, le gouvernail a été déplacé à des angles allant jusqu’à 70°, alors que la vitesse du Florence Spirit était d’environ 8 à 9 nœuds.

    Le Longwave, navire-jumeau du Florence Spirit, était équipé du même type de gouvernail et ne disposait, lui non plus, d’aucune information indiquant les limites du gouvernail, à l’exception de la fiche de pilotage, qui indiquait un angle maximal du gouvernail de 70° pour une vitesse maximale de 2,5 nœuds et un pas de 25 %. Le NACC Argonaut, l’autre navire-jumeau, était équipé d’un autre type de gouvernail.

    1.18 Reproduction des événements sur un simulateur de navigation

    Le BST a travaillé avec le Centre de simulation et d’expertise maritimeFootnote 59 pour effectuer une simulation de la séquence des événements ayant mené à l’abordage et explorer d’autres scénarios. Le Centre a produit un modèle virtuel du Florence Spirit reprenant les caractéristiques de manœuvre véritables du navire au moment de l’événement à l’étude. Les conditions de chargement et la performance du gouvernail ont été prises en compte dans le modèle. Les conditions météorologiques et environnementales ont aussi été reproduites selon les données sur le niveau d’eau et les données bathymétriques du canal Welland fournies par la CGVMSL. Un modèle de navire semblable à l’Alanis a été utilisé pour représenter ce navire. À l’aide du simulateur, on a pu simuler l’effet de berge, l’effet d’accroupissement et d’autres forces hydrodynamiques générées entre les navires lors de la rencontre dans des eaux restreintes.

    De nombreuses simulations ont été exécutées avec les navires à différentes vitesses et positions dans le canal. On a utilisé diverses modifications de la trajectoire et différents angles de gouvernail, et on a aussi tenté différents arrêts en catastrophe. Ces simulations ont permis de faire les observations suivantes :

    • Lorsque le Florence Spirit, avançant à une vitesse de 9,9 nœuds, modifiait sa trajectoire de 4° à 0,8 NM, l’angle d’approche par rapport à la berge était tel qu’il était impossible de ramener le navire en parallèle à l’axe central sans faire d’embardée sur l’axe central.
    • Au moment où l’écart latéral du Florence Spirit atteignait 31 m à une vitesse de 9,9 nœuds, le navire faisait une embardée incontrôlable à bâbord en raison de l’effet de berge, et cette embardée ne pouvait pas être freinée en augmentant le pas de l’hélice au maximum et réglant l’angle du gouvernail à 35°.
    • L’augmentation du pas de l’hélice au maximum et le réglage de l’angle du gouvernail à 35° permettaient au pilote de reprendre le contrôle du Florence Spirit lorsque sa vitesse était de 6 nœuds et son écart latéral, de 37 m.
    • Quand le Florence Spirit déviait du centre du canal à une vitesse de 9,9 nœuds, un plus grand angle du gouvernail était nécessaire pour compenser l’effet de berge.
    • Pour la personne à la barre, il était plus difficile de déterminer les tendances du mouvement du Florence Spirit en gouvernant selon un cap plutôt que sur un point de repère.
    • Lorsque l’Alanis effectuait un arrêt en catastrophe alors que le Florence Spirit commençait à faire une embardée à bâbord, le Florence Spirit entrait en collision avec la section centrale côté bâbord de l’Alanis.

    1.19 Événements similaires

    Depuis 1995, le BST a enquêté sur 17 événements dans lesquels des navires avaient subi des effets hydrodynamiques. Dans 7 de ces événements, il y avait eu collision dans des eaux restreintesFootnote 60, et dans 10 événements, il y avait eu échouement, heurt ou talonnageFootnote 61.

    Dans l’un de ces événements, le porte-conteneurs Cast Prosperity et le navire-citerne Hyde Park, qui étaient sous la conduite d’un pilote, sont entrés en collision lors d’une manœuvre de dépassement dans un chenal dragué du lac Saint-Pierre (Québec). L’enquête a déterminé que l’intensité des forces hydrodynamiques en jeu n’avait pas bien été évaluée à temps, non plus que la nécessité de prendre rapidement des mesures décisives pour éviter que les deux navires ne soient attirés l’un vers l’autre. L’enquête a aussi déterminé que ni l’APL ni la Corporation des pilotes du Saint-Laurent central n’avait de lignes directrices pour aider les pilotes à réduire les risques de fortes interactions hydrodynamiques entre navires dans des situations de rencontre et de dépassement. Par conséquent, le Bureau a exprimé une préoccupation liée à la sécurité, indiquant ceci :

    […] sans lignes directrices adéquates, les pilotes et les équipages risquent de ne pas pouvoir atténuer les risques associés aux interactions hydrodynamiques et de ne pas pouvoir éviter l’abordage dans des situations de rencontre et de rattrapageFootnote 62,Footnote 63.

    Depuis 1995, le BST a aussi enquêté sur 13 autres événements dans lesquels des navires ont subi des effets hydrodynamiquesFootnote 64. Dans 9 de ces événements, les navires ont effectué une embardée en raison des effets hydrodynamiquesFootnote 65.

    Le National Transportation Safety Board des États-Unis a également enquêté sur plusieurs abordages mettant en cause une perte de maîtrise de la gouverne en raison d’effets hydrodynamiquesFootnote 66.

    Enfin, le BST a enquêté sur des événements où la GRPFootnote 67 et la communication entre les navires avant leur rencontreFootnote 68 ont été des facteurs.

    1.20 Liste de surveillance du BST

    La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

    La gestion de la sécurité figure sur la Liste de surveillance 2020. Comme l’événement à l’étude le démontre, même lorsque des processus structurés de gestion de la sécurité sont en place, il arrive souvent qu’ils ne soient pas efficaces pour repérer les dangers ou réduire les risques. Dans l’événement à l’étude, le Florence Spirit avait un SGS qui était certifié et vérifié par une autorité agréée. Cependant, l’enquête a relevé des lacunes dans les directives sur la vitesse sécuritaire pour les rencontres et dépassements dans des eaux restreintes et dans la connaissance qu’avaient les membres de l’équipage des caractéristiques du gouvernail. Des lacunes étaient également présentes dans l’application des politiques sur les appareils électroniques personnels, et il n’y avait pas d’indications précisant les responsabilités d’un capitaine pilote lorsqu’il est à bord à titre de formateur surnuméraire.

    MESURES À PRENDRE

    La gestion de la sécurité restera sur la Liste de surveillance du secteur du transport maritime jusqu’à ce que :

    • TC mette en œuvre de la réglementation obligeant tous les exploitants commerciaux à adopter des processus formels pour la gestion de la sécurité;
    • les transporteurs qui ont un SGS démontrent à TC qu’il fonctionne bien et qu’il permet donc de cerner les dangers et de mettre en œuvre des mesures efficaces pour atténuer les risques.

    2.0 Analyse

    Le Florence Spirit a fait une embardée incontrôlable à bâbord et est entré en collision avec l’Alanis en raison des forces hydrodynamiques générées par la vitesse élevée du Florence Spirit et de la proximité de la berge du canal. L’enquête a examiné la planification et l’approche de la rencontre, ainsi que les facteurs ayant influé sur la gestion des ressources à la passerelle (GRP). On a également examiné l’utilisation des appareils électroniques personnels, les directives sur la vitesse sécuritaire pour les rencontres dans des eaux restreintes et l’efficacité du gouvernail. Finalement, l’enquête a aussi examiné le processus lié à la délivrance des certificats de pilotage au sein de l’Administration de pilotage des Grands Lacs (APGL) et les exigences de l’APGL en ce qui concerne la formation périodique et les évaluations des compétences pour les titulaires d’un certificat de pilotage.

    Comme cet événement présentait des similitudes avec d’autres événements mettant en cause une embardée incontrôlable, une évaluation des systèmes mécaniques du Florence Spirit a également été effectuée dans le cadre de l’enquête. L’évaluation a révélé que les systèmes mécaniques étaient en bon état de fonctionnement et ne constituaient pas un facteur dans l’événement.

    2.1 Planification et approche de la rencontre

    Une rencontre de navires comme le Florence Spirit et l’Alanis dans le canal Welland est une manœuvre difficile comportant une marge d’erreur minime en raison des forces hydrodynamiques complexes et variables générées autour des navires. Lorsqu’un navire subit des effets hydrodynamiques, il peut faire une embardée incontrôlable. L’équipe à la passerelle doit donc prévoir ces effets et établir un plan à l’avance pour les atténuer, c’est-à-dire planifier la vitesse et les changements de cap en prévision de l’approche et surveiller tout signe indiquant que le navire subit des forces hydrodynamiques. Il faut aussi assurer la coordination de la vitesse et des manœuvres des 2 navires qui se rencontrent pour mettre à profit l’interaction entre eux et atténuer les forces hydrodynamiques.

    2.1.1 Communication entre les navires

    Dans l’événement à l’étude, le pilote de l’Alanis et le capitaine du Florence Spirit ont échangé, avant la rencontre des navires, une série de messages instantanés courts et informels au sujet de la vitesse et des changements de cap des navires, ainsi que des pratiques exemplaires pour échapper à l’effet de succion de la berge dans des situations de rencontre. Le pilote et le capitaine avaient navigué ensemble en tant qu’anciens membres d’équipe à la passerelle, et cette familiarité entre eux a fait en sorte qu’ils ont échangé de manière non conventionnelle au sujet de leur rencontre.

    Le message initial, envoyé par le pilote, indiquait au capitaine que le capitaine avait toute latitude pour décider de la vitesse et des manœuvres qu’il jugeait appropriées pour la rencontre avec l’Alanis. D’après son expérience et sa formation, le pilote croyait savoir que les navires naviguaient normalement à 6 ou 7 nœuds à l’approche d’une rencontre. Cela correspond aux observations du BST en ce qui concerne les vitesses moyennes des navires en situation de rencontre dans le canal Welland au cours des 11 jours ayant précédé l’événement. Le capitaine a déduit du message que la latitude que lui laissait le pilote quant au choix de la vitesse de déplacement signifiait littéralement que toute vitesse jusqu’à la limite maximale permissible de 9,9 nœuds conviendrait. Cette supposition servait bien l’objectif du capitaine de franchir le canal le plus rapidement possible, objectif qui était influencé par l’accumulation de trafic survenue auparavant dans le canal et le fait que le temps nécessaire pour arriver au bassin au sud de l’écluse 7 avait été sous-estimé.

    Un message subséquent envoyé par le pilote dans le but de déclarer ses intentions a informé le capitaine des changements de cap et du moment que le pilote prévoyait choisir pour positionner l’Alanis en vue de la rencontre. Le pilote avait prévu modifier sa trajectoire de 4° lorsqu’il se trouverait à une distance de 0,8 NM du Florence Spirit, pour donner le temps à l’Alanis d’atteindre l’écart minimum de 21,1 m étant donné sa vitesse d’environ 3 nœuds.

    Pour le capitaine, qui occupait ce poste depuis relativement peu de temps et dont l’ancien surveillant était le pilote, le message du pilote est probablement apparu comme une source de conseil technique convaincante sur la façon d’effectuer la manœuvre. Par conséquent, le capitaine a décidé de procéder au même changement de cap que le pilote avait l’intention d’effectuer, à savoir, 4° à 0,8 NM de l’Alanis. Toutefois, le Florence Spirit avait déjà un écart latéral de 8 m, avançait à une vitesse plus élevée que celle de l’Alanis,et subissait déjà l’effet de succion de la berge, ce qui a compliqué la coordination des manœuvres du Florence Spirit avec celles de l’Alanis.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    L’échange de messages instantanés courts et informels entre le capitaine du Florence Spirit et le pilote de l’Alanis a influencé les décisions quant à la vitesse et aux changements de cap du Florence Spirit, augmentant ainsi la complexité de la coordination des manœuvres du Florence Spirit avec l’Alanis.

    2.1.2 Vitesse de rencontre

    Alors que le Florence Spirit se dirigeait vers la rencontre à une vitesse de 9,9 nœuds, le capitaine pilote a demandé au capitaine si le pilote de l’Alanis voulait que le Florence Spirit ralentisse. Ayant interprété le message non normatif du pilote au sujet de la vitesse de rencontre comme exprimant de l’indifférence, le capitaine a indiqué que le pilote n’avait aucune préférence quant à la vitesse de la rencontre. Cette interprétation du message du pilote a donné l’impression au capitaine pilote que la rencontre pouvait s’effectuer à cette vitesse, et le fait que le message provenait d’un pilote breveté y ajoutait de la crédibilité.

    Le capitaine pilote avait également effectué des rencontres dans la Voie maritime à des vitesses similaires, et elles s’étaient bien déroulées, ce qui a renforcé l’hypothèse qu’il était plausible d’effectuer la rencontre à cette vitesse. Le capitaine pilote ne s’est donc pas senti contraint d’intervenir. La demande du Centre de contrôle de la circulation de la Voie maritime que le Florence Spirit navigue à la vitesse maximale permissible en raison de l’accumulation de trafic plus tôt dans le canal, combinée au fait que le temps nécessaire pour arriver dans le bassin au sud de l’écluse 7 avait été sous-estimé, a contribué à la pression que l’équipe à la passerelle s’est imposée à naviguer le plus rapidement possible.

    Ensemble, ces facteurs ont fait en sorte que le Florence Spirit avançait vers la rencontre à 9,9 nœuds, alors que l’Alanis filait à environ 3 nœuds. À cause de la vitesse élevée à laquelle avançait le Florence Spirit, il était plus difficile pour le timonier de maintenir le cap jusqu’à la rencontre, et le navire était davantage exposé aux forces hydrodynamiques. Cela signifiait aussi que le navire avait moins de réserve de puissance pour reprendre la maîtrise de la gouverne advenant une embardée.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Le Florence Spirit a filé vers la rencontre à la vitesse maximale permissible de 9,9 nœuds, ce qui a fait augmenter l’intensité des forces hydrodynamiques agissant sur le navire et a réduit la capacité de conserver la maîtrise de la gouverne.

    2.1.3 Position des navires dans le canal

    Lorsque les 2 navires ont modifié leur trajectoire de 4° à 0,8 NM, le capitaine a commencé à surveiller visuellement l’Alanis afin de pouvoir ordonner le prochain changement de cap pour ramener le Florence Spirit en parallèle dans le canal au même moment que l’Alanis. Bien que l’Alanis s’éloignait de l’axe central du canal, le capitaine percevait visuellement, à tort, que le navire se trouvait toujours au centre. Un certain nombre de facteurs ont contribué à cette perception erronée. Il était difficile de discerner visuellement l’Alanis étant donné qu’il se déplaçait beaucoup plus lentement que le Florence Spirit, qu’il y avait peu de points de référence pour la navigation dans le paysage, que des conditions de lumière plate régnaient, et que le Florence Spirit se trouvait déjà à l’écart de l’axe central du canal, de sorte que le capitaine observait l’Alanis d’une position décalée. Ainsi, pendant que le capitaine attendait des indications visuelles que l’Alanis s’était écarté de l’axe central, le Florence Spirit a continué à se diriger vers la berge, atteignant un écart latéral de 32 m. Selon le Manuel de la Voie maritime, la distance minimale de sécurité entre les 2 navires était de 21,1 m, signifiant que l’écart latéral de chaque navire devait être d’au moins 21 m lui aussi.

    Le capitaine avait déjà manœuvré sans encombre de grands navires comme le Florence Spirit près des berges; toutefois, dans ces précédentes situations, le capitaine avait navigué à des vitesses d’environ 6 nœuds, donc les effets hydrodynamiques agissant sur le navire n’étaient pas aussi intenses que ceux agissant sur le navire durant le voyage à l’étude. Comme le Florence Spirit avançait plus vite à proximité de la berge, les effets hydrodynamiques agissant sur le navire étaient plus intenses que ceux que le capitaine avait connus auparavant.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Après que le Florence Spirit a modifié sa trajectoire de 4° pour refléter les changements de cap de l’Alanis, il a maintenu une trajectoire qui l’a mené près de la berge à une vitesse élevée, ce qui a accru les effets hydrodynamiques agissant sur le navire.

    2.1.4 Influence de l’effet de berge

    Alors que l’écart latéral du Florence Spirit atteignait 32 m, le timonier augmentait l’angle du gouvernail pour tenter de garder le navire sur sa trajectoire. Plus le navire s’approchait du bord du canal et moins il répondait aux ordres transmis à la barre, jusqu’à ce que le cap du navire se mette à diminuer lorsque l’effet de repoussée de le berge a commencé à agir, poussant la poupe à bâbord. Quand le capitaine a donné l’ordre de ramener le navire en parallèle à l’axe central, lui et le capitaine pilote ignoraient que l’augmentation de l’angle du gouvernail compensait les forces hydrodynamiques.

    En réponse à l’ordre du capitaine, le timonier a réduit l’angle du gouvernail à tribord. Toutefois, la force réduite exercée par le gouvernail ne suffisait plus pour contrer les forces hydrodynamiques agissant sur le navire. Comme les navires se trouvaient à environ 300 m (moins de 2 longueurs de navire) l’un de l’autre lorsque le Florence Spirit a commencé à faire une embardée, il n’y avait aucune force répulsive entre les navires pour aider le Florence Spirit à contrer les effets hydrodynamiques. Par ailleurs, les mesures correctives qui ont été prises pour produire davantage de remous sur le gouvernail n’ont eu aucun effet pour contrôler l’embardée.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Les forces hydrodynamiques générées par la vitesse du Florence Spirit combinée à la proximité de la berge ont produit un moment de lacet tel que le navire a fait une embardée incontrôlable à bâbord dans la trajectoire de l’Alanis et est entré en collision avec lui.

    2.2 Facteurs ayant une incidence sur la gestion des ressources à la passerelle

    La GRP consiste à faire une utilisation efficace des ressources disponibles – humaines, matérielles et informationnelles – pour gérer les menaces et les difficultés qui peuvent survenir pendant la navigation. Le leadership est une composante clé pour assurer une GRP efficace. Le leadership facilite la cohésion de l’équipe à la passerelle et oriente la façon dont l’équipe fonctionne. En ayant des rôles clairement définis, les membres de l’équipe à la passerelle peuvent travailler ensemble à la poursuite d’un but commun dont ils sont mutuellement responsables. L’échange continu d’information et la conscience situationnelle d’équipe contribuent aussi à la GRP et à la navigation sécuritaire du navire.

    Dans l’événement à l’étude, divers facteurs ont nui au leadership et à la conscience situationnelle d’équipe à bord du Florence Spirit. L’un de ces facteurs est la communication entre le capitaine et le pilote par messagerie instantanée, qui a distrait le capitaine dans sa tâche de coordination de la rencontre avec sa propre équipe à la passerelle et a privé les autres membres de l’équipe de renseignements essentiels à la sécurité. Puisque le capitaine exerçait son rôle depuis relativement peu de temps, il a probablement vu sa communication avec le pilote comme un avantage opérationnel. Le capitaine peut avoir perçu que lui et le pilote travaillaient ensemble dans un but commun (coordonner la rencontre), alors qu’en fait, ils devaient tous deux tenir compte de considérations distinctes relatives à leur propre navire afin de déterminer l’approche à adopter pour la rencontre, notamment la vitesse, les caractéristiques liées à la manœuvre du navire et la position du navire dans le canal.

    Les dispositions relatives à la formation entre le capitaine et le capitaine pilote, selon lesquelles le capitaine pilote se trouvait à bord à titre de surnuméraire pour les besoins de la formation, s’ajoutent aux facteurs ayant eu une incidence sur le leadership et la conscience situationnelle d’équipe à bord du Florence Spirit. Le poste de capitaine formateur surnuméraire était nouveau et inhabituel chez McKeil Marine puisque, par le passé, la formation était assurée par un membre d’équipage expérimenté qui détenait un certificat de pilotage. Ni l’APGL ni McKeil Marine n’avait formulé de directives normatives sur les responsabilités des capitaines et des capitaines pilotes lorsque le capitaine pilote était surnuméraire, et le nouveau poste de capitaine formateur surnuméraire n’était pas non plus défini dans le système de gestion de la sécurité (SGS) de McKeil Marine. En l’absence de directives normatives quant au niveau de surveillance qu’il devait assurer, le capitaine pilote croyait qu’il devait jouer un rôle de surveillant consistant essentiellement à observer les techniques de pilotage du capitaine et à intervenir uniquement en cas de besoin. Ainsi, le capitaine pilote était essentiellement un spectateur, alors que le capitaine coordonnait la rencontre en fonction de l’information tirée des messages instantanés envoyés par le pilote de l’Alanis.

    Le fait que le capitaine et le capitaine pilote ne détenaient pas le même niveau de certification a aussi compliqué les dispositions relatives à la formation. Le brevet de capitaine que détenait le capitaine pilote était limité aux navires d’une jauge brute de moins de 500, ce qui ne lui permettait pas d’agir à titre de capitaine sur un navire comme le Florence Spirit. Cette situation a pu contribuer à ce que le capitaine pilote donne au capitaine plus de latitude dans la planification de la rencontre. D’ailleurs, le capitaine pilote avait confiance dans les compétences du capitaine pour manœuvrer un navire dans des eaux restreintes.

    Ensemble, ces facteurs ont engendré une responsabilité diffuse entre le capitaine et le capitaine pilote en matière de conduite du navire, ce qui a diminué la cohésion entre les membres de l’équipe à la passerelle et a nui à la conscience situationnelle et à la communication d’équipe requises pour surveiller la progression du navire et cerner les risques associés aux forces hydrodynamiques. Même si la situation était dangereuse, on avait l’impression, sur la passerelle, que la rencontre se déroulait comme prévu. Cette perception s’est maintenue à cause de la responsabilité diffuse, qui a fait en sorte qu’on ne s’est pas préoccupé des signes indiquant la gravité de l’effet de berge. Pendant que le capitaine était concentré sur l’objectif qui était d’assurer le bon déroulement de la rencontre, les autres personnes sur la passerelle du Florence Spirit, y compris le capitaine pilote, jouaient principalement un rôle accessoire dans le plan qui se déroulait. Par conséquent, les membres de l’équipe à la passerelle, qui étaient relativement nouveaux sur le Florence Spirit, se sont résolus à jouer le rôle qu’ils pensaient devoir jouer au meilleur de leur capacité.

    Le timonier a cru comprendre que son rôle était de gouverner selon les ordres de changements de cap. Après que la vitesse du Florence Spirit eut été augmentée à 9,9 nœuds, le timonier maintenait le gouvernail à tribord, ce qui compensait l’effet de berge. Étant donné qu’il était concentré sur l’objectif de maintenir les caps qu’on lui ordonnait de suivre et qu’il y était presque parvenu, le timonier a probablement cru qu’il n’était pas nécessaire de signaler au capitaine que le gouvernail devait être maintenu à tribord. Pendant ce temps, le capitaine en second, qui n’avait jamais navigué dans le canal Welland auparavant, était concentré à observer la manœuvre pour apprendre comment l’exécuter. Parce que leur attention était portée ailleurs, les membres de l’équipe à la passerelle n’ont pas pu aider activement le capitaine durant l’approche.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    La responsabilité diffuse entre le capitaine et le capitaine pilote à bord du Florence Spirit a empêché la coordination et la communication entre les membres de l’équipe à la passerelle, ce qui a nui à leur capacité de surveiller la progression du navire et de détecter l’influence des forces hydrodynamiques agissant sur le navire.

    2.3 Méthodes de communication entre les navires

    Étant donné la disponibilité et la familiarité des appareils électroniques qui permettent de communiquer au moyen de messages texte ou instantanés, les membres de l’équipe à la passerelle peuvent trouver que ces méthodes sont préférables aux moyens de communication habituels entre navires. Toutefois, la nature privée des messages texte et instantanés peut entraver l’échange de renseignements opérationnels essentiels, nuire à la conscience situationnelle d’équipe entre les membres de l’équipe à la passerelle des deux navires et priver d’autres navires ou les autorités de gestion de la circulation de renseignements essentiels à la sécurité. De plus, comme les messages texte et instantanés sont habituellement courts et informels et qu’ils ne sont pas en circuit fermé, ils peuvent augmenter le risque d’omissions ou de mauvaises interprétations.

    Bien qu’il existe des règlements dans les secteurs aérien et ferroviaire sur l’utilisation d’appareils électroniques personnels, qui aident à réduire le recours aux messages texte et instantanés dans des contextes opérationnels, il n’y a actuellement aucun règlement canadien sur l’utilisations d’appareils électroniques personnels dans le secteur du transport maritime. En l’absence d’un cadre réglementaire, certaines organisations, comme McKeil Marine et l’APGL, ont élaboré des politiques sur l’utilisation de ces appareils. Cependant, ces politiques ne sont pas toujours appliquées activement, et les personnes occupant un poste lié à la sécurité ne comprennent pas toujours les risques associés à l’utilisation de programmes de messagerie texte ou instantanée pour les tâches de navigation essentielles, que ce soit sur des appareils électroniques personnels ou sur des appareils électroniques fournis par l’entreprise, comme des unités portatives de pilotage (UPP).

    Comme le démontre l’événement à l’étude, l’utilisation de messages instantanés comme principale voie de communication peut donner lieu à des interprétations erronées et priver les membres de l’équipe à la passerelle de renseignements essentiels, ce qui se traduit par une diminution de la conscience situationnelle d’équipe. L’utilisation de ces messages peut également diminuer les interactions entre les membres de l’équipe à la passerelle.

    Fait établi quant aux risques

    Si les politiques d’entreprise sur les dangers liés à l’utilisation d’appareils électroniques personnels dans des contextes opérationnels ne sont pas appliquées activement, il y a un risque que l’utilisation de ces appareils compromette la sécurité de la navigation.

    2.4 Gestion de la vitesse des navires qui se rencontrent dans des eaux restreintes

    L’interaction hydrodynamique continue d’être un facteur contributif dans des événements maritimes. C’est pourquoi les rencontres dans des eaux restreintes doivent se faire à des vitesses suffisantes pour garder le contrôle tout en atténuant les risques associés aux effets hydrodynamiques et en s’assurant qu’une puissance de propulsion supplémentaire est disponible pour reprendre le contrôle du navire advenant une embardée.

    Au moment de l’événement à l’étude, la Voie maritime avait fixé une restriction de vitesse de 8 nœuds dans la voie de contournement de Welland, mais permettait une tolérance de 1,9 nœud de plus. Même si, au départ, la tolérance de vitesse était prévue pour des courtes durées ou des circonstances exceptionnelles, dans les 11 jours ayant précédé l’événement, un certain nombre de rencontres ont eu lieu dans la voie de contournement de Welland à des vitesses supérieures à 8 nœuds entre des navires de taille semblable à celle du Florence Spirit. Les navires de la taille du Florence Spirit courent un plus grand risque de faire une embardée lorsqu’ils se déplacent à vitesse élevée dans des eaux restreintes, en raison des forces hydrodynamiques complexes et variables générées autour des navires. De plus, quand des navires progressent à des vitesses élevées dans des eaux restreintes, les capitaines et pilotes ont moins de temps pour réagir à toute erreur de navigation, défaillance mécanique ou autre complication. Pourtant, au moment de l’événement à l’étude, les navires pouvaient choisir une vitesse de rencontre allant jusqu’à 9,9 nœuds dans la voie de contournement de Welland sans aucune ligne directrice ou mise en garde quant aux risques connexes.

    L’enquête a déterminé que ni McKeil Marine, ni la Voie maritime, ni l’APGL n’avait émis de lignes directrices pour aider les officiers de navigation à déterminer la vitesse de navigation sécuritaire pour les rencontres ou les dépassements et les dangers connexes liés aux effets hydrodynamiques dans des eaux restreintes. Veiller à ce que les navires circulent de manière sécuritaire dans le canal Welland est une responsabilité partagée entre la Voie maritime, l’APGL et les entreprises dont les navires transitent dans cette zone. Par conséquent, ils ont chacun la responsabilité de fournir les lignes directrices nécessaires pour aider les officiers de navigation à réduire les risques associés aux effets hydrodynamiques.

    Fait établi quant aux risques

    En l’absence de lignes directrices à l’intention des équipes à la passerelle sur les vitesses de navigation sécuritaires pour les rencontres et dépassements et sur les dangers connexes liés aux effets hydrodynamiques dans des eaux restreintes, il y a un risque que les rencontres ne s’effectuent pas de façon sécuritaire.

    2.5 Efficacité du gouvernail

    La manœuvre est un aspect clé de la navigation sécuritaire, surtout dans des eaux restreintes. Il est donc important que les membres de l’équipe à la passerelle aient de l’information sur tout facteur pouvant influer sur le système de gouverne d’un navire. Cette information peut être donnée de diverses façons, notamment sur des affiches, dans les caractéristiques de manœuvre du navire et dans la fiche de pilotage du navire.

    Le Florence Spirit était équipé d’un gouvernail en queue de poisson, un type de gouvernail peu commun. Il était donc important de rendre l’information sur les caractéristiques du gouvernail accessible aux membres de l’équipe à la passerelle. Même si le gouvernail en queue de poisson du Florence Spirit pouvait tourner à 70° tant à bâbord qu’à tribord, au-delà de 4 nœuds, la force de portance générée par le gouvernail atteignait son maximum à 35° et commençait à diminuer si l’angle du gouvernail était supérieur à 35°.

    Le Florence Spirit a été construit conformément aux règles de Bureau Veritas, qui recommandait l’installation d’un limiteur pour empêcher l’utilisation du gouvernail à des angles supérieurs à 35° lorsque le navire était exploité à pleine vitesse, ainsi que l’affichage d’un avis à tous les postes de barre précisant que les angles de gouvernail de plus de 35° devaient être utilisés seulement à très basse vitesse. Cependant, l’appareil à gouverner du Florence Spirit n’était muni d’aucun limiteur, et il n’y avait aucun avis affiché au poste de barre. Au moment de l’événement à l’étude, le Florence Spirit était classé par le Lloyd’s Register, qui n’a aucune règle au sujet de limites opérationnelles ou d’avis à afficher pour les systèmes de gouverne de ce type.

    L’information concernant la diminution de la force de portance à des angles du gouvernail supérieurs à 35° n’était pas accessible sur le Florence Spirit, et McKeil Marine et l’équipe à la passerelle ignoraient ce phénomène. L’équipe à la passerelle avait l’habitude de déplacer le gouvernail à des angles supérieurs à 35° lorsque le navire circulait à plus de 4 nœuds, et tout juste avant l’événement, alors que le Florence Spirit filait à environ 9 nœuds, le gouvernail a été déplacé à des angles allant jusqu’à 70° dans les manœuvres visant à éviter l’abordage.

    Durant les simulations, il a été démontré que les effets hydrodynamiques agissant sur le Florence Spirit au moment de l’événement étaient suffisamment intenses pour vaincre la force de portance du gouvernail quel que soit l’angle appliqué au gouvernail. Par conséquent, la force de portance générée par le gouvernail n’a pas été considérée comme un facteur causal de l’événement. Cela dit, il demeure important que les navigateurs aient accès à de l’information clé sur les facteurs pouvant influer sur le bon déroulement des manœuvres et donc sur la sécurité de la navigation.

    Fait établi quant aux risques

    Si l’équipe à la passerelle n’a pas d’information sur les facteurs pouvant avoir une incidence sur l’efficacité des systèmes de gouverne, il y a un risque que ces facteurs compromettent la sécurité des manœuvres sans que l’équipe le sache.

    2.6 Processus de délivrance des certificats de pilotage

    Les pilotes brevetés et les titulaires d’un certificat de pilotage doivent posséder de l’expertise dans la manœuvre de navires et des connaissances spécialisées relatives aux zones de pilotage pour pouvoir manœuvrer les navires de façon sécuritaire dans des eaux restreintes. Puisque la vitesse et les manœuvres des navires qui se rencontrent dans des eaux restreintes sont principalement laissées à la discrétion des pilotes brevetés ou des titulaires d’un certificat de pilotage, il est important que ceux-ci possèdent les compétences et les connaissances requises pour assurer le déroulement sécuritaire de leurs opérations.

    Après l’entrée en vigueur du Règlement de l’APGL en 2011, l’APGL a délivré de nouveaux certificats de pilotage aux personnes qui détenaient auparavant des exemptions au titre de l’ancien système de l’APGL. L’APGL a limité ces certificats à certaines circonscriptions, mais elle n’a imposé aucune autre restriction qui aurait limité les candidats à certains types de navires, à certaines entreprises ou à certains niveaux de brevet. Ainsi, les candidats étaient autorisés à piloter tout type de navire pour n’importe quelle entreprise, pourvu qu’ils demeurent dans la circonscription qui leur était assignée. Par la suite, les candidats qui suivaient le programme de formation de l’APGL obtenaient aussi un certificat de pilotage restreint uniquement selon la circonscription.

    Le système de délivrance des certificats de pilotage a été conçu en supposant qu’au fil du temps, les titulaires d’un certificat de pilotage continueraient de travailler sur le même navire, pour la même entreprise et dans les mêmes circonscriptions. Toutefois, en 2018, l’APGL et l’industrie ont conclu une entente autorisant la création de postes de capitaines pilotes formateurs surnuméraires, ce qui permettait aux formateurs de faire une rotation entre différents navires d’une entreprise. Comme les certificats de pilotage de l’APGL ne limitaient pas les titulaires à certains types de navires, à certaines entreprises ou à certains niveaux de brevet, les capitaines pilotes formateurs surnuméraires étaient donc autorisés à travailler à titre de formateurs sur n’importe quel type de navire, sans égard au fait qu’ils aient ou non les compétences et les connaissances pour le faire. Cette façon de faire constitue une dérive de la conception initiale du programme des titulaires d’un certificat de pilotage, selon laquelle le capitaine pilote devait être membre de l’effectif du navire, vers de nouvelles dispositions qui n’avaient fait l’objet d’une évaluation des risques ni par les entreprises, ni par l’APGL.

    En 2020, en raison d’un manque de capitaines brevetés détenant des certificats de pilotage, le capitaine pilote a été promu au poste de formateur surnuméraire pour le capitaine du Florence Spirit. Comme son certificat de pilotage ne lui imposait des limites qu’à l’égard de la zone géographique d’exploitation, le capitaine pilote était autorisé à travailler à titre de formateur sur n’importe quel type de navire. Le Florence Spirit était un type de navire différent des remorqueurs sur lesquels il avait acquis la majeure partie de son expérience de pilotage, et il ne détenait pas le brevet requis pour agir à titre de capitaine sur un navire de cette catégorie. Cette situation a entraîné une discordance entre les compétences et les connaissances du capitaine pilote et le contexte opérationnel dans lequel il travaillait.

    À l’échelle internationale, il est pratique courante d’assortir des certificats de pilotage de restrictions afin que les capitaines et officiers ne travaillent sur des navires et des routes qu’après avoir démontré posséder les compétences et les connaissances nécessaires pour le faire. Des restrictions peuvent être imposées sur les certificats de pilotage au Canada pour aider à réduire le risque que les titulaires d’un certificat assurent la conduite de certains types de navires ou naviguent dans certaines zones sans avoir les compétences et les connaissances requises. La délivrance de certificats de pilotage sans restrictions quant au type de navires ou au brevet peut mener à ce que les titulaires d’un certificat de pilotage se trouvent dans un nouveau contexte opérationnel où ils ne peuvent pas aisément appliquer leurs connaissances et leurs compétences.

    Bien que la responsabilité de la délivrance des certificats de pilotage ait été transférée à TC en juin 2021, toute restriction est basée sur l’information fournie par chaque administration de pilotage. En septembre 2020, l’APGL a instauré un processus selon lequel des restrictions sont recommandées à TC pour les certificats de pilotage nouvellement délivrés lorsqu’un candidat détient un brevet assorti d’une limitation de capacité, se trouve à bord d’un navire qui ne transite pas par toute la circonscription ou a un problème de santé. Toutefois, aucune modification rétroactive n’a été apportée aux restrictions imposées aux certificats de pilotage délivrés avant septembre 2020, et la majorité des titulaires de certificats de pilotage de l’APGL continuent de travailler avec des certificats dont la seule restriction est la zone géographique d’exploitation.

    Fait établi quant aux risques

    Les restrictions que l’Administration de pilotage des Grands Lacs peut imposer aux certificats de pilotage depuis septembre 2020 s’appliquent seulement aux certificats nouvellement délivrés. Les certificats de pilotage délivrés à des personnes avant cette date étaient délivrés sans tenir compte des limites quant aux types de navire ou aux brevets de capacité, ce qui crée un risque que les personnes titulaires de ces certificats soient autorisées à assumer des fonctions de pilotage pour lesquelles elles ne sont pas préparées adéquatement.

    2.7 Formation périodique et évaluations des compétences

    Il s’agit d’une pratique courante, dans les lieux de travail, de prévoir une formation périodique et des évaluations régulières des compétences pour les employés. Les évaluations des compétences sont l’occasion de cerner et corriger les lacunes possibles en matière de compétences et de connaissances. La formation périodique permet de veiller à ce que les employés possèdent toujours les compétences et les connaissances requises pour effectuer leurs tâches efficacement.

    Bien que la réglementation stipule que les titulaires d’un certificat de pilotage doivent posséder des compétences et des connaissances similaires à celles des pilotes brevetés, les exigences de l’APGL diffèrent pour les pilotes brevetés et pour les titulaires d’un certificat de pilotage en ce qui a trait à la formation périodique et aux évaluations des compétences. Les pilotes brevetés sont tenus de suivre une formation périodique et de subir des évaluations régulières des compétences, mais l’APGL n’exige rien de tel pour les titulaires d’un certificat de pilotage. L’APGL s’en remet aux entreprises individuelles pour établir les critères pertinents et assurer les évaluations des compétences et la formation récurrente pour les titulaires d’un certificat de pilotage, mais comme dans le cas de McKeil Marine, ce n’est pas toujours fait.

    Cette situation peut priver les titulaires d’un certificat de pilotage d’une formation périodique sur des sujets clés comme la GRP, qui est un outil indispensable pour gérer et coordonner les tâches de l’équipage, gérer les problèmes et les menaces, et prendre des décisions. Ils pourraient également être privés d’une formation d’appoint sur simulateur, qui permet de s’exercer à la navigation dans un canal et à la manœuvre d’un navire en cas d’urgence. Enfin, cela signifie également que les titulaires d’un certificat de pilotage ne subissent pas d’évaluation périodique de leur compétences, évaluation qui peut aider à cerner et corriger les lacunes possibles en matière de compétences et de connaissances.

    Fait établi quant aux risques

    S’il n’y a aucune exigence en place pour obliger les titulaires d’un certificat de pilotage à maintenir et à développer leurs compétences et leurs connaissances après avoir obtenu leur certificat, il y a un risque que des lacunes en matière de compétences se développent et persistent au fil du temps.

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

    1. L’échange de messages instantanés courts et informels entre le capitaine du Florence Spirit et le pilote de l’Alanis a influencé les décisions quant à la vitesse et aux changements de cap du Florence Spirit, augmentant ainsi la complexité de la coordination des manœuvres du Florence Spirit avec l’Alanis.
    2. Le Florence Spirit a filé vers la rencontre à la vitesse maximale permissible de 9,9 nœuds, ce qui a fait augmenter l’intensité des forces hydrodynamiques agissant sur le navire et a réduit la capacité de conserver la maîtrise de la gouverne.
    3. Après que le Florence Spirit a modifié sa trajectoire de 4° pour refléter les changements de cap de l’Alanis, il a maintenu une trajectoire qui l’a mené près de la berge à une vitesse élevée, ce qui a accru les effets hydrodynamiques agissant sur le navire.
    4. Les forces hydrodynamiques générées par la vitesse du Florence Spirit combinée à la proximité de la berge ont produit un moment de lacet tel que le navire a fait une embardée incontrôlable à bâbord dans la trajectoire de l’Alanis et est entré en collision avec lui.
    5. La responsabilité diffuse entre le capitaine et le capitaine pilote à bord du Florence Spirit a empêché la coordination et la communication entre les membres de l’équipe à la passerelle, ce qui a nui à leur capacité de surveiller la progression du navire et de détecter l’influence des forces hydrodynamiques agissant sur le navire.

    3.2 Faits établis quant aux risques

    Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

    1. Si les politiques d’entreprise sur les dangers liés à l’utilisation d’appareils électroniques personnels dans des contextes opérationnels ne sont pas appliquées activement, il y a un risque que l’utilisation de ces appareils compromette la sécurité de la navigation.
    2. En l’absence de lignes directrices à l’intention des équipes à la passerelle sur les vitesses de navigation sécuritaires pour les rencontres et dépassements et sur les dangers connexes liés aux effets hydrodynamiques dans des eaux restreintes, il y a un risque que les rencontres ne s’effectuent pas de façon sécuritaire.
    3. Si l’équipe à la passerelle n’a pas d’information sur les facteurs pouvant avoir une incidence sur l’efficacité des systèmes de gouverne, il y a un risque que ces facteurs compromettent la sécurité des manœuvres sans que l’équipe le sache.
    4. Les restrictions que l’Administration de pilotage des Grands Lacs peut imposer aux certificats de pilotage depuis septembre 2020 s’appliquent seulement aux certificats nouvellement délivrés. Les certificats de pilotage délivrés à des personnes avant cette date étaient délivrés sans tenir compte des limites quant aux types de navire ou aux brevets de capacité, ce qui crée un risque que les personnes titulaires de ces certificats soient autorisées à assumer des fonctions de pilotage pour lesquelles elles ne sont pas préparées adéquatement.
    5. S’il n’y a aucune exigence en place pour obliger les titulaires d’un certificat de pilotage à maintenir et à développer leurs compétences et leurs connaissances après avoir obtenu leur certificat, il y a un risque que des lacunes en matière de compétences se développent et persistent au fil du temps.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures de sécurité prises

    4.1.1 Bureau de la sécurité des transports du Canada

    Le 1er février 2021, le BST a fait parvenir l’Avis de sécurité maritime no 01/21 à McKeil Marine concernant l’efficacité de l’angle du gouvernail du Florence Spirit en lien avec la vitesse du navire.

    4.1.2 Transports Canada

    Le 15 juillet 2021, Transports Canada a effectué une inspection par l’État du pavillon et a cerné des lacunes touchant le système de gestion de la qualité et de la sécurité de McKeil Marine. Les lacunes suivantes étaient signalées :

    • procédures inefficaces de l’entreprise relativement à la navigation sécuritaire dans des eaux restreintes;
    • absence de protocoles et de procédures quant aux situations où le capitaine ou l’officier de pont du navire suit une formation au pilotage avec un capitaine pilote formateur à bord;
    • couverture inadéquate dans le système de gestion de la sécurité des protocoles de communication relatifs à l’utilisation des appareils de communication autorisés pour la navigation sécuritaire du navire.

    De plus, Transports Canada a signalé 2 lacunes à McKeil Marine concernant la violation de ses propres politiques d’entreprise. La vitesse du navire dans le canal Welland enfreignait la politique relative au dégagement sous quille de McKeil Marine. Cette violation n’apparaît dans aucun registre, même si la politique de l’entreprise prévoyait qu’elle devait être signalée.

    À la suite de l’inspection, Transports Canada a imposé des sanctions administratives pécuniaires à McKeil Marine.

    4.1.3 McKeil Marine

    À la suite de l’événement, McKeil Marine a examiné l’incident et a produit un rapport d’enquête interne qui a été transmis à tous les capitaines. L’entreprise a également pris les mesures suivantes :

    • elle a émis un avis de la flotte sur l’effet de berge et la conduite à la passerelle;
    • elle a tenu une réunion des formateurs en pilotage pour examiner la conduite à la passerelle, la communication et l’effet de berge;
    • elle a ajouté un module de formation sur l’effet de berge à son programme de formation au certificat de pilotage maritime dans les Grands Lacs et a modifié d’autres modules pour y ajouter davantage de lignes directrices sur la dynamique entre le formateur et le stagiaire;
    • elle a effectué des tests sur le temps de réponse et l’efficacité du gouvernail sur des navires de l’entreprise et a mis à jour les caractéristiques de manœuvre des navires affichées sur la passerelle;
    • elle s’est assurée que les nouveaux capitaines ont suivi une formation à la manœuvre des navires dans un simulateur;
    • elle a exigé que les officiers pilotes suivent une formation additionnelle dans le simulateur de la Voie maritime;
    • elle a exigé que le capitaine de l’événement à l’étude suive 2 séances de formation dans un simulateur et a augmenté à 25 le nombre de voyages de formation qu’il devait effectuer dans le canal Welland.

    4.1.4 Administration de pilotage des Grands Lacs

    À la suite de l’événement, l’Administration de pilotage des Grands Lacs (APGL) a examiné l’incident en mettant l’accent sur le respect de la Loi sur le pilotage et de ses règlements d’application.

    Le 8 septembre 2020, l’APGL a instauré un processus selon lequel des restrictions doivent être imposées aux certificats de pilotage nouvellement délivrés dans un ou l’autre des cas où le candidat :

    • détient un brevet assorti d’une limitation de capacité;
    • se trouve à bord d’un navire qui ne transite pas dans toute la circonscription (p. ex. un navire qui demeure dans un port en particulier);
    • a un problème de santé.

    Depuis le 12 avril 2021, l’APGL a délivré 3 certificats de pilotage assortis de restrictions. Les restrictions avaient trait à la taille du navire, au type de navire, à l’entreprise exploitante, à la zone géographique (comme un port) et à la limitation de capacité du brevet du candidat.

    Le 8 mars 2022, l’APGL a insisté auprès des entreprises offrant un programme de formation des candidats au certificat de pilotage maritime dans les Grands Lacs sur le fait que leur programme doit clairement définir les rôles et les responsabilités de tous les membres de l’équipe à la passerelle.

    Le 21 mars 2022, l’APGL a modifié sa politique sur l’utilisation d’appareils électroniques pour souligner l’interdiction d’utiliser ces appareils lorsque les employés assument des fonctions de pilotage sur la passerelle d’un navire.

    4.1.5 Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent

    À la suite de l’événement, la Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent a examiné la gestion de la vitesse. Les mesures suivantes ont été prises :

    • émission de l’avis de la Voie maritime no 10 en mars 2021, indiquant que même si les limites de vitesse énumérées dans le Manuel de la Voie maritime demeurent inchangées, les tolérances resserrées seront appliquées pour la majorité des endroits dans la Voie maritime afin de s’assurer que les limites de vitesse mentionnées dans le Manuel de la Voie maritime sont suivies de plus près.
    • émission de l’avis de la Voie maritime no 16 en mai 2021, indiquant que les limites de vitesse spécifiées dans le Manuel de la Voie maritime doivent être respectées et que les écarts doivent être de courte durée et strictement nécessaires pour la sécurité de la navigation.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

    Annexes

    Annexe A – Caractéristiques de manœuvre pour le Florence Spirit

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    Annexe A – Caractéristiques de manœuvre pour le <em>Florence Spirit</em>

    Source : McKeil Marine

    Annexe B – Schéma indiquant les commandes relatives à l’angle du gouvernail sur le Florence Spirit dans les 13 minutes avant l’abordage

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    Annexe B – Schéma indiquant les commandes relatives à l’angle du gouvernail sur le <em>Florence Spirit</em> dans les 13 minutes avant l’abordage

    Source : BST

    Annexe C – Lieu de l’événement

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    Annexe C – Lieu de l’événement

    Source de l’image principale : Service hydrographique du Canada, carte 2042-03, avec annotations du BST.
    Source de l’image en médaillon : Google Earth, avec annotations du BST.