Rapport d’enquête sur la sécurité du transport maritime M22C0338

Contact avec le fond
Pétrolier-chimiquier Kivalliq W.
Passage Chesterfield
Baker Lake (Nunavut)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Description du navire

    Le Kivalliq W. (no 9187409 de l’Organisation maritime internationale [OMI]) (figure 1) est un pétrolier-chimiquier à double coque en acier, détenu par Coastal Shipping Limited. Le navire a une cote glace de type ANote de bas de page 1. La propulsion est assurée par un seul moteur diesel. Le navire est équipé d’une seule hélice à pas variable, d’un seul gouvernail et d’un propulseur d’étrave. Le tirant d’eau maximal du navire est de 8,45 m. Le Kivalliq W. a une vitesse maximale de 15,5 nœuds et une vitesse normale de 14,5 nœuds.

    Figure 1. Le Kivalliq W. (Source : BST)
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    Le Kivalliq W. (Source : BST)

    La passerelle est munie de tout l’équipement de navigation requis par la réglementation, y compris un enregistreur simplifié des données du voyage (S-VDR).

    Au moment de l’événement, conformément à la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (Convention SOLAS), le navire détenait un certificat de gestion de la sécurité valide, délivré par DNV en 2021. Les officiers de quart à la passerelle travaillaient au rythme de 6 heures de travail suivies de 6 heures de repos, et l’équipage ainsi que l’horaire de quart étaient conformes au document sur l’effectif minimal de sécurité émis par Transports Canada.

    Les services de Coastal Shipping Limited avaient été retenus pour la livraison de cargaisons liquides en vrac à Baker Lake (Nunavut) au cours des 3 années précédant l’événement. Le Kivalliq W. avait effectué de nombreux voyages sur la route à l’étude tout au long de l’année de l’événement, y compris un passage 3 jours avant le contact avec le fond.

    Déroulement du voyage

    À 2 h 30Note de bas de page 2 le 18 octobre 2022, le Kivalliq W. a effectué un transfert de navire à navire avec le Marlin Ametrine au mouillage situé au large de l’île Helicopter (Nunavut), puis il s’est dirigé vers Baker Lake dans l’intention d’arriver au passage Chesterfield au moment de l’étale de courant, 2 heures après la marée haute. Ce jour-là, la marée haute était prévue à 2 h 32, d’une hauteur de 1,7 m. Le tirant d’eau du navire au départ était de 4,8 m en assiette nulle. Selon le plan de voyage, le navire devait maintenir un dégagement sous quilleNote de bas de page 3 supérieur à 1 m tout au long de son transit dans le passage Chesterfield.

    À 4 h 24, le capitaine a pris la relève de l’officier de quart pour la navigation du navire. Les commandes manuelles du navire ont été maintenues et la vitesse a été réglée à 5 nœuds. L’équipage de la salle des machines a reçu l’ordre de se tenir prêt et un appel de sécurité a été diffusé sur le canal 16 VHF pour informer les navires dans le secteur de la présence du Kivalliq W. et de son intention de se diriger vers l’ouest dans le passage.

    Vers 4 h 50, alors que le navire virait pour sortir du passage Chesterfield (figure 2), une vibration anormale a été ressentie dans tout le navire, et celui-ci s’est mis à répondre plus lentement aux ordres de barre. Peu après, le capitaine a envoyé l’officier de quart dans la salle de contrôle de la cargaison pour vérifier les instruments et s’assurer qu’il n’y avait pas d’infiltration d’eau, et il a amorcé les procédures d’urgence. On a soupçonné que le fond du navire était entré en contact avec un objet submergé non cartographié. Le capitaine a dirigé le navire vers un mouillage proche et a ordonné à l’équipage de se rassembler aux postes de rassemblement.

    Figure 2. Affichage de la carte électronique montrant le plan de voyage du Kivalliq W., sa route et la position où le contact avec le fond s’est produit (Source : Service hydrographique du Canada, carte 5625, avec annotations du BST)
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    Affichage de la carte électronique montrant le plan de voyage du Kivalliq W., sa route et la position où le contact avec le fond s’est produit (Source : Service hydrographique du Canada, carte 5625, avec annotations du BST)

    Vers 4 h 58, l’équipage de pont a commencé à sonder manuellement les citernes de ballast pour vérifier s’il y avait eu infiltration d’eau.

    Alors que le navire gîtait sur tribord, de l’eau a été trouvée dans la citerne de ballast tribord no 3. Avant le voyage à l’étude, cette citerne était vide; la présence d’eau dans la citerne a donné à l’équipage la confirmation que le navire avait eu contact avec le fond et subi une brèche dans la coque. Toutes les autres citernes semblaient intactes, y compris celles de la salle des machines.

    Après avoir communiqué avec Sécurité et sûreté maritimes de Transports Canada, le navire a été autorisé à poursuivre son voyage jusqu’à Baker Lake, où d’autres inspections ont été effectuées. De plus, à la demande du BST, les données du S-VDR pour l’événement ont été sauvegardéesNote de bas de page 4. Après une inspection menée par DNV, le navire a été autorisé à se rendre par ses propres moyens à la cale sèche de Les Méchins (Québec) pour y subir des réparations.

    Le 1er novembre 2022, le Kivalliq W. a quitté Baker Lake en direction de Les Méchins et s’est fait escorter par un brise-glace de la Garde côtière canadienne (GCC) jusqu’à ce qu’il ait quitté les eaux arctiques. Le navire est arrivé à sa destination le 9 novembre 2022.

    Conditions météorologiques

    Au moment de l’événement, la température de l’air était de 0 °C, le ciel était dégagé avec une visibilité de 8 milles marins, le vent soufflait du sud-sud-est à 20 nœuds et la mer était calme. La marée était descendante; la marée haute a eu lieu à 2 h 32 (1,7 m) et la marée basse était prévue à 9 h 01 (0,6 m). L’équipage n’avait pas aperçu de glace et les cartes des glaces n’indiquaient pas la présence de glace à ce moment-là.

    Avaries au navire

    Après le contact avec le fond, la coque du Kivalliq W. a subi une brèche sous la ligne de flottaison. Les dommages se limitaient au bordé de fond extérieur de la citerne de ballast tribord no 3, entre les couples 105 et 108. La brèche, qui a provoqué l’infiltration d’eau, mesurait environ 3 m de long (figures 3 et 4).

    Figure 3. Avaries au navire, vues de l’extérieur (Source : Coastal Shipping Limited)
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    Avaries au navire, vues de l’extérieur (Source : Coastal Shipping Limited)
    Figure 4. Avaries au navire, vues de l’intérieur de la citerne de ballast tribord no 3 (Source : Coastal Shipping Limited)
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    Avaries au navire, vues de l’intérieur de la citerne de ballast tribord no 3 (Source : Coastal Shipping Limited)

    Brevets, certificats et expérience du personnel

    Au moment de l’événement, l’équipe à la passerelle était composée du capitaine, du second officier et d’un timonier, qui détenaient tous des brevets et des certificats valides conformément à la réglementation applicable.

    Rôle et mandat du Service hydrographique du Canada

    Selon la Loi sur les océansNote de bas de page 5, le ou la ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne est responsable des politiques et des programmes du gouvernement du Canada concernant les océans. Entre autres responsabilités, le ou la ministre fournit des services hydrographiques pour favoriser la sécurité de la navigation maritime et faciliter les affaires et le commerce maritimes. Par l’entremise du Service hydrographique du Canada (SHC), le ou la ministre peut réclamer la réalisation de levés hydrographiques et océanographiques des eaux canadiennes et d’autres eaux, ainsi que la préparation et la publication de données, de rapports, de statistiques, de cartes, de plans et d’autres documents.

    Selon le Règlement de 2020 sur la sécurité de la navigationNote de bas de page 6, les navires doivent transporter à leur bord des cartes à jour et d’autres publications nautiques — réalisées par le SHC ou en vertu de son autorité — nécessaires pour leur voyage prévu.

    Le SHC est également chargé de veiller à ce que le Canada s’acquitte de certaines obligations internationales. La Convention SOLAS exige que les États contractants comme le Canada fournissent des services hydrographiques adéquats qui répondent aux besoins de la navigation sécuritaire ainsi que des cartes et des publications adéquates et à jour pour tous les naviresNote de bas de page 7 . Le SHC est également chargé de produire des cartes ou de faire connaître les coordonnées des frontières maritimes du Canada, conformément à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Enfin, par l’entremise de Transports Canada, le SHC appuie le travail de l’OMI dans l’établissement d’exigences relatives à la présence de systèmes électroniques de visualisation de cartes marines à bord.

    Le SHC offre ses services en effectuant des levés hydrographiques ciblés, qui fournissent des données pour cartographier le fond marin, et en communiquant ces renseignements aux navigateurs au moyen de cartes de navigation papier et électroniques. Ces produits faisant autorité sont tenus et mis à jour de façon continue par l’entremise des avis aux navigateurs (NOTMAR)Note de bas de page 8 . Le SHC exploite également un réseau de marégraphes, qui fournissent des mesures en temps réel du niveau de la mer ou des lacs, afin de créer les tables des marées.

    Qualité des données et normes de levé

    Le SHC ne dispose pas de navires consacrés à la collecte de données dans l’Arctique canadien; il s’appuie plutôt principalement sur les navires de la GCC pour réaliser ses levés. Le SHC obtient aussi du temps-navire pour des levés précis, en plus de profiter des périodes pendant lesquelles les navires de la GCC sont en attente avant une escorte dans les glaces ou sont en transit pour collecter des données. Le SHC retient aussi les services de l’industrie privée, d’autres navires de passageNote de bas de page 9 et de diverses autres sources de confiance.

    L’éloignement, les conditions météorologiques rigoureuses, les couvertures de glace de mer saisonnières et permanentes ainsi que le trafic maritime faible dans les eaux arctiques canadiennes sont des facteurs qui influent sur la qualité des données hydrographiques recueillies, dont certaines datent de plusieurs décennies. En date d’octobre 2022, 15,8 % des eaux arctiques du Canada avaient été sondées selon des normes modernes ou adéquates. Les sondes visaient environ 44,7 %Note de bas de page 10 des zones à trafic élevé déterminées dans le cadre de l’Initiative des couloirs de navigation à faible impact dans le NordNote de bas de page 11.

    Passage Chesterfield

    La carte 5625 du SHC, Schooner Harbour à Baker Lake, couvre le passage Chesterfield et les eaux environnantes. Trois éditions de cette carte ont été publiées; la première l’a été en 1975 et la deuxième, en 1992. Ces deux éditions utilisaient le levé hydrographique réalisé en 1974 avec des sondages espacés de 100 m. Une correction de carte a été publiée en 2004 dans un avis aux navigateursNote de bas de page 12 pour la zone à l’étude; cette correction a incorporé des données sur la profondeur obtenues d’un levé en 1997. L’édition la plus récente, fondée sur un levé hydrographique réalisé en 2016, a été publiée en 2018.

    En 2016, le SHC a confié à IIC Technologies Inc. la réalisation d’un levé bathymétrique dans la zone située entre Baker Lake et le passage Chesterfield. Ce projet comprenait l’installation de marégraphes temporaires et un levé multifaisceaux. Le levé a été réalisé entre le 19 juillet et le 20 septembre 2016. Les données tirées du levé ont servi à mettre à jour la carte 5625. La zone de fiabilité indiquée sur la carte électronique est A1Note de bas de page 13, ce qui constitue la norme moderne la plus élevée pour les levés hydrographiques.

    Figure 5. Carte 5625 du Service hydrographique du Canada – Schooner Harbour à Baker Lake, comparaison entre les versions de 1992 et de 2018 (Source : Service hydrographique du Canada, avec annotations du BST)
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    Carte 5625 du Service hydrographique du Canada – Schooner Harbour à Baker Lake, comparaison entre les versions de 1992 et de 2018 (Source : Service hydrographique du Canada, avec annotations du BST)

    L’édition de 1992 de la carte 5625 indique une profondeur de 4,2 m à la position de l’événement (figure 5). L’édition de 2018 de la carte, qui a été utilisée lors de l’événement, n’indique pas la même faible profondeur à cette position. Six années se sont écoulées entre, d’une part, la réalisation du levé hydrographique utilisé pour l’édition de 2018 de la carte et, d’autre part, l’événement mettant en cause le Kivalliq W.

    Les Instructions nautiques du Canada pour le Nord canadien (ARC 400)Note de bas de page 14 préviennent que les cartes nautiques représentent les conditions générales qui existaient au moment du levé hydrographique, et que ce dernier peut ne pas localiser tous les obstacles présents dans les zones avec des roches. Dans ces eaux, il convient de suivre les routes et les chenaux usuels. Le fond marin dans la zone à l’étude est principalement composé de roches.

    Aucun marégraphe permanent n’est installé dans le passage Chesterfield, de sorte que les renseignements sur les marées sont obtenus par des calculs basés en partie sur un levé des marées réalisé en 2016. Les Tables des marées et des courants du Canada pour l’Arctique ne donnent pas de marge d’erreur dont les marins doivent tenir compte pour déterminer le plus grand tirant d’eau auquel leur navire peut maintenir un dégagement sous quille sécuritaireNote de bas de page 15. Le plan de voyage du Kivalliq W. avait été exécuté dans l’attente que le navire disposerait d’un dégagement sous quille minimal de 1,77 m au lieu de l’événement.

    Mesures de sécurité prises

    L’équipage du Kivalliq W. a signalé l’objet submergé non cartographié aux Services de communication et de trafic maritimes d’Iqaluit (Nunavut), et un avertissement de navigation a été publié le jour de l’événement Note de bas de page 16. Dix jours plus tard, après que le SHC a examiné les données fournies par le navire, un deuxième avertissement de navigation Note de bas de page 17 a été publié.

    À la suite de l’événement, le SHC a examiné les données tirées du levé hydrographique de 2016 et, le 31 mars 2023, il a publié une correction de carte indiquant des profondeurs de 5,1 m dans la zone de l’événement Note de bas de page 18. Cette correction a eu pour effet d’annuler le deuxième avertissement de navigation.

    Le premier avertissement de navigation restera en vigueur jusqu’à ce qu’un levé hydrographique soit réalisé.

    Messages de sécurité

    Les marins qui naviguent dans les eaux de l’Arctique canadien doivent savoir que les cartes nautiques représentent les conditions générales qui existaient au moment du levé hydrographique et peuvent ne pas refléter l’état réel du fond marin. Même si une zone est cartographiée et qu’elle a fait l’objet d’un levé conformément aux normes hydrographiques modernes, les équipages naviguant dans ces eaux doivent faire preuve d’une prudence accrue en ce qui concerne le dégagement sous quille.

    Les marins qui naviguent dans des zones où le dégagement sous quille est déterminé d’après des calculs des prévisions des marées doivent savoir que les niveaux d’eau sont prédits et qu’une marge d’erreur doit être prise en compte.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .