Collision frontale
CN Amérique du Nord
Canadien Pacifique Limitée
Collision frontale entre
la manoeuvre 1559 du triage Sarcee du CN et
la manoeuvre 1500 du triage Ogden Park du CP
Point milliaire 0,45, voie industrielle Foothills F-200
Embranchement du point milliaire 131,88, subdivision Drumheller
Calgary (Alberta)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Une collision frontale est survenue entre une manoeuvre du CN Amérique du Nord (CN) et une manoeuvre du Canadien Pacifique Limitée (CP) sur une voie industrielle. L'impact a fait dérailler deux locomotives et occasionné des blessures à trois employés.
Le Bureau a déterminé que les deux manoeuvres sont entrées en collision parce que leurs équipes respectives ont manqué de vigilance dans des conditions où la limitation de vitesse, appropriée en temps normal, offrait une faible protection.
1.0 Renseignements de base
1.1 L'accident
La manoeuvre 1559 du triage Sarcee du CN Amérique du Nord (manoeuvre du CN) a commencé le travail à 16 h, heure normale des Rocheuses (HNR), le 3 décembre 1993. Des manoeuvres ont été effectuées au triage Sarcee et sur la voie industrielle adjacente; après quoi le mouvement est retourné au triage Sarcee. Le chef de triage a ensuite donné d'autres instructions de manoeuvre concernant le parc industriel Foothills. Vers 21 h 13 HNR, la manoeuvre du CN s'est engagée en direction est sur la voie d'accès F-200 du parc industriel Foothills.
La manoeuvre 1500 du triage Ogden Park du Canadien Pacifique Limitée (manoeuvre du CP) a commencé le travail à 15 h HNR, le 3 décembre
1993. Les manoeuvres dans les triages Ogden Park, Ogdendale et Alyth à Calgary (Alberta) et le secteur du parc industriel Foothills ont été terminées vers 21 h HNR. La locomotive simple s'est ensuite engagée en direction ouest sur la voie d'accès F-200 du parc industriel Foothills.
À 21 h 16 HNR, les deux manoeuvres sont entrées en collision au point milliaire 0,45 de la voie d'accès F-200 du parc industriel Foothills. Trois membres d'équipe ont subi des contusions ou des entorses très légères.
1.2 Dommages au matériel
La locomotive CP1589 a subi des dommages considérables à l'attelage, à l'appareil de choc et de traction, à la plaque de protection, au cadre et à la marche de droite. Les conduites de liquide de refroidissement et d'huile ont été brisées. L'attelage et la marche arrière de droite de la locomotive CN1163 ont été tordus.
1.3 Autres dommages
La voie a subi de légers dommages sur 200 pieds.
1.4 Renseignements sur le personnel
1.4.1 Équipe du CN
L'équipe de la manoeuvre du CN se composait d'un contremaître de triage, d'un mécanicien et d'un agent de triage. Ils répondaient tous aux exigences de leurs postes respectifs et satisfaisaient aux exigences en matière de repos et de condition physique.
Un agent de triage en repos voyageait avec l'équipe pour se familiariser avec les lieux.
1.4.2 Équipe du CP
L'équipe de la manoeuvre du CP se composait d'un contremaître de triage, d'un mécanicien et d'un agent de triage. Ils répondaient tous aux exigences de leurs postes respectifs et satisfaisaient aux exigences en matière de repos et de condition physique.
1.5 Renseignements sur les trains
1.5.1 Manoeuvre du CN
La manoeuvre du CN se composait des locomotives CN1163 et CN1151, dont les grands capots étaient réunis. Elle mesurait 110 pieds de long et pesait 258 tonnes. Au moment de l'événement, elle circulait en direction est, la locomotive CN1163 en tête. L'agent de triage se trouvait dans la cabine de la locomotive CN1163; le mécanicien était aux commandes, assis du côté sud de la locomotive CN1151; et le contremaître de triage et l'agent de triage en repos étaient assis du côté nord de la cabine, à l'opposé du mécanicien.
1.5.2 Manoeuvre du CP
Au moment de l'événement, la locomotive CP1589 circulait en direction ouest, le grand capot vers l'avant. Elle mesurait 56 pieds de long et pesait 130 tonnes. Le mécanicien était aux commandes, assis du côté sud de la cabine de la locomotive. L'agent de triage était assis du côté nord, et le contremaître de triage se tenait debout au milieu de la cabine.
1.5.3 Renseignements sur l'état mécanique
Les circuits de freinage des locomotives du CN et du CP ont été inspectés et essayés par chaque équipe, avant sa période d'affectation, et par les mécaniciens des compagnies, après l'accident. Ils ont bien fonctionné dans chaque cas.
1.5.4 Renseignements sur les phares avant
Les deux équipes ont déclaré que le phare avant de leurs locomotives éclairait à pleine intensité.
1.6 Méthode de contrôle du mouvement des trains
La voie du parc industriel Foothills est utilisée par le CN et le CP. Les manoeuvres sont régies par la règle 105 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) et les instructions spéciales applicables contenues dans l'indicateur en vigueur de chaque compagnie ferroviaire.
1.6.1 Vitesses prescrites
La règle 105 du REF a la teneur suivante :
VITESSE SUR UNE VOIE AUTRE QUE LA VOIE PRINCIPALE
Sous réserve de l'indication des signaux, les trains ou les locomotives qui utilisent une voie autre que la voie principale doivent circuler à vitesse réduite....
D'après le REF, la vitesse réduite est une «vitesse permettant de s'arrêter en deçà de la moitié de la distance de visibilité d'un matériel roulant.»
Par leurs instructions, le CN et le CP limitent encore plus la vitesse des trains dans le parc industriel Foothills. Le CN a réduit la vitesse à 10 mi/h, et le CP, à 15 mi/h.
1.7 Conditions météorologiques
Le ciel était nuageux, il soufflait un vent léger, la visibilité de nuit était bonne, et la température était de zéro degré Celsius.
1.8 Renseignements consignés
D'après les données fournies par le consignateur d'événements de la locomotive CN1151, ajustées en fonction de la grosseur des roues, à 21 h 16 min 26 s, la manoeuvre roulait à 11 mi/h (16 pieds à la seconde), la manette des gaz était à la position de ralenti, après une brève accélération (position no 4) survenue trois secondes plus tôt. À ce moment-là, la pression au cylindre de frein a commencé à augmenter, et les freins d'urgence se sont déclenchés. En une seconde (21 h 16 min 27 s), la pression au cylindre de frein est passée à 38 livres au pouce carré (lb/po2), et la vitesse du train est descendue à 10 mi/h. À 21 h 16 min 28 s, la vitesse est tombée soudainement à 3 mi/h, et une seconde plus tard, le mouvement a cessé.
La locomotive CP1589 n'était pas équipée d'un consignateur d'événements, et aucun règlement ne l'exigeait.
1.9 Renseignements sur le lieu de l'événement
Situé dans le sud-est de Calgary, le parc industriel Foothills appartient à la Ville de Calgary. D'une superficie d'environ 1 000 acres, il comprend plus de 200 entreprises. Les compagnies ferroviaires circulent sur des voies communes qui desservent ces entreprises.
La collision est survenue sur la voie d'accès F-200, dans une courbe à gauche de huit ° (dans le cas de la manoeuvre du CN circulant en direction est) qui présente une pente ascendante de 0,6 p. 100.
La visibilité était limitée par des camions à remorque garés au nord de la voie. Au début de l'extrémité ouest de la courbe, une remorque de 45 pieds qui servait de moyen d'entreposage était garée parallèlement à la voie ferrée. À peu près à la hauteur du milieu de cette remorque, un embranchement s'étendait en direction sud. L'aiguillage qui en commandait l'accès était désigné par le numéro F-214. À quelque 280 pieds à l'est de l'aiguillage F-214, 13 remorques vides étaient garées, orientées à peu près au nord-ouest, à une distance de 17 à 25 pieds au nord de la voie. Une lumière vive fixée au bâtiment situé au nord de la courbe éclairait le parc de stationnement où les remorques se trouvaient.
Les manoeuvres se sont immobilisées, leurs têtes (points d'impact) à environ 135 pieds à l'est de l'aiguillage F-214. Il y avait des rayures dues au frottement (marques d'abrasion) à trois endroits, des empreintes de patinage sur le champignon du rail sud et une marque de boudin de roue sur l'âme du rail sud sous la locomotive du CP. Le champignon du rail sud portait aussi des marques de roue sous la locomotive CN1163.
1.10 Essais et recherche
1.10.1 Simulations
Le 6 décembre 1993, on a procédé à des simulations de la circulation des deux manoeuvres dans la courbe avec des locomotives du même type que celles mises en cause dans l'accident.
On a déterminé qu'à une vitesse de 8 mi/h, la locomotive du CP pouvait s'arrêter en moyenne sur une distance de 40 pieds à la suite d'un serrage des freins d'urgence.
À une vitesse de 11 mi/h, les locomotives du CN pouvaient s'arrêter en moyenne sur une distance de 43 pieds à la suite d'un serrage des freins d'urgence.
La distance de visibilité mesurée sur le rail depuis le coin est du camion à remorque le plus à l'est jusqu'au coin ouest du camion à remorque seul situé à l'ouest était de 283 pieds.
1.10.2 Analyse de laboratoire
Des échantillons comprenant les marques d'abrasion que le champignon du rail sud portait sous le bogie avant de la locomotive du CP ont été envoyés pour examen à l'université de Calgary, qui a déterminé que les roues de la locomotive tournaient au moment de l'impact.
Le Laboratoire technique du BST a étudié les données du consignateur d'événements et en a conclu que les locomotives du CN roulaient à 9 mi/h au moment de l'impact et à 3 mi/h après. Il a ensuite fait des calculs qui tenaient compte du poids respectif des trois locomotives en cause et en a conclu que la locomotive du CP était arrêtée ou roulait à faible vitesse au moment de la collision.
1.11 Autres renseignements
1.11.1 Généralités
Les manoeuvres du CN et du CP utilisent la voie d'accès du parc industriel Foothills sans échanger de renseignements sur les manoeuvres d'aiguillage ou les méthodes d'exploitation de l'autre compagnie ferroviaire.
Les membres de l'équipe du CN ne s'étaient pas formellement entendus pour que l'agent de triage à bord de la locomotive CN1163 guette sans cesse la voie en marche arrière et donne des instructions par radio au mécanicien situé dans la locomotive de commande.
1.11.2 L'agent de triage du CN
Comme les trois sièges de la cabine de conduite de la locomotive CN1151 étaient occupés, l'agent de triage est monté dans la locomotive CN1163 et s'est assis sur le siège du côté nord de la cabine tandis que la manoeuvre roulait en direction est sur la voie d'accès. Pendant l'approche du passage à niveau de la 54e Avenue S.-E., situé à environ 925 pieds du point d'impact, l'agent a transmis les distances en wagons au mécanicien à l'aide de sa radio portative pour qu'il puisse faire franchir le passage sans danger à la manoeuvre. L'agent de triage est ensuite passé au sud pour trouver l'emplacement de l'aiguillage F-214.
À l'approche de la courbe, la vue de l'agent de triage a été réduite à une distance de quatre ou cinq wagons par le camion à remorque garé en face de l'aiguillage F-214. Comme il n'avait circulé sur cette voie que quatre ou cinq fois, l'agent concentrait son attention sur la recherche de l'aiguillage F-214, d'où la manoeuvre prendrait un wagon en charge au retour. Lorsque la locomotive CN1163 s'est trouvée à la hauteur de l'aiguillage F-214 ou un peu à l'est de ce dernier, l'agent a traversé la cabine, levé les yeux et vu une vive lumière vis-à-vis le groupe de camions à remorque le plus à l'ouest. Se rendant compte que c'était le phare avant d'une locomotive qui approchait, il a crié par radio au mécanicien de la locomotive CN1151 d'arrêter le train.
1.11.3 Le mécanicien du CN
Le mécanicien du CN était aux commandes, assis du côté sud de la locomotive CN1151. Il a déclaré que le phare avant de la locomotive CN1163 lui permettait de voir la voie sur une distance de quatre à cinq wagons, même si le pare-brise était en partie bouché par l'indicateur de vitesse, les deux cheminées d'échappement et la cabine de l'autre locomotive. La distance séparant le point le plus avancé de la locomotive de tête CN1163 et la cabine de conduite de la locomotive CN1151, où le mécanicien était assis, était de 94 pieds. Tandis que la manoeuvre roulait vers l'est, le mécanicien a mis la manette des gaz à la position no 4 pour maintenir la vitesse. Il n'a pas regardé l'indicateur de vitesse, mais a pensé que la manoeuvre roulait à 10 mi/h. Il avait aussi la vue partiellement obstruée du côté nord par le camion à remorque garé parallèlement à la voie en face de l'aiguillage F-214. Il a réduit les gaz jusqu'au ralenti à l'entrée de la courbe. Il ne croyait pas rouler à une vitesse excessive.
Lorsque la locomotive CN1151 s'est trouvée en face du camion à remorque situé à la hauteur de l'aiguillage F-214, le mécanicien, ayant reconnu le phare avant d'une locomotive qui lui coupait le chemin, a serré à fond le frein indépendant et placé la poignée du robinet de mécanicien dans la position de serrage d'urgence. Pendant qu'il effectuait le serrage d'urgence, il a entendu l'agent de triage crier d'arrêter le train à la radio. Il estimait que la manoeuvre avait parcouru une autre demi-longueur de wagon avant le grand choc et l'arrêt subit.
1.11.4 Le contremaître de triage du CN
Le contremaître de triage du CN était assis au nord dans la cabine de la locomotive CN1151. Il vérifiait sa liste de manoeuvre et conversait avec l'agent de triage en repos, qui était assis du même côté derrière lui. Le contremaître était en mesure d'observer la voie dans le sens de la marche, mais ne la voyait que sur une distance de quatre wagons environ, car le camion à remorque garé en face de l'aiguillage F-214 lui bouchait la vue. Le contremaître a entendu le mécanicien serrer le frein indépendant, a levé les yeux et a vu que la locomotive CN1151 se trouvait en face de ce camion à remorque à l'aiguillage F-214. Le mécanicien a alors déclenché un serrage d'urgence des freins à air au moment où le contremaître a entendu l'agent de triage posté dans la locomotive de tête crier d'arrêter le train à la radio. Le contremaître a vu le phare avant se rapprocher et s'est rendu compte qu'il était impossible de s'arrêter à temps pour prévenir la collision, la locomotive en direction ouest n'étant qu'à environ une demi-longueur de wagon de l'autre locomotive. Le choc a été violent, et la manoeuvre s'est immobilisée subitement lorsque les locomotives sont entrées en collision.
1.11.5 Le mécanicien du CP
Le mécanicien du CP était assis du côté sud de la cabine de la locomotive CP1589, le dossier de son siège contre la glace latérale de la cabine. Il actionnait les commandes en regardant vers l'ouest par la glace arrière. Il y avait 38 pieds entre la cabine de conduite et l'avant de la locomotive. Le mécanicien a estimé qu'il avait roulé à 10 mi/h sur le tronçon en alignement droit avant d'atteindre la courbe. Il se rappelait qu'à l'approche de cette dernière, la manette des gaz était à la position no 1 lorsqu'il a établi une pression de 10 livres avec le robinet de frein indépendant, ce qui a abaissé sa vitesse à environ 8 mi/h. Dans la courbe, le grand capot de la locomotive a réduit la vue du mécanicien à environ une demi-longueur de wagon. L'agent de triage a soudain crié d'arrêter, et le mécanicien a déclenché un serrage des freins d'urgence.
1.11.6 Le contremaître et l'agent de triage du CP
Assis du côté nord de la cabine, l'agent de triage du CP, qui faisait office de guet pour le mécanicien, concentrait son regard sur le camion à remorque situé à l'extrémité ouest de la courbe, près de l'aiguillage F-214. Il n'y avait pas de conversation entre les membres de l'équipe postés dans la cabine ni de communication radio pour détourner son attention. Lorsque la manoeuvre a atteint l'extrémité ouest du groupe de camions à remorque situé à l'est, l'agent de triage a vu le phare avant d'une locomotive à l'extrémité ouest du camion à remorque solitaire garé à l'extrémité ouest de la courbe. Il lui a fallu une seconde ou deux (plus de 40 pieds selon son estimation) pour comprendre que cette locomotive roulait en direction est vers lui et crier d'arrêter. Le mécanicien a aussitôt serré les freins d'urgence, et l'agent de triage a redit d'arrêter, puis averti le contremaître de triage de se cramponner. Lorsque les locomotives du CN n'étaient plus qu'à une longueur de wagon environ, l'agent de triage s'est tourné et cramponné au siège voisin.
Les membres de l'équipe du CP ont déclaré que leur locomotive était arrêtée au moment de la collision.
2.0 Analyse
2.1 Introduction
L'analyse étudiera les raisons pour lesquelles la collision s'est produite alors qu'il y avait des limites de vitesse et des règles d'exploitation qu'on jugeait par le passé suffisantes pour prévenir ce genre d'accident.
2.2 Examen des faits
2.2.1 État mécanique des locomotives
Les deux locomotives du CN et celle du CP fonctionnaient comme prévu. Les freins, notamment, qui ont été inspectés et essayés avant et après la collision, ne se sont pas révélés défectueux. Le mauvais fonctionnement de matériel ne semble pas être l'une des causes de l'accident.
2.2.2 Communication entre les compagnies ferroviaires
Le soir de l'événement, aucune des équipes ne savait qu'une manoeuvre de l'autre compagnie circulait sur la même voie. Les deux compagnies ferroviaires n'ont pas communiqué entre elles pour fournir ce renseignement.
2.2.3 Actes de l'équipe du CN
Dans ses instructions, le CN n'exige pas qu'un employé soit en tête d'un groupe de deux locomotives en marche arrière, mais l'agent de triage y était. Il aurait dû guetter la voie à franchir et, dans la courbe, donner par radio les instructions prévues en cas de visibilité réduite au mécanicien posté dans la locomotive de queue.
2.2.4 Vitesse réduite
Les deux compagnies ferroviaires comptaient sur leurs employés pour exploiter le matériel ferroviaire en se conformant aux exigences de vitesse réduite (vitesse permettant de s'arrêter en deçà de la moitié de la distance de visibilité) et aux limites de vitesse supplémentaires, qui étaient de 10 mi/h pour le CN et de 15 mi/h pour le CP. On a considéré par le passé que ces mesures suffisaient pour prévenir des collisions du genre de celle qui est survenue.
La distance qui séparait la cabine et l'avant de la locomotive CP1589 était de 38 pieds. Celle qui séparait la cabine de conduite de la locomotive CN1151 et le point le plus avancé de la locomotive de tête CN1163 était de 94 pieds. Par conséquent, vu la distance moyenne d'arrêt des locomotives respectives, déterminée par les simulations, la distance minimale de visibilité d'arrêt nécessaire, mesurée à partir de la cabine de conduite (en supposant que les freins d'urgence ont été serrés dès l'instant où le danger a été perçu), était de 78 pieds (38 + 40 pieds) à 8 mi/h pour la locomotive du CP et de 137 pieds (94 + 43 pieds) à 11 mi/h pour celles du CN. Pour que la collision ait été évitée, il aurait fallu que la distance minimale de visibilité entre les deux mécaniciens des manoeuvres de sens contraire soit d'environ 215 pieds (78 + 137) dans des conditions optimales. Dans de telles conditions, les deux locomotives auraient donc pu s'immobiliser avant l'impact.
Les locomotives se sont immobilisées à environ 157 pieds à l'est de l'extrémité ouest du camion à remorque isolé. Étant donné que les locomotives du CN ont continué de rouler environ une seconde à 3 mi/h et dû parcourir environ 4 pieds de plus vers l'est après la collision, on considère le point d'impact à environ 153 pieds à l'intérieur du secteur de visibilité réduite délimité par les remorques, pour le mouvement vers l'est, et à 130 pieds dans ce secteur, pour le mouvement vers l'ouest.
Dans ce secteur de visibilité réduite, le centre se trouve à 141,2 pieds, distance d'arrêt imaginaire imposée par la règle 105 du REF. La manoeuvre du CN l'avait presque atteint avant le serrage des freins et avait peu ralenti avant l'impact (à 130 pieds de l'extrémité est du secteur de visibilité réduite). Vu le point d'impact et la preuve matérielle qui indique que la manoeuvre du CP était en mouvement au moment de la collision, on peut conclure que cette manoeuvre ne s'est peut-être pas non plus arrêtée conformément à la règle. De toute façon, les locomotives du CN l'auraient heurtée.
Comme le démontre la simulation, à leurs vitesses de marche respectives, les deux manoeuvres auraient pu s'arrêter à 68 pieds l'une de l'autre dans des conditions optimales. Au moment de l'impact, les locomotives du CN avaient dépassé leur distance d'arrêt optimale (137 pieds) et roulaient encore à quelque 11 mi/h, et celle du CP, bien que presque arrêtée, avait dépassé la sienne de 75 pieds. On en conclut donc qu'aucune des équipes n'a remarqué immédiatement l'autre manoeuvre à son entrée en courbe.
La vitesse des deux manoeuvres était inférieure à celle qu'impose la règle 105 du REF, en ce sens qu'elles auraient pu s'arrêter en deçà de la distance réglementaire si les deux équipes avaient fait preuve d'une extrême vigilance.
3.0 Faits établis
- Le matériel du CN et du CP a fonctionné comme prévu.
- Faute d'un consignateur d'événements à bord de la locomotive du CP, la vitesse et les conditions d'exploitation de la manoeuvre du CP n'ont pas été enregistrées automatiquement pour évaluation.
- D'après l'examen du rail en laboratoire et l'analyse des données fournies par le consignateur d'événements de la locomotive du CN, il est fort probable que la manoeuvre du CP roulait lentement au moment de la collision.
- Les membres des équipes du CN et du CP ne savaient pas qu'une manoeuvre de l'autre compagnie circulait sur la voie commune.
- Il n'y avait pas d'instructions données pour que les équipes soient informées de la présence de mouvements de l'autre compagnie sur la voie du parc industriel Foothills.
- Dans ses instructions, le CN n'exigeait pas qu'un employé soit en tête d'un groupe de moins de trois locomotives en marche arrière.
- Étant donné la distance de visibilité, la configuration des locomotives, leur distance d'arrêt et le temps de réaction des équipes, la marge de sécurité offerte par la règle de marche à vitesse réduite exigeait une extrême vigilance des équipes et une réaction immédiate pour que la collision soit évitée.
- Ni l'équipe du CN ni celle du CP n'ont pris immédiatement conscience du mouvement de sens contraire de l'autre compagnie.
3.1 Cause
Les deux manoeuvres sont entrées en collision parce que leurs équipes respectives ont manqué de vigilance dans des conditions où la limitation de vitesse, appropriée en temps normal, offrait une faible protection.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures prises
4.1.1 Règle 105 du REF - Vitesse sur une voie autre que la voie principale
En mars 1994, le BST a envoyé à Transports Canada un Avis de sécurité ferroviaire sur les méthodes employées sur les territoires communs au CN et au CP pour les manoeuvres. Les deux compagnies ferroviaires n'avaient pas établi de méthodes officielles pour communiquer entre elles lorsqu'elles effectuaient des manoeuvres d'aiguillage en même temps. Elles comptaient sur la règle 105 du REF pour assurer une marge de sécurité en cas de conflit entre leurs activités. Dans son Avis de sécurité, le Bureau a mentionné qu'étant donné la possibilité que des événements semblables surviennent à Calgary et dans d'autres secteurs industriels, Transports Canada voudrait peut-être examiner les méthodes de communication des compagnies ferroviaires qui exercent leur activité sur des voies communes.
Dans sa réponse, Transports Canada est arrivé à la conclusion qu'il ne semblait pas y avoir de problème général de communication sur les voies communes. Dans le cas présent, Transports Canada juge que les équipes n'ont pas réduit leur vitesse selon les conditions d'exploitation et que la collision est survenue parce que la règle
105 du REF n'avait pas été observée. Dans ses observations sur le projet de rapport confidentiel sur cet événement, Transports Canada a aussi indiqué que la communication de renseignements sur les mouvements effectués sur une voie autre que la voie principale n'était pas considérée comme pratique et qu'elle pourrait compromettre la sécurité en donnant une fausse impression de sécurité aux équipes. Après l'événement, le CN et le CP ont toutefois donné des instructions à leurs chefs de triage pour qu'ils communiquent entre eux lorsque des manoeuvres d'aiguillage sont effectuées sur les voies communes du parc industriel Foothills. (Ces instructions ont été annulées par la suite.) Transports Canada a communiqué avec l'Association des chemins de fer du Canada pour lui conseiller de rappeler l'importance de la règle 105 du REF à tous ses membres. Les bureaux régionaux du Groupe Surface de Transports Canada ont aussi été chargés de trouver les endroits semblables au parc industriel Foothills pour s'assurer qu'on y suit de bonnes méthodes.
La règle 1051 du REFNote de bas de page 1 fixe la vitesse en fonction de la distance de visibilité et de la distance d'arrêt du train. Pour s'y conformer, les membres de l'équipe doivent évaluer les facteurs variables dont la distance de visibilité et la distance d'arrêt dépendent. La distance de visibilité dépend du tracé de l'aménagement de l'endroit, des obstacles matériels, des conditions météorologiques et de l'éclairage ambiant. La distance d'arrêt dépend des caractéristiques de la voie, du poids du train, de l'efficacité des freins et du temps de réaction de l'équipe. Comme il y a toujours nombre de ces variables en jeu, le risque de méjuger la vitesse permettant de s'arrêter sans danger est donc grand. Pour que les méthodes d'exploitation soient sûres, il faudrait donc intégrer un facteur de sécurité dans la distance d'arrêt prescrite. C'est ce que fait la règle 105 du REF dans la plupart des cas. Son application dans la détermination de la vitesse permettant à un train en mouvement de s'arrêter sans danger à la vue d'un objet immobile assure un facteur de sécurité de deux en donnant une vitesse permettant de s'arrêter en deçà de la moitié de la distance de visibilité. Cependant, lorsqu'on calcule la distance nécessaire à deux trains qui s'approchent inopinément l'un de l'autre, comme dans le cas en question, on constate que la marge de sécurité pourrait être nulle. En d'autres termes, si chaque train en mouvement parcourait toute la distance permise par sa vitesse (soit la moitié de sa distance de visibilité), il pourrait ne rester pratiquement pas d'espace entre les deux trains, une fois ces derniers immobilisés. Le Bureau ne doute pas que la règle 105 du REF est utile en assurant une marge de sécurité dans la distance d'arrêt d'un train en mouvement devant un objet immobile. Le Bureau s'inquiète toutefois du fait que même les équipes les plus compétentes auraient du mal à évaluer les variables à temps pour se conformer à cette règle dans le cas de mouvements en sens contraire.
L'industrie ferroviaire est un secteur commercial concurrentiel et il y a des pressions, tant réelles qu'apparentes, pour qu'on exécute son travail à temps. Les équipes des chemins de fer ont donc tendance à conduire leurs trains à la vitesse maximale permise. De plus, comme des mouvements sont effectués en même temps sur des voies communes sans parfois qu'on ait établi de méthodes pour éviter des mouvements simultanés en sens contraire, il y aura encore des trains circulant en sens contraire qui se rencontreront inopinément et qui se heurteront peut-être de front. Étant donné que la règle 105 du REF servant à prévenir les collisions entre les mouvements de sens contraire n'assure pas vraiment de marge de sécurité, le Bureau recommande que :
Le ministère des transports examine l'application de la règle 105 du REF afin d'assurer le maintien d'une bonne marge de sécurité dans le cas de mouvements de sens contraire.
Recommandation R95-02 du BST
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Zita Brunet et Hugh MacNeil.