Rapport d'enquête ferroviaire R94C0137

Déraillement
Canadien Pacifique Limitée
Point milliaire 108,05, subdivision Taber
Lethbridge (Alberta)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Six wagons-citernes transportant du méthanol du train de marchandises no CP 971-14 du Canadien Pacifique Limitée (CP), qui roulait en direction ouest sur la subdivision Taber, ont déraillé au point milliaire 108,05, à Lethbridge (Alberta). Quatre des wagons déraillés ont laissé échapper leur contenu, et quelque 230 700 litres de méthanol se sont déversés. Le service de police a évacué et isolé un secteur de 20 pâtés de maisons, jusqu'à ce que le méthanol déversé et celui qui restait dans les wagons aient été retirés des lieux. Personne n'a été blessé à la suite de l'accident et du déversement.

    Le Bureau a déterminé que le déraillement a été causé par la rupture d'un rail occasionnée par la propagation de fissures dues à la fatigue qui n'avaient pas été décelées; l'usure du rail avait dépassé les limites critiques.

    1.0 Renseignements de base

    1.1 L'accident

    Vers 6 h 30Note de bas de page 1, alors que le train de marchandises no CP 971-14 du Canadien Pacifique Limitée (CP) en direction ouest négocie une courbe à droite dans le sens du mouvement à une vitesse d'environ 30 mi/h au point milliaire 108,05 de la subdivision Taber, à Lethbridge (Alberta), les freins d'urgence se déclenchent.

    L'équipe prend les mesures nécessaires et détermine que les 26e à 31e wagons ont déraillé. Les 26e à 30e wagons se sont renversés au sud de la voie, et ont laissé fuir leur contenu. Le 31e wagon est resté sur ses roues.

    Les premiers intervenants isolent rapidement le lieu du déraillement, et interdissent l'entrée dans les secteurs commerciaux avoisinants. Personne n'est blessé.

    1.2 Dommages au matériel

    Cinq wagons-citernes ont subi des dommages considérables.

    1.3 Autres dommages

    La voie a été détruite sur environ 300 pieds.

    1.4 Renseignements sur le personnel

    L'équipe se composait d'un chef de train, d'un agent de train et d'un mécanicien. Ils répondaient aux exigences de leurs postes et satisfaisaient aux exigences en matière de repos et de condition physique.

    1.5 Renseignements sur le train

    Le train se composait de 3 locomotives, de 29 wagons chargés et de 6 wagons vides. Il mesurait quelque 2 267 pieds, et pesait quelque 3 861 tonnes.

    1.6 Particularités de la voie

    La subdivision Taber est une voie principale simple en Alberta qui relie Medicine Hat à Lethbridge. La subdivision Taber achemine environ 15 millions de tonnes brutes par année, et de 8 à 10 trains y circulent chaque jour. Au point milliaire 108,05, la vitesse maximale autorisée pour les trains de marchandises est de 35 mi/h.

    Dans le secteur du déraillement, la voie était faite de rails à champignon chanfreiné partiellement usés de 100 livres, en longueurs de 72 pieds. Ils étaient de fabrication différente, laminés entre 1947 et 1964, et posés en 1983. Les rails étaient retenus aux traverses de bois mou par des selles à simple épaulement. Des anticheminants encadraient toutes les traverses. Le ballast se composait de gravier concassé, les cases étaient pleines et les banquettes étaient de 18 pouces. Le drainage était bon.

    Le point milliaire 108,05 est situé dans une courbe de 3 ° et 37 minutes, et la pente y est de 0,44 p. 100.

    La voie avait été inspectée par le chef de canton à bord d'un véhicule rail-route le 13 octobre 1994, et par le contremaître de la voie le 14 octobre. Aucune anomalie n'avait été relevée dans le secteur du déraillement.

    Une voiture d'auscultation des rails aux ultrasons avait inspecté la voie le 6 novembre 1993; aucune défaillance n'avait été décelée au point milliaire 108,05.

    Une voiture Test du CP avait vérifié la voie en ce qui a trait à la configuration géométrique et à l'usure des rails le 4 octobre 1994. Aucun défaut géométrique n'avait été constaté dans le secteur du déraillement. Le dispositif optique de mesure de l'usure des rails, monté sur la voiture Test, a détecté que le champignon du rail était usé de 9/16 de pouce, et n'a enregistré aucune information sur l'usure latérale. Quand il n'y a «pas d'information», le tracé optique du rail n'est représenté que par une ligne horizontale, et la représentation de la dernière lecture valide continue sur le graphique d'usure jusqu'à ce que le dispositif enregistre la prochaine lecture valide, distincte des crêtes et des creux des tracés d'usure normaux. Le système optique de mesure de l'usure des rails a été conçu pour ne répondre qu'aux exigences de l' American Railway Engineering Association (AREA) en matière de profils des rails et mesure la largeur du rail à 5/8 de pouce sous la table de roulement pour déterminer l'usure entre le côté intérieur et le centre du rail. Dans le cas présent, on a découvert que le point de mesure de 5/8 de pouce n'apparaissait pas sur le profil du rail à champignon chanfreiné usé. La logique de traitement ne permettait pas de calculer l'usure entre le côté intérieur et le centre du rail lorsque le point de mesure de 5/8 de pouce se trouvait sous le champignon du rail. Selon les normes du CP, un rail de 100 livres a atteint les limites critiques quand l'usure du champignon est de plus de 3/8 de pouce et l'usure latérale est nulle. Lorsque l'usure latérale atteint plus de 1/8 de pouce, la limite critique d'usure du champignon est de 3/32 de pouce.

    Au moment de l'accident, le personnel local d'entretien de la voie n'avait pas été mis au courant des résultats de l'évaluation optique des rails qui avait été effectuée le 4 octobre.

    1.7 Méthode de contrôle du mouvement des trains

    Dans cette subdivision, le mouvement des trains est régi par le système de régulation de l'occupation de la voie (ROV), autorisé par le Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), et surveillé par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) situé à Calgary (Alberta).

    1.8 Conditions météorologiques

    La température était de deux ° C, le ciel était couvert, et la visibilité était illimitée.

    1.9 Renseignements consignés

    Les données du consignateur d'événements ont indiqué que les freins d'urgence du train se sont déclenchés à 6 h 34 min 41 s, alors que le train roulait à une vitesse consignée de 29,6 mi/h. Tous les autres systèmes dont le fonctionnement est consigné fonctionnaient comme prévu.

    1.10 Renseignements sur le lieu de l'événement

    Le déraillement a eu lieu dans un secteur commercial du milieu de la ville. Une route à quatre voies (route no 3) longeait l'emprise au sud, et une clôture de grillage de deux mètres de hauteur la bordait au nord. Un centre commercial était situé au nord de la clôture de l'emprise, et des bâtiments commerciaux, notamment une boîte de nuit, s'étendaient au sud de la route.

    La voie principale simple était parallèle à une voie d'évitement au nord. Le dernier wagon qui a déraillé, le wagon UTLX 41717, est resté sur ses roues et son bogie arrière est resté sur la voie. Les cinq wagons qui ont complètement déraillé se sont renversés au sud de la voie, sur la plate-forme de la voie et dans le fossé de l'emprise. Le produit qui s'est déversé s'est mélangé avec l'eau dans le fossé.

    Le rail sud juste à l'ouest du wagon UTLX 41717 s'était rompu en petits morceaux, de sorte qu'il y avait maintenant un espace vide de 27 pieds. Ce rail rompu faisait partie d'un tronçon de 36 pieds laminé en 1947, qui avait été soudé à un autre tronçon de 36 pieds laminé en 1964. Environ neuf pieds du tronçon laminé en 1947 sont restés fixés aux traverses. L'extrémité rompue (à l'ouest) laissait voir une fissure considérable et oxydée dans le secteur du raccord entre l'âme et le champignon. Le champignon du rail montrait une usure de 1/2 pouce, et l'usure latérale du rail était de 7/16 de pouce. Le rail nord s'était déplacé mais ne s'était pas rompu.

    Il n'y avait aucune marque sur les traverses, les rails ni sur la plate-forme avant le rail rompu. Les wagons qui ont déraillé ne laissaient voir aucune preuve d'un bris de matériel avant le déraillement.

    La soupape de sécurité du premier wagon qui a déraillé complètement, le wagon PROX 40655, s'est rompue par cisaillement, et le wagon a laissé échapper quelque 38 000 litres de produit. Le deuxième wagon, le wagon ACFX 87276, a subi une petite perforation ressemblant à une déchirure dans le secteur de la tête, et a perdu quelque 57 000 litres de produit. Le troisième wagon, le wagon ACFX 89851, a aussi été perforé du côté droit de la tête, et le dessous de la citerne fuyait considérablement. Le quatrième wagon, le wagon PROX 40737, a laissé échapper son contenu par la soupape de sécurité dans le secteur du dôme.

    On a trouvé sur place des morceaux brisés du tronçon de rail sud qui a été perdu. L'un des morceaux, composé du patin et de l'âme du rail, et d'une longueur de 24 pouces, correspondait à la rupture à l'ouest à l'endroit oû le rail sud était intact. L'âme du rail laissait voir une fissure très oxydée.

    Les morceaux du rail rompu ont été envoyés au service de contrôle des systèmes du CP, à Winnipeg (Manitoba), pour examen.

    1.11 Marchandises dangereuses

    1.11.1 Le produit

    Le méthanol (alcool méthylique), un produit de la classe 3.2, UN 1230, est un liquide incolore, inflammable et toxique. Son point d'éclair est de 11 ° C. Ce produit présente des dangers d'incendie et ses vapeurs risquent de causer une explosion. La limite inférieure d'explosivité du méthanol est de 6 p. 100, et sa limite supérieure d'explosivité est de 36,5 p. 100 par volume. Ses vapeurs sont plus lourdes que l'air, elles se répandent au ras du sol, et s'accumulent dans les espaces confinés et bas comme les égouts et les sous-sols. Le méthanol est considéré comme étant toxique s'il est ingéré ou s'il vient en contact avec la peau, puisqu'il s'attaque au système nerveux. Une simple ingestion de moins de 30 millilitres de méthanol (environ une once) peut causer la mort.

    1.11.2 Intervention d'urgence

    Vers 6 h 30, un conducteur de camion qui circulait sur la route no 3 a été témoin du déraillement et a téléphoné immédiatement en vue d'une intervention d'urgence. Le service de police et le service d'incendie sont arrivés sur les lieux en moins de sept minutes. Ils ont suivi le plan d'intervention d'urgence de la Ville de Lethbridge, évacué un secteur de 20 pâtés de maisons, et coupé l'approvisionnement en électricité et en gaz naturel dans ce secteur.

    Le CP a établi un poste de commandement sur la route no 3, à environ 1 000 mètres en amont du lieu du déraillement. Le poste de commandement pour le lieu du déraillement a été établi à environ 100 mètres du wagon-citerne le plus près. Le service d'incendie a exercé un contrôle sur ce poste, et restreint l'accès au secteur.

    Des représentants des équipes d'intervention d'urgence de la compagnie ferroviaire, de l'expéditeur, du ministère de l'Environnement de l'Alberta et de Transports Canada se sont rendus sur les lieux pour aider et pour surveiller le confinement et la récupération du méthanol.

    On a construit deux barrages de retenue, l'un à la suite de l'autre, pour contenir l'écoulement du méthanol et répartir ce dernier en nappes. Le méthanol a été dilué d'eau, pompé dans des camions-citernes et éliminé dans des décharges autorisées. Les wagons-citernes qui ont déraillé ont été vidés, puis purgés et enlevés. Le sol contaminé a été creusé puis transporté à un endroit désigné. Environ 56 000 litres de méthanol se sont écoulés dans la nature.

    Les camions de pompiers et les véhicules d'intervention d'urgence ont eu accès au lieu du déraillement par la route située au sud et par une entrée privée du côté nord de la voie. Le service d'incendie a aspergé les wagons déraillés de mousse et d'eau, et continué à le faire jusqu'à ce que le déchargement de ces derniers soit terminé.

    1.11.3 Évacuation

    Le service de police et le service d'incendie ont ordonné conjointement l'évacuation du secteur. Le secteur ne contenait que des établissements commerciaux. La route no 3, qui passait au sud du lieu du déraillement, a été fermée à la circulation. Le secteur a été évacué à partir d'environ 7 h, le 17 octobre 1994, jusqu'à 12 h, le 18 octobre 1994. La route a été rouverte le 19 octobre, vers 2 h.

    1.11.4 Wagons-citernes de catégorie 111A

    Les quatre wagons-citernes qui ont fui avaient été construits conformément aux spécifications CTC et DOT-111A. Ces wagons-citernes sont des wagons polyvalents servant au transport de liquides inflammables, d'acides et d'autres corrosifs. Ils ne sont pas conçus pour transporter des marchandises sous pression et peuvent être isolés ou non. Des protubérances sont situées sur et sous les citernes et risquent d'être endommagées par suite d'un déraillement. Les wagons-citernes de catégorie 111A ne portent habituellement pas de boucliers protecteurs et sont éprouvés à des pressions de 60 à 100 livres au pouce carré (lb/po²). Ils sont tous munis d'attelages à double plateau.

    On considère que les wagons-citernes construits conformément aux spécifications minimales prescrites DOT et CTC-111A n'assurent pas la même protection contre la perte de leur contenu que les wagons construits conformément aux spécifications DOT et CTC-105, 112 et 114. Les wagons construits conformément à ces trois dernières spécifications sont conçus pour transporter des gaz inflammables, toxiques et corrosifs, ou des liquides très toxiques, et sont munis de boucliers protecteurs, d'une protection thermique et de soupapes protectrices dans le secteur du dôme.

    L'étude de sécurité sur le transport des marchandises dangereuses par chemin de fer (NTSB/SS-91/01), publiée par le National Transportation Safety Board (NTSB) des États-Unis met en doute la sécurité des wagons-citernes de catégorie 111A. L'étude de sécurité a déterminé que la perte d'intégrité de la citerne a une fréquence élevée parmi les wagons-citernes de ce type mis en cause dans un accident et que certaines marchandises dangereuses sont transportées dans ces wagons même si des wagons mieux protégés sont disponibles.

    1.12 Essais et recherche

    L'examen en laboratoire des morceaux de rail a révélé la présence de fissures dues à la fatigue le long de l'âme du rail, sous le champignon. Les fissures variaient de 1/8 de pouce de profondeur à la pénétration complète de l'âme. Les endroits qui comportaient des fissures étaient oxydées. De nombreuses marques de rochet, indiquant l'amorce de multiples ruptures, ont été observées le long des sources de rupture examinées de l'âme. Les autres surfaces de rupture montraient des caractéristiques typiques d'une rupture catastrophique. Aucun défaut de fabrication n'a été constaté.

    1.13 Réglementation

    Transports Canada a reconnu la nécessité de restreindre davantage le transport des produits chimiques les plus dangereux ou toxiques à des wagons plus résistants, et il a pris des mesures réglementaires pour y répondre. Il a adopté une norme révisée sur les wagons-citernes (CAN/CGSB-43.147-94), qui limite davantage l'utilisation des wagons-citernes de catégorie 111A. Cette nouvelle norme interdit le transport de 80 autres marchandises dans ces wagons-citernes.

    Depuis le 1er janvier 1986, le Department of Transport des États-Unis interdit le transport de certaines marchandises (selon leur volatilité et leur toxicité par inhalation) dans les wagons-citernes de catégorie 111A aux États-Unis.

    L'anhydride acétique, classe 8, UN 1715, qu'on peut toujours transporter dans des wagons-citernes de catégorie 111A, a été l'un de plusieurs produits déversés lors des déraillements survenus à Saint-Lazare (Manitoba), le 9 juillet 1991, et à Oakville (Manitoba), le 18 décembre 1992, qui ont empêché les résidants de rentrer chez eux pendant une longue période d'évacuation, à cause surtout des préoccupations perçues au sujet de la toxicité par inhalation de cette marchandise.

    2.0 Analyse

    2.1 Introduction

    L'exploitation du train était conforme aux instructions de la compagnie et aux normes de sécurité du gouvernement. Rien n'indique qu'une défaillance du matériel ait causé l'accident. Par conséquent, le déraillement est attribuable à la rupture d'un rail au point milliaire 108,05, au moment oû la partie arrière du train y circulait. L'analyse portera sur la rupture du rail et le déversement du produit réglementé.

    2.2 Examen des faits

    2.2.1 Rupture du rail

    La séparation du champignon et de l'âme du rail, c'est-à-dire le problème constaté dans l'événement en question, constitue un type de rupture due à la fatigue qui est causée par la torsion du champignon. Cette séparation se produit souvent dans les courbes. Même si un surhaussement ou un dévers insuffisant du rail peut produire la charge décentrée qui engendre les efforts de torsion, on estime que ce tronçon de rail dépassait les limites critiques du CP et avait tout simplement été en service trop longtemps.

    L'oxydation constatée à l'endroit oû l'âme s'est séparée du champignon du rail indique qu'il y avait eu fissuration pendant un certain temps avant la rupture. Ce genre de défaillance est toutefois difficile à voir, et elle n'aurait pas pu être constatée au cours des inspections courantes effectuées à bord des véhicules rail-route. Le dernier essai aux ultrasons avait été effectué 11 mois auparavant, et il est possible que la défaillance n'existait pas à ce moment-là.

    Près de deux semaines avant l'événement, le dispositif optique de mesure de l'usure des rails a déterminé que l'usure du champignon du rail en question était de 9/16 de pouce, soit 3/16 de pouce de plus que la limite critique. Cependant, lorsqu'on a mesuré l'usure du champignon sur le terrain, elle était de 1/2 pouce. De la même façon, la mesure optique a indiqué que l'usure latérale du rail était de 1/16 de pouce, tandis que l'usure latérale mesurée sur le terrain était de 7/16 de pouce. Apparemment, on ne savait pas qu'une représentation graphique plate de l'usure du rail signifiait dans les faits qu'aucune information n'avait été enregistrée et que le système optique de mesure de l'usure des rails ne pouvait pas mesurer l'écartement d'un rail à champignon chanfreiné usé.

    2.2.2 Intervention relative à la marchandise dangereuse

    Les premiers intervenants se sont vite rendu compte des dangers que présentait le déversement de la marchandise dangereuse, et ils ont pris des mesures opportunes et efficaces pour réduire au minimum les risques auxquels le public et l'environnement ont été exposés.

    Le déchargement des wagons et le nettoyage des lieux ont été exécutés avec professionnalisme.

    Même si 56 000 litres de méthanol se sont déversés, le méthanol a été dilué d'eau et s'est sans doute dégradé rapidement. Les dommages causés à l'environnement ont été minimes et de courte durée.

    2.3 Wagons-citernes de catégorie 111A

    Il existe de nombreuses preuves de la tendance qu'ont les wagons-citernes de catégorie 111A à laisser échapper leur contenu au moment d'un déraillement et d'un choc. Néanmoins, on continue à transporter divers produits très dangereux dans ces wagons.

    2.4 Marchandises dangereuses toxiques par inhalation

    Ce déraillement a entraîné le déversement d'une grande quantité d'une marchandise inflammable et toxique dans une zone urbaine, tout près d'établissements commerciaux. La marchandise en question fait partie des nombreuses marchandises toxiques et volatiles qu'il est encore permis de transporter dans des wagons-citernes de catégorie 111A. On a fait évacuer le secteur surtout pour protéger le lieu de l'accident contre les sources d'allumage. D'autres cas récents ont aussi entraîné des évacuations soit en raison des inquiétudes créées par le caractère dangereux du liquide, soit pour dissiper les craintes de la population à propos de nuages suspects ou d'odeurs inhabituelles. Même si les évacuations incitées par le seul désir d'apaiser les craintes du public ne sont peut-être pas justifiées, il est aussi vrai que d'autres décisions d'évacuer ont été prises en raison des dangers d'inhalation de ces produits (comme l'anhydride acétique).

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis

    1. L'exploitation du train était conforme aux instructions de la compagnie et aux normes de sécurité du gouvernement.
    2. Le rail comportait des fissures dues à la fatigue, qui existaient depuis un certain temps et qui n'avaient jamais été décelées, le long du raccord situé sous le champignon, qui se sont propagées sous l'effet des efforts exercés par le passage du train. Cette propagation des fissures a forcé l'âme à se séparer du champignon, et, finalement, causé la rupture du rail. La rupture du rail a entraîné le déraillement du train.
    3. Le tronçon de rail qui s'est rompu dépassait les limites critiques d'usure des rails, comme l'avait déterminé la voiture Test du CP deux semaines avant le déraillement. Cependant, le personnel local d'entretien de la voie n'en avait pas encore été avisé.
    4. Le système optique de mesure de l'usure des rails ne pouvait mesurer l'usure des rails à champignon chanfreiné usés.
    5. L'intervention d'urgence a été effectuée de manière opportune et efficace, ce qui a réduit au minimum les risques pour le public et l'environnement.
    6. Les wagons-citernes de catégorie 111A sont plus vulnérables que les wagons-citernes sous pression aux déversements de produits à la suite d'un déraillement ou d'un choc, et pourtant on permet encore le transport de divers liquides toxiques et volatils dans ces wagons-citernes, qui ne répondent qu'à des spécifications minimales.

    3.2 Cause

    Le déraillement a été causé par la rupture d'un rail occasionnée par la propagation de fissures dues à la fatigue qui n'avaient pas été décelées; l'usure du rail avait dépassé les limites critiques.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures prises

    4.1.1 Recherche et développement en matière de technologie d'inspection des rails

    Un projet conjoint visant à faire l'essai et à mettre au point une nouvelle technologie d'inspection des rails est présentement en cours au Centre de développement des transports, auquel participent le Canadien National, le Canadien Pacifique Limitée, la Tektrand International Inc., la Canac International Inc. et Transports Canada. Le projet portera surtout sur les questions suivantes : la qualité du matériel et de la technologie d'essai; les méthodes de collecte de données et les procédés d'analyse; et les technologies de rechange pour l'amélioration des essais des rails. De plus, l'industrie examine actuellement des moyens de perfectionner l'actuelle technologie des essais aux ultrasons, qui comporte l'affichage des défaillances pour assurer un système plus convivial susceptible de réduire les risques d'erreur.

    4.1.2 Restrictions à l'utilisation des wagons-citernes de catégorie 111A - Transports Canada

    L'annexe de modifications no 21 du Règlement sur le transport des marchandises dangereuses rend obligatoire l'utilisation des wagons-citernes qui satisfont à la norme CAN/CGSB-43.147-94. Cette norme limite l'utilisation des wagons-citernes de catégorie 111A et empêche plus de 80 marchandises dangereuses à être transportées dans les wagons-citernes de catégorie 111A.

    4.1.3 Symposium international sur la sécurité des wagons-citernes

    À la suite de consultations entre Transports Canada et la Federal Railroad Administration (FRA), un symposium intitulé « Ensuring Tank Car Safety » s'est tenu à Houston au Texas, en février 1996 pour examiner, entre autres, les déversements de produits récents à partir des raccords supérieurs des wagons-citernes de catégorie 111A. Cette initiative commanditée par Transports Canada et la FRA regroupait aussi des représentants de l'Association des chemins de fer du Canada, de l' Association of American Railroads, du Railway Progress Institute, de compagnies ferroviaires canadiennes et américaines, de même que d'autres personnes intéressées. Les résultats de ce symposium n'ont pas encore été publiés.

    4.1.4 Améliorations à la logique de traitement

    Au moment de l'accident, il y avait un problème au niveau du dispositif optique de mesure de l'usure des rails en ce sens que l'appareil continuait d'afficher les «dernières lectures valides» alors qu'en fait, dans ces secteurs, l'appareil ne parvenait à enregistrer «aucune lecture valide». On aurait pu interpréter ces données invalides comme étant des mesures d'usure réelles. Cette logique de traitement pour le calcul et l'affichage des données d'usure entre le côté intérieur et le centre des rails à champignon chanfreiné a depuis été changée de manière à ce que le problème ne se reproduise plus.

    4.1.5 Améliorations apportées au temps requis pour signaler les anomalies

    Les chefs de canton du CP reçoivent maintenant les rapports sur les anomalies dans les 10 jours qui suivent un essai, comparativement à un délai de quatre semaines, qui était l'usage au moment de l'événement.

    4.2 Mesures à prendre

    4.2.1 Wagons-citernes de catégorie 111A : vulnérabilité aux dommages et aux pertes de produits

    Les wagons-citernes de catégorie 111A sont des wagons utilitaires sans pression qui servent à transporter toute une gamme de liquides dont plusieurs sont dangereux. Ils représentent plus de la moitié de tous les wagons-citernes en service en Amérique du Nord. La majorité des quelque 64 000 wagons-citernes sans pression qui transportent des liquides dangereux en Amérique du Nord sont des wagons de catégorie 111A.

    Les dommages subis par les wagons-citernes de catégorie 111A mis en cause dans cet événement et les risques posés par le déversement de produit subséquent sont représentatifs de problèmes qui ont déjà été relevés par le BST au cours d'enquêtes antérieures sur des accidents mettant en cause des wagons de ce type. Dans l'événement en question, on a donné ordre d'évacuer en raison de l'inflammabilité du méthanol. Deux autres événements ont nécessité des évacuations à cause du déversement d'anhydride acétique de wagons-citernes de catégorie 111A à Saint-Lazare (Manitoba), le 9 juillet 1991 (rapport no R91W0189 du BST) et à Oakville (Manitoba), le 18 décembre 1992 (rapport no R92W0300 du BST).

    L'ensemble de l'industrie ferroviaire nord-américaine, y compris les organismes de réglementation, sait depuis un bon bout de temps que les wagons-citernes de catégorie 111A sont vulnérables aux dommages. Selon le rapport spécial no 243 (1994) du Transportation Research Board des États-Unis intitulé Ensuring Railroad Tank Car Safety Note de bas de page 2, les wagons-citernes sans pression (catégorie dont les wagons-citernes de catégorie 111A forment la majorité) sont responsables de plus de 80 p. 100 des déversements de produits survenus à la suite d'accidents, tout en n'ayant accumulé que 60 p. 100 du millage parcouru par l'ensemble des wagons-citernes. Réciproquement, les wagons-citernes sous pression sont responsables de moins de 20 p. 100 des déversements à la suite d'accidents même s'ils ont parcouru environ 40 p. 100 du millage. Le rapport attribue, en partie, les meilleures performances des wagons-citernes sous pression au fait que la paroi de ces wagons est plus épaisse et que les raccords de ces wagons sont mieux protégés. (Même si le rapport ne fait référence qu'à des données avant 1986, le Bureau n'a connaissance d'aucune tendance qui altérerait ces pourcentages de façon considérable au cours des dernières années.)

    Un examen des données récentes recueillies par le BST sur des événements mettant en cause des wagons-citernes au Canada indique qu'environ 7 p. 100 des wagons-citernes de catégorie 111A mis en cause dans des déraillements ou des collisions ont donné lieu à des déversements de produits, comparativement à environ 1 p. 100 pour ce qui est des wagons-citernes sous pression (catégories 105, 112 et 114) mis en cause dans des accidentsNote de bas de page 3. Plus de 60 p. 100 des déversements de produits des wagons de catégorie 111A se sont produits au niveau des raccords supérieurs endommagés, plus de 25 p. 100 ont été causées par des défaillances de structure de la citerne, la plupart quand la paroi ou la tête a été percée, et environ 10 p. 100 sont survenus au niveau des raccords inférieurs. Contrairement aux wagons-citernes sous pression, aucun règlement n'exige que les raccords supérieurs des wagons-citernes de catégorie 111A soient protégés par des gardes ou des dispositifs contre les renversements et aucun règlement ne précise l'endroit oû ces raccords doivent se situer.

    Le Bureau est conscient que l'industrie songe à mettre au point un wagon-citerne hybride polyvalent amélioré qui devrait satisfaire à une norme minimale acceptable et qui se situerait en matière de qualité quelque part entre les wagons de catégories 111A et 105A actuels. En outre, le Bureau constate que certains wagons de catégorie 111A dépassent certaines des normes de sécurité prescrites, ce qui les rend plus acceptables à des usages particuliers et moins vulnérables aux déversements de produits à la suite de déraillements ou de collisions.

    Puisque les wagons-citernes de catégorie 111A sont vulnérables aux déversements de produits lors d'un accident, le Bureau est préoccupé par le fait que le transport de certaines marchandises dangereuses dans ces wagons puisse poser des risques pour les personnes et l'environnement dans les environs immédiats du lieu d'un accident. On s'inquiète particulièrement au sujet des marchandises dangereuses qui ont un indice de toxicité par inhalation élevé (une caractéristique qui dépend de la toxicité liquide et de la volatilité).

    Pour diminuer les risques associés au transport de ces marchandises, les États-Unis ont pris des mesures en 1986 pour empêcher le transport de certaines marchandises dangereuses à toxicité par inhalation élevée ou très volatiles dans les wagons-citernes de catégorie 111A. Au Canada, l'entrée en vigueur de la nouvelle norme (CAN/CGSB-43.147-94) est une mesure positive semblable qui devrait contribuer à réduire les risques. Par contre, il est encore permis de transporter un grand nombre de liquides toxiques ou volatils dans les wagons-citernes de catégorie 111A au Canada, et même des États-Unis à destination du Canada. Certains des produits qui ont des caractéristiques de toxicité par inhalation sont transportés en quantités importantesNote de bas de page 4. Certains autres ne sont transportés en vrac que de temps à autre, mais ils n'en sont pas moins d'une toxicité par inhalation élevéeNote de bas de page 5. Certains autres encore, tout en étant toxiques, peuvent aussi être explosifs s'ils sont mélangés à l'airNote de bas de page 6.

    Étant donné que les wagons-citernes de catégorie 111A ont une plus grande probabilité de déverser leur contenu lors d'un accident, surtout à cause des dommages aux raccords supérieurs des wagons, et compte tenu du grand nombre de wagons de catégorie 111A encore en service qui pourraient transporter des liquides toxiques et volatils, le Bureau est d'avis que d'autres mesures s'imposent. On pourrait diminuer les risques en réduisant la possibilité d'un déversement de produit si l'on améliorait la conception des dispositifs de protection des wagons, surtout au niveau des raccords supérieurs, ou en réduisant les conséquences des accidents en limitant davantage les types de produits qui peuvent être transportés dans les wagons-citernes de catégorie 111A. Le Bureau reconnaît que, pour ce faire, des organismes comme l'Office des normes générales du Canada, la Federal Railroad Administration des États-Unis et le comité des wagons-citernes de l' Association of American Railroad s devront collaborer. Néanmoins, le Bureau recommande que :

    Le ministère des Transports prenne immédiatement les mesures qui s'imposent pour réduire davantage la possibilité d'un déversement accidentel des marchandises dangereuses les plus toxiques et les plus volatiles qui sont transportées dans les wagons-citernes de catégorie 111A -- par exemple, exiger que la conception des wagons-citernes soit modifiée afin d'améliorer leur intégrité structurale lors d'accidents ou limiter davantage les produits qui peuvent être transportés dans ces wagons.
    Recommandation R96-13 du BST

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, Benoît Bouchard, et des membres Maurice Harquail et W.A. Tadros.