Rapport d'enquête ferroviaire R94T0072

Déraillement
CN Amérique du Nord
Train numéro 380-06
Point milliaire 8, 7, subdivision York
Markham (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Vingt-deux wagons d'un train de marchandises du CN Amérique du Nord (CN) qui roulait vers l'est, soit les 62e à 83e derrière les locomotives, ont déraillé alors que le train abordait une courbe au point milliaire 8,7 de la subdivision York, à deux milles à l'est de Markham (Ontario). Aucune marchandise dangereuse n'a été mise en cause, et le déraillement n'a pas fait de blessé.

    Le Bureau a déterminé que le déraillement a été causé par la rupture d'un champignon de rail occasionnée par une fissure verticale du champignon qui n'avait pas été décelée.

    1.0 Renseignements de base

    1.1 L'accident

    Le 6 mars 1994, à 17 h 15, heure normale de l'Est (HNE), le train de marchandises no 380-06 (train no 380) du CN Amérique du Nord (CN) est parti du triage MacMillan du CN à Toronto (Ontario) par la subdivision York à destination de Montréal (Québec), à l'est.

    Comme le train roulait dans une courbe à droite de deux ° dans le sens de la marche au point milliaire 8,7, les freins d'urgence se sont déclenchés. Après avoir effectué les mesures d'urgence voulues, un membre de l'équipe a longé le train et constaté que les 62e à 83e wagons derrière les locomotives avaient déraillé.

    Il n'y a pas eu de blessé, et aucune marchandise dangereuse n'a été mise en cause.

    1.2 Dommages au matériel

    Dix-huit wagons ont subi des dommages considérables, et trois autres ont été légèrement endommagés.

    1.3 Autres dommages

    L'argile qu'un wagon transportait s'est répandue partout dans le secteur du déraillement. Cinq wagons de produits de papier et deux wagons-citernes de caprolactame sont restés intacts, et on a pu en récupérer le contenu.

    La voie principale a été détruite sur 1 700 pieds, et un pont ferroviaire a subi de légers dommages.

    1.4 Renseignements sur le personnel

    L'équipe de conduite du train no 380 se composait d'un chef de train et d'un mécanicien. Ils répondaient aux exigences de leurs postes respectifs et satisfaisaient aux exigences en matière de repos et de condition physique.

    1.5 Renseignements sur le train

    Le train se composait de 42 wagons chargés et de 50 wagons vides tirés par deux locomotives. Il mesurait environ 5 320 pieds de long et pesait quelque 6 600 tonnes. Il ne transportait pas de marchandises dangereuses.

    Le train a quitté le triage MacMillan de Toronto après avoir subi un essai de frein et une inspection. On n'avait décelé aucune anomalie.

    1.6 Particularités de la voie

    La subdivision est une voie principale simple qui s'étend de l'est à l'ouest. La vitesse autorisée par l'indicateur est de 50 mi/h pour les trains de marchandises. Les trains de voyageurs ne figurent pas dans l'indicateur. Il n'y avait pas d'ordre de limitation de vitesse qui s'appliquait à ce secteur au moment du déraillement. En moyenne, il passe 16 trains par jour dans ce secteur.

    La destruction de la voie a débuté à l'entrée d'une courbe à droite de deux ° de 1 000 pieds de long dans le sens de la marche, sur une pente descendante de 0,7 p. 100. Il n'y avait pas d'écarts soudains du nivellement transversal avant le secteur du déraillement.

    Le rail nord se composait de longs rails soudés (LRS) Sydney de 136 livres, laminés et posés en mai 1993. Le rail sud était formé de LRS Algoma de 136 livres, laminés et posés en 1984. Les rails étaient retenus par quatre crampons par traverse sur des selles ordinaires et reposaient sur des traverses en bois dur, posées à raison de 3 250 traverses par mille de voie. Des anticheminants encadraient une traverse sur deux.

    Le ballast est de laitier, les cases sont garnies, et les épaulements s'étendent sur un pied de chaque côté. La plate-forme consistait dans un talus de 20 pieds de haut.

    1.7 Méthode de contrôle du mouvement des trains

    Le mouvement des trains est régi dans ce secteur par la commande centralisée de la circulation (CCC) et dirigé par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) posté à Toronto.

    1.8 Conditions météorologiques

    Le ciel était couvert, la visibilité était illimitée, et la température s'élevait à cinq ° C.

    1.9 Renseignements consignés

    Les données du consignateur d'événements ont révélé que les freins d'urgence du train se sont déclenchés tandis que le train roulait à une vitesse de 47 mi/h, la manette des gaz en position no 8.

    1.10 Renseignements sur le lieu de l'événement

    Le point milliaire 8,7 de la subdivision York se trouve à quelque 3 km au sud-est de la ville de Markham (Ontario). La voie passe à environ 100 mètres au sud de bâtiments d'exploitation agricole et d'une maison, et un pont ferroviaire enjambe l'avenue Steeles dans le secteur du déraillement.

    Les trois premiers wagons qui ont déraillé sont restés attelés au train et ont parcouru 1 700 pieds avant de s'immobiliser à la verticale sur la voie. Les trappes de chargement inférieures du troisième wagon (ACFX459854) ont été endommagées lorsque le wagon a continué de rouler après avoir déraillé et qu'il a répandu son contenu (de l'argile en poudre) sur le talus.

    Les 19 wagons suivants se sont tamponnés du côté sud du talus à environ 300 pieds à l'est du point milliaire 8,7 et se sont immobilisés dans diverses positions.

    Il était visible que le rail nord avait subi un déplacement latéral, mais il était resté intact dans tout le secteur du déraillement. Le rail sud s'était toutefois rompu au point milliaire 8,7 et avait été déplacé et enterré sous l'amas des wagons qui avaient déraillé. Au point de rupture, le champignon de rail présentait une fissure oû la corrosion atteignait l'âme et qui s'étendait sur environ deux pieds vers l'ouest. Des morceaux de rail ont été trouvés à proximité du point de rupture du rail; le côté intérieur du champignon du rail manquait.

    L'usure totale du rail sud était de 18 mm avant le point de rupture et de 21 mm au point qu'on a estimé comme étant le milieu de la courbe. La compagnie ferroviaire s'était rendu compte du degré d'usure et avait prévu de remplacer le rail à l'été 1994.

    1.11 Autres renseignements

    1.11.1 L'évacuation

    Les résidants de trois maisons de ferme situées dans un rayon de 500 mètres du secteur du déraillement ont été évacués durant quelque quatre heures pendant lesquelles on a déterminé qu'aucune marchandise dangereuse n'était en cause dans le déraillement.

    1.11.2 Inspections des rails

    Transports Canada avait inspecté ce tronçon de voie le 13 avril 1993 et n'avait décelé aucune anomalie.

    La dernière fois, la voie avait été inspectée le 3 mars 1994 par un superviseur adjoint de la voie, qui n'avait remarqué aucune anomalie.

    Le 19 avril et le 2 décembre 1993, la subdivision York avait subi un essai aux ultrasons qui n'avait pas décelé de défaillances aux environs du point milliaire 8,7.

    1.11.3 Limites d'usure des rails

    Les Circulaires sur les méthodes normalisées d'entretien de la voie des Services de génie du CN stipulent qu'il faut remplacer les rails de 136 livres lorsque l'usure du champignon et l'usure latérale combinées atteignent 23 mm.

    1.11.4 Fissure verticale du champignon

    Une fissure verticale du champignon est une rupture longitudinale progressive de ce dernier dont la fissure se propage verticalement au milieu du champignon ou près du milieu. Elle s'étend rapidement lorsqu'une fissure s'est ouverte. Cette défaillance de rail met les trains en danger, car elle n'est d'ordinaire visible à la surface qu'après avoir atteint plusieurs pieds de long. Comme la fissure verticale du champignon se propage longitudinalement, elle altère d'habitude une partie considérable de la voie en se développant.

    Dans nombre de cas, une rupture catastrophique du champignon due à cette fissure verticale du champignon altère assez l'écartement de la voie pour qu'une roue tombe à l'intérieur du rail.

    1.11.5 Essais aux ultrasons

    La Pandrol Jackson Technologies Inc. fournit un service d'essais aux ultrasons au CN. Le système d'essais tente de repérer les défaillances de rail selon un critère prédéfini. La technique d'essais repose sur la capacité des ondes ultrasoniques à se propager dans le rail et à se réfléchir sur les discontinuités comme les vides ou les fissures.

    2.0 Analyse

    2.1 Introduction

    L'exploitation du train no 380 était conforme aux instructions de la compagnie et aux normes de sécurité du gouvernement : elle n'a donc pas contribué au déraillement. L'analyse se concentrera sur l'intégrité du rail et les méthodes d'inspection des rails.

    2.2 Examen des faits

    2.2.1 Fissure verticale du champignon

    D'après l'examen visuel qui a suivi le déraillement, l'intégrité du rail sud a été compromise par une fissure verticale du champignon au point milliaire 8,7. Le champignon s'est rompu lorsque le train no 380 a franchi l'endroit (sous le 62e wagon selon toute probabilité). Les roues sont tombées sur l'âme et le patin du rail et ont rompu ce dernier, ce qui a entraîné la destruction de la voie et le déraillement des 21 wagons suivants.

    Les fissures sur le champignon rompu et les dépôts de corrosion trouvés sous le champignon indiquent clairement la présence d'une défaillance bien développée. Rien n'indique que d'autres anomalies aient contribué à l'accident.

    2.2.2 Inspection des rails et essais aux ultrasons

    Le dernier essai aux ultrasons des lieux qui a été fait environ trois mois avant le déraillement n'a pas révélé l'existence d'une défaillance de rail au point milliaire 8,7. Il se peut que la fissure verticale du champignon n'existait pas ou n'en était qu'à son début.

    La longueur de la fissure verticale du champignon et l'ampleur de la corrosion portent à croire que la défaillance existait au moment de la dernière inspection visuelle de la voie, trois jours avant le déraillement. De telles inspections, effectuées à bord de véhicules rail-route, ont peu de chances de permettre la détection de ce type de défaillance.

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis

    1. L'exploitation du train au moment du déraillement était conforme aux instructions de la compagnie et aux normes de sécurité du gouvernement.
    2. Le déraillement a été causé par la rupture du champignon d'un rail occasionnée par une fissure verticale du champignon.
    3. L'inspection visuelle des rails effectuée trois jours avant le déraillement n'a pas permis de déceler la fissure verticale du champignon même si cette dernière devait alors exister.
    4. Trois mois avant le déraillement, le matériel d'essais aux ultrasons des rails n'a pas décelé la fissure verticale du champignon.
    5. L'usure du rail à l'endroit en question atteignait presque la limite critique, et on avait prévu de le remplacer.

    3.2 Cause

    Le déraillement a été causé par la rupture d'un champignon de rail occasionnée par une fissure verticale du champignon qui n'avait pas été décelée.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures prises

    4.1.1 Recommandations du Bureau de la sécurité des transports du Canada

    En janvier 1993, le Bureau a recommandé que le ministère des Transports refasse l'évaluation des exigences des compagnies ferroviaires canadiennes en ce qui a trait aux inspections des rails de voie principale, en tenant compte de l'âge des rails et du type de trafic (R92-23). Le Bureau a aussi recommandé que le ministère des Transports commandite la recherche visant à améliorer les méthodes actuelles d'inspection des rails (R92-24). Transports Canada a répondu qu'il avait évalué son règlement et ses normes sur la sécurité de la voie et qu'il était convaincu qu'ils étaient conformes aux autres normes des États-Unis et de l'industrie canadienne. Il allait toutefois suivre les recherches sur la sécurité de la voie et participer financièrement à la recherche et au développement de technologies dans la mesure oû les ressources le permettent.

    En mai 1993, la fréquence et les conséquences possibles des défaillances de rails non décelées ont amené le Bureau à recommander que le ministère des Transports réévalue les procédures et le matériel d'inspection des rails en voie principale propres aux compagnies ferroviaires canadiennes pour identifier les défaillances des rails sur les voies en courbe et les fissures verticales de champignon (R93-01). Le Bureau a aussi recommandé que le ministère des Transports évalue la pertinence de la formation et les conditions de travail des opérateurs des véhicules d'inspection des rails (R93-02). En réponse à ces recommandations, Transports Canada a indiqué qu'il se penchait sur l'efficacité des essais de rails sur toutes les voies et examinait les bandes sortie des essais pour déterminer les erreurs.

    4.1.2 Détection des défaillances de rails

    Le travail que le CN et son entrepreneur de détection des défaillances de rails accomplissent a permis d'apporter plusieurs améliorations à la détection. En voici des exemples :

    1. On a remplacé les chariots coulissants des véhicules de détection des défaillances de rails par des roues équipées de transducteurs pour améliorer le contact avec la surface du rail et l'interface entre le rail et la roue-sonde. Les problèmes de tracé ont été résolus par une mesure du gauchissement et une mesure de variation du dévers.
    2. Le nombre de transducteurs a été augmenté pour qu'un «réseau» de transducteurs couvre complètement un angle de contrôle de 70 °.
    3. La gestion et l'emmagasinage des données sur la détection des défaillances de rails ont été améliorés pour faciliter les perfectionnements techniques.
    4. Les rapports de détection des défaillances de rails contiennent maintenant un champ «bon correctif» pour aider le superviseur de la voie à établir l'ordre de priorité des travaux à effectuer pour remédier aux défaillances de rails et à accomplir ces travaux.
    5. Les véhicules de détection des défaillances de rails produisent un «rapport d'exception» lorsque la neige, la graisse, l'usure d'un rail, une exfoliation ou d'autres facteurs ont partiellement empêché l'essai. Les endroits de la voie correspondants font ensuite l'objet d'une inspection visuelle.
    6. On a élaboré un système d'auscultation «objectif» qui présente une fonction perfectionnée de reconnaissance des formes. Il fait actuellement l'objet d'une validation. Il permettrait d'inspecter les rails à des vitesses supérieures.

    4.1.3 Groupe de travail sur l'inspection des rails

    Transports Canada a indiqué qu'il projetait de constituer un groupe de travail pour examiner l'avenir dans le domaine de l'inspection des rails. Il invitera l'industrie ferroviaire et des représentants des entrepreneurs d'inspection de rails à en faire partie.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Gerald E. Bennett, Zita Brunet, l'hon. Wilfred R. DuPont et Hugh MacNeil.