Rapport d'enquête ferroviaire R95T0152

Canadien pacifique limitée
Train de marchandises numéro 921-17
et 3rd Emery du CP
Point milliaire 1,5, subdivision North Toronto
Toronto (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Un train du Canadien Pacifique Limitée (CP), roulant en direction ouest, est entré en collision avec l'arrière d'un train qui était immobilisé au point milliaire 1,5 de la subdivision North Toronto. Les deux derniers wagons du train immobilisé ont déraillé et ont subi des dommages considérables. La locomotive du train en mouvement a été lourdement endommagée. Deux membres de l'équipe du train ont été légèrement blessés.

    Le Bureau a déterminé que la collision a été causée par le fait que le train roulait trop vite pour que le mécanicien aux commandes puisse arrêter le mouvement avant d'atteindre le matériel roulant immobilisé. Les effets de l'alcool ont pu contribuer à la décision prise par le mécanicien de rouler à une vitesse excessive. Les autres membres de l'équipe n'ont apparemment pas remarqué l'état du mécanicien et ne lui ont pas non plus signalé que le train roulait à une vitesse dangereuse.

    1.0 Renseignements de base

    1.1 L'accident

    Le train de marchandises no 921-17 (train 921) en direction ouest part du triage Toronto, point milliaire 197,0 de la subdivision Belleville du Canadien Pacifique Limitée (CP), et doit se rendre à Windsor (Ontario). Le train 921 quitte le triage Toronto et roule en direction ouest dans la subdivision Belleville sur une distance d'environ neuf milles. La subdivision Belleville bifurque à Leaside (point milliaire 206,3 de la subdivision Belleville et point milliaire 0,0 de la subdivision North Toronto), et la route directe devient alors la subdivision North Toronto. Le train 921 poursuit sa route en direction ouest sur la voie principale nord de la subdivision North Toronto. La circulation ferroviaire est retardée par un encombrement à la hauteur d'un dispositif d'aiguillage, et le train 921 est arrêté par un signal, le dernier wagon se trouvant au point milliaire 1,5. Les freins du train sont desserrés, et le frein moteur maintient le train en position immobile.

    Le train 3rd Emery est une manoeuvre exploitée quotidiennement, qui dessert des industries de Toronto et des alentours. Le matin du 18 mai 1995, le 3rd Emery reçoit son ordre de marche au triage Toronto à 9 h 30 Note de bas de page 1. Le 3rd Emery quitte le triage Toronto à 11 h, à destination de Leaside, où l'équipe doit procéder à des manoeuvres.

    En arrivant près du triage Leaside sur la voie principale nord, le chef de train du 3rd Emery s'aperçoit qu'ils sont aiguillés par erreur sur la liaison menant à la voie principale sud. Le mécanicien arrête le train, mais pas avant d'avoir dépassé le signal 2063-2. On appelle par radio le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) pour l'aviser de l'erreur d'aiguillage. Le CCF ignore que le 3rd Emery doit effectuer des manoeuvres au triage Leaside. Par la suite, il autorise un mouvement en marche arrière pour que le train puisse dégager le signal et la liaison et retourner sur la voie principale nord. Pour accéder au triage Leaside, on passe par un aiguillage à manoeuvre manuelle équipé d'un verrou électrique, qui est situé sur la voie principale nord à quelque 1 500 pieds à l'ouest du signal 2063-2.

    Le canton qui se trouve devant le 3rd Emery est occupé par l'arrière du train 921. Le signal 2063-2 affiche une indication d'arrêt absolu. Pour générer un signal de marche à vue permettant au 3rd Emery de s'engager dans ce canton, le CCF doit activer une commande appelée «signal permissif». Le CCF active le «signal permissif», et un signal de marche à vue est affiché. Il n'avertit pas l'équipe du 3rd Emery du fait que le train 921 les précède dans le canton, et il n'est pas tenu de le faire en vertu des règlements en vigueur ou des méthodes de la compagnie.

    Un signal de marche à vue exige que les trains roulent à vitesse de marche à vue jusqu'au signal suivant. La vitesse de marche à vue est une «vitesse qui permet l'arrêt en deçà de la moitié de la distance de visibilité d'un matériel roulant» et qui ne doit jamais dépasser 15 mi/h.

    L'équipe du 3rd Emery accepte le signal de marche à vue et s'engage dans le canton, oriente l'aiguillage à Leaside et dégage la voie principale nord. Une fois les manoeuvres terminées, le train revient sur la voie principale, et l'aiguillage est replacé à la position normale. L'aiguillage est laissé en position renversée pendant que le 3rd Emery se trouve à l'extérieur de la voie principale nord.

    L'équipe du 3rd Emery communique ensuite avec le CCF pour l'informer qu'elle a fini son travail à Leaside et qu'elle aimerait éventuellement revenir dans la subdivision MacTier. L'équipe repart en direction ouest et accélère jusqu'à une vitesse de 26 mi/h, même si elle croit être encore régie par le signal de marche à vue. Vers 12 h 20, en sortant d'une courbe de deux °, le 3rd Emery arrive sur l'arrière du train 921 qui est immobilisé devant lui. Le mécanicien serre les freins d'urgence, mais il est trop tard pour éviter la collision entre la locomotive de tête du 3rd Emery et le dernier wagon du train 921. La collision fait dérailler les deux derniers wagons du train 921.

    1.2 Dommages au matériel

    La locomotive du 3rd Emery et le dernier wagon du train 921 ont subi des dommages considérables. L'avant-dernier wagon du train 921 a subi des dommages minimes.

    1.3 Autres dommages

    La voie ferrée a subi des dommages mineurs sur une centaine de pieds. La clôture longeant l'emprise nord de la voie a été détruite sur une distance de 100 pieds.

    1.4 Renseignements sur le personnel

    L'équipe du 3rd Emery se composait d'un mécanicien, d'un chef de train, d'un agent de train et d'un apprenti chef de train. Le chef de train était posté dans le fourgon de queue, et les autres membres de l'équipe étaient dans la cabine de conduite de la locomotive.

    Le mécanicien, le chef de train, l'agent de train et l'apprenti chef de train satisfaisaient aux exigences en matière de condition physique et de repos. Tous les membres de l'équipe ont aussi affirmé qu'ils satisfaisaient aux exigences de repos et de condition physique au moment de se présenter au travail; toutefois, le mécanicien a admis avoir consommé de l'alcool jusqu'à un peu après minuit (environ neuf heures et demie avant de prendre son service).

    1.5 Renseignements sur le train

    1.5.1 Train 921 du CP

    Le train 921 se composait de 3 locomotives, de 32 wagons chargés et de 56 wagons vides. Il pesait environ 6 250 tonnes et mesurait quelque 6 430 pieds. Il y avait 15 wagons de marchandises dangereuses dans le train : 13 wagons chargés et 2 wagons de résidus. Le wagon de marchandises dangereuses qui se trouvait le plus près de l'arrière était chargé d'acide sulfurique et il était le 12e à partir de l'arrière.

    1.5.2 Manoeuvre 3rd Emery du CP

    Le train, qui était parti du triage Leaside après avoir effectué des manoeuvres, se composait d'une locomotive, de quatre wagons chargés et d'un fourgon de queue. Il pesait environ 430 tonnes et mesurait près de 300 pieds. Il ne comptait aucun wagon de marchandises dangereuses.

    1.6 Renseignements sur l'état mécanique

    L'équipe du 3rd Emery a fait un essai du circuit de freinage avant le départ du triage Leaside et a constaté que tout fonctionnait de la façon voulue.

    1.7 Méthode de contrôle du mouvement des trains

    Dans la subdivision North Toronto, le mouvement des trains est régi par commande centralisée de la circulation (CCC) en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), et est surveillé par un CCF posté à Toronto.

    1.8 Vitesse

    L'indicateur pertinent précise qu'à moins d'avis contraire, la vitesse maximale autorisée pour les trains de marchandises est de 50 mi/h. Les trains qui comptent au moins un wagon complet, wagon porte-conteneurs ou wagon porte-remorques contenant des marchandises dangereuses spéciales, ne doivent pas dépasser la vitesse de 25 mi/h. Les trains qui comptent des wagons chargés d'autres marchandises dangereuses ne doivent pas excéder 35 mi/h.

    Dans le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses, on identifie les marchandises dangereuses spéciales comme étant celles qui risquent davantage de nuire à la sécurité du public en cas de déversement.

    1.9 Conditions météorologiques

    La température était de 16 ° C, le ciel était clair et la visibilité était illimitée.

    1.10 Renseignements consignés

    Les données du consignateur d'événements ont révélé qu'après les manoeuvres de triage, le 3rd Emery est reparti en marche avant à 12 h 17 min 33 s, la distance consignée étant de 393,156 milles. On a placé la manette des gaz à la position no 5, et le train a accéléré jusqu'à une vitesse de 26 mi/h. Il n'y a eu aucun écart de pression dans la conduite générale jusqu'à ce que la pression tombe complètement, ce qui correspondait à un serrage des freins d'urgence, à 12 h 21 min 30 s, à une distance consignée de 394,453 milles. Pendant les 11 secondes qui ont suivi, le train a continué d'avancer tandis que la vitesse tombait à 18 mi/h. À 12 h 21 min 41 s, soit à une distance consignée de 394,525 milles, la vitesse est passée de 18 mi/h à 0 mi/h en une seconde. La locomotive a parcouru une distance totale consignée de 1,369 mille après avoir terminé les manoeuvres, et a parcouru une distance consignée de 0,072 mille (380 pieds) entre l'endroit où les freins d'urgence ont été serrés et celui où le train s'est immobilisé.

    1.11 Renseignements sur le lieu de l'événement

    La voie menant au point d'impact décrit une courbe de deux ° dans laquelle la visibilité est réduite à environ 500 pieds, en raison de la végétation et de la courbure de la voie. Le signal de canton suivant, situé à l'ouest de Leaside, qui régissait les mouvements du 3rd Emery, se trouvait à 150 pieds environ du point d'impact. Il s'agissait d'un signal haut et étagé de CCC, à double aspect, qui portait une plaque montrant la lettre «R»; il était identifié comme étant le signal 15-2. Le signal le plus restrictif que le signal 15-2 peut afficher est un «signal de marche à vue».

    Les deux wagons déraillés ont enfoncé une clôture et se sont arrêtés à environ 29 pieds au nord de la voie principale nord et à 17 pieds d'une rue de la ville, Carsaw Road. Une passerelle pour piétons supportée par une structure de poutres d'acier se trouve à environ 200 pieds à l'est du lieu de la collision. L'endroit où les supports verticaux de la passerelle rejoignent le sol se trouve à 19 pieds au nord de la voie principale nord. Ces supports ne sont protégés par aucune barrière. Cette passerelle est connue sous le nom d'allée piétonnière de la MacLennan Avenue. Des enfants l'empruntent pour se rendre à une école du voisinage.

    1.12 Renseignements d'ordre médical et toxicologique

    À la demande de la compagnie ferroviaire, les membres de l'équipe du 3rd Emery se sont soumis volontairement à une analyse d'urine destinée à détecter la présence de substances réglementées et d'alcool. Les échantillons ont été remis vers 16 h, le 18 mai 1995 (environ 3 heures 1/2 après la collision). Le mécanicien a eu des résultats négatifs au test de dépistage de substances réglementées, mais des résultats positifs au test de dépistage d'alcool, lequel a révélé une concentration de 0,048 p. 100 en volume. Les résultats des tests de tous les autres membres de l'équipe ont été négatifs. Les résultats des test cliniques fournis au CP contenaient les données suivantes :

    ... on considère généralement que la concentration d'alcool dans l'urine est environ 1,3 fois plus élevée que dans le sang au moment du prélèvement des échantillons. Donc, si un échantillon d'urine contient une concentration de 0,048 p. 100 d'alcool, la concentration dans le sang pourrait être estimée à 0,037 p. 100 au moment du prélèvement.

    On croit aussi que le taux d'élimination de l'alcool dans le sang est en moyenne de 0,01 à 0,02 p. 100 par heure .... Si l'alcoolémie [du mécanicien] était de 0,037 p. 100 à 16 h le 18 mai 1995, elle devait être d'environ 0,142 p. 100 à 9 h. Ce taux d'élimination est plutôt linéaire jusqu'à la phase finale, c'est-à-dire jusqu'à ce que l'alcoolémie soit très faible. [traduction]

    Le Code criminel du Canada précise le contexte relatif aux renseignements susmentionnés au sujet du taux d'alcoolémie. Commet une infraction quiconque conduit un matériel ferroviaire ou a la garde ou le contrôle d'un matériel ferroviaire lorsque sa capacité de conduire est affaiblie par l'effet de l'alcool ou qu'il a consommé une quantité d'alcool telle que son alcoolémie est de 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang (0,080 p. 100 en volume). Bien que n'importe quelle concentration d'alcool puisse affecter la performance humaine, le niveau de 0,08 p. 100 est familier à la plupart des Canadiens et peut être vu comme le niveau à partir duquel la société considère que les risques liés à l'affaiblissement par l'alcool des facultés d'une personne qui conduit un véhicule de transport ne sont plus acceptables.

    Le CP préconise la tolérance zéro en matière de possession ou de consommation de substances enivrantes, de stupéfiants, de psychotropes ou de drogues par les employés qui sont appelés à prendre leur service ou qui effectuent leur service, conformément à la règle générale «G» du REF.

    Aucun des membres de l'équipe qui travaillaient à proximité du mécanicien n'a signalé avoir détecté des signes d'intoxication ou d'affaiblissement des facultés.

    1.13 Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada

    Les membres de l'équipe et d'autres employés de la compagnie ferroviaire ont fait part de préoccupations quant à l'interprétation de la règle 570 du REF (ENTRÉE SUR LA VOIE SANS L'INDICATION D'UN SIGNAL DE CANTON) et de la règle 575 (TRAIN OU LOCOMOTIVE RETARDÉS DANS UN CANTON), en ce qui a trait à cet accident.

    Les règles 570 et 575 permettent toutes deux que les trains se déplacent à l'intérieur du canton même s'il est possible que d'autre matériel roulant s'y trouve. Ces règles ne tiennent pas compte de l'exception qui se présente lorsqu'un train entre dans un canton sur l'indication d'un signal de marche à vue. Le signal de marche à vue est le seul signal permissif qui peut régir un mouvement qui s'engage dans un canton déjà occupé.

    1.13.1 Règle 570 du REF - Entrée sur la voie sans l'indication d'un signal de canton

    Au cours des manoeuvres à Leaside, le 3rd Emery a quitté la voie principale et a laissé l'aiguillage en position renversée et avec une protection. Si les membres de l'équipe croyaient que le signal en vertu duquel ils avaient pénétré dans le canton (signal de marche à vue) était nul à ce point, ils auraient alors dû appliquer la règle 570 du REF pour revenir sur la voie principale et auraient été régis par cette règle au moment de repartir. Il s'ensuit que le mouvement aurait été régi par une disposition moins restrictive que celle imposée à l'origine par le signal de marche à vue. La règle 570 du REF stipule en partie que :

    Le train ou la locomotive qui s'engagent dans un canton entre des signaux, à un aiguillage à manoeuvre manuelle équipé d'un verrou électrique, doivent s'approcher du prochain signal prêts à s'arrêter, tant qu'il n'est pas possible de constater, d'une part que la voie est libre jusqu'à ce signal et, d'autre part, que celui-ci présente une indication autre que celle d'ARRÊT ABSOLU ou d'ARRÊT PERMISSIF.

    En vertu de la règle 570 du REF, un mouvement doit seulement être prêt à s'arrêter au signal suivant et pourrait excéder la vitesse de marche à vue. En vertu d'un signal de marche à vue, un mouvement ne doit pas dépasser la vitesse de 15 mi/h et doit pouvoir s'arrêter en deçà de la moitié de la distance de visibilité d'un matériel roulant et l'équipe doit aussi être attentive aux ruptures de rail.

    1.13.2 Règle 575 du REF - Train ou locomotive retardés dans un canton

    Si les membres de l'équipe du 3rd Emery avaient considéré qu'ils étaient retardés dans le canton, ils auraient peut-être repris leur route en se conformant aux dispositions de la règle 575 du REF.

    La règle 575 se lit comme suit :

    Le train ou la locomotive qui, après être entrés dans un canton sur l'indication d'un signal, s'arrêtent dans ce canton ou y sont retardés, doivent s'approcher du signal suivant prêts à s'arrêter, tant que le signal ne présente pas une indication autre que celle d'ARRÊT ABSOLU ou d'ARRÊT PERMISSIF.

    En vertu de ces dispositions, un mouvement pouvait excéder la vitesse de marche à vue et devait seulement être prêt à s'arrêter au signal suivant.

    2.0 Analyse

    2.1 Introduction

    Le 3rd Emery était exploité d'une façon contraire à certaines règles d'exploitation primordiales qui auraient assuré la sécurité. L'enquête a aussi révélé que le mécanicien avait de l'alcool dans le sang.

    L'analyse portera donc d'abord sur l'exploitation du 3rd Emery et sur le test positif de dépistage d'alcool auquel le mécanicien a été soumis. Il sera aussi question de la règle concernant le mouvement des trains qui s'engagent dans un canton entre des signaux en zone de CCC, et de celle qui concerne les trains retardés dans un canton en zone de CCC.

    2.2 Examen des faits

    Quand les membres de l'équipe du 3rd Emery ont communiqué avec le CCF à partir du triage Leaside pour demander un changement d'itinéraire, le CCF n'a pas jugé bon de les avertir qu'un autre train les précédait dans le canton. Il peut sembler que cette façon de procéder allait de soi, mais on évite généralement de le faire pour éviter que les équipes fassent des suppositions fausses au cas où le CCF négligerait de les aviser. On se fie donc au système de signalisation pour assurer la sécurité en indiquant que le canton suivant est occupé.

    Quand le CCF a relayé l'instruction par voie électronique, le système de signalisation a réagi en affichant un signal de marche à vue. Le système de signalisation de CCC a fonctionné comme prévu. On aurait dû rouler à vitesse de marche à vue jusqu'au signal suivant; l'équipe aurait dû s'attendre à rencontrer du matériel roulant à l'intérieur du canton.

    Quand le 3rd Emery est sorti de la courbe à une vitesse de 26 mi/h, soit 11 mi/h de plus que la «vitesse de marche à vue» maximale autorisée, et que l'arrière du train 921 est apparu, la distance de visibilité était d'environ 500 pieds. Le mécanicien a immédiatement serré les freins d'urgence et, quelque 380 pieds plus loin, la collision s'est produite à une vitesse évaluée à 18 mi/h.

    Le signal suivant à l'intention des trains roulant en direction ouest sur la voie nord, le signal 15-2, était à environ 150 pieds à l'ouest du point d'impact. Un train approchant du signal 15-2 qui affichait une indication de marche à vue aurait dû rouler à une vitesse qui lui permettait de s'arrêter un peu passé le signal. Si l'arrière du train 921 n'avait pas été là, compte tenu de la décélération avant la collision, le 3rd Emery aurait roulé trop vite pour pouvoir s'arrêter avant le signal 15-2. Le 3rd Emery roulait donc trop vite pour pouvoir s'arrêter dans l'une ou l'autre des éventualités.

    Si l'on a laissé l'aiguillage du triage Leaside en position renversée pendant que le train libérait la voie principale, c'était probablement pour ne pas avoir à obtenir la permission de retourner sur la voie principale (règle 568 du REF). Lorsque l'aiguillage est en position renversée, le CCF voit apparaître un signal d'occupation de la voie sur l'écran de son terminal de contrôle, exactement le même que si le train était resté sur la voie principale. Si les membres de l'équipe avaient demandé une permission, le CCF leur aurait peut-être rappelé qu'un train les précédait, même s'il n'était pas tenu de le faire. Le signal de marche à vue affiché par le signal 2063-2 était toujours en vigueur.

    2.2.1 Mise en cause de l'alcool

    Il existe des preuves scientifiques indiscutables montrant que l'alcool affecte la performance humaine et que les erreurs de jugement sont un des effets les plus courants. Le 3rd Emery roulait à une vitesse excessive, et l'employé qui était aux commandes avait de l'alcool dans le sang.

    Il est impossible de déterminer le taux précis d'alcoolémie au moment de l'accident (ou au début de la période de service) ou le degré d'affaiblissement des facultés, car ces deux facteurs sont conditionnés par des variables physiologiques et biologiques. Le test clinique dont il est question à la section 1.12 du présent rapport a évalué le taux d'alcoolémie à 0,142 p. 100 à 9 h, en supposant un rapport de 1,3 entre les résultats des tests d'urine et le taux d'alcoolémie et un taux moyen d'élimination de 0,015 p. 100 par heure. Si l'on utilise les mêmes hypothèses, on constate que l'alcoolémie aurait été d'environ 0,09 p. 100 au moment de l'événement (12 h 22). En utilisant la limite inférieure du taux d'élimination de l'alcool contenu dans le sang (0,01 p. 100 par heure), l'alcoolémie estimée est de 0,074 p. 100 au moment de l'accident et de 0,10 p. 100 à 9 h. Par ailleurs, en utilisant la limite supérieure du même taux (0,02 p. 100 par heure), l'alcoolémie correspondante est estimée à 0,110 p. 100 et à 0,177 p. 100, respectivement. On peut en conclure que l'alcoolémie du mécanicien a été supérieure à la limite légale (0,08 p. 100) pendant toute ou presque toute la période de service qui a précédé l'événement, et que ses facultés étaient probablement affaiblies par l'alcool.

    Les autres employés qui étaient dans la cabine de la locomotive et dans le fourgon de queue assumaient une partie de la responsabilité de l'exploitation du train en toute sécurité. Pendant leur service, les employés sont à proximité les uns des autres; toutefois, aucun d'eux n'a signalé une odeur d'alcool dans l'haleine du mécanicien ou n'a semblé remarquer d'autres signes d'ébriété.

    2.2.2 Responsabilités de l'équipe

    Pendant le trajet entre Leaside et le lieu de la collision, deux membres de l'équipe accompagnaient le mécanicien dans la cabine de la locomotive : un agent de train et un apprenti chef de train. Le chef de train était à cinq wagons derrière la locomotive, dans un fourgon de queue. Les membres de l'équipe répondaient aux exigences de leurs postes. Le fourgon de queue n'était pas équipé d'un indicateur de vitesse; donc, quand le train a dépassé la limite de 15 mi/h et a atteint 26 mi/h, le chef de train pouvait tout au plus estimer la vitesse, sans compter que l'intervalle pendant lequel le train a accéléré de la sorte a peut-être été trop court pour que le chef de train puisse déterminer qu'on roulait trop vite et fasse part de son impression au mécanicien à l'aide de son émetteur-récepteur radio. Dans la cabine de la locomotive, l'indicateur de vitesse est placé de telle façon que l'agent de train et l'apprenti chef de train devaient se placer derrière le mécanicien pour bien voir la vitesse réelle du train. L'équipe présente dans la cabine aurait dû percevoir plus facilement la vitesse du train que le chef de train posté dans le fourgon de queue. Aucun des membres de l'équipe n'a mentionné la question de la vitesse du train; il est vraisemblable qu'ils se fiaient sur le mécanicien pour veiller à ce que la vitesse soit conforme aux exigences des règles d'exploitation.

    2.2.3 Trains qui s'engagent dans un canton entre des signaux en zone de CCC

    D'après les règles d'exploitation en vigueur, les trains qui s'engagent dans un canton entre des signaux (règle 570 du REF), à un aiguillage à manoeuvre manuelle équipé d'un verrou électrique, ne font l'objet d'aucune restriction sauf l'obligation de pouvoir s'arrêter au signal suivant. De plus, il n'est pas contraire aux pratiques locales d'exploitation du CP de donner aux trains la permission de s'engager dans un canton entre des signaux alors que d'autres trains sont à l'intérieur du canton, pourvu que ces autres trains soient autorisés à rouler dans une seule direction et qu'ils aient dépassé l'aiguillage. Dans de telles circonstances, il est tout à fait possible qu'un train en rencontre un autre à l'intérieur du canton lorsque les règles ne sont pas suffisamment restrictives.

    2.2.4 Trains retardés dans un canton en zone de CCC

    Au cours de l'enquête, on a suggéré que l'équipe a pu considérer qu'elle était retardée dans le canton, ce qui fait qu'elle aurait appliqué la règle 575 du REF lorsqu'elle est repartie. La façon dont la règle 575 du REF est rédigée permet à un train de se remettre en mouvement sans aucune restriction quant à la vitesse (à part la vitesse maximale autorisée dans l'indicateur) et l'oblige seulement à être prêt à s'arrêter au signal suivant. La règle ne fait aucune exception pour les trains qui sont entrés dans le canton à l'origine sur une indication de marche à vue. Par conséquent, un train peut se remettre en mouvement à une vitesse dangereuse dans un canton qui est déjà occupé par un autre matériel roulant.

    2.2.5 Autres systèmes de signalisation

    Bien que cela ne concerne pas cet événement, mais se rapporte à la question des règles déjà discutée, il convient de signaler que, dans les tronçons régis par les règles du block automatique (BA), la règle correspondante, soit la règle 514 du REF (ENTRÉE SUR LA VOIE SANS L'INDICATION D'UN SIGNAL DE CANTON) exige qu'un train avance de façon suffisamment restrictive pour prévenir une collision avec un autre matériel roulant dans le canton et l'autre règle correspondante, soit la règle 515 du REF (TRAIN OU LOCOMOTIVE RETARDÉS DANS LE CANTON) prévoit l'exception qui se présente lorsqu'un mouvement est entré dans le canton sur l'indication d'un signal de marche à vue.

    3.0 Faits établis

    1. En raison de la vitesse du 3rd Emery, il lui était impossible d'arrêter avant d'atteindre le train qui se trouvait devant. De plus, étant donné la vitesse et la position du 3rd Emery lorsqu'on a aperçu le train 921 pour la première fois, le 3rd Emery n'aurait pas été en mesure de se conformer aux instructions du signal 15-2.
    2. Compte tenu des résultats des tests d'urine et des taux acceptés d'élimination de l'alcool, on a calculé que l'alcoolémie du mécanicien était supérieure à la limite légale relative à l'exploitation d'un train, au moment où il a pris son service, et qu'elle était égale ou légèrement inférieure à cette limite au moment de l'accident. Toutefois, quelles que soient les limites légales en matière d'alcoolémie, la compagnie ferroviaire a une politique de tolérance zéro à l'endroit des employés qui travaillent dans de telles circonstances.
    3. L'alcool affecte les facultés et a pu jouer un rôle dans la décision du mécanicien du 3rd Emery de faire rouler le train à une vitesse qui s'est avérée dangereuse dans les circonstances.
    4. Les autres membres de l'équipe du 3rd Emery, qui travaillaient à proximité du mécanicien, ne semblent pas avoir remarqué d'odeur d'alcool ou de signes d'ébriété.
    5. Avant d'apercevoir l'arrière du train 921, les autres membres de l'équipe n'ont rien fait pour obliger le mécanicien à réduire la vitesse du train sur la voie principale.
    6. La règle 575 du REF (TRAIN OU LOCOMOTIVE RETARDÉS DANS UN CANTON) n'est pas suffisamment restrictive pour un train qui entre dans un canton sur l'indication d'un signal de marche à vue, advenant qu'un train soit retardé dans le canton et reprenne sa route.
    7. Compte tenu des pratiques locales d'exploitation du CP, la règle 570 du REF (ENTRÉE SUR LA VOIE SANS L'INDICATION D'UN SIGNAL DE CANTON) est déficiente, en ce sens qu'un train peut obtenir la permission d'entrer dans un canton entre des signaux pendant qu'un autre train se trouve à l'intérieur du canton. Dans ces circonstances, la règle 570 n'est pas suffisamment restrictive pour un train qui s'engage dans un canton entre des signaux, car il n'est pas nécessaire que le train soit prêt à s'arrêter avant d'atteindre un autre matériel roulant qui se trouve dans le canton.

    3.2 Cause

    La collision a été causée par le fait que le train roulait trop vite pour que le mécanicien aux commandes puisse arrêter le mouvement avant d'atteindre le matériel roulant immobilisé. Les effets de l'alcool ont pu contribuer à la décision prise par le mécanicien de rouler à une vitesse excessive. Les autres membres de l'équipe n'ont apparemment pas remarqué l'état du mécanicien et ne lui ont pas non plus signalé que le train roulait à une vitesse dangereuse.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures prises

    4.1.1 Interprétation du Règlement d'exploitation

    En juin 1995, le BST a fait parvenir un Avis de sécurité à Transports Canada, avec copie au Canadien Pacifique Limitée (CP), dans lequel il exposait les problèmes susceptibles de se présenter quant à l'interprétation et à l'application des règles 570 (ENTRÉE SUR LA VOIE SANS L'INDICATION D'UN SIGNAL DE CANTON) et 575 (TRAIN OU LOCOMOTIVE RETARDÉS DANS UN CANTON) du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF). L'Avis de sécurité suggérait à Transport Canada de réviser ces règles du REF.

    Par la suite, le CP et Transports Canada ont tous deux pris des mesures de sécurité destinées à prévenir la répétition d'événements de ce genre. Le CP a publié des communiqués internes «Règle de la semaine» au sujet de l'interprétation et de l'application des règles 570 et 575 du REF. De plus, le CP a publié une instruction spéciale pour le réseau, qui se lisait comme suit : «Dans l'application de la règle 575, un train ou une locomotive entrés dans un canton sur l'indication d'un signal de marche à vue doivent avancer à vitesse de marche à vue jusqu'au prochain signal.» De plus, à la demande du CP, l'équipe de révision des règles de l'Association des chemins de fer du Canada a conclu qu'une révision de la règle 575 aiderait à expliciter l'esprit de cette dernière.

    4.1.2 Facultés affaiblies par l'alcool

    Une recherche dans la base de données du BST a indiqué que l'ébriété chez les membres des équipes d'exploitation est rarement identifiée comme facteur contributif dans les enquêtes sur des accidents ferroviaires. Il y a bien eu des accidents où l'on a soupçonné que l'alcool ait pu jouer un rôle, mais on n'a jamais eu de preuves suffisantes pour le prouver; toutefois, les cas de ce genre sont aussi extrêmement rares. Bien que l'ébriété soit rarement mise en cause dans les accidents sur lesquels le BST a enquêté, il reste que l'ébriété chez les membres des équipes d'exploitation des trains représente un risque pour la sécurité.

    On a pris différentes mesures pour s'attaquer au problème que la consommation d'alcool pose pour la sécurité. Au nombre des mesures réglementaires, il y a le Code criminel du Canada et le REF. Les compagnies ferroviaires ont adopté une politique de tolérance zéro à l'égard de l'alcool et des drogues, et mettent à la disposition de leurs employés du matériel de formation et d'information connexes. Les compagnies et les syndicats ont aussi collaboré à la mise sur pied et à la mise en oeuvre de programmes d'aide aux employés dans le cadre desquels les problèmes liés à la consommation d'alcool et de drogues peuvent être signalés et traités sans que des mesures disciplinaires soient prises. En outre, Transports Canada s'est attaqué récemment au problème de l'abus de substances intoxicantes dans les postes critiques pour la sécurité dans le domaine des transports, et a mené un examen exhaustif sur la nécessité d'adopter une législation quant à l'abus de telles substances intoxicantes. Le ministre des Transports a décidé de ne pas introduire de nouvelle législation, mais plutôt de jouer un rôle de facilitation et de permettre à l'industrie d'élaborer des programmes correspondant à ses besoins.

    Compte tenu de ce qui précède, le Bureau ne fait pas de recommandations de sécurité pour le moment. Le Bureau appuie les programmes existants et espère qu'une sensibilisation accrue aidera à rendre plus rares encore les événements liés à la consommation d'alcool. À cette fin, en plus de diffuser le présent rapport d'enquête, le BST publiera un article relatif à cette enquête dans un prochain numéro de son recueil de sécurité intitulé «Réflexions».

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, Benoît Bouchard, et des membres Maurice Harquail et W.A. Tadros.