Collision par l'arrière
Canadien National
Trains de marchandises A-447-51-01 et C-771-51-28
Point milliaire 165,4, subdivision Edson
Obed (Alberta)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 1er mars 1998, vers 15 h 31, heure normale des Rocheuses, le train no A-447-51-01 (train 447) du Canadien National (CN) est entré en collision avec l'arrière du train no C-771-51-28 (train 771) du CN, lequel était immobilisé au point milliaire 165,4 de la subdivision Edson du CN, près de Obed (Alberta). Les deux membres de l'équipe du train 447, postés dans la locomotive de tête, ont subi des blessures graves et ont dû être évacués par ambulance. Le dernier wagon du train 771 et la locomotive de tête du train 447 ont déraillé et ont subi des dommages considérables. Aucune marchandise dangereuse ne s'est échappée.
Le Bureau a déterminé que la collision par l'arrière s'est produite parce que les membres de l'équipe du train 447, croyant que le train 771 était à au moins 1,5 mille plus loin, n'ont pas assuré une vigilance adéquate, de sorte qu'ils n'ont pas aperçu l'arrière du train 771 assez tôt pour être en mesure d'immobiliser leur train. L'hypothèse voulant que le train 711 ait été plus loin en avant était fondée sur l'interprétation d'un message transmis par l'automate vocal du système de détection en voie (WIS). Le manque d'information exacte quant à la position du train 771, une diffusion inadéquate de l'information sur la nature des messages à diffusion générale du WIS destinés aux équipes d'exploitation, et le fait que l'arrière du train 771 était peu visible ont contribué à l'accident.
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1.0 Renseignements de base
1.1 L'accident
1.1.1 Train no 771
Le train 711 du Canadien National (CN) part de Bickerdike West (Alberta), point milliaire 140,1 de la subdivision Edson, vers 13 h 9, heure normale des Rocheuses (HNR)Note de bas de page 1, et roule vers l'ouest à destination de Vancouver (Colombie-Britannique). Le train 771 est composé de 4 locomotives et de 100 wagons chargés. Il mesure environ 6 140 pieds et pèse quelque 13 850 tonnes. L'équipe du train 771 se compose d'un mécanicien et d'un chef de train, qui prennent place tous deux dans la locomotive de tête. Vers 13 h 30, près du point milliaire 150,1, les membres de l'équipe reçoivent d'un superviseur de la voie un message radio disant que de la fumée s'échappe du wagon CN 199168, établi plus tard comme le 59e wagon du train. Les membres de l'équipe appellent immédiatement le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) pour déterminer si des signes d'échauffement ont été relevés lors du passage du train au-dessus du système de détection en voie (WIS)Note de bas de page 2 situé au point milliaire 143,2. Le CCF informe l'équipe du train 771 qu'on relève une légère augmentation de température dans le 59e wagon. Les membres de l'équipe et le CCF supposent alors qu'un frein à main serré légèrement a pu causer le léger échauffement et l'apparence de fumée qu'on a signalée. Ils concluent que la situation n'a rien de sérieux, et le train poursuit sa route sans s'arrêter.
Vers 13 h 40, le superviseur de la voie, qui a signalé le premier la présence de fumée à l'équipe du train 771, téléphone au CCF pour l'aviser que le wagon fume à profusion et que le train devrait s'arrêter avant que la fusée d'essieu et l'essieu ne se rompent complètement. Le superviseur estime que, comme le train a déjà parcouru une dizaine de milles, la rupture d'une fusée d'essieu est imminente et pourrait causer un déraillement. Le CCF communique avec les membres de l'équipe du train 771 pour leur demander d'arrêter et propose que l'équipe du train 818, roulant en direction opposée, évalue la situation en faisant une inspection au défilé du train 771 pendant que celui-ci est sur la voie d'évitement de Medicine Lodge, point milliaire 155,8. Pendant que le train s'arrête, une mâchoire d'attelage se brise entre le 10e wagon et le 11e wagon du train 771, de sorte qu'un freinage d'urgence provenant de la conduite générale se déclenche et immobilise le train.
Pendant que le train 771 est arrêté en attendant le remplacement de la mâchoire d'attelage, le train 818 passe dans la voie d'évitement de Medicine Lodge et son équipe procède à une inspection visuelle du train 771, lequel est arrêté depuis une dizaine de minutes. Les membres de l'équipe du train 818 signalent au CCF que le train 771 s'est arrêté pour réparer une mâchoire d'attelage brisée et qu'ils n'ont pas vu de fumée pendant qu'ils passaient à côté. Le chef de train du train 771 remplace la mâchoire d'attelage sans incident.
Se fiant à l'information donnée par l'équipe du train 818, le chef de train du train 771 retourne à la locomotive sans avoir vérifié l'état du 59e wagon. Le train 771 repart de Medicine Lodge et poursuit sa route sur la voie principale simple en direction ouest jusqu'à Hargwen (à 5,3 milles de distance, où la voie double commence). Près du point milliaire 164,5, le train no 126 (train 126) qui roule vers l'est croise le train 771 en direction opposée sur la voie double. L'équipe du train 126 signale au train 771 que de la fumée s'échappe dans le secteur du 59e wagon. Supposant encore que le problème est dû à un coincement de freins, et afin d'accélérer la circulation du trafic et de réduire la congestion, l'équipe du train 771 décide de poursuivre sa route encore un peu (environ un mille) et d'arrêter le train après avoir dépassé le signal intermédiaire du point milliaire 164,9. Cela permettra de quitter le canton et d'éviter que les trains venant derrière le train 771 aient à s'arrêter inutilement. Le chef de train du train 771 descend alors de la locomotive et procède à une inspection au défilé afin de localiser le wagon. Le chef de train signifie au mécanicien de s'arrêter quand il découvre qu'un frein à main du 59e wagon est serré légèrement. La locomotive de tête du train 771 s'immobilise au point milliaire 166,5 après avoir dépassé le WIS d'environ 250 pieds. L'arrière du train 771 se trouve à environ 5 900 pieds à l'est du WIS du point milliaire 165,4. Une fois le délai d'attente du WIS écoulé, un message radio préétabli est envoyé, indiquant qu'il n'y a pas d'alarme (« no alarm »). La position où le train 771 est arrêté n'est pas communiquée par radio au CCF ni à aucun autre train; d'ailleurs, les règles d'exploitation ferroviaire n'exigent pas qu'une communication soit établie immédiatement.
1.1.2 Train no 447
Le train 447 roule en direction ouest à destination de Jasper (Alberta) et suit le train 771. Le train 447 a un groupe de traction formé de 2 locomotives et tire 20 wagons chargés ainsi que 33 wagons vides. Il mesure environ 3 140 pieds et pèse quelque 3 490 tonnes. Son équipe compte trois personnes : un mécanicien et un chef de train, postés dans la première locomotive, et un chef de train adjoint qui se trouve dans la seconde locomotive. Comme le train 771 est arrêté à cause d'une mâchoire d'attelage brisée, le CCF, afin d'assurer la continuité de la circulation ferroviaire, autorise le train 447, en vertu de la règle 564 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), à rouler dans le même canton que le train 771, à Galloway, point milliaire 150,2.
Vers 15 h 27, près du point milliaire 164,6, un peu passé Medicine Lodge, l'équipe du train 447 aperçoit un signal de marche à vue au point milliaire 164,9 disant d'« avancer à vitesse de marche à vue ».Note de bas de page 3 Ayant observé le signal de marche à vue, le mécanicien du train 447 ralentit jusqu'à la vitesse maximale permise de 15 mi/h. Tandis que le train 447 dépasse le signal intermédiaire, au point milliaire 164,9, l'équipe entend le message radio de l'automate vocal du WIS du point milliaire 166,5, indiquant qu'il n'y a pas d'alarme. Ce message ne s'adresse pas au train 447 et n'est pas non plus censé donner des renseignements sur l'exploitation des trains. L'équipe n'entend aucune communication en provenance du train 771 selon laquelle ce dernier train s'est arrêté.
D'après les renseignements diffusés par le WIS, le mécanicien et le chef de train du train 447 supposent que l'arrière du train 771 se trouve au-delà du point milliaire 166,5. Le mécanicien décide de prendre une collation et le chef de train vérifie le bulletin de composition pendant que le train s'engage dans une courbe à droite de deux °, au point milliaire 165,0. La visibilité à partir de la locomotive du train 447 est bloquée par un bouquet d'arbres. On a déterminé que l'équipe du train 447 a pu voir le dernier wagon (CN 197930) du train 771 à une distance d'environ 1 050 pieds. Le mécanicien du train 447 a déclaré avoir vu le dernier wagon un peu avant de serrer les freins d'urgence du train. Environ neuf secondes s'écoulent avant la collision avec le wagon arrière. Le train poursuit sa route sur une distance de quelque 190 pieds entre le moment du serrage des freins d'urgence et celui de l'impact. La distance d'arrêt approximative du train 447 dans des conditions normales serait d'environ 270 pieds. Au moment de l'impact, le train roule à environ 8 mi/h. La collision ne cause ni déversement de carburant ni incendie.
La température était de six °C. Le ciel était clair et les vents étaient calmes.
1.2 Victimes
Le mécanicien et le chef de train du train 447 ont tous deux subi des blessures graves. Ils se rappellent qu'ils étaient assis à leurs postes de travail dans la locomotive de tête au moment de l'impact initial. Les deux membres de l'équipe ont été projetés dans la cabine sous la force de l'impact. Le chef de train adjoint, qui prenait place dans la seconde locomotive, n'a pas été blessé.
Les membres de l'équipe du train 406, qui roulait en direction opposée sur la voie adjacente, ont été les premiers arrivés sur les lieux de l'accident et ont été les premiers à intervenir. Les ambulanciers ont procédé rapidement à l'évacuation des blessés.
La locomotive du train 447 était équipée de colonnes de renfort en cas de collision et d'un dispositif anti-chevauchement, lesquels sont conçus pour prévenir l'écrasement de la cabine. La locomotive n'était pas équipée de dispositifs de retenue destinés à immobiliser les membres de l'équipe pour les protéger des effets d'un impact secondaire; la présence de cet équipement n'était d'ailleurs pas obligatoire.
Dans une étude publiée en septembre 1996, la Federal Railroad Administration (FRA) des États-Unis s'est penchée sur les méthodes visant à réduire les risques de blessures dues aux impacts secondaires. L'étude a été menée dans le cadre d'un mandat du Congrès qui portait en partie sur la santé et la sécurité du personnel à l'intérieur des cabines de locomotives. Bien que l'étudeNote de bas de page 4 ait surtout traité de la façon de concevoir la structure des locomotives et des cabines afin d'atténuer les effets de l'écrasement consécutif à l'impact principal, elle a aussi traité en détail des questions entourant l'impact secondaire. L'étude a examiné plusieurs concepts relativement à l'impact secondaire. Deux de ces concepts proposaient de faire pivoter les sièges des membres de l'équipe de façon que l'occupant soit de dos au moment de l'impact contre le véhicule ou l'obstacle. Un autre concept faisait appel à l'aménagement d'une tranchée de protection à l'arrière de la cabine, où les membres de l'équipe pourraient se réfugier.
L'étude suggérait que ces concepts permettraient de protéger les occupants contre des traumatismes crâniens même modérés et réduiraient de 20 à 36 p. 100 la fréquence des traumatismes graves à la cage thoracique. En outre, les abris décrits en détail dans l'étude permettraient d'éliminer ou d'atténuer considérablement l'impulsion non contrôlée qui donne lieu aux impacts secondaires pouvant causer des blessures par suite de chocs contre des surfaces rigides ou des objets acérés à l'intérieur de la cabine.
1.3 Renseignements sur le personnel
Les membres des équipes des trains 771 et 447 connaissaient bien la subdivision, satisfaisaient aux exigences en matière de repos et de condition physique et répondaient aux exigences de leurs postes respectifs.
1.4 Méthode de contrôle du mouvement des trains
Dans le secteur, le mouvement des trains est régi par commande centralisée de la circulation (CCC) en vertu du REF (approuvé par le ministre des Transports le 16 janvier 1990), et est surveillé par un CCF posté à Edmonton (Alberta).
1.5 Particularités de la voie
La collision s'est produite sur le tronçon nord de la voie principale double, dans un secteur où la voie décrit une courbe de deux ° vers la droite et descend une pente de 0,2 p. 100 en direction ouest. La voie était faite de longs rails soudés (LRS) de 136 livres posés sur des traverses de béton, lesquelles reposaient sur un ballast de pierre concassée. La collision a causé des dommages minimes à la voie : 20 pieds de rails de la voie nord et environ 115 pieds de rails de la voie sud. L'accident a endommagé 15 traverses de béton.
La vitesse maximale autorisée dans la subdivision entre le point milliaire 157,5 et le point milliaire 179,3 est de 50 mi/h pour les trains de marchandises.
1.6 Renseignements sur le lieu de l'événement
Le lieu de l'événement se trouvait à environ 20 milles de Hinton, la ville la plus rapprochée. Initialement, on n'a pu accéder à l'endroit qu'en empruntant une piste enneigée à bord de véhicules à quatre roues motrices. La voie dans le secteur de l'événement était à environ 500 mètres au nord de l'autoroute Yellowhead, et parallèle à celle-ci.
1.7 Dommages au matériel
La locomotive et un wagon-trémie vide ont tous deux déraillé et sont restés à la verticale sur la voie sud. La mâchoire d'attelage du wagon arrière du train 771, no CN 197930, a chevauché celle de la locomotive de tête du train 447 et a causé des dommages considérables à l'avant de la cabine. Le wagon-trémie découvert vide a aussi subi des dommages considérables.
1.8 Instructions et règles d'exploitation
La section 5 des Instructions générales d'exploitation (IGE) du CN (article 5.3, paragraphe b), portant sur les automates vocaux) explique que, quand un train complet est passé au-dessus d'un détecteur de boîtes chaudes et de pièces traînantes et qu'une inspection complète du train n'a relevé aucune défaillance, le message suivant est transmis : Détecteur CN (subdivision) (point milliaire) (désignation de la voie) (secteur à voies multiples) Pas d'alarme.
La section 5 des IGE du CN (article 5.3, paragraphe m)) stipule également que, quand un train s'arrête avant d'être passé au complet au-dessus d'un détecteur de boîtes chaudes et de pièces traînantes, les parties avant et arrière du train doivent être considérées comme formant deux trains distincts. En conséquence, des messages comme si des trains distincts étaient passés au-dessus du détecteur de boîtes chaudes et de pièces traînantes seront reçus. L'équipe doit communiquer avec le centre de contrôle de la circulation ferroviaire pour déterminer quelle partie du train (le cas échéant) a fait l'objet d'une inspection.
La section 5 des IGE du CN (article 5.10, paragraphe c), qui porte sur l'inspection du matériel roulant en mouvement) précise que, si l'on relève ou signale une condition dangereuse, il faut immobiliser le train le plus tôt possible, conformément aux pratiques sûres d'exploitation des trains, et inspecter le ou les wagons. Si possible, il faut corriger la défaillance ou prendre d'autres mesures, de façon à atténuer le danger le plus possible ou à l'éliminer.
La règle 126 du REF, intitulée Restrictions à l'emploi de la radio, se lit comme il suit :
En plus des interdictions énoncées aux règles 14 et 602, il ne faut pas utiliser la radio :
- pour fournir à l'avance des renseignements sur les indications des signaux fixes;
- pour donner des informations susceptibles de faire croire à une équipe que les limitations de vitesse ont été atténuées.
La règle 426 du REF, intitulée Signal de marche à vue, dit « Avancer à vitesse de marche à vue. »
- VITESSE DE MARCHE À VUE : Vitesse qui permet l'arrêt non seulement en deçà de la moitié de la distance de visibilité d'un matériel roulant, mais aussi avant un aiguillage mal orienté, et qui ne doit jamais dépasser la PETITE VITESSE. NOTA : La marche à vue commande l'attention aux ruptures de rails.
- PETITE VITESSE : Vitesse ne dépassant pas quinze milles à l'heure.
La règle 85 du REF, intitulée Signalement des retards, se lit comme il suit :
Le chef de train s'assurera que le CCF est informé rapidement de toute situation connue susceptible de retarder le train.
1.9 Formation et surveillance de la conformité
Les équipes du CN doivent démontrer leur connaissance du REF dans le cadre d'un programme portant sur les critères de qualification des équipes, appelé Qualifications Standard for Operating Crews (QSOC). Quand elles ont suivi le programme avec succès et ont réussi un examen écrit, les équipes reçoivent une carte valide pour trois ans. Pour renouveler leur qualification après la période de trois ans, les équipes se soumettent à un nouvel examen portant sur les sujets qui ont trait à leur catégorie professionnelle. Bien que Transports Canada précise les critères de qualification auxquels les employés de l'exploitation ferroviaire doivent se conformer, il ne précise pas la nature exacte de la formation nécessaire. Transports Canada considère que ces questions relèvent des compagnies ferroviaires.
Pour contrôler si les équipes se conforment aux nombreuses règles et instructions d'exploitation, le CN a mis en place une politique de tests et de contrôles de compétence qui détermine la conformité des équipes de trois façons :
- dans chaque district, on fixe aux surintendants adjoints des objectifs mensuels quant au nombre d'équipes à évaluer. Pour observer le rendement des équipes, le surintendant adjoint effectue un parcours avec les membres des équipes, observe leurs pratiques et les compare aux instructions d'exploitation du CN et aux exigences du REF.
- deux fois par année, une équipe de vérification, formée de quatre agents venant de l'ensemble du réseau du CN, fait des observations à bord des trains de chaque district. À ces occasions, l'équipe de vérification fait un examen plus approfondi des opérations en contrôlant non seulement l'exploitation des trains, mais aussi les manoeuvres de triage, l'état de la voie, les signaux et les communications.
- les superviseurs procèdent au hasard au téléchargement et à l'analyse des données des consignateurs d'événements des locomotives.
Par le passé, les équipes du train 771 et du train 447 avaient toutes deux fait l'objet des tests de compétence normaux du CN. Toutefois, au cours de l'année qui a précédé l'événement, ni les surintendants adjoints ni les équipes de vérification n'avaient effectué des parcours d'observation à bord de leurs trains.
Les résultats du programme d'observation mené par le surintendant adjoint à bord des trains ont révélé que, même si le programme précisait l'objectif mensuel, il ne spécifiait pas que le programme devait s'appliquer à chaque équipe d'exploitation d'un district et ne donnait pas non plus de directives quant aux domaines de l'exploitation des trains dont on devait faire le contrôle.
Des inspecteurs de Transports Canada roulent aussi à bord de trains pour contrôler dans quelle mesure les employés se conforment aux règles et aux pratiques d'exploitation. Le contrôle de la compétence n'est pas considéré comme étant un aspect de ces vérifications de la sécurité. Des inspecteurs de Transports Canada ont procédé à des vérifications le 16 septembre 1997 et le 24 novembre 1997 dans la subdivision Edson.
1.10 Systèmes de détection en voie
Par le passé, on désignait le WIS par le terme « détecteur de boîtes chaudes » parce qu'à l'origine, il avait été conçu pour ne détecter que la surchauffe des boîtes d'essieu. Le CN emploie actuellement le terme WIS parce que le système a évolué et comprend maintenant un détecteur de boîtes chaudes, un détecteur de roues chaudes, un détecteur de pièces traînantes et un système de transmission de voix synthétique appelé automate vocal. Si un WIS détecte une anomalie, l'automate transmet sur une fréquence surveillée un message indiquant l'emplacement et la nature de l'alarme. Le WIS envoie aussi un message électronique pour signaler l'anomalie à un système d'affichage informatisé, lequel est surveillé par un opérateur de détecteur de boîtes chaudes et un superviseur de mécanique postés au centre de contrôle de la circulation ferroviaire d'Edmonton. Les équipes d'exploitation reçoivent un message à diffusion générale dès qu'une défaillance est détectée. S'il n'y a pas de défaillance ou de mouvement après une période déterminée, le WIS émet automatiquement un message dont la structure est la suivante :
Détecteur CN (subdivision) (point milliaire) (désignation de la voie) (secteur à voies multiples) Pas d'alarme.
Le message ne fait pas la distinction à savoir si une partie d'un train ou un train complet est passé au-dessus du détecteur. Les autres compagnies ferroviaires utilisent une technologie similaire, mais incluent un compte des essieux dans leur message à diffusion générale.
Le WIS fait appel à des transducteurs, à savoir des dispositifs électromagnétiques qui peuvent détecter le passage d'une masse de métal. Ces transducteurs sont montés sur l'âme du rail et détectent les boudins des roues qui passent sur le rail, et activent le dispositif de balayage indiquant l'arrivée, la direction et la vitesse du train. Le système calcule un délai en fonction de la vitesse du train. Si aucun transducteur n'est déclenché avant la fin du délai, le système considère que le train a dépassé le détecteur. Dans le cas du train 771, le délai de chronométrage s'est écoulé entre le passage des deux premières locomotives au-dessus du WIS. Il s'ensuit que le WIS a transmis un message disant qu'il n'y avait pas d'alarme.
1.11 Conscience de la situation relative au mouvement et à la position du train
Lors de l'élaboration et de la mise en oeuvre de plans concernant le mouvement et le contrôle d'un train, le succès des décisions et des mesures prises par l'équipe du train dépend en grande partie de l'évaluation et de la compréhension exactes du mouvement du train, et de la capacité de choisir un plan d'action qui convient à la situation. La conscience de la situation est le terme qui décrit la façon dont une personne perçoit les conditions et les contingences de l'exploitation. Elle se définit comme étant la somme des connaissances accessibles qui peuvent être intégrées au besoin dans un ensemble cohérent qui permet d'évaluer la situation et de prendre les mesures voulues. Quand on exécute un travail dans des conditions en constante évolution, par exemple la conduite d'un train, il faut avoir une conscience de la situation qui permette d'établir et de mettre en oeuvre des plans qui permettront d'assurer la sécurité du train tout au long du parcours. Dans des conditions d'exploitation générales, la conscience de la situation s'acquiert en trois étapes différentes.Note de bas de page 5 Tout d'abord, la personne doit apercevoir les éléments de la situation à partir d'affichages ou de données, ou d'autres matériels de référence. Ensuite, elle doit intégrer ces données pour avoir une compréhension globale de la situation en se basant sur son expérience et sur sa connaissance du système, ce qu'on désigne souvent par le terme « modèle mental ». Enfin, la personne doit projeter l'information dans l'avenir afin d'élaborer et de modifier les plans à mesure que les tâches sont accomplies ou retardées lorsque la situation change.
Les indices, c'est-à-dire les renseignements relatifs à la situation, peuvent être évidents ou ambigus. Plus ils sont évidents, moins l'effort mental nécessaire à leur interprétation est grand et plus le diagnostic de la situation est susceptible d'être exact. Une fois qu'on a fixé un modèle mental ou établi une façon de réfléchir à un problème, on hésite beaucoup à les modifier. Pour modifier un mode de réflexion, il faut remplacer le modèle mental existant par un autre. Les nouveaux renseignements doivent être suffisamment convaincants pour amener les gens à faire une mise à jour de leur modèle mental.
Chez les membres de l'équipe d'un train, la conscience de la situation peut faire appel à des renseignements provenant de différentes sources, notamment des transmissions radio (p. ex. conversations entre équipes ou messages transmis par le WIS). Elle peut aussi faire appel à des renseignements provenant d'autres sources : l'aspect des signaux et les renseignements du CCF; la façon dont l'équipe aperçoit la voie à partir de la cabine; des repères terrestres ou des conditions environnementales; des sons venant de l'environnement, y compris le bruit des autres trains et de la circulation; et des renseignements écrits, comme les indicateurs, les bulletins quotidiens d'exploitation ou le REF. Les règles et les directives des compagnies ferroviaires qui influent sur la conscience de la situation, notamment celles qui figurent dans le REF et les IGE, renvoient à des sources d'information particulières que les équipes d'exploitation sont autorisées à utiliser ou sont obligées d'utiliser. Dans ce cas-ci, les sources d'information permises incluaient notamment les signaux, les contacts radio avec le CCF, les contacts radio avec les équipes d'autres trains et les contacts radio avec le superviseur d'entretien de la voie. Les renseignements faisant l'objet de restrictions sont définis entre autres dans la règle 126 du REF, qui interdit notamment d'utiliser la radio pour fournir à l'avance des renseignements sur les indications des signaux fixes ou pour donner des renseignements susceptibles de faire croire à une équipe que les limitations de vitesse sont atténuées.
Le Bureau a déterminé antérieurement que le manque d'information permettant aux équipes d'avoir une conscience adéquate de la situation avait contribué à des collisions par l'arrière (rapport no R96Q0050 du BST). Le BST s'est dit préoccupé par le fait que les compagnies n'aient pas mis en place des programmes de gestion des ressources des équipes qui donneraient aux personnes intéressées les renseignements les plus récents et les plus exacts possible sur les mouvements de trains et de locomotives. Le BST s'est aussi dit préoccupé par le fait qu'en l'absence de méthodes spécifiques de communication, de transmission et de vérification, on risque davantage de faire une interprétation erronée de certains renseignements.
1.12 Visibilité du train et signaux de queue réfléchissants
Le train 771 était équipé d'un signal de queue réfléchissant rouge de 6 pouces sur 10 pouces, qui était monté sur l'unité de détection et de freinage (UDF), laquelle était installée sur l'attelage du dernier wagon du train, comme le permet la réglementation de Transports Canada. Le signal de queue placé sur le wagon arrière (CN 197930) était raisonnablement propre, mais le wagon proprement dit était couvert de poussière de charbon, était de couleur foncée et se confondait avec le milieu environnant.
Par le passé, les trains étaient équipés de fourgons de queue bien marqués et bien éclairés, qui les rendaient visibles de jour comme de nuit. En 1987, après une série d'audiences publiques exhaustives sur la question, le comité des transports par chemin de fer de la Commission canadienne des transports a donné au CN et au Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) la permission de faire rouler des trains sans fourgon de queue, à la condition que ces trains sans fourgon de queue se conforment à certaines exigences de sécurité. Une de ces conditions, énoncée à la disposition 1.1 de l'ordonnance en question (no R-41300) se lisait comme il suit :
Un train peut être exploité sans wagon de queue et l'équipe de queue peut être postée dans une des cabines du groupe de traction de tête pourvu que le train soit équipé d'un système de contrôle de queue de train doté d'un dispositif de freinage d'urgence et d'un feu à éclats rouge actionné par une cellule photosensible automatique . . . .
Cette disposition avait été adoptée après un certain nombre d'essais sur le terrain qui, entre autres, comprenaient la mise à l'épreuve de la fiabilité des signaux lumineux de queue. Le CN et le CFCP ont signalé à l'époque que ces essais avaient donné d'excellents résultats.
Le 5 novembre 1990, Transports Canada a abrogé la disposition 1.1 en réponse à des demandes du CN et du CFCP qui invoquaient un manque de fiabilité des signaux lumineux de queue, particulièrement dans des conditions météorologiques défavorables, et l'a remplacée par une nouvelle disposition qui n'exigeait pas la présence d'un signal lumineux sur le dernier wagon des trains sans fourgon de queue. Transports Canada avait conclu que ce changement était dans l'intérêt du public et ne risquait pas de menacer la sécurité d'exploitation des trains.
Le 11 août 1995, Transports Canada a abrogé l'ensemble de l'ordonnance no R-41300, invoquant que les questions qui avaient amené l'adoption de l'ordonnance du comité des transports par chemin de fer avaient été résolues efficacement par d'autres moyens et que l'abrogation de l'ordonnance était dans l'intérêt du public et qu'elle ne risquait pas de menacer la sécurité d'exploitation ferroviaire.
Actuellement, les signaux de queue réfléchissants sont utilisés pour les trains qui circulent au pays. Toutefois, pour se conformer à la réglementation des États-Unis, le CN et le CFCP installent des signaux de queue clignotants à l'arrière des trains internationaux qui franchissent la frontière. La réglementation des États-Unis exige la présence de signaux de queue réfléchissants pendant le jour et d'un signal de queue lumineux allumé continuellement ou clignotant, pendant la nuit et par mauvais temps.
Les UDF de nouvelle génération sont équipées du signal lumineux et du signal réfléchissant. Les progrès technologiques ont permis à la fois de prolonger la durée de vie des batteries et d'alléger les dispositifs.
Le 28 octobre 1994, un train de marchandises roulant vers l'est a heurté l'arrière d'un train de marchandises qui le précédait au point milliaire 5,8 de la subdivision Halton, à Etobicoke (Ontario). Au cours de son enquête (rapport n° R94T0334 du BST), le Bureau a dégagé les causes et les facteurs de l'accident. Toutefois, conformément à sa mission, le Bureau a cherché plus loin et a relevé un manquement à la sécurité lié à cet événement. Plus précisément, le BST a constaté que des wagons-citernes transportant des marchandises dangereuses explosives ou toxiques pouvaient être placés à l'arrière ou tout près de l'arrière des trains sans fourgon de queue qui ne sont pas munis de signal lumineux de queue. Le Bureau estimait que les collisions par l'arrière dans de telles circonstances ou dans d'autres circonstances continuaient de représenter des risques pour les Canadiens. Afin de réduire ou d'éliminer les risques attribuables à ce qu'il considère comme un manquement fondamental aux règles de la sécurité ferroviaire, le Bureau a recommandé que :
Le ministère des Transports refasse l'évaluation des risques liés à l'exploitation de trains sans fourgon de queue qui ne sont pas munis de signal lumineux de queue.
Recommandation R96-12 du BST
Le 23 octobre 1996, Transports Canada a répondu que l'accident à la source de cette recommandation ne se serait pas produit si l'équipe avait respecté la limite de vitesse. Comme l'absence d'un signal de queue n'avait pas été relevée comme facteur de causalité, Transports Canada ne voyait pas la nécessité de se pencher plus longuement sur la question des signaux lumineux de queue. Transports Canada a aussi laissé savoir que les signaux lumineux de queue servent à définir l'arrière du train pour les besoins de l'application d'un grand nombre de règles du REF, et ne servent pas à éviter les collisions par l'arrière.
1.13 Autres collisions par l'arrière survenues en voie principale
Entre 1993 et 1998, au Canada, 13 collisions par l'arrière sont survenues en voie principale lors desquelles on n'a pas été en mesure d'immobiliser le train en deçà de la moitié de la distance de visibilité du matériel roulant alors que le train devait rouler à la vitesse de marche à vue. Les 13 événements survenus au cours de cette période de cinq ans marquent une augmentation de fréquence de 30 p. 100 par rapport à la période précédente de cinq ans (entre 1988 et 1992). Dans tous les 13 événements, un train était immobilisé et un autre train est entré en collision avec lui par derrière. Par suite de ces événements, le BST a envoyé plusieurs lettres d'information et avis de sécurité. Ces lettres et avis sont résumés ci-après :
- Lettre d'information sur la sécurité ferroviaire 09/95 (événement no R95T0023 du BST) - Instruction et application des règles du REF concernant les signaux de canton -
Lors de cet événement, un train de marchandises du CN qui roulait en direction est a heurté pendant la nuit l'arrière d'un train de marchandises qui était immobilisé dans la subdivision Stamford. Les membres de l'équipe du train ont mal interprété un signal de vitesse normale qui indiquait que la voie était libre dans le canton suivant, et ont alors cru que la voie était aussi libre dans le canton qu'ils occupaient. Le train a avancé sans se conformer totalement à la limitation de vitesse imposée par la règle et a heurté le train immobilisé devant lui. - Lettre d'information sur la sécurité ferroviaire 10/95 (événements nos R94T0334, R95S0021 et R95T0101 du BST) - Application correcte de la règle 34 du REF -
La lettre d'information sur la sécurité concernant ces événements a porté sur des pratiques dangereuses adoptées par des équipes et sur le fait que les équipes n'aient pas communiqué entre elles pour parler des indications des signaux, contrairement à ce qu'exige la règle 34 du REF. - Avis de sécurité ferroviaire 10/95 (événement no R95T0152 du BST) - Règles 570 a) et 575 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada
Un train de marchandises du CFCP qui était immobilisé sur la voie principale dans la subdivision North Toronto a été heurté par l'arrière par le train 3rd Emery. Le train 3rd Emery est entré dans le canton régi par un signal de marche à vue et a effectué des manoeuvres dans un triage adjacent. En revenant sur la voie principale, les membres de l'équipe ont supposé que la règle 575 du REF (Train ou locomotive retardés dans un canton) s'appliquerait, qu'ils pourraient rouler sans aucune limitation de vitesse et qu'ils n'avaient qu'à se tenir prêts à s'arrêter au signal suivant. Cet événement est caractéristique de la mauvaise interprétation qu'on fait de l'exigence de rouler à la vitesse de marche à vue dans un secteur régi par un signal de marche à vue. - Lettre d'information sur la sécurité ferroviaire 01/96 - (événement no R96Q0050 du BST) - Observations au sujet d'une collision sur les voies du Chemin de fer du littoral nord et du Labrador (QNS&L) -
Un train de marchandises du QNS&L a heurté l'arrière d'un train immobilisé dans la subdivision Wacouna. Le mécanicien a dépassé un signal de marche à vue et a circulé à une vitesse qui ne permettait pas d'immobiliser le train en deçà de la moitié de la distance de visibilité du matériel roulant.
1.14 Technologie disponible permettant d'améliorer la conscience de la situation
À l'heure actuelle, le QNS&L équipe ses locomotives et ses véhicules d'entretien de la voie d'un dispositif de détection de proximité (PDD) qui fait appel au système mondial de localisation (GPS). Ce dispositif avertira les équipes d'exploitation quand les limites de proximité seront franchies et, dans certains cas, assurera une séparation positive entre les trains en intervenant automatiquement dans l'exploitation du train. L'appareil émet un signal sonore et visuel à l'intention de l'opérateur quand un autre véhicule équipé du même dispositif se trouve à l'intérieur d'une distance donnée sur la voie. Le mécanicien doit accuser réception de l'alarme à l'intérieur d'un délai donné, faute de quoi le PDD déclenche un freinage de sécurité du train.
Il existe une autre technologie de pointe comme le système visant à assurer la protection des trains ( Positive Train Separation (PTS)), en l'occurrence un système de sécurité générale sur lequel s'appuie un système fiable de contrôle de la circulation basé sur les communications. Conçu pour fonctionner avec les systèmes de signalisation existants, ce système de prévention des collisions maintient des distances de séparation sûres en émettant de façon autonome des autorisations de mouvement strictes. L'équipement embarqué de détermination de la position, faisant appel au GPS, aux bases de données sur la voie et aux caractéristiques de composition du train, permet au PTS de calculer en temps réel des distances de freinage sûres. Ainsi, les trains s'arrêtent en toute sécurité avant qu'il y ait excès de vitesse ou infraction aux termes d'une autorisation, et ce même en cas d'erreur ou de défaillance du mécanicien ou de panne du système de signalisation. Des rapports de position sont transmis régulièrement en temps réel aux centres de contrôle, qui affichent les rapports en question, émettent de nouvelles autorisations et procèdent à des vérifications de sécurité.
2.0 Analyse
2.1 Introduction
La fréquence des collisions par l'arrière, les circonstances qui les entourent et le lien avec les décisions des membres de l'équipe quant à l'application de la règle de la vitesse de marche à vue continuent de poser des problèmes. L'analyse examinera la chronologie des événements qui ont mené à la collision, les causes des blessures subies par les membres de l'équipe, la réaction aux avertissements relatifs à une défectuosité possible à bord du train 771, les facteurs qui ont pu influer sur la conscience de la situation et entraîner un manque de vigilance de l'équipe du train 447, la visibilité inadéquate de l'arrière du train et l'absence d'une approche globale quant aux distances de séparation du matériel roulant.
2.2 Exploitation des trains
Le fait qu'on ait continué de faire rouler le train 771 pendant quelque 20 milles sans confirmer la provenance de la fumée qui s'échappait du wagon CN 199168 a compromis la sécurité ferroviaire. Dès que les membres de l'équipe ont pris conscience de l'état de leur train, ils auraient dû l'immobiliser immédiatement et éviter de l'exposer davantage à des conditions d'exploitation dangereuses. Cette exigence est énoncée à l'alinéa 5.10, paragraphe c) des IGE. Toutefois, plutôt que d'attribuer un caractère d'urgence au premier avertissement concernant le dégagement de fumée, et plutôt que de s'arrêter pour vérifier l'état du wagon, l'équipe du train 771 a poursuivi sa route et s'est fiée aux résultats d'une inspection au défilé effectuée par l'équipe d'un autre train. De plus, quand l'équipe a eu une autre occasion d'inspecter le 59e wagon, à Medicine Lodge, elle ne l'a pas encore inspecté. Grâce à cette inspection, l'équipe aurait découvert la cause du dégagement de fumée et aurait desserré le frein à main, et n'aurait pas eu besoin de s'arrêter de nouveau.
L'équipe du train 447 a ralenti le train à 15 mi/h quand ce dernier est arrivé à la hauteur du signal du point milliaire 164,9 (la vitesse maximale permise par un signal de marche à vue), mais n'a pas maintenu sa vigilance de façon à être prête à arrêter le train en deçà de la moitié de la distance de visibilité du train précédent, parce qu'elle s'était fait un modèle mental erroné de la position du train 771. Le message à diffusion générale « pas d'alarme » envoyé par le WIS a incité l'équipe à croire que le train 771 avait complètement dépassé le WIS, lequel était 1,5 mille plus loin. Le message « pas d'alarme » est ambigu puisqu'il ne précise pas si un train complet ou une partie d'un train est passé au-dessus du WIS. Cet événement démontre comment les membres d'une équipe peuvent se faire un modèle mental inopportun à partir de renseignements extérieurs comme les messages radio du WIS, et peuvent réduire leur niveau de vigilance en se fiant à ce modèle. Les messages transmis par le WIS ne sont pas conçus pour être utilisés par les équipes de train comme des renseignements sur le trafic, mais lorsqu'ils le sont, le message « pas d'alarme » est ambigu. Le modèle mental devient ensuite un plan de travail à partir duquel on prend des mesures particulières qui pourraient s'avérer dangereuses dans les circonstances.
2.3 Blessures
Les blessures qu'ont subies les deux membres de l'équipe postés dans la locomotive de tête du train 447 par suite de l'impact secondaire concordent avec les blessures que subiraient des occupants non retenus qui heurteraient des objets dans la cabine après un impact initial à basse vitesse.
Comme les occupants ne disposaient pas de dispositifs de retenue et que la cabine n'était pas conçue pour assurer une protection accrue contre les impacts secondaires, il est fort probable qu'il aurait été impossible de prévenir les blessures subies par les membres de l'équipe lors de l'impact à basse vitesse, ou d'en d'atténuer la gravité. Malgré les blessures subies par les membres de l'équipe, il est admis que les colonnes de renfort de la locomotive ont empêché que la cabine s'écrase sur les occupants et ont prévenu des blessures plus graves.
2.4 Formation, supervision et surveillance de la conformité
L'alinéa 5.3, paragraphe b) des IGE parle du passage d'un train complet au-dessus d'un WIS. Les renseignements additionnels concernant la fonction du WIS, à l'alinéa 5.3, paragraphe m) des IGE, qui a trait aux effets sur le WIS de l'arrêt d'un train avant que le mouvement complet soit passé, sont présentés quatre pages après le paragraphe b). En raison du changement de concept et des quatre pages qui séparent ces deux renseignements critiques, l'efficacité des IGE s'en trouve amoindrie et les relations importantes qui existent entre les paragraphes b) et m) de l'alinéa 5.3 ne sont pas mises en évidence.
Les normes du CN en matière de formation et de tests de compétence permettent de contrôler la conformité avec les exigences des IGE, des bulletins d'exploitation et du REF et d'évaluer si l'on a mis en évidence les procédures et les pratiques correctes. En l'absence de mesures de surveillance de la conformité et de renforcement de la formation, au moyen d'un programme systématique de contrôle de la compétence, il était peu probable que les équipes étaient surveillées systématiquement. Étant donné la nature du programme de supervision du CN, il était aussi peu probable que des pratiques d'exploitation inopportunes, comme l'utilisation des messages radio des stations WIS pour localiser un train précédent, soient relevées. Si le programme de supervision avait permis de découvrir cette mauvaise utilisation de l'information du WIS, et si l'on avait pris des mesures appropriées pour réduire le recours à cette pratique, on aurait réduit considérablement, sinon éliminé, les risques de collision par l'arrière de ce genre.
2.5 Conscience de la situation
La communication peut souvent jouer un rôle critique dans la conscience de la situation. Elle permet de mettre à jour constamment le modèle mental et le plan de travail, fournissant de ce fait des mesures susceptibles de réduire le risque d'erreur. Grâce à la communication entre le CCF et les équipes des trains, les équipes qui roulaient à proximité les unes des autres auraient pu disposer de renseignements plus exacts et plus à jour quant à la position des autres trains dans le secteur ou dans le même canton, ce qui aurait pu amener les équipes à établir des plans de travail plus efficaces et moins sujets à l'erreur. La règle 85 du REF, concernant l'obligation de signaler rapidement les conditions susceptibles de retarder un train, n'oblige pas à communiquer immédiatement par radio avec le CCF ou avec les autres trains dans le secteur pour les aviser qu'un train est retardé. Si la règle 85 du REF exigeait sans équivoque de transmettre immédiatement un message radio dès que l'on constate qu'un train pourrait être retardé, les équipes des autres trains du secteur auraient une meilleure conscience de la situation et pourraient mettre à jour leurs modèles mentaux en fonction du contenu du message radio, d'où une réduction des risques d'erreur.
Dans l'événement à l'étude, les membres de l'équipe du train 447 se sont fait un modèle mental de la position de l'arrière du train 771 à partir du message radio envoyé par le WIS du point milliaire 166,5. En entendant ce message du WIS, ils ont supposé que le train au complet était passé au-dessus du WIS du point milliaire 166,5, alors qu'en fait, seules les deux locomotives étaient passées. Étant donné l'expérience qu'ils avaient acquise avec le WIS, en l'occurrence un indicateur fiable de la position des autres trains, et en l'absence de toute autre information contraire, ils ont cru recevoir un indice clair et précis sur la position du train. L'information venant du WIS était l'information la plus convaincante et la plus à jour dont ils disposaient, de sorte qu'ils se sont fait un modèle mental erroné sur la position de l'arrière du train 771.
Comme les membres de l'équipe connaissaient très bien le territoire, le mécanicien, confiant dans l'idée qu'il s'était faite de la position que devait occuper l'arrière du train 771, a décidé de prendre une collation plutôt que de maintenir le degré élevé de vigilance dont on doit faire preuve quand on roule à la vitesse de marche à vue. Quand il a aperçu le dernier wagon du train 771, le mécanicien a dû mettre à jour rapidement son modèle mental et réagir de façon appropriée. Au moment du freinage d'urgence, il ne restait que neuf secondes pour immobiliser le train et éviter la collision, ce qui s'est avéré insuffisant.
2.6 Visibilité du train
Le fait que l'arrière du train 771 était sale et sombre n'a pas amélioré la visibilité du train, sans compter que le petit signal réfléchissant n'était pas bien visible dans ces conditions. On reconnaît généralement que, plus le signal de queue est visible, plus on le voit tôt, ce qui laisse plus de temps pour réagir et pour prendre les mesures voulues. Le regard est attiré par des objets de grande dimension, des objets de couleur, des objets d'aspect changeant ou des feux clignotants.
Comme la conscience de la situation dépend pour beaucoup de la vision, l'équipe du train 447 aurait peut-être aperçu le train 771 plus tôt si l'arrière de celui-ci avait été plus remarquable. Même si l'événement est survenu en milieu d'après-midi, le dernier wagon du train 771 n'était équipé ni d'un signal bien visible ni de feux stroboscopiques et n'était pas non plus bien visible. Le stimulus visuel, en l'occurrence un signal réfléchissant de 6 pouces sur 10 pouces, n'était pas suffisamment remarquable pour attirer l'attention de l'équipe. De plus, aucune norme n'est définie quant à la taille des signaux de queue ou aux mesures destinées à rendre l'arrière des trains plus remarquable.
2.7 Distance sûre de séparation du matériel roulant
Même si l'on disposait de la communication radio pour obtenir des renseignements exacts sur la position des trains, aucune procédure n'était en vigueur quant à l'utilisation à cette fin des communications radio par les équipes. Le recours à des technologies perfectionnées qui peuvent détecter la présence d'autres trains ou matériel roulant et faire retentir une alarme aurait fourni des renseignements à jour qui auraient aidé l'équipe du train à se faire un modèle mental plus juste de la position de l'autre train et du matériel roulant. Des renseignements sur la proximité du train 771 auraient peut-être pu éviter la collision.
3.0 Faits établis
- Les membres de l'équipe du train 447 ont supposé que le train 771 était à au moins 1,5 mille plus loin et n'ont pas remarqué l'arrière du train 771 assez tôt pour immobiliser leur train de façon contrôlée.
- L'interprétation que l'équipe du train 447 a faite du message à diffusion générale du système de détection en voie (WIS) l'a amenée à relâcher sa vigilance dans l'exploitation du train.
- Le WIS en service au CN n'est pas conçu pour faire la distinction à savoir si une partie d'un train ou un train complet est passé au-dessus du détecteur, de sorte que le message à diffusion générale ne fournit pas à l'équipe une information sans équivoque sur ce point.
- Les normes de formation et de contrôle de compétence du CN n'ont pas identifié de raccourcis ou de pratiques d'exploitation inopportunes comme l'utilisation de l'information transmise par le WIS pour déterminer la position du train 771.
- Si l'équipe du train 771 avait immédiatement lancé un message radio sur les ondes du canal d'attente désigné et un message à l'intention du CCF dès qu'elle s'est aperçue que le train allait être retardé, les équipes des autres trains dans le secteur auraient eu une meilleure conscience de la situation et la collision aurait vraisemblablement été évitée.
- Grâce à des communications entre les équipes ou à l'emploi de la technologie servant à assurer une séparation sûre du matériel roulant, il aurait été possible de se faire un modèle mental exact de la position du train 771. Le recours à cette technologie ou à de meilleures communications aurait amélioré la conscience de la situation chez les membres de l'équipe du train 447 et aurait suscité une vigilance accrue.
- Si l'on avait immobilisé et inspecté immédiatement le train 771, comme l'exige l'alinéa 5.10, paragraphe c) des IGE, on aurait corrigé le dégagement de fumée qui touchait le 59e wagon, et il n'aurait pas été nécessaire de s'arrêter de nouveau. Par conséquent, l'accident ne se serait pas produit.
- Un système d'avertissement (comme un signal de queue bien visible ou un feu clignotant) qui aurait mis davantage en évidence l'arrière du train aurait probablement attiré l'attention de l'équipe plus tôt, ce qui aurait laissé plus de temps pour réagir.
- Les blessures subies par les membres de l'équipe auraient peut-être pu être beaucoup moins graves ou évitées si la cabine avait été conçue pour assurer une plus grande protection contre les impacts secondaires ou si la locomotive de tête du train 447 avait été munie de dispositifs de retenue. Toutefois, les colonnes de renfort destinées à protéger contre l'impact primaire ont protégé l'équipe lors de la collision, car elles ont empêché l'écrasement de la cabine.
3.1 Cause
La collision par l'arrière s'est produite parce que les membres de l'équipe du train 447, croyant que le train 771 était à au moins 1,5 mille plus loin, n'ont pas assuré une vigilance adéquate, de sorte qu'ils n'ont pas aperçu l'arrière du train 771 assez tôt pour être en mesure d'immobiliser leur train. L'hypothèse voulant que le train 771 ait été plus loin en avant était fondée sur l'interprétation d'un message transmis par l'automate vocal du système de détection en voie (WIS). Le manque d'information exacte quant à la position du train 771, une diffusion inadéquate de l'information sur la nature des messages à diffusion générale du WIS destinés aux équipes d'exploitation, et le fait que l'arrière du train 771 était peu visible ont contribué à l'accident.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures prises
4.1.1 Blessures
Transports Canada a signalé que le personnel chargé du matériel de sécurité ferroviaire a discuté de la question des dispositifs de retenue lors des dernières rencontres semestrielles tenues avec les compagnies ferroviaires et les syndicats. Chacune des trois grandes compagnies ferroviaires a en place un comité chargé d'examiner l'aménagement des cabines. Transports Canada a été invité à prendre part aux travaux de ces comités.
4.1.2 Surveillance du rendement et conformité aux règles
Le CN a laissé savoir que la version actuelle du système de surveillance du rendement fournit une piste de vérification qui définit les paramètres dont l'agent hiérarchique doit tenir compte, et comprend aussi des données sur les employés qui n'ont pas été surveillés par un agent hiérarchique (c'est-à-dire qui n'ont pas fait un parcours en compagnie de cet agent).
4.1.3 Technologie disponible destinée à améliorer la conscience de la situation
Transports Canada participe aux activités de différents groupes de travail chargés d'examiner les répercussions des technologies destinées à améliorer la conscience de la situation, dans le cadre des travaux du Rail Safety Advisory Council (conseil consultatif sur la sécurité ferroviaire) des États-Unis. Transports Canada a laissé savoir qu'on examinera les résultats de ces efforts et qu'on évaluera les possibilités d'application au Canada.
4.2 Mesures nécessaires
4.2.1 Sécurité des mouvements de matériel roulant
Le Bureau a traité précédemment de la question des collisions par l'arrière. La question plus vaste de la réduction des risques de collision en voie principale constitue une des questions-clés en matière de sécurité du BST. Le National Transportation Safety Board a aussi fait part de ses préoccupations dans ce domaine, et a inclus à sa liste des « améliorations en matière de sécurité » la nécessité d'un système de prévention des collisions dont les compagnies ferroviaires pourraient se prévaloir. Les compagnies ferroviaires doivent être responsables de la sécurité ferroviaire. Néanmoins, le Bureau estime que, dans l'intérêt du public, les responsabilités de Transports Canada à titre d'organisme de réglementation consistent notamment à faire en sorte que les compagnies ferroviaires mettent en place des systèmes efficaces de prévention des collisions. Le Bureau observe le perfectionnement de la technologie dans l'industrie ferroviaire et constate qu'il existe de nombreuses technologies nouvelles visant à maintenir des distances sûres de séparation entre les trains. En outre, on n'a pas encore examiné à fond toutes les solutions peu coûteuses et les solutions provisoires qui permettraient de réduire les risques de collisions par l'arrière. Le Bureau est préoccupé par le fait que des distances de séparation inadéquates continuent de poser des risques de collision et recommande donc que :
Le ministère des Transports s'assure que les technologies conçues pour maintenir une distance de séparation sûre entre les mouvements ferroviaires soient évaluées en vue d'établir une norme de sécurité minimale.
Évaluation/Réévaluation Catégorie : Entièrement satisfaisante
Recommandation R00-02 du BST
4.2.2 Signalement des retards dans l'exploitation des trains
La sécurité et l'efficacité de l'exploitation d'une compagnie ferroviaire sont tributaires en grande partie de communications précises et opportunes entre le CCF et d'autres personnes dont le travail peut avoir un effet sur l'exploitation des trains ou peut en être touché. Le fait de transmettre rapidement les renseignements en vertu des règles existantes n'incite pas toujours à signaler rapidement au CCF, aux trains et aux autres personnes dans le secteur qu'un train est retardé et présente un risque pour la sécurité. La communication immédiate des renseignements liés au retard possible d'un train incite les autres personnes touchées à prendre rapidement les mesures voulues. Par conséquent, le Bureau recommande que :
Le ministère des Transports s'assure qu'on évalue si les règles actuelles du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada et les instructions actuelles des compagnies ferroviaires sont adéquates relativement au signalement immédiat des retards de trains à toutes les personnes intéressées lorsqu'il y a un risque pour la sécurité.
Évaluation/Réévaluation Catégorie : Insatisfaisante
Recommandation R00-03 du BST
4.3 Préoccupation liée à la sécurité
Le Bureau reconnaît que les facteurs qui ont présidé à la conception des cabines des locomotives actuelles sont la résistance à l'impact et la prévention des blessures en cas de collision et de déraillement. Les occupants de la cabine des locomotives peuvent être blessés par suite de mouvements du train, comme le jeu dans les attelages, un arrêt d'urgence imprévu ou une embardée du train. Pour un occupant de la cabine d'une locomotive, de telles situations peuvent souvent lui faire perdre l'équilibre, le faire tomber et le projeter contre des objets métalliques acérés qui sont fixés en permanence dans la cabine. Par exemple, on peut être blessé à l'abdomen et à la cage thoracique quand le haut du corps heurte les rebords du pupitre de commande ou la table du chef de train. On peut aussi subir des lacérations ou des contusions en tombant sur un refroidisseur d'eau ou sur un support de plaque chauffante.
On pourrait procéder de beaucoup de façons pour réduire les risques de blessures dues aux impacts secondaires. Une approche directe consisterait à déplacer les structures dangereuses, ou à employer des dispositifs de retenue. Toutefois, comme il faut toujours essayer de concilier la sécurité et les considérations relatives à l'exploitation, il se peut qu'il ne soit pas pratique de déplacer des objets fixes. Dans de tels cas, on peut réduire les risques de blessures en appliquant des techniques de conception d'ingénierie, comme en arrondissant des arêtes vives, en ajoutant du rembourrage destiné à répartir la force de l'impact, ou en utilisant des matériaux d'amortissement pendant la construction. L'application des principes d'ergonomie pendant la conception de la cabine afin d'éliminer ces situations, et l'introduction de dispositifs de retenue permettraient de réduire le nombre de blessures subies à l'intérieur de la cabine des locomotives. Le Bureau est préoccupé par le fait que, si l'on ne modifie pas l'ergonomie des cabines de locomotives afin de protéger les occupants contre les impacts secondaires, les dangers inhérents à l'intérieur des cabines de locomotives continuent de contribuer à la gravité des blessures.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .
Annexes
Annexe A - Sigles et abréviations
- BST
- Bureau de la sécurité des transports du Canada
- CCC
- commande centralisée de la circulation
- CCF
- contrôleur de la circulation ferroviaire
- CFCP
- Chemin de fer Canadien Pacifique
- CN
- Canadien National
- FRA
- Federal Railroad Administration
- GPS
- système mondial de localisation
- HNR
- heure normale des Rocheuses
- IGE
- Instructions générales d'exploitation
- LRS
- longs rails soudés
- mi/h
- mille(s) à l'heure
- PDD
- dispositif de détection de proximité
- P.M.
- point milliaire
- PTS
- Positive Train Separation
- QNS&L
- Chemin de fer du littoral nord et du Labrador
- QSOC
- Qualifications Standard for Operating Crews
- REF
- Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada
- UDF
- unité de détection et de freinage
- UTC
- temps universel coordonné
- WIS
- système de détection en voie