Collision en voie principale
entre le train 792 et le train 415
exploités par les Chemins de fer nationaux du Canada
point milliaire 57,8 de la subdivision d’Ashcroft
Basque (Colombie-Britannique)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 1er octobre 1998, vers 4 h 42 (heure avancée du Pacifique), 2 trains de marchandises des Chemins de fer nationaux du Canada (CN) sont entrés en collision à Basque (Colombie-Britannique), dans la subdivision d’Ashcroft. Le train de marchandises C-792-51-30 (le train 792) circulant vers l’est a franchi un signal d’arrêt sur la voie principale, et a percuté le côté du train A-415-51-30 (le train 415) circulant vers l’ouest, qui s’engageait dans la voie d’évitement. Trois wagons du train 415 et la locomotive de tête du train 792 ont subi des dommages et ont déraillé. Il n’y a eu aucun blessé ni aucun déversement de marchandises dangereuses.
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Renseignements de base
Le 1er octobre 1998, à 4 h 42Note de bas de page 1, le train 792, circulant vers l'est sur la voie principale, a percuté le côté du train 415 au point milliaire 57,8 de la subdivision d'Ashcroft à Basque (Colombie-Britannique). La collision a causé le déraillement des 33e, 34e et 35e wagons du train 415, lequel s'engageait dans la voie d'évitement de Basque en direction ouest, à environ 10 mi/h. La locomotive de tête du train 792 a déraillé et a subi d'importants dommages, de même que les 3 wagons déraillés du train 415.
Le train 415 était composé de 2 locomotives, 25 wagons vides et 58 wagons chargés, dont 9 chargés de marchandises dangereuses et 2 de résidus qui n'ont pas été mis en cause dans la collision. Ce train mesurait environ 5900 pieds et pesait environ 7600 tonnes. Le train 792 était un train-bloc composé de 2 locomotives et de 102 wagons-tombereaux de charbon vides. Ce train mesurait environ 6120 pieds et pesait environ 2880 tonnes.
L'équipe du train 415 comprenait un mécanicien de locomotive et un chef de train; ceux-ci s'étaient présentés au travail à Kamloops (Colombie-Britannique), au point milliaire 0,0 de la subdivision d'Ashcroft, à 23 h 30 le 30 septembre 1998. Les membres de l'équipe devaient voyager vers l'ouest jusqu'à la gare de triage Thornton, à Surrey (Colombie-Britannique), au point milliaire 113,8 de la subdivision de Yale, ce qui représentait une distance d'environ 240 milles sur 2 subdivisions. Le train a quitté Kamloops à 0 h 45.
L'équipe du train 792 comprenait un mécanicien de locomotive et un chef de train; ceux-ci ont pris leur service à la gare de triage Thornton à 20 h le 30 septembre 1998 pour conduire leur train en direction est jusqu'à Kamloops. Ils se sont présentés au travail vers 19 h 30 et ont quitté la gare de triage Thornton à 21 h 40.
Les membres des équipes des 2 trains étaient qualifiés pour leurs postes respectifs et respectaient les exigences réglementaires en matière de période de repos obligatoire et de temps maximal de service. La pratique officielle des « parcours allongés », c'est-à-dire la conduite d'un train dans 2 subdivisions plutôt qu'une, a été mise en œuvre dans le cadre d'un projet conjoint de la direction et ses syndicats du personnel d'exploitation en 1995; toutefois, le CN exploitait des trains sur de longues distances à certains endroits depuis environ 30 ans. La conduite des trains dans 1 seule subdivision a cours depuis la construction des chemins de fer avec des terminaux de divisions établis à environ 120 milles d'intervalle. En raison de la technologie disponible à cette époque, la circulation des trains sur une telle distance nécessitait de longues périodes de travail, et il n'existait ni réglementation sur le temps maximal de service ni exigences de repos minimal. Les tâches liées à la conduite et à la protection d'un train selon le système de régulation par ordre de marche et sans communications radio avaient un effet tonique. Le pelletage manuel de charbon et les manœuvres à de multiples arrêts pour ramasser et laisser des wagons (ce qui n'est pas effectué dans le cas des parcours allongés) demandaient une attention des membres de l'équipe et leur permettaient de rester vigilants.
Le système électronique de commande centralisée de la circulation (CCC) a remplacé le système de régulation par ordre de marche, et tous les trains sont maintenant munis de radios. La circulation des trains est régie et autorisée à l'aide des indications de signaux. Les locomotives modernes (comme la locomotive de tête du train 792), dont les cabines comprennent toutes les commodités pour faciliter la conduite dans un environnement confortable, de pair avec la CCC, ont permis la conduite d'un train dans 2 subdivisions au cours d'une seule affectation.
L'horaire de travail des équipes de la gare de triage Thornton affectées aux parcours allongés est établi selon des périodes définies appelées « fenêtres d'affectation ». Les employés sont informés jusqu'à 36 heures à l'avance qu'ils seront appelés au travail à l'intérieur d'une fenêtre de 6 heures préalablement définie. Les différentes fenêtres d'affectation établies varient en fonction des besoins opérationnels. Les membres des équipes des trains peuvent donc prévoir leurs cycles veille-sommeil de manière à être reposés et vigilants pendant leurs fenêtres d'affectation. Toutefois, selon les dispositions de la convention collective, lorsqu'un employé en période de repos s'engage à travailler ou qu'un employé en service prend congé, la fenêtre d'affectation des autres employés peut décaler dans le temps, retardant ou devançant leur tour d'appel au travail. Si un employé ne travaille pas pendant sa fenêtre d'affectation, il est en période de repos jusqu'à ce que ce soit à nouveau à son tour d'être appelé au travail. Les employés qui ne travaillent pas au moment de leur tour ne sont pas rémunérés pour un aller-retour.
Après son départ de la gare de triage Thornton, le train 792 a croiséNote de bas de page 2 plusieurs trains circulant vers l'ouest dans les subdivisions Yale et Ashcroft, incluant un train à Martel, une voie d'évitement située 10 milles à l'ouest de Basque. L'équipe a rapporté qu'après avoir parcouru environ la moitié de la seconde subdivision de leur voyage, ils ont ouvert des fenêtres, se sont levés et ont bu du thé pour rester vigilants. Les 2 membres de l'équipe se souviennent avoir vu un signal de vitesse normale à arrêt différé au signal avancé de l'extrémité ouest de la voie d'évitement de Basque (point milliaire 60,3), ce qui indiquait que le prochain signal (au point milliaire 59,2) afficherait une indication de vitesse normale à arrêt et qu'ils devaient se préparer à immobiliser leur train au second signal (au point milliaire 57,8). Ils ont indiqué qu'ils ont communiqué le nom et l'indication du signal entre eux et que le chef de train a diffusé le nom du signal et l'emplacement du train par radio sur le canal d'attente, conformément à l'instruction spéciale 3 (ii) du CN relative à la règle 90 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REFC). Ils ont constaté qu'ils allaient peut-être croiser un autre train à Basque, mais ne se souviennent pas avoir entendu de communications radio de l'équipe du train circulant en sens inverse. Les registres du système informatique de signalisation ont confirmé que le signal à l'extrémité ouest de la voie d'évitement de Basque (point milliaire 59,2) affichait une indication de vitesse normale à arrêt ordonnant à l'équipe d'avancer en se préparant à s'arrêter au signal de l'aiguillage est de la voie d'évitement (au point milliaire 57,8). Les 2 membres de l'équipe ne se souviennent pas avoir vu le signal au point milliaire 59,2.
La circulation des trains dans la subdivision d'Ashcroft est régie par le système de CCC, lequel est autorisé par le REFC et supervisé par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) à Edmonton (Alberta). La circulation des trains est régie et autorisée à l'aide des indications de signaux. On a soumis le système de signalisation à des essais après l'événement à l'étude, et on a confirmé qu'il fonctionnait normalement. Dans les environs de Basque, la subdivision d'Ashcroft comporte une voie principale simple et une voie d'évitement signalisée entre les points milliaires 59,2 et 57,8. La ligne de visibilité des signaux régissant la circulation des trains en direction est aux points milliaires 59,2 et 57,8 est d'environ 1000 pieds.
Le mécanicien de locomotive du train 792 a indiqué n'avoir pris conscience du train 415 que lorsqu'il a aperçu les phares de sa locomotive de tête à l'extrémité est de la voie d'évitement de Basque; à ce moment, il a diminué l'intensité des phares de sa locomotive, a serré le frein à air et a activé le frein rhéostatique. Le chef de train a mentionné s'être fait surprendre par le train 415 circulant sur la voie adjacente seulement au moment où le train 792 approchait de l'extrémité est de la voie d'évitement de Basque. C'est alors qu'il s'est rendu compte que le train 415 s'engageait dans la voie d'évitement pour dégager la voie principale, et a demandé au mécanicien de locomotive de serrer d'urgence les freins du train. Avant de serrer d'urgence les freins du train à la demande du chef de train, le mécanicien de locomotive ne connaissait pas la position exacte du train. En cours d'immobilisation, le train 792 a franchi le signal au point milliaire 57,8, lequel affichait une indication d'arrêt, et a heurté le train 415 s'engageant dans la voie d'évitement. Les membres de l'équipe sont demeurés dans la locomotive et n'ont pas subi de blessures. Après la collision, ils ont lancé un appel d'urgence au CCF.
Renseignements consignés
Les données de l'enregistreur d'événements du train 792 confirment la séquence des événements décrite par l'équipe.
Selon l'enregistreur d'événements de la locomotive, le train 792 a circulé à une vitesse variant entre 32 mi/h et 39 mi/h sur une distance d'environ 8,5 milles (14,5 minutes) avant le serrage d'urgence des freins. Pendant cette partie du voyage, les seules actions du mécanicien de locomotive consignées par l'enregistreur ont été l'ajustement du manipulateur entre les crans 8 et 7 à un intervalle d'environ 108 secondes, ce qui correspond avec la réinitialisation du dispositif de veille automatique (DVA)Note de bas de page 3. Selon l'enregistreur d'événements de la locomotive, le mécanicien de locomotive a activé le frein rhéostatique à environ trois dixièmes de mille du point de collision; à ce moment, le train circulait à 36 mi/h. Les données de l'enregistreur indiquaient que le serrage d'urgence des freins est survenu 12 secondes plus tard, à environ deux dixièmes de mille du point de collision. Avant l'impact, le train a ralenti à environ 15 mi/h.
Cycles de travail et de repos des équipes
Le mécanicien de locomotive du train 792 avait eu 4 jours de congé avant de se présenter au travail à 20 h le 30 septembre 1998; il a indiqué qu'il n'avait pas effectué d'activités inhabituelles et avait eu des cycles de sommeil normaux pendant cette période. Le 30 septembre 1998, il s'est réveillé comme d'habitude, vers 7 h 30. Vers 9 h, on l'a avisé qu'il se trouvait au 6e rang de la 3e fenêtre d'affectation de l'horaire, ce qui suggérait qu'il retournerait au travail en fin de soirée ou après minuit le jour suivant. Selon l'horaire qu'on lui avait assigné, il devait se présenter au travail entre 2 h et 6 h. Selon sa routine habituelle, il se serait couché en début de soirée pour obtenir entre 6 et 8 heures de sommeil avant de se présenter au travail. À environ 12 h 30, alors qu'il se trouvait à 2 heures de chez lui, on l'a avisé par téléavertisseur qu'il était le prochain mécanicien de locomotive à l'horaire, ce qui signifiait qu'il serait appelé à 18 h 30 pour conduire un train jusqu'à Kamloops. Entre le moment où il a reçu l'avis de se présenter au travail à 18 h 30 et le moment où il s'est présenté au travail, il n'a obtenu qu'environ 1 heure de sommeil. Il ne s'est pas reposé davantage avant l'événement à l'étude, à 4 h 42 le 1er octobre 1998.
Le chef de train du train 792 avait eu 2 jours de congé avant d'accepter une affectation sur le train 792; il a indiqué qu'il n'avait pas effectué d'activités inhabituelles et avait eu des cycles de sommeil normaux pendant cette période. Le 29 septembre 1998, il s'est couché vers 23 h, et s'est réveillé vers 8 h le lendemain. Il s'est recouché vers 17 h le 30 septembre 1998, mais n'a pas dormi avant son heure d'appel prévu (18 h); il s'est présenté au travail à 19 h 30. Selon l'horaire qu'on lui avait assigné, il devait se présenter au travail entre 3 h et 7 h; cela n'avait toutefois pas été le cas au cours de la semaine antérieure. Selon sa routine habituelle, il se serait couché en début de soirée pour obtenir entre 6 et 8 heures de sommeil avant de se présenter au travail. Au cours de la semaine précédente, on ne l'avait pas affecté à des trains en suivant cet horaire, ce qui s'était révélé insatisfaisant pour lui. Il avait demandé à retourner au service dans une seule subdivision; ce changement d'affectation était prévu pour le 1er octobre 1998.
Cycles veille-sommeil normaux
Au fil du temps, le cycle quotidien de clarté et d'obscurité a synchronisé l'horloge biologique des personnes selon le cycle normal d'éveil le jour et de sommeil la nuit. Rester éveillé pendant les heures habituelles de sommeil, sans repos réparateur, contribue à la fatigue mentale, ce qui se traduit généralement par une diminution du rendement. Le cycle veille-sommeil normal suit un rythme circadien de 24 h, dont approximativement le tiers est consacré au sommeil. Même si le cycle varie d'une personne à l'autre, tous les humains ont 2 pointes et 2 creux distincts dans leurs niveaux de vigilance. Le creux le plus important, au cours duquel il peut être particulièrement difficile de rester vigilant, se produit juste avant l'aube, entre 3 h et 5 h. Toutefois, certains facteurs peuvent avoir une incidence positive sur le niveau de vigilance d'une personne pendant ce creux, notamment, le repos dont elle a bénéficié avant cette période. Même si l'horloge biologique d'une personne peut être déphasée à raison de 1 ou 2 heures par jour, elle ne peut tolérer des écarts abrupts de 8 à 12 heures, comme le requièrent de nombreux horaires. Le corps a besoin de plusieurs jours pour s'acclimater à un nouvel horaire; pendant cette transition, son horloge biologique n'est pas « synchronisée » avec le monde qui l'entoure. Lorsque cela se produit, l'horloge biologique garde une personne éveillée lorsqu'elle doit dormir et lui donne sommeil lorsqu'elle doit être vigilante. Dans le cadre d'études scientifiques, dont l'étude CANALERT '95, on a défini des mesures de prévention de la fatigue dont l'objectif est d'encourager la vigilance des équipes de conduite et d'atténuer les effets des creux de vigilance et de rendement.
Privation de sommeil
Des chercheurs de l'Institut militaire et civil de médecine environnementale ont effectué des expériences sur la privation de sommeil. Des essais normalisés ont permis de constater une détérioration de 30 % du rendement dans l'exécution de tâches cognitives ou de tâches de résolution mentale de problèmes, de vigilance et de communication après 18 heures sans sommeil. La vigilance est l'état d'éveil optimal du cerveau, un état dynamique qui peut varier de seconde en secondeNote de bas de page 4. La détérioration ou dégradation du rendement est progressive, et empire à mesure que la période de veille s'allongeNote de bas de page 5. Il faut plus de temps pour percevoir les choses, les interpréter ou les comprendre et y réagir ensuite. La fatigue réduit la capacité d'évaluer une distance, une vitesse ou un temps. Le piètre jugement, symptôme de fatigue, peut résulter d'une altération du fonctionnement de l'esprit ou d'un manque de motivation. La motivation est un facteur lorsqu'on est si fatigué qu'on ne peut consacrer l'énergie nécessaire pour évaluer avec soin tous les facteurs pertinents pour prendre une décisionNote de bas de page 6. La sélection, la formation et la motivation sont des facteurs inefficaces du rendement si l'esprit n'est pas suffisamment éveillé pour porter une attention concentrée aux tâches. On peut considérer l'attention comme un continuum de processus, allant des processus entièrement automatiques aux processus entièrement volontaires. De manière générale, les processus automatiques se produisent hors de la perception consciente d'une personne, demandent peu ou pas d'efforts ou même d'intention, peuvent être accomplis en même temps que d'autres tâches et sont relativement rapides. Par comparaison, les processus volontaires ne peuvent être accomplis qu'avec un contrôle conscient, par étapes, et prennent beaucoup plus de temps.
Une personne peut adopter des comportements automatiques lorsqu'elle ressent une forte envie de dormir. Une personne peut accomplir des tâches simples ou familières en adoptant des comportements automatiques, mais ne peut pas réagir rapidement à des tâches ou à des situations plus critiques nécessitant des processus volontairesNote de bas de page 7. Dans le cadre d'études en laboratoire sur le sommeil, on a constaté que les ondes du cerveau des participants adoptant des comportements automatiques étaient caractéristiques du sommeil. Le BST a reçu des rapports dans SECURITAS (le programme de signalement confidentiel du BST) que des mécaniciens de locomotive fatigués se servent du DVA comme d'un réveille-matin qu'ils réinitialisent d'un geste automatique.
Le symptôme extrême de la fatigue (en plus d'une réduction des capacités cognitives) est le sommeil irrépressible, lequel peut prendre la forme d'un microsommeil, d'une sieste ou d'une longue phase de sommeil. Le microsommeil est un sommeil qui ne dure que quelques secondes et qui isole une personne sur le plan perceptif. Autrement dit, la personne ainsi endormie est inconsciente de ce qui se passe autour d'elle. S'il est possible de confirmer l'existence du microsommeil par électroencéphalographie (EEG), les personnes n'en sont généralement pas conscientes, ce qui rend ce phénomène particulièrement dangereux.
Combattre la fatigue
En février 1986, on a nommé le juge René P. Foisy comme commissaire de l'enquête sur la collision ferroviaire de Hinton (Alberta). Le commissaire a conclu qu'aucun membre de l'équipe du train de marchandises n'était adéquatement reposé et qu'un manque d'attention causé par de la fatigue l'a peut-être empêchée de conduire le train correctement. La commission d'enquête s'est ensuite penchée sur les règles relatives au temps de travail et de repos et a émis des recommandations concernant les heures de repos obligatoires et la modification des pratiques d'établissement des horaires de travail dans le secteur ferroviaire. Ces recommandations se sont traduites par l'adoption de règlements intérimaires sur les heures de repos obligatoires par le Comité des transports par chemin de fer de l'Office des transports du CanadaNote de bas de page 8 en 1987.
La commission a recommandé l'installation par les compagnies ferroviaires canadiennes d'un dispositif de veille automatique (DVA) dans toutes les locomotives de tête de train; l'organisme de réglementation a ensuite entériné cette mesure. On a doté chaque locomotive d'un dispositif de veille automatique qui peut être réenclenché manuellement, soit par un ajustement des commandes et des dispositifs de la locomotive, soit en réaction à des alarmes visuelles ou auditives. La période de synchronisation dépend de la vitesse de la locomotive; elle s'établit à 127 secondes pour une vitesse de 10 mi/h, à 104 secondes pour une vitesse de 20 mi/h et à 88 secondes pour une vitesse de 30 mi/h. À la seconde 0 (c'est-à-dire à la fin de la période de synchronisation), les alarmes visuelles commencent à clignoter. À la seconde 5, elles clignotent toujours et une alarme sonore se fait entendre. L'alarme devient de plus en plus intense jusqu'à ce qu'elle atteigne son niveau maximal à la seconde 20. Si le dispositif n'est pas réenclenché, un serrage des freins se déclenche automatiquement à la seconde 23. Les alarmes visuelles (voyants clignotants) se trouvent devant le mécanicien, légèrement au-dessus des yeux. Le bouton du dispositif de réenclenchement manuel se trouve ordinairement sur la console de la locomotive, à la portée du mécanicien.
En 1995, le Chemin de fer Canadien Pacifique (CP), les Chemins de fer nationaux du Canada (CN), VIA Rail Canada Inc. (VIA), la Fraternité internationale des ingénieurs de locomotivesNote de bas de page 9 et l'entreprise Circadian Technologies Inc. ont collaboré à un programme visant à élaborer, à mettre en œuvre et à tester un processus d'assurance de la vigilance appelé CANALERT ‘95. Les objectifs de ce programme étaient :
- d'élaborer un ensemble de mesures pour contrer la fatigue et améliorer ainsi le degré de vigilance d'un groupe de mécaniciens sans nuire à l'exploitation;
- de confirmer l'efficacité de ces mesures;
- de déterminer les degrés relatifs de vigilance et de stress mental des mécaniciens qui conduisent des trains rapides de voyageurs, comparativement aux mécaniciens de trains de marchandises;
- d'effectuer une analyse du degré de fatigue que les horaires provoquent qui pourraient exister dans les services voyageurs.
On a procédé à une analyse générale des caractéristiques de la vigilance, du sommeil et de l'effort de concentration pour résoudre les problèmes de fatigue ou de « diminution de la vigilance » dans le réseau ferroviaire canadien. On a ensuite élaboré des mesures particulières pour contrer la fatigue pendant l'exploitation de trains de marchandises. Parmi ces mesures, on retrouvait l'établissement d'horaires de travail plus réguliers et plus prévisibles, les siestes en service et pendant les périodes de repos, l'amélioration des installations de couchage, l'utilisation de casques pour la diffusion de musique et les communications, et un programme de formation sur le mode de vie dans le secteur ferroviaire. D'après l'expérience acquise grâce à la mise en œuvre de ces mesures pour contrer la fatigue et les résultats de l'analyse générale, les recommandations CANALERT ‘95, émises en mai 1996, stipulaient notamment :
- d'établir des stratégies d'un programme de récupération de la vigilance pour permettre une sieste en cours de route et en gare;
- d'installer des systèmes audio dans les cabines de locomotive; et
- d'élaborer et de donner un programme de formation axé sur le mode de vie.
Des études scientifiques ont fourni des preuves objectives qu'une personne peut déphaser son rythme circadien de 1 heure à 1 heure et demie par jour, et ont démontré que des mesures de prévention de la fatigue atténuent efficacement les répercussions des creux circadiens sur la vigilance. Ainsi, les humains peuvent fonctionner correctement pendant ces périodes, sans que leur rendement se dégrade à un niveau de vigilance dangereux. Le CN a mis en œuvre les initiatives de l'étude CANALERT ‘95 dans certaines de ses subdivisions dans le cadre d'un projet pilote, et a constaté qu'elles s'avéraient pragmatiques pour offrir aux employés un horaire de travail stable. Le CN a donné le nom de « programme d'assurance de la vigilance » à ces initiatives et a formé un comité mixte avec les syndicats représentant le personnel d'exploitation. Ensemble, ils ont défini le modus operandi du concept. Au moment de la mise en œuvre des parcours allongés, le CN et les syndicats se sont entendus pour qu'un second mécanicien de locomotive soit présent pour atténuer les risques réels et perçus particuliers propres à l'environnement de ces parcours. Toutefois, le système de fenêtres d'affectation est devenu source de mécontentement, car un employé qui manque un voyage ne peut le compenser par un autre pour des raisons d'ancienneté ou de droits de supplantation. Comme les syndicats ferroviaires ne sont pas tous d'accord avec les recommandations de l'étude CANALERT '95, certaines recommandations de cette étude ont été délaissées. Les syndicats ont cessé de participer aux comités de Winnipeg (Manitoba) et de Fort Frances (Ontario) pour se pencher sur la question de la rémunération garantie pour les employés assujettis au système de fenêtres d'affectation.
« L'Association des chemins de fer du Canada (ACFC), de concert avec ses compagnies membres, les syndicats d'employés des chemins de fer et Transports Canada, est en train d'élaborer de nouvelles règles de service et de repos pour les employés d'exploitation. Ces règles remplaceront les règles actuelles sur le nombre maximal d'heures de service et les heures de repos obligatoire. » On s'attend à ce que le ministère des Transports évalue les nouvelles règles sur les heures de travail et de repos du personnel d'exploitation d'ici mai 2001, après la soumission de l'article 20 de la Loi sur la sécurité ferroviaire. L'ACFC a fait savoir au BST que « même si des mécanismes et des stratégies d'aménagement des horaires peuvent améliorer la vigilance des employés, aucun système au monde ne peut garantir que les employés seront vigilants pendant toute la durée de leur quart de travail ».
Le CN a mis en œuvre les initiatives de l'étude CANALERT '95 sur la modification des dortoirs à de nombreux endroits et a mis sur pied un programme de formation sur le mode de vie. Toutefois, l'initiative qui aurait permis à l'équipe du train 792 de faire une courte sieste en cours de route pour contrer les effets de la fatigue n'était pas en vigueur dans cette subdivision.
Analyse
Les preuves matérielles et les données enregistrées corroborent la séquence des événements rapportée par les membres de l'équipe des 2 trains. La méthode et le mode de conduite du train 415 étaient conformes aux exigences de la réglementation et de l'entreprise, et n'ont pas contribué à l'accident. Toutefois, le train 792 en direction est a franchi un signal d'arrêt et a heurté le côté du train 415. Il est possible que les membres de l'équipe aient subi une phase de sommeil à l'approche de Basque. On examinera les effets de la fatigue sur l'équipe du train 792 et l'approche réglementaire, sectorielle et syndicale en matière de sommeil.
Dans le passé, la conduite d'un train était physiquement bénéfique et suffisamment exigeante pour favoriser le maintien de la concentration et de l'attention des employés, et permettait aux membres des équipes de rester vigilants. Toutefois, l'environnement soporifiqueNote de bas de page 10 d'une cabine de locomotive moderne (sans la stimulation des travaux physiques) est devenu propice à l'inattention et la relaxation, états qui entraînent une baisse de la vigilance et l'apparition de la fatigue chez les employés non reposés. La fatigue de l'équipe est encore plus prononcée dans la seconde partie des parcours allongés, car la distance parcourue et la durée de ces affectations sont généralement 2 fois plus longues que dans le cas d'une affectation normale.
La capacité du mécanicien de locomotive et du chef de train du train 792 à se souvenir des croisements de trains, des indications et de la signification des signaux indique qu'ils ont maintenu un certain niveau de vigilance jusqu'au signal d'approche de la voie d'évitement de Basque (au point milliaire 60,3), un endroit correspondant à environ la moitié de la seconde subdivision de leur voyage. Le cycle veille-sommeil des 2 membres de l'équipe au cours de la journée de leur affectation s'est traduit par une montée de fatigue. Au moment de l'événement à l'étude, le chef de train était éveillé depuis près de 21 heures consécutives, et le mécanicien de locomotive n'avait dormi que 1 heure au cours des 21 dernières heures.
Les efforts déployés par l'équipe du train 792 pour rester vigilants à l'approche de Basque correspondent à l'apparition de la fatigue. Même si les membres de l'équipe se doutaient qu'ils allaient croiser un train à Basque, ces efforts ne leur ont pas permis de contrer les effets de la fatigue extrême. Ils n'ont pas vu le signal au point milliaire 59,2 régissant la circulation des trains à Basque, une courte distance après avoir confirmé l'indication du signal d'approche au point milliaire 60,3. Comme la ligne de visibilité du signal au point milliaire 59,2 est inférieure à 1000 pieds et que ce signal est visible pendant environ 20 secondes, le manquement de l'indication du signal est un signe de microsommeilNote de bas de page 11 (une période de sommeil brève qui survient lorsqu'une personne est très fatiguée). Pendant cette phase de fatigue, les personnes peuvent réagir à des tâches simples ou familières en adoptant des comportements automatiques. Par contre, elles ne sont pas conscientes de ce qui se passe autour d'elles, car elles peuvent avoir succombé involontairement à un état de sommeil incontrôlable. Il est possible que les 2 membres de l'équipe du train 792 aient subi une période de microsommeil à l'approche et au franchissement du signal au point milliaire 59,2.
Selon le cycle veille-sommeil de leur horloge biologique respective, le mécanicien de locomotive et le chef de train travaillaient pendant une période de sommeil. Le changement inattendu de la fenêtre d'affectation du mécanicien de locomotive l'a empêché d'obtenir du repos réparateur, ce qui a compromis sa capacité à être reposé et a causé son état de fatigue. L'horloge biologique du chef de train n'était pas ajustée à un horaire de travail nocturne. On a également souligné que même si les membres de l'équipe du train 792 satisfaisaient aux exigences réglementaires sur les heures de repos obligatoires, ils étaient éveillés depuis longtemps au moment de se présenter au travail et n'étaient pas reposés.
Le système de gestion des équipes par fenêtres d'affectation permet aux employés d'avoir une idée générale du moment où ils devront se présenter au travail. Cela constitue une amélioration considérable par rapport au traditionnel système de gestion des équipes sans horaire et fondé sur le principe « premier entré, premier sorti ». Les fenêtres d'affectation permettent aux employés de planifier plus facilement leurs temps libres et de prévoir leur rémunération. Toutefois, ils peuvent avoir de la difficulté à planifier leurs activités lorsque leur fenêtre d'affectation change (p. ex., lorsque d'autres employés s'engagent à travailler ou prennent congé). Si la fenêtre d'affectation est devancée, l'employé peut ne pas être en mesure de se reposer; si elle est repoussée, l'employé reposé peut à nouveau être fatigué avant de se présenter au travail. Même s'il s'agit d'un bon système, ses avantages en matière de vigilance sont perdus lorsque la fenêtre d'affectation des employés change et que leur cycle veille-sommeil est perturbé. La motivation financière de se présenter au travail est très élevée, même lorsque les employés ne sont pas reposés. Lorsqu'ils ont le choix, les employés peuvent décider de se présenter au travail dans un état de fatigue ne les permettant pas de rester vigilants pendant tout le voyage plutôt que de ne pas travailler et ne pas être rémunérés pour le voyage refusé.
La réglementation et les politiques des entreprises et des syndicats sur la gestion des horaires ne tiennent pas compte de l'état de vigilance des employés ou des changements aux heures de travail prévues et aux cycles veille-sommeil. Si cela était le cas, les membres de l'équipe du train 792 se seraient peut-être présentés au travail dans un état leur permettant d'être attentifs et vigilants pendant l'ensemble de leur affectation. Si l'affectation d'un employé est déplacée à un moment où il n'est pas reposé, peu importe les changements personnels (ajustements au cycle veille-sommeil) qu'il apportera à ses activités pour synchroniser son horloge biologique avec sa fenêtre d'affectation, et peu importe s'il est bien reposé pour cette affection, il n'existe aucun mécanisme permettant d'assurer l'exploitation sécuritaire d'un train par une équipe reposée. Cela peut se traduire par l'exploitation non sécuritaire de trains par des employés non reposés, et ce, même si l'on respecte toutes les exigences des organismes de réglementation, de la compagnie ferroviaire et des syndicats sur le nombre maximal d'heures de travail et les périodes de repos obligatoire. La mise en œuvre réussie d'une stratégie de gestion de la fatigue nécessitera la participation active des compagnies ferroviaires, des employés et des syndicats.
L'étude CANALERT '95 a fourni des preuves scientifiques et objectives que la mise en œuvre de ses recommandations se traduirait par l'atténuation des risques liés à la fatigue dans l'environnement opérationnel ferroviaire. Toutefois, même si des stratégies et des mécanismes adéquats de planification des horaires peuvent offrir aux employés un environnement favorisant leur vigilance, rien ne peut garantir qu'ils se présenteront toujours au travail dans un état qui leur permettra de demeurer vigilants pendant la durée de leur affectation.
Comportements automatiques
Les comportements automatiques ne nécessitent pas de décisions conscientes relativement aux muscles qu'il faut utiliser ou aux gestes qu'il faut poser (p. ex., composer un numéro de téléphone familier ou conduire une voiture sur une route peu achalandée jusqu'à une destination familière). De nombreuses tâches commencent par des interventions volontaires, mais l'automatisme prend le dessus au fil du temps. Par exemple, la conduite d'un véhicule est initialement un processus volontaire. Mais à mesure qu'une personne gagne de l'expérience, cette tâche devient automatique dans des conditions de conduite normales (routes familières, bonnes conditions météorologiques, peu ou pas de circulation). Les caractéristiques des processus nécessaires à la réinitialisation du dispositif de veille automatique (DVA) correspondent à celles du comportement automatique. C'est-à-dire qu'une personne peut poser des gestes simultanés, de manière inconsciente, avec peu ou pas d'effort et assez rapidement. Le phénomène des comportements automatiques devient plus apparent lorsqu'une personne est fatiguée mentalement. La meilleure façon de rétablir les processus volontaires est d'obtenir du repos réparateur (c'est-à-dire, dormir ou faire une sieste). Si les membres de l'équipe du train 792 avaient pu faire une sieste à la voie d'évitement précédant celle de Basque pour contrer la fatigue, leur vigilance aurait peut-être été rétablie.
Le mouvement périodique du manipulateur était réglé à intervalle d'environ 108 secondes, ce qui correspond de près au délai de réinitialisation du DVA. Cela suggère que le mécanicien de locomotive utilisait le manipulateur pour réinitialiser le DVA. Toutefois, comme il était fatigué, il accomplissait probablement cette tâche de manière inconsciente, ce qui a réduit l'efficacité du DVA en tant que dispositif de sécurité. Le mécanicien de locomotive avait aussi activé le frein rhéostatique et effectué un serrage des freins normal, mais tardif, sans avoir conscience de la position du train. Les stimuli du DVA (un voyant clignotant suivi d'une alarme sonore) ne suffisaient pas à maintenir le mécanicien de locomotive et le chef de train dans un état où ils pouvaient réagir à autre chose qu'au déclenchement du DVA. Lorsque l'équipe a été surprise par le bruit des locomotives passant sur la voie adjacente et que le chef de train a demandé au mécanicien de locomotive de serrer d'urgence les freins, le mécanicien de locomotive a reçu des stimuli suffisants pour rétablir son niveau de vigilance, passant de comportements automatiques à un processus de réaction volontaire.
Faits établis
- Les preuves matérielles et les données enregistrées corroborent la séquence des événements rapportée par les membres de l'équipe des 2 trains.
- La méthode et le mode de conduite du train 415 étaient conformes aux exigences de la réglementation et de l'entreprise, et n'ont pas contribué à l'accident.
- Il est possible que les 2 membres de l'équipe du train 792 aient subi une période de microsommeil à l'approche et au franchissement du signal en commande centralisée de la circulation (CCC) au point milliaire 59,2 régissant la voie d'évitement de Basque.
- La fatigue de l'équipe est encore plus prononcée dans la seconde partie des parcours allongés, car la distance parcourue et la durée de ces affectations sont généralement 2 fois plus longues que dans le cas d'une affectation normale.
- Les équipes de conduite peuvent se conformer aux exigences réglementaires actuelles sur les périodes de repos obligatoire et de temps maximal de service même si elles ne sont pas suffisamment reposées.
- La perte de rémunération causée par un voyage manqué peut inciter un employé à se présenter au travail même s'il n'est pas suffisamment reposé.
- Si l'on avait tenu compte des cycles veille-sommeil des employés dans le cadre de la gestion des horaires des équipes (tel que cerné dans l'étude CANALERT '95), les membres de l'équipe du train 792 se seraient peut-être présentés au travail dans un état leur permettant d'être attentifs et vigilants pendant l'ensemble de leur affectation.
- Les dispositions de l'étude CANALERT '95 sur les siestes en cours de route sont destinées à constituer une mesure de prévention de la fatigue dont l'objectif est d'accroître la sécurité de l'exploitation ferroviaire en permettant à l'équipe d'un train d'obtenir du repos réparateur.
- Les tâches associées au dispositif de veille automatique (DVA) ne sont pas assez absorbantes ou intenses pour empêcher les comportements automatiques. En conséquence, le DVA peut ne pas jouer son rôle dans toutes les situations.
- La mise en œuvre complète de mesures de prévention de la fatigue nécessitera l'acceptation et la coopération de toutes les parties prenantes de l'industrie ferroviaire, dont les cadres, les syndicats et les employés.
Causes et facteurs contributifs
La collision s'est produite lorsque les membres de l'équipe du train 792 ont conduit leur train au-delà d'un signal d'arrêt. Les membres de l'équipe de train étaient fatigués en raison d'une longue période de veille sans période de repos réparateur, et ils ont succombé à la fatigue; ils ont possiblement subi une période de microsommeil qui les a empêchés de reconnaître le signal d'arrêt.
Un facteur contributif de l'événement à l'étude a été la difficulté qu'a éprouvée le secteur ferroviaire à prévoir les horaires des employés chargés de la conduite des trains tout en tenant compte des cycles veille-sommeil de ces employés, afin de combler leur besoin de se reposer.
Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Par conséquent, le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le 20 décembre 2000.