Rapport d'enquête ferroviaire R00W0246

Déraillement en voie principale
du train 340-901
du Chemin de fer Canadien Pacifique
au point milliaire 5,8 de la subdivision Carberry
près de Winnipeg (Manitoba)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 30 novembre 2000 vers 0 h 40, heure avancée du Centre, 18 wagons-trémies chargés de blé du train 340-901 en direction est du Chemin de fer Canadien Pacifique ont déraillé au point milliaire 5,8 de la subdivision Carberry, près de Winnipeg (Manitoba), pendant que le train roulait à environ 36 mi/h sur la voie principale sud. Les wagons déraillés ont subi des dommages considérables, ont perdu une grande partie de leur chargement et ont bloqué les voies principales nord et sud, ainsi que la voie principale adjacente de la subdivision Oak Point du Canadien National.

    This report is also available in English.

    Renseignements de base

    Le train 340-901 (le train) du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) part de Brandon (Manitoba), point milliaire 133,1, à destination de Winnipeg (Manitoba), point milliaire 0,0. Il mesure environ 7 400 pieds et pèse quelque 15 200 tonnes. Il a un groupe de traction formé de 2 locomotives et il se compose de 117 wagons-trémies chargés et de 3 wagons-trémies vides. Les données du consignateur d'événements montrent qu'un freinage d'urgence provenant de la conduite générale s'est déclenché pendant que le mécanicien maintenait une vitesse d'environ 36 mi/h en faisant tourner les moteurs à peu près à mi-régime (position no 3), et que les freins à air étaient desserrés. Le train venait de passer devant un détecteur de boîtes chaudes et de pièces traînantes au point milliaire 18,1, lequel n'avait signalé aucune anomalie.

    Dans la subdivision Carberry, la circulation des trains est régie par la commande centralisée de la circulation en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada et est surveillée par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) posté à Calgary (Alberta). Du point milliaire 53,7 au point milliaire 1,5, la voie principale de la subdivision est double. Au point milliaire 5,9, la subdivision Glenboro du CFCP rejoint la subdivision Carberry à partir du sud. La subdivision Oak Point du Canadien National (CN) croise la subdivision Carberry au point milliaire 5,8 et longe l'emprise du CFCP, au sud de celle-ci, jusqu'à Winnipeg. La vitesse maximale autorisée est de 60 mi/h entre le point milliaire 50,7 et le point milliaire 5,8, et de 40 mi/h du point milliaire 5,8 au point milliaire 3,6.

    Dès qu'ils perçoivent le freinage d'urgence, les membres de l'équipe envoient un message radio d'urgence sur les ondes du canal d'attente du train afin d'avertir les autres trains du CFCP de leur situation. Ils entrent ensuite en contact avec le CCF, lequel assure la protection des voies principales nord et sud. Conformément à un protocole dont le CFCP et le CN ont convenu au sujet des situations d'urgence sur des voies adjacentes, le contrôleur en chef de la circulation ferroviaire du CFCP averti immédiatement son homologue du CN, posté à Edmonton (Alberta), qui se charge alors de protéger les voies du CN touchées.

    Au point milliaire 11,7, on relève des marques sur le rail nord, suivies d'un sillon constitué de stries profondes laissées sur les traverses et le ballast du côté intérieur nord de la voie ferrée. Ces marques mènent vers le coeur de croisement de l'aiguillage de Glenboro, point milliaire 5,9, et vers une autre zone où la voie ferrée a été détruite.

    Un grand nombre des wagons déraillés (du 69e au 86e inclusivement) se sont renversés et ont laissé échapper leur chargement le long des voies principales nord et sud et de la voie principale du CN. Les voies principales sud et nord du CFCP, du point milliaire 5,9 au point milliaire 5,6, ont subi de lourds dégâts ou ont été détruits complètement. La liaison du CN au point milliaire 5,8 a subi des dommages considérables.

    Le premier wagon qui a déraillé, le CPWX 604225, qui a le bout « A » vers l'avant, reste attelé à la partie avant du train, le bogie avant encore sur les rails, et s'immobilise près du point milliaire 4,6. Le bogie arrière a complètement déraillé du côté sud et a une roue brisée à la position L-3. La roue en question s'est brisée en plusieurs morceaux. Un gros morceau relié à l'essieu reste coincé dans le châssis de bogie. On retrouve un morceau de la jante sur la plate-forme de la voie, à l'est du point milliaire 11,2; les autres morceaux ne sont pas récupérés.

    La roue brisée est une roue de 36 pouces à toile courbe de catégorie C, reprofilable une fois (modèle CJ-36), dont la jante mesurait à l'origine 2 pouces 1/8 (54 mm) d'épaisseur (soit 1/8 de pouce ou 3,2 mm de plus que la valeur exigée par l'Association of American Railroads [AAR]). Les roues de ce type sont conçues pour servir sous des wagons de marchandises de 100 tonnes. La roue a été fabriquée en février 1976 dans les installations de Griffin Wheel, à Saint-Hyacinthe (Québec). Lors de sa fabrication, la roue a fait l'objet d'essais aux ultrasons et a été déclarée bonne pour le service. L'essieu monté a reçu les roues en avril 1976 et a reçu des roulements à rouleaux remis à neuf en 1991. De plus, l'essieu monté avait été reprofilé à une occasion au cours de sa durée de vie utile, bien qu'on n'ait retrouvé aucun dossier relatif à ces travaux.

    En 1976, Griffin Wheel fabriquait des roues monobloc et utilisait la technique de coulée en source sous pression faisant appel à neuf masselottes. La technique de coulée sous pression permet un écoulement régulier de l'acier liquide dans le moule, réduisant le nombre d'imperfections superficielles ainsi que la possibilité de réoxydation susceptible d'entraîner la formation d'inclusions d'oxyde. Le centre thermique qui en a résulté (la dernière zone à se refroidir) devait se trouver entre 1 pouce ½ et 1 pouce ¾ (40 mm et 45 mm) sous la surface de roulement. Des porosités dues à des microlacunes se forment dans les centres thermiques quand le volume du dernier liquide à se solidifier est plus grand que celui du métal massif obtenu. En 1976, les essais aux ultrasons effectués par Griffin Wheel pour les roues reprofilables une fois de modèle CJ-36 et les roues reprofilables plusieurs fois de type CK-36 (36 pouces) reposaient sur un étalonnage pleine trame qui fournissait un signal renvoyé par un trou à fond plat de 1/8 de pouce (3,2 mm) situé à deux pouces sous la surface de la jante; le critère de refus correspondait à un signal à mi-hauteur de trame. Il a été établi que le niveau de refus pour les roues non reprofilables de 36 pouces était un signal à mi-hauteur de trame renvoyé par un trou de 1/8 de pouce situé à 1 pouce ½ de la surface de la jante.

    L'essieu monté et le morceau de jante qu'on a récupérés ont été envoyés aux laboratoires techniques du CFCP / Université du Manitoba, à Winnipeg, et ils ont été examinés en présence d'un ingénieur du BST. Le rapport ultérieur du Laboratoire technique du BST (no LP 130/00) en est venu aux conclusions suivantes :

    • La rupture de la roue était due à une fissuration par fatigue qui a pris naissance dans une porosité due à une microlacune introduite lors de la fabrication.
    • Compte tenu de l'information suivant laquelle la jante de la roue neuve avait une épaisseur de 54 mm (2 pouces 1/8), la microlacune originale se trouvait à 41 mm (1 pouce 5/8) sous la surface de roulement, mais au moment de la rupture, l'usure avait réduit cette épaisseur à 13 mm (½ pouce). Lors de la rupture, la jante mesurait 25 mm (1 pouce) d'épaisseur.
    • La porosité due à la microlacune a interagi avec les contraintes superficielles pour former des fissures. Les fissures sous-surfaciques n'auraient pas été visibles de l'extérieur.
    • On n'a observé ni fissure due à la chaleur ni exfoliation du congé de roulement sur l'une ou l'autre des roues.
    • La dureté et la composition chimiques des roues étaient conformes aux spécifications.

    Le rapport ajoute que, si la porosité affecte la jante et si les contraintes sous-surfaciques rejoignent la porosité, elles agissent comme une zone de concentration des contraintes et occasionnent une fissuration. Les fissures se propagent parallèlement à la surface de la jante.

    L'examen a aussi permis de déterminer que la surface touchée par la porosité due à des microlacunes consistait en plusieurs espaces vides mesurant jusqu'à 4,49 mm (0,148 pouce) de longueur. Griffin Wheel a fait savoir que des microporosités de cette taille situées à 1 pouce 5/8 (41 mm) sous la surface de la jante n'auraient pas été un motif de refus en 1976.

    L'AAR exige que les roues soient réformées pour cause d'amincissement de la jante si l'épaisseur de la jante est de 7/8 de pouce (22,2 mm) ou moins pour les roues de 28, 36 et 38 pouces. En 1976, les normes de l'AAR exigeaient que les jantes des roues fassent l'objet d'essais aux ultrasons lors de la fabrication et que le contrôle des défauts de métallurgie se fasse en fonction d'une norme de réflexion fondée sur une image acoustique renvoyée par un trou de de pouce pratiqué dans un fond plat à une distance minimale de 1 pouce ¼ (32 mm) de la surface de la jante, le niveau de refus étant fixé à la hauteur de la trame. L'épaisseur de la jante varie d'un modèle à l'autre, mais l'épaisseur de la table de roulement est en général de 1 pouce ½ (38 mm) pour les roues non reprofilables, de 2 pouces (50 mm) pour les roues reprofilables une fois et de 2 pouces ½ (64 mm) pour les roues reprofilables plusieurs fois. En 1999, l'AAR a révisé sa norme relative à la réflexion ultrasonique, faisant passer la norme de refus d'un signal pleine trame à un signal de mi-hauteur de trame renvoyé par un trou à fond plat de 1/8 de pouce situé à 1 pouce ¼ de la surface de la jante.

    Le Règlement concernant l'inspection et la sécurité des wagons de marchandises de Transports Canada stipule que : « Les compagnies ferroviaires ne doivent pas mettre ni maintenir en service un wagon présentant une des anomalies suivantes : . . . (h) jante dont l'épaisseur est de 11/16 de pouce (17,4 mm) ou moins » Note de bas de page 1. En plus des exigences de l'AAR et de Transports Canada, le CFCP a élaboré des politiques sur l'inspection des wagons de marchandises (Freight Car Inspection Policies), qui visent notamment à prévenir les accidents ferroviaires ou les blessures attribuables à du matériel roulant défectueux, tout en gênant le moins possible la circulation des trains. Pour ce qui est de l'état des roues, les inspections visuelles faites par des employés qualifiés avant le départ sont destinées en partie à détecter les roues brisées ou fissurées. Entre le 21 et le 29 novembre 2000, le wagon CPWX 604225 a fait l'objet de plusieurs inspections de ce genre, lesquelles n'ont pas révélé d'anomalies relatives aux roues.

    Griffin Wheel a laisser savoir que, depuis 1976, elle n'a cessé d'améliorer ses processus de fabrication et d'inspection. Au milieu des années 1990, elle a modifié sa technique de coulée pour employer 13 masselottes plutôt que 9, ce qui a donné des centres thermiques plus petits et plus profonds (de 2 pouces à 2 pouces ½ [de 50 mm à 63 mm] de la surface de la jante comparativement à une distance de 1 pouce ½ à 1 pouce ¾ [de 38 mm à 45 mm]). L'appareillage informatisé d'essais aux ultrasons permet une meilleure pénétration dans l'acier ainsi que des balayages radiaux et axiaux et la mise en mémoire des données. Griffin Wheel a aussi fait en sorte que son critère de refus corresponde à un signal équivalent à un quart de la hauteur de trame pour un signal provenant d'un trou à fond plat de 1/8 de pouce situé à 1 pouce ¼ de la surface de la jante. À la connaissance de Griffin Wheel, on n'a signalé aucune rupture de jante depuis la mise en oeuvre des processus améliorés de coulée et d'inspection.

    Analyse

    On n'a relevé aucune anomalie évidente relative à la conduite du train, aux rails ou au matériel roulant avant le déraillement et les marques relevées sur la plate-forme au point milliaire 11,7 donnent à penser qu'il y a eu défaillance du matériel roulant à cet endroit. L'analyse portera sur la roue brisée du premier wagon déraillé et sur les questions liées à la fabrication, à l'entretien et à l'inspection de ces éléments.

    Les marques sur la plate-forme de la voie, les dommages subis par la roue L-3 et la position où le wagon CPWX 604225 a fini sa course donnent à penser qu'une roue s'est brisée et a déraillé au point milliaire 11,7. Après avoir déraillé, la roue a raclé les traverses et le ballast sur une distance de près de six milles, après quoi elle a heurté les pièces de l'aiguillage d'une autre voie au point milliaire 5,9, entraînant la destruction des voies et le déraillement des 17 wagons qui suivaient.

    La roue était conforme aux spécifications en matière de métallurgie et n'avait pas atteint les limites critiques d'usure. La rupture a résulté d'une fissuration par fatigue qui s'était propagée parallèlement à la surface de la jante et qui avait résulté d'une porosité due à des microlacunes introduites lors de la coulée. Les fissures et la microporosité se trouvaient sous la surface de la jante et, comme bien des défauts de ce type, elles étaient invisibles à la surface. Aucun régime d'inspection visuelle ne permet de détecter des défauts sous-surfaciques de ce genre et d'empêcher que l'on garde en service les roues affectées de ces défauts.

    D'autres facteurs que la profondeur et la taille (c'est-à-dire la forme et l'orientation) entrent en ligne de compte lorsque des contraintes superficielles se combinent à des microporosités pour causer une fissuration. Il convient de noter que cette porosité n'a pas été un motif de refus en vertu des normes de Griffin Wheel, lesquelles étaient beaucoup plus rigoureuses que les normes de l'AAR en vigueur jusqu'en 1999. De plus, la norme améliorée de l'AAR (1999), qui est toujours en vigueur, ne fait que correspondre à la norme que Griffin Wheel appliquait en 1976. Dans le cas qui nous intéresse, la norme plus rigoureuse qui était en vigueur en 1976 n'a pas empêché la mise en service de cette roue susceptible de présenter un danger. Il s'ensuit que des roues soumises à des essais en vertu de ces normes au moment de leur fabrication (par le passé et à l'avenir) pourraient renfermer des microporosités susceptibles de compromettre la sécurité après de nombreuses années de service.

    Du fait de l'usure et de l'entretien au cours d'une période de 24 ans, la microporosité s'est approchée de la surface au point d'interagir avec des contraintes superficielles et de former des fissures sous-surfaciques qui ont fini par compromettre l'intégrité de la roue. Comme la porosité se trouvait à quelque 13 mm de la surface de la jante lors de la rupture de la roue, il se peut que ce soit à cette profondeur approximative qu'une microporosité approchant de cette taille devient dangereuse lorsqu'elle se combine à des contraintes superficielles. Dans le cas qui nous intéresse, il faut noter que Griffin Wheel calcule que le centre thermique de ses roues de 36 pouces se trouve à une distance de 1 pouce ½ à 1 pouce ¾ (de 38 mm à 44 mm) de la surface de la jante. La microporosité a été localisée à 1 pouce 5/8 (41 mm) de la surface de la jante, la limite d'usure est fixée à 1 pouce 5/16 (33 mm) de la surface originale de la jante, et au moment de la rupture de la roue, l'usure de la surface de la jante avait atteint 1 pouce 1/8 (29 mm) de la surface originale de la jante. Par conséquent, il semble qu'à moins de recourir à des critères de refus plus rigoureux, il faille établir des limites d'usure qui tiennent compte de la formation de microporosités au moment de la fabrication des roues, et qu'il soit raisonnable de prévoir que ces limites dépassent la profondeur de 13 mm à laquelle les microporosités sont susceptibles de se former.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Une roue du 69e wagon du train a déraillé après s'être brisée dans une zone affectée par des fissures sous-surfaciques dues à la fatigue qui s'étaient formées à partir d'une zone de porosité introduite lors de la fabrication de la roue. Par la suite, la roue a causé des dommages considérables à la voie ferrée et a fait dérailler les 17 wagons suivants lorsqu'elle a heurté les pièces d'un aiguillage au point milliaire 5,9.

    Faits établis quant aux risques

    1. Aucun régime d'inspection visuelle ne permet de détecter des défauts sous-surfaciques de ce genre et d'empêcher que l'on garde en service des roues présentant des défauts.
    2. Des roues soumises à des essais aux ultrasons conformes aux normes de l'AAR au moment de leur fabrication (par le passé et à l'avenir) pourraient renfermer des microporosités susceptibles de compromettre la sécurité après de nombreuses années de service.

    Mesures de sécurité

    Mesures de sécurité prises

    La section G11 du Manual of Standards and Recommended Practices de l'AAR sur les normes et les pratiques recommandées, portant sur les roues et les essieux, a été revisée le 1er janvier 2003 et exige maintenant que toutes les roues réutilisées ou les roues reprofilées soient soumises à des essais aux ultrasons avant d'être remises en service.

    L'AAR s'emploie à élaborer une spécification révisée en matière de propreté de l'acier de même qu'une spécification révisée, qui précisera des limites quant à l'inclusion de débris de fer dans les flans servant à la fabrication des roues neuves. Jusqu'a maintenant, aucune date n'a été fixée quant à l'adoption de ces changements aux spécifications.

    Les changements décrits précédemment devraient permettre une amélioration générale de la qualité des roues et devraient permettre d'atténuer les risques mis en évidence dans le présent rapport.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .