Rapport d'enquête ferroviaire R07T0240

Déraillement en voie principale
Chemin de fer Canadien Pacifique
Train de marchandises no 230-25
Point milliaire 42,80 de la subdivision Belleville
Tichborne (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 25 août 2007 vers 22 h 30, heure avancée de l'Est tandis que le train de marchandises no 230-25 du Chemin de fer Canadien Pacifique roulait vers l'est à une vitesse d'environ 49 milles à l'heure, un des wagons du train a déraillé au point milliaire 42,80 de la subdivision Belleville, près de Tichborne (Ontario). Le train a poursuivi sa route, franchissant deux passages à niveau publics, jusqu'au point milliaire 42,00. À cet endroit, 12 autres wagons ont déraillé à la hauteur du branchement ouest de la voie d'évitement de Tichborne. La voie ferrée, y compris le branchement et le mât de signaux du point milliaire 41,90, a été endommagée sur une distance de quelque 2 200 pieds. Personne n'a été blessé et il n'y a pas eu de déversement de marchandises dangereuses.

    This report is also available in English.

    Autres renseignements de base

    Le 25 août 2007 vers 16 h 00, heure avancée de l'Est Note de bas de page 1, le train de marchandises no 230-25 du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) part de Toronto (Ontario) à destination de Montréal (Québec). Le train est composé de 2 locomotives et de 24 wagons plats porte-conteneurs intermodaux qui transportent des conteneurs chargés et vides. Il mesure 3 036 pieds et pèse 2 574 tonnes. L'équipe est constituée d'un chef de train et d'un mécanicien. Les deux membres de l'équipe connaissent bien l'itinéraire, sont qualifiés pour occuper leurs postes et se conforment tous deux aux nomes en matière de repos et de condition physique.

    Le train roule sans incident après être parti de Toronto. En cours de route, il passe devant une installation du système de détection en voie qui comprend des détecteurs de surchauffe des roulements et des détecteurs de pièces traînantes, au point milliaire 56,90 de la subdivision Belleville. Le système ne relève aucune indication de surchauffe de roulements à rouleaux ou de pièces traînantes. À 2237:49, tandis que la commande des gaz est à la position 8 et que le train roule à 47,3 milles à l'heure (mi/h), un serrage d'urgence intempestif des freins à air du train se déclenche au point milliaire 41,45. À 2238:31, la locomotive de tête s'immobilise au point milliaire 41.17. Après l'arrêt, les membres de l'équipe appliquent les procédures d'urgence et constatent que 13 wagons (du 12e au 24e) ont déraillé près de Tichborne, en Ontario (voir la figure 1).

    Figure 1 . Secteur où le déraillement s'est produit (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens )
    Image
    Figure 1. Secteur où le déraillement s'est produit

    Examen sur place

    Le premier wagon à dérailler a été le CP 520997, soit le 12e wagon derrière les locomotives. L'essieu monté arrière, no 4, avait été arraché de sous le wagon no CP 520997, et il a été retrouvé à environ 1 300 pieds à l'ouest du wagon, un peu au nord du branchement ouest de la voie d'évitement de Tichborne, au point milliaire 42,00. L'inspection de l'essieu monté a révélé que la fusée d'essieu R-4 s'était rompue près du rayon du congé de raccordement de la fusée d'essieu (congé de raccordement), derrière la bague de blocage du roulement à rouleaux, et qu'elle avait été sectionnée.

    Les wagons nos 12 à 18 sont restés sur leurs roues et attelés ensemble. Un espace de 400 pieds séparait les 18e et 19e wagons. Quant au 19e wagon, no CP 520503, il s'est immobilisé sur le côté, les conteneurs qu'il transportait reposant parallèlement au wagon dans un fossé situé un peu au nord de la voie d'évitement. Les wagons nos 20 à 24 sont restés sur leurs roues et attelés ensemble. La voie ferrée, y compris le branchement et le mât de signaux du point milliaire 41,90 à Tichborne, a été endommagée sur une distance de quelque 2 200 pieds.

    À l'extrémité ouest des lieux du déraillement, près du branchement de la voie d'évitement, la voie principale a été déplacée d'environ deux pieds vers le nord. En direction ouest à partir du branchement, les enquêteurs ont relevé des marques d'impact sur les traverses le long du côté intérieur du rail sud et du côté extérieur du rail nord. Ils ont remonté les marques jusqu'à leur point d'origine, franchissant deux passages à niveau publics automatisés, jusqu'au point milliaire 42,80, là où la fusée d'essieu manquante et le chapeau de roulement toujours fixé à celle-ci ont été retrouvés du côté nord (haut) d'une courbe à droite dans le sens d'avancement du train (voir la figure 2). L'essieu monté brisé et la fusée d'essieu manquante, y compris le roulement à rouleaux, ont été envoyés aux installations d'essais du CFCP, à Winnipeg (Manitoba), où ils ont été soumis à une analyse de défaillance.

    Figure 2. Diagramme des lieux du déraillement
    Image
     Diagramme des lieux du déraillement

    Renseignements sur la voie

    D'est en ouest, la subdivision Belleville va de Smith Falls (Ontario) (point milliaire 0,0) à Toronto (Ontario) (point milliaire 211,50). Dans le secteur où le déraillement a eu lieu, la circulation des trains est régie grâce au système de commande centralisée de la circulation (CCC), en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), et elle est supervisée par un contrôleur de la circulation ferroviaire du CFCP qui est posté à Montréal (Québec). La voie ferrée est une voie de catégorie 4 aux termes du Règlement sur la sécurité de la voie (RSV) de Transports Canada. La vitesse maximale autorisée sur cette voie est de 50 mi/h pour les trains de marchandises. Le trafic ferroviaire consiste en quelque 20 trains de marchandises par jour, ce qui représente un tonnage annuel total de plus de 26 millions de tonnes brutes.

    Dans le secteur où le déraillement s'est produit, la voie principale est simple et est orientée dans l'axe est-ouest, et elle longe une voie d'évitement de 8 776 pieds de longueur située au nord de la voie principale entre les points milliaires 42,0 et 40,3. Entre les points milliaires 42,90 et 41,50, la voie gravit une rampe vers l'est et décrit une courbe vers la gauche et trois courbes vers la droite (dans le sens d'avancement du train). Entre le point milliaire 42,89 et le point milliaire 42,60, on trouve une courbe à droite de 3 degrés et 30 minutes, dont le dévers est de 4 pouces.

    La voie était faite de longs rails soudés de 136 livres, fabriqués en 2004, qui reposaient sur des selles de rail de 14 pouces à double épaulement et qui étaient fixés à des traverses no 1 en bois dur traité par des crampons passés dans les selles de rail à raison de 3 à 5 crampons par selle. Il y avait en moyenne 60 traverses par 100 pieds de voie. Les rails étaient encadrés par des anticheminants à toutes les deux traverses, et il y avait des anticheminants additionnels dans les courbes. Le ballast était composé d'un mélange de scories et de pierre concassée, les cases étaient garnies et les banquettes mesuraient 12 pouces de largeur. Les inspections de la voie, effectuées conformément aux exigences de la réglementation et à celles de la compagnie, n'ont relevé aucun défaut de la voie dans le secteur du déraillement.

    Inspection des essieux montés et pratiques des ateliers de roues

    Le Règlement concernant l'inspection et la sécurité des wagons de marchandises de Transports Canada fixe les normes de sécurité minimales auxquelles les wagons de marchandises doivent être conformes. L'article portant sur l'inspection des essieux précise que les compagnies ferroviaires ne doivent pas mettre ni garder en service un wagon dont un essieu est fissuré, déformé ou rompu. Le rayon du congé de raccordement de la fusée d'essieu est caché par la bague de blocage du roulement à rouleaux, de sorte qu'il n'est pas visible pendant les inspections de sécurité des trains. On ne peut inspecter le rayon du congé de raccordement qu'une fois le roulement à rouleaux démonté, démontage qui a lieu lorsqu'on remet à neuf les essieux montés dans un atelier de roues.

    Les pratiques de travail des ateliers de roues sont régies par les normes et des pratiques recommandées qu'on trouve dans le Manual of Standards and Recommended Practices (MSRP), Section G-II, de l'Association of American Railroads (AAR), intitulé Wheel and Axle Shop Manual (manuel G-II). La règle no 1 du manuel G-II expose les consignes auxquelles les ateliers de roues doivent se conformer.

    Figure 3. Essieu d'un wagon de marchandises
    Image
    Essieu d'un wagon de marchandises

    Durant l'assemblage des essieux montés, les roues sont emmanchées à la presse sur les portées de calage, puis les roulements à rouleaux sont emmanchés à la presse sur les fusées d'essieu. La portée de calage et la fusée d'essieu ont des diamètres transversaux différents qui sont reliés entre eux par deux changements de rayon consécutifs, la collerette anti-poussière et le rayon du congé de raccordement de la fusée d'essieu, qui assurent la transition entre le grand diamètre de la portée de calage et le diamètre plus petit de la fusée d'essieu (voir la figure 3). La collerette anti-poussière et le congé de raccordement sont censés avoir tous deux des contours lisses.

    Quand un essieu monté est envoyé à un atelier de roues pour y être remis à neuf, on démonte les roulements à rouleaux pendant que les roues et les essieux sont inspectés. S'il reste suffisamment de matériau sur la table de roulement pour qu'on puisse procéder à la remise à neuf, les roues restent montées sur l'essieu et on usine (tourne) les tables de roulement des roues afin de rétablir leur profil original. Par la suite, on soumet les tables de roulement à une auscultation par ultrasons pour découvrir d'éventuels défauts des roues, on remet à neuf les essieux ou on installe des roulements à rouleaux neufs, et l'essieu monté usiné Note de bas de page 2 est remis en service.

    Si l'épaisseur de la table de roulement est insuffisante pour qu'on puisse reprofiler l'essieu, on retire les roues de l'essieu et on inspecte l‘essieu. Si l'essieu satisfait aux critères de remise à neuf, il peut être utilisé comme essieu non monté usagé Note de bas de page 3. On peut alors y installer des roues neuves ou des roulements à rouleaux neufs ou remis à neuf, puis remettre en service l'essieu monté. Ce procédé fait en sorte que des essieux peuvent rester en service pendant 40 ans et plus et peuvent recevoir plusieurs roues différentes au cours de leur durée de vie utile.

    Pendant l'assemblage d'un essieu monté, la règle 1.2.4 du manuel G-II exige notamment qu'on utilise du papier sablé à grains de grosseur 80 ou à grains plus fins pour nettoyer les fusées d'essieu, les congés de raccordement et les collerettes anti-poussière des essieux montés usinés et des essieux usagés non montés. Pour les congés de raccordement dont on ne peut pas corriger l'usure due au frottement ou à des piqûres en utilisant des abrasifs, on peut utiliser des meules ou des machines à découper pour remettre le rayon du congé en état pourvu que les dimensions de la fusée d'essieu ne soient pas inférieures à la longueur minimale. Après le nettoyage, la règle 1.1.8 exige qu'on soumette les portées de calage et les fusées d'essieu des essieux usagés non montés des wagons affectés au service marchandises à un essai de magnétoscopie par voie humide afin de déceler d'éventuelles fissures, avant de remonter les roues et les roulements à rouleaux. Le congé de raccordement n'est pas visé spécifiquement par cette instruction. En outre, il n'est pas nécessaire que le congé de raccordement et les fusées d'essieu des essieux montés usinés soient soumis à un essai de magnétoscopie par voie humide.

    La règle 1.4.3 exige qu'immédiatement avant le montage des roues sur l'essieu, on enduise l'alésage de roue et la moitié de la portée de calage d'un des lubrifiants approuvés par l'AAR. Les roues sont ensuite emmanchées à pression sur les portées de calage. Pendant le montage à la presse, le lubrifiant présent sur l'alésage est expulsé et s'écoule sur les congés de raccordement et la fusée d'essieu. Après le montage, on retire l'essieu monté de la presse à emmancher les roues et on nettoie l'excédent de lubrifiant. La règle ne donne aucune instruction quant à la façon de débarrasser la surface de l'essieu du lubrifiant. À l'atelier de roues Progress Rail (PRWW), de Winnipeg (Manitoba), on utilise un linge propre et sec pour essuyer l'excédent de lubrifiant qui reste sur les fusées d'essieu, les congés de raccordement et les collerettes anti-poussière.

    La règle 1.8.2.6 exige qu'on applique une couche uniforme, d'épaisseur modérée à grande, d'un agent antirouille sans plomb approuvé par l'AAR sur les congés de raccordement et les collerettes anti-poussière de l'essieu, avant de monter les roulements à rouleaux sur les fusées d'essieu. L'enduit en question empêche que l'humidité s'accumule à ces endroits; il doit adhérer à la surface et demeurer flexible. Une fois que les roulements à rouleaux sont emmanchés à la presse sur les fusées d'essieu, on applique les capuchons, les plaques de blocage et les vis de blocage. Après qu'on a serré les vis de blocage, un bourrelet de scellement devrait se former à la jonction de la bague de blocage et de l'essieu, si la quantité voulue d'agent antirouille a été appliquée sur le congé de raccordement de la fusée d'essieu. Si ce bourrelet est absent, on doit appliquer au pinceau une couche additionnelle autour du couvercle d'obturateur de la boîte d'essieu, à la jonction de la bague de blocage. Une fois l'assemblage terminé, l'essieu monté est remis en service.

    Depuis le milieu des années 1990, l'atelier PRWW exige que les rayons des congés de raccordement de tous les essieux non montés usagés, lesquels représentent environ 67 p. 100 des essieux utilisés aux fins de la production d'essieux montés, soient soumis à un essai de magnétoscopie par voie humide. Suite à cette inspection, l'atelier PRWW rejette chaque mois environ 50 essieux affectés par des fissures détectées dans le secteur du congé de raccordement. En août 2007, l'atelier PRWW a aussi commencé à faire des essais de magnétoscopie par voie humide sur les congés de raccordement de tous les essieux montés usinés, lesquels représentent approximativement 33 p. 100 de la production d'essieux montés. Depuis la mise en œuvre de cette mesure, l'atelier PRWW a rejeté en moyenne 17 essieux montés usinés par mois qui étaient affectés par des fissures détectées dans le secteur du congé de raccordement. Il y a d'autres ateliers de roues au Canada qui ne procèdent pas à des essais de magnétoscopie par voie humide sur les congés de raccordement des essieux montés usinés.

    Essieu défectueux

    L'essieu qui s'est brisé était un essieu de 12 ans fait d'acier revenu de nuance F, qui avait été fabriqué en octobre 1995 par Huta Gliwice (précédemment Huta 1 Maya), en Pologne. Il avait reçu des roues neuves en juin 1997. En mai 2002, l'atelier PRWW a remis à neuf l'essieu monté conformément aux exigences du manuel G-II du Manual of Standards and Recommended Practices (MSRP). On a profité de la remise à neuf pour reprofiler les roues, nettoyer et inspecter congés de raccordement et équiper l'essieu de roulements à rouleaux remis à neuf. L'essieu monté a été installé à la position 4 sous le wagon no CP 520997 le 27 mai 2002, et il était encore à cette position lors de l'accident. Après le déraillement, le CFCP a soumis l'essieu brisé à une analyse de défaillance. On trouvera ci-après un résumé des constatations du CFCP et des observations du BST :

    • La rupture de l'essieu s'est produite près du congé de raccordement R-4, à environ 11 pouces de l'extrémité de la fusée, vers l'intérieur de celle-ci. On n'a pas relevé de signes de surchauffe. La rupture était perpendiculaire aux contraintes principales qui se sont exercées sur l'essieu. La rupture montrait des fissures de fatigue primaires et secondaires ainsi qu'une petite zone de rupture fragile qu'on associe normalement à des défaillances subites ou catastrophiques. Les zones de rupture par fatigue étaient caractérisées par des marques concentriques qui semblaient être l'origine de la rupture.
    • La principale fissure de fatigue a pris son origine dans plusieurs piqûres de corrosion qui affectaient le rayon du congé de raccordement et se sont propagées pour former de multiples petites fissures de fatigue. Ces petites fissures se sont jointes pour former un seul front de fissuration. Du fait des contraintes de flexion causées par la rotation des roues, la fissure principale s'est propagée pour devenir une fissure de fatigue affectant environ 80 p. 100 de la section transversale de l'essieu au cours d'un intervalle de temps fini. Comme dans d'autres ruptures consécutives à des efforts de flexion en rotation, on a observé une petite zone secondaire de fatigue qui était directement opposée au point d'origine de la fissure de fatigue primaire (voir la photo 1).

      Photo 1. Surface de rupture exposée, montrant le point d'origine de la rupture, et gros plan de la zone de piqûres de corrosion dans le congé de raccordement (Source : CFCP).
      Image
       Surface de rupture exposée, montrant le point d'origine de la rupture, et gros plan de la zone de piqûres de corrosion dans le congé de raccordement (Source : CFCP).
    • L'examen métallurgique a confirmé la présence de produits de corrosion à la racine de zone de piqûre affectant le rayon du congé de raccordement. Aucune autre anomalie n'a été décelée. Le matériau de l'essieu était conforme aux exigences de la spécification M-101 de l'AAR concernant l'acier de nuance F. La microstructure consistait en un mélange de perlite et de ferrite à grain fin qui est compatible avec le matériau spécifié et le traitement thermique.

    Ruptures d'essieux antérieures

    Les dossiers du BST indiquent qu'entre 1997 et 2006, il y a eu 28 ruptures d'essieux au Canada qui ont entraîné des déraillements. Des ruptures de fatigue causées par des piqûres de corrosion dans le congé de raccordement représentaient de 60 à 70 p. 100 de ces défaillances. En 2007, le CFCP a signalé sept ruptures d'essieux, dont cinq ruptures qui ont résulté de défauts du congé de raccordement causés par des piqûres de corrosion. Ces cinq défaillances ont toutes affecté des essieux remis à neuf.

    En avril 2003, lors de la publication du rapport no R01Q0010, le Bureau a fait part de ses préoccupations quant aux essais de magnétoscopie par voie humide dont les congés de raccordement devraient faire l'objet. Le Bureau notait que ces essais des congés de raccordement n'étaient pas effectués uniformément au sein de l'industrie puisqu'ils n'étaient pas exigés par l'AAR. Le Bureau se disait préoccupé par l'absence d'un mode d'essai uniformisé qui permettrait de détecter les fissures de fatigue pendant les inspections des congés de raccordement des essieux, qui sont faites dans les ateliers de roues d'Amérique du Nord.

    Analyse

    La conduite du train ayant été conforme aux exigences de la réglementation et aux instructions de la compagnie, elle ne sautait être mise en cause dans cet accident. L'inspection et la vérification de la voie n'ont pas révélé la présence de défauts de la voie dans le secteur où le déraillement s'est produit. L'analyse portera surtout sur la rupture de la fusée d'essieu R-4 du wagon no CP 520997 et sur le procédé de remise à neuf des essieux.

    L'accident

    La fusée d'essieu R-4 manquante et le roulement à rouleaux du wagon no CP 520997 ont été retrouvés près des marques d'impact initiales qu'on a relevées sur la structure de la voie au point milliaire 42,80, sur le rail haut d'une courbe à droite de 3 degrés et 30 minutes (dans le sens d'avancement du train). La rupture de l'essieu s'est vraisemblablement produite à cet endroit. Après que la fusée R-4 a été sectionnée de l'essieu, l'absence de charge verticale a fait en sorte que la roue R-4 se soulève et déraille du côté extérieur du rail haut, tandis que la roue accouplée, L-4, tombait du côté intérieur du rail sud. Le train a poursuivi sa route avec un essieu monté déraillé, franchissant deux passages à niveau publics automatisés, jusqu'au point milliaire 41,90. À cet endroit, l'essieu monté a heurté l'aiguillage est de la voie d'évitement de Tichborne, a été repoussé sous le wagon et a causé le déraillement de 12 autres wagons.

    La fusée d'essieu R-4 a été affectée par une rupture de fatigue résultant de plusieurs piqûres de corrosion qui s'étaient formées dans le rayon du congé de raccordement et se sont propagées pour former de multiples petites fissures de fatigue. Ces petites fissures se sont jointes pour former un seul front de fissuration qui a touché environ 80 p. 100 de la section transversale de l'essieu au cours d'un intervalle de temps fini. L'essieu s'est rompu de façon catastrophique dans des conditions de service normales, lorsque la section transversale de la fusée d'essieu s'est rompue, ne pouvant plus résister à la charge qu'elle devait porter.

    Il n'y a pas eu d'échauffement dû à la rupture par fatigue de l'essieu, et il n'y avait pas de pièces traînantes. Cela explique que la rupture imminente de l'essieu n'ait pas été détectée par l'installation du système de détection en voie du point milliaire 56,90. De plus, la fissure de fatigue, dans le congé de raccordement de l'essieu, était cachée par une bague de blocage des roulements à rouleaux, de telle sorte qu'il aurait été impossible de la voir lors d'une éventuelle inspection au défilé ou d'une inspection de sécurité du train. Le principal moyen de défense contre les ruptures de fatigue des essieux résultant de piqûres de corrosion dans le rayon du congé de raccordement est le processus d'inspection et de remise à neuf des essieux qu'on met en œuvre chaque fois qu'un essieu est traité dans un atelier de roues.

    Reconnaissant que l'humidité et les piqûres de corrosion en particulier rendent les essieux vulnérables à la fatigue, l'industrie a prévu au cours du processus d'assemblage des mesures visant à empêcher que les essieux affectés par ces défauts soient remis en service. En dépit de ces mesures, des ruptures d'essieux résultant de la piqûration dans le congé de raccordement continuent de se produire. Lors de cet événement, pour que des piqûres de corrosion apparaissent dans le congé de raccordement, il a fallu que de l'humidité soit présente et que la protection antirouille ait été compromise, soit pendant la période de service initiale de l'essieu monté, entre 1997 et 2002, soit après la remise à neuf de l'essieu en 2002.

    Assemblage initial de l'essieu monté

    Pendant l'assemblage de l'essieu monté en 1997, on a monté les roues à la presse sur l'essieu et on a utilisé un linge sec pour essuyer l'excès de lubrifiant de montage qui se trouvait sur le congé de raccordement. Quand on procède de cette façon, il est possible qu'une mince pellicule de lubrifiant reste à la surface du congé de raccordement et empêche ainsi l'enduit antirouille de bien adhérer aux pièces métalliques. Par conséquent, il se peut que de l'humidité finisse par entrer en contact avec le congé de raccordement avec le temps. Le retrait complet du lubrifiant de sur le congé de raccordement après le montage des roues est une étape importante du processus de prévention de piqûration. Toutefois, il n'est pas question de cette étape dans le manuel G-II, dans lequel on dit que le nettoyage du rayon du congé de raccordement revient à éliminer les piqûres de corrosion. Si l'on ne débarrasse pas complètement le congé de raccordement des résidus de lubrifiant de montage avant l'application de l'enduit antirouille, des piqûres de corrosion risquent davantage d'affecter le métal et, éventuellement, de causer la rupture de l'essieu.

    Inspection du congé de raccordement pendant la remise à neuf

    L'essieu monté qui s'est brisé a été remis à neuf en mai 2002 aux installations de l'atelier de roues Progress Rail (PRWW), lequel s'est conformé aux exigences de l'Association of American Railroads (AAR). On a usiné les rayons des congés de raccordement afin d'éliminer les piqûres de corrosion, après quoi on a procédé à une inspection visuelle; aucune fissure n'a été observée. Toutefois, ni l'un ni l'autre des congés de raccordement n'a fait l'objet d'un essai de magnétoscopie par voie humide. En outre, l'AAR n'exigeait pas qu'on soumette à de tels essais les congés de raccordement des essieux non montés usagés ou des essieux montés usinés. Alors qu'il est impossible de déterminer avec précision le moment où les piqûres de corrosion et les fissures de fatigue apparaissent dans les congés de raccordement, il peut arriver que de petites fissures de fatigue soient présentes et passent inaperçues pendant le processus de remise à neuf, et ce même si les critères du manuel G-II de l'AAR sont respectés.

    Le rayon du congé de raccordement est un point de transition critique de l'essieu qui supporte des contraintes et des efforts de flexion considérables pendant le service normal, étant donné que le poids du wagon de marchandises est alors transféré à la roue par l'intermédiaire du congé de raccordement. En raison des charges qu'il supporte, le rayon du congé de raccordement est sensible à la présence d'encoches, ce qui fait que des imperfections de la surface ou des fissures sous-surfaciques à cet endroit deviennent des zones de concentration des contraintes où des fissures de fatigue peuvent se former. Les piqûres de corrosion ont habituellement la forme d'un « U » ou d'un « V ». Les charges ont tendance à se concentrer à la racine de la piqûre de corrosion, laquelle entraîne ensuite l'apparition de petites fissures de fatigue. Cette fissuration peut être encore présente après qu'on a éliminé les piqûres de corrosion sur le congé de raccordement (voir la figure 4). Les fissures ont tendance à ne pas s'étendre beaucoup, ce qui fait qu'une inspection visuelle n'est pas suffisante pour les détecter. C'est pourquoi on doit recourir à des méthodes supplémentaires d'essai non destructif, comme le contrôle par ultrasons ou la magnétoscopie par voie humide, pour réussir à détecter ces fissures avec régularité.

    Figure 4. Effet potentiel de l'usinage sur les piqûres de corrosion affectant le rayon du congé de raccordement
    Image
    Effet potentiel de l'usinage sur les piqûres de corrosion affectant le rayon du congé de raccordement

    En 2001, le BST a noté que les essais de magnétoscopie par voie humide des congés de raccordement n'étaient pas effectués uniformément au sein de l'industrie, étant donné que ces essais n'étaient pas exigés par l'AAR. Le Bureau disait être préoccupé par l'absence d'une méthode de détection des fissures de fatigue pendant les inspections du rayon des congés de raccordement, et par les différences qui existent entre les normes d'entretien applicables aux essieux non montés usagés et aux essieux montés usinés. Cette même situation existe encore aujourd'hui, et des déraillements récents attribuables à des ruptures d'essieux démontrent que le réseau de transport ferroviaire continue d'être exposé à des risques pour cette raison. À cause de l'absence d'une méthode uniforme permettant de détecter les fissures dans les rayons des congés de raccordement des essieux non montés usagés ou des essieux montés usinés, il peut arriver qu'on remette en service des essieux remis à neuf qui sont affectés par des fissures susceptibles d'entraîner une rupture prématurée des essieux.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Le déraillement est survenu quand la fusée d'essieu R-4 du wagon no CP 520997 s'est rompue au point milliaire 42,80, sur le rail haut d'une courbe à droite de 3 degrés et 30 minutes.
    2. L'essieu a été affecté par une rupture de fatigue résultant de piqûres de corrosion qui se sont formées dans le congé de raccordement et se sont propagées pour s'étendre à environ 80 p. 100 de la section transversale de l'essieu. L'essieu s'est rompu de façon catastrophique dans des conditions de service normales, lorsque la section transversale de la fusée d'essieu s'est affaiblie et s'est rompue, ne pouvant plus résister à la charge qu'elle devait porter.
    3. L'enduit antirouille du congé de raccordement ayant été compromis, des piqûres de corrosion se sont formées.

    Faits établis quant aux risques

    1. Si l'on ne débarrasse pas complètement le rayon du congé de raccordement des résidus de lubrifiant de montage avant d'appliquer l'enduit antirouille, des piqûres de corrosion risquent davantage d'affecter le métal et, éventuellement, d'entraîner la rupture de l'essieu.
    2. À cause de l'absence d'une méthode uniforme permettant de détecter les fissures dans les rayons des congés de raccordement des essieux non montés usagés ou des essieux montés usinés, il peut arriver qu'on remette en service des essieux remis à neuf qui sont affectés par des fissures susceptibles d'entraîner une rupture prématurée des essieux.

    Autres faits établis

    1. Alors qu'il est impossible de déterminer avec précision le moment où les piqûres de corrosion et les fissures de fatigue apparaissent dans les rayons des congés de raccordement, il peut arriver que de petites fissures de fatigue soient présentes et passent inaperçues pendant le processus de remise à neuf, et ce même si les critères du manuel G-II de l'AAR sont respectés.

    Mesures de sécurité prises

    Le 5 mars 2008, le Bureau a adressé à Transports Canada (TC) l'avis de sécurité ferroviaire no 01/08. Dans sa lettre, le Bureau rappelait une préoccupation dont il avait fait part précédemment, soit lors de la publication de rapport d'enquête no R01Q0010 en avril 2003. Cette préoccupation concernait le fait que les rayons des congés de raccordement ne fassent pas l'objet d'essais de magnétoscopie par voie humide. Le Bureau avait noté que ces essais n'étaient pas effectués uniformément au sein de l'industrie puisqu'ils n'étaient pas exigés par l'Association of American Railroads (AAR). L'avis de sécurité ferroviaire ajoutait que cette même situation existait encore de nos jours, et que des déraillements récents attribuables à des ruptures d'essieux démontraient que le réseau de transport ferroviaire continue d'être exposé à des risques pour cette raison.

    En réponse à la lettre, TC a fait savoir qu'il avait pris contact avec le Canadien National et le Chemin de fer Canadien Pacifique, qui lui ont répondu que les ateliers de roues qui leur fournissent des roues excèdent les exigences actuelles du manuel G-II de l'AAR. Un représentant canadien du comité sur les roues, les essieux, les roulements et la lubrification (Wheel, Axle, Bearing and Lubrication Committee (WABL)) de l'AAR a également avisé TC qu'on était à préparer des modifications aux procédures d'inspection touchant le rayon du congé de raccordement des fusées d'essieu.

    Le 28 mars 2008, l'AAR a distribué la lettre circulaire no C-10711 afin de recueillir les commentaires des intéressés. La lettre exposait des modifications qu'on proposait de faire aux règles 1.1.8 et 1.2.4 du manuel G-II. Essentiellement, les propositions voulaient qu'on procède à des essais de magnétoscopie par voie humide sur les rayons des congés de raccordement des essieux non montés usagés et des essieux montés usinés, afin d'y déceler les fissures qui pourraient les affecter. De plus, on proposait d'ajouter une consigne qui obligeait d'envoyer à la ferraille les essieux affectés de fissures dont l'élimination obligerait à meuler l'essieu au point que ses dimensions deviendraient inférieures aux limites critiques. On s'attend à ce que ces modifications entrent en vigueur à l'automne de 2008.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .