Rapport d'enquête ferroviaire R16D0073

Aiguillage mal orienté et déraillement
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Train de marchandises numéro M39421-11
Point milliaire 93,22, subdivision de Sherbrooke
du Chemin de fer St-Laurent & Atlantique
Acton Vale (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 11 août 2016, vers 21 h 19, heure avancée de l'Est, le train de marchandises M39421-11 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada roulait vers l'est dans la subdivision de Sherbrooke du Chemin de fer St-Laurent & Atlantique. À Acton Vale (Québec), au point milliaire 93,22, l'équipe a remarqué que l'aiguillage était orienté vers la voie d'évitement. Les freins d'urgence du train ont été serrés, mais le train n'a pas pu s'immobiliser avant l'aiguillage. Il a été dévié vers la voie d'évitement puis a heurté un dérailleur, entraînant le déraillement de la locomotive de tête. Le dérailleur a été détruit et la voie a été légèrement endommagée. L'accident n'a fait aucun blessé.

    Renseignements de base

    L'accident

    Le 11 août 2016, le train de marchandises M39421-11 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) a quitté Montréal (Québec) et a roulé en direction est sur les voies du CN jusqu'à Sainte-Rosalie (Québec), où il s'est engagé sur la subdivision de Sherbrooke du Chemin de fer St-Laurent & Atlantique (SLA) à destination de Richmond (Québec) (figure 1). Le parcours à partir de Montréal s'est déroulé sans incident. À 21 h 19Note de bas de page 1, alors que le train roulait à 23 mi/h à l'approche de l'aiguillage du branchement ouest de la voie d'évitement d'Acton Vale (Québec) (branchement 272), l'équipe a remarqué que l'aiguillage était orienté vers la voie d'évitement. Les freins d'urgence du train ont été serrés à 180 pieds du branchement 272, mais le train n'a pas pu s'immobiliser avant l'aiguillage. La locomotive de tête a franchi le branchement 272 à environ 20 mi/h et est entré sur la voie d'évitement. Elle a heurté un dérailleur placé sur la voie d'évitement et a déraillé.

    Figure 1. Carte du lieu du déraillement (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens du rail canadien, avec annotations du BST)
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    Figure 1. Carte du lieu du déraillement (Source : Association des chemins de fer du Canada,  <em>Atlas des chemins de fer canadiens du rail canadien</em>, avec annotations du BST)

    Le train comprenait 3 locomotives, 62 wagons chargés et 17 wagons vides. Il pesait environ 8200 tonnes et mesurait approximativement 4700 pieds. L'équipe du train comptait 1 mécanicien de locomotive et 1 chef de train, et était accompagnée d'un stagiaire. Les membres de l'équipe connaissaient bien le territoire, se conformaient aux normes de repos et de condition physique et répondaient aux exigences de leurs postes respectifs.

    Après l'arrêt du train, les membres de l'équipe du train ont communiqué avec le contrôleur de la circulation ferroviaire pour l'informer que le train avait été dévié sur la voie d'évitement à Acton Vale et que la locomotive de tête avait déraillé. L'inspection du train n'a révélé aucun autre wagon déraillé. Trois passages à niveauNote de bas de page 2 de la ville d'Acton Vale ont été obstrués pendant plusieurs heures par le convoi.

    Le ciel était dégagé, la température était de 26 °C, et le soleil s'était couché vers 20 h.

    Examen des lieux

    La locomotive s'est immobilisée sur la voie d'évitement à environ 330 pieds à l'est de l'aiguillage du branchement 272. Le bogie avant de la locomotive a déraillé du côté sud de la voie. Sous la locomotive se trouvait un dérailleur à charnière verrouillé en position de déraillement. Le dérailleur a été détruit.

    Le branchement 272 donnait accès à la voie d'évitement qui longe la voie principale. Il était doté d'un aiguillage numéro 12 à manœuvre manuelle, conçu pour une vitesse maximale de 15 mi/h. L'appareil de manœuvre était placé du côté sud de la voie. L'aiguillage n'était pas endommagé et était orienté vers la voie d'évitement (position renversée). Il était muni d'un cadenas à haute sécurité, mais ce dernier n'avait pas été remis dans l'œillet de blocage. Le cadenas était verrouilléNote de bas de page 3 et pendait librement d'une chaîne qui le reliait à l'appareil de manœuvre. Le mât de l'appareil de manœuvre était muni d'une cible standard rouge réflectorisée de forme oblongue et d'une petite cible réflectorisée de couleur rouge faisant face à la voieNote de bas de page 4 (figure 2). La surface des cibles était propre et en bon état. Selon l'enregistrement vidéo de la caméra orientée vers l'avant de la locomotive, les cibles rouges ont été perceptibles à une distance d'environ 1500 pieds. Il y avait d'autres sources de lumière présentes le long de la voie ferrée.

    Figure 2. Cibles rouges de l'aiguillage 272 à Acton Vale
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     Figure 2. Cibles rouges de l'aiguillage 272 à Acton Vale

    À l'ouest du branchement 272, la voie principale est en tangente sur environ 2500 pieds, et elle longe une piste cyclable et un sentier pédestre.

    À partir de la voie d'évitement, on peut accéder au triangle de virage et à la carrière d'Acton Vale par l'intermédiaire du branchement 273. L'aiguillage 273 était en position normale et cadenassé à l'aide d'un cadenas à haute sécuritéNote de bas de page 5. Un dérailleur à charnière était situé sur la voie menant à la carrière (figure 3).

    Figure 3. Schéma des voies à Acton Vale
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    Figure 3. Schéma des voies à Acton Vale

    Renseignements sur la subdivision

    La subdivision de Sherbrooke appartient au SLA. Elle est constituée d'une voie principale simple qui s'étend de l'est vers l'ouest depuis Island Pond, au Vermont, au point milliaire 0,0, jusqu'à Sainte-Rosalie, au point milliaire 110,3. Le mouvement des trains est régi par les règles de la régulation de l'occupation de la voie (ROV) autorisée en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), sous la supervision d'un contrôleur de la circulation ferroviaire du CN posté à Montréal.

    Le trafic ferroviaire dans le secteur est constitué de 1 train de marchandises du CN par jour, à raison de 6 jours par semaine, et de 1 train de manœuvre du SLA, 2 fois par semaine. Les rencontres entre ces 2 trains sont extrêmement rares, car leurs horaires ne se chevauchent pas. La vitesse maximale autorisée est de 25 mi/h.

    Particularités de la voie

    La voie principale était composée de rails boulonnés de 100 livres fabriqués par Dominion en 1948 et posés sur des selles de 11 pouces à double épaulement, retenues à chaque traverse par 2 crampons. Des anticheminants encadraient 1 traverse sur 2 et le ballast était composé de pierre concassée de ½ à 2 pouces.

    La voie d'évitement était composée de rails de 85 livres fabriqués en 1907. Chaque rail était posé directement sur les traverses et retenu par 2 ou 3 crampons; il n'y avait pas d'anticheminant.

    Les inspections avaient été effectuées conformément aux dispositions du Règlement sur la

    sécurité de la voie . La dernière inspection visuelle de la voie avait eu lieu le 9 août 2016 et n'avait révélé aucun défaut.

    Inspection du matériel roulant

    Le train a été formé au triage Taschereau du CN, situé à Montréal. Avant son départ, il a été soumis à une vérification mécanique et à un essai de freins. Durant le trajet, le train est passé devant plusieurs systèmes de détection en voieNote de bas de page 6. Aucune de ces inspections n'a révélé d'anomalie.

    Travaux en voie

    Le matin de l'accident, des travaux d'entretien ont été amorcés sur la voie principale à l'aide de 2 machinesNote de bas de page 7 exploitées par un entrepreneur privé. Les travaux se déroulaient sous la supervision du personnel du SLA, qui était seul autorisé à manœuvrer les aiguillages et les dérailleurs.

    Les travaux ont commencé à l'ouest du branchement 272. Les dispositifs d'avertissement des 3 passages à niveau situés au centre-ville d'Acton Vale (rue Saint-André, rue du Marché et rue Dalpé) étaient désactivés pendant les travaux afin d'éviter qu'ils ne perturbent inutilement le trafic routier. Vers 12 h, une des machines a subi un bris mécanique. Étant donné que les machines travaillent en tandem, les 2 machines ont été déplacées vers la carrière d'Acton Vale pour que la machine brisée puisse être réparée. L'itinéraire menant à la carrière exigeait que les aiguillages des branchements 272 et 273 soient manœuvrés, et que le dérailleur situé à l'entrée de la carrière soit mis en position de non-déraillement.

    Manœuvre des aiguillages 272 et 273

    Un contremaître de la voie du SLA (le contremaître) s'est chargé de manœuvrer les aiguillages et le dérailleur. Le contremaître avait plus de 40 ans d'expérience et connaissait bien le territoire. Il se conformait aux normes de repos et de condition physique et répondait aux exigences de son poste.

    Le contremaître est arrivé en camionnette qu'il a stationnée le long de la voie, entre les branchements 272 et 273. Le contremaître a suivi les étapes suivantes pour permettre le passage des machines :

    • Le contremaître a déverrouillé le cadenas de l'aiguillage 272 (voie principale), l'a retiré de l'œillet de blocage et l'a laissé libre, pendant au bout de sa chaîne.
    • Il a marché vers l'aiguillage 273, l'a déverrouillé et l'a renversé.
    • Il est retourné se positionner à l'aiguillage 272.
    • Après s'être rappelé qu'il pouvait laisser l'aiguillage 272 en position renversée sans que les dispositifs d'avertissement des 3 passages à niveau ne soient déclenchés, vu qu'ils avaient été préalablement désactivés, il a renversé l'aiguillage 272.
    • Il est retourné attendre le passage des machines à l'aiguillage 273.
    • Après le passage des 2 machines, le contremaître a remis l'aiguillage 273 en position normale et l'a cadenassé.
    • Il est retourné à sa camionnette et a laissé savoir à un des opérateurs des machines que l'aiguillage 272 avait été remis en position normale et cadenassé.
    • Il a consigné l'information que l'aiguillage 272 était en position normale et cadenassé.
    • Le contremaître est parti en camionnette pour retirer le dérailleur à l'entrée de la carrière.

    Règle 104 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada

    La manœuvre des aiguillages sur le territoire du SLA est régie par la règle 104 du REF. Cette dernière stipule ce qui suit :

    […]

    (h) Sauf indication contraire dans des instructions spéciales, la position normale d'un aiguillage de voie principale est celle qui permet le mouvement sur cette voie. Sauf dans les cas prévus au paragraphe (i), les aiguillages de voie principale doivent être orientés et cadenassés dans la position normale.

    […]

    (o) Sauf indication contraire dans des instructions spéciales, les aiguillages de voie non principale, lorsque munis d'un cadenas, doivent être orientés et cadenassés en position normale après usage.

    […]

    (q) L'employé manœuvrant un aiguillage de voie principale à manœuvre manuelle dans un territoire non signalisé doit, depuis l'emplacement de cet aiguillage, communiquer avec un autre employé pour confirmer la position dans laquelle l'aiguillage a été laissé et cadenassé. L'employé destinataire de ce rapport doit le répéter à l'employé qui a manœuvré l'aiguillage. La communication peut se faire par contact personnel, par radio ou par téléphone. […]

    Le jour de l'accident, l'équipe de train n'avait reçu aucune instruction voulant que le branchement ouest de la voie d'évitement à Acton Vale soit en position renversée.

    Dispositif d'éclairage des locomotives

    La locomotive de tête était munie d'un dispositif d'éclairage opérationnel composé de 2 phares avant et de 2 phares de fossé. Les phares sont inclinés dans le plan vertical pour éclairer les rails jusqu'à 800 pieds devant la locomotive. Dans le plan horizontal, les phares avant sont réglés par rapport à l'axe de la voie alors que les phares de fossé sont réglés de façon à croiser l'axe de la voie à 400 pieds.

    Protection contre les aiguillages en position renversée

    Conformément aux pratiques d'exploitation normalisées des chemins de fer du Canada, les cibles d'aiguillage de voie principale sont considérées comme des repères qui, en plus d'indiquer l'orientation de l'aiguillage, aident l'équipe d'un train à déterminer l'emplacement exact de l'aiguillage.

    À moins que les membres de l'équipe n'aient reçu un avis formel disant qu'ils pourraient rencontrer un aiguillage orienté et cadenassé en position renversée, ils ne sont pas tenus d'ajuster la vitesse de leur train pour être en mesure d'arrêter avant des aiguillages qui pourraient être en position renversée.

    Il existe des technologies pouvant informer les équipes de train d'un aiguillage laissé en position renversée ou empêcher les trains de le franchir. Divers systèmes de signalisation et de contrôle des trains peuvent servir comme moyen de défense supplémentaire aux règles qui sont incluses dans le REF et les instructions particulières des compagnies ferroviaires.

    Des systèmes tels que le système de commande intégrale des trains (PTC, de l'anglais positive train control ) ou le système de commande centralisée de circulation des trains sont conçus pour contrôler des réseaux de voies. Ils sont en général réservés aux territoires où circulent des trains de voyageurs ou aux voies à haute densité de circulation. D'autres systèmes sont plus limités et donc mieux adaptés aux voies secondaires ou aux endroits à faible densité de circulation comme la subdivision de Sherbrooke. Il s'agit essentiellement du contrôle à distance des aiguillages et du détecteur de position d'aiguille.

    Aiguillage contrôlé à distance

    Les aiguillages contrôlés à distance emploient un système de communication multifréquence à 2 tonalités. À l'aide d'un radiotéléphone muni d'un clavier, il est possible de confirmer, par un enregistrement numérisé, l'emplacement des branchements et la position des aiguillages. Ce système permet de contrôler à distance les appareils de commande électrique des aiguillages et de renverser les aiguillages au besoin.

    Détecteur de position d'aiguille

    Un système de communication multifréquence à 2 tonalités permet de confirmer l'emplacement du branchement et l'orientation des aiguilles. Ce détecteur sert à déterminer quelle est la position des aiguilles et peut émettre sur demande l'information par message vocal au moyen du système radio (figure 4).

    Figure 4. Détecteur de position d'aiguille
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    Figure 4. Détecteur de position d'aiguille

    Distance de freinage

    Le temps de réaction d'un conducteur de véhicule routier ou d'un mécanicien de locomotive comprend la détection, l'identification, la prise de décision et l'amorce d'une action. Les études réalisées sur les conducteurs de véhicules routiers donnent des indications sur leur rendement lorsque des stimuli visuels exigent une réaction, notamment pour le freinage. Dans le calcul des distances de visibilité et d'arrêt pour les véhicules routiers, un temps de réaction minimum de 2,5 secondes est recommandé pour ce qui est des panneaux routiers et des passages à niveau publicsNote de bas de page 8. Il est reconnu que la complexité d'une situation et des stimuli inattendus génèrent des temps de réaction considérablement plus longsNote de bas de page 9.

    En utilisant un temps de réaction de 5 secondes et en tenant compte des données de l'enregistreur d'événements de la locomotive, la distance de freinage qui aurait été nécessaire pour immobiliser le train en cause dans l'accident, à partir de la détection de la cible de l'aiguillage, était de 700 pieds.

    Enquêtes antérieures du BST sur des aiguillages laissés en position renversée

    R12Q0030 (Hegadorn) – Le 9 août 2012, le train de voyageurs P600-21-09 de VIA Rail Canada Inc. (VIA), qui roulait vers le sud à 24 mi/h dans la subdivision du Lac St-Jean du CN, a été dévié inopinément vers la voie d'évitement au point milliaire 78,11, à Hegadorn (Québec). L'aiguillage nord de la voie d'évitement avait été laissé en position renversée par des employés d'entretien de la voie. Il n'y a pas eu de déraillement. Il y avait à bord 59 voyageurs en plus de l'équipe du train. L'incident n'a fait aucun blessé.

    R00T0179 (Rockwood) – Le 9 juillet 2000, le train de voyageurs 683 de VIA, qui roulait vers l'ouest à 39 mi/h dans la subdivision de Guelph de la Goderich-Exeter Railway Company, a été dévié accidentellement vers la voie d'évitement au point milliaire 41,37, à Rockwood (Ontario). L'aiguillage est de la voie d'évitement avait été laissé en position renversée par des employés qui effectuaient des travaux dans les environs. En entrant dans la voie d'évitement, le train a heurté des machines de voie. La collision a causé le déraillement de la locomotive et des 2 voitures qui la suivaient, mais tout le matériel roulant est resté à la verticale. Douze passagers et 2 employés ont subi de légères blessures.

    R99H0007 (Thamesville) – Le 23 avril 1999, le train 74 de VIA, qui roulait en direction est sur la voie principale nord de la subdivision de Chatham du CN, à Thamesville (Ontario), est arrivé à la hauteur d'un aiguillage en position renversée, a traversé sur la voie principale sud et a déraillé au point milliaire 46,7. Après avoir déraillé, le train est entré en collision avec des wagons immobilisés sur une voie de garage adjacente. Les 2 membres de l'équipe qui se trouvaient dans la cabine de commande de la locomotive ont été mortellement blessés. Quatre personnes ont été hospitalisées, souffrant de blessures graves. Soixante-dix-sept des 186 voyageurs et membres de l'équipe qui se trouvaient à bord ont reçu des traitements à l'hôpital. De nombreuses autres personnes ont reçu les premiers soins sur place.

    Statistiques liées aux aiguillages laissés en position renversée

    La base de données du BST renferme 45 événements (y compris le présent événement) survenus entre le 1er septembre 2007 et le 31 août 2016, lors desquels une équipe de train est arrivée à la hauteur d'un aiguillage laissé en position renversée en territoire régi par les règles de la ROV sans avoir eu de préavis. Ces événements représentent 0,4 % des événements ferroviaires signalés au BST au cours de cette période. Entre 2007 et 2011, il y a eu 29 événements de ce genre comparativement à 16 entre 2012 et 2016.

    Des trains de voyageurs étaient en cause dans 15 % (7) des 45 événements. Dans 3 de ces 7 événements, les trains n'ont pas pu s'arrêter avant d'atteindre l'aiguillage en position renversée.

    Des trains de marchandises étaient en cause dans 85 % (38) des 45 événements. Dans 16 de ces 38 événements, les trains n'ont pas pu s'arrêter avant d'atteindre l'aiguillage en position renversée.

    Dans l'événement à l'étude et à une autre occasion, le train a déraillé après avoir dévié sur une voie non principale et heurté un dérailleur.

    Analyse

    Aucun défaut de matériel roulant ou de voie ne peut être considéré comme un facteur ayant causé cet événement. La présente analyse sera axée sur les facteurs humains, les procédures lorsque des aiguillages de voie principale sont manœuvrés, les moyens de défense liés aux aiguillages laissés en position renversée et d'autres technologies.

    L'accident

    Le jour de l'accident, un contremaître du Chemin de fer St-Laurent & Atlantique (SLA) devait manœuvrer les aiguillages 272 et 273 ainsi que le dérailleur de la voie menant à la carrière afin de permettre à 2 machines d'entretien d'accéder à la carrière. Comme le contremaître pensait, à tort, que l'aiguillage 272 pourrait déclencher le système de protection du passage à niveau, il a voulu minimiser le temps durant lequel l'aiguillage resterait en position renversée pour moins importuner les automobilistes. Le contremaître a donc adopté une séquence de tâches non routinière.

    Après le passage des machines, il a remis l'aiguillage du branchement 273 en position normale et l'a cadenassé, mais ne l'a pas fait pour l'aiguillage 272. Le contremaître était préoccupé par la tâche subséquente, soit de mettre le dérailleur de la voie menant à la carrière en position de non-déraillement pour permettre aux machines de continuer leur route vers la carrière. Après avoir remis l'aiguillage 273 en position normale et l'avoir cadenassé, le contremaître était convaincu que l'aiguillage de la voie principale (272) avait lui aussi été remis en position normale et cadenassé. Par conséquent, il a communiqué et consigné cette information erronée avant de quitter les lieux, laissant par inadvertance l'aiguillage 272 en position renversée.

    Lorsque le train s'est approché de l'aiguillage 272, les freins d'urgence n'ont été serrés qu'à environ 200 pieds de l'aiguillage. Cette distance n'était pas suffisante pour permettre d'immobiliser le train avant l'aiguillage mal orienté et, par conséquent, le train a été dévié sur la voie d'évitement, où il a heurté un dérailleur et a déraillé.

    Cible d'aiguillage

    La surface réfléchissante de la cible était propre et en bon état. Selon l'enregistrement vidéo de la caméra orientée vers l'avant de la locomotive, la cible a été perceptible à partir du dernier passage à niveau, situé à une distance d'environ 1500 pieds. Compte tenu de la présence de plusieurs sources de lumière et du fait qu'il faisait sombre, le reflet rouge de la cible ne ressortait pas de son environnement et il n'était pas facilement perceptible.

    Les freins d'urgence n'ont été serrés qu'à environ 200 pieds de l'aiguillage, ce qui indique que l'attention de l'équipe de train ne portait pas loin devant le train. En effet, en estimant un temps de réaction de 5 à 6 secondes pour une situation complexe et inattendue, on déduit que l'équipe n'a été en mesure de reconnaître l'aiguillage laissé en position renversée qu'à une distance d'environ 400 pieds. Cette distance coïncide avec la zone plus éclairée devant la locomotive, là où les phares de fossé de la locomotive croisent l'axe de la voie. L'équipe de train ne portait pas son attention loin devant le train et la cible de l'aiguille 272 n'a pas été clairement reconnue à temps.

    Malgré ses faiblesses comme système visuel d'alerte, la cible d'aiguillage peut néanmoins être considérée comme un moyen de défense additionnel. Cependant, son efficacité est limitée, car le stimulus visuel étant statique, la cible risque de ne pas attirer l'attention des équipes de train de manière systématique. De plus, dans certaines situations, la distance de visibilité peut être restreinte par la configuration de la voie, les conditions météorologiques ou la végétation.

    Comme la densité de circulation est faible sur la subdivision et que les rencontres entre le train de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et le train de manœuvre du SLA sont extrêmement rares, les aiguillages ne sont presque jamais utilisés à Acton Vale. Vu que les membres de l'équipe de train n'avaient reçu aucune instruction indiquant que l'aiguillage 272 était en position renversée, ils ne s'attendaient pas à ce qu'il le soit et n'ont pas porté leur attention sur la cible à distance. Si les équipes de train ne reçoivent aucune instruction indiquant un aiguillage laissé en position renversée, un train circulant à la vitesse permise pourrait ne pas être en mesure de s'arrêter avant de franchir un aiguillage laissé en position renversée, ce qui augmente le risque de déraillement.

    Règle 104 du R èglement d'exploitation ferroviaire du Canada

    Comme le démontre l'événement à l'étude, il peut arriver qu'un employé qualifié laisse par inadvertance un aiguillage en position renversée. La règle 104 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) est le moyen de défense primaire pour éviter qu'un aiguillage à manœuvre manuelle sur les voies principales en territoire régi par les règles de la régulation de l'occupation de la voie (ROV) soit laissé en position renversée. La règle exige, après manipulation d'un aiguillage et depuis l'emplacement de celui-ci, de communiquer avec un autre employé pour confirmer la position dans laquelle l'aiguillage a été laissé et cadenassé. Dans le cas à l'étude, sans avoir manœuvré l'aiguillage 272, le contremaître a communiqué à un des opérateurs des machines que cet aiguillage était en positon normale et cadenassé.

    Lorsque le contremaître a quitté les lieux, il était persuadé qu'il avait remis l'aiguillage 272 en position normale et cadenassé. Le contremaître a même consigné cette information sur le formulaire approprié après l'avoir communiquée. Il est ensuite allé retirer le dérailleur de la voie donnant accès à la carrière où les machines allaient être garées. Une mégardeNote de bas de page 10 est possible quand l'attention des employés n'est pas pleinement portée sur la tâche routinière à effectuerNote de bas de page 11.

    Pour qu'une règle administrative soit efficace, elle exige la pleine attention des employés exécutant les manœuvres. Dans le cas à l'étude, le contremaître était probablement préoccupé par la tâche subséquente de retirer le dérailleur de la voie donnant accès à la carrière. La sécurité procurée par la règle 104 du REF demeure tributaire de la conformité absolue aux règles d'exploitation de la part des employés. Si des défenses administratives telles que la règle 104 du REF ne sont pas suivies, des défenses additionnelles deviennent nécessaires pour prévenir une augmentation des risques.

    Défenses contre les aiguillages laissés en position renversée

    Dans l'événement à l'étude, les défenses qui étaient en place n'ont pas rempli leur rôle adéquatement. Cela est vrai aussi pour d'autres accidents sur lesquels le BST a enquêté, ce qui démontre que les moyens de défense actuels sont insuffisants pour réduire les risques de collision et de déraillement quand les aiguillages sont mal orientés.

    Bien que les statistiques indiquent que la fréquence d'accidents mettant en cause un aiguillage mal orienté est relativement faible et à la baisse, il n'en demeure pas moins que les conséquences potentielles peuvent être graves, notamment pour un train de voyageurs ou un train transportant des marchandises dangereuses. Si d'autres moyens de défense physiques permettant d'alerter les équipes de train quand des aiguillages sont mal orientés ne sont pas mis en place, les risques de collision et de déraillement restent plus élevés qu'ils ne pourraient l'être.

    Même si les compagnies de chemin de fer ont en place diverses mesures de sécurité additionnelles pour aider à prévenir les accidents dus à des aiguillages mal orientés, comme les cibles d'aiguillage et la règle 104 du REF, aucune de ces mesures ne saurait protéger les trains de façon systématique. Ces mesures de sécurité n'assurent pas une protection de tous les instants contre les accidents de train. D'autres mesures de sécurité relativement simples, mais dont la fiabilité a été déjà prouvée, sont disponibles sur le marché et permettent d'indiquer aux équipes de train l'orientation des aiguillages. Certains de ces systèmes, comme le détecteur de position d'aiguille, fournissent une méthode efficace de protection pour les mouvements approchant des aiguillages à manœuvre manuelle sur les voies principales en territoire régi par les règles de la ROV. Si un système de contrôle tel que la ROV n'est pas en mesure de détecter un aiguillage laissé en position renversée, le contrôleur de la circulation ferroviaire ne peut pas assurer la sécurité du mouvement, ce qui augmente les risques d'accident.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. L'aiguillage 272 a été laissé par inadvertance en position renversée après que le contremaître l'a manœuvré et a quitté les lieux.
    2. Les freins d'urgence n'ont pas été serrés à une distance permettant au train de s'immobiliser avant l'aiguillage mal orienté et, par conséquent, le train a été dévié sur la voie d'évitement où il a heurté un dérailleur et a déraillé.
    3. L'équipe de train ne portait pas son attention loin devant le train et la cible de l'aiguillage 272 n'a pas été clairement reconnue à temps.

    Faits établis quant aux risques

    1. Si les équipes de train ne reçoivent aucune instruction indiquant un aiguillage laissé en position renversée, un train circulant à la vitesse permise pourrait ne pas être en mesure de s'arrêter avant de franchir un aiguillage laissé en position renversée, ce qui augmente le risque de déraillement.
    2. Si des défenses administratives, telles que la règle 104 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada, ne sont pas suivies, des défenses additionnelles deviennent nécessaires pour prévenir une augmentation des risques.
    3. Si d'autres moyens de défense physiques permettant d'alerter les équipes de train quand des aiguillages sont mal orientés ne sont pas mis en place, les risques de collision et de déraillement restent plus élevés qu'ils ne pourraient l'être.
    4. Si un système de contrôle tel que la régulation de l'occupation de la voie n'est pas en mesure de détecter un aiguillage laissé en position renversée, le contrôleur de la circulation ferroviaire ne peut pas assurer la sécurité du mouvement, ce qui augmente les risques d'accident.

    Mesures de sécurité

    Mesures de sécurité prises

    Chemin de fer St-Laurent & Atlantique

    La compagnie a revu avec tous les employés de l'ingénierie le bulletin GWCI-01-E soulignant les règles du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) et les instructions spéciales qui s'appliquent lorsqu'un aiguillage de voie principale est manœuvré. De plus, tous les employés de l'ingénierie ont reçu une formation de rappel et ont été requalifiés à l'égard du REF.

    Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .