Rapport d'enquête ferroviaire R16E0102

Déraillement en voie principale
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Train de marchandises A45851-29
Point milliaire 96,38, subdivision de Grande Cache
près de Grande Cache (Alberta)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 29 octobre 2016, vers 19 h 53, heure avancée des Rocheuses, 28 wagons du train de marchandises A45851-29 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, qui roulait à 27 mi/h vers le nord, ont déraillé dans une courbe vers la droite au point milliaire 96,38 de la subdivision de Grande Cache. Les wagons déraillés étaient des wagons-trémies couverts remplis de sable de fractionnement. Le déraillement a endommagé quelque 1300 pieds de voie. Il n'y a pas eu de blessés.

    Renseignements de base

    1.1 L'accident

    Le 29 octobre 2016, l'équipe de train de l'événement à l'étude de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), composée d'un mécanicien de locomotive (ML) et d'un chef de train, a reçu l'ordre de quitter Winniandy (Alberta) à 6 h 20Note de bas de page 1. Les membres de l'équipe de train ont composé le train A459 et sont partis en direction sud à destination de Swan Landing, près de Grande Prairie (Alberta) à 7 h 30. À son arrivée à Swan Landing à 12 h 30, l'équipe a garé le train A459, puis a préparé le train A45851-29 (le train) en direction nord pour son départ immédiat.

    Le train était configuré en traction répartie. Au total, 3 locomotives se trouvaient en tête de train et 2 en queue de train. Le train, qui transportait 102 wagons chargés de sable de fractionnement (appelé Northern White)Note de bas de page 2, pesait 14 586 tonnes et mesurait 4652 pieds. Le sable de fractionnement provenait de Weyerhaeuser (Wisconsin), aux États-Unis, et était transporté vers Wembley (Alberta), en passant par Duluth (Minnesota), Winnipeg (Manitoba), Edmonton (Alberta), et Swan Landing.

    Le train a quitté Swan Landing à 15 h 30 et a circulé vers le nord sur la subdivision de Grande Cache.

    Vers 19 h 53, alors que le train descendait une pente à 27 mi/h et négociait une courbe de 6° vers la droite, il y a eu freinage d'urgence provenant de la conduite générale. Ni l'un ni l'autre membre de l'équipe n'a vu ou entendu quoi que ce soit d'anormal avant le serrage des freins. À ce moment, la tête du train se trouvait au point milliaire 96,43, à environ 23 milles au nord de de la voie d’évitement Grey (figure 1).

    Figure 1. Carte du lieu de l'événement (source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens, avec annotations du BST)
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    Carte du lieu de l'événement

    L'équipe de train a suivi les procédures d'urgence, y compris le message radio requis et l'appel au contrôleur de la circulation ferroviaire. Une fois le train immobilisé, le chef de train a marché vers la queue du train pour l'inspecter. Le chef de train a constaté une séparation entre le 1er et le 2e wagon, mais n'a pas remarqué les essieux montés déraillés des 2e et 3e locomotives. Voyant que le 1er wagon derrière les locomotives de tête n'avait pas déraillé, le chef de train a fermé le robinet d'arrêt du wagon. Étant donné la noirceur, le chef de train n'a pas vu le reste du train et a supposé que le problème se limitait à une mâchoire d'attelage rompue, ce qui expliquait la séparation.

    L'équipe de train a décidé d'inverser la marche des locomotives et du wagon pour les atteler de nouveau à la partie séparée du train. Ayant fait marche arrière sur 179 pieds, les membres de l'équipe ont compris qu'il y avait eu déraillement. Au moment de l'événement à l'étude, il faisait −3 °C.

    1.2 Examen des lieux

    La locomotive de tête n'a pas déraillé. Les essieux montés avant des bogies arrière (c.-à-d. les essieux no 4 dans le sens de la marche) des 2e et 3e locomotivesNote de bas de page 3 ont tous les deux déraillé. Les roues R3 ont déraillé à l'extérieur du rail haut, et les roues L3 ont déraillé à l'intérieur du rail bas.

    Le premier wagon (CEFX 312560) derrière les locomotives de tête est demeuré attelé et n'a pas déraillé. Les wagons des positions 2 à 29 ont déraillé. Le 2e wagon et le 3e wagon ont déraillé du côté haut de la courbe et se sont reversés. Les wagons des positions 4 à 26 étaient empilés en portefeuille en travers des rails (figure 2). Les wagons 27, 28 et 29 ont déraillé à la verticale sur la pente.

    Figure 2. Wagons déraillés
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    Wagons déraillés

    Les roues R3 déraillées de la locomotive n'ont laissé aucune marque sur les traverses; toutefois, on a relevé des marques sur le patin du rail bas et une rupture de rail entre le point où les locomotives se sont d'abord immobilisées et celui où elles se sont arrêtées après leur marche arrière.

    1.3 Renseignements sur le train

    Le train était propulsé par 5 locomotives General Electric (GE) ET44AC – 3 en tête de train et 2 en queue de train (tableau 1 et tableau 2).

    Tableau 1. Position des locomotives et situation des freins et de la traction des locomotives de tête
    Numéro de locomotive Situation de la traction Situation du frein rhéostatique
    CN 3057 En circuit Actionné
    CN 3066 En circuit Actionné
    CN 3094 En circuit Désactivé
    Tableau 2. Position des locomotives et situation des freins et de la traction des locomotives de queue
    Numéro de locomotive Situation de la traction Situation du frein rhéostatique
    CN 3103 En circuit Actionné
    CN 3045 En circuit Actionné

    Ces 5 locomotives étaient en bon état de service et ne présentaient aucun problème de maintenance non résolu.

    Les spécifications et dimensions des locomotives GE ET44AC comprennent :

    • Bogies GE HiAdMD à 3 essieux et moteur tandem, à faible transfert de poids et sans traverse danseuse. Dégagement latéral standard de l'essieu central de 1,25 pouce à la sortie d'usine, limites de réforme de 1,75 pouce (pour faciliter la négociation des courbes). Empattement nominal des bogies de 13 pieds 2 pouces.
    • La distance nominale entre les faces de traction des attelages avant et arrière est de 73 pieds 8,26 pouces.
    • Leur poids est de 427 500 livres.

    Les wagons chargés de sable de fractionnement avaient été inspectés et avaient passé devant plusieurs systèmes de détection en voie au cours des 2 jours qui ont précédé l'événement.

    Le 27 octobre 2016, une inspection autorisée des wagons et un essai de frein à air no 1 avaient eu lieu au triage Symington, à Winnipeg. Le matériel ne présentait aucune défectuosité ni anomalie.

    Le jour de l'événement, à Stony Plain (Alberta) (point milliaire 23,8 de la subdivision d'Edson), le wagon CEFX 311415 (69e wagon du train) avait déclenché l'alerte du système de détection des défauts de roues sous charge, celui-ci ayant enregistré une crête de 90,3 kipsNote de bas de page 4 sur l'essieu R1. Le CN avait alors classé ce wagon en situation de « maintenance préventive – peut être déplacé sans danger ». On avait inscrit la mention ** W4 WHEEL IMPACT – STRIKE ** dans le journal de bord du train. Cette mention devait demeurer dans le journal jusqu'à ce que l'on remplace la roue au prochain centre d'inspection autorisée des wagons.

    Le jour de l'événement, le train a franchi des détecteurs de boîtes chaudes aux points milliaires 38,94 et 89,7 de la subdivision de Grande Cache. L'alerte de ni l'un ni l'autre de ces détecteurs ne s'est déclenchée.

    Tous les wagons de ce train-bloc avaient été chargés uniformément et pesaient environ 142 tonnes (figure 3).

    Figure 3. Profil de tonnage du train
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    Profil de tonnage du train

    1.4 Renseignements sur le matériel roulant

    Le train tirait 102 wagons-trémies couverts de 42 pieds chacun (figure 4) conçus pour transporter des chargements lourds et denses. Chaque wagon avait un poids brut de 286 000 livres et une limite de charge de 232 800 livres. Ces wagons sont plus courts que les wagons-trémies à charbon ou céréaliers et, une fois chargés de sable de fractionnement, ils supportent une charge semblable à ces derniers.

    Figure 4. Un wagon-trémie couvert de 42 pieds typique
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    Un wagon-trémie couvert de 42 pieds typique

    Les forces longitudinales ne se traduisent pas en forces latérales plus élevées lorsque les wagons sont alignés (c.-à-d. sur une voie en alignement droit). Toutefois, si l'on compare des wagons de poids identique, mais de longueur différente, les wagons plus courts pourraient, dans certaines circonstances, exercer des forces plus élevées sur le rail dans les courbes (c.-à-d. des forces centrifuges L/V déséquilibrées et/ou des forces latérales transformées en position de portefeuille sous l'effet de la force de compression en-train)Note de bas de page 5Note de bas de page 6.

    Dans l'événement à l'étude, le train-bloc chargé de sable de fractionnement pesait 14 586 tonnes réparties sur 4652 pieds, soit l'équivalent de 3,1 tonnes/pied de longueur de train. Pour les trains céréaliers, cette valeur est habituellement d'environ 2,0 tonnes/pied de longueur de train.

    1.4.1 Dynamique d'un wagon-trémie couvert de 42 pieds

    Le Transportation Technology Center, Inc. (TTCI) a enquêté sur les effets du trafic à fortes charges par essieu sur l'infrastructure, notamment en ce qui a trait aux wagons de longueur minimale (c.-à-d. les wagons plus courts) en service d'échangeNote de bas de page 7. On a effectué un test à la Facility for Accelerated Service Testing (FAST) pour déterminer les différences dans la dynamique d'un wagon de 42 pieds (court) et celle d'un wagon de 53 pieds (longueur standard) (p. ex. : wagon-tombereau à charbon ou wagon-trémie découvert). TTCI a élaboré les modèles de simulation NUCARS® fondés sur des essais de caractérisation et de résonance de caisses, et a validé ces modèles en utilisant les données générées d'un test réalisé à la FAST sur un essieu monté instrumenté.

    De plus, l'Association of American Railroads a réalisé des simulations sur un modèle généralisé de wagon-trémie court avec des données de géométrie de la voie représentatives des voies de catégorie 2, 3 et 4 de la Federal Railroad Administration des États-UnisNote de bas de page 8.

    L'une des principales conclusions pertinentes de ces études se lit comme suit :

    • La performance de wagons courts est semblable à celle de wagons de longueur standard en ce qui concerne les charges roue-rail, pourvu que les 2 types de wagons soient munis de bogies identiquesNote de bas de page 9.
    • Les charges appliquées à la voie sont réparties à travers le ballast et la couche de forme. On peut les définir comme étant une série de bulbes de pression dans la couche de formeNote de bas de page 10.
    • Étant donné qu'il n'y a aucune différence de gabarit entre les bogies des wagons longs et courts à l'interface entre les wagons (c.-à-d. entre wagons subséquents), la répartition de la pression sous chaque paire de bogies devrait être identique. Toutefois, la distance inférieure entre les paires de bogies de wagons courts rapproche les bulbes de pression que chaque paire de bogies produit et crée une plus grande zone de chevauchement des pressions et des forces latéralesNote de bas de page 11.

    1.5 Renseignements consignés

    Un examen des données du consignateur d'événements de la locomotive a servi à déterminer comment le train avait descendu la pente entre Grey (point milliaire 73,0) et le point de déraillement (PDD) (point milliaire 96,38). La vitesse du train a oscillé entre 23 mi/h et 29 mi/h, ce qui dépassait la vitesse maximale permise de 25 mi/h (figure 5). On a réglé le manipulateur du frein rhéostatique (FR) aux positions 6 et 7 à plusieurs reprises, ce qui dépassait la limite de la position 5 (figure 5)Note de bas de page 12.

    Figure 5. Profil de vitesse et position du frein rhéostatique du train à l'étude, du point milliaire 74 au point milliaire 96 (données de roues de 43 pouces)
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    Profil de vitesse et position du frein rhéostatique du train à l'étude, du point milliaire 74 au point milliaire 96

    Le tableau 3 présente un résumé des événements de conduite du train avant et durant le déraillement.

    Tableau 3. Résumé des événements de conduite du train avant et durant le déraillement.
    Heure Position (point milliaire) Événement
    19 h 52 min 36 s 96,06 Le train roulait à 28 mi/h avec le manipulateur FR à la position 4.
    19 h 52 min 43 s 96,11 Manipulateur FR avancé à la position 5.
    19 h 52 min 56 s 96,22 Manipulateur FR reculé à la position 4.
    19 h 53 min 96,25 Manipulateur FR avancé à la position 6.
    19 h 53 min 3 s 96,27 Le train entre dans une courbe de 6°.
    19 h 53 min 22 s 96,42 Le train roulait à 27 mi/h, manipulateur de frein rhéostatique reculé à la position 5.
    19 h 53 min 23 s 96,43 Freinage d'urgence provenant de la conduite générale.
    De 19 h 53 min 23 s à 19 h 53 min 46 s 96,50 Les locomotives et le premier wagon se séparent du train et s'immobilisent* après avoir parcouru 386 pieds en freinage d'urgence.
    20 h 7 min 53 s 96,50 Les locomotives et le premier wagon font marche arrière.
    20 h 9 min 26 s 96,47 Après avoir reculé de 179 pieds, les locomotives et le premier wagon s'immobilisent.

    * Durant l'arrêt, le train était en freinage rhéostatique uniquement, aucun frein à air n'ayant été serré.

    1.6 Renseignements sur la subdivision

    La subdivision de Grande Cache relie Swan Landing (point milliaire 199,4 sur la subdivision d'Edson) et Grande Prairie (point milliaire 232,9) au nord. Les mouvements de train sont contrôlés par le système de régulation de l'occupation de la voie (ROV), conformément au Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada, et supervisés par le contrôleur de la circulation ferroviaire en poste à Edmonton (Alberta).

    Avant 2009, la voie entre les points milliaires 0,0 et 112,0 a été mise à niveau pour permettre la circulation de trafic plus lourd (chargements jusqu'à 286 000 livres).

    Dans les environs de l'événement, la vitesse maximale permise était de 25 mi/h, ce qui en faisait une voie de catégorie 2, selon le Règlement concernant la sécurité de la voie (aussi appelé Règlement sur la sécurité de la voie [RSV]) approuvé par Transports Canada (TC).

    Jusqu'à juin 2014, on y transportait des wagons chargés de charbon, de céréales et de produits du bois vers le sud, et des wagons vides vers le nord. En outre, un train chargé de charbon thermique circulait occasionnellement vers le nord pour desservir une centrale de production d'énergie près de Winniandy. En juin 2014, des trains-blocs chargés de sable de fractionnement ont commencé à circuler vers le nord dans cette subdivision, ce qui a considérablement accru le trafic et le tonnage (tableau 4). La mine de charbon à Winniandy a fermé en décembre 2015, et les derniers trains de charbon vers le sud ont circulé en octobre 2016. Le transport de céréales et de produits du bois vers le sud à partir de Grande Prairie s'est poursuivi. En 2016, le trafic ferroviaire se limitait à environ 2 trains par jour, totalisant quelque 11,6 millions de tonnes-milles brutes par année.

    Tableau 4. Trafic ferroviaire dans la subdivision de Grande Cache, de 2013 à 2016
    Année Plage de dates Total de tonnes-milles brutes Moyenne de mouvements de train par jour
    2013 2013-10-01 au 2013-12-31 471 135 430 3
    2014 2014-01-01 au 2014-12-31 1 982 858 871 4
    2015 2015-01-01 au 2015-12-31 1 733 420 770 3
    2016 2016-01-01 au 2016-10-31 1 157 245 362 2

    Depuis le début des années 1970, le CN utilisait des locomotives SD40 (c.-à-d. des locomotives diesel de 3000 HP dotées de 6 essieux fabriquées par la division électromotrice de General Motors) pour tracter ses trains-blocs à charbon et céréaliers dans la subdivision de Grande Cache. Du milieu à la fin des années 1980, le CN a commencé à utiliser des locomotives à 6 essieux de 3600 HP à 3800 HP. Durant les années 1990, la compagnie a graduellement mis en service des locomotives à 6 essieux de 4000 HP, 4300 HP et 4400 HP. De 1999 à 2006, c'est une autre compagnie ferroviaire qui exploitait cette voie, avec des locomotives d'une puissance de 3000 HP à 3900 HP.

    Lorsque le CN a récupéré cette voie en 2006, des locomotives de pointe (c.-à-d. lourdes [420 000 livres] à haute puissance de traction [4300 HP, 4400 HP]) y ont été mises en service pour faciliter le mouvement de wagons réguliers et de marchandises en vrac lourdes (charbon, céréales). En 2013, lors de l'avènement des locomotives à courant alternatif (c.a.), le CN comptait au moins six années d'expérience dans l'exploitation de locomotives c.c. lourdes à haute puissance de traction dans des configurations de trains classiques et à traction répartie dans la subdivision de Grande Cache. Au moment de l'événement, le CN augmentait l'utilisation de locomotives c.a. partout dans son réseau à mesure qu'elle en prenait livraisonNote de bas de page 13.

    1.7 Renseignements sur la voie

    Dans les environs de l'événement, il y a une courbe de 6° vers la droite dans une longue pente dont la déclivité varie de 0,76 % à 0,84 %. La voie dans le secteur du déraillement se trouve dans une tranchée taillée dans du schiste, avec 1 ponceau qui draine vers l'ouest et les 2 fossés qui drainent vers le nord. Cette voie était construite principalement avec des traverses de bois franc no 2. En juin 2016, toutes les 2e à 4e traverses ont été remplacées, et la surface des rails a été remise en état.

    Le plan de fixation consistait principalement en 3 crampons par selle (2 crampons du côté intérieur et 1 du côté champ) et était entrecoupé par endroit d'un plan « B » utilisant des selles de 14 pouces à double épaulement (2 crampons du côté intérieur et 2 du côté champ). Les rails étaient entièrement encadrés par des anticheminants Fair du côté haut, et par un tout nouveau modèle d'anticheminants du côté bas. Les anticheminants étaient généralement bien ancrés aux traverses. Le ballast était composé de pierre concassée, avec des banquettes de 14 à 16 pouces.

    Le rail haut dans la courbe était un long rail soudé (LRS) de 115 livres fabriqué en 1991 par Algoma, avec une usure du champignon d'environ 7 mm et une usure latérale de 8 mm. De 2014 à 2016, on avait remarqué l'usure accélérée du rail haut dans la courbe. Le rail bas était un nouveau LRS de 115 livres fabriqué en 2016 par EVRAZ qui avait été installé en septembre 2016. À la suite du remplacement du rail bas par un rail neuf de pleine hauteur, le dévers moyen dans la courbe a diminué de 0,42 pouce, à 0,99 pouce.

    Un rail de raccord de 34 pieds (fabriqué en 1987 par Sydney) avait auparavant été installé dans le rail haut près du point milliaire 96,38. Avant l'événement à l'étude, on avait confirmé que les 2 éclisses du rail de raccord étaient solidement boulonnées. Après l'événement, les 2 éclisses étaient intactes, mais les écrous (du côté intérieur) des 3 boulons avaient été arrachés sur chacune des éclisses (figure 6). Le rail de raccord était également rompu tout près du joint sud.

    Figure 6. Éclisse du côté intérieur avec boulons manquants
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    Éclisse du côté intérieur avec boulons manquants

    Les éclisses du côté intérieur présentaient des marques d'usure latérale. L'usure du champignon du rail haut était de 7 mm, soit 1 mm sous la limite de 8 mm spécifiée dans les Normes de la voie de l'Ingénierie du CN avant que des éclisses à profil bas ne soient nécessaires.

    Des graisseurs de rail se trouvaient aux points miliaires 96,2 et 100,1.

    Les morceaux du rail de raccord, y compris les 2 éclisses, ont été envoyés au laboratoire du BST pour un examen plus approfondi.

    1.7.1 Inspection et entretien de la voie

    En 2016, la subdivision de Grande Cache a fait l'objet d'auscultations par ultrasons à 11 reprises. Durant le plus récent test de détection des défauts de rail, le 21 octobre 2016, aucun défaut de rail interne n'avait été détecté dans les environs du PDD.

    Toutefois, durant le test précédent effectué le 15 août 2014, un écrasement des abouts de rail de 4 mm avait été détectéNote de bas de page 14 dans l'éclisse sud. Le personnel du CN surveillait et mesurait ce problème d'écrasement des abouts de rail, conformément aux normes de la voie de la compagnieNote de bas de page 15. La norme du CN exige de remplacer le rail dans les 7 jours si l'écrasement aux abouts est supérieur à 5 mm.

    La dernière inspection de la voie, réalisée par un véhicule rail-route, avait eu lieu le 28 octobre 2016. Aucun défaut n'avait été relevé dans les environs de l'événement.

    La plus récente évaluation de la géométrie de la voie avait eu lieu le 12 septembre 2016. Aucun défaut de géométrie n'avait été signalé dans la courbe en cause dans le déraillement durant cette évaluation, effectuée 2 jours après l'installation du rail bas. Dans les environs du déraillement, on a mesuré l'inclinaisonNote de bas de page 16 du rail haut, qui était de 0,43° à 0,77°. Pour ce qui est du rail bas, l'inclinaison était de 1,24° à 1,43°. L'écartement dans la courbe variait de 0,14 pouce à 0,37 pouce de largeur, valeurs que la compagnie ferroviaire juge comme étant mineures (ne nécessitant aucune intervention).

    Après l'installation des traverses en juin 2016 et le remplacement du rail bas en septembre 2016, le recramponnage et la rectification de l'écartement dans la courbe avaient corrigé les défauts d'écartement qui avaient été relevés durant l'évaluation de géométrie du 27 mai 2016. De plus, durant le remplacement, on a renforcé la fixation du rail bas par des crampons additionnels et l'application de colle dans les trous de crampon.

    1.7.2 Fixation des rails

    On peut utiliser divers types de systèmes de fixation dans les courbes (comme des crampons, des attaches élastiques et des fixations vissées).

    Les crampons positionnent le rail dans la selle et fixent celle-ci à la traverse de façon à maintenir l'écartement. Les crampons servent principalement à empêcher le mouvement latéral du rail; ils n'empêchent en rien (ou sinon très peu) le mouvement vertical et le renversement du rail.

    Les systèmes de fixation élastique procurent une structure de voie beaucoup plus solide. Elle résistera mieux aux forces latérales et longitudinales élevées ainsi qu'au développement d'un surécartement et d'une inclinaison anormale des rails pouvant endommager les traverses. Les attaches élastiques accroissent aussi la force de fixation du rail, ce qui augmente la résistance au renversement.

    Les fixations vissées assurent une résistance accrue au déplacement des selles et, de ce fait, accroissent la résistance au surécartement et la durée de maintien de l'écartement. Cela réduit le risque de mâchement des traverses par les crampons durant le retrait et la réinstallation des attaches pour remplacer un rail.

    Dans des conditions dommageables provoquées par du matériel ou des roues, la solidité et la durabilité des crampons ne peuvent empêcher le renversement du rail dans les courbes. Dans des courbes moyennes (de 6° à 8°) et plus prononcées (supérieures à 8°), l'utilisation d'attaches élastiques serait très avantageuse pour résister à la circulation de trains-blocs lourdement chargés.

    Le BST a mené plusieurs enquêtesNote de bas de page 17 qui ont permis de déterminer que la différence de fixation des rails dans une courbe a joué un rôle dans des déraillements. Dans ces événements, le rail haut avait été raidi en installant des crampons supplémentaires ou des attaches élastiques. Cela avait accru la résistance du rail aux forces latérales dynamiques de surécartement. Toutefois, le rail bas n'ayant pas été raidi de la même façon, il était moins résistant aux forces latérales créées par la circulation des trains. Cela a causé la détérioration des attaches, l'inclinaison inverse du rail bas, la chute d'une roue et le déraillement.

    Une situation semblable peut se produire lorsque le rail bas est remplacé, mais non le rail haut. Le remplacement du rail bas uniquement peut entraîner une différence de fixation des rails : les forces latérales créées par la circulation des trains agissent sur le rail haut relativement plus faible, ce qui cause la détérioration précoce des attaches, l'inclinaison inverse du rail haut, un potentiel accru de chute de roue, et un déraillement.

    1.8 Dévers de la courbe

    Le déraillement s'est produit dans une courbe de 6° vers la droite dans une longue pente dont la déclivité variait de 0,84 % à 0,76 %. La voiture TEST du CN avait servi à évaluer la géométrie de la voie dans cette courbe le 12 septembre 2016. Cette évaluation avait relevé ce qui suit :

    • La courbe mesurait 1762 pieds de long.
    • La courbe s'étendait du point milliaire 96,24 au point milliaire 96,57.
    • Le degré de courbure moyen était d'environ 6° (variant de 5,94° à 6,06°).
    • Le dévers variait de 0,51 pouce à 1,28 pouce.
    • Le dévers moyen était de 0,99 pouce.
    • La vitesse nominale d'exploitation était de 26,7 mi/hNote de bas de page 18.
    • Le dévers équilibré était de 2,75 pouces.
    • Tous les défauts d'écartement étaient inférieurs à 0,5 pouce.

    Lorsqu'un train négocie une courbe, il est souhaitable que les locomotives et le matériel remorqué s'inclinent vers l'intérieur en direction du centre de la courbe. Ce résultat s'obtient en rehaussant le rail haut. Si tous les trains roulaient à la même vitesse dans la courbe, la condition idéale pour obtenir un roulement égal et une usure minimale des rails serait de surélever le rail haut de façon à uniformiser la force centrifuge sur le rail haut et sur le rail bas à cette vitesse (appelée vitesse d'équilibre). On appelle cette condition « dévers d'équilibre ».

    Or, comme il y a normalement différents types de trafic qui circule à différentes vitesses, les trains qui négocient une courbe à une vitesse inférieure à la vitesse d'équilibre produiront sur le rail bas une usure plus élevée que la normale. Dans les courbes, les trains dont la vitesse est supérieure à la vitesse d'équilibre produiront sur le rail haut une usure plus élevée que la normale. Sur une ligne de chemin de fer, on doit tenir compte des différents types de trafic et des différentes vitesses des trains pour établir le dévers d'une courbe.

    Pendant de nombreuses années, le trafic dans la subdivision de Grande Cache était essentiellement composé de wagons chargés qui circulaient vers le sud et de wagons vides qui roulaient vers le nord. Par conséquent, le dévers des courbes avait été calculé en fonction de trains chargés et plus lents vers le sud gravissant la pente de 1 % (déclivité nominale), de Winniandy à Grey. L'ajout de trains vers le nord chargés de sable de fractionnement a accéléré l'usure des rails hauts dans les courbes.

    La norme du CN pour le dévers des courbes (Méthode recommandée 1305) prescrit notamment ceci [traduction] :

    Le dévers maximal qui peut être mis en place dans une courbe doit être la moindre des valeurs suivantes : le dévers d'équilibre ou 5 pouces.

    Le dévers minimal qui peut être mis en place dans une courbe doit être la plus élevée des valeurs suivantes pour les vitesses autorisées dans l'indicateur : ½ pouce, 2 pouces sous le dévers d'équilibre pour la vitesse des trains de marchandises, 3 pouces sous le dévers d'équilibre pour la vitesse des trains de voyageurs ou 6 pouces sous le dévers d'équilibre pour la vitesse des LRC (trains Légers rapides de banlieue). Le dévers peut se situer n'importe où dans cette fourchette.

    En 2015, le CN a mené une étude interne sur les vitesses réelles des trains dans les courbes. L'objectif était de réviser les dévers afin qu'ils correspondent mieux aux vitesses réelles de la majorité des trains (c.-à-d. le 95e centile) dans les courbes. À partir de cette étude, le CN a dressé une liste de courbes qui indiquait leurs dévers souhaités. Dans le cadre de futurs travaux de nivellement ou de programme, on verrait alors à réviser les dévers de chacune des courbes.

    Une courbe qui comprend un rail haut neuf et un rail bas complètement usé, calculée pour soutenir une insuffisance de dévers de 2 pouces, pourrait en fait présenter un excès de dévers par rapport à celui prévu. Ainsi, la vitesse maximale autorisée (ou vitesse nominale d'exploitation [Vmax]) dans la courbe augmenterait et s'approcherait de la limite Vmax permise pour une insuffisance de dévers de 3 pouces. Le calcul de la Vmax est indiqué dans le RSV, Partie II, Section C, alinéa 4.2Note de bas de page 19. Lorsque l'on remplace le rail bas, le dévers de la courbe doit alors être rapproché à la limite Vmax pour une insuffisance de dévers de 2 pouces. La voiture TEST d'évaluation de la géométrie de la voie peut détecter les défauts de Vmax qui exigent une réduction de la vitesse du train pour qu'elle corresponde au dévers réel d'une courbe.

    Dans le cadre de son étude de 2015, le CN a comparé sa politique sur l'insuffisance de dévers de 2 pouces (c.-à-d. 2 pouces sous le dévers d'équilibre pour la vitesse des trains de marchandises, selon l'indicateur) à celle d'autres chemins de fer de classe 1. La compagnie s'est aperçue qu'une insuffisance de dévers de 2 pouces était parmi les plus élevées permises dans cette classe. Par conséquent, le CN a déterminé qu'une politique sur l'insuffisance de dévers de 2 pouces fixes n'était pas toujours l'approche à privilégierNote de bas de page 20. On devait plutôt considérer une insuffisance de dévers de 1 pouce. Si l'insuffisance de dévers d'une courbe était de 1 pouce, elle se rapprocherait du dévers d'équilibre. La Vmax serait réduite, ainsi que l'usure des rails.

    Dans l'événement à l'étude, la courbe de 6° présentait un dévers moyen de 0,99 pouce, sa vitesse d'équilibre était de 15,4 mi/h, et sa vitesse nominale d'exploitation (Vmax) était de 21,8 mi/h (en fonction d'une insuffisance de dévers de 1 pouce) ou de 26,7 mi/h (en fonction d'une insuffisance de dévers de 2 pouces).

    Il existe une relation exponentielle entre le dévers d'équilibre et la vitesse. Pour qu'un train puisse circuler à 27 mi/h, une courbe de 6° doit avoir un dévers de 2,06 pouces (en fonction d'une insuffisance de dévers de 1 pouce) ou de 1,06 pouce (en fonction d'une insuffisance de dévers de 2 pouces).

    1.9 Forces latérales et verticales à l'interface roue-rail

    Une combinaison de forces latérales (L) et verticales (V) est présente à l'interface entre la roue et le rail (figure 7). Le rapport entre les forces latérales et verticales (L/V) fournit une indication de la probabilité de déraillement.

    Figure 7. Forces latérales et verticales entre la roue et le rail (Source : Association of American Railroads, avec annotations du BST)
    Image
    Forces latérales et verticales entre la roue et le rail

    Lorsqu'un train est en force de compression, en particulier lorsque les wagons sont en portefeuille dans une courbe, l'angle de la barre de traction peut atteindre son maximum avec les attelages exerçant une poussée sur le côté de leur boîtier. Les forces longitudinales peuvent se transformer en forces latérales intenses qui peuvent agir sur les bogies et être transmises aux boudins des roues sur le rail haut. Elles peuvent causer l'inclinaison et même le renversement du rail si la force résultante se répercute au-delà du bord extérieur du patin de rail. Une force latérale élevée jumelée à une faible force verticale (p. ex. si le train remorque des wagons vides) peut tendre à soulever les boudins par-dessus la face intérieure du rail (chevauchement).

    Cette tendance au chevauchement est liée à l'angle du boudin de roue, au coefficient de friction (glissement important au point de contact roue/rail) et à l'angle d'attaque de l'essieu monté avant par rapport au rail dans une courbe. Le chevauchement est associé à d'importantes forces latérales et à une force verticale réduite. Il y a un potentiel de chevauchement lorsque le rapport force latérale/force verticale (L/V) dépasse 0,80. Le chevauchement sur le rail haut se produit lorsque le boudin entre en contact avec la face intérieure et que le rapport L/V est élevé. Les forces de compression d'un train lourd qui descend une déclivité prononcée peuvent causer un délestage des ressorts de suspension qui, à leur tour, produisent habituellement une grande force latérale ou une force verticale plus faible.

    Pour qu'il y ait renversement du rail avec un wagon chargé, le seuil du rapport L/V est de 0,65 dans le cas d'une voie bien entretenueNote de bas de page 21.

    1.9.1 Situations affectant les forces latérales et verticales dans les courbes

    Lorsque la face intérieure du rail haut est usée, la pression exercée sur le boudin de roue dans une courbe peut entraîner un contact en 2 points entre la roue et le rail (boudin de la roue et surface de roulement du rail), ce qui abaisse le seuil du rapport L/V et produit un chevauchement sur le rail ou un renversement du rail. Pour le renversement du rail, un rail usé et des roues usées à la table de roulement creusée constituent la pire combinaison.

    Les boudins de roue, les forces centrifuges et les forces de frottement produites par les ensembles de bogies à leur passage dans les courbes exerceront une force latérale sur les rails haut et bas. Les forces en-train (forces de compression et efforts de traction) peuvent, elles aussi, exercer une force latérale sur la voie, surtout dans les courbes.

    Tandis que les forces latérales tentent de renverser le rail, celui-ci est retenu par sa rigidité en torsion et par le poids reposant sur les roues adjacentes. Le rehaussement du rail haut (dévers) compense la force centrifuge en déplaçant une certaine partie du poids du wagon vers le rail bas, ce qui réduit la force latérale (centrifuge) et la force verticale s'exerçant sur le rail haut. La force latérale augmente dans les courbes dont l'équilibre du dévers est rompu.

    Dans une courbe, le graissage du champignon du rail basNote de bas de page 22 réduira les forces de frottement qui pourraient provoquer un renversement du rail haut ou une chute de roue depuis le rail bas. Le graissage du patin du rail haut réduira l'usure, l'adhérence par friction (glissement) et les efforts dans les courbes, et, du même coup, le potentiel de chevauchement.

    Une augmentation considérable de la charge latérale sur la voie ou une diminution appréciable de la résistance latérale de la voie entraîneront une chute de roue entre les rails.

    1.10 Analyse de la dynamique voie/train par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

    Afin de déterminer les forces en-train à l'origine du déraillement, le CN a retenu les services d'un expert-conseil pour analyser une simulation réalisée avec le modèle Train Operations Simulator. Le modèle Quasi-static Lateral Train Stability (QLTS) a également servi à déterminer les forces latérales qui ont agi sur les premiers wagons déraillés du train circulant dans la courbe de 6° vers la droite avec un dévers de 1 pouce. Les autres données de l'analyse de la dynamique comprenaient un profil de rail modérément usé.

    L'analyse de la dynamique a permis de déterminer que :

    • Les forces en-train longitudinales maximales aux barres de traction étaient inférieures à 100 kips lorsque la locomotive a déraillé à 27 mi/h.
    • La force latérale calculée par le modèle QLTS était de 12 066 livres, et les rapports L/V étaient de 0,38. Ces valeurs sont considérées comme modérées et non causales dans le cas d'une voie correctement soutenue et entretenue.
    • La force latérale de la combinaison locomotive/wagon était de 12 247 livres.
    • Le modèle prévoyait un rapport L/V de 0,35 et 8224 livres de force latérale pour la combinaison wagon/wagon.

    1.11 Analyse de la dynamique voie-train par le BST

    Le laboratoire du BST s'est servi du logiciel Train Energy and Dynamics Simulator (TEDS) pour simuler la dynamique d'un train et vérifier les forces en-train.

    Le déplacement du manipulateur FR a généré une force de compression en-train d'environ 100 kips, laquelle s'est transformée en forces latérales additionnelles transmises par la barre de traction, le centre des bogies et le contact roue-rail. La position horizontale des wagons et des attelages a énormément agi sur la force latérale transformée. En position de portefeuille, et selon les données de dimension et d'angles des attelages des wagons de sable et des locomotives, la force latérale transformée calculée au centre des bogies à partir de la force de compression en-train simulée de 100 kips serait d'environ 17,82 kips pour les wagons de sable, et d'environ 23,25 kips pour les locomotives.

    La force latérale totale appliquée aux premières locomotives et aux premiers wagons de sable déraillés a produit des rapports L/V très semblables pour les roues et les côtés des bogies. Les rapports L/V sur les côtés des bogies étaient d'environ 0,35 pour les wagons de sable, et d'environ 0,32 pour les locomotives. Les rapports L/V pour la roue avant extérieure étaient d'environ 0,45 et 0,42 respectivement. La force latérale sur la roue avant extérieure était d'environ 16 kips pour les wagons de sable et d'environ 22 kips pour les locomotives.

    En appliquant uniquement au rail haut (côté du bogie) la force latérale transformée de la force en-train, les rapports L/V totaux calculés sur les côtés des bogies étaient d'environ 0,51 pour les wagons de sable, et d'environ 0,48 pour les locomotives. Les rapports L/V pour la roue avant extérieure étaient d'environ 0,61 et 0,58 respectivement, et la force latérale sur la roue avant extérieure était d'environ 22 kips pour les wagons de sable et d'environ 30 kips pour les locomotives. Ces rapports L/V n'auraient pas été suffisants pour renverser les rails d'une voie solide ou pour facilement causer un chevauchement des roues. Toutefois, les forces latérales totales sur la roue avant extérieure et le côté du bogie étaient suffisamment élevées pour déplacer le rail haut vers l'extérieur et pour l'incliner.

    1.12 Renseignements sur l'équipe

    Le mécanicien de locomotive (ML) était au service du CN depuis avril 2008. Il avait été chef de train pendant ses 2 premières années de service avant de se qualifier en tant que mécanicien de locomotive. Le ML connaissait le territoire, l'exploitation des locomotives c.a. et les trains à traction répartie. Avant l'événement, le ML avait à quelque 15 reprises conduit des trains-blocs de sable de fractionnement.

    Les superviseurs du Service des locomotives du CN accompagnent les équipes de train dans le cadre de séances d'orientation et de suivi. Toutefois, le ML avant conduit tout seul son premier train-bloc de sable de fractionnement, et n'avait jamais été accompagné par un superviseur sur ce territoire. Le ML n'avait reçu aucune rétroaction particulière de la compagnie sur sa performance de conduite de ces trains lourds vers le nord. Dans l'événement à l'étude, le ML a parfois dépassé le cran d'utilisation maximal permis du manipulateur du FR et a également permis au train de dépasser de plusieurs milles à l'heure la vitesse maximale permise dans les pentes.

    Le chef de train était en service de disponibilité au CN depuis 3 ans. Il avait été affecté à la subdivision de Grande Cache pendant environ 3 mois et demi en 2014, et pendant environ 1 mois et demi en 2016 avant le déraillement.

    Les membres de l'équipe de train étaient postés à Grande Cache en service assigné. Ils travaillaient habituellement vers le sud les samedis et rentraient le même jour. Après le minimum de 8 heures de repos, on les appelait de nouveau le dimanche pour conduire un train vers le sud et rentrer le même jour. Les lundis, ils étaient inscrits au tableau de réserve. Leurs jours de repos assigné étaient les mardis, mercredis, jeudis et vendredis.

    Le temps de parcours habituel de Swan Landing à Grande Cache était de 5 à 6 heures, et comprenait une brève pause à Swan Landing. Le temps de service pour cette affectation était de 15 à 16 heures, avec un maximum de 18 heures.

    Conformément à l'horaire de travail, l'équipe avait eu 4 jours de repos avant le jour de l'événement. L'horaire de travail respectait les exigences des Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaire de Transports Canada.

    1.12.1 Familiarisation de l'équipe avec les locomotives à courant alternatif et les trains-blocs chargés de sable de fractionnement

    Toutes les instructions sur la conduite des trains figurent dans des bulletins sommaires imprimés, l'imprimé 8960 (Guide du mécanicien de locomotive) du CN, le Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada, les indicateurs, les instructions spéciales pour le réseau et les Instructions spéciales régionales.

    Pour ce qui est des locomotives c.a., des lignes directrices se trouvent dans le manuel 2800-2834 du CN : Locomotive GE ES44AC. Un guide des pratiques recommandées de conduite des trains (Best Practices Train Handling Guide) révisé en juillet 2012 (avant que le CN commence à exploiter des trains-blocs de sable de fractionnement vers le nord) contenait les pratiques recommandées de conduite des trains dans la subdivision de Grande Cache.

    1.13 Instructions d'exploitation des locomotives à courant alternatif

    Les locomotives ET44AC de GE ont une grande puissance de traction et de freinage en traction. La section G (Conduite des trains) du Guide du mécanicien de locomotive comprend des instructions sur l'utilisation et les limites de ces locomotives.

    D'après la section G2.1 (Limites au nombre d'essieux moteurs actifs) du Guide du mécanicien de locomotive  :

    Sauf indication contraire, le nombre maximal d'essieux moteurs actifs dans un groupe de traction ne doit pas dépasser 24. En mode de traction répartie ou en service de renfort ou de pousse, ces limites s'appliquent séparément au groupe de traction menant et à chacun des groupes de traction télécommandés dans le train. Dans le cas des trains-blocs parcourant les subdivisions désignées dans l'indicateur ou dans des instructions spéciales, le groupe de traction peut comporter jusqu'à 30 essieux moteurs actifs.

    1.13.1 Frein rhéostatique

    Les locomotives c.a. du train A45851 étaient dotées de FR à plage étendue qui offrent une puissance de freinage beaucoup plus grande que celle de locomotives c.c. à des vitesses inférieures à 8 mi/h. Toutefois, entre le moment où le train a quitté Swan Landing et le moment du serrage d'urgence des freins, le manipulateur FR n'a pas dépassé la position 5 pendant que le train roulait à moins de 17 mi/h. Par conséquent, les niveaux de puissance du FR auraient été semblables à ceux produits par une locomotive c.c. haute puissance dotée d'un FR à plage étendue.

    Le FR se produit lorsque les moteurs de traction de la locomotive agissent comme génératrices d'efforts retardateurs. D'après les procédures de la compagnie, lorsque le FR est disponible, il doit servir de premier moyen pour amorcer une réduction de vitesse. L'utilisation du FR cause moins d'usure et de dommages au matériel roulant et à ses composants (notamment les semelles de frein) et améliore l'efficacité énergétique.

    Peu importe la position du manipulateur FR, l'effort retardateur maximal se produit dans la plage de vitesses de 5 à 30 mi/h. Le serrage du FR concentre l'effort de freinage aux locomotives, ce qui a habituellement pour effet de resserrer les wagons du train en comprimant le jeu des attelages. C'est pourquoi il faut déplacer le manipulateur FR graduellement et par crans, afin d'éviter les forces de compression excessives qui pourraient endommager la structure de la voie et mener à un déraillement.

    Quand on utilise le FR, le frein automatique pourrait être requis pour fournir un effort de freinage additionnel. La section G2.4 (Utilisation du frein automatique) du Guide du mécanicien de locomotive explique notamment :

    Il faut éviter d'avoir recours au freinage en dents de scie sauf dans les longues descentes et quand il n'y a pas de frein rhéostatique ou que l'effort retardateur produit par ce dernier est insuffisant. Le freinage en dents de scie consiste à commander des serrages et des desserrages successifs sans laisser la pression se rétablir dans la conduite générale.

    La section G2.13 (Limites à l'utilisation du frein rhéostatique) du Guide du mécanicien de locomotive explique notamment :

    1. Le groupe de traction menant ne doit pas comporter plus de 18 essieux moteurs commandés par un frein rhéostatique fonctionnel. En traction répartie, le groupe de traction télécommandé peut aussi comporter jusqu'à 18 essieux moteurs commandés par un frein rhéostatique fonctionnel, s'il est séparé du groupe de tête par au moins 50 wagons ou éléments intermodaux.
      Dès qu'on utilise une [ou plusieurs] locomotive[s] à courant alternatif (CA) dans un groupe de traction, [ou une combinaison de locomotives c.a. et c.c.], le groupe de traction ne doit pas comporter plus de 12 essieux moteurs commandés par un frein rhéostatique fonctionnel.
    2. On doit réduire les efforts générés dans le train et entre la voie et le train, lorsqu'on circule dans les secteurs suivants :
      • à l'approche ou au franchissement des voies d'évitement, des branchements, des liaisons et des courbes très prononcées;
      • sur les voies visées par une limitation temporaire de vitesse ou récemment perturbées;
      • au franchissement d'une traversée de voie ou d'un pont mobile;
      • sur les voies secondaires et les embranchements.

    Dans les situations ci-dessus, le mécanicien de locomotive doit :

    1. éviter de mettre le levier du frein rhéostatique à un cran supérieur à 5 quand le train circule à une vitesse entre 5 et 30 mi/h;

    […]

    Les Instructions spéciales régionales de l'indicateur 20 classent la subdivision de Grande Cache en tant que subdivision à fortes déclivités (de 0,8 % à 1,8 %). Les seules restrictions relatives au FR dans l'indicateur faisaient état d'un maximum de 12 essieux avec FR dans le cas d'un train c.a. ou d'un train mixte c.a. – c.c.

    Les pratiques recommandées de conduite des trains (Best Practices Train Handling Guide) pour la subdivision de Grande Cache indiquent que pour les trains vers le nord, on doit utiliser le FR au point milliaire 91, le relâcher entre les points milliaires 94,1 et 95,7 (où la pente de 1 % s'aplanit), et le resserrer au point milliaire 96Note de bas de page 23.

    Or, aucune directive particulière n'était fournie sur la conduite de trains de sable de fractionnement vers le nord. À cet endroit, certaines équipes de train avaient conduit des trains-blocs de sable de fractionnement à des vitesses légèrement supérieures à celle permise.

    1.14 Événements antérieurs

    Le BST a enquêté sur des déraillements de trains semblables, pour lesquels on a déterminé que des forces latérales élevées appliquées à des rails hauts usés dans des courbes à dévers insuffisant avaient été des facteurs causals :

    R13W0257 (Nickel Lake, Ontario) – Le 10 novembre 2013, 40 wagons céréaliers chargés du train de marchandises G84042-09 du CN roulant vers l'est sur la subdivision Fort Frances déraillent au point milliaire 73,6, près de Nickel Lake. Les wagons déraillés se répartissent en 2 groupes, l'un de 12 wagons et l'autre de 28. Plusieurs d'entre eux, en se perforant, ont laissé échapper des grains. L'enquête a permis de déterminer que :

    • Comme le train roulait à 37 mi/h, la courbe présentait un dévers insuffisant pour cette vitesse, ce qui a provoqué un accroissement des forces latérales s'exerçant sur le rail haut.
    • Sur un rail haut sur le point d'atteindre ses limites d'usure, il s'est probablement produit un contact en 2 points à l'interface roue-rail, ce qui a réduit le seuil des forces latérales et verticales nécessaires au déclenchement d'un déraillement.
    • Les trains-blocs lourdement chargés roulant à la vitesse permise ou à une vitesse légèrement supérieure auraient accéléré la dégradation de l'aptitude des crampons à résister aux forces latérales génératrices d'un surécartement et d'un renversement du rail.
    • Le renversement du rail dû à des forces latérales élevées a probablement découlé d'une combinaison de facteurs : la vitesse du train dans une courbe à dévers insuffisant, un seuil des forces latérales et verticales réduit par le contact en 2 points sur le rail haut usé et une résistance amoindrie des crampons de rail à un surécartement dynamique.

    R15M0034 (Saint-Basile, Nouveau-Brunswick) – Le 17 avril 2015, 35 wagons et 1 locomotive à traction répartie du train de marchandises M30511-17 de CN, circulant vers l'ouest à 46 m/h, ont déraillé au point milliaire 212,8 dans la subdivision de Napadogan, près de Saint-Basile. Le déraillement a détruit environ 900 pieds de voie principale. Vingt des wagons déraillés étaient des wagons-citernes de résidus de pétrole brut (UN 1267, classe 3, leur dernier chargement). L'enquête a permis de déterminer que :

    • En raison de l'importante usure latérale du rail haut, le point de contact roue-rail s'est déplacé vers le côté extérieur, ce qui a réduit la stabilité latérale du rail.
    • Les conditions de la voie et le dévers insuffisant de la courbe (pour équilibrer la vitesse des trains) ont donné lieu à des forces latérales plus élevées sur le rail haut.
    • La force latérale supérieure, jumelée à la stabilité latérale réduite du rail haut, a entraîné le déraillement du train dans la courbe.

    1.15 Examen en laboratoire du joint de rail et du rail rompu

    Un examen détaillé du joint de rail (figure 8) a permis de déterminer que le rail de raccord et le morceau de rail se sont rompus en surcharge comme suite aux forces de déraillement. Aucun défaut préexistant n'a été constaté.

    Figure 8. Éclisse intérieure et trou de boulon, et dommages causés par le boudin de roue sur le coin de l'éclisse (encerclé)
    Image
    Éclisse intérieure et trou de boulon, et dommages causés par le boudin de roue sur le coin de l'éclisse

    L'usure du champignon mesurée sur le rail de raccord et le morceau de rail était en deçà des limites spécifiées dans les Normes de la voie de l'Ingénierie du CN. La profondeur de l'écrasement aux abouts de rail mesurée sur le joint de rail en cause était en deçà de la limite spécifiée dans les Normes de la voie de l'Ingénierie du CN.

    L'éclisse du côté intérieur comportait 3 trous de boulon vides et présentait des dommages causés par des chocs de boudins de roues. Ces 3 boulons manquants de l'éclisse ont probablement été arrachés durant le déraillement.

    Un examen détaillé du rail rompu a révélé que les 4 surfaces de rupture étaient toutes de nature en surcharge et ne présentaient aucune caractéristique de fracture progressive.

    Les abouts de rails adjacents dans la section de l'éclisse présentaient des dommages mécaniques sur le dessus de la table de roulement du rail, probablement causés par le fléchissement du rail.

    Trois des 6 boulons de l'éclisse manquaient. Toutefois, on avait rapporté que les 2 joints du rail de raccord étaient entièrement boulonnés au moment du déraillement.

    1.16 Règlement sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire, 2001

    D'après le Règlement sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire, 2001 (DORS/2001-37) (Règlement sur le SGS de 2001), les compagnies ferroviaires de compétence fédérale devaient développer et mettre en œuvre un SGS.

    L'article 2 du Règlement sur le SGS de 2001 stipule notamment que :

    Toute compagnie de chemin de fer doit mettre en œuvre et conserver un système de gestion de la sécurité qui comporte au moins les composantes suivantes :

    […]

    1. un processus qui a pour objet :
      1. d'une part, de déterminer les problèmes et préoccupations en matière de sécurité, y compris ceux qui sont associés aux facteurs humains, aux tiers et aux modifications d'importance apportées aux opérations ferroviaires,
      2. d'autre part, d'évaluer et de classer les risques au moyen d'une évaluation du risque;
    2. des stratégies de contrôle du risque;

    Dans l'événement à l'étude, aucune évaluation des risques en bonne et due forme n'a eu lieu avant que des locomotives c.a. ne commencent à circuler dans la subdivision de Grande Cache, en 2013. De plus, aucune évaluation des risques en bonne et due forme n'a été faite avant que l'on commence à utiliser des wagons-trémies couverts courts en service de train-bloc dans la subdivision de Grande Cache, en juin 2014.

    1.17 Liste de surveillance du BST

    La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu'il faut s'employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

    L'enjeu gestion de la sécurité et surveillance restera sur la Liste de surveillance du BST jusqu'à ce que :

    • les entreprises de transport qui possèdent un système de gestion de la sécurité démontrent qu'il fonctionne bien, c'est-à-dire qu'il permet de déceler les risques et que des mesures de réduction des risques efficaces sont mises en œuvre;
    • Transports Canada intervienne lorsque des entreprises de transport ne peuvent assurer efficacement la gestion de la sécurité et le fasse de façon à corriger les pratiques d'exploitation jugées non sécuritaires.

    L'enjeu gestion de la sécurité et surveillance figure sur la Liste de surveillance 2016.Comme l'événement à l'étude l'a démontré, il faut cerner les dangers potentiels liés aux changements opérationnels afin de définir et de mettre en œuvre des stratégies d'atténuation appropriées.

    1.18 Rapports de laboratoire du BST

    Le BST a produit les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

    • LP331/2016 – Rail Joint Examination [examen du joint de rail]
    • LP118/2017 – Rail Pieces Examination [examen des morceaux de rail]
    • LP020/2017 – Track/Train Dynamics Analysis [analyse de la dynamique voie-train]

    2.0 Analyse

    Un examen des données des systèmes de détection en voie et du matériel roulant déraillé n'a révélé aucun état anormal qui aurait pu mener au déraillement. Les rails rompus au lieu du déraillement étaient attribuables à des ruptures par contrainte excessive qui se sont produites au moment de l'accident. Les joints du rail de raccord ont été endommagés durant l'accident, mais ne l'ont pas causé. Aucun problème lié au matériel roulant n'a contribué à cet événement.

    Les rapports entre les forces latérales et verticales (L/V) calculés par les analyses de la dynamique voie-train étaient considérés comme modérés et non causals dans le cas d'une voie correctement soutenue et entretenue. Par conséquent, l'analyse portera sur ce qui suit : l'utilisation de wagons-trémies courts et lourdement chargés en service de train-bloc; les méthodes d'entretien de la voie; les dévers de courbe; l'usure des rails; les évaluations des risques en cas de changements opérationnels; la conduite du train et les lignes directrices et pratiques recommandées pour exploiter des trains-blocs longs et lourds.

    2.1 L'accident

    Le déraillement s'est produit lorsque le rail haut dans une courbe de 6° vers la droite s'est renversé au moment où la tête du train passait sur le rail de raccord. Des marques d'impact sur l'éclisse du côté intérieur et sur 3 trous de boulon vides sont caractéristiques de chocs de boudins de roues. De plus, tous les écrous (du côté intérieur du rail) des boulons d'éclisse ont été arrachés par des boudins de roue.

    Les locomotives ont maintenu le premier wagon derrière elles en position alignée et il n'a pas quitté les rails en passant sur le rail renversé. Le second wagon s'est séparé du premier lorsqu'il a déraillé et déclenché le serrage d'urgence des freins. Les 27 wagons derrière lui ont ensuite déraillé.

    À la suite du remplacement récent du rail bas dans la courbe par un rail neuf de pleine hauteur, le dévers avait diminué de 0,42 pouce. Le dévers réel était en fait de 0,99 pouce, et la vitesse d'équilibre était de 15,4 mi/h. Le dévers réduit, combiné à la vitesse du train supérieure à la vitesse d'équilibre, a augmenté les forces latérales sur le rail haut. Même si ces forces étaient considérées comme modérées et soutenables pour une voie bien entretenue, elles ne l'étaient pas pour le rail haut cramponnéNote de bas de page 24 et usé de cette courbe. Le train roulait à 27 mi/h, la courbe présentait un dévers insuffisant pour cette vitesse, ce qui a provoqué un accroissement des forces latérales s'exerçant sur le rail haut.

    Le taux d'usure du rail haut avait augmenté et atteignait sa limite. Étant donné le rail haut usé, il y a probablement eu un contact en 2 points entre la roue et le rail, ce qui a réduit le seuil L/V de déraillement.

    En 2013, des locomotives à courant alternatif (c.a.) sont entrées en service dans la subdivision de Grande Cache, et l'exploitation vers le nord de trains-blocs à traction répartie chargés de sable de fractionnement a débuté en 2014. Ces changements ont entraîné l'utilisation du frein rhéostatique (FR) comme premier moyen pour amorcer le freinage requis. Quand on utilise le frein automatique, l'effort de freinage est réparti sur tous les wagons; quand on utilise le FR, l'effort de freinage est concentré aux locomotives.

    Dans l'événement à l'étude, lorsque le train a roulé à une vitesse légèrement supérieure à la vitesse permise, il a exercé des forces latérales transformées plus grandes sur le rail haut de la courbe de 6° vers la droite dont le dévers était insuffisant. Avant de prendre la courbe, l'équipe de conduite a avancé le manipulateur FR à la position 6, ce qui a décuplé les forces latérales qu'exerçaient les locomotives de tête sur le rail haut. La deuxième et la troisième locomotive ont subi des niveaux progressivement plus élevés de compression à la barre de traction et de forces latérales transformées comme suite aux forces FR générées par le groupe de traction pour retenir la masse des wagons remorqués. Les wagons se sont alors comprimés contre les locomotives durant la descente. Les bogies avant des locomotives subissaient un effort vers l'intérieur, contre le rail bas, tandis que les bogies arrière subissaient un effort vers l'extérieur, contre le rail haut. Les boudins des roues R3 avant extérieures des bogies arrière de ces locomotives ont été poussés contre le rail haut par un effort latéral maximal.

    Des forces dynamiques de surécartement ont écarté le rail haut et le rail bas. Les attaches de rail et la rigidité en torsion du rail s'opposent aux forces d'écartement qui veulent renverser les rails. Dans l'événement à l'étude, de nouvelles traverses avaient été installées dans la courbe en question le 15 juin 2016 pour corriger le surécartement qui avait été détecté le 27 mai 2016 durant l'évaluation de la géométrie de la voie. Le rail bas usé avait été remplacé le 16 septembre 2016. Un cramponnage additionnel et l'application de colle dans les trous de crampon ont renforcé la fixation du rail bas. Lors du remplacement du rail bas, seule la fixation du rail bas a été renforcée. La résistance inégale des fixations du rail haut et du rail bas, et le dévers réduit à la suite du remplacement du rail bas par un rail neuf de pleine hauteur ont accentué la tendance au renversement du rail haut.

    Pris individuellement, le renforcement de la fixation du rail bas après l'installation de nouvelles traverses, la pose d'un rail bas neuf et le dévers n'ont probablement pas causé le déraillement. Toutefois, leur action conjuguée était suffisante pour créer les conditions nécessaires à un déraillement. Par conséquent, le rail haut s'est renversé à cause des facteurs suivants : FR combiné à la vitesse du train dans une courbe au dévers insuffisant; seuil L/V réduit par le contact en 2 points sur le rail haut usé; et résistance inégale des attaches des rails haut et bas à un surécartement dynamique.

    2.2 Wagons-trémies couverts courts

    Le train tirait 102 wagons-trémies couverts de 42 pieds chacun conçus pour transporter des chargements lourds et denses. Lorsque de longs trains-blocs composés de wagons identiques passent sur une voie, celle-ci a peu d'occasions de recouvrance. Chaque wagon agit sur la voie comme le précédent, ce qui a pour effet de cumuler les chocs aux mêmes endroits. La voie peut ainsi subir une déformation permanente et habituellement inégale.

    Les wagons-trémies couverts de 42 pieds sont plus courts que les wagons-trémies à charbon ou céréaliers. Toutefois, une fois chargés de sable de fractionnement, ils supportent une charge semblable à ces derniers.

    Le Transportation Technology Center, Inc. (TTCI) a enquêté sur les effets du trafic à fortes charges par essieu sur l'infrastructure, notamment en ce qui a trait aux wagons plus courts. On a effectué des tests pour déterminer les différences dans la dynamique d'un wagon de 42 pieds (court) et celle d'un wagon de 53 pieds (longueur standard) (p. ex. : wagon-tombereau à charbon ou wagon-trémie découvert). Les principales conclusions des essais du TTCI comprenaient, entre autres :

    • La distance inférieure entre les paires de bogies de wagons courts rapproche les bulbes de pression que chaque paire de bogies produit et crée une plus grande zone de chevauchement des pressions
    • et des forces latéralesNote de bas de page 25.

    Si l'on compare des wagons de poids identique, les wagons plus courts peuvent, dans certaines circonstances, exercer des forces plus élevées sur le rail dans les courbes (c.-à-d. des forces centrifuges L/V déséquilibrées et/ou des forces latérales transformées en position de portefeuille sous l'effet de la force de compression en-train), ce qui peut causer une détérioration précoce des crampons et une usure plus rapide des rails.

    2.3 Évaluation des risques des changements à l'exploitation ferroviaire

    Le Règlement de 2001 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (le Règlement sur le SGS de 2001) approuvé par Transports Canada a établi des exigences minimales sur le système de gestion de la sécurité qu'une compagnie doit développer et mettre en œuvre pour maximiser le niveau de sécurité de ses opérations ferroviaires. L'article 2 du Règlement sur le SGS de 2001 indiquait que toute compagnie de chemin de fer devait avoir en place : un processus pour cerner les enjeux et les préoccupations de sécurité, y compris ceux se rapportant aux changements importants aux opérations ferroviaires; un processus pour évaluer et classer les risques au moyen d'une évaluation des risques.

    Depuis le début des années 1970 dans la subdivision de Grande Cache, plusieurs générations de locomotives haute puissance ont été progressivement mises en service pour tracter des trains-blocs de charbon et céréaliers, sans évaluations des risques. L'utilisation de locomotives c.a. et du FR et la circulation vers le nord de trains-blocs composés de wagons-trémies courts chargés sont des développements relativement récents. Ils ont entraîné des changements opérationnels dans la subdivision de Grande Cache après 2001, lorsque les évaluations des risques sont devenues partie intégrante du Règlement sur le SGS de 2001. Cette subdivision est une ligne principale secondaire qui comprend des pentes plus longues et plus raides. Elle n'a été ni construite ni entretenue selon les normes d'une ligne principale primaire. Aucune évaluation des risques en bonne et due forme n'a été faite avant l'entrée en service de locomotives c.a. et de train-blocs de sable de fractionnement dans la subdivision de Grande Cache. On n'a donc ni cerné ni atténué les dangers potentiels avant l'événement.

    Si aucune évaluation des risques n'a lieu après des changements concernant l'exploitation de trains (y compris le type de locomotive et de trafic), il est possible que les dangers potentiels associés à ces changements ne soient pas cernés ni atténués de façon adéquate, ce qui augmente les risques d'accident.

    2.4 Lignes directrices et pratiques recommandées pour exploiter des trains-blocs longs et lourds

    D'après les procédures de la compagnie, le FR doit servir de premier moyen pour amorcer une réduction de vitesse, car il cause moins d'usure et de dommages aux composants du matériel roulant et améliore le rendement énergétique. Toutefois, un serrage du FR concentre l'effort de freinage aux locomotives, ce qui a habituellement pour effet de resserrer le train (les wagons) en comprimant le jeu des attelages C'est pourquoi il faut déplacer le manipulateur FR graduellement et par crans, afin d'éviter les forces de compression excessives qui peuvent endommager la structure de la voie ou mener à un déraillement.

    Plusieurs documents de la compagnie ferroviaire contiennent les instructions d'exploitation des trains. Pour ce qui est de l'exploitation des locomotives c.a. au CN, les lignes directrices se trouvent dans un aide-mémoire. De plus, on avait élaboré un guide des pratiques recommandées qui comprenait les techniques de conduite des trains dans la subdivision de Grande Cache. Toutefois, la dernière révision de ce guide remontait à juillet 2012, époque où le trafic vers le nord se composait principalement de wagons vides. En juin 2014, des trains-blocs chargés de sable de fractionnement ont commencé à circuler vers le nord dans cette subdivision, ce qui a considérablement accru le trafic et les difficultés de conduite des trains. On avait bien élaboré des instructions d'exploitation complètes pour les trains chargés circulant vers le sud dans la subdivision de Grande Cache, mais aucune instruction semblable dans les lignes directrices sur l'exploitation des trains de sable de fractionnement vers le nord.

    Si l'on n'établit pas de lignes directrices ni de pratiques recommandées pour guider les équipes de train qui conduisent des trains-blocs longs et lourds dans des territoires qui comprennent des pentes raides et des courbes serrées, les trains-blocs ne seront pas toujours conduits de manière à réduire au minimum les forces en-train et les efforts entre le train et la voie, ce qui augmente les risques de conduite dangereuse des trains.

    Les superviseurs du Service des locomotives du CN accompagnent les équipes de train dans le cadre de séances d'orientation et de suivi pour les conseiller sur la conduite des trains. Toutefois, le mécanicien de locomotive n'avait reçu aucune rétroaction particulière de la compagnie sur sa performance de conduite de ces trains lourds vers le nord, et il n'avait jamais été accompagné d'un superviseur dans le territoire. En l'absence de rétroaction et de supervision, le mécanicien de locomotive avait adapté sa technique de conduite du train, y compris l'utilisation du FR au-delà des limites établies et de vitesses sur des pentes légèrement plus rapides que permises. Il se peut que le mécanicien ait jugé ces mesures raisonnables, car il évitait ainsi d'utiliser les freins à air et les conséquences indésirables d'immobiliser un train lourd dans une pente. Si les équipes qui exploitent les trains ne reçoivent pas régulièrement de rétroaction, leurs techniques de conduite pourraient aggraver les forces en-train et les efforts entre le train et la voie et augmenter les risques de conduite dangereuse des trains.

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Le déraillement s'est produit lorsque le rail haut dans une courbe de 6° vers la droite s'est renversé au moment où la tête du train passait sur le rail de raccord.
    2. Le train roulait à 27 mi/h; la courbe présentait un dévers insuffisant pour cette vitesse, ce qui a provoqué un accroissement des forces latérales s'exerçant sur le rail haut.
    3. Étant donné le rail haut usé, il y a probablement eu un contact en 2 points entre la roue et rail, ce qui a réduit le seuil des forces latérales et verticales de déraillement.
    4. Avant de prendre la courbe, l'équipe de conduite a avancé le manipulateur du frein rhéostatique à la position 6, ce qui a décuplé les forces latérales qu'exerçaient les locomotives de tête sur le rail haut.
    5. Lors du remplacement du rail bas, seule la fixation du rail bas a été renforcée. La résistance inégale des fixations du rail haut et du rail bas, et le dévers réduit comme suite au remplacement du rail bas par un rail neuf de pleine hauteur a accentué la tendance au renversement du rail haut.
    6. Le rail haut s'est renversé à cause des facteurs suivants : frein rhéostatique combiné à la vitesse du train dans une courbe au dévers insuffisant; seuil de forces latérales et verticales réduit par le contact en 2 points sur le rail haut usé; et résistance inégale des attaches des rails haut et bas à un surécartement dynamique.

    3.2 Faits établis quant aux risques

    1. Si aucune évaluation des risques n'a lieu après des changements concernant l'exploitation de trains (y compris le type de locomotive et de trafic), il est possible que les dangers potentiels associés à ces changements ne soient pas cernés ni atténués de façon adéquate, ce qui augmente les risques d'accident.
    2. Si l'on n'établit pas de lignes directrices ni de pratiques recommandées pour guider les équipes de train qui conduisent des trains-blocs longs et lourds dans des territoires qui comprennent des pentes raides et des courbes serrées, les trains-blocs ne seront pas toujours conduits de manière à réduire au minimum les forces en-train et les efforts entre le train et la voie, ce qui augmente les risques de conduite dangereuse des trains.
    3. Si les équipes qui exploitent les trains ne reçoivent pas régulièrement de rétroaction, leurs techniques de conduite pourraient aggraver les forces en-train et les efforts entre le train et la voie et augmenter les risques de conduite dangereuse des trains.

    3.3 Autres faits établis

    1. Si l'on compare des wagons de poids identique, mais de longueur différente, les wagons plus courts peuvent, dans certaines circonstances, exercer des forces plus élevées sur le rail dans les courbes (c.-à-d. des forces centrifuges L/V déséquilibrées et/ou des forces latérales transformées en position de portefeuille sous l'effet de la force de compression en-train). Cela peut causer une détérioration précoce des crampons et une usure plus rapide des rails.
    2. On avait élaboré des instructions d'exploitation complètes pour les trains chargés vers le sud dans la subdivision de Grande Cache, mais aucune instruction semblable dans les lignes directrices sur l'exploitation des trains de sable de fractionnement vers le nord.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures de sécurité prises

    Le Bureau n'est pas au courant de mesures de sécurité prises à la suite de l'événement à l'étude.

    Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .