Mort d'un employé
Chemin de fer Canadien Pacifique
Manœuvre de triage FS23
Point milliaire 46,9, subdivision d'Adirondack
Triage St-Luc
Montréal (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 8 novembre 2017, la manœuvre de triage FS23 du Chemin de fer Canadien Pacifique effectuait des opérations d'aiguillage au triage St-Luc, au point milliaire 46,9 de la subdivision d'Adirondack du Chemin de fer Canadien Pacifique, à Montréal (Québec). Vers 6 h, heure normale de l'Est, alors qu'elle était en marche arrière à environ 10 mi/h vers le sud dans l'obscurité, la manœuvre de triage a heurté et mortellement blessé l'aide de triage.
1.0 Renseignements de base
Le 8 novembre 2017, la manœuvre de triage FS23 (la manœuvre) du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) effectuait des opérations d'aiguillage au triage St-Luc, au point milliaire 46,9 de la subdivision d'Adirondack du CP, à Montréal (Québec) (figure 1).
La manœuvre de triage comprenait une équipe (un mécanicien de locomotive, un contremaître de triage et un aide de triage) et une locomotive.
Durant les manœuvres habituelles au triage St-Luc, le mécanicien de locomotive demeure dans la locomotive, tandis que le contremaître de triage et l'aide de triage sont au sol. Le contremaître et l'aide de triage effectuent des tâches comme orienter des aiguillages, atteler et dételer des wagons et serrer des freins à main. Le mécanicien de locomotive conduit la locomotive en marche avant ou arrière, conformément aux instructions qu'il reçoit du contremaître et de l'aide de triage.
Le coordonnateur de trains, situé dans le poste de commande du triage St-Luc, prépare les listes d'opérations d'aiguillage pour les équipes et supervise les opérations d'aiguillage. Une liste d'opérations d'aiguillage typique répertorie (en ordre séquentiel) les wagons à ramasser sur une voie donnée et la voie de destination de chaque wagon.
1.1 L'accident
À 22 h 30Note de bas de page 1, le 7 novembre 2017, l'équipe en service de manœuvre (l'équipe) a commencé son quart de travail au triage St-Luc. L'équipe utilisait 2 locomotives (CP 3061 et CP 4407) pour déplacer des wagons depuis plusieurs voies durant le quart. Les 3 membres d'équipe répondaient aux exigences de leurs postes respectifs, satisfaisaient aux normes de travail et de repos et connaissaient bien le triage.
Vers 5 h 30, le 8 novembre 2017, l'équipe a attelé les 2 locomotives à une rame de 12 wagons sur la voie DT29 et a commencé à déplacer les wagons, conformément à la liste d'opérations d'aiguillage (tableau 1).
Numéro de wagon | Numéro d'identification du matériel | Vide (V) / chargé (C) | Voie de destination |
---|---|---|---|
S/O | CP 3061 | Locomotive | S/O |
S/O | CP 4407 | Locomotive | S/O |
12 | TILX 305560 | V | DT22 |
11 | CP 214449 | V | DT24 |
10 | CP 215592 | V | DT24 |
9 | TILX 650086 | V | DT23 |
8 | IANR 624466 | C | DT20 |
7 | SOO 601410 | V | DT03 |
6 | CP 215379 | V | DT24 |
5 | CP 214036 | V | DT24 |
4 | NOKL 570177 | C | DT20 |
3 | INEX 145 | C | DT04 |
2 | UTLX 958932 | C | DT07 |
1 | SOO 601534 | V | DT24 |
La manœuvre de triage pesait environ 1100 tonnes courtes et mesurait quelque 900 pieds de long. Le contremaître et l'aide de triage effectuaient leurs diverses tâches au sol tandis que le mécanicien de locomotive était aux commandes de la locomotive CP 3061 qui faisait face au nord. Depuis la locomotive, le mécanicien de locomotive n'avait qu'une vue partielle du contremaître et de l'aide de triage et se fiait sur leurs instructions de déplacements par radio.
La manœuvre de triage a effectué les mouvements de wagons suivants :
- Le 1er wagon (SOO 601534) a été placé et immobilisé avec son frein à main sur sa voie de destination assignée (DT24).
- Les 2e et 3e wagons (UTLX 958932 et INEX 145) ont été temporairement placés et immobilisés sur la voie de raccordement ouest (West Loop ou WL)Note de bas de page 2.
- Le 4e wagon (NOKL 570177) a été placé sur sa voie de destination assignée (DT20).
Le tableau 2 présente une chronologie plus détaillée des événements.
Pendant que le contremaître de triage poussait le 4e wagon sur la voie DT20, l'aide de triage, qui se tenait près de l'aiguillage de liaison entre la 2e voie de raccordement ouest (2nd West Loop ou 2WL) et la voie WL (liaison 2WL/WL), a quitté son poste sans en informer son équipe, s'est dirigé vers l'est et est entré dans la cantineNote de bas de page 3 se trouvant quelque 155 pieds plus loin (figure 2).
Peu de temps après, l'aide de triage a quitté la cantine pour retourner à l'aiguillage de liaison 2WL/WL. À ce moment, la manœuvre de triage avait achevé de placer et d'immobiliser le 4e wagon (NOKL 570177) sur la voie DT20 et quittait cette voie en direction de la voie 2WL, vers le nord.
En prévision du prochain mouvement, soit le placement des 5e et 6e wagons (CP 214036 et CP 215379) sur la voie DT24, le contremaître de triage s'est dirigé vers cette voie pendant que l'aide de triage transmettait par radio au mécanicien de locomotive l'instruction d'arrêter la manœuvre de triage lorsque le dernier wagon serait à une centaine de pieds au nord de l'aiguillage de liaison 2WL/WL.
L'aide de triage a orienté l'aiguillage de liaison 2WL/WL en position renversée (affichant une cible jaune), puis a marché jusqu'à l'aiguillage DT24, qu'il a également orienté en position renversée (affichant une cible jaune)Note de bas de page 4.
L'aide de triage a confirmé au mécanicien de locomotive que la manœuvre de triage était orientée vers la voie DT24. Il a ensuite indiqué au mécanicien de locomotive de déplacer la manœuvre de triage vers le sud sur une distance de 15 longueurs de wagon.
Toutefois, à l'aiguillage de liaison 2WL/WL, la manœuvre de triage a bifurqué vers la voie WL et les 2 wagons (INEX 145 et UTLX 958932) qui y avaient été temporairement placés plus tôt. Vers 6 h, après avoir franchi 315 pieds et atteint une vitesse de 10 mi/h, la manœuvre de triage a heurté le wagon INEX 145. Le mécanicien de locomotive a immédiatement serré les freins pour arrêter le mouvement (figure 3).
Le mécanicien de locomotive et le contremaître de triage ont communiqué par radio. Ils ont déterminé que la manœuvre de triage n'avait pas été orientée vers la voie DT24 comme prévu. Après avoir tenté à plusieurs reprises de communiquer avec l'aide de triage par radio, le contremaître de triage s'est rendu à pied à la manœuvre de triage puis a commencé à l'inspecter. L'aide de triage a été retrouvé sous le wagon CP 215379; il avait été heurté et mortellement blessé par la manœuvre de triage.
La chronologie des événements (tableau 2) a été établie à partir d'un examen des informations disponibles, dont des dossiers de communications radio, des données du consignateur d'événements de la locomotive de tête, des enregistrements de surveillance vidéo et des entrevues.
Heure* | Événement |
---|---|
5 h 30 (approx.) | L'équipe a attelé les locomotives aux wagons sur la voie DT29, et l'aide de triage a marché jusqu'à l'extrémité sud de la rame de wagons pour desserrer les freins à main. |
5 h 37 min 39 s | L'aide de triage a dit que la séquence des wagons ne correspondait pas à celle de la liste d'opérations d'aiguillage et que le contremaître de triage devrait vérifier cette situation. |
5 h 37 min 59 s | L'aide de triage a indiqué au mécanicien de locomotive d'avancer la manœuvre de triage au-delà de la traversée, vers la voie 2WL. |
5 h 41 min 38 s | L'aide de triage, qui se transportait sur le wagon SOO 601534, a indiqué au mécanicien de locomotive d'arrêter la manœuvre de triage au nord de la liaison entre la voie DT25 et la voie 2WL. |
5 h 42 min (approx.) | Le contremaître de triage a marché vers la voie DT24. |
Entre 5 h 44 min 10 s et 5 h 48 min (approx.) | Les mesures suivantes ont été prises pour placer le wagon SOO 601534 sur la voie DT24 :
|
5 h 48 min 11 s | Le contremaître de triage a immobilisé le wagon SOO 601534 sur la voie DT24 et l'a dételé de la manœuvre de triage. |
5 h 48 min 45 s | La manœuvre de triage a fait marche avant (vers le nord) vers la liaison 2WL/WL en prévision du mouvement suivant. Le contremaître de triage s'est transporté sur la manœuvre de triage pour tenir une séance d'information sur les travaux. |
5 h 50 min 47 s | L'aide de triage a indiqué à la manœuvre de triage de s'arrêter au nord de la liaison 2WL/WL. |
5 h 51 min (approx.) | Les mesures suivantes ont été prises pour placer temporairement les wagons UTLX 958932 et INEX 145 sur la voie WL, au sud de la liaison 2WL/WL :
|
5 h 52 min 30 s | Le contremaître de triage a immobilisé les wagons UTLX 958932 et INEX 145 sur la voie WL, juste au sud de la liaison 2WL/WL, et les a dételés de la manœuvre de triage. |
5 h 52 min 43 s | L'équipe a pris les mesures suivantes pour placer le wagon NOKL 570177 sur la voie DT20 :
|
5 h 54 min 3 s | La manœuvre de triage a entrepris de faire marche arrière vers la voie DT20. |
5 h 54 min 30 s (approx.) | L'aide de triage est entré momentanément dans la cantine. |
5 h 56 min 41 s | Le contremaître de triage a immobilisé le wagon NOKL 570177 sur la voie DT20 et l'a dételé de la manœuvre de triage. |
5 h 56 min 55 s | La manœuvre de triage a commencé à quitter la voie DT20. |
5 h 57 min (approx., en fonction des renseignements disponibles) | Pendant que la manœuvre de triage quittait la voie DT20 et que les locomotives s'approchaient de l'aiguillage de liaison 2WL/WL, l'aide de triage est sorti de la cantine, a brièvement discuté avec un collègue dans le stationnement nord, puis s'est dirigé vers l'aiguillage de liaison 2WL/WL. |
5 h 57 min 40 s | L'aide de triage a indiqué au mécanicien de locomotive qu'il restait 8 longueurs de wagon à parcourir pour dépasser l'aiguillage de liaison 2WL/WL. |
5 h 58 min 31 s | L'aide de triage a indiqué au mécanicien de locomotive d'arrêter la manœuvre de triage au nord de l'aiguillage de liaison 2WL/WL. |
Entre 5 h 58 min 31 s et 6 h 20 s (approx.) | Le contremaître de triage a marché vers la voie DT24 en prévision du mouvement suivant. La manœuvre de triage s'est arrêtée lorsque le dernier wagon (CP 214036) se situait à environ 100 pieds au nord de l'aiguillage de liaison 2WL/WL. Les aiguillages de liaison 2WL/WL et DT24 étaient tous deux en position normale (c.-à-d. affichant une cible verte). L'aide de triage a orienté l'aiguillage de liaison 2WL/WL en position renversée (c.-à-d. affichant une cible jaune). L'aide de triage a orienté l'aiguillage DT24 en position renversée (c.-à-d. affichant une cible jaune). |
6 h 20 s | L'aide de triage a confirmé que la manœuvre de triage était orientée vers la voie DT24 et a indiqué au mécanicien de locomotive d'amorcer la marche arrière sur une distance de 15 longueurs de wagon. La manœuvre de triage a fait marche arrière et atteint une vitesse de 10 mi/h. |
6 h 51 s | Après avoir parcouru environ 315 pieds, la manœuvre de triage a percuté les wagons qui avaient été placés sur la voie de liaison 2WL/WL. |
* Les événements dont on n'a pas pu vérifier l'heure ou les circonstances exactes portent la mention « approx. » ou « approx., en fonction des renseignements disponibles ».
Au moment de l'accident, aucune autre manœuvre d'aiguillage n'était en service au triage St-Luc et aucun autre employé des services d'entretien ou de la mécanique ne travaillait dans les environs.
Il faisait environ 1 °C, les vents étaient du sud-est à 10 km/h, et le soleil s'était levé à 6 h 43. Dans la nuit de l'événement, aucune précipitation n'était tombée et il n'y avait pas de neige au sol.
1.2 Traversée du triage St-Luc
L'accident s'est produit dans un secteur du triage qui s'appelle la « traversée ». La traversée mesure environ 1000 pieds de longueur et comprend 6 voies parallèles et de multiples liaisons, dont 2 se croisent. La traversée joint l'extrémité nord du faisceau de départ et le secteur nord du triage St-Luc. La plupart des opérations d'aiguillage au triage St-Luc se font à cet endroit. Le faisceau de départ consiste en quelque 40 voies de différentes longueurs qui servent aux opérations d'aiguillage et au garage de wagons (figure 4).
Les voies DT01 à DT24 se trouvent du côté ouest du triage et sont accessibles depuis la voie 2WL, tandis que les voies DT27 à DT50 se trouvent du côté est du triage et sont accessibles depuis la 2e voie de raccordement est (2nd East Loop). Les voies DT25 et DT26 divisent le triage en côtés est et ouest et sont accessibles depuis les liaisons croisées. Les aiguillages à l'extrémité nord des voies de départ ainsi que ceux de la traversée sont à manœuvre manuelle.
À l'extrémité sud de la voie 2WL, une liaison relie cette voie à la voie WL (liaison 2WL/WL). Lorsque l'aiguillage de liaison 2WL/WL est en position renversée (affichant une cible jaune) (figure 5), une manœuvre de triage circulant vers le sud bifurque sur la liaison vers la voie WL (voie adjacente). Lorsque l'aiguillage de liaison 2WL/WL est en position normale (affichant une cible verte), une manœuvre de triage circulant vers le sud se dirige vers la voie d'accès menant aux voies DT20 à DT24.
La voie d'accès menant aux voies DT20 à DT24 comprend 4 aiguillages, le premier étant pour la voie DT24. Lorsque l'aiguillage de l'une de ces voies est en position renversée (affichant une cible jaune), une manœuvre de triage est orientée vers cette voie particulière.
Pour placer des wagons sur la voie de destination DT24, la manœuvre de triage devait être placée sur la voie 2WL, avec son dernier wagon positionné au nord de l'aiguillage DT24. L'aiguillage DT24 devait alors être manœuvré en position renversée pour orienter la manœuvre de triage vers la voie DT24.
1.3 Examen des lieux
Après l'accident, l'aiguillage de liaison 2WL/WL était en position renversée, soit orienté vers la voie WL. L'aiguillage ne portait aucune marque d'identification. Le levier d'aiguillage était immobilisé par le verrou au sol, et son crochet était dans le trou du crochet. Les aiguilles ne présentaient aucun signe de dommage. L'aiguillage a été inspecté et testé; aucune anomalie n'a été relevée. L'aiguillage DT24 était en position renversée, soit orienté vers la voie DT24 (figure 6).
Le côté de l'aiguillage DT24 portait une marque non réfléchissante indiquant le numéro d'aiguillage.
Les 2 locomotives se trouvaient sur la voie 2WL, à côté du bureau du triage. Dix wagons étaient attelés aux locomotives; aucun d'entre eux n'était endommagé ou n'avait déraillé. La conduite générale entre la locomotive CP 4407 et le wagon TILX 305560 n'était pas raccordée. Les wagons occupaient une partie de la voie 2WL, la liaison vers la voie WL et une partie de la voie WL. On a constaté que le frein à main sur le dernier wagon (UTLX 958932) était serré.
Les lunettes de sécurité, les gants de travail, la liste d'opérations d'aiguillage et la lanterne de l'aide de triage ont été trouvés du côté ouest de la manœuvre de triage, à côté de l'aiguillage DT24. La lanterne utilisée par l'aide de triage a subi des dommages pendant l'accident et aucun examen n'a pu être effectué pour déterminer si elle fonctionnait.
1.4 Renseignements sur la voie
Le triage St-Luc, qui se trouve au point milliaire 46,9 de la subdivision d'Adirondack du CP, est le principal triage du CP dans la région de Montréal. Ce triage comprend des installations d'aiguillage et de formation de trains de marchandises, quelques exploitations intermodales, ainsi que des ateliers de réparation et un parc de wagons.
Le triage St-Luc est configuré comme suit :
- Les voies sont principalement orientées dans l'axe nord-sud.
- Le triage englobe 44 milles de voies et compte quelque 260 aiguillages.
- Sa capacité maximale est de 1500 wagons.
- Environ 14 trains y arrivent et en partent chaque jour, pour un total d'environ 259 515 wagons par année. Les mouvements des trains dans le triage sont assujettis à la règle 105 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) et sont limités à une vitesse maximale de 15 mi/h.
Depuis sa construction, le triage St-Luc a fait l'objet de diverses modifications déterminantes pour ses activités. Ces modifications comprennent la conversion du triage à butte en faisceau de triage pour les manœuvres en palier. Ce changement comprenait le retrait de l'automatisation habituelle d'un triage à butteNote de bas de page 5, la réduction de la pente servant au triage, et le retrait de la moitié des voies du triage à butte. À la suite de ces modifications, le faisceau de triage St-Luc a été utilisé principalement pour l'aiguillage des lots de wagons ayant des destinations multiples et exigeant de multiples opérations d'aiguillage. Les lots de wagons ayant peu de destinations et exigeant un nombre restreint d'opérations d'aiguillage étaient directement acheminés vers les voies de départ par la traversée.
Les manœuvres d'aiguillage en palier se sont poursuivies au faisceau de triage jusqu'à sa fermeture, à la fin de 2012. Depuis, c'est principalement sur la traversée que se déroulent les opérations d'aiguillage au triage St-Luc.
1.5 Renseignements sur l'équipe
Le mécanicien de locomotive comptait 31 ans d'expérience ferroviaire, dont 28 comme mécanicien de locomotive. Le contremaître de triage était qualifié comme aide et contremaître de triage ainsi que comme mécanicien de locomotive. Il était au service du CP depuis 2004 et avait terminé sa formation de mécanicien de locomotive en 2010. L'aide de triage était au service du CP depuis 2011 et avait achevé sa formation d'aide de triage et de contremaître de triage en 2012.
Les opérations d'aiguillage dans la zone de service de Montréal du CP se déroulent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Ces travaux font l'objet d'affectations régulières affichées et les postes vacants sont comblés par des employés de réserve qui travaillent sur demande. Chaque semaine, des employés de la zone de service de Montréal (mécaniciens de locomotive, contremaîtres et aides de triage) postulent et obtiennent des affectations (y compris les affectations aux tableaux de réserve) en fonction de leurs préférences et de leur ancienneté. Le mécanicien de locomotive, le contremaître de triage et l'aide de triage en cause connaissaient tous bien l'aménagement du triage St-Luc et les opérations d'aiguillage qui s'y déroulent.
La nuit de l'accident, le contremaître de triage habituel de la manœuvre de triage en cause avait été appelé à travailler comme mécanicien de locomotive sur une autre manœuvre de triage; il y avait ainsi un poste de contremaître de triage à pourvoir. En l'absence du contremaître de triage d'une manœuvre de triage, l'aide de triage est promu contremaître de triage, et un employé du tableau de réserve est appelé pour remplacer l'aide de triage. Comme aucun employé inscrit au tableau de réserve du triage n'était disponible, l'aide de triage a demandé d'être affecté à la manœuvre FS23 du triage St-Luc au lieu de son affectation régulière, qui commençait à 23 h 59 dans un autre terminal du CP de la zone de service de Montréal. L'aide de triage a reçu l'appel pour cette affectation au triage St-Luc vers 20 h, le 7 novembre 2017.
1.5.1 Historique de travail et de repos de l'aide de triage
L'aide de triage avait travaillé 7 des 9 nuits précédentes; habituellement, son quart commençait entre 22 h 30 et 23 h 59, et prenait fin entre 6 h 30 et 10 h 10. L'aide de triage faisait habituellement une sieste avant d'aller travailler de nuit et dormait habituellement bien. Son dernier quart de travail au triage St-Luc avait été le 1er novembre 2017 à 22 h 30. Il avait alors été affecté à la manœuvre de triage FS23. Sa dernière période de plus de 24 heures de repos avait commencé le matin du 5 novembre 2017.
L'annexe A contient l'historique de travail et de repos de l'aide de triage. L'aide de triage faisait un deuxième quart de nuit consécutif au moment de l'accident. Après une nuit de congé, il s'était présenté au travail à 23 h 59, le 6 novembre 2017, et avait terminé son quart à 8 h 10 le matin du 7 novembre. La nuit de l'accident, il s'était présenté à la cantine vers 22 h pour commencer son quart de travail. L'aide de triage avait disposé de 14 heures de repos, pendant lesquelles il avait eu la possibilité de dormir, avant de recevoir l'appel pour cette affectation.
L'aide de triage avait travaillé principalement de nuit durant la période qui a précédé l'accident. Par conséquent, il devait dormir le jour. Il a été impossible d'obtenir l'historique de sommeil complet de l'aide de triage. Toutefois, d'après les données du téléphone cellulaire de l'aide de triage, on a pu déterminer les périodes pendant lesquelles l'aide de triage était actif et les périodes pendant lesquelles il aurait pu dormir. L'aide de triage avait eu la possibilité de dormir une nuit complète du 5 au 6 novembre 2017, et de faire 2 siestes d'après-midi le 6 novembre 2017 (soit une sieste de 4 heures en début d'après-midi et une autre d'une heure juste avant d'être appelé pour le quart de nuit). Il a été impossible de déterminer si l'aide de triage avait profité des occasions qui se présentaient pour dormir.
Le 7 novembre 2017, après son quart de travail, l'aide de triage s'est arrêté vers 8 h 10 au bureau du triage St-Luc afin de déposer des documents relatifs à une demande de remboursement pour l'achat d'équipement de protection individuelle. L'aide de triage se trouvait également au bureau du triage St-Luc vers midi, alors qu'il n'était pas en devoir. Par conséquent, l'aide de triage avait un créneau de 3 heures pour dormir avant de recevoir l'appel pour son affectation au triage St-Luc ce soir-là. Donc, l'aide de triage aurait pu avoir un maximum de 4 heures de sommeil au cours des 38 heuresNote de bas de page 6 qui ont précédé l'accident.
1.5.2 Vigilance des employés
La fatigue est susceptible de détériorer la performance humaine et doit être gérée efficacement dans un milieu de transport où les activités se déroulent jour et nuit. Pour déterminer si la fatigue aurait pu jouer un rôle au moment de l'événement, le BST a examiné 6 facteurs de risque connus de la fatigue : perturbation aigüe du sommeil, perturbation chronique du sommeil, état de veille continu, effets du rythme circadien, troubles du sommeil et affections susceptibles de nuire au sommeil.
Le rythme circadien (quotidien) contrôle le cycle de veille-sommeil. L'horloge de ce cycle est de 24 heures et est principalement synchronisée par des indices visuels de lumière et d'obscurité. Les personnes qui travaillent régulièrement de nuit peuvent avoir de la difficulté à s'endormir et à demeurer endormies les nuits suivantes. De plus, le sommeil qu'elles obtiennent tend à être moins réparateur que celui d'une personne qui dort normalement la nuitNote de bas de page 7.
Le BST a évalué l'horaire de travail et de repos de l'aide de triage dans les jours qui ont précédé l'événement à l'aide du logiciel Fatigue Avoidance Scheduling ToolNote de bas de page 8 (outil d'établissement d'horaires en vue d'éviter la fatigue). Cette évaluation a été utilisée afin de valider les effets de l'historique de travail et de repos de l'aide de triage sur son rendement global au moment de l'événement. On a estimé qu'en raison de la quantité et la qualité de sommeil obtenu dans les jours précédant l'événement, l'aide de triage aurait vraisemblablement été moins attentif à son environnement.
1.6 Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada
La règle générale C du REF établit les normes globales de vigilance pour tout travail à proximité des trains. Elle stipule que :
Les employés ont l'obligation de :
- faire preuve de vigilance pour éviter tout risque de blessure pour eux-mêmes et pour les autres;
- s'attendre à ce qu'un mouvement, un véhicule d'entretien ou un matériel roulant surgisse à tout moment, dans l'un ou l'autre sens, sur une voie quelle qu'elle soit; […]Note de bas de page 9
La manœuvre des aiguillages est assujettie à la règle suivante :
104. AIGUILLAGE À MANŒUVRE MANUELLE
Généralités
- Utilisation des aiguillages – Lorsque les aiguillages semi-automatiques, à ressort, à double commande ou à rappel automatique sont manœuvrés à la main, ils sont considérés comme des aiguillages à manœuvre manuelle et toutes les règles régissant les aiguillages à manœuvre manuelle s'appliquent.
- Sauf pendant la manœuvre de ses aiguilles, chaque aiguillage doit être immobilisé au moyen d'un dispositif approuvé. Après avoir manœuvré un aiguillage, il faut en examiner les aiguilles et observer la cible, le réflecteur ou le feu, s'il y en a un, pour s'assurer que l'aiguillage est bien orienté pour l'itinéraire à suivreNote de bas de page 10.
Quand on se sert des communications radio pour diriger les manœuvres, la règle suivante s'applique :
123.2 MANŒUVRES DIRIGÉES PAR RADIO
Lorsque l'on utilise la radio pour diriger une manœuvre, et après que les intéressés se sont identifiés de la façon prescrite, il faut procéder comme suit :
[…]
- après que le mouvement a parcouru la moitié de la distance donnée dans la dernière instruction et qu'aucune autre communication n'est reçue, le mouvement doit être arrêté;
[…]
- lorsque les longueurs de wagon sont utilisées pour communiquer la distance, à moins d'ententes contraires, la distance en question est de 50 pieds par longueur de wagonNote de bas de page 11.
Avant l'accident, le mécanicien de locomotive avait reçu par radio la confirmation que la manœuvre de triage était orientée vers la voie DT24. Il avait en outre reçu l'instruction de faire marche arrière sur une distance de 15 wagons (environ 750 pieds). D'après la règle 123.2 du REF, aucune communication radio n'était requise tant que la manœuvre de triage n'avait pas parcouru environ 375 pieds.
1.7 Emplacements des aiguillages
La plupart des gares de triage en palier sont conçues de manière à ce que les voies-mères de faisceauNote de bas de page 12 (figure 7) réduisent au minimum la distance jusqu'aux points de dégagement et maximisent la capacité de la gare de triage.
Le Manual for Railway Engineering publié par l'American Railway Engineering and Maintenance-of-Way Association (AREMA) comprend des lignes directrices sur la conception, la construction et l'exploitation de gares de triage et de terminaux pour le secteur ferroviaireNote de bas de page 13. D'après le manuel de l'AREMA :
- Les supports de levier d'aiguillage à manœuvre manuelle devraient se trouver à l'extérieur de la voie-mère de faisceau. Ainsi, les employés pourraient se déplacer d'un aiguillage à l'autre et les manœuvrer sans avoir à traverser une voie ou l'obstruer.
- Les supports de levier d'aiguillage situés à l'intérieur ne devraient être utilisés que pour les aiguillages électriques.
- Les surfaces où l'on marche devraient être constituées de ballast pour voies de triage assurant une fondation et un drainage convenablesNote de bas de page 14.
Au triage St-Luc, la plupart des aiguillages à l'extrémité nord du faisceau de départ sont installés à l'extérieur de la voie-mère du faisceau. Toutefois, à l'extrémité nord du faisceau de départ, les voies-mères de faisceaux des voies DT20 à DT24, DT11 à DT15 et DT01 à DT08 sont très rapprochées et sont longées par la voie WL (figure 2). Cette étroite proximité des voies réduit le dégagement autour de certains aiguillages; les employés n'ont donc pas assez d'espace pour manœuvrer les aiguillages sans obstruer une voie adjacente. Par exemple, l'aiguillage DT24 est positionné à environ 2 ½ pieds de la voie adjacente (figure 8).
L'exposition régulière aux dangers du lieu de travail sans conséquence négative peut désensibiliser un employé aux risques associés à ces dangers. Note de bas de page 15
1.8 Cibles d'aiguillage
Les cibles d'aiguillage servent à indiquer l'itinéraire vers lequel l'aiguillage est orienté. Le REF exige que les aiguillages à manœuvre manuelle de voie non principale affichent les cibles ainsi :
- Les cibles d'aiguillage vertes indiquent qu'un aiguillage de voie non principale est en position normale.
- Les cibles d'aiguillage jaunes indiquent qu'un aiguillage de voie non principale est en position renversée.
- Les cibles d'aiguillage peuvent avoir n'importe quelle forme, mais ne doivent pas être en forme de losange.
Les cibles d'aiguillage au triage St-Luc satisfaisaient à ces exigences.
De nombreuses adaptations aux cibles d'aiguillage sont possibles pour aider les aiguilleurs à déterminer le sens de la marche. Ces cibles ont été mises au point pour fournir des renseignements additionnels aux aiguilleurs. Un indicateur de direction d'aiguillage (figure 9) en est un exemple.
L'indicateur de direction d'aiguillage remplace la cible d'aiguillage traditionnelle par un cube. Chaque côté du cube est de couleur différente et porte une flèche indiquant la direction de la manœuvre de triage en fonction de la position de l'aiguillage. Contrairement aux cibles d'aiguillage traditionnelles, l'indicateur de direction d'aiguillage donne des indices visuels additionnels précisant la voie vers laquelle l'aiguillage est orienté.
Les cibles d'aiguillage à la figure 7 portent aussi l'identification de la voie sur leur face réfléchissante. Cette méthode fournit au contremaître de triage ou à l'aide de triage un indice visuel de plus permettant de voir plus facilement vers quelle voie l'aiguillage est orienté.
1.8.1 Erreurs d'identification d'aiguillage
Environ 1 semaine plus tôt, un coordonnateur de train avait tenu une réunion de routine sur la sécurité avec l'aide de triage en cause dans l'événement à l'étude pour discuter de l'importance de s'assurer que les aiguillages sont orientés dans la direction voulue. Durant cette réunion, l'aide de triage avait souligné qu'il n'était pas possible de s'assurer de la position de certains aiguillages par une simple observation visuelle de la couleur de leur cible ou de la position de leur levierNote de bas de page 16. L'aide de triage avait en outre fait remarquer que les nouveaux employés du triage pourraient avoir besoin de plus de temps pour se familiariser avec les aiguillages et les voies.
L'enquête a permis de déterminer qu'au triage St-Luc, quand des erreurs de manœuvre d'aiguillage étaient signalées, la direction locale convoquait généralement l'employé en cause afin de prendre une déclaration. Ce processus pouvait donner lieu à des mesures disciplinaires.
Depuis 1999, le BST a mené 7 autres enquêtes dans lesquelles des aiguillages mal orientés ont eu des conséquences néfastes. Ces événements sont résumés à l'annexe B.
1.9 Changements aux tâches d'aiguillage
Lorsqu'ils effectuent des opérations d'aiguillage, le contremaître et l'aide de triage s'emploient à orienter les aiguillages, atteler et dételer des wagons, serrer des freins à main, monter à bord du matériel en mouvement et en descendre, se transporter sur du matériel roulant et, selon la configuration du triage, marcher beaucoup.
Lorsque le faisceau de triage St-Luc a été fermé en 2012 et que les opérations d'aiguillage ont été déplacées à la traversée du triage, les dangers latents associés aux opérations d'aiguillage ont changé compte tenu du tracé des voies de la traversée.
Le tableau 3 souligne les différences dans certaines opérations d'aiguillage à exécuter par le contremaître et l'aide de triage entre le faisceau de triage et la traversée au triage St-Luc.
Tâche | Faisceau de triage | Traversée |
---|---|---|
Zone de libération* | Zone de libération réservée avec raccordement de manœuvre d'aiguillage et 25 voies. | Aucune zone de libération réservée; la libération des wagons se fait sur une section de voie au nord de l'aiguillage de liaison de la voie 2WL. |
Emplacement des aiguillages | La plupart des aiguillages se trouvent à l'extérieur des voies, à côté de la chaussée. | Les aiguillages se trouvent à l'extérieur ou à l'intérieur des voies. Dans certains cas, les employés obstruent la voie lorsqu'ils orientent l'aiguillage. |
Éclairage | À l'extrémité nord, il y a 3 pylônes d'éclairage, dont 1 qui est spécialement positionné pour éclairer la zone de libération. | La source d'éclairage la plus proche de cet endroit se trouve à côté de la voie de raccordement est, à environ 90 pieds à l'est de l'aiguillage DT24. |
Ballast | Le ballast pour voies de triage se compose de matériau concassé de plus petit calibre. | Ballast de voie principale. |
Risques de trébuchement | Aucune autre voie, aucun autre aiguillage et aucun autre risque de trébuchement dans la zone de libération. | Plusieurs risques de trébuchement, comme les supports de levier d'aiguillage et les voies qui se chevauchent. |
* Secteur du triage où les rames de wagons sont séparées d'un mouvement et envoyées vers des voies de destination.
Dans la traversée, la voie est en alignement droit. Elle permet aux équipes d'orienter les aiguillages vers les 3 voies-mères du côté ouest du faisceau de départ St-Luc. Du côté ouest de la traversée, le dégagement entre les voies était limité, et le contremaître de triage ou l'aide de triage devait se placer en obstruction des voies adjacentes durant les manœuvres en palier. Lorsqu'il manœuvre l'aiguillage DT24, le contremaître ou l'aide de triage obstrue toujours la voie de liaison WL.
1.10 Éclairage
Le Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains) (le règlement) comprend des dispositions sur l'éclairage pour le personnel d'exploitation qui travaille de nuit dans les triages ferroviaires.
D'après ce règlement :
- Dans les aires où les employés se livrent aux opérations de signalisation, d'aiguillage et de triage du matériel roulant, le niveau d'éclairement minimum requis est de 50 lux.
- Le niveau d'éclairement minium requis doit, dans la mesure du possible, être assuré par un système d'éclairage installé par l'employeur.
- Lorsqu'il est difficilement réalisable pour l'employeur de fournir le niveau d'éclairement minium requis en installant un système d'éclairage, il doit fournir aux employés des lanternes portatives dispensant les niveaux d'éclairement prescritsNote de bas de page 17.
Le CP distribue des lanternes portatives à tous ses employés de triage. La nuit de l'événement à l'étude, le contremaître et l'aide de triage avaient tous les deux une lanterne portative munie d'une ampoule incandescente de signalisation et d'une ampoule DEL logée dans un réflecteur (figure 10).
Si nécessaire, les employés de triage se servent de l'ampoule de signalisation et/ou de l'ampoule DEL à réflecteur de la lanterne pour éclairer le sol, lire les listes d'opérations d'aiguillage, vérifier les aiguilles en voie et éclairer les cibles réfléchissantes des supports de levier d'aiguillage pour confirmer la position des aiguillages.
Dans la traversée, il y avait un lampadaire fixe du côté est (lampadaire est). Le BST a mesuré les niveaux d'éclairement dans différentes conditionsNote de bas de page 18 et à différents emplacements de tâches du triageNote de bas de page 19. Voici les constatations :
Avec le système d'éclairage fixe du secteur :
- En général, le niveau moyen d'éclairement du secteur s'étendant depuis le lampadaire est jusqu'à l'aiguillage de liaison 2WL/WL, était de 48,2 lux.
- Le niveau moyen d'éclairement à l'emplacement de tâche de manœuvre de l'aiguillage de liaison 2WL/WL était de 5,7 lux.
- Le niveau moyen d'éclairement à l'emplacement de tâche de manœuvre de l'aiguillage DT24 était de 1,6 lux (figure 11).
Avec une lanterne portative dont seule l'ampoule de signalisation était allumée, le niveau moyen d'éclairement aux emplacements de tâchesNote de bas de page 20 a augmenté de 4 lux. Par conséquent :
- Le niveau moyen d'éclairement à l'emplacement de tâche de manœuvre de l'aiguillage de liaison 2WL/WL était de 9,7 lux.
- Le niveau moyen d'éclairement à l'emplacement de tâche de manœuvre de l'aiguillage DT24 était de 5,6 lux.
Avec une lanterne portative dont l'ampoule DEL de projecteur était allumée et orientée sur l'emplacement d'une tâche, le niveau d'éclairement était supérieur à 400 lux et dépassait les niveaux prescrits à cet emplacement.
Le niveau moyen d'éclairement à l'emplacement d'une tâche ombragé par du matériel roulant ou par une personne était dans tous les cas de 0 à 3 lux.
Depuis le changement apporté à l'exploitation du triage en 2012, certains employés ont fait part verbalement de leurs inquiétudes à la direction du triage St-Luc concernant les niveaux d'éclairement insuffisants du côté ouest de la traversée et vers les 3 voies-mères de faisceau. Or, aucun document n'a permis de confirmer que ces inquiétudes ont été soulevées de façon officielle ou officieuse auprès du comité de santé et sécurité de la compagnie, et le CP n'a pris aucune mesure pour améliorer l'éclairage au triage St-Luc.
1.11 Acquérir, maintenir et rétablir la conscience situationnelle
Les modèles mentaux sont des structures internes qui permettent aux personnes de décrire, d'expliquer et de prévoir des événements et des situations qui surviennent dans leur environnement Note de bas de page 21. Une performance efficace dans des environnements d'exploitation exige que les travailleurs actualisent sans cesse un modèle mental de leur situation du moment. Le maintien de la conscience situationnelle constitue un processus en 3 étapes par lequel les travailleurs tirent l'information nécessaire de leur environnement, en saisissent la signification dans la situation du moment et se projettent dans l'avenir pour faciliter leur planification Note de bas de page 22.
L'aptitude à se souvenir des informations et à les conserver dans la mémoire de travail représente une importante entrave potentielle dans la capacité d'une personne de maintenir une conscience situationnelle Note de bas de page 23. De plus, les limitations de la mémoire de travail peuvent devenir plus aigües quand des personnes doivent composer avec les facteurs de stress normaux liés à l'exploitation [traduction] :
Des facteurs de stress comme l'anxiété, la pression du temps, la charge de travail mentale, l'incertitude, le bruit ou la vibration, la chaleur et le froid excessifs, un mauvais éclairage, la fatigue physique et le fait de travailler à l'encontre de ses rythmes circadiens constituent malheureusement une partie inévitable de nombreux environnements de travail. Ces facteurs de stress peuvent agir pour restreindre considérablement la conscience situationnelle en diminuant davantage une mémoire de travail déjà limitée et en réduisant l'efficacité de la collecte d'informations. Il a été démontré que les personnes affectées par les facteurs de stress susmentionnés peuvent accorder moins d'attention à l'information périphérique, devenir plus désorganisées dans le balayage d'informations et être plus susceptibles de succomber à un rétrécissement de l'attention. Les personnes sont aussi plus susceptibles d'en arriver à une décision sans tenir compte de toutes les informations disponibles (clôture prématurée) Note de bas de page 24.
1.11.1 Modèles mentaux dans l'exploitation des trains
Les personnes développent des modèles mentaux en fonction de plusieurs facteurs, dont leur expérience, leurs connaissances, leur perception et leur compréhension des indices externes dans leur environnement de travail. Une fois qu'ils sont créés, les modèles mentaux sont très difficiles à modifier. Pour que les personnes modifient leurs modèles mentaux, de nouveaux modèles doivent les remplacer, et les nouveaux renseignements doivent être suffisamment évocateurs pour occasionner la mise à jour des modèles mentaux. Comme la capacité de la mémoire de travail des humains est limitée, il est impossible de retenir tous les indices offerts par un environnement de travail. Cela se traduit par le développement interne de modèles mentaux simples et incomplets que les personnes utilisent pour comprendre et interpréter un environnement de travail dynamique et complexe Note de bas de page 25.
1.12 Règlement sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire
Le Règlement sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire de 2001 (Règlement sur le SGS), en vigueur au faisceau de triage St-Luc au moment de sa fermeture en 2012, obligeait les compagnies ferroviaires de compétence fédérale à élaborer et mettre en œuvre un système de gestion de la sécurité (SGS).
L'article 2 du Règlement sur le SGS de 2001 stipulait ce qui suit :
2. Toute compagnie de chemin de fer doit mettre en œuvre et conserver un système de gestion de la sécurité qui comporte au moins les composantes suivantes :
[…]
- un processus qui a pour objet :
- d'une part, de déterminer les problèmes et préoccupations en matière de sécurité, y compris ceux qui sont associés aux facteurs humains, aux tiers et aux modifications d'importance apportées aux opérations ferroviaires,
- d'autre part, d'évaluer et de classer les risques au moyen d'une évaluation du risque;
- des stratégies de contrôle du risque;
[…]
- de la documentation de synthèse qui décrit les systèmes pour chacune des composantes du système de gestion de la sécuritéNote de bas de page 26.
1.12.1 Système de gestion de la sécurité du CP
Le système de gestion de la sécurité (SGS) du CP comprend un programme de prévention des risques de même qu'une politique et une procédure d'évaluation des risques, qui sont régulièrement mis à jour et peaufinés afin d'appuyer une amélioration continue. Grâce à ces deux programmes, les risques peuvent être signalés, évalués et atténués en tout temps.
La politique et la procédure d'évaluation des risques du CP ont changé depuis 2012. Le CP exige actuellement la réalisation d'une évaluation des risques dans les situations suivantes [traduction] :
- lorsqu'une « préoccupation en matière de sécurité » (c.-à-d. un risque ou une condition susceptible de présenter un risque direct pour la sécurité des employés ou de compromettre l'exploitation du chemin de fer en toute sécurité);
- lorsqu'une modification proposée aux activités du CP pourrait :
- créer sur le lieu de travail un nouveau danger pouvant avoir des conséquences néfastes;
- nuire ou contrevenir à toute politique, règle ou pratique de travail existante utilisée pour assurer la conformité à la réglementation ou respecter toute exigence ou norme du CP;
- créer ou aggraver un risque direct pour la sécurité des employés, des biens de la compagnie ferroviaire, des biens transportés par la compagnie ferroviaire, du public ou des biens adjacents au chemin de fer;
- exiger l'autorisation d'un organisme de réglementation pour pouvoir être mise en œuvreNote de bas de page 27.
Parce que le CP ne considérait pas la fermeture du faisceau de triage St-Luc comme une modification d'importance à l'exploitation du triage St-Luc, aucune évaluation des risques n'a été effectuée en 2012.
Depuis 2015, le BST a mené des enquêtes sur 3 autres événements au cours desquels le CP avait apporté des changements opérationnels. Pour ces événements, le CP n'avait pas estimé certains des changements comme « importants » et n'avait donc pas effectué une évaluation des risques (annexe C).
1.13 Culture de sécurité
Une définition reconnue de la « culture de sécurité » d'une organisation est [traduction] : « des valeurs (ce qui est important) et des convictions (la façon dont les choses fonctionnent) partagées qui interagissent avec les structures et systèmes de contrôle d'une organisation pour donner lieu à des normes comportementales (notre façon de faire)Note de bas de page 28. »
La culture de sécurité d'une organisation est le produit des valeurs, des attitudes, des perceptions, des compétences et des modes de comportement individuels et collectifs qui déterminent l'engagement envers le système de gestion de la santé et de la sécurité de l'organisation, ainsi que le style et la compétence de l'organisation en cette matière.
Une culture de sécurité efficace comprend des mesures préventives pour cerner et gérer les risques d'exploitation. Il s'agit :
- d'une culture informée, c'est-à-dire que les personnes comprennent les dangers et les risques dans leurs activités et s'efforcent continuellement d'identifier et de neutraliser les menaces à la sécurité;
- d'une culture juste, selon laquelle le personnel connaît ce qui est acceptable et inacceptable et s'accorde sur ces notions;
- d'une culture de signalement, conformément à laquelle on signale et analyse les préoccupations liées à la sécurité et où l'on prend des mesures appropriées;
- d'une culture d'apprentissage, dans laquelle les leçons apprises renforcent la sécuritéNote de bas de page 29.
En avril 2016, le BST a tenu un Sommet sur la sécurité des transports qui a réuni plus de 70 cadres supérieurs et dirigeants représentant les exploitants, les syndicats, les associations de l'industrie et les organismes de réglementation de tous les modes de transport. Les discussions ont permis de dégager un vaste consensus sur le fait que, pour améliorer la sécurité de façon efficace, un SGS doit identifier clairement les problèmes systémiques fondamentaux du comportement. De plus, une communication et une collaboration efficaces étaient des éléments clés afin d'établir la confiance nécessaire pour régler les problèmes de sécurité à ce niveau. Toutefois, le plus grand défi qui a été identifié afin d'arriver à ce type de culture « juste » était le besoin d'établir la confiance et le respect envers des organisations qui pourraient avoir des antécédents de blâmeNote de bas de page 30.
1.13.1 Culture de sécurité du Chemin de fer Canadien Pacifique
Le CP a reconnu l'importance de créer une culture de sécurité efficace en parallèle avec la mise en œuvre d'un SGS. Afin de renforcer sa culture de sécurité, le CP a mis sur pied l'initiative Home Safe (Arriver à la maison en toute sécurité), qui fait la promotion de l'engagement et de la rétroaction en matière de sécurité [traduction] : « En inculquant aux employés l'importance de prendre la responsabilité de leur propre sécurité et de la sécurité de leurs collègues, le CP peut mieux s'assurer que tout le monde puisse rentrer à la maison sain et sauf après chaque quart de travail »Note de bas de page 31. Dans le cadre de l'initiative Home Safe, les employés sont formés pour offrir et demander de l'aide, pour avertir leurs collègues s'ils croient qu'ils se mettent eux-mêmes ou mettent les autres en danger, et pour identifier, signaler et éliminer les dangers.
La Procédure de signalement des infractions aux règles de sécurité, des risques pour la sécurité et des préoccupations liées à la sécurité de 2015 du CP indique qu'il incombe aux employés de signaler les dangers pour la sécurité et les infractions, et décrit la marche à suivre pour signaler et analyser les infractions et les dangers pour la sécurité. La procédure indique qu'un tel signalement n'entraînera aucune mesure disciplinaire, pourvu qu'il soit fait de bonne foi, ne concerne pas d'activité criminelle, de gestes malveillants ou de renseignements faux ou trompeurs. La procédure prévoit en outre plusieurs moyens pour signaler des dangers :
- verbalement à un superviseur;
- par écrit au moyen d'un formulaire de signalement de danger pour la sécurité, si aucun superviseur n'est disponible;
- par communication téléphonique avec la « Ligne A » (ligne d'alerte anonyme et confidentielle du CP) gérée par une organisation indépendante, si un employé n'est pas à l'aise de s'adresser directement à un superviseur.
La procédure décrit également un processus de suivi qui indique que les dangers doivent être atténués rapidement (c.-à-d. immédiatement si possible) et selon la hiérarchie des mesures de contrôle. Cela peut comprendre les points suivants :
- l'élimination du danger;
- le remplacement d'autres matériaux;
- les processus ou l'équipement;
- les contrôles techniques;
- les contrôles administratifs;
- la fourniture d'équipement de protection individuelle (ÉPI).
Les dangers pour la sécurité présentés dans un rapport écrit seront examinés par le comité de santé et sécurité au travail concerné. Les problèmes signalés qui ne peuvent être résolus seront portés à l'attention du niveau hiérarchique supérieur au terme des procédures prévues pour le comité de santé et sécurité au travail concerné.
1.14 Systèmes de signalement confidentiels en matière de sécurité
Afin d'encourager le signalement des événements, un certain nombre de juridictions à l'échelle internationale ont mis sur pied des systèmes de signalement confidentiels en matière de sécurité qui offrent confidentialité et protection contre toute poursuite aux déclarants.
1.14.1 Système de déclaration des quasi-événements de la Federal Railroad Administration et de la National Aeronautics and Space Administration
La Federal Railroad Administration (FRA) des États-Unis a mis sur pied un programme intitulé Confidential Close Call Reporting System (C3RS)Note de bas de page 32 (système confidentiel de signalement des quasi-événements) en 2007. Par suite d'un projet pilote auquel ont participé 4 compagnies ferroviaires, dont le CP, pendant une période de 5 ans chacune, le programme a été offert à d'autres exploitants. En 2018, 8 compagnies ferroviaires y participaient; toutefois, les participants sont tous des compagnies de transport ferroviaire de voyageursNote de bas de page 33.
Les compagnies ferroviaires participent au programme par le biais d'un protocole d'entente. Les dispositions précises peuvent varier, mais comprennent généralement les éléments suivants :
- Un employé dispose d'une période définie pour soumettre un rapport au C3RS en cas de quasi-événement. Un quasi-événement est défini comme [traduction] « toute condition ou événement qui aurait pu avoir des conséquences plus graves au niveau de la sécurité »Note de bas de page 34.
- Les rapports sont envoyés directement à la National Aeronautics and Space Administration (NASA) (en tant qu'intermédiaire impartial). Une fois que le rapport a été examiné, la NASA peut communiquer avec la personne qui l'a soumis afin d'obtenir de plus amples renseignements. Ensuite, le rapport est dépersonnalisé et une bande d'identification du rapport est envoyé à la personne qui l'a soumis comme preuve que le rapport a été déposé.
- Le dépôt d'un rapport protège la personne qui l'a soumis contre des mesures disciplinaires de la part d'une compagnie ou de la FRA dans la plupart des circonstances (selon les dispositions du protocole d'entente).
- Les rapports dépersonnalisés sont analysés par une équipe de pairs qui comprend des représentants de la compagnie et de la FRA.
Le programme C3RS vient compléter, plutôt que remplacer, d'autres programmes de signalement en matière de sécurité comme ceux fournis dans le cadre de la structure de gestion de la sécurité d'une compagnie. Un examen du programme C3RS par la FRA a permis de faire les observations suivantes :
- Le programme C3RS a eu une incidence démontrable en matière de réduction des déraillements, des blessures, des audiences disciplinaires et du coût des équipements.
- Les relations de travail efficaces avec le personnel et la haute direction ont eu une incidence positive sur la culture en matière de sécurité.
- On a jugé que l'amélioration de la culture de sécurité a amélioré la communication entre les superviseurs et les travailleurs en présence du C3RS, en particulier lorsque les superviseurs acceptaient de bon cœur de communiquer et d'avoir des conversations productives et exemptes de blâme sur la sécurité avec leurs employés.
- La collaboration améliorée entre la main-d'œuvre et l'organisme a aidé à adopter davantage de mesures correctives systémiques.
- L'équipe d'examen disposait de peu d'occasions de recueillir des données supplémentaires sur la sécurité en rapport avec les événements signalés par les organismes. Elle n'a donc pas pu offrir une meilleure compréhension de l'ensemble des causes et des mesures correctives potentielles.
- Les compagnies ferroviaires peuvent échanger des connaissances sur les améliorations aux processus et les mesures correctives non exclusives, ce qui accroît les avantages généraux du C3RS dans l'industrie.
- On a constaté une augmentation du nombre de mesures correctives prises suites aux événements. Toutefois, une fonction de suivi plus robuste est nécessaire pour surveiller l'efficacité des mesures correctivesNote de bas de page 35.
1.14.2 Service confidentiel de signalement et d'analyse des incidents du Royaume-Uni
Le service confidentiel de signalement et d'analyse des incidents (Confidential Incident Reporting and Analysis Service ou CIRAS)Note de bas de page 36 du Royaume-Uni a été mis sur pied en 1996. Il offre aux diverses industries de transport, y compris le transport ferroviaire et par autobus, une ligne téléphonique confidentielle et indépendante pour signaler des incidents.
Le CIRAS est régi par le comité CIRAS, qui est composé de représentants de l'industrie ferroviaire du Royaume-Uni et d'autres modes de transport du Royaume-Uni. Le comité comprend également un certain nombre de syndiqués et de professionnels indépendants qui sont des experts dans d'autres industries, comme l'industrie du pétrole et du gaz, et dans le milieu universitaire. Le programme partage les leçons tirées avec toutes les industries par l'entremise de bulletins d'information et de renseignements sur son site Web.
Le processus de signalement et de suivi de CIRAS est semblable à celui du programme C3RS de la FRA; CIRAS agit comme intermédiaire impartial. Une fois qu'un rapport a été soumis (par le site Web, par message texte, par téléphone ou par écrit), le CIRAS communique avec la personne qui a soumis le rapport à l'extérieur de ses heures de travail afin d'obtenir plus de renseignements. Un rapport est ensuite préparé et soumis à l'organisme membre approprié. Une réponse dans laquelle les mesures prises sont soulignées est ensuite envoyée à la personne qui a soumis le rapportNote de bas de page 37.
1.14.3 Programme de rapports confidentiels du Bureau de la sécurité des transports du Canada
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) administre un programme intitulé SECURITAS qui permet de signaler, en toute confidentialité, des préoccupations liées à la sécurité dans les modes de transport maritime, pipelinier, ferroviaire et aérien. Les incidents et les gestes et conditions potentiellement dangereux soumis au moyen du programme SECURITAS ne sont pas toujours signalés (ou tenus de l'être) par d'autres moyens.
Les rapports SECURITAS peuvent mener le BST à émettre des communications de sécurité adressées au ministre des Transports ou à d'autres ministères gouvernementaux, ou encore à des organismes de l'industrie, pour les inciter à prendre des mesures. Ces rapports peuvent également aider le BST à constater des problèmes de sécurité généralisés. Les données relatives au signalement confidentiel, combinées à d'autres rapports et d'autres études en matière d'accidents et d'incidents, et l'échange d'information sur la sécurité avec d'autres organismes au Canada et à l'étranger, aident à mieux comprendre les problèmes de sécurité des transports sur le plan national et mondial. Les rapports SECURITAS peuvent même appuyer les études et les analyses du BST portant sur des questions de sécurité, par exemple les procédures d'exploitation, la formation, la performance humaine et l'équipement.
1.15 Liste de surveillance du BST
La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu'il faut s'employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.
La gestion de la sécurité et surveillance figure sur la Liste de surveillance 2018. Dans l'événement à l'étude, la décision de modifier l'exploitation du terminal ne comprenait aucune évaluation des risques. Par conséquent, aucune évaluation des dangers professionnels liés aux activités qui se déroulaient au triage. Comme aucune évaluation n'a été effectuée, aucune mesure d'atténuation des risques susceptible de réduire la possibilité qu'un accident de manœuvre comme celui à l'étude se répète n'a été cernée ou mise en place.
MESURES À PRENDRE
La gestion de la sécurité et surveillance restera sur la Liste de surveillance jusqu'à ce que :
- Transports Canada mette en œuvre des règlements obligeant tous les exploitants commerciaux des secteurs aérien et maritime à adopter des processus formels pour la gestion de la sécurité, et en supervise l'application de façon efficace.
- Les transporteurs qui ont un SGS démontrent à Transports Canada qu'il fonctionne bien et donc permet de déceler les risques et de mettre en œuvre des mesures efficaces pour les atténuer.
- Transports Canada exerce ses responsabilités lorsque des exploitants ne peuvent pas assurer une gestion efficace de la sécurité de façon à ce qu'ils corrigent les pratiques d'exploitation non sécuritaires.
La gestion de la fatigue dans le transport ferroviaire figure sur la Liste de surveillance 2018. Comme le montre l'événement à l'étude, la fatigue continue de poser des risques pour l'exploitation des trains en toute sécurité, notamment dans les cours de triage qui fonctionnent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
1.16 Rapports de laboratoire du BST
Le BST a produit les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :
- LP017/2018 – Radio Analysis [analyse des communications radio]
- LP066/2018 – Light Level Measurements [mesure des niveaux d'éclairement]
MESURES À PRENDRE
La gestion de la fatigue dans le transport ferroviaire demeurera sur la Liste de surveillance du BST jusqu'à ce que les mesures suivantes soient prises :
- Transports Canada élabore un cadre stratégique pour la gestion de la fatigue, fondé sur son examen des systèmes de gestion de la fatigue, sur les principes de la science de la fatigue et sur les pratiques exemplaires.
- Transports Canada travaille avec l'industrie, les représentants des employés et les spécialistes de la science de la fatigue en vue d'établir une approche globale pour la gestion de la fatigue dans le secteur ferroviaire.
- Transports Canada termine sa révision des Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaire (2011), suivant les principes de la science de la fatigue.
2.0 Analyse
L'état des voies et du matériel roulant n'a pas été un facteur dans l'événement à l'étude. La manœuvre de triage FS23 (la manœuvre) était la seule équipe de train dans la traversée, et aucun autre cheminot ne se trouvait dans le secteur au moment de l'accident. Étant donné l'absence de témoin ou de caméra de surveillance qui aurait pu fournir une image nette des faits qui ont immédiatement précédé l'accident, on ne peut écarter la possibilité que l'aide de triage soit tombé sur la voie ou qu'il ait subi un malaise. Toutefois, à partir des renseignements recueillis, les enquêteurs se sont concentrés sur le déroulement le plus probable des événements avant l'accident. L'analyse portera donc sur les manœuvres, l'aménagement du triage, la fatigue, la conscience situationnelle et le système de gestion de la sécurité du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP).
2.1 L'accident
L'accident s'est produit lorsque l'aide de triage a été heurté et mortellement blessé par la manœuvre de triage dont il était chargé et qui effectuait des opérations d'aiguillage en déplaçant une rame de wagons du côté ouest de la traversée au triage St-Luc.
Pendant que le contremaître de triage poussait un wagon sur la voie DT20 voisine, l'aide de triage, qui se trouvait au nord de l'aiguillage de la liaison entre la 2e voie de raccordement ouest (2nd West Loop ou 2WL) et la voie de raccordement ouest (West Loop ou WL) (aiguillage de liaison 2WL/WL), a quitté son poste pour se rendre à la cantine. Peu après, une fois de retour à son poste, l'aide de triage devait se rajuster aux activités du triage pour vérifier les exigences du mouvement suivant. Il devait déterminer l'acheminement et le positionnement de la manœuvre de triage pour le mouvement suivant, y compris l'orientation des aiguillages correspondants. En s'absentant brièvement de la traversée, l'aide de triage a interrompu ses tâches, ce qui a brisé sa concentration sur son travail.
La manœuvre de triage avait terminé le mouvement précédent et quittait la voie DT20 en prévision du mouvement suivant, soit de placer les 5e et 6e wagons (CP 214036 et CP 215379) sur la voie DT24. Pour placer ces wagons sur la voie DT24, il fallait positionner la manœuvre de triage sur la voie 2WL, au nord de l'aiguillage DT24. Il fallait ensuite manœuvrer cet aiguillage en position renversée pour orienter la manœuvre de triage vers la voie DT24.
Toutefois, l'aide de triage a indiqué au mécanicien de locomotive d'arrêter la manœuvre de triage au-delà de l'aiguillage de liaison 2WL/WL situé au nord de l'aiguillage DT24 sur la voie 2WL, plus loin que nécessaire pour effectuer la prochaine manœuvre. Il s'agissait de l'endroit où était l'aide de triage avant qu'il ne se rende à la cantine.
Lorsque la manœuvre de triage s'est arrêtée à l'écart de l'aiguillage de liaison 2WL/WL, l'aide de triage a orienté cet aiguillage en position renversée; la manœuvre de triage se trouvait ainsi incorrectement orientée vers la voie WL. L'aide de triage a ensuite orienté l'aiguillage DT24 en position renversée pour diriger la manœuvre de triage vers la voie DT24. Il a ensuite indiqué au mécanicien de locomotive de déplacer la manœuvre de triage sur cette voie. Or, la mauvaise orientation de l'aiguillage de liaison 2WL/WL n'a pas été découverte, et la manœuvre de triage s'est déplacée vers la voie de liaison 2WL/WL au lieu de la voie DT24.
Après qu'il a orienté l'aiguillage DT24 en position renversée, l'aide de triage s'est déplacé à l'ouest de la voie DT24 et à l'écart de l'itinéraire prévu de la manœuvre de triage, mais en travers de la voie de liaison 2WL/WL. De cette position, l'aide de triage aurait eu un contact visuel avec la manœuvre de triage durant la transmission d'instructions par radio au mécanicien de locomotive.
Depuis la locomotive, le mécanicien de locomotive ne pouvait voir ni l'aide de triage ni l'aiguillage de liaison 2WL/WL. Conduisant d'après les instructions reçues par radio, le mécanicien de locomotive ne pouvait savoir que la manœuvre de triage s'écartait de l'itinéraire prévu.
2.2 Vigilance des employés
Les facteurs de stress en milieu de travail comme la fatigue, les longues heures de travail et le conflit avec son propre rythme circadien réduisent la capacité d'une personne de maintenir sa conscience situationnelle. Ces facteurs de stress peuvent nuire à la mémoire de travail et à l'attention d'une personne, et réduire sa capacité de collecter et de traiter efficacement l'information Note de bas de page 38.
L'aide de triage avait eu la possibilité de dormir suffisamment pendant les 38 heures précédant l'accident. Toutefois, en fonction d'autres activités personnelles menées ce jour-là, l'aide de triage n'aurait pu avoir au plus que 4 heures de repos pendant cette période Note de bas de page 39. Il a été impossible de déterminer si l'aide de triage avait profité des occasions qui se présentaient pour dormir.
L'aide de triage aurait pu avoir une nuit complète de sommeil durant la nuit du 5 au 6 novembre 2017. Comme il dormait principalement le jour, il est probable que son rythme circadien a réagi et nui à la qualité du sommeil qu'il ait pu obtenir durant la nuit. Ainsi, même si l'aide de triage était peut-être reposé au début de son quart de nuit, le 6 novembre 2017, il n'était probablement pas aussi reposé que s'il avait régulièrement travaillé de jour précédemment.
Vers la fin de son quart de nuit le 8 novembre, l'aide de triage aurait ressenti de la fatigue à cause des perturbations à la quantité et à la qualité de son sommeil au cours des jours précédents. L'aide de triage aurait probablement été moins attentif à son environnement et plus susceptible au rétrécissement de l'attention et aux erreurs opérationnelles. Il est probable que la fatigue subie par l'aide de triage a contribué à la mauvaise orientation de l'aiguillage de liaison 2WL/WL.
2.3 Éclairage du triage
Durant les opérations nocturnes sur la traversée, le niveau d'éclairement variait d'un endroit à l'autre. Dans les environs du lieu de l'événement, il y avait un lampadaire fixe du côté est de la traversée. Le niveau moyen d'éclairement du secteur, depuis le lampadaire est jusqu'à l'aiguillage de liaison 2WL/WL, était d'environ 48,2 lux, tout près du minimum de 50 lux qu'exige la réglementation. Toutefois, à l'ouest de la traversée, près du lieu de l'accident, les niveaux d'éclairement ne dépassaient pas 9 lux environ. Ce niveau d'éclairement est insuffisant pour que les employés qui travaillent dans cette zone soient pleinement conscients de ce qui se passe autour d'eux. Avec un système fixe diffusant un éclairage suffisant dans le triage, les employés qui travaillent dans ces zones auraient des lignes de visibilités adéquates entre les voies de départ et la traversée du triage.
Même si le contremaître et l'aide de triage utilisaient tous deux une lanterne portative la nuit de l'événement, comme l'exige la réglementation, cet éclairage auxiliaire ne remplace pas l'éclairement fourni par un système fixe dans le triage. Certains employés de la compagnie de chemin de fer avaient déjà exprimé des inquiétudes par rapport au manque d'éclairage suffisant au triage St-Luc.
Au moment de l'événement, les niveaux d'éclairement aux environs de la traversée du triage étaient tels que le contremaître de triage a eu de la difficulté à déterminer visuellement l'emplacement de l'aide de triage et le sens de la marche de la manœuvre de triage.
Si les triages ferroviaires ne sont pas suffisamment éclairés durant les manœuvres nocturnes, la visibilité des employés, des voies de triage et du matériel roulant pourrait être compromise, ce qui augmente le risque d'accidents.
2.4 Manœuvres dans la traversée
Lors de la fermeture du faisceau de triage en 2012, la plupart des manœuvres au triage St-Luc ont été transférées à la traversée, dont la configuration était très différente de celle du faisceau de triage.
Les employés doivent rester vigilants en tout temps lorsqu'ils travaillent sur les voies ou à proximité de celles-ci. Toutefois, les aiguillages de la traversée sont adjacents à d'autres voies. Par conséquent, les employés obstruent des voies lorsqu'ils manœuvrent les aiguillages. Les employés qui doivent couramment obstruer une voie adjacente pour exécuter leurs tâches risquent de devenir désensibilisés face aux dangers des activités de triage.
La surface du sol dans les zones de libération de la traversée est en ballast de voie principale, qui convient moins aux déplacements à pied que le ballast qu'on trouve généralement dans les voies de triage. Il y a aussi plusieurs risques de trébuchement, comme les supports de levier d'aiguillage et les voies chevauchantes. Les tâches opérationnelles du contremaître et de l'aide de triage exigent qu'ils marchent constamment, en particulier entre les voies de la traversée, où existent des risques de trébuchement.
Il est essentiel de pouvoir clairement identifier l'aiguillage à manœuvrer et la direction dans laquelle il est orienté pour réduire les erreurs d'orientation d'aiguillage. Les aiguillages au triage St-Luc ne portent pas tous des marques d'identification claires. L'aiguillage de liaison 2WL/WL ne portait aucune marque, et l'aiguillage DT24 portait une marque non réfléchissante sur le côté du support de levier d'aiguillage. Une semaine avant l'accident, durant une réunion de triage sur la sécurité, l'aide de triage avait dit que les nouveaux employés du triage St-Luc pourraient avoir besoin de plus de temps pour se familiariser avec les aiguillages et les voies. Quoique les employés qui connaissent bien le triage connaissent généralement l'emplacement précis des aiguillages et le tracé des voies, si les aiguillages au triage St-Luc ne sont pas clairement identifiés et si la direction des mouvements n'est pas clairement indiquée, des erreurs d'orientation d'aiguillage peuvent se produire, ce qui augmente le risque d'accidents.
2.5 Systèmes de gestion de la sécurité
Le Règlement sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (Règlement sur le SGS) qui était en vigueur lorsque des changements ont été apportés au triage St-Luc exigeait des compagnies ferroviaires qu'elles mettent en place et gèrent un système de gestion de la sécurité (SGS). Ce système devait comprendre un processus pour déterminer les problèmes et les préoccupations de sécurité, y compris ceux découlant de modifications d'importance aux opérations ferroviaires. Le Règlement sur le SGS exigeait également des compagnies ferroviaires qu'elles disposent d'un processus d'évaluation et de classification des risques par l'intermédiaire d'une évaluation des risques.
Même si on effectuait déjà des manœuvres en palier sur la traversée, la fermeture du faisceau de triage St-Luc a considérablement changé les manœuvres au triage St-Luc. Par conséquent, étant donné les différences entre la configuration du faisceau de triage et celle de la traversée, il aurait été judicieux d'analyser les tâches du contremaître de triage et de l'aide de triage. Une analyse des tâches aurait pu déterminer les différences entre les zones de libération, les risques d'obstruction des voies durant la libération de wagons ou la manœuvre des aiguillages, les risques de trébuchement et la réduction du niveau d'éclairement. On aurait pu ainsi établir des mesures d'atténuation comme un meilleur éclairage, des surfaces de marche plus sûres, une identification des aiguillages et de leurs cibles, et la modification des raccordements de manœuvre et des zones de libération. Les risques que des employés obstruent la voie durant les manœuvres auraient ainsi été réduits. Dans le cadre de son SGS, le CP n'a pas estimé qu'une évaluation des risques était nécessaire; par conséquent, l'occasion a été perdue d'identifier les nouveaux dangers créés par les changements dans les manœuvres au triage St-Luc.
Depuis 2015, le BST a mené des enquêtes sur 3 autres événements au cours desquels le CP avait apporté des changements opérationnels et n'avait pas jugé « importants » certains des changements. Donc, le CP n'avait pas effectué une évaluation des risques de ces changements opérationnels. Si des évaluations des risques ne sont pas effectuées lorsque des changements opérationnels sont apportés, de nouveaux dangers pourraient ne pas être identifiés, augmentant le risque d'accidents.
2.5.1 Culture de sécurité au triage St-Luc du Chemin de fer Canadien Pacifique
Une gestion efficace de la sécurité exige de continuellement cerner et atténuer les dangers afin de gérer les risques. Cette gestion de la sécurité est influencée par la culture de sécurité d'une organisation. La culture de sécurité est caractérisée par des valeurs, des attitudes, des perceptions, des compétences et des modes de comportement collectifs qui interagissent pour améliorer la sécurité.
Le CP a mis en place une procédure pour identifier et signaler les dangers pour la sécurité de même que les contraventions ou infractions à la réglementation. La procédure précise qu'il incombe aux employés de signaler les dangers pour la sécurité et les infractions, et qu'un signalement n'entraînera aucune mesure disciplinaire. La procédure du CP prévoit différents moyens pour les employés de signaler de tels incidents, notamment un processus de signalement anonyme.
Au triage St-Luc, lorsque des erreurs de manœuvre d'aiguillage étaient signalées à la direction locale, le suivi assuré consistait généralement à convoquer les employés en cause pour faire une déclaration. Puisque ce processus pouvait donner lieu à des mesures disciplinaires, un grand nombre d'incidents mettant en cause des erreurs de manœuvre d'aiguillage n'étaient pas signalés au triage St-Luc. Par conséquent, il était peu probable que la direction soit avisée de ce genre d'erreur et l'analyse des précurseurs n'identifierait pas nécessairement les problèmes de sécurité afin de mettre en œuvre des mesures d'atténuation. La procédure du CP pour le signalement et l'identification des dangers n'a pas été mise en œuvre de façon efficace au triage St-Luc.
D'autres organisations ont reconnu les avantages de politiques non punitives pour le signalement des incidents. Elles ont mis sur pied des programmes confidentiels de signalement et d'enquête couronnés de succès. Grâce à ces programmes, les employés en cause jouissent d'une certaine protection contre les mesures disciplinaires. Sans la mise sur pied efficace d'une politique non punitive de signalement des incidents, il se peut que les données ayant trait aux quasi-événements ne soient pas recueillies de façon uniforme. Donc, l'occasion est perdue d'effectuer une analyse des précurseurs et de mettre en œuvre les mesures d'atténuation qui s'imposent. Si le système de gestion de la sécurité d'une compagnie ferroviaire n'est pas soutenu par une culture de sécurité positive, son efficacité dans l'identification et l'atténuation des dangers est réduite, ce qui augmente le risque d'accidents.
3.0 Faits établis
3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- L'accident s'est produit lorsque l'aide de triage a été heurté et mortellement blessé par la manœuvre de triage dont il était chargé et qui effectuait des opérations d'aiguillage en déplaçant une rame de wagons du côté ouest de la traversée au triage St-Luc.
- L'aide de triage a quitté son poste pour se rendre à la cantine. En s'absentant brièvement de la traversée, l'aide de triage a interrompu ses tâches, ce qui a brisé sa concentration sur son travail.
- L'aide de triage a indiqué au mécanicien de locomotive d'arrêter la manœuvre de triage au-delà de l'aiguillage de liaison 2WL/WL (2e voie de raccordement ouest / voie de raccordement ouest) situé au nord de l'aiguillage DT24 sur la voie 2WL, plus loin que nécessaire pour effectuer la prochaine manœuvre. Il s'agissait de l'endroit où était l'aide de triage avant qu'il ne se rende à la cantine.
- L'aide de triage a orienté l'aiguillage de liaison 2WL/WL en position renversée; la manœuvre de triage se trouvait ainsi incorrectement orientée vers la voie WL.
- Il est probable que la fatigue subie par l'aide de triage a contribué à la mauvaise orientation de l'aiguillage de liaison 2WL/WL.
- La mauvaise orientation de l'aiguillage de liaison 2WL/WL n'a pas été découverte, et la manœuvre de triage s'est déplacée vers la voie de liaison 2WL/WL au lieu de la voie DT24.
- L'aide de triage s'est déplacé à l'ouest de la voie DT24 et à l'écart de l'itinéraire prévu de la manœuvre de triage, mais en travers de la voie de liaison 2WL/WL.
- Conduisant d'après les instructions reçues par radio, le mécanicien de locomotive ne pouvait savoir que la manœuvre de triage s'écartait de l'itinéraire prévu.
- Dans le cadre de son système de gestion de la sécurité, le Chemin de fer Canadien Pacifique n'a pas estimé qu'une évaluation des risques était nécessaire; par conséquent, l'occasion a été perdue d'identifier les nouveaux dangers créés par les changements dans les manœuvres au triage St-Luc.
3.2 Faits établis quant aux risques
- Si les triages ferroviaires ne sont pas suffisamment éclairés durant les manœuvres nocturnes, la visibilité des employés, des voies de triage et du matériel roulant pourrait être compromise, ce qui augmente le risque d'accidents.
- Si les aiguillages au triage St-Luc ne sont pas clairement identifiés et si la direction des mouvements n'est pas clairement indiquée, des erreurs d'orientation d'aiguillage peuvent se produire, ce qui augmente le risques d'accidents.
- Si des évaluations des risques ne sont pas effectuées lorsque des changements opérationnels sont apportés, de nouveaux dangers pourraient ne pas être identifiés, augmentant le risque d'accidents.
- Si le système de gestion de la sécurité d'une compagnie ferroviaire n'est pas soutenu par une culture de sécurité positive, son efficacité dans l'identification et l'atténuation des dangers est réduite, ce qui augmente le risque d'accidents.
3.3 Autres faits établis
- Les employés qui doivent couramment obstruer une voie adjacente pour exécuter leurs tâches risquent de devenir désensibilisés face aux dangers des activités de triage.
- Les tâches opérationnelles du contremaître et de l'aide de triage exigent qu'ils marchent constamment, en particulier entre les voies de la traversée au triage St-Luc, où existent des risques de trébuchement.
- La procédure du Chemin de fer Canadien Pacifique pour le signalement et l'identification des dangers n'a pas été mise en œuvre de façon efficace au triage St-Luc.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures de sécurité prises
4.1.1 Transports Canada
Dans le cadre d'un protocole d'entente avec Emploi et Développement social Canada, Transports Canada a mené une enquête sur la mort de l'aide de triage, en vertu de la partie II du Code canadien du travail (le Code). Cette enquête avait pour objet de comprendre les circonstances entourant sa mort dans le but d'empêcher un tel accident de se reproduire, ainsi que de déterminer s'il y avait eu contravention à la partie II du Code.
Par suite de cette enquête, une directive a été adressée au Chemin de fer Canadien Pacifique concernant les niveaux d'éclairage au triage St-Luc. Le CP a jusqu'en mai 2019 pour mettre en œuvre les éléments de la directive.
4.1.2 Chemin de fer Canadien Pacifique
Le Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) a pris les mesures correctives suivantes :
- Réalisation, à l'échelle du réseau, d'une campagne mettant l'accent sur les dangers présents lorsqu'on travaille sur la voie ou à proximité de celle-ci, ainsi que sur les processus d'atténuation des risques connexes.
- Mise en œuvre, à l'échelle du réseau, d'une campagne de sensibilisation pour passer en revue les règles et dangers liés à la proximité des voies et aux dégagements réduits sur les voies.
- Lancement d'un programme intitulé « Règles de sécurité essentielles » pour sensibiliser davantage aux dangers liés au travail sur la voie ou à proximité de celle-ci, ainsi que sur les processus d'atténuation des risques requis.
Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été officiellement publié le .
Annexes
Annexe A – Historique de travail et de repos de l'aide de triage
* Les données utilisées pour déterminer les périodes d'éveil et les créneaux pour dormir entre le 5 et le 8 novembre 2017 ont été tirées des registres du téléphone cellulaire de l'aide de triage pour ces dates.
Annexe B – Enquêtes du BST sur des erreurs d'orientation d'aiguillage
Voici une liste d'autres enquêtes menées par le BST sur des erreurs d'orientation d'aiguillage :
- R16D0073 – Le 11 août 2016, vers 21 h 19, heure avancée de l'Est, le train de marchandises M39421-11 du Chemin de fer Canadien National (CN) roulait vers l'est dans la subdivision de Sherbrooke du Chemin de fer St-Laurent & Atlantique (SLA). À Acton Vale (Québec), au point milliaire 93,22, l'équipe a remarqué que l'aiguillage était orienté vers la voie d'évitement. Les freins d'urgence du train ont été serrés, mais le train n'a pas pu s'immobiliser avant l'aiguillage. Il a été dévié vers la voie d'évitement puis a heurté un dérailleur, entraînant le déraillement de la locomotive de tête. Le dérailleur a été détruit et la voie a été légèrement endommagée. L'accident n'a fait aucun blessé. Le jour de l'accident, un contremaître du SLA devait manœuvrer les aiguillages 272 et 273 ainsi que le dérailleur de la voie menant à la carrière afin de permettre à 2 machines d'entretien d'accéder à la carrière. Après le passage des machines, le contremaître a remis l'aiguillage du branchement 273 en position normale et l'a cadenassé, mais ne l'a pas fait pour l'aiguillage 272. Le contremaître était préoccupé par la tâche subséquente, soit de mettre le dérailleur de la voie menant à la carrière en position de non-déraillement pour permettre aux machines de continuer leur route vers la carrière. Convaincu que l'aiguillage 272 avait lui aussi été remis en position normale et cadenassé, le contremaître a communiqué et consigné cette information erronée avant de quitter les lieux.
- R13W0260 – Le 18 novembre 2013, le train de marchandises L586 41-18 du CN effectuait des opérations d'aiguillage à l'entrée de la voie d'échange de Murphys au point milliaire 61,0 de la subdivision de Tisdale du CN, près de Tisdale (Saskatchewan). Vers 18 h 18, heure normale du Centre, pendant les heures d'obscurité, alors qu'il faisait marche arrière vers l'ouest à une vitesse d'environ 12 mi/h, le train a heurté et blessé grièvement un chef de train stagiaire. L'employé a été transporté à l'hôpital en ambulance, mais a succombé à ses blessures en cours de route. Il a été déterminé que les tâches à exécuter pour les opérations d'aiguillage entraient probablement en conflit avec le modèle mental du stagiaire et, plutôt que de mettre l'aiguillage de voie principale TS 22 en position normale, le stagiaire a renversé par mégarde l'aiguillage de voie principale le plus proche (TS 23) et l'a orienté pour la voie d'échange où il travaillait. Parce que le stagiaire avait signalé que l'aiguillage de voie principale avait été orienté et cadenassé dans la position normale pour la voie principale, les autres membres de l'équipe ignoraient que le train ne suivait pas l'itinéraire prévu. L'enquête a permis de déterminer que, s'il se produit une perte de conscience situationnelle, des défenses administratives, telles que les règles et les instructions, ne protègent pas toujours contre les erreurs de manœuvre d'aiguillage, ce qui augmente le risque d'accident.
- R12Q0030 − Le 9 août 2012, le train de voyageurs P600-21-09 de VIA Rail Canada Inc., qui roulait vers le sud à 24 mi/h dans la subdivision du Lac St-Jean du CN, a été dévié inopinément vers la voie d'évitement, à Hegadorn (Québec), au point milliaire 78,11. L'aiguillage nord de la voie d'évitement avait été laissé en position renversée par des employés d'entretien de la voie. Il n'y a pas eu de déraillement. Il y avait à bord 59 voyageurs en plus de l'équipe du train. L'incident n'a fait aucun blessé. Il a été déterminé que l'aiguillage avait été laissé par inadvertance en position renversée et cadenassé après que l'équipe d'entretien l'a manœuvré et a quitté les lieux et que l'équipe n'avait pas vérifié la position exacte de l'aiguillage à la suite de la dernière manœuvre.
- R10E0096 – Le 18 août 2010, vers 3 h 30, heure avancée des Rocheuses, la manœuvre de triage L602-23-17 du CN poussait 50 wagons chargés et 5 wagons vides vers l'est sur la voie VC-64, dans le triage Scotford, lorsque le mouvement est entré en collision avec un groupe de 46 wagons vides qui se trouvaient sur la voie. La collision a entraîné le déraillement de 43 wagons, dont 21 wagons contenant des marchandises dangereuses ou des résidus. Il n'y a eu aucun déversement de produits ni aucune blessure. Le contremaître s'était par erreur positionné à l'aiguillage VC-64 et avait omis de confirmer sa position en lisant le numéro sur la cible de l'aiguillage. L'enquête a permis de déterminer que la collision et le déraillement se sont produits lorsque 55 wagons ont été poussés, sans protection, sur la voie VC-64 où ils ont heurté un groupe de wagons immobilisés. L'équipe avait pour intention de pousser les wagons sur la voie VC-63 puisqu'elle savait que cette voie était libre.
- R09Q0030 – Le 17 juillet 2009, vers 19 h, heure avancée de l'Est, 5 wagons-citernes de la manœuvre de triage télécommandée YLUS-30 exploitée par le CN ont déraillé au triage Limoilou à Québec (Québec). Un branchement et un tronçon de voie d'une longueur d'environ 180 pieds ont été endommagés. L'accident n'a fait aucun blessé et a causé une fuite mineure de carburant. Étant donné que le branchement EL18 était muni d'un appareil de manœuvre manuelle, il n'était pas conçu pour permettre au matériel roulant d'effectuer des mouvements de talonnage et devait être orienté pour l'itinéraire suivi. Lors du mouvement de tire, la manœuvre a talonné l'aiguillage. Comme l'aiguillage n'était pas muni d'un appareil de manœuvre semi-automatique, il a été endommagé et ne permettait donc plus de mouvement de renverse. En outre, comme l'aide voyait habituellement l'aiguillage en position normale et cadenassé et qu'il concentrait probablement son attention sur l'activité aux passages à niveau, il n'a pas remarqué la cible d'aiguillage et ne s'est pas rendu compte que la manœuvre a talonné l'aiguillage et l'a endommagé.
- R00T0179 − Le 9 juillet 2000, le train de voyageurs 683 de VIA Rail Canada Inc., qui roulait vers l'ouest dans la subdivision de Guelph de la Goderich-Exeter Railway, a été dévié accidentellement vers la voie d'évitement du point milliaire 41,37, à Rockwood (Ontario). L'aiguillage est de la voie d'évitement avait été laissé en position renversée par des employés travaillant dans le secteur. En entrant dans la voie d'évitement, le train a heurté des machines de voie. La collision a causé le déraillement de la locomotive et des 2 voitures qui la suivaient, mais tout le matériel roulant est resté à la verticale. Douze voyageurs et 2 employés ont subi des blessures mineures.
- R99H0007 − Le 23 avril 1999, le train 74 de VIA Rail Canada Inc., qui roulait en direction est sur la voie principale nord de la subdivision de Chatham du CN, à Thamesville (Ontario), est arrivé à la hauteur d'un aiguillage en position renversée, a traversé sur la voie principale sud et a déraillé au point milliaire 46,7. Après avoir déraillé, le train est entré en collision avec des wagons immobilisés sur une voie de garage adjacente. Les 2 membres de l'équipe qui se trouvaient dans la cabine de commande de la locomotive ont été mortellement blessés. Quatre personnes ont été hospitalisées, ayant subi des blessures graves. Soixante-dix-sept des 186 voyageurs et membres de l'équipe qui se trouvaient à bord ont reçu des traitements à l'hôpital. De nombreuses autres personnes ont reçu les premiers soins sur place. L'enquête a permis de déterminer que les aiguillages de liaison de voie principale de Thamesville ont probablement été orientés et cadenassés en position renversée par les derniers membres de l'équipe autorisés.
Annexe C – Autres enquêtes du BST sur des changements opérationnels au Chemin de fer Canadien Pacifique à la suite desquels aucune évaluation spécifique des risques n'a été effectuée
- R16C0065 – Le 3 septembre 2016, vers 9 h 25, heure avancée des Rocheuses, le train 303-646 du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP), qui circulait vers l'ouest à environ 22 mi/h au point milliaire 171,7 de la subdivision de Brooks, est entré en collision avec la queue du train 113-31, qui était immobilisé sur la voie PT01, près du triage Alyth, à Calgary (Alberta). Deux locomotives à la tête du train 303-646 ont déraillé, tout comme 2 wagons-trémies couverts derrière les locomotives. Le dernier wagon du train 113-31, un wagon porte-conteneurs à 3 plateformes, a également déraillé. Il n'y a pas eu de blessés. Aucune marchandise dangereuse n'a été déversée. En juin 2013, à la suite de l'affaissement du pont Bonnybrook, le CP avait changé la désignation de la voie PT01 entre Ogden et le début/la fin de la zone enclenchée à 12th Street East, la faisant passer de territoire à voie principale en commande centralisée de la circulation (CCC) à territoire à voie non principale. Toutefois, à la reprise du trafic ferroviaire sur ce pont, le CP n'a pas rétabli la CCC à cet endroit. Lorsqu'il a été décidé de maintenir la désignation de ce tronçon de voie comme voie non principale, il n'y a eu aucune évaluation des risques, que la réglementation en vigueur n'exigeait pas d'ailleurs. Sans évaluation des risques, la compagnie de chemin de fer ignorait les dangers particuliers liés à la circulation à cet endroit et les préoccupations en matière de sécurité des équipes de train à cet égard. Par conséquent, la compagnie de chemin de fer n'avait pris aucune mesure précise pour atténuer les dangers potentiels. L'enquête a permis de déterminer que, si aucune évaluation des risques n'a lieu après des changements touchant l'exploitation ferroviaire, il est possible que les dangers potentiels associés à ces changements ne soient pas cernés ou atténués de façon adéquate, ce qui augmente les risques d'accident.
- R16W0074 – Le 27 mars 2016, vers 2 h 35, heure normale du Centre, pendant qu'elle effectuait des manœuvres au triage Sutherland à Saskatoon (Saskatchewan), la manœuvre de formation au système de télécommande de locomotive 2300 du CP poussait une rame de wagons jusque dans la voie F6. Lorsque la manœuvre s'est arrêtée, le wagon-trémie couvert vide EFCX 604991 s'est dételé du train à l'insu de l'équipe. Le wagon non contrôlé a traversé le triage et s'est rendu jusque sur la voie principale, à l'intérieur de la zone de marche prudente de la subdivision de Sutherland. Le wagon a parcouru environ 1 mille et a franchi 2 passages à niveau publics munis de systèmes d'avertissement automatiques avant de s'arrêter de lui-même. Il n'y a eu aucun blessé ni aucun déraillement. Aucune marchandise dangereuse n'était en cause. Au début de 2016, plusieurs changements opérationnels avaient été adoptés par le CP au triage Sutherland. Ces changements opérationnels ont amené le CP à effectuer une évaluation combinée des risques conformément au Règlement sur le SGS. L'évaluation des risques a porté sur les opérations à l'aide du système de télécommande de locomotive et sur l'instauration d'une zone de protection des mouvements non accompagnés (PPZ), mais l'évaluation des risques n'a pas tenu compte des répercussions de la réduction du nombre d'équipes de manœuvre ni du changement dans la pratique locale qui consistait à effectuer les manœuvres principalement sans freins à air. L'évaluation des risques n'a pas spécifiquement cerné le danger possible lié au manque d'expérience des membres d'équipe ni la conséquence possible d'un mouvement non contrôlé. Par conséquent, aucune mesure corrective visant à éviter la possibilité d'un mouvement non contrôlé, telle que la pose d'un dérailleur, n'a été envisagée ni mise en œuvre pour protéger contre les mouvements non contrôlés pendant les manœuvres sans freins à air.
- R15V0046 – Le 11 mars 2015, vers 1 h 30, heure avancée du Pacifique, un contrôleur de la circulation ferroviaire du CP a arrêté le train 672-024 près du point milliaire 102 de la subdivision de Cranbrook après que le convoi a quitté Cranbrook (Colombie-Britannique) et roulé vers l'est sans autorisation sur une distance de 5 milles. Il n'y avait pas de mouvements incompatibles. L'enquête a permis de déterminer que, bien que qualifiés pour leurs postes respectifs, les membres de l'équipe, formée de cadres, n'avaient pas une bonne connaissance du territoire. Comme mesure de suivi à une réunion avec Transports Canada qui s'est dit préoccupé au sujet du recours accru à des cadres comme membres d'équipes de train, le CP a soumis son plan à Transports Canada, y décrivant le processus de formation des cadres à qualifier comme chefs de train ou mécaniciens de locomotive. Le CP n'a pas soumis une évaluation des risques dans le cadre de cette notification à Transports Canada puisqu'il ne considérait pas ce programme de formation destiné aux gestionnaires non opérationnels à qualifier comme chefs de train ou mécaniciens de locomotive comme un changement opérationnel nécessitant une évaluation des risques.