Déraillement en voie principale
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Train de marchandises M31731-04
Point milliaire 166,33, subdivision de Redditt
Rennie (Manitoba)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 6 janvier 2018, vers 1 h 25, heure normale du Centre, le train de marchandises M31731 04 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada circulait vers l’ouest à environ 50 mi/h sur la subdivision de Redditt lorsqu’un freinage d’urgence s’est déclenché. Une inspection subséquente a révélé que 23 wagons (du 38e wagon au 60e wagon à partir de la tête du train) avaient déraillé au point milliaire 166,33. Huit des wagons déraillés, dont un wagon de résidus, transportaient des marchandises dangereuses. Il n’y a eu ni blessure ni déversement.
1.0 Renseignements de base
1.1 L’accident
Le 4 janvier 2018, le train de marchandises M31731-04 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) a été composé au triage MacMillan du CN à Vaughan (Ontario). Conformément aux exigences réglementaires, les wagons du train ont été soumis à une inspection autorisée des wagons; cette inspection n’a révélé aucune anomalie. Le train a ensuite quitté le triage vers l’ouest à destination de Winnipeg (Manitoba). En route, le train a fait l’objet de 5 inspections au défilé à divers terminaux, conformément aux exigences réglementaires. De plus, le train a passé devant plusieurs systèmes de détection en voie (SDV) automatisés du CN qui n’ont relevé aucune anomalie.
Le 5 janvier 2018, vers 19 h 25, heure normale de l'EstNote de bas de page 1, le train a quitté Sioux Lookout (Ontario) sur la subdivision de Redditt du CN. Le train était composé de 2 locomotives en tête de train, 21 wagons chargés, 32 wagons vides et 11 wagons-citernes de résidus. Le train pesait environ 4343 tonnes et mesurait quelque 4334 pieds de long. L'équipe était formée d'un mécanicien de locomotive et d'un chef de train. Les 2 membres de l'équipe étaient qualifiés pour leur poste respectif, connaissaient bien le territoire et satisfaisaient aux exigences de repos et de condition physique établies.
Le 6 janvier 2018, vers 1 h 25, le train circulait vers l'ouest à 50 mi/h près du point milliaire 166,7 de la subdivision de Redditt; son manipulateur était à la position 3 lorsqu'un freinage d'urgence intempestif s'est déclenché (figure 1).
Une inspection subséquente a permis de déterminer que 23 wagons, du 38e au 60e, à partir de la tête du train, avaient déraillé au point milliaire 166,33.
Huit des wagons déraillés transportaient des marchandises dangereuses : 3 wagons-citernes transportaient des hydrocarbures liquides (ONU 3295), 1 wagon-citerne transportait des distillats du pétrole (ONU 1268), 1 wagon-citerne transportait du liquide corrosif (ONU 3264), 1 wagon-citerne transportait une quantité résiduelle de gaz de pétrole liquéfié (ONU 1075), et 2 wagons-tombereaux transportaient 54 ballots de sulfure de nickel (ONU 3077).
Il n’y a eu ni blessure ni déversement.
Au moment de l’événement, la température était de −29 °C, et les vents soufflaient du nord-est à 11 km/h.
1.2 Examen des lieux
Les 2 premiers wagons déraillés étaient les 38e et 39e wagons à partir de la tête du train; ils se sont renversés du côté nord de la voie. Les 2 étaient des wagons-tombereaux ouverts chargés de ballots de sulfure de nickel qui sont tombés sur l’emprise ferroviaire (figure 2). Toutefois, aucun produit n’a été rejeté des ballots.
Les 21 wagons suivants ont déraillé et se sont immobilisés sur le côté nord de la voie ou le long de la voie dans diverses positions sur une distance de 650 pieds (figure 3).
Le 38e wagon (ATW 400515) a été le premier wagon à dérailler et s’est immobilisé au point milliaire 166,48. Les bogies du wagon étaient sur la voie près des bouts du wagon. La roue R4 du bogie du bout A avant du wagon s’était rompue, dégagée de la portée de calage et déplacée vers l’intérieur du corps d’essieu, avant de s’immobiliser contre la roue L4 (accouplée) (figure 4).
La jante de la roue R4 s’est rompue sur sa circonférence. La partie extérieure de la jante n’a pas été récupérée. La table de roulement et le boudin étaient endommagés, et une partie de la table de roulement et de la toile de roue était rompue. Deux autres morceaux de la roue ont été retrouvés entre les rails à environ 100 pieds et 190 pieds à l’est du bogie, respectivement. Un morceau de 6 pouces de long de la jante et de la table de roulement n’a pas été retrouvé. La roue ainsi que les morceaux de roue récupérés ont été remis au Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) pour subir un examen détaillé.
À l’extrémité est du lieu du déraillement, on a observé une marque de roue sur la table de roulement du rail nord au point milliaire 166,33. Cette marque commençait au centre de la table de roulement et se prolongeait sur 9 pouces vers l’ouest et vers le côté intérieur du rail. On a observé un petit morceau de table de roulement entre les rails à côté de la marque de roue. Immédiatement à l’ouest de la marque de roue, l’attache de rail (côté intérieur) et la traverse en béton étaient endommagés (figure 5).
Trois pieds plus loin vers l’ouest, une traverse était endommagée du côté extérieur du rail sud; le rail nord était rompu à quelque 15 pieds de la marque de roue (figure 6).
1.3 Renseignements sur la subdivision
La subdivision de Redditt du CN s'étend vers l'ouest de Sioux Lookout (point milliaire 0,0) à Winnipeg (point milliaire 252,1). Les mouvements de train dans cette subdivision sont régis par le système de commande centralisée de la circulation autorisé en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada et supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) en poste à Toronto (Ontario). La vitesse permise pour les trains de marchandises circulant en direction ouest dans le secteur du déraillement était de 50 mi/h. Au moment de l'événement, aucune limitation de vitesse n'était en vigueur.
La voie était classée comme une voie de catégorie 4 selon le Règlement concernant la sécurité de la voie (aussi appelé Règlement sur la sécurité de la voie) approuvé par Transports Canada (TC). En 2017, 16 trains en moyenne ont traversé quotidiennement la subdivision de Redditt; le trafic ferroviaire annuel s’est élevé à 50,2 millions de tonnes-milles brutes par mille.
1.4 Renseignements sur la voie
Au point milliaire 166,33, la voie était en alignement et présentait une légère rampe dans le sens de marche (vers l’ouest). La voie consistait en de longs rails soudés de 136 livres fabriqués en 1976 par Sydney Steel Corporation, posés sur des traverses en béton. Les rails étaient fixés aux traverses en béton à raison de 4 attaches à ressort et isolateurs par traverse. Les traverses, semelles et isolateurs étaient généralement en bon état. Les traverses reposaient sur du ballast conformément à la norme du CN.
Au cours de la plus récente évaluation de la géométrie de la voie réalisée dans les environs du point milliaire 166,33 le 13 novembre 2017, aucun défaut de voie nécessitant une intervention urgente ou quasi urgente n’avait été relevé. La plus récente inspection par ultrasons du rail avait eu lieu le 15 décembre 2017, et aucun défaut n’avait été relevé près de l’extrémité est du lieu de l’événement. Le 4 janvier 2018, le superviseur de la voie avait fait une inspection visuelle de la voie et noté aucune exception.
1.5 Modes de défaillance des roues rompues
Plusieurs défauts de la table de roulement, de la jante et du boudin peuvent justifier le retrait d’essieux montés. Toutefois, une rupture de roue résulte le plus souvent d’une jante éclatée ou affaiblie par une fissure verticale.
1.5.1 Rupture de roue causée par une jante éclatée
L’éclatement d’une jante est habituellement attribuable à un défaut de fabrication engendrant une fissure qui se propagera horizontalement dans un plan parallèle à la table de roulement. À la longue, ce défaut atteindra la surface de roulement qui se rompra graduellement sous l’effet du défibrageNote de bas de page 2 ou de l’écaillageNote de bas de page 3 de la table de roulement. Une roue qui se rompt en service cause souvent un déraillement, ce qui peut engendrer de lourdes conséquences. L’industrie ferroviaire a donc mis en œuvre plusieurs initiatives pour réduire de telles défaillances :
- Au début des années 1990, l’éclatement des jantes était la cause la plus courante des ruptures de roue. Depuis, les fabricants ont enrichi la qualité de l’acier utilisé pour usiner les roues grâce à des procédés améliorés de moulage et forgeage, de traitement thermique et de contrôle de la qualité.
- Au début des années 1990, l’industrie ferroviaire a intégré les détecteurs de défauts de roues (DDR) en tant que réseau de SDV en développement. Cette technologie visait avant tout à protéger la voie contre les impacts de roues; or, les roues ayant une jante endommagée, qui risquait d’éclater, présentaient des anomalies ou défauts de table de roulement qui pouvaient générer des impacts de roues plus élevés que la normale. Dès qu’un DDR détectait ces roues, on pouvait les retirer du service avant qu’elles ne causent davantage de dommages à l’infrastructure de la voie et aux composants du matériel roulant ou qu’elles ne rompent.
- Au début des années 2000, l’Association of American Railroads (AAR) exigeait que les ateliers de roues des compagnies ferroviaires soumettent la surface des tables de roulement de roues reprofilées (usagées) à des essais aux ultrasons durant la remise à neuf des essieux montés pour détecter les défauts internes. Les roues qui présentaient de tels défauts pouvaient alors être retirées de la chaîne d’approvisionnement, ce qui éliminait le risque qu’elles rompent à cause de l’éclatement d’une jante. Toutefois, il n’y avait aucune obligation de soumettre la face de la jante des roues reprofilées à un essai aux ultrasons.
Grâce à ces initiatives, le nombre de ruptures de roue en service causées par une jante éclatée a commencé à diminuer
1.5.2 Rupture causée par une fissure verticale de la jante
Contrairement aux ruptures causées par une jante éclatée, celles causées par une fissure verticale de la jante sont souvent attribuables à un état de la surface de la table de roulement, comme la formation de criques, l’écaillage ou le défibrage, et sont habituellement perpendiculaires à la table de roulement (c.-à-d., parallèles à la face de la jante de roue). Il est peu probable que la méthode d’inspection par ultrasons actuellement utilisée dans les ateliers de roues détecte les fissures verticales de la jante, étant donné la direction dans laquelle elles s’étendent. Les ruptures de roue en raison d’une fissure verticale de la jante sont un phénomène qui continue d’être étudié par l’industrie ferroviaire et qui n’est pas encore complètement compris.
Selon des recherches sur les réseaux de contraintes résiduelles des roues et les ruptures en raison d’une fissure verticale de la jante, les roues de catégorie C, usées et en service, présentent des contraintes de compression résiduelles de la table de roulement qui sont équilibrées par les contraintes de traction axiales présentes plus profondément dans la janteNote de bas de page 4. Lorsque des fissures de la table de roulement se propagent dans cette zone de contraintes de traction axiales sous la surface, des charges de service supplémentaires peuvent causer une fissure verticale de la jante. La table de roulement des roues ayant une jante endommagée, qui risque d’éclater, ou générant des charges d’impact mesurées élevées ne présente pas toujours des dommages considérables. Dans de tels cas, la détérioration de la table de roulement peut se produire rapidement, et il est possible que les DDR ne puissent pas la détecter.
Le Transportation Technology Center, Inc. (TTCI) de l’AAR a effectué une étudeNote de bas de page 5 dans le cadre de laquelle il a examiné 24 roues rompues. Il a constaté qu’une fissure verticale de la jante était à l’origine de la rupture de 17 roues (71 %), et des données DDR étaient disponibles pour 12 d’entre elles, dont 6 présentaient des charges d’impact enregistrées supérieures à 90 kipsNote de bas de page 6 avant leur rupture.
1.6 Détecteurs de défauts de roues
La technologie des DDR a été élaborée et mise en place au début des années 1990, dans le cadre d’une initiative de l’industrie pour améliorer la sécurité en détectant et en retirant hâtivement du service les roues avec des défauts de table de roulement qui pourraient générer des charges d’impact élevées sur les rails.
Les systèmes de DDR sont des SDV qui sont habituellement installés sur des voies en alignement avec une vitesse maximale permise de 50 mi/h. Leur but est d’enregistrer les charges d’impact de roues à la vitesse permise sur la voie. La charge d’impact mesurée est directement liée à la vitesse : plus le train circule vite, plus les charges d’impact de roues mesurées seront élevées en présence d’un défaut de la table de roulement. De même, plus le train circule lentement, plus les charges d’impact de roues seront réduites.
1.7 Exigences réglementaires sur les systèmes de détection en voie
Le Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés approuvé par TC exige des compagnies d’inspecter les paliers d’un train cléNote de bas de page 7 qui ont été signalés comme étant défectueux par un détecteur de paliers défectueux en bordure de la voie.
Le Règlement concernant l’inspection et la sécurité des wagons de marchandises approuvé par TC ne renferme aucune disposition sur le retrait des roues en service en raison de charges d’impact élevées. Il n’y a en ce moment aucune exigence réglementaire ni aucune ligne directrice sur les seuils des DDR au Canada et aux États-Unis.
À la suite de plusieurs incidents et accidents mettant en cause des roues rompues (annexe A), en décembre 2011, le BST a publié l’avis de sécurité ferroviaire 11/11 intitulé Broken Wheels with Previous AAR Condemnable WILD Readings. En réponse à cet avis, TC a indiqué :
- qu’il créerait un forum conjointement avec l’industrie visant à examiner en profondeur les critères des SDV et des DDR;
- qu’il pourrait, à partir de cet examen, élaborer des lignes directrices, normes ou règles sur l’utilisation des SDV, y compris les DDR.
À ce jour, il n’y a eu aucun progrès notable de la part de TC à propos de l’établissement de directives, de normes et de règles sur l’utilisation de la technologie des DDR.
1.8 Seuils de retrait des roues de l’Association of American Railroads dictés par les détecteurs de défauts de roues
La règle 41 du Field Manual of the AAR Interchange Rules de 2018 de l’Association of American Railroads (AAR) stipule en partie ce qui suit [traduction]:
Règle 41
DÉFAUTS DES ROUES EN ACIER – RESPONSABILITÉ DU PROPRIÉTAIRE
A.1. Valeur critique en tout temps
[…]
r. Excentration des roues ou impact de 90 000 livres (90 kips) ou plus
(1) Détection par un DDR ayant mesuré un impact de 90 000 livres (90 kips) ou plus pour une seule roue. Le détecteur utilisé doit être conforme aux exigences d’étalonnage et de validation de la norme S-1601 de la section F du Manual of Standards and Recommended Practices (MSRP). Il doit mesurer fidèlement les charges d’impact maximales et fournir un relevé imprimable des mesures. Il faut conserver des registres d’étalonnage du dispositif. Les roues dont la table de roulement présente des méplats critiques sont la responsabilité du réseau acheminant et ne doivent pas être facturées autrement.
[…]
A.2. Valeur critique lorsqu’un wagon se trouve dans un atelier ou sur une voie de réparation pour une raison quelconque
[…]
e. Détection par un DDR mesurant un impact maximal entre 80 kips et moins de 90 kips sur une seule roue. Le détecteur utilisé doit avoir été étalonné selon la norme S-1601 de la section F du MSRP. Il doit mesurer fidèlement les charges d’impact maximales et fournir un relevé imprimable des mesures. Il faut conserver des registres d’étalonnage du dispositif. Les roues dont la table de roulement présente des méplats critiques sont la responsabilité du réseau acheminant et ne doivent pas être facturées autrement. Il s’agit alors d’une réparation opportune pour la partie qui exécute les travaux. Conformément à la règle 41.E.8.c, il ne faut pas peindre au pochoir la mention « SCRAP » sur les roues retirées pour cette raison.
L’article A.1.r de la règle 41 établit les critères des DDR justifiant le retrait de roues en tout temps, sans toutefois exiger le retrait immédiat de roues correspondant aux valeurs critiques de l’AAR.
Parallèlement, l’article A.2.e de la règle 41 indique les critères des DDR justifiant le retrait du service des roues d’un wagon se trouvant sur une voie d’atelier ou de réparation pour une raison quelconque, mais encore sans exiger le retrait immédiat de roues correspondant aux valeurs critiques de l’AAR.
Le comité de l'AAR responsable des roues, des essieux, des roulements et des lubrifiants a été chargé de l'élaboration et de la mise en œuvre de la règle 41. Sa décision de fixer la limite de réforme à 90 kips était fondée sur un certain nombre d'études techniques menées au début des années 1990Note de bas de page 8. Les analyses techniques de ces études établissent que la valeur de 90 kips est un seuil raisonnable pour le retrait des roues, qui permettrait de limiter les dommages causés au matériel roulant et à l'infrastructure de la voie.
1.9 Seuils des détecteurs de défauts de roues des compagnies de chemin de fer canadiennes
En plus des limites de réforme des roues selon les charges d’impact établies par l'AAR, les compagnies de chemin de fer ont fixé leurs propres seuils pour leur retrait. Habituellement, ces seuils ne sont pas fondés sur une analyse technique, mais sur les pratiques et conditions d'exploitation de chaque compagnie, ainsi que sur leur capacité à gérer la quantité de roues retirées en raison des charges d’impact mesurées par des DDR. Les seuils des DDR pour le retrait des roues varient d'une compagnie ferroviaire à l'autre et ont évolué avec les années.
La vitesse typique d’un train circulant à la hauteur d’un DDR est de 50 mi/h; toutefois, cette vitesse peut varier à cause d’une limitation ou une restriction de vitesse. Les seuils des DDR des chemins de fer servent à évaluer les charges d’impact maximales réelles (mesurées) d’une roue donnée (enregistrées à la vitesse à laquelle le train passe devant un DDR) et l’impact maximal calculé, pondéré en fonction d’une vitesse nominale de 50 mi/h. Le recours à l’impact calculé permet à un chemin de fer d’évaluer toutes les charges d’impact à une vitesse normalisée de 50 mi/h.
Toutefois, l'algorithme peut différer d'un chemin de fer à l'autre et tient compte du type de défaut de roue, de la conversion à basse vitesse et d'une linéarité théorique. C'est pourquoi la valeur d'impact calculée n'est pas considérée comme aussi précise que la valeur d'impact mesurée. De plus, l'AAR et le Canada n'ont pas défini de seuils de retrait des roues fondés sur des valeurs calculées.
1.9.1 Lignes directrices de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada sur les alertes et alarmes des détecteurs de défauts de roues des wagons de marchandises
Le CN a établi les seuils d’alarme suivants pour les charges d’impact mesurées (maximales) de 140 kips ou plus enregistrées par ses DDR :
- Pour les wagons ayant obtenu une seule lecture de charge d’impact de plus de 160 kips, ou une seule lecture de charge d’impact calculée de 200 kips, le CCF doit immédiatement réduire la vitesse du train à 25 mi/h. Si la charge d’impact est mesurée sur un train entrant, le wagon doit être laissé au terminal. Si la charge d’impact est mesurée sur un train sortant, le wagon doit être laissé à la première voie d’évitement désignée. Le wagon sera déclaré avariéNote de bas de page 9 par le contrôleur de la circulation ferroviaire – Mécanique (CCFM) qui y apposera une étiquette affichant le code WI et se chargera d’informer le personnel responsable des réparations.
- Dans le cas des wagons ayant obtenu une seule lecture de charge d’impact entre 150 kips et 159 kips, le CCF doit immédiatement limiter la vitesse du train de 10 mi/h sous la vitesse enregistrée au DDR. Le CCF décidera alors si le wagon devrait être laissé au terminal d’arrivée (si le wagon est entrant) ou au premier emplacement de garage désigné (si le wagon est sortant). Si aucun des emplacements ne convient, le wagon peut être laissé à un autre endroit pratique, mais ne devrait jamais être déplacé au-delà du prochain emplacement, où une inspection autorisée de wagons sera effectuée. Le wagon sera déclaré avarié par le CCFM qui y apposera une étiquette affichant le code WI et se chargera d’informer le personnel responsable des réparations.
- Dans le cas des wagons ayant obtenu une seule lecture de charge d’impact entre 140 kips et 149 kips, le CCF doit immédiatement limiter la vitesse du train de 5 mi/h sous la vitesse enregistrée au DDR. Si la température au DDR est de −25 °C (−13 °F) ou plus froide, le train doit rouler à une vitesse de 10 mi/h sous celle enregistrée au DDR. Le CCF décidera alors si le wagon doit être laissé au terminal d’arrivée (si le wagon est entrant) ou au premier emplacement de garage désigné (si le wagon est sortant). Si aucun des emplacements ne convient, le wagon peut être laissé à un autre endroit pratique, mais ne devrait jamais être déplacé au-delà du prochain emplacement, où une inspection autorisée de wagons sera effectuée. Le wagon sera déclaré avarié par le CCFM qui y apposera une étiquette affichant le code WI et se chargera d’informer le personnel responsable des réparations.
Dans chacun des cas ci-dessus, la roue en cause doit être remplacée avant que le wagon ne soit remis en service.
En plus des seuils des DDR pour les charges d’impact mesurées (maximales) supérieures à 140 kips, le CN a établi des lignes directrices en matière d'entretien pour les wagons dont les charges d’impact mesurées (maximales) sont de 80 kips à 139 kips. Les lignes directrices précisent ce qui suit :
- Les wagons qui arrivent d’un échange au CN et qui ont des charges d’impact sont automatiquement identifiés.
- Dans le cas de charges d’impact entre 80 et 89 kips, les essieux montés doivent être réparés lorsque les wagons sont laissés dans un atelier ou sur une voie de réparation, conformément à la règle 41 de l’AAR; il s’agit alors de réparations opportunes.
- Dans le cas de wagons qui ont une seule lecture de charge d’impact de 80 kips ou plus et une épaisseur mesurée de la jante de roue de 16/16 pouce ou moins, le système génère automatiquement une alarme. Le CCF du CN prendra alors les dispositions pour qu’il y ait des inspections et des essais au marteauNote de bas de page 10 en route, ainsi qu’un remplacement à l’occasion de la prochaine inspection autorisée des wagons, conformément à la règle 41 de l’AAR.
- Même si la règle 41 de l'AAR stipule que les essieux montés générant des charges d’impact mesurées entre 90 et 139 kips doivent être retirés dans tous les cas, le CN les traite comme des réparations opportunes et les essieux montés sont retirés lorsque le wagon est vide ou chargé au prochain emplacement où une inspection autorisée de wagons sera effectué.
1.9.2 Lignes directrices du Chemin de fer Canadien Pacifique sur les seuils des détecteurs de défauts de roues
À titre comparatif, les lignes directrices sur les DDR du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) exigent :
- qu’un wagon soit désigné comme étant avarié une fois vide, lorsque les charges d’impact mesurées sont de 90 kips ou plus. De là, le wagon peut se rendre jusqu’à sa destination, sans restrictions, et être réparé une fois déchargé;
- qu’un wagon soit immédiatement désigné comme étant avarié, lorsque les charges d’impact sont de 140 kips ou plus (mesurées) ou de 170 kips ou plusNote de bas de page 11 (calculées). En conséquence, la vitesse du train est réduite et le wagon est garé au prochain site désigné pour la réparation;
- qu’un wagon soit désigné comme étant avarié une fois au terminal, quand un modèle de prévision du CP détermine qu’un wagon désigné comme étant avarié une fois vide deviendra en route un wagon immédiatement désigné comme étant avarié. Le modèle de prévision permet au CP de cerner une charge d’impact mesurée par un DDR qui progresse vers 140 kips (mesurés) ou 170 kips (calculés). Une fois qu’un wagon est désigné comme étant avarié au terminal, la vitesse du train est réduite et le wagon est garé au prochain site désigné pour la réparation.
- dans le cas des charges d’impact calculées entre 90 et 110 kips, le CP a défini un certain nombre de seuils opportuns (OP1 à OP4). Le CP signale alors le wagon dans son système de gestion informatisé des wagons, sans le désigner comme étant avarié. Le wagon peut circuler jusqu'à sa destination, sans restrictions, et être réparé au moment où les activités d'exploitation le permettent. Toutefois, le wagon peut aussi être remis en service sans le remplacement préalable de l'essieu monté en cause.
1.10 Retraits de roues désignés par un détecteur de défauts de roues de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 à 2018
Le tableau 1 montre le nombre d’essieux montés que le CN a retirés du service avant une défaillance au Canada, de 2013 à 2018, conformément à sa politique sur les DDR.
Charge d’impact mesurée (maximale) | |||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|
Année | 80 à < 90 kips | 80 à < 90 kips et épaisseur de jante de 16/16 po ou moins | 90 à < 140 kips | 140 à < 150 kips | 150 à < 160 kips | 160+ kips (maximal) ou 200 kips (vitesse pondérée) | Total d’essieux montés retirés |
2013 | 2303 | 0 | 46 857 | 1089 | 560 | 442 | 51 251 |
2014 | 7626 | 0 | 54 833 | 1339 | 694 | 639 | 65 131 |
2015 | 7990 | 96 | 47 538 | 621 | 250 | 305 | 56 800 |
2016 | 11 132 | 76 | 41 005 | 311 | 138 | 122 | 52 784 |
2017 | 13 309 | 211 | 47 444 | 419 | 168 | 215 | 61 766 |
2018 | 12 102 | 294 | 57 522 | 427 | 219 | 189 | 70 753 |
Total | 54 462 | 677 | 295 199 | 4206 | 2029 | 1912 | 358 485 |
1.11 Roues rompues de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 à 2018
1.11.1 Roues rompues au Canada par mode de défaillance
Le tableau 2 montre le nombre de roues rompues que le CN a retirées du service au Canada, de 2013 à 2018, classées par principal mode de défaillance.
Année | Mode de défaillance | Total | |||
---|---|---|---|---|---|
Toile fissurée | Boudin rompu/écaillé | Jante éclatée | Jante fissurée à la verticale | ||
2013 | 2 | 15 | 2 | 51 | 70 |
2014 | 4 | 22 | 11 | 37 | 74 |
2015 | 6 | 7 | 1 | 25 | 39 |
2016 | 0 | 6 | 0 | 20 | 26 |
2017 | 0 | 9 | 2 | 18 | 29 |
2018 | 4 | 12 | 3 | 32 | 51 |
Total | 16 | 71 | 19 | 183 | 289 |
Parmi les 289 roues rompues retirées par le CN au Canada de 2013 à 2018,
- 183 (63 %) ont cédé à cause d’une jante fissurée à la verticale;
- 71 (24 %) ont cédé à cause d’un boudin brisé ou écaillé, la plupart étant des dommages mineurs;
- 19 (7 %) ont cédé à cause d’une jante éclatée;
- 16 (6 %) ont cédé à cause d’une toile de roue fissurée.
1.11.2 Détection des roues rompues
Depuis 2014, le CN documente la méthode de détection de chaque roue rompue. Avant 2014, la méthode de détection n’était pas toujours consignée ou connue. Le CN détecte les roues rompues de plusieurs manières, y compris :
- par un CCF lorsqu’un train « échappe à » un cantonNote de bas de page 12;
- par un déraillement;
- par le personnel des services de la mécanique sur une voie de réparation;
- par des inspections visuelles, qui comprennent une inspection par l’équipe de train, une inspection au défilé et inspection mécanique;
- par les SDV, qui comprennent les détecteurs de défauts de profil de roue (DDPR), les DDR et les détecteurs de pièces traînantes (DPT).
Afin d’effectuer diverses inspections visuelles des roues, le CN a mis en place un vaste réseau de DDR qui comprend plus de 25 emplacements de DDR ainsi que des emplacements de DDPR et de DPT.
Le tableau 3 montre le nombre de roues rompues que le CN a retirées du service au Canada, de 2013 à 2018, classées par méthode de détection.
Année | Inconnu | CCF | Déraillement | Voie de réparation* | SDV | Inspection visuelle | Total | ||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
DDPR | DPT | DDR | Équipe | Défilé | Mécanique | ||||||
2013 | 55 | 0 | 2 | 0 | 0 | 0 | 13 | 0 | 0 | 0 | 70 |
2014 | 0 | 2 | 4 | 1 | 1 | 0 | 10 | 1 | 3 | 52 | 74 |
2015 | 0 | 0 | 2 | 1 | 0 | 2 | 6 | 3 | 0 | 25 | 39 |
2016 | 0 | 0 | 2 | 1 | 0 | 0 | 7 | 1 | 0 | 15 | 26 |
2017 | 4 | 1 | 1 | 1 | 0 | 0 | 3 | 1 | 2 | 16 | 29 |
2018 | 7 | 0 | 4 | 4 | 0 | 1 | 6 | 2 | 4 | 23 | 51 |
Total | 66 | 3 | 15 | 8 | 1 | 3 | 45 | 8 | 9 | 131 | 289 |
* Voie de réparation : roue rompue constatée par le personnel des services de la mécanique sur une voie de réparation.
Parmi les 289 roues rompues retirées par le CN au Canada de 2013 à 2018 :
- 148 (51 %) ont été détectées par diverses méthodes d’inspection visuelle, dont
- 131 (45 %) par une inspection mécanique visuelle,
- 17 (6 %) par l’équipe de conduite ou par une inspection au défilé;
- 49 (17 %) ont d’abord été détectées par un SDV du CN, dont
- 45 (16 %) par un DDR ayant mesuré une charge d’impact excédant les lignes directrices des DDR du CN, dont 43 (96 %) étaient attribuables à une fissure verticale de la jante,
- 4 (1 %) par d’autres DDR automatisés;
- 11 (4 %) ont été détectées par le CCF ou sur une voie de réparation;
- 67 (23 %) ont été détectées, mais la méthode de détection n’a pas été consignée;
- 14 (5 %) ont causé un déraillement avant que la roue rompue ne soit détectée.
1.11.3 Roues rompues de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada ayant causé un déraillement
Le tableau 4 présente un sommaire des 15 cas de roue rompue au CN, incluant l’événement à l’étude, qui ont causé un déraillement au Canada, de 2013 à 2018.
Identification du wagon et position de la roue | Date de la défaillance | Point milliaire et subdivision | Type de roue | Année de fabri- cation | Défaut | Dernière date DDR | Charge d’impact sur la roue rompue (kips) | Nombre de wagons déraillés | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Maximale | Pondérée | ||||||||
CN 109650 – L3 | 2013-11-19 | 0,0 Edson | H36 | 2004 | Fissure verticale de la jante | 2013-11-17 | 43,71 | 44,16 | 1 |
AEQX 90036 – R3 | 2013-12-30 | 2,5 Albreda | CH36 | 2000 | Boudin rompu | 2013-12-29 | 68,97 | 69,63 | 1 |
CRDX 15109 – L3 | 2014-01-08 | 149,3 Napadogan | CH36 | 1991 | Jante éclatée | 2014-01-06 | 41,75 | 43,75 | 16 |
GATX 200505 – R3 | 2014-03-22 | 203,3 Kingston | H36 | 1993 | Fissure verticale de la jante | 2014-03-22 | 35,02 | 36,57 | 1 |
DLPX 17020 – L1 | 2014-04-06 | 143,6 Ft Frances | CH36 | 1998 | Fissure verticale de la jante | 2014-04-06 | 86,24 | 86,24 | 2 |
PTEX 21558 – R2 | 2014-09-15 | 121,6 Ashcroft | J36 | 1999 | Jante éclatée | 2014-09-14 | 58,1 | 61,23 | 1 |
BCOL 91092 – L3 | 2015-01-09 | 0,0 Matane | CJ33 | 2000 | Toile fissurée | 1 | |||
IC 295879 – R3 | 2015-01-31 | 22,0 Bala | CH36 | 1994 | Fissure verticale de la jante | 2015-01-31 | 71,45 | 75,16 | 2 |
DTTX 469967 – L1 | 2016-01-09 | 21,8 Redditt | CJ33 | 2012 | Fissure verticale de la jante | 2016-01-09 | 99,32 | 102,72 | 31* |
TAEX 2511 – L1 | 2016-02-07 | 125,2 Caramat | H36 | 2005 | Fissure verticale de la jante | 2016-02-07 | 51,75 | 54,91 | 1 |
FURX 850981 – L2 | 2017-12-31 | 79,0 Kashabowie | CH36 | 1995 | Jante éclatée | 2017-12-31 | 68,92 | 71,66 | 20 |
CN 598285 – L1 | 2018-01-02 | 216,0 Edson | CJ36 | 2015 | Toile fissurée | 2018-01-02 | 65,35 | 66,34 | 1 |
ATW 400515 – R4 | 2018-01-06 | 166,0 Redditt | H36 | 2008 | Fissure verticale de la jante | 2018-01-05 | 109,45 | 115,52 | 23 |
CNA 385872 – R2 | 2018-06-01 | 107,0 Wainwright | H36 | 1998 | Toile fissurée | 2018-05-22 | 52,18 | 62,50 | 13 |
TBOX 666650 – R4 | 2018-12-23 | 147,0 South Bend | H36 | 2011 | Toile fissurée | 2018-12-23 | 38,33 | 40,34 | 1 |
*Rapport d’enquête ferroviaire R16W0004 du BST.
Parmi les 15 cas de roue rompue au CN qui ont causé un déraillement, de 2013 à 2018 au Canada :
- 7 (47 %) ont été causés par une fissure verticale de la jante;
- 4 (27 %) ont été causés par une toile de roue fissurée;
- 3 (20 %) ont été causés par une jante éclatée;
- 1 (6 %) a été causé par un boudin rompu.
Seules 2 (13 %) des 15 roues rompues avaient enregistré des charges d’impact mesurées par un DDR supérieures à 90 kips (valeur critique de la règle 41 de l’AAR) avant le déraillement. Aucune des roues rompues n’avait enregistré de charge d’impact mesurée par un DDR excédant les lignes directrices du CN sur les alertes et alarmes de DDR pour wagons et qui aurait justifié une intervention immédiate par le CN.
1.12 Wagon ATW 400515
Le wagon ATW 400515 était un wagon-tombereau construit en 2007. Il mesurait 70 pieds 10 pouces de long et avait un poids brut sur rail maximal de 286 000 livres. Son poids à vide était de 73 600 livres et sa limite de charge était de 212 400 livres. Au moment de l’événement, le wagon chargé pesait 270 000 livres.
Le 12 octobre 2017, le wagon ATW 400515 a passé devant un DDPR du CN près de Toronto. Le tableau 5 présente les résultats du DDPR pour l’essieu monté no 4 du wagon ATW 400515.
Mesures | Roue L4 | Roue R4 |
---|---|---|
Hauteur du boudin (pouces) | 1,131 | 1,164 |
Épaisseur du boudin (pouces) | 1,235 | 1,225 |
Épaisseur de la jante (pouces) | 1,273 | 1,231 |
Creux de la table de roulement (mm) | 0,000 | 0,000 |
Mesure dos à dos (pouces) | 53,076 | 53,076 |
Toutes les mesures étaient conformes aux normes requises.
Le tableau 6 présente un sommaire des données de DDR enregistrées pour la roue R4 du wagon ATW 400515, du 6 décembre 2017 au 6 janvier 2018. Durant cette période, le wagon ATW 400515 a été évalué par un DDR à 18 reprises. Ce wagon était vide jusqu’au 2 janvier 2018; durant cette période, aucune lecture supérieure à 80 kips n’a été enregistrée pour la roue R4. Après que le wagon eut été chargé, il a traversé des emplacements de DDR du CN à 10 reprises du 2 janvier 2018 au 6 janvier 2018 et a enregistré des valeurs maximales excédant 90 kips à 5 reprises. Conformément à ses lignes directrices sur les DDR, le CN a signalé l’essieu monté dans son système; cette roue aurait été remplacée à l’inspection autorisée de wagons suivante, nonobstant l’état du wagon (chargé ou vide).
Emplacement de DDR | Point milliaire et subdivision | Date | Vitesse (mi/h) | Chargé (C) Vide (V) | DDR maximal (kips) | DDR vitesse pondérée (kips) |
---|---|---|---|---|---|---|
Watson, IL (É.-U.) | 206,1 Champaign | 2017-12-06 | 45,2 | V | 27,4 | 28,8 |
Torrence, IL (É.-U.) | 29,1 Matteson | 2017-12-07 | 30,3 | V | 25,1 | 28,8 |
Wakelee, MI (É.-U.) | 133,3 South Bend | 2017-12-07 | 46,4 | V | 28,6 | 29,8 |
Aldershot (ON) | 33,0 Oakville | 2017-12-08 | 32,2 | V | 29,3 | 33,5 |
Clarke (ON) | 290,5 Kingston | 2017-12-10 | 36,3 | V | 25,2 | 27,9 |
Les Cèdres (QC) | 29,2 Kingston | 2017-12-10 | 36,8 | V | 33,6 | 37,5 |
Bagot (QC) | 117,2 Drummondville | 2017-12-10 | 43,1 | V | 33,6 | 36 |
Alward (N.-B.) | 26,8 Napadogan | 2017-12-11 | 52,3 | V | 36,2 | 36,2 |
Alward (N.-B.) | 26,8 Napadogan | 2018-01-02 | 50,1 | C | 82,1 | 82,1 |
Bagot (QC) | 117,2 Drummondville | 2018-01-03 | 45,1 | C | 73,3 | 76,2 |
Les Cèdres (QC) | 29,2 Kingston | 2018-01-03 | 34,4 | C | 73,6 | 80,8 |
Clarke (ON) | 290,5 Kingston | 2018-01-03 | 33,6 | C | 86,3 | 96,2 |
Vandorf (ON) | 48,5 Bala | 2018-01-04 | 56,3 | C | 99,5 | 99,5 |
Suez (ON) | 270,6 Bala | 2018-01-04 | 36,7 | C | 92,5 | 101,7 |
Elsas (ON) | 183,4 Ruel | 2018-01-05 | 39,3 | C | 93,3 | 101,3 |
Hornepayne (ON) | 6,8 Caramat | 2018-01-05 | 34,8 | C | 76,7 | 84,3 |
Auden (ON) | 186,9 Caramat | 2018-01-05 | 44,9 | C | 90,7 | 95,1 |
Hudson (ON) | 10,8 Redditt | 2018-01-05 Heure :20 h 40 | 44,5 | C | 109 | 115,5 |
L’emplacement de DDR du CN au point milliaire 10,8 de la subdivision de Redditt (Hudson) a enregistré une valeur maximale de 109 kips pour la roue R4 du wagon ATW 400515 environ 4,5 heures avant l’accident.
1.13 Examen détaillé de la roue R4 rompue du wagon ATW 400515
La roue R4 rompue du wagon ATW 400515 était une roue à profilage unique en acier à faible contrainte de tension et à toile courbe de catégorie C fabriquée par Standard Steel en février 2008. La roue a été montée sur l’essieu au cours du même mois par American Allied à son atelier de roues à Washington (Illinois). Le tableau 7 présente les renseignements pertinents sur cet essieu monté.
Renseignement | Roue R4 (rompue) | Roue L4 (accouplée) |
---|---|---|
Fabricant | Standard Steel | Standard Steel |
Date de fabrication | Février 2008 | Février 2008 |
Numéro de série | 10910 | 10694 |
Type | H36 | H36 |
Catégorie | C | C |
Date de montage | 02 ARX 08 W | 02 ARX 08 W |
Épaisseur de la bande | 16/16 po | 17/16 po |
Usure du boudin | WF 7 | WF 0 |
Hauteur du boudin | 1 31/64 po | 1 7/16 po |
Plaque-frein de chapeau | PRXJ PRS – L R 04/13 | PRXJ PRS – L R 04/13 |
Type de palier | Timken 6½ × 9 (les deux) | Timken 6½ × 9 (les deux) |
Des paliers remis à neuf ont été installés sur l’essieu monté en avril 2013. Pour satisfaire aux exigences du profil de roue remise à neuf, les roues auraient été retournées, et leur table de roulement aurait fait l’objet d’essais aux ultrasons avant que les paliers remis à neuf soient mis en place.
Un examen visuel de la roue R4 a révélé ce qui suit :
- La première rupture de roue a été causée par une fissure verticale de la jante.
- La partie en saillie non supportée de la jante de roue a cédé par fragilisation, causant une rupture décisive sur toute la circonférence de la roue (111 pouces). Le point le plus large de la jante rompue mesurait 2 pouces. Aucune partie en saillie séparée de la jante de roue n’a été retrouvée.
- La jante, qui s’était fissurée verticalement, présentait des fissures de fragilisation circulaires s’étendant progressivement à la verticale sur la surface de rupture de la face de la jante. Ces fissures se sont propagées en directions opposées sur la circonférence à partir du point d’origine, pour atteindre une longueur hors tout de 68 pouces (figure 7).
Les surfaces de rupture de la jante de la roue R4 présentaient des dommages mécaniques causés par le contact avec le rail nord, ainsi que plusieurs zones de rupture progressive sur toute sa circonférence.
- Les principales ruptures ont compromis 3 morceaux contigus de la partie en saillie non supportée de la jante et de la table de roulement; ces morceaux mesuraient 14 pouces, 6 pouces et 13 pouces respectivement. De l’oxydation était visible sur les morceaux de 13 pouces et de 14 pouces, ce qui indiquait que certaines parties des ruptures existaient depuis un certain temps avant la rupture définitive.
- Les ruptures s’étendaient dans la toile de roue et ont causé la séparation des 3 morceaux. Le morceau de la jante et de la table de roulement de 6 pouces n’a pas été récupéré. En examinant les modes de propagation visibles sur la surface de rupture, on a pu déterminer que le morceau de table de roulement de 6 pouces manquant était probablement le point d’origine de la fissure verticale de la jante.
- Les ruptures fragiles, qui se caractérisent par un motif en chevrons, s’étendaient depuis les extrémités de la fissure verticale de la jante; elles mesuraient 3 pouces et 27 pouces, en circonférence.
- Il y avait une zone de défaillance définitive qui mesurait 13 pouces en circonférence.
1.14 Essais aux ultrasons des tables de roulement
L’AAR stipule que les roues neuves et reprofilées doivent faire l’objet d’essais aux ultrasons avant d’être mises en service.
Dans le cas de roues neuves fabriquées pour le service en Amérique du Nord, la spécification M-107/208 (Wheels, Carbon SteelNote de bas de page 13) de l’AAR donne un aperçu du processus d’essai aux ultrasons auquel doivent adhérer les fabricants de roues. Ce processus exige un balayage axial et radial des tables de roulement et des faces de jante pour détecter toute fissure avant la remise en service des roues. Un balayage axial couvre l’avant et l’arrière de la face de la jante, tandis que le balayage radial couvre la table de roulement. Les roues qui ne satisfont pas aux exigences d’un essai aux ultrasons doivent être mises au rebut.
Dans le cas de roues reprofilées, d’après la pratique recommandée 631 de l’AAR (RP-631Note de bas de page 14), les ateliers de roues en Amérique du Nord approuvés par l’AAR doivent soumettre toutes les roues ferroviaires reprofilées à un essai aux ultrasons avant leur remise en service. Toutefois, la RP-631 exige uniquement un balayage radial des tables de roulement pour y déceler des fissures; l’AAR n’a aucune exigence relative au balayage axial aux ultrasons de l’avant et de l’arrière de la face de la jante des roues reprofilées.
1.15 Technologies émergentes pour détecter les roues fissurées
Les recherches actuelles de l’AAR indiquent qu’environ 74 % des roues rompues font l’objet d’une défaillance en service sans même atteindre les valeurs limites des DDRNote de bas de page 15. Depuis 2013, les DDR et inspections visuelles du CN (par des équipes, au défilé et mécaniques) ont permis de détecter 193 roues rompues avant leur défaillance. Toutefois, des roues qui comportent des défauts qui pourraient être indétectables par un SDV ou par une inspection visuelle continuent d’atteindre le stade de défaillance et de causer des déraillements avant qu’elles soient cernées et retirées du service. Par conséquent, l’industrie ferroviaire fait des recherches sur d’autres technologies qui pourraient détecter des fissures émergentes sous la surface des roues.
Ces technologies émergentes comprennent :
- le système automatisé de détection de roue fissurée;
- le système WILDCaRD;
- les tendances des impacts de roues.
1.15.1 Système automatisé de détection de roue fissurée
Le TTCI de l’AAR collabore avec la Nanjing Tycho Information Technology Company Ltd. (Tycho) pour surveiller et évaluer la performance d’un système automatisé de détection de roue fissuréeNote de bas de page 16, Note de bas de page 17. Ce système comprend un système de détection aux ultrasons en voie pour déceler les fissures internes dans les tables de roulement de roue. Le système Tycho est installé en voie à un endroit fixe où les trains sont limités à une vitesse maximale de 15 mi/h.
Ce système se compose d’une fondation, de voies, de sondes ultrasonores, d’un circuit de distribution et de recirculation d’eau de couplage, de composants en bordure de voie, de caméras et d’une unité centrale hébergée dans un bâtiment de contrôle à proximité. Ce système incorpore les essais aux ultrasons et un liquide de couplage qui est vaporisé sur la table de roulement et la face extérieure de la jante pendant que des sondes balaient ces surfaces. Des sondes ultrasonores à ressort sont disposées en lignes entre les rails et contre-rails. La voie comprend un segment de voie large pour permettre le contact entre la table de roulement et les sondes. Les contre-rails effleurent le dos des roues et gardent les essieux centrés sur la voie pendant que les roues roulent sur le bord extérieur de la table de roulement.
Il y a en tout 720 sondes ultrasonores fonctionnant à une fréquence de 2,5 MHz : 480 sondes installées à un angle de 0°, et 240 sondes, à un angle de 70°. Les sondes ultrasonores qui pointent directement vers la table de roulement (0°) détectent les fissures en circonférence qui sont parallèles à la table de roulement; les sondes inclinées à 70° détectent les fissures perpendiculaires à la table de roulement dans le sens radial. Les sondes sont reliées à un ordinateur central qui analyse les signaux ultrasonores. Ce système a montré qu’il peut détecter la formation d’une fissure verticale de la jante et une jante qui risque d’éclater sur des roues qui comportent des fissures peu profondes sous la surface. Toutefois, des défis persistent concernant le système de maintenance et d’entretien d’eau de couplage au site d’installation. Notamment, après l’application du liquide de couplage, chaque roue emporte une petite quantité de ce liquide. Des débris et de la poudrerie peuvent aussi causer des problèmes en bloquant les drains du système. Quoique la fiabilité de ce système s’améliore, les chemins de fer nord-américains ne l’ont pas encore mis en œuvre à grande échelle.
1.15.2 Système WILDCaRD
Le système WILDCaRD est une amélioration au système de DDR qui fait l’objet d’essais à l’heure actuelle. Plusieurs roues ayant une fissure verticale de la jante présentent des dommages près du bord de la table de roulement, du côté extérieur de la roue. Les DDR ne font pas un balayage complet de cette partie de la roue, car ils sont habituellement installés sur une voie en alignement droit et ils mesurent les impacts de roues vers le centre (tapelineNote de bas de page 18) de la table de roulementNote de bas de page 19.
Pour réaliser ces essais, on installe un second DDR dans une courbe au-delà d’une installation habituelle de DDR sur une voie en alignement droit. Les sondes des DDR sont fixées au rail bas de la courbe, ce qui permet le balayage du côté extérieur de la table de roulement lorsqu’elle passe sur le rail bas de la courbe (figure 8).
Les charges d’impact mesurées par le DDR sur la voie en alignement et par le DDR installé dans la courbe sont comparées. Si l’on constate d’importantes différences entre elles, cela indique habituellement des roues endommagées sur ou près du bord de leur table de roulement, du côté extérieur de la roue. L’un des défis d’installation de ce système consiste à trouver des courbes qui permettent des vitesses relativement élevées et une courbure de plus de 7°.
La compagnie de chemin de fer BNSF a mené des essais avec un concept semblable. Par contre, au lieu d’installer des DDR dans les courbes, BNSF installe des DDR additionnels sur une voie en alignement droit intentionnellement large. Cette installation permet une évaluation plus efficace des charges d’impact élevées sur le bord de la table de roulement du côté extérieur de la roueNote de bas de page 20.
1.15.3 Tendances des impacts de roues
Une autre méthode pour détecter les roues fissurées fait partie d’une initiative de recherche stratégique de l’AAR que mène le TTCI. Dans le cadre de cette étude, on évalue les modèles des tendances de plusieurs passages sur des DDR par les mêmes roues, à partir de données fournies par BNSF et le chemin de fer Union Pacific. On détermine les tendances à partir d’un contrôle des roues pour lesquelles on a mesuré un impact supérieur à 90 kips. Une fois que l’on a cerné un essieu monté « suspect », on effectue une analyse des tendances.
Une analyse détermine s’il y a un bond soudain et considérable de la charge verticale dynamique mesurée par le DDR pour une même roue. On compare alors cette augmentation de la charge de roue avec des lectures des 3 emplacements de DDR précédents que la roue a traversés. Le système transmet des alertes en fonction de l’ampleur de l’augmentation soudaine de la charge d’impact dynamique et de sa durée. On peut ensuite mettre en place des règles pour retirer ces roues du service.
Une autre analyse des tendances évalue « l’écart dynamique » entre les roues. La méthode d’écart dynamique examine les écarts dans les charges d’impact entre 2 roues sur le même essieu lors du franchissement des 6 derniers DDR consécutifs. On détermine une ligne de tendance typique d’un essieu monté en bon état, et l’on calcule des lignes de tendance subséquentes pour chaque essieu monté pour montrer les variances dans les charges dynamiques entre les 2 roues. Si une ligne de tendance dépasse un seuil déterminé, une alarme signale que cet essieu monté doit être retiré du serviceNote de bas de page 21.
Ces approches se servent de renseignements déjà consignés par une compagnie de chemin de fer et pourraient offrir un niveau de sécurité supplémentaire en cernant les roues suspectes d’après plusieurs passages devant des DDR, en plus du critère existant d’une seule valeur maximale d’impact.
1.16 Déraillements précédents attribuables à des charges d’impact de roues
L’acier des rails est reconnu pour sa robustesse et sa ductilité réduites à basse température, surtout si un défaut du rail agit comme concentrateur de contraintes. L’industrie reconnaît aussi que les roues qui produisent des charges d’impact élevées peuvent endommager le matériel (roues, essieux, roulements et fusées) et l’infrastructure de la voie, provoquant principalement des ruptures de rail.
Le BST a effectué un suivi détaillé sur 8 événements (y compris le présent déraillement) causés par des ruptures de roue ou de rail résultant de charges d’impact de roues (annexe A). Dans tous ces événements, un DDR du chemin de fer avait détecté des wagons dont les charges d’impact enregistrées étaient supérieures au seuil de retrait des roues établi par l’AAR (90 kips), mais inférieures au seuil du DDR ou de retrait des essieux montés du chemin de fer. Les roues présentaient une fissure verticale de la jante dans 6 de ces 8 événements.
2.0 Analyse
Le train circulait conformément à la réglementation et aux directives de l’entreprise. Dans les environs du déraillement, aucun défaut de voie n’a pu être considéré comme une cause ou un facteur contributif de l’événement à l’étude. Par conséquent, l’analyse portera sur la roue R4 rompue du wagon-tombereau ATW 400515, les seuils des détecteurs de défauts de roues (DDR), la capacité des DDR de détecter des fissures verticales de la jante émergentes, les recherches sur la détection des roues fissurées, et les essais aux ultrasons en atelier des roues reprofilées.
2.1 L’accident
Le déraillement s’est produit lorsque la roue R4 du wagon ATW 400515 a fini par céder à cause d’une fissure verticale de la jante qui se formait depuis un certain temps. La rupture par fissure verticale de la jante s’est propagée sur la circonférence de la roue, en directions opposées à partir du point d’origine, pour atteindre une longueur de 68 pouces. La partie en saillie non supportée de la jante de roue s’est séparée de la roue, et la roue est tombée du côté intérieur du rail nord au point milliaire 166,33.
La roue s’est déplacée au sol sur une distance d’environ 800 pieds jusqu’à ce que d’autres morceaux de la jante ou de la table de roulement se séparent de la roue; le wagon ATW 400515 s’est alors immobilisé au point milliaire 166,48, et les 22 wagons suivants ont déraillé. L’enquête n’a pas permis de déterminer la source de la fissure verticale de la jante étant donné les dommages mécaniques subis par la roue durant le déraillement. Un morceau de jante ou de la table de roulement d’une longueur de 6 pouces, qui n’a pas été retrouvé, a probablement été à l’origine de la fissure.
2.2 Roue R4 rompue du wagon ATW 400515
Les attributs dimensionnels de la roue R4 du wagon ATW 400515 étaient en deçà des limites d’usure de l’Association of American Railroads (AAR), et aucune anomalie n’a été relevée sur le wagon au cours d’inspections mécaniques ou visuelles par l’équipe durant la composition du train ou pendant qu’il était en route.
D’après l’article A.1 de la règle 41 du 2018 Field Manual of the AAR Interchange Rules (règle 41), toute roue générant des charges d’impact de plus de 90 kips mesurées par un DDR doit être retirée dans tous les cas. Par contre, cette règle ne stipule pas le retrait immédiat du service de cet essieu monté. Au contraire, les lignes directrices sur les DDR de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) exigent que les wagons de marchandises qui génèrent des charges d’impact maximales de 90 à 140 kips mesurées par un DDR soient garés au prochain lieu d’inspection autorisée des wagons. Les règles du CN exigent qu’un wagon soit immédiatement garé que si une roue génère une charge d’impact de 160 kips ou plus mesurée par un DDR.
Du 6 décembre 2017 au 6 janvier 2018, le wagon ATW 400515 a été évalué à 18 reprises par un DDR du CN. Aucun impact de charge supérieur à 80 kips n’a été mesuré pour la roue R4 avant le 2 janvier 2018, lorsque le wagon était vide. Le wagon a été chargé le 2 janvier 2018, 4 jours avant l’événement à l’étude. Au cours des 2 jours qui ont précédé le déraillement, des DDR ont mesuré 5 impacts de la roue R4 du wagon ATW 400515 qui dépassaient la valeur critique de 90 kips d’après la règle 41 de l’AAR. Or, les lignes directrices du CN sur les DDR permettaient que le wagon poursuive son chemin jusqu’au lieu d’inspection autorisée des wagons suivant.
Par conséquent, la roue est demeurée en service et s’est rompue environ 4,5 heures après que l’emplacement de DDR du CN situé au point milliaire 10,9 de la subdivision de Reddit a mesuré une charge d’impact maximale de 109 kips.
Comme le montre la présente enquête ainsi que des enquêtes précédentes du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) (annexe A), certaines roues qui ont subi des impacts supérieurs à la valeur maximale d’après la règle 41 de l’AAR se sont rapidement rompues à cause d’un défaut passé inaperçu.
2.3 Limites des détecteurs de défauts de roues
Des liens de causalité sont depuis longtemps établis entre des charges d’impact de roues élevées et les bris de roue, et les discussions sur la technologie des DDR portent principalement sur le seuil de retrait à établir. Selon la règle 41 de l’AAR, une roue produisant une charge d’impact mesurée (réelle) de 90 kips (ou plus) doit être retirée en tout temps, et une roue produisant une charge d’impact mesurée de 80 kips à moins de 90 kips se situe à un seuil critique lorsque le wagon se trouve dans un atelier ou sur une voie de réparation pour une raison quelconque. Des analyses techniques appuient les seuils prescrits par l’AAR; ces analyses montrent la pertinence de ces seuils pour limiter les dommages causés au matériel roulant et à l’infrastructure de la voie.
Or, au Canada, les seuils des DDR et les protocoles de retrait des roues varient d’un chemin de fer à l’autre. Les seuils maximums des DDR des chemins de fer qui exigent le garage immédiat d’un wagon et le retrait d’un essieu monté peuvent être jusqu’à 60 % plus élevés que le seuil critique de 90 kips d’après la règle 41 de l’AAR. Les chemins de fer ont établi les seuils des DDR selon les pratiques exemplaires de l’industrie en fonction des besoins opérationnels, plutôt qu’en fonction d’une analyse technique, afin de faciliter la gestion des roues retirées en raison de charges d’impact mesurées par les DDR.
Le Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés approuvé par Transports Canada (TC) exige des compagnies ferroviaires qu’elles inspectent tout palier d’un train clé qu’un détecteur de paliers en voie signale comme étant défectueux, mais le Règlement concernant l’inspection et la sécurité des wagons de marchandises approuvé par TC ne comprend aucune exigence sur le retrait des roues en raison de charges d’impact élevées. Ni le Canada ni les États-Unis n’ont d’exigences réglementaires ou de lignes directrices sur l’utilisation des systèmes de détection en voie (SDV), y compris les systèmes de DDR. Par conséquent, l’emplacement des DDR, la distance entre ceux-ci et les seuils exigeant une intervention diffèrent d’un chemin de fer à un autre.
2.4 Capacité des détecteurs de défauts de roues de cerner les fissures verticales de la jante émergentes
Les systèmes de sécurité efficaces comprennent habituellement des mécanismes de défense approfondis qui incluent plusieurs couches. La conception et l’installation des systèmes de DDR constituent avant tout une initiative mise en œuvre par l’industrie. Ces systèmes offrent un niveau de sécurité supplémentaire et s’ajoutent aux inspections visuelles des trains effectuées par le personnel des chemins de fer. En tant qu’outils de prévention, les DDR identifient les roues produisant des charges d’impact élevées pour qu’elles soient remplacées avant qu’elles ne causent des dommages à l’infrastructure de la voie ou au matériel roulant.
Le CN possède l’un des réseaux de DDR les plus complets en Amérique du Nord. De 2013 à 2018, au Canada, le CN a retiré 358 485 essieux montés (soit une moyenne d’environ 60 000 par année) selon ses propres valeurs critiques des DDR et celles de la règle 41 de l’AAR. La grande quantité d’essieux montés retirés du service ne laisse aucun doute que beaucoup de roues à risque ont été retirées avant leur défaillance. Malgré d’importantes améliorations au chapitre de la détection et de l’inspection, les roues continuent de se rompre en service, ce qui occasionne parfois des déraillements.
Le type de défaillance de roue le plus courant est attribuable à une fissure verticale de la jante. De 2013 à 2018, le CN a enregistré 289 roues rompues au Canada. De ce nombre :
- 183 (63 %) étaient attribuables à une fissure verticale de la jante;
- 45 (16 %) ont été détectées par un DDR avant leur défaillance; parmi celles-ci :
- 43 (96 %) étaient des ruptures par fissure verticale de la jante;
- 14 (5 %) ont causé un déraillement avant que la défaillance de la roue ne soit détectée; de ce nombre :
- 7 (50 %) ont été causées par une fissure verticale de la jante;
- seulement 2 DDR ont détecté des charges d’impact excédant la valeur maximale de 90 kips établie par la règle 41 de l’AAR avant une défaillance;
- aucune n’a détecté de charge d’impact excédant les lignes directrices du CN sur les alertes et alarmes de DDR pour wagons et qui aurait justifié une intervention immédiate par le CN.
Les recherches de l’AAR indiquent que jusqu’à 74 % des roues rompues font l’objet d’une défaillance en service sans même atteindre les valeurs limites des DDR. Parmi les 183 roues rompues du CN, 43 étaient attribuables à une fissure verticale de la jante, détectée au départ par un DDR ayant enregistré une charge d’impact supérieure à 90 kips; les 140 autres roues avaient le même défaut qui a évolué jusqu’à la rupture. Ces défauts ont été détectés par d’autres méthodes ou ont causé un déraillement avant d’être détectés par un DDR. Il peut arriver que la table de roulement d’une roue ayant une fissure verticale de la jante qui se forme ne présente pas de dommage important, mais certaines roues peuvent rompre rapidement entre les emplacements de DDR.
2.4.1 Système automatisé de détection de roue fissurée
Les ruptures de roue sont avant tout causées par des fissures sous la surface qui entraînent les 2 principaux types de rupture : une fissure verticale de la jante et l’éclatement de la jante.
Le Transportation Technology Center, Inc. (TTCI) de l’AAR cherche à mettre au point un système automatisé de détection de roue fissurée. Il s’agit d’un système d’essais aux ultrasons en voie qui inspecte les tables de roulement pour détecter toute fissure interne. Il est installé en voie à un endroit fixe où les trains sont limités à une vitesse maximale de 15 mi/h. Des essais du système automatisé de détection de roue fissurée pour détecter la formation de fissures verticales de la jante et l’éclatement imminent de la jante ont été fructueux, et la fiabilité de ce système s’améliore. Toutefois, il n’a pas été mis en place à grande échelle en Amérique du Nord, et il se peut qu’il doive être protégé contre les éléments par un abri qui pourrait se trouver à l’extérieur d’un important triage où la vitesse maximale permise est de 15 mi/h.
2.4.2 Système WILDCaRD
Plusieurs roues ayant une fissure verticale de la jante présentent des dommages près du bord de la table de roulement, du côté extérieur de la roue. Les DDR ne font pas un balayage complet de cette partie de la roue, car ils sont habituellement installés sur une voie en alignement droit et ils mesurent les impacts de roues vers le centre de la table de roulement (tapeline). Des DDR additionnels installés dans des courbes ou sur des voies intentionnellement larges pourraient permettre un balayage plus efficace du bord de la table de roulement, du côté extérieur de la roue.
2.4.3 Analyse des tendances des impacts de roues
Dans l’événement à l’étude, au cours d’une période de 3 jours, des DDR ont mesuré 5 impacts de la roue R4 du wagon ATW 400515 qui dépassaient la valeur critique de 90 kips d’après la règle 41 de l’AAR, mais qui étaient en deçà des lignes directrices du CN sur les DDR qui exigent le retrait immédiat de l’essieu monté. Lorsque des DDR mesurent de multiples charges d’impact élevées d’une roue donnée, une analyse approfondie des tendances de données de DDR pourrait procurer un niveau de sécurité supplémentaire en cernant les roues suspectes d’après plusieurs passages devant des DDR, en plus de cerner une seule valeur maximale d’impact.
Ainsi, malgré la mise en œuvre à grande échelle de SDV par l’industrie ferroviaire au fil des ans, les recherches sur la détection des fissures verticales de la jante émergentes avant qu’elles n’entraînent la rupture de roue se poursuivent. Sans la mise en œuvre d’autres améliorations pour détecter les roues fissurées et ainsi renforcer la technologie des DDR, il y a un risque persistant qu’une roue avec une fissure verticale de la jante émergente passe inaperçue et ne soit pas retirée avant sa rupture.
2.5 Essais aux ultrasons de roues reprofilées aux ateliers de roues
L’AAR stipule que toutes les roues, neuves et reprofilées, doivent être testées aux ultrasons avant leur mise en service.
Dans le cas de roues neuves, la table de roulement et la face de la jante de toutes les roues doivent être testées aux ultrasons pour détecter les fissures, soit un balayage axial, qui couvre l’avant et l’arrière de la face de la jante de roue, et un balayage radial, qui couvre la table de roulement de la roue. Toutes les roues qui ne satisfont pas aux exigences d’un essai aux ultrasons doivent être mises au rebut.
L’AAR exige en outre que les ateliers de roues en Amérique du Nord soumettent toutes les roues ferroviaires reprofilées à un essai aux ultrasons avant leur remise en service. Toutefois, seules les tables de roulement des roues font l’objet d’essais aux ultrasons, soit un balayage radial pour détecter les fissures. L’AAR n’a aucune exigence selon laquelle les ateliers de roues doivent faire des essais aux ultrasons de la face de la jante des roues reprofilées.
L’éclatement d’une jante est habituellement attribuable à un défaut de fabrication engendrant une fissure qui se propage horizontalement dans un plan parallèle à la table de roulement, atteint la surface de roulement et casse sous l’effet du défibrage ou de l’écaillage de la table de roulement. Pour prévenir les défauts qui entraînent l’éclatement de la jante dans les roues reprofilées, l’AAR exige que les ateliers de roues des chemins de fer adoptent les essais aux ultrasons de la table de roulement des roues reprofilées.
Depuis cette mise en œuvre, les fissures verticales de la jante se sont avérées être la principale cause de ruptures de roue dans l’industrie ferroviaire. Une fissure verticale de la jante résulte souvent d’un état de la surface de la table de roulement, comme la formation de criques, l’écaillage et le défibrage, et est habituellement perpendiculaire à la table de roulement, c’est-à-dire parallèle à la jante de roue. Toutefois, l’AAR n’a aucune exigence selon laquelle les ateliers de roues doivent faire des essais aux ultrasons de la face de la jante des roues reprofilées, comme c’est le cas pour les roues neuves.
Ainsi, pour éviter la mise en service de roues comportant des défauts internes, l’AAR exige que toutes les roues, neuves et reprofilées, soient soumises à des essais aux ultrasons. Quoique les nouvelles roues doivent subir un balayage axial (jantes) et radial (tables de roulement), rien n’exige un balayage axial de la face de la jante des roues reprofilées. Si les ateliers de roues ne font aucun balayage axial aux ultrasons après le reprofilage d’une roue, des roues ayant une fissure verticale de la jante pourraient être remises en service, ce qui accroît le risque de déraillement en raison d’une roue rompue.