Déraillement en voie principale et déversement de marchandises dangereuses
Chemin de fer Canadien Pacifique
Train de marchandises 469-01
Point milliaire 17,88 de la subdivision d’Aldersyde
Barons (Alberta)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
L’événement
Le 2 septembre 2019, une équipe de conduite du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) a été commandée pour 2 hNote de bas de page 1 au triage Alyth du CP situé à Calgary (Alberta), pour le train 469-01. Le train devait circuler vers le sud à partir de Calgary jusqu’à Lethbridge (Alberta), dans la subdivision d’Aldersyde du CP. Les membres de l’équipe de train étaient qualifiés pour leurs postes respectifs, satisfaisaient aux exigences en matière de repos et d’aptitude au travail, et connaissaient bien la subdivision.
Le train 469-01 était configuré en traction répartieNote de bas de page 2 avec 3 locomotives (2 en tête de train et 1, télécommandée, en queue de train). Il comprenait 96 wagons de marchandises (67 wagons chargés, 25 wagons vides et quatre wagons de résidus), pesait environ 9775 tonnes et mesurait environ 6070 pieds de long.
Le train, désigné comme un train cléNote de bas de page 3, a quitté le triage Alyth vers 5 h, transportant des chargements d’ammoniac anhydre, d’octanes, d’huile de canola, d’asphalte, de carburant diesel et de gaz de pétrole liquéfié, ainsi que divers wagons vides et wagons de résidus.
À 7 h 43, alors que le train roulait à 40 mi/h, il y a eu un freinage d’urgence provenant de la conduite générale au point milliaire 17,8, à environ 4 kilomètres au sud du village de Barons (Alberta). Une fois le train immobilisé, l’équipage l’a inspecté et a déterminé que la 2e locomotive de tête et les 21 wagons suivants, dont 11 wagons-citernes, avaient déraillé. Il était également évident que plusieurs wagons-citernes contenant des marchandises dangereuses (MD) fuyaient.
À 10 h 50, la circulation routière a été détournée autour de la zone de l’événement, et un ordre d’évacuation a été donné pour les collectivités situées dans un rayon de 2 kilomètres du lieu du déraillement (figure 1). L’ordre incluait la région du lac Keho, son terrain de golf et son terrain de camping, d’où environ 400 personnes ont été évacuées, ainsi que 6 maisons, d’où 12 résidents ont été évacués. Le village de Barons se trouvait à l’extérieur de la zone d’évacuation et a reçu un avis d’évacuation par mesure de précaution. L’ordre d’évacuation a été levé vers 16 h après que l’on eut jugé que le site était sécuritaire.
On n’a signalé aucun blessé ni incendie. Le temps était clair avec une visibilité illimitée, et la température ambiante était d’environ 13,5 °C.
Examen des lieux et renseignements sur le matériel roulant
Le lieu du déraillement était situé juste à côté de la route 23, dans une zone rurale située entre Barons et Nobleford (Alberta). Le matériel roulant déraillé s’est réparti des deux côtés de la voie (figure 2). Le lieu du déraillement a été sécurisé, et tous les points d’accès au site ont été contrôlés.
Le point de déraillement se trouvait au point milliaire 17,88 de la subdivision d’Aldersyde, sur une section de voie en alignement située à environ 500 pieds au nord du passage à niveau pour le chemin de canton 120 (point milliaire 17,79). Quelque 600 pieds de voie ont été endommagés ou détruits. La locomotive de tête (CP 8744), qui n’a pas déraillé, s’est immobilisée à environ 25 pieds au nord du passage à niveau. La 2e locomotive (CP 8048) est demeurée attelée à la 1re, mais toutes les roues du bogie arrière avaient déraillé, faisant que la caisse de la locomotive penchait vers le côté est de la voie. Les 2 premiers wagons qui ont déraillé, un wagon plat à parois de bout vide et un wagon-citerne chargé, étaient restés attelés à la 2e locomotive et penchaient vers l’est. Le reste des 21 wagons qui ont déraillé se sont renversés sur le côté et se sont mis en portefeuille. Ils sont restés dans une zone relativement petite. De ces 21 wagons, 11 étaient des wagons-citernes chargés, dont 10 contenaient des marchandises dangereuses (tableau 1). Les 75 autres wagons du train et la locomotive télécommandée de queue n’ont pas déraillé.
Position dans le train | Identification du matériel | Conception de la voiture-citerne | Longueur (pieds) | Poids brut (tonnes) | Poids du chargement (tonnes) | Présence de MD | Volume de MD (litres) | MD déversées (litres) | Code de danger, classe et nom d’expédition |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
4 | PROX 105049 | DOT-112 (112J500I) |
67 | 130 | 76,4 | O | S.O. | S.O. | UN 1005, classe 2.3, ammoniac anhydre |
5 | ITWX 33020 | DOT-112 (112J340W) |
69 | 130 | 79,2 | O | S.O. | S.O. | UN 1005, classe 2.3, ammoniac anhydre |
6 | PROX 105560 | DOT-112 (112J500I) |
67 | 130 | 76,2 | O | S.O. | S.O. | UN 1005, classe 2.3, ammoniac anhydre |
8 | PROX 47327 | DOT-111 (111S100W) |
59 | 130 | 77,1 | O | 107 374 | 85 610 | UN 1262, classe 3, octanes |
9 | PROX 47315 | DOT-111 (111S100W) |
59 | 130 | 77,1 | O | 106 098 | 1 293 | UN 1262, classe 3, octanes |
10 | PROX 45505 | DOT-111 (111S100W) |
59 | 130 | 77,1 | O | S.O. | S.O. | UN 1262, classe 3, octanes |
11 | PROX 47278 | DOT-111 (111S100W) |
59 | 130 | 77,1 | O | 106 104 | 52 587 | UN 1262, classe 3, octanes |
12 | PROX 47132 | DOT-111 (111S100W) |
59 | 130 | 77,1 | O | S.O. | S.O. | UN 1262, classe 3, octanes |
13 | UTLX 667442 | AAR 211 (111A100W) |
60 | 130 | 93,3 | N | S.O. | S.O. | S.O. (marchandises non dangereuses), huile de canola |
22 | UTLX 662498 | DOT-111 (111S100W) |
55 | 130 | 89,9 | O | S.O. | S.O. | UN 3257, classe 9, liquide à température élevée (asphalte) |
23 | PROX 230957 | DOT-111 (111S100W) |
55 | 130 | 89,9 | O | S.O. | S.O. | UN 3257, classe 9, liquide à température élevée (asphalte) |
Sources :
- Position dans le train : BST
- Identification du matériel : BST
- Conception des wagons-citernes : base de données UMLER
- Longueur : base de données UMLER
- Poids brut : base de données UMLER
- Poids du chargement : base de données UMLER
- Présence de MD : BST
- Volume de MD : CP
- MD déversées : CP
- Code d’identification, classe et nom d’expédition : BST
Les robinets de déchargement par le bas de trois wagons-citernes renversés ont été endommagés par l’impact, ce qui a entraîné des fuites et, par conséquent, le déversement d’environ 139 490 litres d’octanes. Les octanes (UN 1262) sont un liquide inflammable de classe 3.
L’inspection visuelle des surfaces de roulement des roues sur la locomotive de tête, qui n’a pas déraillé, a révélé des marques d’éraflure sur les roues L4, L5 et L6 qui roulaient le long du rail est (figures 3 et 4). Ces marques pourraient s’expliquer par un contact entre la surface de la table de roulement des roues et une surface de rail fissurée sur le rail est.
Sur les lieux du déraillement, on a récupéré 3 sections non dételées du rail est. L’inspection initiale a révélé que ce rail ne provenait probablement pas du point de départ du déraillement, mais plutôt d’un autre endroit, et qu’il a été endommagé au moment du déraillement. Le CP a conservé le rail afin d’en faire une analyse plus approfondie.
Renseignements consignés
Un examen des données téléchargées à partir du consignateur d’événements de la locomotive a permis de déterminer que le train avait été exploité conformément à toutes les exigences de la réglementation et de la compagnie, sans qu’aucune anomalie de fonctionnement ne soit observée.
Vidéo des caméras de locomotive orientées vers l’avant
La locomotive de tête était équipée d’une caméra orientée vers l’avant et d’un enregistreur vidéo. Un examen des données vidéo, après le déraillement, a révélé une fracture dans le rail est (figure 5).
De plus, on a obtenu des images vidéo d’un train précédent qui avait traversé le secteur vers 2 h 12, soit environ 5 ½ heures avant l’événement. On a examiné la vidéo dans le but de déterminer si la fracture du rail avait déjà commencé à apparaître. Cependant, la résolution de cette vidéo est limitée en raison de l’obscurité nocturne, et la vidéo n’a donc pas permis de tirer des conclusions.
Renseignements sur la subdivision et la voie
La subdivision d’Aldersyde est une ligne principale secondaire à voie simple de 116 milles de long qui s’étend dans une direction nord-sud entre la gare de triage du CP à Calgary et un triage du CP à Lethbridge. Les mouvements des trains sur la subdivision d’Aldersyde sont contrôlés par le système de régulation de l’occupation de la voie (ROV), comme autorisé par le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF), et supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) situé à Calgary. Cette subdivision est désignée comme étant un itinéraire cléNote de bas de page 4 en vertu du Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés approuvé par Transports Canada. La vitesse maximale autorisée sur la voie est de 45 mi/h, ce qui en fait une voie de classe 4 comme définie par le Règlement concernant la sécurité de la voie de Transports Canada, également appelé Règlement sur la sécurité de la voie (RSV)Note de bas de page 5.
Le trafic ferroviaire dans ce corridor est de 3,7 trains par jour, en moyenne. Le tonnage annuel moyen pour 2017-2018 était d’environ 13,8 millions de tonnes brutes. La voie avait un profil descendant de 0,5 % dans la direction du déplacement du point milliaire 20,7 au point milliaire 18,9. Du point milliaire 18,9 au point milliaire 17,9 et au point de déraillement, la voie était en alignement et en palier.
La voie était constituée de longs rails soudés RENote de bas de page 6 de 115 livres fabriqués par la société Algoma Steel en avril 1979. Le rail était posé sur un mélange de traverses en bois franc et en bois tendre qui étaient dans un état passable. Il était fixé sur des selles à double épaulement de 11 pouces, au moyen de 3 crampons par selle, 2 du côté intérieur et 1 du côté extérieur. Le ballast était constitué de pierre concassée et était en bon état. La plateforme de voie et le drainage étaient adéquats aux environs du lieu de l’événement.
Données sur l’inspection et l’entretien de la voie
Dans le secteur du déraillement, des inspections de voie avaient été effectuées conformément au RSV. Le programme d’inspection des voies ferrées consiste principalement en des inspections visuelles, des inspections de détection des défauts de rail par ultrasonsNote de bas de page 7 et des inspections de la géométrie de la voie automatisées. Au moment du déraillement, des inspections visuelles sur la subdivision d’Aldersyde étaient effectuées 2 jours par semaine et il n’y avait pas plus de 72 heures entre les inspections.
L’inspection visuelle la plus récente avait eu lieu le 30 août 2019, 3 jours avant le déraillement, et aucun problème n’avait été détecté. Les plus récents contrôles des défauts des rails et de la géométrie de la voie dans le secteur du déraillement avaient été effectués le 4 juin 2019 et le 16 juillet 2019, respectivement. Aucun défaut de rail ou défaut de géométrie de voie urgent ou quasi urgent n’avait été décelé à proximité du lieu du déraillement. Les contrôles de la géométrie de la voie effectués le 11 mars 2019 et le 25 juillet 2018 n’avaient détecté aucun défaut urgent ou quasi urgent. De plus, on avait effectué un meulage des rails le 22 février 2019 entre les points milliaires 15 et 20 pour tenir compte de l’usure du côté intérieur.
Analyse en laboratoire des sections de rail récupérées
Les 3 sections de rail brisé qui ont été récupérées sur le lieu du déraillement ont été envoyées au laboratoire des essais du CP à Winnipeg (Manitoba) pour examen plus approfondi. Le rail présentait une usure verticale du champignon de 7/16 pouce et aucune usure sur le côté intérieurNote de bas de page 8. L’enquête n’a pas permis de déterminer si ces sections de rail présentaient la rupture que l’on voit sur la vidéo de la locomotive.
L’analyse a révélé que 2 surfaces de rupture présentaient des fissures de fatigue préexistantes, dont l’une mesurait 1 pouce de profondeur par 13/8 pouce de largeur et s’étendait sur environ 40 % de la section transversale du champignon de rail (figures 6 et 7). On a également noté que la surface de roulement présentait des criques et des fissures continues et profondes sur le congé de roulement; on sait que cela obscurcit les résultats de l’auscultation par ultrasons. Plusieurs surfaces de rupture examinées présentaient des dommages d’impact concordant avec la direction de déplacement vers le sud du train 469-01.
Détection des fissures de fatigue
Les fissures de fatigue font partie d’un groupe de défauts de fatigue appelés défauts transversaux, où le plan de la fissure est perpendiculaire au sens de circulation du rail. Les fissures de fatigue sont un type courant de fissures causé par la fatigue de contact de roulement due à une forte densité de trafic et au chargement. Ces fissures apparaissent sous la surface d’un rail et ne peuvent être détectées que par une auscultation par ultrasons ou par une inspection combinant induction et ultrasons. Le taux de croissance des défauts est imprévisible.
La capacité de détecter les fissures de fatigue au sein d’un défaut de fatigue dépend de la taille et de l’orientation du composant transversal et peut être influencée par des conditions de surface du railNote de bas de page 9, comme la présence de graisse ou de saletés sur le champignon du rail, des criques et un écaillage interne. Par conséquent, les fissures de fatigue préexistantes peuvent être difficiles à détecter et ont un taux de croissance particulièrement imprévisible lorsque le rail est usé. Il n’est pas possible de valider la présence d’un défaut tant que le rail n’est pas brisé, car la séparation ou la fente longitudinale dans une fissure de fatigue n’est souvent pas exposée. Une défaillance peut survenir avant que le défaut ne devienne visible, et elle donne généralement lieu à une rupture complète du rail.
Dans le cas à l’étude, même si des inspections de rails avaient été effectuées tel que prescrit, les fissures de fatigue préexistantes n’avaient pas été détectées. Même s’il n’a pas été possible de déterminer les circonstances de la rupture du rail observée dans la vidéo orientée vers l’avant, il est probable qu’une fissure de fatigue préexistante non détectée ait progressé jusqu’au point de rupture lors du passage d’un train précédent.
Mesures de sécurité prises
Immédiatement après l’événement à l’étude, pour détecter tout rail défectueux et s’en protéger, des essais de détection de défauts de rail ont été effectués sur le rail nouvellement réparé sur les lieux du déraillement. Du 6 au 13 septembre 2019, on a effectué des tests supplémentaires de détection des défauts de rail sur plus de 81 milles de la subdivision d’Aldersyde. En conséquence, 26 rails ont été remplacés dans les 7 jours suivant les tests afin de remédier à une variété de défauts, y compris 11 soudures défectueuses faites sur le terrain, 7 étoilures de trou d’éclissage, 5 défauts transversaux ou fissures de fatigue, 2 fissurations verticales du champignon et 1 fissure au raccord âme-champignon.
Messages de sécurité
Les trains clés qui voyagent sur une voie principale signalisée (c.-à-d. une voie équipée de circuits de voie) peuvent être avisés à l’avance de ruptures de rail par des signaux, à condition que la rupture de rail interrompe le circuit de voie. Toutefois, comme l’a démontré le présent événement, lorsque des trains clés circulent sur une voie principale non signalisée, c.-à-d. dans un territoire exempt de signalisation du ROV, ils peuvent rencontrer des ruptures de rail préexistantes sans préavis, ce qui peut entraîner un déraillement.
Les fissures de fatigue préexistantes peuvent avoir des taux de croissance imprévisibles, en particulier dans un rail usé, et peuvent croître jusqu’à une taille critique sans être détectées malgré des inspections ultrasoniques fréquentes. Le meulage régulier du rail élimine les défauts de surface du rail qui peuvent entraver les signaux ultrasoniques, améliorant ainsi l’efficacité des sondages par ultrasons.
Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .